1
1000
3
-
http://bibnum-bu.univ-artois.fr/files/original/da207a315d23aeb31d06fa2ae992bb2e.pdf
30fc94eeda284d903d0f0bbb1c349cf1
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Ouvrages remarquables des écoles normales
Description
An account of the resource
Document
A resource containing textual data. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre text.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Dictionnaire historique d'éducation : tome troisième
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et d'enrichier toutes les facultés de l'ame et de l'esprit, en susbtituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie
Subject
The topic of the resource
Education
Description
An account of the resource
Nouvelle édition, qui a été revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre d'articles, et surtout d'une Table historique des Personnages, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagnoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire. La citation "Longum per peaecepta, breve per exemplum iter" figure sur la page de titre. Orthographe d'époque.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Fillassier, Jean-Jacques (1745-1799)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Amable Costes, Libraire
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1818
Date Available
Date (often a range) that the resource became or will become available.
2013-02-22
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/002692171
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 vol. au format PDF (531 p.)
Language
A language of the resource
Français
Type
The nature or genre of the resource
Text
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MAG 37 071
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Ecole normale de Lille
Rights Holder
A person or organization owning or managing rights over the resource.
Université d'Artois
PDF Search
This element set enables searching on PDF files.
Text
Text extracted from PDF files belonging to this item.
�DICTIONNAIR
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION.
TOME TROISIÈME.
ARCHIVES
H
��DICTIONNAIRE
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION,
Où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et d'enrichir toutes les facultés de Famé et de l'esprit, en substituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie. NOUVELLE ÉDITION,
Qui a été revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre d'articles, et sur-tout d'une TABLE HISTORIQUE DES PERSONNAGES, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagnoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire;
Par M. FILLJSSIER , des Académies royales d'Arras} de Toiïtouse, de Lyon, de Marseille, etc.
Longum per prsecepta, brève per exemplum itcr.
TOME
TROISIÈME.
PARIS,
AMABLE COSTES, LIBRAIRE,
RUE DE SEiKE, N.° 12, FAUBOURG S.-G.
l8 I 8.
U6 011
��M\Vl\'lV\VV\%VlVl\\VVVV\\VlV\XlVV\\l\\XVvm\\VVll\\\\\AVl\\m'\VVV\\V\l
>
. -
1
.
D IGTIONNAIRE
HISTORIQUE
D' É D U G A T I O N.
PARDON. i. PEINE Jésus'Christ fut-il attaché à la croix , qu'il offrit ses peines à son père, en faveur de ses bourreaux et de ses plus cruels ennemis : « O mon Père ! « s'écria ce Dieu de miséricorde , pardonnez-leur ; car « ils ne savent ce qu'ils font. » S. Etienne, diacre et premier martyr, parfait imitateur de son Maître , se met à genoux , lors même que les Juifs , acharnés contre lui , le lapident, et cric à haute voix, dans l'ardeur de sa charité : «O mon Dieu! « ne leur imputez point ce péché b> et, après cette parole , il rendit son ame au Seigneur. 2. S. Jean l'aumônier avoit exhorté plusieurs fois un des grands seigneurs d'Alexandrie à se réconcilier avec son ennemi. Mais le trouvant toujours inflexible, il le mena dans sa chapelle, et y célébra le saint sacrifice de la messe, n'y laissant entrer qu'une personne pour la servir. Lorsqu'ils prononçoient tous trois ensemble l'oraison dominicale , selon la coutume de ce temps-là , il fit signe au servant de se taire à ces mots : «Pardonnez«nous nos offenses, .comme nous les pardonnons à « ceux qui nous ont offensés;» et lui-même se tut, en sorte que le seigneur fut le seul qui les prononça. Le saint, se tournant vers lui, lui dit avec beaucoup de douceur: « Songez-vous bien, mon frère, à ce que vous « venez de dire àDieu, lorsque, lui demandant pardon, « vous avez protesté que vous pardonniez à ceux qui « vous ont offensé? « Ce seigueur, frappé comme d'un coup de foudre, se jeta sur-le-champ aux pieds du saint Tome JIL A
A.
�2
PARDON,
prélat, etlui répondit: «Vôtre serviteur est prêt à faire « tout ce que vous lui commanderez; /> et, sans différer, il se réconcilia très-sincèrement avec son ennemi. 3. Théodose-le-Grand,a.jant imposé une contribution extraordinaire,chargea ses o moi ersdc la 1 everdans toutes les provincesde l'empire.Les ordres du prince ne trouvèrent aucune résistance dans le reste de la Syrie; mais ils soulevèrent Antioche.Cette ville étôit, par sa grandeur, par son opulence , parla beauté cle sa situation et de ses édifices, considérée commela capitale del'Orient.Divisée en quatre quartiers entourés de murailles, et qui formoient presque autantde villes, elle renfermoitdeux cent mille liabitans, partagés en dix-huit tribus. A ce peuple nombreux se joignoit une infinité d'étrangers qui s'y rendoient sans cesse de toutes les contrées de l'univers.Tant d'humeurs diverses étoient une matière toujours préparée aux plus violentes agitations. On parloit depuis qnelquesjours, delanouvelleimposition; cen'étoitqn'unbruitsourd,quitrouvoitpeudecroyance,mais qui me! toit déjà les esprits dans cet état d'incertitude où ils deviennent plus faciles à émouvoir.Les ordresde l'empereur étant arrivés pendant la nuit du 26 de Février , le gouverneur assembla, de grand matin, le conseil.La lecture des lettres n'étoitpas achevée, que les assistans s'abandonnent, à la douleur. Ils s'écrient: «quela somme « est exorbitante ; qu'on peut leur briser les os parles « tortures, leur tirer tout le sang des veines; mais qu'en « vendant et leurs biens et leurs personnes, on ne « pourra trouver de quoi satisfaire à celte, exaction « cruelle. » Lesmurmnres,lesgémissemens,lescris,les marques du dernier désespoir troublent toute l'assemblée. Plusieurs élèvent la voix , pour adresser à Dieu des prières plus séditieuses encore que les murmures. Le gouverneur fait de vains efforts pour les appaiser. Ils sortent de la salle, et courent comme des forcenés sous le portique.Là, redoublant leurs cris en se dépouillant de leurs robes , ils appellent les citoyens : ils leur exagèrent le sujet de leur alarme. On accourt de toutes pari s : bientôtun peuple innombrable les environne ; la fureur se communique plus promptement que leurs pa-
�PARDON.»
5
Voles : la plupart ignorent encore la cause du tumulte, et frémissentdéjà de colère.Tout-à-coup,sans aucuneom- . mandement, il se fait un grand silence : cette immense populace demeure calme et immobile, ainsi que lameraux approches d'unviolentorage; et, un moment après, poussant descris furieux, et se divisant en plusieurs trou>es, comme en autant de vaguçs, les uns se jettent dans es thermes voisins 5 ils renversent, ils brisent,ils détruisent et les vases et les ornemens : d'autres courent à la maison de l'évêque Flavien, et ne l'ayant pas trouvé, ils reviennent à la salle du conseil, d'où le gouverneur n'avoit encore osé sortir : ils tâchent d'en enfoncer les portes , et menacent de le massacrer; ce qui n'étoit point sans exemple à Antioche. N'ayant pu réussir , ils se dispersent, en criant : « Tout est perdu ! tout est per« du ! La ville est abîmée sans ressource ! Une impo« sition tyrannique a détruit Antioche ! » Tout ce qu'il y avoit d'étrangers,de misérables, d'esclaves, grossit la foule des séditieux. Ce mélange confus ne connoît plus ni prince, ni magistrats, ni patrie. A la vue des portraits de l'empereur , qui étoient peints en plusieurs endroits de la ville, la rage s'allume. On l'insulte de paroles et à coups de pierres; et, comme s'il respiroit encore plus sensiblement dans les ouvrages de bronze, on va a ttaqu er ses s tatues,onn'épargne pas celles de Flaccille , à*Arcadius et d'Honorius , ni la statue équestre de Théodose le père. On attache des cordes à leur cou ; chacun s'empresse de prêter son bras à ce ministère de fureur : on les arrache de leurs bases ; on les brise en morceaux , en les chargeant d'opprobres et d'imprécations : on en abandonne les débris aux enfans , qui les traînent par les rues de la ville. Ce dernierexcès d'insolence effraya les coupables euxmêmes.Lavuedesimagesd'un empereur sirespectable, brisées et mises en pièces, les frappa d'horreur, comme s'ils eussentvn les membres du prince même épars etdéchirés. Pales et tremblans, la plupart s'enfuient et se renferment. La sédition se ralentissoit, mais elle n'étoit pas encore appaisée.TJne troupe des plus opiniâtres s'assemble autour de la maison d'un des principaux sénaA 2 '
{
i
�4
CARDON.
teurs, qui, se tenant renfermé chez lui, paroissoit condamner larévolte.Ilsymeltentle feu.Pendant l'emportement du peuple, les plus sages citoyens n'avoient osé s'exposer. Les magistrats, cachés dans leurs maisons,ne songeoient qu'à conserver leur vie. Ne pouvant se concert erensemble,niprendreaueunemesure,ilsenétoient réduits à faire des voeux au ciel. Quantité de voix appeloient en vain le gouverneur. Quoique ce fût un officier vaillant, et qui s'étoit signalé dans la guerre, cependant il n'osa se montrer jusqu'au moment où il apprit que la plusgrandefougue dupeuple étoitpassée,etquelamaison du sénateur n'étoit attaquée que par une poignée de misérables. Il s'y transporta àla tête de sa garde: il n'en coûta que deux cou ps de flèches pour dissiper ce reste de séditieux.Le comte d'Orient, qui commandoitles troupes,et qui n'avoit pas montré plus de hardiesse, vint alors se joindre à lui. Leurs soldats poursuivirent les mutins, qui fuyoient devant eux ; on en prit un grand nombre, qui furent aussitôt enfermés dans les prisons. On remarqua que les femmes de la plus vile populace, qui ont coutume de signaler leur rage dans ces émeutes soudaines, ne prirentaucune partà celle-ci. L'agitation, qui subsistait encore dans les esprits, après tant de secousses violentes, fit, comme il arrive souvent, imaginer des fantômes et des prodiges bizarres. On ne pouvoit croire que ce désordre n'eût pas été produitpar une puissance surnaturelle.Le bruit courut que, dans le fort du. tum ulte,on avoit vu un vieillard d'une taille gigantesque, monté sur un puissant cheval,et que,s'étant changé d'abord en jeune homme , ensuite en enfant, il avoit disparu.On disoit encore que,la nuit d'auparavant,on avoit aperçu au-dessus de la ville, une femme horrible à voir et d'une grandeur effrayante; que ce spectre avoit passé sur toutes les rues, en frappant l'air d'un fouet, avec un bruit affreux. Ce n'étoitrien moins, dans l'idée du peuple, qu'un monstre infernal, qui excitait les esprits à la fureur, de la même manière que les valets de l'amphithéâtre animoient, à grands coups de fouets, la rage des bêtes féroces dans les spectacles. SelonS. Jean-Chryfostôme, il n'étoit pas besoin que le démon courût dans
�PARDON. 5 l'air ; c'étoitassez qu'il entrât dans les cœurs, et qu'il y soufflât ie feu de larévolte. Elle avoit commencé au point du jour ; à midi, le calme étoit rétabli dans la ville. Mais ee calme n'avoitrien que de sombre et de lugubre. Après ces accès defrénésie,leshabitansabattus,consternés,ne se reconnoissoient qu'aveçhorreur.La honte, les remords, la crainte,lenoient tous les cœurs accablés.La vue des courriers,qui partent pour informer l'empereur, leur annoncedéjà leur condamnation.Lesinnocensetles coupables attendent également la mort 5 mais personne ne veutêtrecoupable.ilss'accusentlesunsles autres. Les païens,quin'étoientpasplus criminels queles chrétiens, tremblent qu'on ne leur impute tout ce désordre.Tous, renfermés avec leurs familles qui fondent enlarmes,déplorent le sort de leurs femmes et de leurs enfansuls se pleurenteux-mêmes. Par-tout règne une affreuse solitude; on voit seulement errer çà et là, dans les places et dans les rues,des troupes d'archers,traînant aux prisons des malheureux qu'ils ont arrachés de leurs maisons. Lanuitsepasse dans de mortellcsinquiétudes;eIiene présente à leur esprit que des gibets,des échafauds. La plupart se déterminent à quitter leur patrie, qui ne leur paroît plus qu'un vaste sépulcre. Les riches cachent et enfouissentleius richesses. Chacun se tient heureux de sauver sa vie. Dès le point du jour, les rues sont remplies d'hommes, de femmes, d'enfans, de vieillards qui fuient la colère du prince, comme un incendie. Les magistrats incertains du sort de la vilîe,n'osentles retenir. A peine peuvent-ils , à force de menaces , arrêter les sénateurs , qui se préparaient eux-mêmes à déserter Antioche. Les autres sortent en foule, et se dispersent sur les montagnes et dans les forêts.Plusieurs sont massacrés par les brigands , qui profitent de cette alarme pour infester les campagnes voisines ; et le fleuve Oronte , qui baignoit Antioche , rapportoit tous les jours dans cette cité malheureuse , quelques-uns des cadavres de ces infortunés fugitifs. Cependant les magistrats étoient assis sur le tribunal, etfaisoienteomparoître ceux qu'on avoit arrêtés à la fin de la sédition, et la nuit suivante. Us déployoient toute 'horrenr des supplices. On pouvoit leur reprocher de A 3
�6 PARDON. n'avoir rien osé faire pour empêcher le crimê. Cette crainte les rendoit plus implacables : ils eroyoient faire leurapologieenpunissantavecrigueur.Lesfouets armés de plomb, les chevalets, les torches ardentes,toutes les tortures redoutables à l'innocence même, étoient mises en oeuvre pourarracher l'aveu du crime et des complices. Tout ce qui restoit de citoyens dans la ville, étoient assemblés aux portes du prétoire, dont les soldats gard oient l'entrée .Là, plongés dans un morne silen ce, se regardant les uns les autres avec une défiance mutuelle, les yeux et les bras levés vers le ciel, ils le conjuroient avec larmes d'avoirpitié des accusés, et d'inspirer aux juges des sentimens de clémence. La voix des bourreaux, le bruit des coups,les menaces des magistrats lesglacentd'effroiIls prêtent l'oreille à tous les interrogatoires. A chaque coup, à chaque gémissement qu'ils entendent, ils tremblent pour leurs parens,pour eux-mêmes : ils craignent d'être nommés entre les complices. Mais rien n'égale la douleur des femmes. Enveloppées de leurs voiles, se roulantàterre, etse traînant aux pieds des soldats, elles les supplient en vain de leur permettre l'entrée ; elles conjurent les moindres officiers quipassent devant elles, de compatir aux malheurs de leurs proches, et de leuF prêter quelques secours. Entendant les cris douloureux de leurs pères, de leurs fils, de leurs maris, elles y répondent par des cris lamentables : elles ressentent au fond de leurs cœurs tous les coups dont ils sont frappés ; et les dehors du prétoire présentent un spectacle aussi déplorable que les rigueurs que l'on exerce au dedans. Ce four affreux et funeste se passa à interroger et à convaincre les coupables. La nuit étoit déjà venue. On attendoit au dehors, dans des transes mortelles, la décision des magistrats. On demandoit à Dieu, par les vœux les plus ardens, qu'il touchât le cœur des juges ; qu'ils voulussent bien accorder quelque délai,etrenvoyer le jugement à l'empereur, lorsque tout-à-coup les portes du prétoire s'ouvrirent. On vit sortir, à la lueur des flambeaux, entre deux haies de soldats, les premiers de la ville, chargés de chaînes, languissans etse traînant à peine, les tortures ne leur ayant laissé de vie qu'autant
�PARDON.
7
qu'il en falloit pour mourir de la main des bourreaux, à la vue de leurs concitoyens. On avoit voulu commencer ce terrible exemple par la punition des plus nobles. On les conduisit au lieu des exécutions. Leurs mères, leurs femmes, leurs filles, plus mortes qu'eux-mêmes, veulent les suivre, et manquent de forces. Le désespoir les ranime ; elles courent; elles voient leurs proches tomber sous le glaive, et tombent avec eux par la violence de leur douleur. On les emporte à leurs maisons. Elles en trouvent les portes scellées du sceau public. On avoit déjà ordonné la confiscation de leurs biens; et ces femmes distinguées par leur rang et par leur naissance, sont réduites à mendier un asile qu'elles ne trouvent qu'avec peine, la plupart de Jeurs parens et de leurs amis refusant de leur donner retraite, de peur de partager leur crime, en soulageant leur infortune. On continua pendant cinq jours à faire le procèsaux coupables. Plusieurs innocens furent enveloppés dans la condamnation , s'étant déclarés criminels , dans la force des tortures. Les uns périrent par l'épée, d'autres par le feu : on en livra plusieurs aux bêtes ; on ne fit pas même grâce aux enfans. Tant de supplices ne rassuroient pas ceux qui restoient. Après tant de coups redoublés, la fou-» dre sembloit toujours gronder sur leurs têtes. Ils craignoient les effets de la colère du prince; et, quoiqu'il ne pût encore être instruit de la sédition, on entendoit sans cesse répéter dans la ville : « L'empereur sait-il la « nouvelle ? est-il irrité ? l'a-t-on fléchi ? qu'a-t-il or« donné ? voudra-t-il perdre Antioche ? » Pour effacer , s'il étoit possible, la mémoire du soulèvement, chacun s'empressoit de payer l'impôt qui en avoit été l'occasion. Loin de le trouver alors insupportable, les habitans offroient de se dépouiller de tous leurs biens, et d'abandonner à l'empereur leurs maisons et leurs terres , pourvu qu'on leur laissât la vie. Antioche étoit une ville de plaisir et de dissolution. L'adversité, cette excellente maîtresse delà philosophie chrétienne, la changea tout-à-coup. Plusdejeux, plus de festins, de débauches, de chansons et de danses lascives, de diveilissemens tumultueux. On n'y entendoit A 4
�8 PARDON. plus que des prières elle chant des psaumes. Les chrétiens , qui faisoient la moitié des habitans, pratiquoient toutes les vertus : les païens avoient renoncé à tons les vices. Le théâtre étoit abandonné. On passoit les journées entières dans l'église, où les cœurs les plus agités se reposent dans le sein de Dieu même. Toute la ville sembloit être devenue un monastère. S. Jean Chrysostôme soutenoit leur courage chancelant, et félicitoit ses concitoyens de ce qu'ils avoient enfin recours au seul médecin qui pou voit guérir leurs maux. Ce grand homme, animé de l'esprit de Dieu , fut le seul, dans ces jours d'alarme et de douleur, qui consolât ce peuplenombreuxd'une manière efficace. Il étoitné à Antioche de parens nobles. 11 avoit pris les leçons du fam eux Libanius. Mais la beauté de son génie, le goût du vrai etdugrand, lalecture assidue de ces admirables modèles que l'ancienne Grèce avoit enfantés, et sur-tout l 'étude de l'Eeriture-Sainte, dont la sublime simplicité passa dans son espritcomme dans son cœur,lui donnèrent un ton d'éloquence fort supérieur à celle de son maître. Ce fut une de ces ames choisies, que la sagesse de Dieu se plaît à former de temps en temps, et à montrer aux hommes, pour leur apprendre jusqu'à quel degré peuvent s'élever les forces humaines, éclairées, excitées, soutenues de la grâce divine. Depuis le vendredi, jour de la sédition, jusqu'au jeudi de la semaine suivante, Je Démosthène chrétien garda le silence.Enfin, lorsque les plus coupable.'; furent punis, que plusieurs de ceux que ïa terreur avoit bannis de la ville commençoient à y revenir, et qu'il ne restoit plus que l'inquiétude de la vengeance du prince, il monta dans la tribune. Pendant tout le temps du carême, qui commença cette .année (387) à Antioche, le huitième de Mars, il continua de prêcher au peuple, dont il sut calmer les craintes et essuyer les larmes ; et l'on doit principalement attribuer à ce grand orateur la tranquillité où la ville se maintint au milieu des diverses alarmes qui survinrent. Il y avoit déjà huit jours que les courriers, qui porioient à l'empereur 1 p. nouvelle delà sédition , étoient pxvvUs d'An tiochc, lorsqu'on apprit qu'ils avoient é té ar-
�9 rêtés dans leur route par divers accidens, et obligés de quitter les chevaux de poste, pour prendre les voitures publiques.On crut qu'il étoit encore temps de les prévenir; et toute la ville s'adressa àFévêque Macie«,prélat vénérable par sa sainteté , et chéri de l'empereur. Il accepta cette pénible commission ; et ni les infirmités d'une extrême vieillesse,ni lafatigued'unlongvoyage, dans une saison incommode etpluvieuse, ni l'état où se trouvoitune sœur unique, qu'il aimoit tendrement, et qu'il laissoit au lit de la mort , ne purent arrêter son zèle. Résolu de mourir , ou de fléchir la colère du prince , il part, au milieu des larmes de son peuple. Tous les coeurs le suivent par leurs voeux. On espère que la bonté naturelle de l'empereur ne pourra se défendre d'écouter un prélat si respecté, si digne de l'ê tre. Quoique Flavien fît une extrême diligence, il ne put atteindre les courriers. Us arrivèrent avant lui ; et leur rapport excita dans Théodose cette violente colère dont les premiers accès étoient toujours prompts et terribles. Il étoit moins irrité du renversement de ses propres statues que des outrages faits à celles de Flacc'dle et de son père. L'ingratitude d'Antioche redoubloit encore son courroux. Il avoit distingué cette ville entre toutes celles de l'empire , par des marques de sa bienveillance : il y avoit ajouté de superbes édifices. On venoit d'achever j par ses ordres, un nouveau palais, dans le fauboprg de Daphné ; et il avoit promis de venir incessamment honorer Antioche de sa présence. Son premier mouvement fut de détruire la ville, et d'ensevelir les habitans sous ses ruines.Etant revenu de cet excès d'emportement, il choisit le général Hellébique et Césaire, maître des offices y pour l'exécution d'une vengeance plus conforme aux règles de la justice. Comme il ignoroit encore la punition des principaux auteurs du désordre , il chargea ces commissaires d'informer contre les coupables , avec pouvoir de vie et de mort. Il leur ordonna de fermer le théâtre, le cirque et les hains publics; d'ôter à la ville son territoire, ses privilèges , et la qualité de métropole ; de la réduire à la condition d'un simple bourg soumis à Laodicée, son
PARDON.
�lO
PARDON.
ancienne rivale, qui deviendrait, par ee changementJ métropole de la Syrie ; de retrancher aux pauvres la distribution du pain, qui étoit établie dans Antioche , comme dans Rome et dans Constantinople. llellébiqueelCésaire,étxf\kçax\\s avec ces ordres rigoureux,rencontrèrentf7ac>zera,etredoublèrent sadouleur. Ilcontinua sa routeavecplus d'empressement,pour obtenir quelque grâce. Les deux commissaires se hâtèrent d'arriver en Syrie. La renommée, qui les devança, renouvela la terreur dans Antioche. On publioit qu'ils venoientàla tête d'une troupe de soldats qui ne respiroîent que le sang et lepillage.Les habitans prononcoient euxmêmes leur propre sentence. «On égorgera le sénat, on « détruira la ville de fond en comble, on la réduira en « cendres avec son peuple, on y fera passer la charrue ; « et pour éteindre notre race, on poursuivra , le fer et « lefeuàlamain,jusquesdansles montagnes etlesdé« serts,c.eux quiy chercheront une retraite.» On attendoit en tremblant le moment de leur arrivée.On se disposoit de nouveau à prendre la fuite.Le gouverneur,qui étoit païen, vint à l'église, où une multitude innombrable s'é toit assemblée, comme dans un asile. Il y parla au peuple, et s'efforça de le rassurer. Lorsqu'il sefut retiré, S. Jean Chrysostôme reprocha aux chrétiens d'avoir eu besoin d'une voix étrangère pou raffermir des coeursque la confiance enDieudevoitrendre inébranlables.Enfin, ceux qui connoissoientle caractère desdeuxofïiciersvinrent à bout de calmer ces alarmes. On commença de se persuader que le prince ne vouloitpas ruiner Antioche, puisqu'il confioit sa vengeance à deux minis très si équitables et si modérés. A leur approche, une foule de peuple sortit au devant d'eux, et les conduisit à leur demeure, avec des acclamations mêlées de prières et de fermes. Les deux commissaires n'étoient pas de ces courtisans vils et mercenaires , qui, livrés sans réserve à la passion de leur maître, vont aussi vite que son caprice, et lui préparent d'inutiles repentirs. G'étoient des hommes prudens et vertueux ; et c'est une louange pour Théodose, d'avoir choisi dans sa colère deux ministres propres , non pas à la servir aveuglément, mais à la diriger et à la retenir dans les bornes d'une exacte jus-
�PABDON.
11
tice. Ils apprirent, en arrivant, que les magistrats les avoient prévenus , et que la sédition étoit déjà punie par des exemples assez rigoureux. Cependant, par tes ordres du prince, ils se voyoient réduits à la triste -nécessité de rouvrir les plaies récentes de cette malheureuse ville , et d'en faire encore couler du sang. Ils signifièrent d'abord la révocation de tons les privilèges d'Antioche.Lc lendemain , ils firent comparoitre tous ceux qui composoient le conseil de la ville. Ils écoulèrent et les accusations formées contre eux, et leurs réponses.L'humanité des juges adoucissoit, autant qu'il leur étoit permis , la sévérité de leur ministère. Ils n'employoient ni soldats , ni ledeurs pour imposer silence. Ils permetloient. aux accusés de plaindre leur sort, de verser des pleurs : ils en versoient euxmêmes ; mais ils ne leur laissoient espérer aucune grâce : ils paroissoient à la fois compatissans et inflexibles. Sur la fin du jour, ils firent renfermer tous ceux qui étoient convaincus, dans une grande enceinle de murailles , sans toit et sans aucune retraite qui prit les garantir des injures de l'air. C'étoientles personnes les plus considérables d'Antioche, par leur naissance, par leurs emplois et par leurs richessee. Toutes les familles nobles prirent le deuil. La ville perdoit avec eux tout ce qu'elle avoit d'éclat et de splendeur. Le troisième jour devoit être le plus funeste.Tous les habitans étoient glacés d'effroi. C'étoit le jour destiné au jugement et à l'exécution des coupables. Avant le lever du soleil, les commissaires sortent de leur demeure , à la lueur des flambeaux. Il montroient une contenance plus, sévère que la veille ; et l'on croyoit déjà lire sur leur front la sentence qu'ils alloient prononcer. Comme ils traversoient la grande place, suivis d'une foule de peuple , une femme avancée en âge , la tête nue, les cheveux épais, saisit la bride du cheval à'Hellébique; et,s'y tenant attachée,elle l'accompagne avec des cris lamentables.Elle demandoit grâce pour son, fils distingué par ses emplois et par le mérite de son père. En même temps, Hellébiqùe et Césaire se voient environnés d'une multitude inconnue , que des vêtemens lugubres, des visages pâles et exténués
�12
PARDON.
faisoient ressembler à des fantômes plutôt qu'à des hommes C'étaient les solitaires des environs d'Antioche, qui, dans cette triste conjoncture , étoient accourus de toutes parts ; et tandis que les philosophes païens , plus orgueilleux , mais aussi timides que le vulgaire , étoient allés chercher leur sûreté sur les montagnes et dans les cavernes, les moines, qui étoient alors les vrais philosophes du christianisme,et qui portoient ce nom à juste titre, avoient abandonné leurs cavernes et leurs montagnes , pour venir consoler et secourir leurs concitoyens. Ils s'attroupent en grand nombre autour des commissaires : ils leur parlent avec hardiesse : ils offrent leurs têtes à la place des accusés. Ils protestent qu'ils ne quitteront les juges qu'après avoir obtenu grâce. Ils demandent d'être envoyés à l'empereur. « Nous avons , disent-^il, un prince ehré« tien et religieux , il écoutera nos prières. Nous ne « vous permettrons pas de tremper vos mains dans le « sang de vos frères , ou vous nous immolerez avec « eux.» HeUébique et Césaire tàchoient de les écarter, en leur répondant qu'ils n'étoient pas maîtres de pardonner, et qu'ils ne pou voient désobéir au prince, sans se rendre eux-mêmes aussi coupables que le peuple d'Antioche. Ils continuoient leur marche , lorsqu'un vieillard , dont l'extérieur n'avoit rien que de méprisable \ s'avança à leur rencontre. Il étoit de petite taille , vêtu d'habits sales et déchirés. Saisissant par le manteau l'un des deux commissaires,il leur commanda à tous deux de descendre de cheval. Indignés de cette audace, ils ailoient le repousser avec sévérité, lorqu'on leur dit que c'éioitMacédone. Ce nom les frappa d'une vénération profondc.ilface^oraevivoitdepuis longtemps sur le sommet des plus hautes montagnes de Syrie , occupé nuit et jour de la prière. L'austérité de sa vie lui avoit fait donner le surnom de Critophage, parce qu'ilnesenourrissoitquede farine d'orge. Quoiqu'il fût très-simple , sans aucune connoissanec des choses du monde, etqu'il se fût rendu comme invisible aux autres hommes, il étoit célèbre dans tout l'Orient. Les commissaires s'étant jetés à ses pieds , leprioient de leurpardonner, et de souffrir qu'ils excculassentles ordres
�PARDON.
1%
de l'empereur. Alors ce solitaire, instruit parla sagesse divine , leur parla en ces termes: «Mes amis ; portez « ces paroles au prince : Vous n'êtes pas seulement « empereur ; vous êtes homme , et vous commandez « à des hommes de même nature que vous. L'homme « a été formé à la ressemblance de Dieu : n'est-ce donc « pas un attentat contre Dieu même ,de détruire cruel« lementsonimage?Onnepeutoutragerl'ouvrage, sans » irriter l'ouvrier. Considérez à quelle colère vous em« porte l'insulte faite à une figure de bronze. Et une fi« gurevivante,animée, raisonnable, n'est-elle pas d'un « plus grandprixPIl nous est aisé de rendre à l'empereur « vingt statues pour une seule ; mais après nous avoir ôté «la vie, il lui sera impossible de rétablir un seul cheveu « de notre tête. » Le discours de cet homme sans lettres fit une vive impression sur les commissaires. Us promirent à Macédone de faire part à l'empereur de ses sages remontrances. Ils se trouvoient dans un extrême embarras, et n'étoient guère moins agités au dedans d'eux-mêmes , que les coupables dont ils dévoient prononcer la sentence. D'un côté , les ordres de l'empereur leur faisoient craindre d'attirer sur eux toute sa colère ; de l'autre , les cris et les vives instances des habitans , et sur-tout des moines , dont les plus hardis menaçoient d'arracher les criminels des mains des bourreaux , et de subir eux-mêmes le supplice, désarmoient leur sévérité. Dans cet état d'incertitude , ils arrivent aux portes du prétoire , où l'on avoit déjà conduit ceux qui dévoient être condamnés. Ils y rencontrèrent un nouvel obstacle. Les évêques qui étoient alors dans Antioche ( et il s'en trouvoit toujours quelquesuns dans cette capitale de l'Orient ) se présentent devant eux. Ils les arrêtent, et leur déclarent que s'ils ne veulent leur passer sur le corps, il faut qu'ils leur promettent de laisser la vie auxprisonniers/Surles refus des commissaires, ils s'obstinent à leurfermerlepassage.Er.fmCésaireetHellêbiqueayxcvl témoigné,par i m signe de tête, qu'ils leur accordoient leur demande , ces prélats poussent un cri de joie ; ils leur baisent les mains,ils em~ brassentleurs genoux.Lepeuple et les moines se jettent
�*4
PARDON.
en même temps dans le prétoire ; et la garde ne peut arrêtercette foule impétueuse. Alors cette mère éplorée, qui n'avoit pas quitté la bride du cheval d'Hellébique, apercevant son fils chargé de chaînes, court à lui, l'entoure de ses bras, le couvre de ses cheveux, le traîne aux pieds d'Hellébique; et, les arrosant de ses larmes, elle conjure ce général, avec des cris et des sanglots, de lui rendre l'unique soutien de sa vieillesse, ou de lui arracher à elle-même la vie. Les moines redoublent leurs instances ; ils supplient les juges de renvoyer le jugement à l'empereur; ils offrent de partir sur-le-champ, et promettent d'obtenir la grâce de tant de malheureux. Les commissaires ne pouvant retenir leurs larmes , se rendent enfin. Ils consentent à surseoir l'exécution jusqu'à la décision de 7 'héodose. Mais ils ne veulent pas exposer tant de vieillards exténués par les austérités, aux fatigues d'un long et pénible voyage. Us leur demandent seulement une lettre ; ils se chargent de la porter au rince, et d'y joindre les plus pressantes sollicitations, .es solitaires composèrent une requête dans laquelle,en implorant la clémence de Théodose , '\\s lui mettaient devant les yeifl|^le jugementdeDieu,et protestaient que s'ilfalloitencoredusangpour appaisersoncourroux , ils étoientprêts à donnerle urvi e pour le peuple d'A ntioche. Les deux commissaires convinrent qnTIellébique demeurerait dans la ville, et que Césaire iroit à Constantinople. Ilsfirent transférer les criminels dans une prison plus commode.C'était un vas te édifice orné de portiques et de jardins, où sans les délivrer de leurs chaînes, on leur permit de recevoir toutes les consolations de la vie. Césaire partit le soir même; et, volant avec plus d'empressement que s'il se fût agi de sa propre vie , il fit plus de trois cents lieues en six jours , et arriva , sans être reconnu , à Constantinople. Il se fit sur-le-champ annoncer à l'empereur. Il lui présenta le procès-verbal qui contenoit le détail de la sédition et de ses suites. Il n'y avoit pas oublié la requête des moines et la remontrance de Macêdone. Il en fit la lecture par ordre du prince. Aussitôt, se jetant à se pieds, il lui représenta le désespoir des habitans , les chàtimens rigoureux qu'ils avoient déjà éprouvés , la gloire qui lui revien-
E
�PARDON.
l5
droit de sa clémence. Théoclose versa des larmes : son cœur commençoit à s'attendrir; mais la colèi'e combattait encore ces premiers mouvemens de compassion. Il y avoitdéjà sept ou huit jours queFlavien étoit arrivé àConstantinople. Mais, soit qu'il crût que l'empereur était trop irrité, soit que ce prince l'évitât à dessein, il ne s'é toit point j usqu'alorsprésenté à 1 héodose. Plongé dans la douleur la plus amère , il ne s'occupoit que des maux de son peuple.Sonabsenceles lui rendoitplus • sensibles , parce qu'il ne pouvoit les soulager. Ses entrailles étoient déchirées. Il passoit les jours et les nuits à verser des larmes devant Dieu , le priant d'amollir le cœur du prince. L'arrivée àeCésaire lui rendit le courage. Il alla au palais. Dès qu'il parut devant l'empereur, il se tint éloigné, dans un morne silence, le visage baissé vers la terre, comme s'il eût été charge de tous les crimes de ses. compatriotes. Théodose, le voyant confus et interdit, s'approcha lui-même ; et levant à peine les yeux, le cœur serré de douleur , au lieu de s'abandonner aux éclats d'une juste colère, il sembloit faire une apologie. Rappelant en peu de mots tout ce qu'il avoit fait pour Antioche, il ajoutait à chaque trait : « C'est donc ainsi que j'ai mérité tant d'outrages ! » Enfin , après le récit des bienfaits dont il avoit comblé cette ville ingrate : « Quelle est donc « l'injustice dont ils ont prétendu se venger , conti« nua-t-il ? Pourquoi, non contens de m'insulter, ont« ils porté1 leur fureur jusques sur les morts ? Si « j'étois coupable à leur égard , pourquoi outrager « ceux qui ne sont plus, et qui ne les ont jamais offen« sés ? N'ai-je pas donné à leur ville des marques de « préférence sur toutes les autres de l'empire ? Je « désirois ardemment de la voir : j'en parlois sans cesse j « j'altendois avec impatience le moment où je pourvois , en personne , recevoir les témoignages de leur « affection , et leur en donner de ma tendresse. » Flavien, pénétré de cesreproches, et fondant en larmes, pousse un profond soupir, rompt enfin le silence, et d'une voix entrecoupée de sanglots : « Prince, dit-il, notre ville infortunée n'a que trop de preuves de votre
�Î.6 PARDON, amour ; et ce qui faisoit sa gloire , fait aujourd'hui sa honte et notre douleur. Détruisez-la jusqu'aux fondemens , réduisez-la en cendres, faites périr jusqu'à nos enfans par le tranchant de l'épée : nous méritons encore de plus sévères chàtimens 5 et toute la terre, épouvantée de notre supplice, avouera cependant qu'il est audessous de notre ingratitude. Nous en sommes même déjà réduits à ne pouvoir être plus malheureux. Accablés de notre disgrâce , nous ne sommes plus qu'un objet d'horreur.'Nous avons , dans votre personne , offensé l'univers entier : il s'élève contre nous plus fortement que vous-même. Unereste à nos maux qu'un seul remède. Imitez la bonté de Dieu : ou tragé par ses créatures, il leur a ouvert les cieux. J'ose le dire, grand prince , si vous nous pardonnez, nous devons notre salut à voire indulgence ; mais vous devrez à notre offense l'éclat d'une gloire nouvelle. Nous vous aurons, par notre attentat, préparé une couronne plus brillante que celle dont Gratien a orné votre tête : vous ne la tiendrez que de votre vertu. On a détruit vos statues. Ah ! qu'il vous est facile d'en rétablir qui soient infiniment plus précieuses! Ceneserontpas des statues muettes et fragiles, exposées dans les places aux caprices et aux injures : ouvrages de laclémence,etaussiimmortelles que la vertu même , celles-ci seront placées dans tous les cœurs ; et vous aurez autant de monumens qu'il y a d'hommes sur la terre, et qu'il y en aura jamais.Non, les exploits guerriers, les trésors, la vaste étendue d'un empire, ne procurent pas aux princes un honneur aussi pur et aussi durable que la bonté et la douceur. Rappelez-vous les outrages que des mains séditieuses firent aux statues de Constantin, et les conseils de ces courtisans qui l'excitoient à la vengeance. Vous savez que ce prince, portant alors la main à son front, leur répondit en souriant : Rassurez-vous, je ne suis point blessé. On a oublié une partie des victoires de cet illustre empereur; mais cette parole a survécu à ses trophées : elle sera entendue des siècles à venir ; elle lui méritera à jamais les éloges et les bénédictions de tous les hommes. Ou'est-il besoin de vous mettre sousles yeuxdesexem-
�PARDON.
17
pics étrangers ? Il ne faut que vous montrer vous-même. Souvenez-vous de ce soupir généreux que la clémence fit sortir de votre bouche, lorsqu'aux approches de la fête de Pâques, annonçant, par un édit, aux criminels leur pardon, et aux prisonniers leur délivrance, vous ajoutâtes : Que n'ai-je aussi lepouvoirde ressusciter les morts !YovLS~poa\ez opérer aujourd'huice miracle. Antioche n'est plus qu'un sépulcre ; ses habitans ne sont plus que des cadavres ; ils sont morts avant le supplice qu'ils ont mérité : vous pouvez , d'un seul mot, leur rendre la vie. Les infidèles s'écrieront : Ou ilest grand, le Dieu des chrétiens! Des hommes il en saitfaire des anges : il les affranchit de la tyrannie delà, nature. Ne craignez pas que votre impunité corrompe les autres villes. JBélas ! notre sort ne peut qu'effrayer. TrembJans sans cesse, regardant chaque nuit comme la dernière, chaque jour comme celui de notre supplice, fuyant dans les déserts, en proie aux bêtes féroces, cachés dans les cavernes, dans les creux des rochers, nous donnons au reste du monde l'exemple le plus funeste. Détruisez. Antioche; mais détruisez-la comme le Tout-Puissant détruisit autrefois Ninive. Effacez notre crime par le pardon ; anéantissez la mémoire de notre attentat, en faisant naître l'amour etlareconnoissance. Il estaisé de brûler des maisons , d'abattre des murailles ; mais de changer tout-à-coup des rebelles en sujets fidèles et affectionnés, c'est l'effet d'une vertu divine. Quelle conquête ime seule parole peut vous procurer ! Elle vous gagnera les coeurs de tous les hommes. Quelle récompense vous recevrez de l'Eternel ! 11 vous tiendra compte, non-seulement de votre bonté, mais aussi de toutes les actions de miséricorde que votre exemple produira dans la suite des siècles. Prince invincible , ne rougissez pas de céder à un foible vieillard, après avoir résisté aux prières de vos plus braves officiers. Ce sera céder au souverain des empereurs, qui m'envoie pour vonsprésenterl'Evangile, et vous dire de sa part : Sivous ne remettez pas les offenses commises contre vous, votre Père céleste ne v.ousremettra pas les vôtres. Représentez-vous ce jour terrible, dans lequellesprincesetlcssuTome III. B
�l8
PARDON.
jets comparaîtront au tribunal de la suprême justice, et faites réflexion que toutes vos fautes seront alors effacées par le pardon que vous nous aurez accordé. Pour moi, je vous le proteste , grand prince, sivotrejuste indignation s'appaise, si vous rendez à notre patrie votre bienveillance , j'y retournerai avec joie ; j'irai bénir, avec mon peuple , la Bonté divine , et célébrer la vôtre. Mais si vous ne jetez plus sur Antioche que des regards irrités , mon peuple ne sera plus mon peuple : je ne le reverrai plus.; j'irai , dans une retraite éloignée, cacher ma honte et mon affliction; j'irai pleurer, jusqu'à mon dernier soupir, le malheur d'une ville qui aura rendu implacable à son égard le plus humain et le plus doux de tous les princes. » Pendant tout le discours de Flavien, l'empereur avoit fait effort sur lui-mêmepour resserrer sadouleur.Enfin, ne pouvant plus retenir ses larmes : « Pourrions-nous, « dit-il, refuser le pardon à des hommes semblables à « nous, après que le Maître du monde , s'étant réduit « pour nous à la condition d'esclave , a bien voulu de« mander grâce à son père pour les auteurs de son sup« pliee, qu'il avoit comblés de ses bienfaits ? » Flavien, touché delà plus vive reconnoissance,demandoità l'empereur lapermissionde demeurer àGonstantinople,pour célébrer avec lui la fête de Pâques. «Allez, mon père, « lui àWFhéodose, hâtez-vous de voxis montrer à votre « peuple : rendez le calme à la ville d'Antioche. Après « une si violente tempête, elle ne sera rassurée que lors« qu'elle reverra son pilote. »L'évêquelesupplioit d'envoyer son fils Arcadius. Le prince, pour lui témoigner que, s'il lui refnsoit cette grâce, ce n'étoit par aucune impression de ressentiment, lui répondit : «PriezDieu « qu'il me délivre des guerres dont je suis menacé , et « vous me verrez bientôtmoi-même. » Lorsque le prélat eut passé le détroit, 1 héodose lui envoya encore des officiers de sa cour, pour le presser de se rendre à son troupeau avant !a fête de Pâques. Quoique Flavien usât de toute la diligence dont il étoit capable, cependant, pour ne pas dérober à son peuple quelques momens de joie, U se fit devancer par des courriers qui portèrent la
�PARDON.
lg
lettre de l'empereur avec une prompti tude incroyable. Depuis que Césaire étoit parti d'" Antioche, les esprits flottaient entre l'espérance et lacrainte.Les prisonniers sur-tout recevoient sans cesse des alarmes,par les bruits publics qui se répandoient, que l'empereur é toit inflexible ; qu'il persistait dans la résolution de ruiner la ville. Leurs parens etleurs amis, gémissant avec eux,leurdisoient tous les jours le dernier adieu; et l'éloquente charité de S.JeanChrysostôme pouvoitàpeine les rassurer. Enfin la lettre de Théodose arriva pendant la nuit, et fut rendue à Hellébique.Cet officier généreux sentit lepremier toute la joie qu'il alloit répandre dans Antioche. Il attendit le jour avec impatience ; et dès le matin il se transportaauprétoire.L'allégresse peinte sur son visage annonçoit le salut. Il fut bientôt environné d'une foule de peuple qui poussoit des cris de joie ; et ce lieu, arrosé de tant de larmes quelques jours auparavant, retentissoit d'acclamations et d'éloges.Tous ceux que la crainte avoit jusqu'alors tenus cachés, accouraient avec transport. Tous s'efforçoient d'approcher d'HellébiqueAyant imposé silence , il fît lui-même la lecture de la lettre. Elle contenoit des reproches tendres et paternels. Théodose y paroissoit plus touché des insultes faites à Flaccille et à son père, que de celles qui tomboient sur lui-même. Il y censurait cet esprit de révolte et demutinerie,quisembloitfairele caractère du peuple d'Antioche ; mais il ajoutait qu'il était encore plus naturel à Théodose de pardonner. Il témoignoitêtre affligé que les magistrats eussent ôté la vie à quelques coupables, etfinissoit par révoquer tous les ordres qu'il avoit donnés pour la punition de la ville, et des habitans. A ces mots, il s'élève un cri général. Tous se dispersent pour aller porter cette heureuse nouvelle à leurs femmes et à leurs enfans.Laveille,onaccusoit de lenteur Flavien etCésaire;en ce moment on s'étonne qu'une affaire si importante, si difficile, ait été si promptement terminée.On ouvre les bains publics : on orne les rues et les places de festons et de guirlandes ; on y dresse des tables : A ntioche entière n'est plus qu'une salle de festin. La nuitsuivante égalela lumière des plus beaux joursda B 2
�20
PARDON»
ville estéclairéede flambeaux. Onbénit l'Etre souyeraïn qui tient en sa main le cœur des princes : on célèbre la clémence de l'empereur; on comble de louanges Fiavien, Hellébiqne et Césaire. Hellébique prend part à la réjouissance publique : il se mêle dans les jeux , dans les festins. Les jours suivans , on lui dressa des statues , ainsi qu'à Césaire ; et lorsqu'il fut ensuite rappelé par l'empereur , il fut conduit hors de la ville avec les vœux et les acclamations de tout le peuple. Flavien reçut, à son arrivée , des témoignages de reconnoissance encore plus précieux et plus dignes d'un évêque. Il fut honoré comme un ange de paix ; et toutes les églises retentirent d'actions de grâces. Ainsi se terminèrent les suites d'une sédition que la politique se seroit crue obligée de châtier à la rigueur , pour donner un exemple terrible. Celui qui veille en même temps à la sûreté et à la gloire des monarques qui le servent , ne voulut armer contre les coupables que les bras de leurs propres magistrats: il ne laissa au prince que l'honneur de pardonner. 4- Théoclose II avoit vingt ans accomplis ; et l'illustre Pulchérie , sa sœur , lui cherchoit une épouse dans les plus nobles maisons de l'empire. P<z«Zi«, qu'une tendre amitié attachoit à l'empereur depuis l'enfance , partageoit ce soin avec l'auguste tutrice ; et ils éprouvoient tous deuxcombienilestdifficile de rencontrer ensemble toutes les grâces et toutes les vertus. Pendant qu'ils s'occupoient de cette recherche, une jeune Athénienne, conduite par l'infortune , vint à Constantinople. Elle étoit fille de Léonce , célèbre sophiste d'Athènes ; et son père , trouvant déjà en elle tous les dons de la nature , avoit pris le plus grand soin de cultiver son esprit. Il y avoit beaucoup mieux réussi que dans l'éducation de ses deux fils , qui n'eurent d'autre mérite que d'être frères d'Athénaïs (c'étoit le nom de cette fille). Léonce étoitriche.Ilmourut, etfitenmourantun testamentbizarre. « Je laisse, disoit-il, tous mes biens à mes deux fils « Valere elGénésius, à condition qu'ils donneront à leur « sœur centpièces d'or.Pour elle,sonmértte,qui l'élève « au-dessus de sonsexe,lui sera d'une assez grande res« source. » Les cent pièces d'or ne faisaient guère que
�PARDON.
21
treize à quatorze cents livres de notre monnaie actuelle. Athénaïs, déshéritée pour la raison même qui rend les autres pères plus favorables, conjura d'abord ses deux frères de réparer cette injustice, et de lui accorder sa légitime, les prenant à témoins qu'ellen'avoit pas mérité cette disgrâce, et leur représentant que l'indigence de leur sœur seroitpour eux, sinon un sujet d'affliction, du moins un reproche continueLCesames vulgaires n'écoutèrent que l'intérêt,et pour oublier leur sreur,ils la chassèrent de la maison paternelle. Ell e se réfugia chez une tante qui la conduisit à Constantinople, pour y solliciter la cassation du testament.Elless'adressèrentàPtvZc/2eWe. Athénaïs étoit d'une beauté éblouissante. Elle exposale sujet de sesplaintes avec des grâces si touchantes,que la princessefutaussicharméedesonespritquedesabeauté. P«ZcA^rzes'informadesesmœurs;etayantapprisqu'elles étoient irréprochables, elle crut avoir trouvé dans cette jeunefille ce qu'elle cherchoitvamement à la cour. Elle fitaussitôt part à son frère de cette heureuse découverte. Ce récit excita dans le jeune prince une vive impaliencedevoir^A^raaw.Souspré texte de s'instruire plus en détail de Tobjetde sa requête, Pulchérie la lit entrer dans son appartement, où Théodose, sans être aperçu d'elle, eut le temps de la considérer d'un lieu où il étoit avec Paulin. Tous deux fu rent frappés de l'éclat de sa personne, tandis que Pulchérie admiroitla j ustesse, les grâces et la modestie de ses discours. Théodoseeu devint passionnément amoureux, et n'eut pointde repos que le mariagene fût conclu.Léonce élo\l\>!iieïi. Athénaïs, élevée dans la religion de son père, fut instruite du christianisme, et baptisée sous le nom d'jBw^ocie.Lesfrères de l'impératrice avoientmérité son ressentiment. Ils prirent la fuite et se cachèrent, dès qu'ils apprirent qu'elle étoit devenue épouse de leur souverain. La princesse , plus généreuse et plus habile qu'ils n'étoienten fait de vengeance,nevoulut lespunir quepar des bienfahs.EUe les fit chercher, et conduire à Constantinople. Lorsqu'ils parurent devant elle, tremblans et déconcertés : « Ne « craignez rien, leur dit-elle ; loin de vous savoir niau« vais gré , je vous regarde comme les auteurs de mon « élévation. Ce n'est pas votre dureté qui m'a bannie de
�22
PARDON.
« la maison paternelle , c'est la Providence divine qui « m'a prise par lamain,pourme conduire sur le trône.» Elle procura à Valère la dignité de maître des offices, et à Génésius celle de préfet du prétoire d'Uiyrie. . 5. Au troisième siècle,ily avoit enOrientun chrétien nommé Nicéphore, qui étoit ami particulier d'un prêtre nommé Saprice. Après avoir été long-temps parfaitementunis, leuramitiéseralentit, etfinitparune rupture entière. Il y avoit déjà plusieurs années queleur inimitié duroit,lorsque le laïque rentrant en lui-même,s'adressa enfinauxamisduprê lie pou rtàcherdeseréconcilier avec lui,mais inutilement. Ilsejette aux pieds de Saprice, le conjure de luipardonner;mais ce prêtre implacable est sourd à ses prières.Dans lapersécutionde/^aZeVie»,Saprice estarrêtépar les persécuteurs, et fait paraître un courage héroïque dans une cruelle question à laquelle on l'appliqua.Condamnéàavoirlatête eoupée,ilestconduit ausupplice.-ZV7ce/?/«>re accourt,se prosterne de nouveau à ses pieds, lui demande humblement son pardon; mais Saprice ne daigne pas lui répondre.Nicéphore cou rt par une au tre rue pour se présenter encore devant lui, avec larmes, et le presse, par les prières les plus touchantes, le suivant ainsi jusqu'au lieu du supplice, et continuant, avec l'étonnementdes bourreaux,de solliciter sa réconciliation ; mais le cœur de ce prêtre , déjà endurci, demeure inexorable. Il ose monter à l'autel où se devoit offrir son sacrifice, contre la défense de Jésus-Christ, sans se réconcilier auparavant avec son frère. Lorsqu'il est surl'éehafaud, l'exécuteur lui dit de se mettre à genoux,afin de lui abattre la téte;mais à l'instant^'horreur de la mort saisit son ame : il demande grace,il offre d'immoler aux fauxdieux, conformément à l'édit de l'empereur.Dieu fit voir en cette rencontre,combien il déteste l'oblationd'un hommedontle cœur estrempli de haine, et combien il chérit celui qui pardonne.Nicéphore,sa\si de douleur à la vu e d'une telle apostasie,se déclare chrétien.On l'arrête; on lui tranche la tête; il reçoit la couronne du martyre , dont Saprice s'étoit rendu indigne. Le calife Hussein, iïïsd'ÂH IV, ayant été blessé par un esclave,qui lui laissa tomber,par mégarde,un piat
�PARDON.
23
de viandes chaudes sur la tête, le regarda d'un œil assez lier, mais sans emportement. L'esclave se jeta aussitôt à ses pieds,etlui dit ces paroles de l'Alcoran: «Le paradis « est fait pour ceux qui retiennent et domtent leur co« 1ère. » Hussein lui répondit qu'il n'en ressentoit point. L'esclave continu a de répéter les paroles du même verset : «Et qui pardonnent à ceux qui les ont offensés.— « Je te pardonne aussi, » répliqua le calife. Enfin l'esclave , achevant de prononcer les dernières paroles du texte : « Dieu aime sur - tout ceux qui leur font du « Lien ; » Hussein lui dit : « Je te donne aussi la li« herté , et quatre cents drachmes d'argent. » 7. Unmilitaire,ancien dans le service,ayant obtenu de la cour un gouvernementconsidérable,enfutprivé quelques années après, par Alfonse /^roi d'Aragon,qui jugea à propos de le donner à un autre. L'officier fut si piqué de cette disgrâce, qu'il sortit du royaume, et alla parcourir l'Espagne,laFrance,etensuite toute l'Allemagne,seplaignantpar-loritdel'injusticedti roi, sans même épargner les calomnies les plus atrocesqn'ilsemoitadroitement dans ces différentes cours,afin de le rendre plus odieux. Comme il s'aperçut à la fin qu'il ne tiroit pas grand profit de toutes ses déclamations,et que les ennemis d'^Z/07z.ye,après avoir pris plaisir à l'écouter,ne lui donnoient rien, il prit le parti de s'en retourner.Le roi, quelque temps après,sut qu'il s'étoitréfugié àFlorence; il lui fit dire qu'il pouvoit venir à la cour en toute sûreté, ajoutantces paroles remarquables: «On n'a point encore « oublié vos services ; mais votre offense est déjà ou« bliée. » Alfonse ne s'en tint pas à des sentimens stériles; il voulut encore lui payer les frais de son voyage, et luifitmêmeprésentd'une somme d'argentconsidérable. S.^azfts'étantrévoltéconlr^/w/rafl^cet empereur envoya l'assiéger dans Erzerum,par le grand-visirÂ/Wrou,q\û prit la ville,et se saisit de la peronne du chef des rebelles. Le visir,quoiquenaturellementsévère,accorda le pardon aux habitans,et reprit en triomphe la route de Constantinople.Comme ilapprochoit de cette capitale, tout le peuple sortit en foule à sa rencontre,attiré parla réputation à'Abaza. Chacun s'empressoit de voir cet
�2/(. PARDON, illustre captif, qui avoit été pendant plusieurs années la terreur de l'empire ottoman. Amurat lui-même, impatient de satisfaire sa curiosité,quitta le serail,et s'avança àchevalhorsdelaville,environné d'une troupede jeunes gens de sonâge.Onluiprésente^ûzachargédecha.nes. 11 arrête quelque temps sur lui des regards de surprise et d'admiration; puis, rompant tout-à-coup le silence : « Je « te pardonne, Abaza, dit-il; tes exploits m'ont fait ou« blier ta trahison; et pour mieux t'engager à la réparer, « je te fais bâcha de Bosnie.» Aussitôt mille cris de joie applaudissent à la générosité du jeune sultan , tandis q\\'Abaza lui jure , à ses pieds, une fidélité inviolable. g. Le maréchal de Vïllars avoit mis à prix la tête du chef des camisards,héré tiques qui s'étoient révoltés dans lesCévennes.Cerebelle,témoindusupplicedeses compagnons, reconnoissant que tôt ou tard il lui faudroit subir le même sort, prit un parti qui lui réussit.Il connoissoit la générosité et la clémence du maréchal. S'étant présenté àcegénéral,qui ne le connoissoit que de nom, il lui demanda s'il étoit vrai qu'il eût promis mille écus à celui qui le livreroit mort ou vif ? Le maréchal ay ant répondu que oui : « Cette récompense me seroit due , « continua le camisard, si mes crimes ne m'en avoient « rendu indigne ; mais j'ai tant de confiance en la clé« menée du roi et en votre générosité, que je ne crains « point de vous apporter moi-même cette tête crimi« nelle dont vous pouvez disposer. » Il étoit à genoux en disant ces mots. Le maréchal, l'ayant fait relever , lui fit compter sur-le-champ les mille écus , et expédier une amnistie générale pour lui et pour quatrevingts personnes de sa suite. 10. Des courtisans dç Philippe-le-Bel exciloient ce prince à sévir contre un prélat qui l'avoit offensé : « Je « sais , leur répondit-il, que je puis me venger ; mais « il est beau de le pouvoir, et de ne le pas faire. » 11 .Quelques complices d'une grande conjuration formée contre le roi Robert et son état, furent arrêtés, et conduits devant ce monarque,auquel ils avouèrent leur crime,avec toutes les marques d'un sincère repentir.La courdes seigneurs assemblés les condamna à mort, sans vouloir révoquer cette terrible sentence.Robertseul fut
�PATIENCE. 2,5 •touché de compassion,etforçason conseil à souscrire au pardon qu'il leur accorda par ce pieux stratagème.Il fit traiLer magnifiquement ces coupables malheureux,et le lendemain il les fît approcher de la sainte table ; pois , adressant la parole à ses conseillers,il leur dit : « Nous « conviendroit-il, messieurs , d'envoyer au gibet ceux « que Jésus-Christ vient de recevoir àsa table ?» Voy. BONTÉ * CHARITÉ , CLÉMENCE , GÉNÉROSITÉ.
PATIENCE.
i. XJ E célèbre M. Domat, au milieu de ses plus grandes douleurs, disoit : « Dieu me fait la grâce de souf« frir sans me plaindre; mais il me semble qu'un chré« tien doit aller jusqu'à souffrir avec joie. » 2. S.-Romuald, fondateur de l'ordre des Camaldules, résolu d'embrasser la vie d'ermite, se mit sous la conduite d'un pieux solitaire nommé Marin. Cet homme ne comptait pas la douceur parmi ses vertus ; et sa dureté était capable de rebuter un élève moins affermi dans sa vocation que Romuald.Tdûtes les fois que son disciple faisoit quelque faute en lisant, l'impitoyable Marin lui donnoit un grand coup de baguette sur la te te, du côté gauche. Romuald souffrit long-temps ce traitement rigoureux avec une patience héroïque. Enfin il dit un jour à Marin : « Mon maître, \e suis presque devenu « sourd du côté gauche ; je vous prie d'avoir la bonté « de me frapper désormais dn côté droit. » 3. Une des qn alités les plus marquées de Socrate était une tranquillité d'ame que nul accident, nulle perte , nul 1e inj ure,nulmauvais tr aiiementne pouvoient al térer. On a dit que ce philosophe étoitnaturellementfougueux et emporté, et que la modération à laquelle il était parvenu , était l'effet de ses réflexions, et des efforts qu'il avoit faits pour se vaincre lui-même etpour se corriger. Il avoit exigé de ses amisdel'avertirquandikle verraient prèsdese mettre en colère. Au premier signal jlbaissoit le ton,oumêmese taisoit.Se sentantun jour de l'émotion contre un esclave: «Je te frapperois,dit-il,si je n'étais en
�26 PATIENCE. « colère. » Une antre fois, ayant reçu d'un brutal un vigoureuxsoufïlet,ilse contenta de dire en riant: «Ilestfâch eux de ne savoir pas quandilfauts'armerd'uncasque.» Il trouva dans sa propre maison une ample carrière pour exercer sa patience dans toute son étendue ; et Xantippe, son épouse, la mit aux plus rudes épreuves par son humeur bizarre, emportée , violente. Il paroît qu'avant de la choisirpour compagne,il n'avoitpasignoré son caractère.11 disoit lui-même qu'il l'avoitprise exprès , persuadé que s'il venoit à bout de souffrir ses emportemens, il pourrait vivre avec les personnes les plus difficiles. Les traits suivans feront connoître que ce grand homme avoit parfaitement réussi dans son choix. Il donnoit à souper à Euthidème son ami. Pendant le repas , Xantippe lui chercha querelle , cria , tempêta, suivant l'usage ; se leva toute furieuse , et renversa les plats qui étoient sur la table. Euthidème étonné de ce fracas , profîtoitdu bruit pour s'esquiver doucement par la porte , quand Socrate, le retenant : « Ne vous troublez point, lui dit-il; l'autre jour, que « je mangeois chez vous, une poule , en volant sur « la table, ne renversa-t-telle pas tout ? Nous n'en « fûmes cependant pas plus émus.» La tranquillité du mari mettoit le comble à la fureur de l'épouse: «Tou« jours, disoit-elle avec un ton de désespoir , toujours « il rentre à la maison avec le même air et le même « visage qu'il avoit en sortant. » Un jour , pour l'outrager d'une manière sensible , elleluiarraeha son manteau de dessus les épaules, au milieu de la rue , et le jetta dans la crotte. Les amis du sage luiconseilloient de se venger sur-le-champ de cette épouse insolente, et de lui faire sentir une bonne fois qu'il portoit un bâton. « C'est-à-dire , messieurs , « répondit Socrate , qu'un mari et une femme aux « prises , seraient pour vous en spectacle fort amu« sant ; mais je ne suis pas d'humeur de vous donner « la comédie à mes dépens. » Une autre fois , après avoir long-temps supporté sans rien dire ses assauts de mauvaise humeur, et les torrens d'injures qui les accompagnoient , il sortit de
�P A T I EN C E. 27 la maison pour laisser le champ libre à son inépuisable moitié, et s'assit devant sa porte. Xantippe, désespérée du phlegme de son mari , monte à sa chambre , et,, par la fenêtre, renverse sur la tête chauve du trop patient philosophe , un pot plein d'eau :
Ce n'étoit pas de l'eau de rose , Mais de l'eau de quelque autre chose.
Les passans , témoins de l'aventure , en firent de" grauds éclats de rire. Socrate en rit aussi, et dit tranquillement : « Je m'y attendois bien ; après le ton« nerre vient la pluie. » Alcibiade s'élonnoit qu'il pût résister aux cris éternels de cette femme acariâtre. «J'y suis tellement ac« coutumé , répondit-il, que ses clameurs ne font « pas plus d'impression sur moi , que le bruit d'une « charrette. » C'est ainsi que , jusqu'à sa mort, ce grand philosophe souffrit en riant , et sans se plaindre , les excès inouis de cette furie domestique , que le Ciel sembloit avoir formée pour exercer sa vertu. l^.Alfonse V, roi d'Aragon, passoit devant Capoue avec son armée. Tout-à-coup un homme , ayant la mine d'un soldat , vient à lui comme un furieux, arrête d'abord son cheval par la bride, et se met ensuite à l'accabler d'injures. Le monarque eut la patience de l'écouter , et attendit qu'il eût déchargé toute sa mauvaise humeur ; puis il continua son chemin sans lui répondre un seul mot, et sans vouloir même le regarder. 5. Une dame vertueuse fut priée, par une de ses amies , de lui apprendre quels secrets elle avoit pour conserver les bonnes grâces de son mari: « C'est, lui « dit-elle, en faisant tout ce qui lui plaît, et en souf« frant patiemment , de sa part, tout ce qui ne me « plaît pas. » 6. Un jeune homme, après avoir été élevé, pendant quelqiie temps, chez le philosophe Zénon, revint dans la maison paternelle: «Eh bien! lui dit son père, qu'a s« tu appris de bon chez ce philosophe ? — Vous le « saurez bientôt, m on père, » réponditle jeune homme ; et ensuite il se tut. Le père , irrite de son silence, et
�a8 PATIENCE. le prenant pour un aveu tacite du peu de fruit qu'il avoit retiré de l'étude de la philosophie , se leva tout en colère : « Malheureux, lui dit-il, tu as donc perdu « ton temps ? C'est donc en vain que j'ai fait tant de « dépenses pour ton éducation ? » En même temps, il commença à le frapper rudement. Le jeune homme reçut avec soumission ce traitement cruel; et * lorsque la colère de son père se fut appaisée : «Voilà , lui àit« il avec douceur , ce que j'ai appris à l'école de Zé~ « non , à souffrir patiemment la colère et les mauvais « traitemens de mon père. » 7.Le célèbre Sertorius, voyant ses soldats découragés par la perte d'une bataille , les fit assembler , et commanda qu'on amenât devant eux deux chevaux , l'un vieux, maigre, défait, et d'une extrême foiblesse ; l'autre jeune , gras , vigoureux , et fort, remarquable sur-tout par laljeauté de sa queue , et par la quantité de crins dont elle étoit fournie. Auprès du cheval foible , il mit un homme grand et fort ; et , auprès du cheval vigoureux, il mit un petit homme foible, et de mauvaise mine. Le signal étant donné, l'homme fort prit à deux mains la queue du cheval foible , et latiroit à lui de toute sa force , comme pour l'arracher; et le petit homme foible se mit à arracher un à un les crins de la queue du cheval fort. Après que le premier eut pris beaucoup de peine inutilement, et qu'il eut bien faitrire tous les spectateurs, il renonça à son entreprise; mais le petit homme foible , sans aucun effort, fit bientôt voir la queue de son vigoureux cheval, toute nue , et dépouillée de ses crins. Alors Sertorius se levant dit : « Mes alliés , vous voyez que la patience est « plus efficace que la force , et que la plupart des « choses dont on ne sauroit venir à bout tout à la fois, « quelques efforts qu'on fasse , on les exécute sans « peine peu à peu. Ne vous laissez donc point abattre « par un mauvais succès ; soyez sûrs qu'en revenant <i souvent à la charge , votre persévérance vous fera « enfin triompher. » Voyez RETENUE.
�PAUVRETÉ.
29
PAUVRETÉ.
NE honnête pauvreté, disoit Caton, est mille fois préférable à des richesses acquises par des voies iniques : on plaint le pauvre ; on déteste le riche. 2. La fille deThémistocle étant recherchée en maria-, ge, cet illustre Athénien préféra un honnête homme pauvre, à un riche dont la réputation étoit suspecte ; et il dit que, dans le choix d'un gendre, « il aimoit mieux « du mérite sans bien, que du bien sans mérite. » 3. Un homme de grande condition, et qui ne vouloit point être connu, vint avec beaucoup d'argent au désert de Scété , pour le faire distribuer aux solitaires. On lui répondit qu'ils n'en avoient pas besoin : mais cet homme ne se contentant point de cette raison , jeta cet argent dans une corbeille qui étoit à l'entrée de l'église , et le prêtre dit ensuite tout haut : « Que « ceux qui en ont besoin en prennent. » Il n'y en eut pas un seul qui y voulût toucher 5 plusieurs même détournèrent leurs regards , pour témoigner le mépris qu'ils faisoient de ce métal, vil objet des désirs de la plupart des hommes. Alors le bon prêtre dit au riche : « Dieu a reçu votre offrande ; distribuez-la aux véri« tables indigens ; car , ponr nous , comme vous vo« yez , il ne nous manque rien. » 4- Un grand seigneur , apportant de l'argent à un vieux solitaire lépreux, et accablé d'infirmités, lui dit: « Je vous supplie, mon père, de recevoir cette petite « bagatelle pour satisfaire à vos besoins.— Eh ! quoi ! « mon frère, répondit ce généreux anachorète, venez« vous ici pour me ravir celui qui me nourrit depuis « plus de soixante ans, et qui,par sa miséricorde, a fait « que, dans moninfirmité, je n'ai eu besoin de rien ? » b.Abou-Hatem, pieux et célèbre docteur musulman, avoit embrassé par goût une vie très-pauvre et très-austère. Un jour un de ses amis lui demanda comment il pouvoit subsister ? « Le ciel et la terre , répondit-il , « sont les magasins et les trésors de la Providence : les « hommes ne manquent jamais de rien, quand ils ptuV
,U
�30 PAUVRETÉ. « sent, avec confiance, dans ces sources fécondes de « biens. » 6. Secrate s'était accoutumé, de bonne heure, à une vie sobre , dure , laborieuse , sans laquelle il est rare qu'on soit en état de satisfaire à la plupart des devoirs d'un bon citoyen. Il est difficile de porter plus loin qu'il le fit le mépris des richesses , et l'amour de la pauvreté. Il regardoit comme une perfection divine de n'avoir besoin de rien ; et il croyoit qu'on approchoit d'autant plus près de la Divinité , qu'on se contentoit de moins de choses. Voyant la pompe et l'appareil que le luxe étaloit dans de certaines cérémonies , et la quantité d'or et d'argent qu'on y portait : « Que de « choses , disoit-il, en se félicitant lui-même sur son « état; que de choses dont je n'ai pas besoin ! » Quantis non egeo ! 7. Il est rare des voir de princes se livrer par goût à la pauvreté , et ne faire cas des richesses que pour les répandre dans le sein de l'indigence. C'est pourtant ce que fit Alcamène, neuvième roi de Lacédémone. On lui demandoit pourquoi , avec tant dé biens , il vivoit si pauvrement ? « C'est , dit-il , parce qu'un « homme riche a plus de gloire en vivant suivant la « raison , qu'en se laissant aller à sa cupidité. » 8. Philoxhne de Cythère , poète fameux , ayant acquis de grandes richesses en Sicile, s'aperçut que le luxe et la mollesse , qui en sont inséparables , commencoient à le gagner : « Par tous les dieux ! dit-il, « perdons nos richesses , plutôt qu'elles ne nous per« dent. » Aussitôt il renonça à tout ce qu'il possédoit', quitta la Sicile , et alla dans une agréable retraite , mettre ses mœurs en sûreté, sous les auspices d'une pauvreté volontaire. 9. Epaminondas, l'un des plus grands hommes de la Grèce, s'était livré par goût et par choix à l'amour de la pauvreté; et jamais il ne fit aucun cas des richesses. Mais sa pauvreté même lui attiroit l'estime et la confiance des riches, et le mit en état de faire du bien aux autres. Quelqu'un de ses amis se trouvant fort à l'étroit', il l'envoya chez un des citoyens de Thèbes les plus opu-
�PAUVRETÉ.
3l
lens, avec ordre de lui demander, de sa part, mille cens. Celui-ci, étant venu chez lui pour s'informer du motif qni Favoit porté à lui adresser cet ami : « C'est, « lui répondit Epaminondas, que cet homme de bien « est dans le besoin, et que vous êtes riche. » 1 o.Ménénius-A'grippa,Yim des plus célèbres citoyens qui aient illustré Rome , après avoir été consul, après avoir reçu les honneurs du triomphe, mourut si pauvre, qu'il ne laissa pas de quoi fournir aux frais de ses funérailles. Le public y suppléa. Les tribuns a}rant assemblé le peuple, firent l'éloge du défunt. Ils racontèrent tout ce qu'il avoit fait de grand , pendant la guerre et pendantlapaix : ils élevèrent jusqu'au ciel ses rares qualités, son désintéressement, sa frugalité, sa droiture, son mépris pour les richesses, l'horreur infinie qu'il avoit surtout des usures et des profits cruels qui se tirent du sang des malheureux; et ils conclurent par représenter : qu'il seroit honteux qu'un si grand homme fût privé , après sa mort, des honneurs qu'il méritoit, parce qu'il n'étoit point assez riche pour être inhumé selon son (rang. Tous les particuliers se taxèrent par tête avec [joie , ce qui fit une somme considérable. Le sénat , Ipiqué d'une noble jalousie , regarda comme un-affront Ipour l'état, qu'un homme de ce mérite fût enterré des Saumonés des particuliers, et jugea qu'il étoit trop juste Ique le trésor public en fît les frais. L'ordre fut donné ■sur-le-champ aux questeurs de n'épargner rien pour iîonner à la pompe funèbre de Ménénius , tout ■'éclat et toute la magnificence dignes de son rang et me sa vertu. Le peuple néanmoins , piqué à son tour -d'émulation , refusa constamment de reprendre Fartent qu'il avoit donné, et que les questeurs lui vouloient. ïendre. Il en fit présent aux enfans de Ménénius, de ferainte que leur pauvreté ne les engageât dans des professions indignes du rang et de la gloire de leur père. 11. Cnllias, très-proche parent à'Aristide, et le plus •pulent citoyen d'Athènes , fut appelé en jugement. #on accusateur, insistant peu sur le fond de la cause , fflii faisoit sur-tout un crime de ce que, riche comme M étoit, il ne rougissoit pas de laisser dans l'indigence Wf gi'and } le juste Aristide , avec sa femme et ses en
�32
PAUVRETÉ.
fans. Callias, voyant que ses reproches faisoient beaucoup d'impression sur l'esprit des juges , somma Aristide de venir déclarer devant eux, s'il n'étoil pas vrai qu'il lui avoit plusieurs fois présenté de grosses sommes d'argent, et l'avoit pressé avec instance de vouloir les accepter ; et s'il ne les avoit pas toujours constamment refusées, en lui répondant qu'il se pouvoit vanter à meilleur titre de sa pauvreté, que lui de son opulence ; que l'on pouvoit trouver assez de gens qui usoieut bien de leurs richesses ; mais qu'on en rencontroit peu qui portassent la pauvreté avec courage , et même avec joie ; et qu'il n'y avoit que ceux qui étoient pauvres malgré eux, ou par leur faute , pour avoir été paresseux, intenipérans, prodigues, déréglés, qui pussent en rougir. Aristide avoua que tout ce que son parent venoitde dire étoit vrai; et il ajouta qu'une disposition d'ame, qui retranche tout désir des choses superflues, et qui reserre les besoins de la vie dans les bornes les plus étroites, outre qu'elle délivre de mille soins importuns, et laisse une liberté entière de ne s'occuper que des affaires publiques, approche encore, en quelque sorte, l'homme vertueux de la Divinité même, qui est sans soins et sans besoins. Il n'y eut personne dans l'assemblée qui n'en sortît avec cette pensée et ce • sentimentintérieur, qu'il eût mieux aimé être Aristide avec sa pauvreté, que Callias avec toutes ses richesses. Ainsi la vertu favorite de cet austère Athénien étaitelle ce noble et généreux désintéressement qui fait regarder les biens périssables,dont la fortune disposeàson gré, comme une possession incommode etdangereuse; et quoique ce grand homme eût été revêtu des premières charges de la république ; quoiqu'ileûtmanié les finances avec une autorité absolue, il mourut pauvre, et ne laissa pas même de quoi se faire enterrer. Il fallut que l'état fit les frais de ses funérailles, et se chargeât de faire subsister sa famille. Ses filles farentmariées, et Lysimac/uesonûhfu t entre tenu aux dépens duprytanée, qui assigna aussi à la fille de ce dernier, après sa mort, le même entretien qu'on donnoit à ceux qui avoient vaincu aux jeux olympiques. VoyeziMÉDIOCRITÉ. PÉNÉTRATION-
�PÉNÉTRATION.
33
VY\VXXXXVV\XXXXXXVXVXXXA\XXXXXXX\XXX\XXXX\XXVXXXXXXVXVXXXYXXVXXV\\XXXXXXX>
PÉNÉTRATION.
i, XJN particulier, fort connu à la cour à'Alfonse V, roi d'Aragon, étantvenuàse brouiller avec un seigneur, en disoit pourtant du bien toutes les fois qu'il enparloit ; ce qui étonnoit d'autant plus les gens qui l'écoutoient, qu'on savoit l'extrême inimitié qu'il portait à cette personne. Le monarque, dont la vue étoit plus perçante que celle des autres , regarda toutes ces louanges comme très-suspectes. Bien loin de s'y fier, il fit venir secrètement tous ceux de sa cour qui les avoient entendues, pour leur dire que cet homme-là tramoit à coup sûr quelque trahison contre son ennemi, et que toute sa douceur apparente n'étoit qu'une ruse pour le perdre plus sûrement. Il ne se trompoit pas , et ce qu'il avoit prédit ne tarda guère à arriver. Six mois après , ce fourbe , croyant qu'il étoit temps d'exécuter son dessein , accusa le seigneur , son ennemi, d'un crime dont il ne trouvoit point coupable, et commença à le poursuivre en justice. Alfonse , qui s'étoit attendu à ce procédé injuste , dit alors qu'il vouloit qu'on mit l'accusé hors de cour, et qu'il fût déchargé du crime qu'on lui avoit faussement imputé. Il fit ensuite venir l'accusateur; et, lui ayant fait les reproches qu'il méritoit, il lui ordonna d'aller promptement trouver le criminel prétendu, et de lui faire humblement des excuses devant tout le monde. ^.Laurent JeilfeVZ^cijravoitunesigrandepénélTation, que deux citoyens très-connus dansFlorence,qui s'accusoient mutuellement d'un vol de quelque argent, ayant comparu devant lui, il se contenta de les envisager , et, dans le moment, désigna le coupable. Comme il prévoyoit souvent.ce qui devoit arriver, il prenoit presque toujoursdes mesures si justes, que l'événement lui étoit communément ou favorable, ou peu nuisible. Ilétoitencorefortjeune,lorsqu'il sauva la vie hPierredcMédicis son père, par un sage conseil qu'il lui donna. Il s'étoit formé une conspiration contre ceprince;et quelques-uns Tome 111. C
�34
PÉNÉTRATION.
des conjurés, mis en embuscade, dévoient l'assassiner au retour d'une course qu'il avoit faite hors de la ville. Il étoit en litière , parce que la goutte l'empêchoit de marcher. Son fils, qui l'acompagnoit, dit à ceux qui le portaient de quitter la route ordinaire , et d'en prendre une plus courte pour entrer dans la ville. Pour lui, monté sur son cheval, il prit le chemin naturel ; et il dit à ceux qu'il rencontrait, que son père le suivoit , et qu'il n'était pas éloigné : par cette ruse, il trompa ceux qui l'attendoient; et tous deux arrivèrent, presque en même temps , sains et saufs à Florence. 3. L'auteur du Nighiaristan, ou Collection curieuse d'événemens mémorables, pour faire connoître la pénétration des Arabes, raconte l'histoire suivante.Trois frères arabes ,de la famille d'Adnan,s'étant mis en voyage pour voir le pays,rencontrèrent un chamelier qui leur demanda s'ils n'avoient point vu un chameau qui s'étoit égaré sur le chemin qu'ils tenoientPL'aîné d'entre eux demanda au chamelier, s'il n'était pas borgne ? « Oui, » lui répondit-il. Le second frère ajouta : « Il lui « manque une dent sur le devant ; » et, ceci se trouvant vrai, le troisième frère dit : « Je parierois qu'il est boiteux. » Le chamelier entendant tout ceci, ne douta plus qu'ils ne l'eussent vu, et les pria de lui dire où il était. Ces deux frères lui dirent : « Suivez le chemin que nous tenons.»Le chamelier leur obéit, et les suivitsans rien trouver. Quelque temps après, ils lui dirent: « Il est chargé de blé. » Us ajoutèrent peu après : « Il porte « de l'huile d'un côté , et du miel de l'autre. » Le chamelier , qui savoit la vérité de tout ce qu'ils lui disoient, leur réitéra ses instances, et les pressa de lui découvrir le lieu où ils Favoient vu. Ce fut alors que ces trois frères lui jurèrent que non-seulement ils ne Favoient point vu ; mais qu'ils n'avoient même entendu parler de son chameau qu'à lui-même. Après plusieurs contestations, il les mit en justice , et on les emprisonna. Le juge, s'apercevant que c'étaient des gens de qualité,les fit sortir de prison , et les renvoya au roi du pays, qui les reçutfortbien,etleslogea dans son palais.Un jour, dans l'entretienqu'ileut avec eux,il leurdemanda cornaient ils savoient tant de choses de ee chameau, sans
�PÉNITENCE. 35 l'avoir jamais vu ? Il répondirent: «Nous avons vu que, dans le chemin qu'il a tenu, l'herbe et les chardons étoientbroutés d'un côté, sans qu'il parût rien démangé de l'autre; cela nous a fait juger qu'il étoit borgne : nous avons aussi remarqué que, dans les herbes qu'ilabroutées, il en est resté au défaut de sa dent ; et la trace de ses pieds nous a fait voir qu'il en avoit traîné un : c'est ce qui nous a fait dire qu'il lui manquoit une dent, et qu'il étoit boiteux. Les mêmes traces nous ont appris qu'il étoit extrêmement chargé, et que ce ne pouvoit être que de grain; car ses deux pieds de devant étoient imprimés fort près de ceux de derrière. Quant à l'huile et au miel, nous nous en sommes aperçus parles four-r mis et les mouches qui s'étoient amassées de côté et d'antre du chemin , dans les lieux où il pouvoit être tombé quelques gouttes de ces deux liqueurs. Par les fourmis , nous avons conjecturé le côté de l'huile, et parles mouches celui du miel.» Voyez SAGACITÉ.
< PÉNITENCE.
I.THÉODOSE-LE-GRAND donna deux exemples égalementillustresd'umdesterribles excès auxquelslacolère peut emporter les meilléursprinces, lorsqu'ils ne prennentconseilqucdeleursadulateurs;l'autre,dugénéreux repentirquepeutexciterdansleurameunzèle salutaire. Thessalonique, capitale de l'Ulyrie, étoit devenue une ville des plus grandes et des plus peuplées de l'empire. La licence s'y étoi t accrue dans la même proportion que l'opulence et le nombre des habitans. Le peuple étoit passionné pour les spectacles. Il chérissoit, il estimoit même ces vils ministres des divertissemens publics, qui sont la perte des moeurs, parce qu'ils ne peuvent sefaire des partisans sans diminuer l'horreur des vices dont ils sont infectés. J^o^AeWccommandoitlestroupesenlllvrie. Son échansonse plaignit à lui des poursuites criminelles d'uncocherducirque,embraséd'unepassionbrutale.Bothericût mettre en prison cetinfameséducteur.Comme le jour des courses du cirqueapprochoit, le peuple, qui C 2
�36 PÉNITENCE. croydit ce cocher nécessaire à ses plaisirs,vintdemandcr son élargissement. Surle refus du commandant, il se mutina.La sédition fut violenEe:plusieurs magistrats y perdirentlavie ; elBothericfui assommé à coups de pierres. La nouvelle de cet attentat excita l'indignation de Théodose.W vouloit d'abord mettre àfeu et à sang toute la ville. Amhroise et les évêques des Gaules qui tenoient alors un synode à Milan, vinrent à bout de l'appaiser. Il leur promit de procéder selon les règles de la justice; mais ses courtisans, et sur-tout Rujïn , effacèrent bientôt ces heureuses impressions. Rujîn, homme de fortune , s'étoit élevé , à la faveur des vertus qu'il savoit feindre, j usqu'à la confiance de l'empereur : il étoit alors maître des offices , et tenoit le premier rang dans les conseils. Appuyé de ses partisans , il fît entendre à Théodose qu'il étoit nécessaire de donner un exemple capable d'arrêter pour toujours les séditions , et de maintenir l'autorité du prince dans la personne de ses officiers. II ne lui fut pas difficile de rallumer un feu mal éteint. On résolut de punir lesThessaloniciens par un massacre général. Théodoserecommanda expressément de cacher à S. Ambroise la décision du conseil ; et, après avoir donné ses ordres, il sortit de Milan , pour éviter de nouvelles remontrances, si le secret de la délibération venoit à transpirer. Les officiers chargés de cette barbare exécution, ayant recula lettre du prince,annoncèrentuneconrsede chars pour le lendemain, etpassèrent la nuit à faire toutes les dispositions nécessaires àleur dessein. Le jour venu , le peuple,ne sachant pas qu'il couroit à la mort, se rendit en foule dans le cirque, sans s'apercevoir dumouvement des soldats dont il fut tout-à-coup enveloppé. Ceux-ci avoient ordre de passertoutau fil de l'épée, sans distinction d'âge ni de sexe. Au signal donné, ils poussent un grand cri,etse jettent avec fureur sur la multitude. On frappe; on égorge ; on tuelesenfans sur le sein de leurs mères.Les habitans renfermés dans cette Yas te enceinte, morts, blessés, vivans accumulés les- uns sur les autres, ne sont bientôt plus qu'un monceau. Ceux qui fuient trouvent la mort dans les rues de la ville. Thessalonique est jonchée de cadavres. Des étrangers , des citoyens
�Sf pacifiques , qui n'avoient eu aucune part à la sédition , furent sacrifiés à cette aveugle vengeance. Jamais l'humanité ne montre plus de vigueur que dans ces scènes cruelles,oùla barbarie triomphe.Un esclave, voyant son maître saisi parles soldats, l'arrache de leurs mains;et, pour lui donner le temps de s'échapper, il se livre lui-mêm e,et reçoit la m ort avec joie .Un m archand, nouvellement entré dans le port, courut à ses deux fils qnïlvoyoitprèsdepérir.ll demanda en grâce de mourir à leur place, et offrit à cette condition tout Ce qu'il possédoit d'or et d'argent. Les soldats , par une indulgence brutale,lui permirent d'en choisir un ;etle malheureux père, les regardant tour-à-tour, pleurant, gémissant, et ne pouvant se déterminer dans ce choix funeste, qui déchiroit ses entrailles, les vit enfin égorger tous deux. Le massacre dura trois heures. Sept mille , ou même quinze mille citoyens, selon d'autres , y périrent. On dit que Théodose , touché de repentir, peu de temps après le départ des courriers , en avoit dépêché d'autres pour révoquer l'ordre ; mais que ceux-ci arrivèrent trop tard , ainsi qu'on a vu presque toujours, que plus les ordres méritent d'être révoqués , plus ils volent rapidement, et s'exécutent avec promptitude: Cette affreuse tragédie répandit par tout l'empire l'étonnement et la consternation. Ambroise et les évêques assemblés à Milan, furent pénétrés de la plus vive douleur. Le saint prélat, aussi affligé de la faute de Théodose qu'il aimoit tendrement, que du malheur des Thessaloniciens, ne différa pas d'écrire an prince, pour le rappeler à lui-même : « Non, lui disoit-il , je « n'aurai pas la hardiesse d'offrir le saint sacrifice , si " vous avez celle d'y assister. 11 né me seroit, par per« mis de célébrer ces augustes mystères en la présen« ce du meurtrier d'un seul innocent ; et comment « le pourrois-je devant les yeux d'un prince qui vient « d'immoler tant d'innocentes victimes ? Pour parlici« per au corps de Jésus-Christ, attendez que vous vous « soyez mis en état de rendre votre hostie agréable à « Dieu ; jusques-là , contentez-vous du sacrifice de « vos larmes et de vos prières. » La conscience de Théodose lui parloit encore avec plus de force et de liberté
PÉNITENCE.
�38 PÉNITENCE. Si bonlénaturelle ayant enfin dissipé lesnoiresvapeurs de sa colère, lui monlroit Thessalonique en pleurs , et ses sujets égorgés. line se voyoitlui-mêmequ'aveehorreur;et,pourselaver d'un forfait siénorme,tremblant de crainte et déchiré de remords,il revint à Milan,et marcha droit à l'église. Ambroise sort au-devant de lui, et s'opposant à son passage,semblable à cetange redoutable qui défendoitl'entrée du j ardin d'Eden,après 1 a chute de notre premier père : « Arrêtez , prince , lui dit-il , vous ne sentez pas encore tout le poids de votre péché. La colère ne vous aveugle plus ; mais votre puissance et la qualité d'empereur offusquent votre raison , et vous dérobent la vue de ce que vous êtes. Rentrez en vous-même ; considérez la poussière d'où vous êtes sorti, et dans laquelle chaque instant se hâte de vous replonger : que l'éclat de la pourpre ne vous éblouisse pas jusqu'à vous cacher ce qu'elle couvre de foiblesse.Souverain de l'empire , mais mortel et fragile , vous commandez à des hommes de même nature que vous, et qui servent le même maître:c'est le créateur de cetunivers; le roi des empereurs , comme de leurs sujets. Aurezvous la hardiesse de lever les yeux dans son temple ! Comment entrerez - vous dans son sanctuaire ? Vos mains fument encore du sang innocent : oserez-vous y recevoir le corps du Seigneur ? Porterez - vous sur la coupe sacrée ces lèvres qui ont prononcé un arrêt injuste et barbare ? Retirez-vous , prince : n'ajoutez pas le sacrilège à tant, d homicides. Acceptez la chaîne salutaire de la pénitence, que vous impose par mon ministère la sentence du souverain Juge. En la portant avec soumission , vous y trouverez un remède pour guérir vos plaies, encore plus profondes que celles dont vous avez affligé Thessalonique. » L'empereur, voulant excuser sa faute par l'exemple de David : « Vous l'avez « imité dans son péché, lui repartit Ambroise,\mi\ez-\e « dans sapénitence.» Théodose reçut cet arrêt comme s'il fût émané de la bouche de Dieu même.11 avoitl'ame trop élevée pour rougir de l'humiliation qu'il essuyoit à la vue d'un grand peuple : il ne sentoit que la confusion de son crime. Il retourna à son palais, en pleurant et en
�PÉNITENCE. 3$ soupirant. Il y demeura renfermé pendant huit mois , plongé dans cette douleur salutaire qui naît du brisement de l'ame accablée à la vue de ses fautes. Selon la discipline ordinaire de l'Eglise,les pénitens" n'étoientalorsréconciliés que vers lafêtedePàques;etles meurtres volontaires n'étoient remis qu'après plusieurs années de pénitence. Aux approches de la fêle de Noël, Théodose senût redoubler sadouleur.2îw/?«,moins affligé que luijquoiqu'ilfûtlaprincipale cause de ses regrets, entreprit de le consoler;et,comme ce courtisan lui demandoit pourquoi il s'abandonnoit aune si profonde tristesse, l'empereur poussantun grand soupir qui fut suivi de larmes: «Hélas ! Rufin,\m dit-il,se peut-il que vous ne sentiez pas mon malheur ? Je gémis et je pleure de voir que le temple du Seigneur est ouvert aux derniers de mes sujets , qu'ils y entrent sans crainte , qu'ils y adressent leurs prières à notre commun Maître, tandis que l'entrée m'en est interdite, et que le ciel même est fermé pour moi ; car je me souviens de cette divine parole : Celui que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel.—Prince, réponditilw/z«, j'irai, si vous le permettez , trouver l'évêque , et je l'engagerai, par mes prières , à vous affranchir de vos liens. — 11 n'y consentira pas , répliqua l'empereur ; je connois Ambroise : je sens la justice de son arrêt ; jamais il ne violera la loi divine par déférence pour la majesté impériale.» Sur les instances de Rvjin, qui promettait avec confiance de fléchir Ambroise,Yempereur lui permitde le tenter; et, se flattant lui-même de quelque succès, il le suivit de loin. Dès qu'Ambroise aperçut le ministre : « Rufin,\và dit-il, quelle est votre imprudence ? C'est vous dont le pernicieux conseil a rempli Thessalonique de carnage et d'horreur; et vous ne rougissez pas ?vous ne tremblez pas ? Vous osez approcher de la maison de Dieu, après avoir si cruellement déchiré ses images vivantes !» Rufin, se jetant à ses pieds, le supplioit de recevoir avec indulgence l'empereur qui alloit arriver. Alors Ambroise, enflammé de zèle : « Je vous avertis, « Rufin, lui dit-il, que je l'empêcherai d'entrer dans le « lieu saint ; et, s'il veut continuer d'agir en tyran , il
�4-0
PÉNITENCE.
« pourra m'égorger encore ; j'accepterai la .mort avec « joie. » A ces paroles , Rufin manda promplcment à Théodose qu'il ne pouvoit rien gagner sur l'inflexible prélat ; que pour éviter un éclat scandaleux , il lui conseilloit de ne pas aller plus loin. L'empereur , qui étoit déjà dans la grande place de la ville , continua sa marche, en disant : « J'irai , et j'essayerai l'a (Iront « que je n'ai que trop mérité. » Ambroise étoitdansunesalle voisinedef'ég]isc,dans laquelle il avoit coutume de donner ses audiences. Voyant approcher Théodose, il s'avança, en lui reprochant de vouloir user de tyrannie contre Dieu même , et de faire violence à la discipline de l'église, en prétendant s'affranchir de la pénitence : « Non , répondit le « prince, je ne viens point ici pour violer les lois, mais « pour vous conjurer d'imiter la clémence du Dieu que « nous servons, qui ouvre la porte de ses miséricordes « aux pécheurs pénitens.—Et quelle pénitence avez« vous faite d'un si grand crime ? répliqua l'évêque.— <> C'est à vous, lui dit Théodose, d'appliquer le remède « sur mes plaies ; et c'est à moi de le recevoir et de le souffrir. » Alors Anibroisc, touché de son humble résignation , lui dit que, puisqu'il n'avoit écouté que sa ■colère dans l'affaire de Thcssaloniquc, ildcvoit pour ton > jours imposer silence à cette passion téméraire et fougueuse, et ordonner par une loi, que les sentences de mort et de confiscation n'auroient leur exécution que trente jours après qu'elles anroient été prononcécs,ponr laisser à la raison Je temps de revenir à J'examen, et de réformerles jugemens dans lesquels elle n'auroitpasété consultée. Theodose approuva ce conseil, et lit sur-lechamp dresser la loiquele prélat proposoit. Aussitôt le saint évêque lui permit l'entrée de l'église. Théodose prosterne, baignant la terre de ses pleurs, et se frappant la poi ( rine, prononça à haute voix ces paroles duprophète-roi : Mon ame est demeurée attachée contre Laterre ; rendez-moila vie, Seigneur, selonvotrepromesse.Tout lepeuplel'accompagnoitde ses prières etdeseslarm es jet relie majesté souveraine, dontl'impétueuse colère avoit fait trembler toat l'empire, n'inspiroitplns alors que des
�PERSÉVÉRANCE.
4
1
sentimeiTS de compasson et de douleur. S. Ambroisc régla le temps de sa pénitence ; l'empereur l'accomplit avec soumission et fidélité.11 s'abstint, pendant cet intervalle, de porter les ornemens impériaux. C'est ainsi qu'^/m^roi^sutréparerleerimede'l'^'o^o^e.-exemple à jamais mémorable, mais unique dans tous les siècles! Il ne pouvoit naître que d'un heureux concours de circonstances.Pour le donner au monde, il étoit besoin de la rencontre d'un prélat et d'un prince également extraordinaires : il falloit un évêque digne de représenter la majesté divine par l'éminente sainteté de sa vie, par la sublimité de son génie, par une fermeté prudente et éclairée, par la force d'une éloquence invincible,autant que par l'autorité de son caractère ; il falloit aussi un empereur vraiment pieux , humble dans la grandeur , mais assez relevé par ses qualités personnelles,pour s'abaisser sans s'avilir.De plus , les bornes desdeuxpuissanees,spirituelleettemporelle,posécspas Jésus-Christ même et affermies sous le long règne du paganisme , étaient encore si solidement établies, qu'un prince, publiquement suspendu de la communion,ne couroit alors aucun risque de rien perdre du respect et de l'obéissance de ses sujets. Voyez REMORDS , REPENTIR. PERSÉVÉRANCE. î. G'ESTLT persévérance seule qui mérite la gloire aux hommes, et la couronne aux vertus. Ce n'est pas celui qui aura commencé, mais celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, qui sera sauvé : car, que sert-il d'être bon , d'être sage, d'être patient et vertueux dès lespremiers ias de sa carrière , si l'on ne continue point jusqu'au lout ? La vertu de Saùl le plaça sur le trône d'Israël. Il fat heureux tant qu'il fut humble : l'orgueil domte son ame. Assez téméraire pour donner aux ordres de l'Eternel un sens conforme à ses vues , il veut épargner les Infidelles que le Tout-Puissant a proscrits. Saùl tombe dans tous les malheurs ordinaires aux mauvais princes. Il finit par perdre sa couronne et la vie. Z.Salomon fut le plus sage,leplus heureux des mo-
j
�42
PERSÉVÉRANCE.
parques, tant qu'il resta fidèle au Dieu de ses pères. Mais bientôt, abandonnant les préceptes du Seigneur, et Se joignant, par une honteuse alliance, à des femmes étrangères et païennes , Salomon prostitue à dès dieux de bois et de pierre un encens qui n'est dû qu'au Très-Haut. Il s'avilit autant dans sa folie, qu'il s'é toit auparavant élevé dans sa sagesse. 3. Il y avoit à Sébaste, en Arménie, une légion de soldats, surnommée laFoudroyante, qui produisit sous l'empereurLicinius, en 5o8, quarante illustres martyrs, tous jeunes gens remplis de force et de courage. On leur proposa de sacrifier aux idoles ; mais l'ayant refusé avec constance, sans avoir égard ni aux récompenses qu'on leur promettoit, ni aux menaces dont on les épouvantoit, ils répondirent : « Nous ne voulons point de faus« ses richesses ; nous cherchons des biens solides et « durables. C'est n'est pas vous faire injure que de « donner la préférence à Dieu de qui nous attendons « ces biens , si nous lui demeurons fidèles. Nous som« mes disposés à mourir pour le Dieu que nous ser« vons. » Le gouverneur Agricola, à qui ils partaient ainsi, ne pouvant souffrir la liberté et la hardiesse de ce discours , ordonna qu'ils fussent exposés pendant une nuit entière sur un étang glacé hors de la ville de Sébaste , afin de les faire mourir par la violence du froid ; et pour les tenter, il fit préparer un bain chaud, non loin de là, pour y transporter ceux qui, succombant au froid , voudraient renoncer à Jésus-Christ , pour sauver leur vie. Ils coururent tous au supplice, et s'encourageoient les uns les autres, en disant qu'une mauvaise nuit leur vaudrait une éternité de bonheur : « Puisqu'il faut mourir une fois, s'écrioient-ils, mou« rons pour vivre toujours. Nous sommes entrés qua« rante dans la lice : faites, Seigneur, que nous soyons « tous couronnés. £ Il y en eut un néanmoins qui , perdant courage , aller se jeter dans le bain chaud. Il y trouva la mort. Mais Dieu ne voulut pas que la prière de ces saints athlètes fût sans effet. Il y avoit là un garde qui avoit ordre d'observer les martyrs. Il vit des esprits célestes qui descendoient du ciel, et qui distri-
�PERSUASION.
43
juoiënt des couronnés à ces généreux soldats, excepté un seul qui tenoit la couronne deslinée à ce lâche qui [avoit manqué de persévérance. Ce garde fut si animé ÎU martyre par cette vision célest e, qu'il alla se déclarer chrétien, prit la place du déserteur, et reçut le baptême, ion par le ministère d'aucun homme, mais par sa propre foi 5 non dans l'eau , mais dans son propre sang, je lendemain, comme ils respiroient encore, le gouverneur ordonna qu'on les jetât dans le feu. On les mit donc sur des chariots , excepté le plus jeune qui avoit encore plus de vie que les autres , parce qu'on espéroit le faire changer de résolution. Mais sa mère, qui se trouva présente , s'élevant au-dessus des sentimens de la nature , ne put souffrir cette cruelle indulgence. Elle encouragea son fils : « Mon cher enfant, « lui cria-t-elle , ne rendez point inutiles les vœux de « votre mère. Remplissez-la de la joie la plus vive, en « méritant la palme éternelle par la victoire que vous « remporterez. » En même temps elle prit son fils , le mit dans le chariot avec les autres , et le conduisit à la mort avec autant d'allégresse que si elle l'eût accompagné dans un triomphe. Voyez CONSTANCE.
4V^VX^X\X\VXXXVl\\^,VVX'V"t\'VXV'V'V'V'\'iX'\,'VVA.'V-V'lX-XXX'V'V'V\\-VXX,VX'V\VXVXA.XVV\'tXX%'VV
PERSUASION.
II.DA NS la guerre d'Italie , en 1701, deux dragons de la garnison française qui étoit dans Mantoue, passoient dans la rue. Un Italien, irrité contre l'un d'eux, lui enfonce son poignard par derrière, le tue sur la place, et se réfugie dans un endroit privilégié. Le camarade du mort poursuitl'assassin dans cet asile, et le massacre. Le peuple, indigné qu'on ait violé les immunités ecclésiastiques, s'attroupe, et veut fermer les portes; mais le meurtrier, s'é tant fait jour Fépée à la main, se retira dans la maison de son colonel. Elle est investie dans le moment, et le dragon est demandé avec menace d'un soulèvement général. Le colonel , dans la vue d'appaiser ce tumulte, fait aussitôt conduire le dragon, chargé de fers ; dans une prison 5 mais , pendant la
�44
PHILOSOPHIE.
nuit, il le fait partir pour une place éloignée. Quelcpies jours après, on produit un cadavre qu'on dit être celui du dragon.La multitude le croit et s'appaise; etsapersuasion est telle, qu'elle rend des actions de grâce pour cette m ort,qu'elleregardecommeun châtiment duCiel. 2. Pour se venger d'une parleuse impitoyable,femme d'esprit d'ailleurs, on s'avisa un jour de, lui présenter un homme qu'on lui disoit très-savant. Cette femme le reçoit avec les plus grands égards 5 mais, pressée de s'en faire admirer, elïese met à parler, lui fait centqucstions différentes , sans s^apercevoïr qu'il ne répondoit rien. La visite finie : « Etes-vou's contente , lui dit-on , du <■< savant qui vous est venu voir? —Ah ! qu'il est charge niant! répondit-elle; qu'il a d'esprit! » Â cette exclamation , chacun de rire. Cet homme si charmant, ce grand esprit -, c'étoit un muet. Voyez OPINION. PHILOSOPHIE.
1. X-JE nombre des philosophes, ou plutôt des sophistes, s'étoit tellement augmenté dans la Grèce, et surtout à Athènes, du temps du poète Aristarque , qu'il s ecrioit quelquefois : « Nos pères ne comptoient « autrefois que sept sages ; mais que les siècles ont « changé ! A peine compteroit-on à présent sept hom« mes qui ne se décorent point de ce beau nom. » 3. Eudamidas, roi de Lacédémone , entendant le v'ievLxXénocratè disputer dans l'académie, à Athènes, demanda : « Quel est donc ce vieillard ? — C'est un « homme sage et dii nombre de ceux qui cherchent « la vertu. — Oh ! s'il la cherche encore , quand « veut-il en faire usage ? » 3. On demandoit au philosophe Clêanthe pourquoi, parmi les anciens qui ne connoissoient pas la philosophie , l'on voyoit plus de grands hommes que de son temps. « C'est qu'alors, répondit-il, on étoit bon réellement; au lieu qu'aujourd'hui on se contente de « prouver comment on doit l'être. » 4- Polémon , jeune Athénien très-débauché , ayant
�HHILOSOPHI fi. 4'5 assé la nuit à table, s'en retourna dans son logis, après le leyer du soleil. Dans sa route , il vit la porte du philosophe Xénocrate ouverte. Chargé du vin , frotté de parfums, la tête couronnée de fleurs , paré d'une robe très-fine , il entre dans l'école de ce sage, et se met au nombre de ses disciples , pour tourner en ridicule son éloquence et ses sublimes préceptes.Toute l'assemblée en conçut une juste indignation. Xénocrate seul n'en parut point ému. Seulement, interrompant le fil de la matière qu'il traitoit, il se jeta sur la tempérance et sur la modestie. Polémon, forcé de revenir à son bon sens par l'énergie victorieuse des discours du philosophe , arracha d'abord de sa tête la couronne de fleurs qu'il portait : un instant après il remit son manteau sur son bras nu, quitta la gaieté de son visage, et déposa enfin par degrés toutes les marques de sa dissolution. Guéri par l'impression salutaire d'une seule leçon , il devint tout-à-coup l'amateur le plus zélé de la philosophie , qui rendit bientôt son nom célèbre. 5. « Pourquoi, seigneur, vous livrez-vous avec tant « d'ardeur à l'étude delà philosophie ?» disoit quelqu'un au roi Hiéron. « A quoi peut-elle vous servir? — Elle « m'apprend, répondit le monarque, à faire volontiers « et avec plaisir ce que les autres hommes font par la « crainte de lois. » 6. Alexandre-le-Grand ayant pris une forte place, ordonna qu'on la saccageât; mais quelques grands de sa cour lui dirent qu'il y avoit dans cette ville un philosophe célèbre qui méritait bien d'être écouté. Le conquérant se le fit amener ; et l'ayant trouvé de fort mauvaise mine , il dit à ceux qui le lui avoient présenté : « Voilà une étrange figure d'homme ! » Le philosophe, indigné de ce mépris, récita hardiment à ce prince des vers qu'il composa sur-le-champ, et dont voici le sens : « Monarque dédaigneux, vous avez tort de me mépriser « surmamauvaisemine;le corps de l'hommen'estqu'un <i fourreau dans lequel l'ame est mise, comme une épée : « c'estellequ'il fàutestimer, et non pas le fourreau. » A ces vers il ajouta cette instruction dont le vainqueur de Darius avoit alors besoin : « On peut dire d'un homme
�46 PHILOSOPHIE. qui n'est doué d'aucune vertu, que son corps n'estpour lui qu'une affreuse prison où mille bourreaux le toùrmentent.Il ne faut ni prévôt, ni archers pour le mettre aux fers , ni pour lui donner la torture : ses vices le poursuivent sans cesse; et la peau qui couvre son corps est .pour lui un cachot perpétuel. » Ces réflexions plurent tellement au roi de Macédoine, qu'il pria le philosophe de continuer d'en faire ;et le sage,charmé d'instruire un grand roi , ajouta : « Il n'est pas raisonnable d'envier aux autres les biens que Dieu et la nature leur ont donnés ; l'envieux n'est jamais content: il querelle, pour ainsi dire, sans cesse le Créateur ; il trouve mauvais tout ce qu'il donne aux autres , et voudroit toujours avoir ce qui n'est pas fait pour lui. Il résiste perpétuellement aux ordres suprêmes de celui qui gouverne le monde avec tant de sagesse ; et sa bouche criminelle murmure à chaque instant contre la divine Providence. » Puis , entrant plus avant dans ce qui le regardoitplus particulièrement, ill ui dit : «Les railleries et lesinjuresque les grands fontauxpctits ternissent le lustre de leur grandeur, diminuent le respect que l'on a pour eux , et leur attirent enfin le mépris. Si vous vous divertissez aux dépens d'un pauvre misérable,je crains bien que cet orgueil nevous fasse perdre quelque chosede la grandeur que vousaffectez.Nevousmoquez jamais d'un homme de basse fortune ; car, en lefaisant, vous perdrez toujours quelque chose du respect qui vous est dû.» Cette excellente morale frappa singulièrement Alexandre ; et, la philosophie triomphant de la colère, le conquérant pardonna à la ville qu'il vouloit ruiner , en considération du philosophe , qu'il renvoya comblé de faveurs et de très-riches présens. y.Solon, l'un des sept sages de la Grèce , aprâs avoir établi de sages lois à Athènes, crut devoir s'en absenter pendant quelques années }et profiter de ce temps pour faire différens voyages. Il vint à Sardes, capitale de Lydie, où régnoit Crésus,\e plus opulent des monarquesde sonsiècle. Ilyfutreçuavec tousleshonneurs dûs à. sa haute réputation. Le prince , accompagné d'une cour nombreuse, parut dans tout l'éclat de laroyauté,
�PHILOSOPHIE.
47
et avec les habits les plus magnifiques , où Por et les pierreries brilloient de toutes parts. Quelque nouveau que fût ce spectacle pour Solon, on ne s'aperçut point qu'il en fût cran ; et il ne proféra pas la moindre parole, qui sentît la surprise ou l'admiration ; mais il laissa entrevoir aux gens de bons sens , qu'il regardoit toute cette pompe comme un vain éclat, capable de frapper des regards vulgaires , mais indifférent pour des yeux accoutumés à piger des choses par les lumières de la philosophie. Un abord si froid et si tranquille ne prévint pas Crésus en faveur de son hôte. Ce prince commanda qu'on lui montrât tousses trésors , et qu'on lui fit voir la somptuosité et la magnificence de ses appartenons et de ses meubles , comme pour vaincre , par cette multitude de vases précieux , de pierreries, de statues, de peintures , l'indifférence du philosophe. Mais tout cela n'étoit point le roi , et c'étoit lui que Solon venoit visiter, non les murs ni les chambres de son palais ; et il croyoit devoir juger de lui, et l'estimer , non par tout cet appareil extérieur qui lui étoit étranger , mais par lui-même et par ses qualités personnelles. Ce seroit réduire bien des grands à une affreuse solitude , que d'en user ainsi. Quand le sage observateur eut tout vu, on le ramena. Crésus alors lui demanda qui, dans les différent voyages qu'il avoit faits, lui avoit paru jouir d'un véritable bonheur. «C'est,répondit .SWon, un bourgeois d'Athènes, « nommé Tellus, forthomme de bien, qui, après avoir « été toute sa vie à couvert de la nécessité, et avoirvn « sa patrie toujours florissante , a laissé après lui des « enfans généralement estimés de tout le monde , a « eu la joie de voir les enfans de ses enfans, et enfin est « mort en combattant glorieusement pour sa patrie. » Une telle réponse, où l'on comptait pour rien Por et l'argent, parut à Crésusd'une grossièreté et d'une stupiditépeu commîmes.Cependant,comine il nedésespéroit pas d'avoir le secondrang dans lafélicité,il lui demanda qui, après Tellus, il avoitvu de plus heureux.L9oZo« répondit que c'étoient Cléobis et Biton d'Argos , deux frères qui avoientété un parfait modèle de l'amitié fraternelle , et du respec t qui es t dû aux parens. Un j our de
�4(8 PHILOSOPHIE. fêle-solennelle j où la prêtresse, leur mère , devoit aller au temple de Junon , ses boeufs tardant trop à venir, ils se mirent eux-mêmes au. joug, et traînèrent le char de leur mère jusqu'au temple, pendant près de deux lieues. Toutes les mères, ravies en admiration , félicitèrent celle-ci d'avoir mis au monde de tels enfans. Pénétrée des plus vifs sentimens de joie et de reconnoisssance, elle pria instamment la déessede vouloir accorderàses deuxfils,pourrécompense, ce qu'il y avoit de meilleur pour les hommes. Elle fut exaucée. Après le sacrifice, ils s'endormirent dans le temple même d'un doux sommèil,et terminèrenl leurvie par une mort tranquille.Pour honorer leur piété, ceux d'Argos consacrèrent leurs statues dans le temple deDelphes. « Vous ne me mettez donc point du nombre des « gens heureux ?» dit Crésus d'un ton qui marquoit son mécontentement? Solon, qui ne vouloit ni le flatter , ni l'aigrir davantage, lui dit avec douceur : « Roi « de Lydie, Dieu nous a donné , à nous autres Grecs, « outre plusieurs autres avantages, un esprit de modé« ration et de retenue , qui a formé parmi nous une « sorte de philosophie simple et populaire , accompa« gnée d'une noble hardiesse , sans faste et sans os« tention , peu propre à la courdes rois, et qui, nous a apprenant que la vie des hommes est sujette à mille « vicissitudes, ne nous permet ni de nous glorifier des « biens dont nous jouissons nous-mêmes , ni d'admirer « dans les autres une félicité qui peut n'être que pas« sagère , et n'avoir rien de réel. » A cette occasion , il lui représenta que la vie de l'homme est ordinairement composée de soixante et dix années, qui font en tout vingt-six mille deux cent cinquante jours , dont aucun ne ressemble à l'autre. «Ainsi, l'avenir est pour chaque homme un tissu d'accidens tout divers , qui ne peuvent être prévus ; celui-là donc nous paroît très-heureux , de qui Dieu a continué la félicité jusqu'au dernier moment de sa vie : pour les autres qui se trouvent exposés à mille dangers , leur bonheur nous paroît aussi incertain.'que la couronne pour celui qui combat encore , et qui n'a pas encore vaincu. » Solon
�PHILOSOPHIE.
49
Solon se retira après ces paroles, qui ne firent qu'affliger Crésus , sans le corriger. ft.Pythagore, citoyen de Samos,après avoir parcouru beaucoup de pays,et s'être enrichi l'esprit d'un grand nombre de rares connoissances, revint dans sa patrie, où. il ne lit pas un long séjour, à cause du gouvernement tyrannique qu'il y trouva établipar Polycrate, qui avoit néanmoins pour lui tous les égards possibles, etquifaisoit de son mérite tout le cas qu'il devoit. Mais l'étude des sciences, etsur-tout delà philosophie,ne peut guère s'accorder avec la servitude, même la plus douce etla plus honorable. Il passa donc en Italie ; et bientôt cette contrée se ressentit de la présence de ce grave philosophe.Le goût de l'étude et l'amour de la sagesse s'yrépandirent généralement en fort peu de temps. On accourait de tontes les villes voisines pour voir Pythagore, pour l'entendre, et pour profiter de ses salutaires avis. Tous les princes du pays se faisoient un plaisir et un honneur de l'avoir chez eux,de s'entretenir avec lui, et de prendre ses leçons sur la manière de gouverner sagement les peu pies. Son école devint la pins célèbre quieùtencore été. Il n'avoit pas moins de quatre ou cinq cents disciples. Avant que de les admettre dans ce rang, il les éprouvoit par une espèce de noviciat qui durait cinq ans ; et pendant tout ce temps-là il les condamnoit à un rigoureux silence, parce qu'il vouloit qu'ils fissent instruits avant que de parler. Ses disciples avoient un grand respect pour tout ce quisorloit de sa bouche; et, sans autre examen , il suffisoit qu'il eût parlé pour se faire croire ; et pour assurer que quelque chose étoit vrai, ils avoient coutume de s'exprimer ainsi : «Le maître l'a dit.» C'éfoit sans doute porter trop loin la déférence et la docilité, que défaire le sacrifice absolu de sa raison et de ses lumière. Ilsorti t de l'école de Pythagore un grand nombre d'illustres disciples, qui firent un honneur infini à leur maître ; de sages législateurs, de grands politiques , des personnes habiles dans toutes les sciences, des hommes capablesde gouverner les Etats,et d'être les ministres des plus grands prinoes. Long-temps après sa mort , cettte partie de l'Italie Tome III. D
�5o PHILOSOPHIE. qu'il avoit cultivée et instruite par ses leçons, éloît encore regardée comme la pépinière et le séjour des savans en tout genre ; et elle se maintint, pendant plusieurs siècles , dans cette glorieuse position. Il falloit qu'à Rome on eût une grande idée du mérite et de la vertu de Pylhagore,puisque l'oracle de Delphes ayant ordonné aux Romains, pendant la guerre des Samnites, d'ériger deux statues dans l'endroit le plus célèbre de la ville , l'une au plus sage , l'au tre au plus courageux des Grecs , ils les érigèrent, dans le lieu des Comi cels , à Pythagore et à Thêmistocle. g. HiéronlIjToide Syracuse, honora singulièrement la philosophie et ses amateurs ; et c'est au bon goût de ce prince que Syracuse fut redevable de ces étonnantes machines de guerre dont elle fit un si grand usage lorsqu'elle fut assiégée par les Romains. Il sut profiter de l'avantagequ'il avoit de posséder dans ses Etats le plus savant géomètre qui fût dans l'univers : le fameux Archimède- Ce sage étoit célèbre , non-seulement par la vaste étendue deses connoissanes, mais par sa noblesse, puisqu'il étoit parent du monarque. Uniquement sensible aux plaisirs de l'esprit, et plein de dégoût pour le tumulte des affaires du gouvernement, il s'étoit livré tout entier à l'étude d'une science dont les spéculations sublimes sur des vérités purement intelligibles et spirituelles , et tout-à-fait séparées delà matière , ont un attrait pour les savans du premier ordre , qui ne leur laisse presquepasla liberté de s'appliquer à aucunautre 6h\e\..Iliéron eut pourtant assez de pouvoir sur Archi7nède,po\ir l'engager à descendre de ceshautes spéculations à l'exercice de cette mécanique qui dépend de la main, mais qui est conduite par l'esprit. Il le pressoit sans cesse de ne pas toujours donner l'essor à son art vers des objets immatériels et abstraits ; de le rabaisser sur les choses sensibles et corporelles, et de rendre ses raisonnemens en quelque sorte plus évidens et plus palpables au commun des hommes , en les mêlant, par l'expérience , avec les choses d'usage. Archimède entretenoit souvent le roi,qui l'écoutoit toujours avec un nouveauplaisir.Un jour qu'illui expliquoitles merveilleux effets des choses mouvantes, il
�PHILOSOPHIE.
/ ;„
s'appliqua à lui démontrer « qu'avec uneforce l|o1 « on pouvoitremuerunfardeau quelconque.'» S'àpp dissant ensuite de la force de sa démonstration /^Ç^a se vanter que s'il avoit une autre terre que celle que nous" habitons, il remueroit celle-ci à sa fantaisie, en passant dans l'autre. Le roi, étonné et ravi,le pria d'exécuter lui-même sa proposition,enremuant quelque grandfardeau avec une petite force.Le philosophe se met en devoir de satisfaire la juste et louable curiosité de son parent et de son ami.Il choisit une galère qui étoit dans le port, la fait tirer à terre avec beaucoup de travail et à force d'hommes,' y fait mettre sa charge ordinaire , et par-dessus autant d'hommes qu'elle en peut contenir. Ensuite, se plaçant à quelque distance, assis à son aise, sans travail, sans le moindre effort, en remuant seulement de la main le bout d'une machine aplusieurs cordes et poulies qu'il avoit préparée , il ramena la galère à lui, par terre, aussi doucement et aussi uniment que si elle n'eût fait que fendre les flots. A la vue d'un si prodigieux effet des forces mouvantes , le prince étoit tout hors de lui; et jugeant par cet essai de la puissance de cet art, il pria instamment Archimède d'en réitérer les merveilles. Le géomètre répondit h ses désirs ; et Athénée parle d'une galère construite sous sa direction , dont la description pourra plaire et instruire. C'étoit un navire à vingt rangs de rames.Cette masse énorme fut affermie de tous côtés avec de gros clous de cuivre qui pesoient dix livres et plus. L'intérieur avoit trois corridors , dont le plus bas conduisoit au fond de cale, où l'on dcscendoitpardegrés.Un autre conduisoit aux appartemens. Le premier, et le plus haut, menoit au logement des soldats. Au corridor du milieu on trouvoit,à droite et à gauche, des appartemens au nombre de trente,dans chacun desquels ily avoitquatrelitspour des hommes.L'appartement des patrons et des matelots avoit quinze lits et trois salles à manger , dans la dernière desquelles, qui étoit la poupe, on faisoit la cuisine.Tous les pavés de ces appartemens étoientcomposés de petites pièces rapportées de différentes couleurs, ou étoit représentée l'Iliade d'Homère. Les planchers, D 2
�52 PHILOSOPHIE. les fenêtres , et tout le reste, étoient travaillés avec un artmerveilleux,et embellis de toutes sortes d'ornemens. Au plus haut corridor il y avoit un gymnase et des promenades proportionnées à la grandeur du navire. On voyoit là des jardins et des plantes de toute espère, d'un arrangement merveilleux.Des tuyaux, les uns de terre cuite, les autres de plomb, portoient l'eau tout autour pour les arroser. On y voyoit, outre cela, des berceaux de lierre blanc et de vigne, dont les racines étoient dans de grands tonneaux pleins de terre.Ces tonneaux étoient arrosés de lamêmemanièrequeles jardins.Les berceaux faisoient ombre aux promenades. Ensuite on trouvoit l'appartement de Vénus, à trois lits, dont le pavé étoit composé d'agates et d'autres pierres précieuses,les plus belles qu'on avoit pu trouver dans l'ile.Les murailles et le toit étoient de bois de cyprès. Les fenêtres étoient ornées d'ivo!re, de peintures et de petites statues.Dans un autre appartement il y avoit une bibliothèque , au haut de laquelle, en dehors, on avoit placé un cadran solaire. Il y avoit aussi un appartement à trois lits pour le bain, où se voyoient trois grandes chaudières d'airain, et une baignoire faite d'une seule pierre de différentes couleurs. La baignoire contenoit deux cent cinquante pintes. A la proue étoit un grand réservoir d'eau qui contenoit cent mille pintes. Tout autour du navire on vovoit, en dehors, des A tlas de neuf pieds de haut, qui soutenoient les hauts bords. Ils étoient à une égale distance les uns des autres. Le navire étoit encore orné de peintures magnifiques. On y voyoit huit tours proportionnées à sa grosseur ; deux à la poupe, deux d'égale grandeur à laproue,et quatre au milieu du vaisseau.Surces tours étoient des parapets par lesquels on pouvoit jeter des pierres sur les vaisseaux ennemis qui auraient trop approché.Chaque tour étoit gardée par quatre jeunes hommes armés de pied en cap , et par deux archers. Tout le dedans des tourséloit plein de pierres et de traits. Sur le bord du vaisseau, bien planchéyé, étoit uneespèce de rempart sur lequelonavoitdressé une machine à jeter des pierres, faite par Archimède. Elle jetoit une pierre du poids de trois cents livres et une flèche de dix-huit pieds, à la distance de cent vingt-cinq pas.
�PHILOSOPHIE. 53 L e nawe avoit tra^ machines chargées de pierres.Là étoient aussi des crocs et des masses de plomb pour jeter sur ceux qui approchcroient.Toutlebàtinientétoitenvironnéd'unrempart de fer, pour empêcher ceux qui voudraient venir à l'abordage. Tout autour du navire étoient disposés des corbeaux de fer, qui, étant lancés par des machines, accrochoient les vaisseaux des ennemis, et les approchoient du navire, d'où on les pou voit accabler faeilement.Sur chacun des bords se tenoient soixante jeunes hommes armés de pied en cap; un pareil nombre défendoit les mâts et les pierriers. Quoique la sentine fût extrêmement profonde , un seul homme la vidoit avec une machine à vis, inventée par Archimède. Leprince, avant appris qu'il n'y avoit point de port en Sicile qui pût contenir cet énorme vaisseau , résolut d'en faire présent à Ptolémêe, roi d'Egypte. Il le fit cingler-vers Alexandrie, chargé de soixante mille muids de blés, de dix mille grands vases de terre pleins de poisson salé, de vingt mille quintaux pesant de chair salée , et de vingt mille grands fardeaux de différentes hardes, sans comprendre les vivres pour tout l'équipage. Après la mort àTIiéron, les Syracusains, excités par des magistrats séditieux, prirent les armes contre les Romains, et rompirent le traité d'alliance conclu par ce princeavecla république.Le consul Marcellus,qm étoit pour lors en Sicile avec une forte armée de terre et de mer,s'avanca contre Syracuse,et sedisposa à l'attaquer. La consternation des rebelles étoit grande. On craignoit de succomber sous l'effort des Romains;maislamerveilleuseindustrieduseul^rcAz/nèrfefitpourSyracuseceque n'auraient pu faire les troupes les plus nombreuses etles pins aguerries; et l'on vit alors combien la philosophie peutfournirderessourc.es auxEtatsquisaventhonorer et. ménager ceux qui la cultivent. Le génie du célèbre géomètre arrêta tout-à-coupcesformidableslégions,devant qui la puissance de Carthage et des peuples d'Italies'étoit humiliée. Il avoit construit une infinité de machines d'une invention nouvelle, quilançoientà quelque distance que ce fût,des traits de toute espèce, et des pierres. D 3
�54 PHI ij O SOPHIE. d'une pesanteur énorme. Tantôt il faisoit tomber sur les galères de grosses poutres chargées au bout d'un poids immense, qui les abîmoient dans les flots : tantôt il faisoit partir une main de fer attachée à une chaîne, et par laquelle celui qui la gouvernoit saisissoit les vaisseaux, les élevoit en l'air par le moyen d'un contre-poids, les dressoit sur la pouppe ; puis, les lâchant tout-à-coup, les submergeoit, ou les brisoit entièrement. Le général romain fit dresser, à grands frais, une grande machine appelée sambuque.W la fit approcher de la ville sur plusieurs galères fortement attachées ensemble;et déjà l'on abattoit le pont qui lacomposoit, pour passer sur le mur des assiégés, lorsqu'il partit de dessus les rempartsune pierre du poids de dix quintaux; et coup sur coup une seconde, une troisième plus énorme encore, qui, donnantsur cette machine avec unsilïlement et un tonnerre épouvantables, en fraccassèrent la base, et détruisirent en un momentl'ouvrage de plusieurs jours. Marcellus, à toutes ces attaques , avoit perdu un nombre prodigieux de soldats. L'épouvante s'étoit mise parmi les Romains. De quelque côté que ce fût, on n'osoit plus approcher de la ville. Dès qu'on apercevoit le bout d'une corde , ou quelques pièces de bois sur les murailles , chacun fuyoit, en criant qu'Archimède alloit tout foudroyer. Ce qui les désespéroit, c'est qu'ils ne pouvoient se venger sur les ennemis. Il n'en paroissoit aucun. Les machines étoient derrière les fortifications, et le service s'en faisoit à couvert. Marcellus prit donc le parti de convertir le siège en blocus. Il avoit ménagé une intelligence avec quelques citoyens ; et c'étoit-là le fondement de ses espérances. Mais la conjuration fut découverte, et les coupables furent punis. Le général romain ne voyoit plus d'autre parti à prendre , que celui de lever le siège. Mais qu'elle honte ! quel affront pour la république ! Tandis qu'il s'occupoit de ces chagrinantes pensées , un soldat vint lui dire qu'il avoit remarqué un côté du mur beaucoup plus bas qu'on nele crovoit, et qu'avec de médiocres échelles on pourrait facilement monter. Le général s'en assure de ses propres yeux, faitpréparerdes échelles ;etpendant la nuit, lorsque les assiégés, qui avoientfaitla débauche, étoient
�PHILOSOPHIE. 55 plongés dans le sommeil, un corps de mille soldats d'élite se rend maître de la muraille, enfonce la porte, et s'empare de plusieurs quartiers sans presque livrer de combat. Bientôt toute la ville est emportée , et les soldats la mettent au pillage. Marcellus, dit-on, pleura sur le sort de cette cité fameuse et opulente, qu'il se vsyoit forcé de détruire en la dépouillant de tous ses ornemens. Un accident funeste vint encore augmenter sa douleur. Archimède ignoroit la victoire des Romains. Appliqué dans son cabinet à tracer des figures,et à préparer peut-être encore de nouveaux foudres contre les assiégeans,iln'avoitentenduniletumulte des vainqueurs, ni les cris des vaincus. A l'instant un soldat se présente à lui, l'épée à la main ; et, d'un ton terrible, lui ordonne de le suivre dans la tente du général. Le géomètre le prie d'attendre un moment, jusqu'à ce qu'il eût trouvé la solution de son problème, et se remet au travail. Le Romain, irrité de ce délai, ets'embarrassantpeude ses problêmes et de ses figures, lui plonge son épée dans le sein, etle tue.iWarceW«.?,quiavoitrecommandé sur toutqu'on épargnât Archimède, fut vivement affligé de celle mort. Il fit a cet illustre savant de magnifiques obsèques , et gratifia tous ceux de sa famille qui étoient dans la ville. On parle d'un miroir ardent, par le moyen duquel Archimède brûla une partie de la flotte romaine. Ce fait ne se trouve dans aucun écrivain de l'antiquité ; c'est sans doute une tradition moderne et sans fondement. 10. Thaïes, ayant entendu dire à quelques personnes que les philosophes étoient pauvres, plutôt par nécessité quepar choix, ce grand homme voulutvenger l'honneur de la philosophie, et prouver à ses détracteurs la futilité de leur reproche. Dans ce temps-là les olives ne coinmencoient encore qu'à fleurir: par la eonnoissanec qu'il avoit de la physique , il prévit que la récolte de ce fruit seroi t cette année très-abondante ;il se hâta d'ache 1er lou s les plants d'oliviers du territoire de Milet, sa patrie. Il loua tous les pressoirs ; de sorte que la saison des olives étant venue, il retira seul tout le profit de ce commerce, et prouva que si les philosophes ne sont point riches , c'est que l'étude de la sagesse leur apprend à mépriser
�. \ 56 PIÉTÉ. des biens fragiles , que la fortune donne et retire à son gré, et qui n'ajoutent rien au vrai bonhenrde l'homme. 11. « Quel fruit avez-vous donc retiré de l'étude de « la philosophie ? demandoit-on à Cratès. — De me « contenter d'un plat de fèves , répondit-il , et de ' « vivre sans souci. » Ce fameux cynique disoit qu'un philosophe n'avoit besoin de rien ; et il agissoit suivant son système. Il déposa chez un banquier tout l'argent qu'il possédoit, à condition qu'il le remettroit à ses enfans , s'ils embrassoient le genre de vie commun ; mais qu'il le distribueroit au peuple , si ses enfans étoient philosophes. Il s'imaginoit que l'argent n'étoit nécessaire qu'aux ignorans. Voyez SAGESSE. PIÉTÉ. i. IJ'HOMME pieux est capable de tout, dès qu'il a pu se mettre, par sa vertu, au-dessus de tout. Cette pensée dupère Massillon est confirmée parce beautrait de M. jRa^/7mrc,premier pasteur de l'églisesuédoise,érigéeen Pensylvanie.Ce pasteur étoit un homme savant,etfidèle àremplirses devoirs.Les quakers etceuxdes autres communions s'empressoient également de l'entendre prêcher : ils proposèrent des souscriptions pour bâtir son église.Lorsqu'elles furentouvertes,M.RadmansQVLsenvit pour une somme considérable, qu'il nefutpas en état de payer dans le temps ; mais, pour ne point manquer à ses engagemens , il s'obligea envers l'entrepreneur à porter du mortier , à tant par jour, jusqu'à ce qu'il eût rempli la somme pour lequelle il avoit souscrit. 2. yîhmed,ûh à'Iahia, natif de Damas, lisant un jour àsonpèreetàsamère l'histoire dusacvïûcequ'AbraAam vpulut faire de son fils à Dieu, ces religieux musulmans, pénéti ésde la piété du saint patriarche, dirent aussitôt à leur fils unique : «Lève-toi, etva-t-en; nous te don« nons, nous te consacrons àDieu. » sllimed, après ces paroles, se leva, et dit à Dieu: «Seigneur, je n'ai plus « d'autre père ni d'autre mère que vous ; » et prenant aussitôt le chemin delaMecque, il se dédia entièrement au service du temple. Après vingt-quatre ansd'absence,
�PIÉTÉ. 5j il lui prit envie de voir ses pareils ; il vint à Damas , et frappa à la porte de la maison paternelle. Sa mère lui demanda son nom. « Je suis Ahmed votre fils » , lui répondit-il ; et en même temps il se mit en devoir de l'embrasser ; mais cette généreuse femme le repoussant : « II est vrai, lui dit-elle, nous avions « autrefois un fils de ce nom ; mais nous le donnâmes « à Dieu ; et maintenant nous ne connoissons plus « pour fils ni Ahmed , ni aucun autre. » 3. Le brave Criilon , l'un de plus grands capitaines de MenrilV, entendoit prêcher la passion ; et le prédicateur faisant une description pathétique de la flagellation du Sauveur, le guerrier, attendri jusqu'aux larmes , se lève en portant la main sur son épée , et s'écrie : « Où étois-tu , Criilon , où étois-tu ? » 4- Clovis, écoutantS.7îe/7iy'qui lisoitlaPassion, s'écria : « Que n'étois-je là avec mes Francs, pour le venger! » 5. Le grand Constantin ayant embrassé le christianisme , résolut d'honorer Jérusalem d'un monument digne de son respect pour cette terre sacrée. Hélène , sa mère, remplie de ce noble dessein, partit de Rome pour l'exécuter , et pour trouver*quelque consolation sur les vestiges du Sauveur. Agée de soixante et dixneuf ans, elle ne se rebuta pas des fatigues d'un si long voyage. A son arrivée , sa piété fut attendrie de l'état déplorable où elle trouvoit le Calvaire. Les païens , pour étouffer le christianisme dans son berceau même, avoientpris àtâche de défigurer ce lieu : ils avoient élevé sur la colline quantité de terre , et après avoir couvert le sol de grandes pierres, ils l'avoient environné d'une muraille. Cet oit depuis long-temps un temple consacré à Venus, où la statue de cette impudique déesse recevoitun encens profane , et éloignoit les chrétiens, qui n'osoient approcher de ce lieu d'horreur. Ils avoient perdu jusqu'à la mémoire du sépulcre de Jésus-Christ Hélène, sur les indices d'un Hébreu plus instruit que les autres, fit abattre les statues et le temple , enlever les terres qui furent jetées loin de la ville, et découvrit le sépulcre. En fouillant aux environs , on trouva trois croix, les clous dont le Sauveur a voit été attaché, et se-
�58 PIÉTÉ. >arément rinscription telle qu'elle est rapportée par es évangélistes. Un miracle fit distinguer la croix de Jésus-Christ ; et ce précieux instrument de notre rédemption , après avoir été enseveli pendant près de trois cents ans , reparut,à la honte de l'idolâtrie, pour s'élever à son tour sur ses ruines. La découverte d'un si riche trésor combla de joie le pieux empereur. Il ne pouvoitse lasser de louer la Providence qui , ayant si long-temps conservé un bois de lui-même corruptible , le manifestoit enfin au ciel et à la terre, lorsque les chrétiens , devenus libres , pouvoient marcher sans crainte sous leur étendard général. Il fit aussitôt bâtir une superbe basilique dans ce saint lieu; et il ordonna à PévêqueMacaire de ne rien épargner pour en faire le plus bel édifice de l'univers. Il cha.rgea.Dracilien, vicaire des préfets, et gouverneur de Palestine , de fournir tous les ouvriers et matériaux que demanderoit le prélat. Il envoya lui-même les pierreries , l'or et les plus beaux marbres. Voici la description que fait Eusèbe de ce temple magnifique. La façade superbement ornée ,s'élevoitsur unlarge parvis, et donnoit entrée dans une vaste cour bordée de portiques à droite et à gauche. On entroit dans le temple par trois portes du côté de l'Occident. Le bâtiment se divisoit en trois corps. Celui du milieu , que nous appelons la nef, et qu'on nommoit proprement la basilique , étoit très-étendu dans ses dimensions , et fort exhaussé. L'intérieur étoit incrusté des marbres les plus précieux : au dehors , les pierres étoient si bien liées et d'un si beau poli, qu'elles.rendoientPéclat du marbre.Le plafond, formé de planches exactement jointes, décoré de sculpture, et revêtu entièrement d'un or très-pur et très-éclatant, sembloit un océan de lumière , suspendu sur toute la basilique. Le toit étoit couvert de plomb. Vers l'extrémité, s'élevoit un dôme en plein ceintre, soutenu sur douze colonnes , dontle nombre représentoit celui des apôtres ; sur les chapiteaux , étoient placés autant de grands vases d'argent : de chaque côté de la basilique s'étendoit un portique, dont la voûte étoit enrichie d'or. Les colonnes , qui lui étaient communes avec la basilique, avoient beaucoup
Î
�PIÉTÉ.
50y
d-élévation ; l'autre partie portait sur des pilastres trèsornés.On avoit pratiqué sous terre un autre portique qui répondoit au supérieur dans toutes ses dimensions. De l'église on passoit dans une seconde cour pavée de belles pierres polies, autour de laquelle régnoient, des trois côtés, de longs portiques. Au bout de cette cour, et au chef de tout l'édifice , étoit la chapelle du saint sépulcre , eu l'empereur s'étoit efforcé d'imiter , par l'éclat de l'or et des pierres précieuses , la splendeur dont avoit brillé ce saintlieu , au moment de la résur-r rection. Cet édifice, commencé sousles yeux à'Hélène, ne fut achevé et dédié que huit ans après. Il n'en reste plus de vestiges , parce qu'il a été plusieurs fois ruiné. Dès ce temps-là commencèrent les pèlerinages et les offrandes des chrétiens , que la dévotion appeloit de toutes les parties du monde dans cette heureuse contrée sanctifiée par la présence et par le sang d'un Dieu. La piété de Constantin, animée de plus en plus par celle de sa mère, ne se borna point à celte preuve éclatante. La religieuse princesse, pour remplir ses intentions , bâtit encore deux autres églises : l'une à Bethléem, dans le lieu où étoit né le Sauveur; l'autre sur le mont des Oliviers, d'où il s'étoit élevé au ciel. La pompe des édifices ne fut pas son seul objet. Sa magnificence se fit encore bien mieux connovlre par les bienlaits qu'elle aimoit à répandre sur les hommes. Dans le cours de ses voyages, elle versoit sur le public et sur les particuliers les trésors de l'empereur, qui fournissoil sans mesure à toutes ses libéralités : elle emhellissoil les églises et les oratoires des moindres villes ; elle faisoit de sa propre main des l'argessesaux soldats; elle nourrissoit et habilloit les pauvres ; elle délivroit les prisonniers ; faisoit grâce à ceux qui étoient condamnes aux mines ; tiroit d'oppression ceux qui gémissoient sous la tyrannie des grands ; rappeloit les exilés ; en un mot, dans ce pays , autrefois habité par le Sauveur du monde , elle retraçoit son image , faisant pour les corps ce qu'il avoit fait pour les ames. Ce qui larapproehoit encore davantage de cette divine ressemblance,o'étoit la simplicité de son extérieur , et les pratiques d'humilité qui voiloient la majesté impériale
�DO
s
PIETE.
ans l'avilir. On la voyoit prosternée dans les églises , au milieu des autres femmes, dont elle ne se distinguoit que par sa ferveur. Elle assembla plusieurs fois toutes les filles de Jérusalem qui faisoient profession de virginité : elle les servit à table, et ordonna qu'elles fussent nourries aux dépens du public. Hélène ne vécut pas long-temps après cette pieuse conquête. Elle vint rejoindre son fils, et mourut dans ses bras , après l'avoir fortifié dans la foi par ses dernières paroles, et après l'avoir comblé de bénédictions. Constantin futfidelle à ses saintes instructions : il s'efforça de suivre les grands exemples qu'elle lui laissoit pour héritage , et d'imiter sa religieuse ferveur. Il la fit éclater sur-tout au dernier moment de sa vie. Sentant sa fin approcher , il demanda le baptême, afin de laver dans les eaux salutaires de la grâce toutes les taches de ses années passées. Rempli de sentimens de pénitence , humblement prosterné en terre , il demanda pardon à Dieu , confessa ses fautes , et reçut l'imposition des mains. Puis , ayant fait assembler les évêques : « Le voici donc arrivé , leur dit-il, ce jour heureux , après lequel j'ai soupiré avec tant d'ardeur! Je vais recevoir le sceau de l'immortalité. J'avois dessein de laver mes péchés dans les eaux du Jourdain, que notre Sauveur a rendues si salutaires , en daignant s'y baigner lui-même.Dieu , qui sait mieux que nous ce qui nous est avantageux , me retient ici, il veut me faire ici cette faveur. Ne tardons plus. Si le souverain arbitre de la vie et de la mort juge à propos de me laisser vivre , s'il me permet encore de me joindre aux Fidelles pour participer à leurs prières dans leurs saintes assemblées, je suis résolu de me prescrire des règles de vie qui soient dignes d'un enfant de Dieu.» Quand il eut achevé ces paroles, les évêques lui conférèrent le baptême , selon les cérémonies de l'Eglise , et le rendirent participant des saints mystères. Le prince reçut ce sacrement avec joie et reeonnoissance ; il se sentit commerenouvelé et éclairé d'une bimière divine. On le revêtit d'habits blancs ; son lit fut couvert d'étoffes de même couleur ; et dès ce moment il ne voulut plus toucher à la pourpre. Il remercia Dieu à haute
�PIETÉ.
6l
voix de la grâce qu'il venoit de recevoir, et ajouta: « C'est maintenant que je suis vraiment heureux , « vraiment digne d'une vie immortelle. Quel éclat de « lumière luit à mes yeux ! Que je plains ceux qui sont « privés de ces biens!» Comme les principaux officiers de ses troupes venoient,fondant en larmes, lui témoigner leur douleur de ce qu'il les laissoit orphelins , et qu'ils prioientle Ciel de lui prolonger lavie:.«Mesamis, « leur dit-il, la vie où je vais entrer est la véritable vie. « Je connois les biens que je viens d'acquérir , et ceux « qui m'attendent encore. Je me hâte d'aller à Dieu.» Jamais prince ne fut plus regretté. Dès qu'il eut rendu les derniers soupirs, ses gardes donnèrent des marques de la douleur la plus vive : ils déchiroient leurs habits, se jetoient à terre , et se frappoient la tête. An milieu de leurs sanglots et de leurs cris lamentables , ils l'àppeloient leur maître , leur empereur, leur père. Les tribuns , les centurions , les soldats , si souvent témoins de sa valeur dans les batailles, sembloienl vouloir encore le suivre au tombeau. Cette perte leur étoit plus sensible que la plus sanglante défaite. Les habitans de Nicomédie , où étoit alors Constantin , couraient tous confusément par les rues , mêlant leurs gémissemens et leurs larmes.C'éloit un deuil particulier pour chaque famille ; et chacun , pleurant son prince , plenroit son propre malheur. 6.L'empereur Théodosellsuyoït par creurtoute l'éeritnre-saint.e:il en recueillit avec soin tous les interprètes. Il jeùuoitsouvent, sur-tout lesmercrediset les vendredis , selon l'ancien usage dei'Eglise.Il se levoit au point du jour,et chantoit l'office divin avec ses sœurs: son palais avoit l'extérieur d'un monastère. Abraham, évêque deCarrhes, ayant détruitdans cette ville le fameux temple du dienLunus, Théodose lefitvenir àla cour:le saint prélat y mourut,etl'empereur conserva sa tunique,dont il se revêtoiten certains jou rs.Lorsqu'on enleva le cor-ps d'Abrahamponr le transporter enOrieut, Théodosevoulut marcher à la tête du convoi:il le conduisit jusqu'au port: aprèslecorpsmarchoientles impératrices et toute lacour.Dansun temps de disette causée par l'intempérie des saisonsjl'empereur assistantavec lepeuple aux jeux
�62 PIÉTÉ. ducii'que,il survint ungrandorage.AussitôtThéodose, faisant retirer ses chars,ordonne au peuple d'adresser à Dieu ses prières : il entonne le premier un psaume; tous lesspectateurs chantent avec lui,et le cirque semble être devenu un temple. L'air reprit aussitôt sa sérénité , et l'on dit que ce fut le dernier orage de cette année, qui, après avoir menacé d'une funeste stérilité, donna des moissons abondantes. Dans les guerres, il imploroitla protection du Ciel par de ferventesprières,commeDavid; mais il n'eut pas le courage et la science militaire de ce saint roi.Le respect qu 'il portait aux personnes consacrées à Dieu,alloit à un point qu'on pourrait taxer de foiblesse.IJn moine insolent et téméraire,irritécontrele prince qui 1 ui refusoit une grâce, se retira en lui disant: « Je vous retrauche de la communion de l'Eglisé. » J_i'heure du repas étant venue, l'empereur, abattu du coup lancé d'une main si foible, pi'otesta qu'il ne mangerait point que l'excommunication ne fût levée, et il envoya prier un évêque d'obtenir cette faveur de celui qui l'avoit excommunié. En vain le prélat essaya de dissiper ses scrupules, en lui représentant qu'une pareille censure étoit sans effet. Théodosene consentit à prendre de la nourriture , qu'après avoir reçu l'absolution de ce moine , qui ne méritoit lui-même aucun pardon. 7. S. Louis s'étant embarqué pour retourner dans ses états, obtint du légat, qui l'avoit accompagné dans son expédition de laTerre-Sainte,lapermission de conserver dans son vaisseaulesaintsacrementpourcommunierles malades.On le mit à l'endroit du navire le plus digne et le plus convenable, dans un tabernacle fort riche, couvert d'étoffes d'or et de soie, et placé sur un autel orné d'un grand nombre de reliques. Tous les jours onyrécitoit solennellement l'office divin : les prêtres même, revêtus d'habits sacerdotaux, y faisoient les cérémonies et les prières de la messe, à la réserve de la consécration:le monarque assistoitàtout.Ricnn'égaloitsa tendre sollicitude pour les malades: il les visitait souvent, leur procurait tous les soulagemens qui dépendoientde lui, et prenoit soin de leur salut encore plus que de leurguérison. 11 y avoit sermon trois fois la semaine, sans parler
�PIÉTÉ. 63 des imlructions particulières etdes catéchismes qti'ilfaisoilfaire aux matelots, quand les petits vents régnoient, ou le calme.Quelquefois il les interrogeoitlui-mêmesur les articles de foi, ne cessant de leur répéter qu'étant toujours entre la vie et la mort, entre le paradis etl'enfer, [ils ne pouvoient trop se hâter de recourir au sacrement |de pénitence, pour appaiser la colère du Ciel. « Si le «vaisseau abesoin de vous,leur disoit-il,je prendrai votre «place avec joie, et mettrai la main à la manoeuvre , « pendant que vous vous réconcilierez avec Dieu. » Tel ut l'effet et des soins et de l'exemple du pieux monarbue, qu'en peu de temps on vit un changement notable armi les matelots : les ténèbres de leur esprit furent issipées, la férocité de leur cœur s'adoucit, etlacharité prit la place de la brutalité. La honte de ne pas faire uelquefbis ce qu'un grand roi faisoittous les jours,leur onna le courage de vouloir être chrétiens, et leurinsirades sentimens bien au-dessus deleurcondition.Duantla navigation, il survint une horrible tempête : le aisseau, jouet des vagues et des vents, étoit près de érir 5 tout le monde étoit en alarme : la reine et trois eunes princes , ses enfans , jetoient des cris affreux. ouis , pendant cette consternation, Louis, prosterné ux pieds des autels, attendoit son secours de celui qui it à lamer : « Tais-toi, » et aux vents : « Calmez-vous.» a foi fut exaucée : le temps devint calme ; et ce nouveau ienfaitduTout-Puissant excita de plus en pluslapieuse econnoissanc.edu religieux monarque. « Regardez,sé< ehal, disoil-il à son confident le sire de Joinville ; rel< gardez si Dieu ne nous a pas bien montré son grand pouvoir, quand , par un seul des quatre vents de mer, le roi, la reine, ses enfans et tant d'autres personnages ont pensé abîmer. Ces dangers que nous avons courus, sont des avestissemens et des menaces de celui qui peut dire : Or, voyez-vous bien que je vous eusse tous laissé noyer , si j'eusse voulu ?» 8. Diagore le Mélien, disciple de Démocrite , étant enu s'établir à Athènes,y ouvritune école d'athéisme, nlui intenta un procès sursadoctrine pernicieuse.lise uya par la fuite, et, par ce moyen, évita le supplice
�6/(. PIÉTÉ. que mérite tout fanatique qui veut troubler l'état par des principes erronés , mais il ne peut éviter la flétrissure de la sentence qui le condamnoit à mort. Les Athéniens eurent tant d'horreur pour les maximes impies qu'il débitoit, qu'ils allèrent jusqu'à mettre sa tête à prix , et à promettre un talent de récompense pour celui qui le livrerait mort ou vif. Quelques années avant, on avoit déjà fait une affaire toute semblable à Protagor e,antre disciple de Déinocrite, pour avoir simplementtraitélamatière de problématique.Il avoit dit au commencement d'un de ses livres: « Y a-t-il des dieux? n'y en a-t-il point ? C'est une ques« tion oùje ne sais si je dois affirmer ou nier.Pour éclair« cir cette matière épineuse, notre entendementesttrop « foible, trop aveugle, et la vie humaine trop courte. » Ces blasphèmes excitèrent l'indignation des A théniens, alarmèrent leur piété : ils ne purent souffrir qu'on mit en doute une vérité aussi palpable. Ils firent proclamer, par le crieur public, que tous ceux qui avoient des exemplaires de cet ouvrage , les apportassent au magistrat. On les fit brûler comme infâmes, et l'auteur fut banni de l'état à perpétuité. p. Lorsque Rome fut. prise par les Gaulois, comme le prêtre deRomulus et les vestales emportoient les images des dieux,pour les soustraire àlafureursacrilègedes Barbares , un citoyen illustre , appelé Albinus , les voyant à pied , fit aussitôt descendre sa femme et ses enfans d'un charriot qu'il conduisoit, pour faire monter le prêtreavec lesvestales; etpréférantle bien de la re-| ligion au salut de sa famille , il quitta son chemin pour les conduire au bourg de Céré , dont le peuple le reçut avec beaucoup de respect et d'humanité. On peut remarquer , en passant, que les actes extérieurs de religion ont pris de ce bourg le nom de Cérémonies. 10. Les Gaulois, souslaconduitede Brennus, assiégeoient le Capitole, et veilloient exactement à ce que personne n'en sortit et ne passât à travers les corps-degarde, lorsqu'un jeune Romain, par une action hardie, attira sur lui les yeux et l'admiration, tant des ennemis que des citoyens. Il y avoit un sacrifice attaché à la maison
�PITIÉ.
65
son des Fabius, qui se devoit faire, un certain jour, sur le mont Ouirinal. C. Fabius Dorso, revêtu d'un habit convenable à cette cérémonie , descend du Capitole , portant entre ses mains les choses sacrées, traverse les corps-de-garde des ennemis, sans se laisser épouvanter par le bruit et les discours, et arrive au mont Quirinal. Après y avoir accompli toutes les cérémonies prescrites, il retourna par le même chemin, avec une pareille gravité, etunepleineconfiancequelaprotection des dieux, dont il gardoit le culte au péril même de sa vie, ne lui manqueroit point.il arriva heureusement au Capitole, soitquelesGauloisfussentétonnés de sagénéreuse audace.soit parrespectpourlareligion,àlaquellecettenation n eloit pas insensible. Voyez ADOHATION, RELIGION. PITIÉ.
DKUCÉTIUS , chef des peuples d'une partie de la Sicile,après plusieurs succès fort heureux,et pl usieurs actions où il avoitremporté de grands avantages sur les ennemis,et en particulier surles Syracusains, vil tout d'un coup changer sa fortune par la perte d'une bataille, et fut abandonné de presque toutes ses troupes. Dans la consternation et l'abattement où le jeta une désertion si générale et si subite, il prit une résolution quele désespoir seulpouvoitinspirêr.Il se retira sur le soir à Syracuse, s'avança pisques dans la place publique, et là , humble , suppliant, prosterné aux pieds des autels, il abandonna sa vie et ses étals àla merci des Syracusains. Lasingularitéduspectacleattiraunefouledc peuple.Les magistrats aussitôt convoquèrent l'assemblée, et mirent l'affaire en délibération. On commença par entendre les orateurs, chargés ordinairement de haranguer le peuple, qui l'animèrent extrêmement contreDeucétius comme contre un ennemi public, que la Providence elle-même sembloit leur présenter , pour venger et punir , par sa mort, tous les torts qu'il avoit faits à la république. Un tel discours fit horreur à tout ce qu'il y avoit de gens de bien dans l'assemblée. Les plus sages et les plus Tome III. E
�66
PLAISANTERIE.
anciens d'entre les sénateurs représentèrent « qu'il ne falloit pas considérer ici ce que mériloit Deucétius , mais ce qui convenoit aux Syracusains , qu'ils ne dévoient plus envisager en lui un ennemi, mais un suppliant, qualité qui rendoit sa personne sacrée et inviolable , que la déesse Némésis, vengaresse des crimes, et sur-tout de la cruauté et de l'impiété , nelaisseroit pas cet attentât impuni ; qu'outre qu'il y a de la bassesse et de l'inhumanité d'insulter à l'infortune des malheureux, et de vouloir écraser ceux qu'on trouve déjà abattus sous ses pieds , il étoit de la grandeur et du bon nature] des Syracusains de faire paroitre de la bonté et de la clémence à l'égard de ceux mêmes qui en sont le moins dignes. » Tout le peuple se rendit à cet avis , et, d'un commun consentement, conserva la vie à Deucétius. La ville de Corinlhe , métropole et fondatrice de Syracuse , lui fut marquée pour lieu de sa retraite ; et les Syracusains, pour mettre le comble à la pitié généreuse dont ils étoient touchés , s'engagèrent à lui fournir tout ce qui lui étoit nécessaire pour y vivre honorablement. Voyez COMPASSION. PLAISANTERIE. l .PHILIPPE , père du grand Alexandre, entendoitla plaisanterie, âimoit les bons mots, et en disoit. Ayant reçu près du gosier une blessure considérable , et son chirurgien l'importunant tous les jours de quelque nouvelle demande: «Prends tout ce que lu voudras, « dit-il , tu me tiens à la gorge.» â.Ibi bon mot ou une saillie a quelquefois plus fait en faveur de Celui qui demandoit une grâce , que les plus fortes sollicitations. Philippe II, roi d'Espagne , venoit d'accorder une modique pension à l'un de ses soldats. Cè guerrier se présente une seconde fois devant, son maître. «Ne vous ai-je pas donné une réeom« pense ? lui dit le roi. — Oui, sire, répondit le soldat, « votre majesté m'a donné de quoi manger , mais je « n'ai pas de quoi boire. » Le monarque sourit , et ajouta une nouvelle gratification à la première.
�'67 Sons le ministère ducardinaUei<Yez4ri, on avoit accordé des récompenses à tout un régiment, excepté le chevalierde Z^rigozwe,lieulenantdans ce régiment.Ce chevalier éloitGascon. Un jour qu'il se présentait à l'audience du ministre : «Je ne sais, monseigneur, lui dit-il, « par quelle fatalité je me trouve sous le parapluie, tan« dis que votre éminence fait pleuvoir des grâces dans « tout le régiment.» Cette expression singulière fut remarquée du ministre, et peu de temps après, le chevalier deFérigouse, obtint la récompense qu'il demandoit. 5. Le célèbre Dominique, arlequin de la comédie Italienne, se trouvant au souper de Louis XIV, avoit les yeux fixés sur un certain plat de perdrix. Le monarque , qui s'en aperçut, dit à l'officier qui desservoit : « Que l'on donne ce plat à Dominique.— Quoi ! « sire , et les perdrix aussi ? » Le roi , qui entra dans la pensée du comédien, reprit : « Et les perdrix aussi. » Ainsi Dominique, par cette adroite plaisanterie, eut, avec les perdrix , le plat qui étoit d'or. l^.Lisimaque voulant se divertir aux dépens d'un parasite nommé Bithis, fit attacher adroitement sur son habit un scorpion de bois , si bien imité , qu'on l'auroit pris pour l'animal véritable. Le parasite ne l'eut pas plutôt aperçu qu'il sauta de frayeur, et fit rire tous les convives. Mais Bithis, sans s'étonner, dit à Lisimaque: «Prince , vous venez de me faire grand'peur ; je « gage que je vous fais peur à mon tour.—Voyons, dit « le roi. — Eh bien ! reprit le parasite, donnez-moi « mille écus.» Lisimaque étoit avare , et rien ne fait pâlir un avare , comme de lui demander de l'argent. fy.Diogène lisoit un livre fort long et très-ennuyeux. Lorsqu'il fut arrivé à la dernière page , il s'écria , comme les matelots à la fin d'une longue navigation : « Courage , amis ! je vois la terre.» Un philosophe expliquoit, avec emphase, aujpeuple assemblé, plusieurs phénomènes cé\estes.Diogene, qui étoit présent, lui demanda: « Depuis quand , homme « admirable , êtes-vous revenu du ciel? » Un jour il entra dans un bain fort mal-propre. « Enseignez-moi, je vous prie , demanda le cynique, % où se lavent ceux qui se sont baignés ici ? »
P L A I S A N T,E R I E.
�68
PLAISANTERIE.
Il avoit coutume de s'adresser aux statues, et de leur demander quelque chose. Quelqu'un lui reprochoit cette habitude bizarre : « Mon ami, lui dit-il, ne vois« tu pas que'je m'accoutume à supporter des refus ?» Voyant un homme qui tiroit de l'arc avec peu d'adresse , il alla s'asseoir auprès du but. On lui en demanda la raison : « C'est répondit-il, de peur qu'il « ne m'attrape. » Un jour que le peuple se pressoit pour entrer au théâtre , le philosophe repoussoit la foule , et faisoit tous ses efforts pour reculer. «Que fais-tu donc , Dio« gène} lui dit quelqu'un. — Ce que j'ai dessein de « faire toute ma vie , répondit-il. Un véritable sage . « se roidit contre le torrent des préjugés , et ne se « laisse pas entraîner avec la multitude. » Un physicien lui demandoit pourquoi l'or avoit une couleur pâle : « Il craint, répondit-il, d'être attrapé « par tant de gens qui courent après lui. » 6. Un assez mauvais poète, nommé Admets, vantoit beaucoup une épitaphe qu'il avoit composée pour être gravée sur son tombeau après sa mort. « Cette « épitaphe me plaît tant, lui dit le philosophe Démo« nax , qui l'avoit entendu réciter , que je voudrois « déjà la voir sur la tombe de son auteur. » y.Antigonus,1'un des plus célèbres capitaines d'Alexandre, et qui , après la mort de ce conquérant fameux, fut déclaré souverain d'une partie del'Asie,étoit borgne et souffroit, sans se fâcher, qu'on le badinât 5 sur ce défaut dont il plaisantoit lui-même. Un jour, il recutune lettre écrite en caractères extrêmement gros : « Ils seroient lisibles, dit-il, pour un aveugle même. » 8. Alexandre-le-Grandî\\t averti parun oracle desacrifier le premier qu'il rencontreroit à la sortie d'une ville qu'il quittoit ; et le premier qu'il rencontra fut un homme qui conduisoit un âne : il le fit prendre. Cet homme ayant demandé pour quelle raison on l'arrêtoit, puisqu'il ne se sentoit coupable en rien : on l'instruisit de l'oracle. «En ce cas , dit-il, ce n'est pas moi, sei-1 « gneur,qu'il demande, c'est mon âne, vous l'avez ren- ; « contré le premier. »Cette interprétation lui sauva lai vie , et l'on immola le pauvre roussin d'Arcadie.
�PLAISANTERIE. 6g g.Un courtisan ayant demandé une somme d'argent à Antigonus, roi d'Asie, en fut refusé. Avant de s'en retourner , il pria le monarque de lui prêter une escorte de ses gardes pour le reconduire à sa maison. « Quel besoin avez-vous d'escorte ? lui dit le prince. —. « J'ai peur, répondit le courtisan , qu'on ne me vole « en chemin ce que vous m'avez donné. » 10. Un homme , dont les cheveux commencoient à blanchir, vint demander une grâce Kl'em^eTeurAdrien: ce prince la lui refusa. Quelque temps après , le même homme ayant teint ses cheveux en noir, revint demander encore la même faveur. Lempereur le reconnut , et l'écôhduisit encore, en lui disant : « Mon ami, je « l'ai déjà refusée à ton père. » 11. Un jour , le philosophe Aristippe demandoit à Denys le tyran une somme assez considérable : « Ne « m'aviez-vous pas dit, répondit le prince , qu'un phi« losophe ne manquoit jamais de rien ? -— Donnez « toujours, reprit Aristippe , et nous parlerons de « cela après. » Le philosophe ayant reçu l'argent: « Eh « bien ! dit-il au despote, n'avois-je pas raison de vous « dire que les sages ne manquoient jamais de rien ? « Vous le voyez ; lorsqu'ils ont besoin de quelque « chose , ils trouvent qni le leur fournit. » Une autre fois , il demandoit une grâce au même prince ; mais il n'en étoit pas écouté. Alors Aristippe se jeta à ses pieds , et le pressa tant, qu'il obtint ce qu'il désiroit. Quelques personnes de grand sens représentèrent ensuite à ce sage qu'il étoit indigne d'un philosophe de se prosterner aux pieds d'un autre homme : « Ce n'est pas ma faute, répondit-il; il faut en accuser « Denys qui a les oreilles aux pieds. » 12. Caninius Rébulus avoit été choisi par César , pour remplacer FabiusMaximus qui étoit mort ; mais sa dignité ne dura qu'un jour. Cicér on dit, en plaisantant : « ]Nous avons eu un consul bien vigilant ; il « n'a pas dormi pendant sa magistrature.» Lorsque ce Romain alla avec ses cliens, pour féliciter le nouveau magistrat : « Hâtons-nous , mes amis , « disoit-il en chemin, pour que nous arrivions avant a fin de son consulat. » E3
�7© PLAISANTERIE. Un jour, se promenant dans la place publique, il se sentit pressé de la soif, et demanda de l'eau. Il étoit près de boire, lorsqu'il aperçut le cençeur Cotta , homme fort adonné au vin ; alors il appela ses amis : « Cachez-moi bien , leur dit-il ; car si notre censeur « me voyoit boire de l'eau,il me chasseroitdu sénat.» C. Popilius, homme ignorant et stnpide, se donnoit pour un habile jurisconsulte. Ayant été appelé pour être témoin dans une affaire, il répondit qu'il ne savoit rien : « Vous croyez peut-être , lui dit Cicéron , qu'on « vous interroge sur le droit ? » Fabia Dolabella disoit souvent qu'elle n'avoit que trente ans : « Cela est vrai, dit Cicéron ; car il y a vingt « ans que vous le dites. » i3.Auguste, revenant à Rome après labatailled'Actium,futsalué par un artisan quilui présenta un corbeau, à qui il avoit appris à dire ces mots : «Je vous salue, Cé« sqr vainqueur.»Le prince, charmé, acheta cetoiseau six mille écus. Un voisin jaloux alla dire à l'empereur que cet homme avoit encore un autre corbeau qui disoit des choses plaisantes, Auguste\ou\atle voir ;etl'animal fit entendre ces mots : « Je vous salue, Antoine vain« queur.>; L'artisan , homme prudent, avoitinstruit cet autre oiseau en caï qu'Antoine fût triomphant. Auguste n'en témoigna aucune colère ; il ordonna seulement à cet. homme de partager avec son voisin les six mille écus. A Texemple du corbeau , un perroquet fit à Auguste le même compliment, et fut acheté très-cher; une pie vint ensuite ,etrenditson instituteur opulent : enfin un pauvre cordonnier voulut aussi apprendre à un corbeau à faire cette salutation. Il eut bien de la peine à ré ussir ; souvent il se désespéroit, et s'écrioit en colère : « Je « perds mon temps et .ma peine. » Il vint enfin à bout de son entreprise, et courut aussitôt attendre Auguste sur son passage. Il lui présenta le corbeau, qui répéta fort bien sa leçon 5 mais le prince se contenta de dire : « J'ai assez de ces complimenteurs-là dans mon palais.» Alors le corbeau se ressouvenant de ce qu'il aVoit entendu dire à son maître , répéta : « J'ai perdu mon « temps et nia peine. » Auguste se mit à rire , et acheta ctettoiseau plus cher que tous les autres.
�PLAISANTERIE.
fl
îfy.S. Louis, après son voyage de la Terre-Sainte, étant débarqué aux îles d'Hières en Provence, envoya de tous côtés chercher des chevaux , dent tout le monde manquoit. L'abbé de Cluni , qui se trouvoit pour lors à Marseille , lui en donna deux qui valoient bien cinq cents livres chacun , et lui fit, demander une audience qu'il lui accorda avec plaisir. Elle fut longue; ce qui fit croire qu'elle avoit été favorable. «N'est-il pas « vrai, sire, lui dit plaisamment le sire de JoimdUe , « que le présent du bon moine n'a pas peu contribué « à le faire écouter aussi longuement ? » Le roi convint qu'il en pouvoit être quelque chose. « Jugez donc, .« sire , reprit le bon chevalier , ce que feront les gens « de votre conseil, si votre majesté ne leur défend pas « de rien prendre de ceux qui auront a faire par de« vant vous ; car, comme vous voyez , on en écoute « toujours plus volontiers.» Louis ne put s'empêcher de rire de la naïveté ; mais il sentit toute la sagesse du bon mot, et ne l'oublia jamais. i5.Le baron des Adrets, capitaine huguenot,ayant pris une petite place aux catholiques, condamnales soldatsqni l'avoientdéfendue,àsauter duhauten basd'une tour de la forteresse. Un de ces infortunés guerriers s'a* vanca par deux fois au bord du précipice , et recula deux fois , pour ne point faire le saut fatal : « Allons « donc, mon ami, lui dit le baron, dépêche : est-ce si « difficile ? —Eh bien, monsieur , repartit le soldat, « puisque cela vous paroit si facile , je vous le donne « en quatre. » Cette plaisanterie plut si fort au cruel baron, qu'il s'adoucit en sa faveur, et lui donna la vie. i-6.HenriIVavoit un cheval qu'il aimoit beaucoup: il avoit dit qu'il feroit pendre celui qui lui apprendroi| sa mort. Le cheval paya le tribut à la nature. Un Gas* con apprit ainsi cette perte au roi ; «Hélas ! sire , dit-il, « votre cheval ! ce beau cheval ! le cheval de « votre majesté ! ô ciel ! ce magnifique cheval !.... «—Je parie qu'il est mort, s'écria le monarque alarme. «—Vous serez pendu , sire , reprit le Gascon ; vous « vous êtes donné la première nouvelle. » 17, Le cardinal de Richelieu venoit d'assister à une E 4
�72 PLAISANTERIE. cérémonie où un cordelier avoit prêché. Surpris de n'en avoir pas assez imposé au prédicateur, pour l'intimider un peu , il lui demanda comment il avoit pu parler avec tant d'assurance : « Ah !.monseigneur,ré« pondit le cordelier , c'est que j'ai appris mon ser# mon devant un carré de choux , au milieu duquel « il y en avoit un rouge 5 et cela m'a accoutumé à « parler devant votre éminence. » 18.Monsieur le prince passant par une petite ville de Bourgogne, le maire se présenta pour le haranguer : «Monseigneur, lui dit-il, j'ai, comme vous voyez, le « droit de vous ennuyer beaucoup; je ne le ferai point « valoir , à condition que vous obtiendrez pour notre « ville une exemption de gens de guerre. » Le prince fut fort content de cette harangue, et promit ce qu'on lui demandoit. « Songez-y, monseigneur , reprit le « maire ; sinon , l'année prochaine , lorsque vous re« passerez, je ferai valoir mon droit, et vous payerez « alors le principal et l'intérêt. » îg.LedxicdeRoquelaure étoitdàns une petite ville de province. 11 avoit été voir la plupart des dames du lieu ; mais ïl en avoit oublié une, qui se croyoit cependant très-digne de sa visite. L'oubli du duc lui parut un affront sanglant ; elle craignit même que les autres femmes n'en tirassent avantage : c'estpourquoi elle pria un des amis deM.deRoquelaure dei'amener chez elle.Cet ami s'acquitta de sa commission. Roquelaure ,se voyant comme forcé à cette visite, entra en mauvaise humeur, et protesta qu'il ne diroit pas un mot. Cependant la dame , avertie de l'heure à laquelle le duc devoit se rendre chez elle, avoit eu soin d'assembler bonne compagnie , afin d'avoir autant de témoins de l'honneur qu'elle devoit recevoir; mais elle n'eut pas lieu de s'en applaudir. Roquelaure vint, comme il l'avoit promis ; mais il ne futpasplutôtentré, qu'il se campa dansunfauteuil, où il ne desserra pas les dents. Toute l'assemblée fut déconcertée d'un pareil procédé. La dame méprisée mouroit de dépit; mais sa fille,qui étoit une petite personne fort spirituelle, la vengea pleinement. Ennuyée d'un si long silence, elle se leva toutd'un coup ; et après
�PLAISANTERIE. yZ ■ s'être approchée du duc, elle se mit a crier de toute sa I force: «Ah ! monDieu ! maman ! monsieur de RoqueI « Zawre est mort!» Cette saillie réveilla tous les esprits. I On demanda à la petite fille ce qu'elle vouloit dire. « Mais oui,insista-t-elle,il est mort: ne voyez-vous pas 1 « bien qu'il pue, et qu'il ne parle point ?N'est-ce pas I « comme l'on dit que nous serons après la mort?» M. I de Roquelaure se retira promptement tout honteux , | et laissa à la compagnie la liberté de rire à ses dépens. 20. Un gentilhomme,quiavoitbeaucoup voyagé, alla i à Chantilly saluer monsieur le prince ; et dans le récit I de ses voyages, il lui parla d'un prince de Perse, qui, à trente ans, avoit fait les plus belles actions dont on ait jamais ouï parler. Pendant cet entretien, le dîner ayant été servi, chacunse mit à table. Monsieur le prince, sensible aux grandes actions, dit à ce gentilhomme: «La vie « du prince dont vous m'avez parlé, a eu de si beaux I « commencemens, que je brûle d'impatience d'en sa! « voir la suite.—Hélas ! monseigneur,réponditle gen1 « tilhomme, qui vitenun moment le potage presqu'en1 « levé , il mourut subitement; » et par là, l'histoire I étant finie , il se mit à manger comme les autres. 21. Quand le maréchal de la Ferté voul oitfaire pendre i quelque soldat, il avoit coutume de lui dire ; « Cor| « bleu ! loioumoi,nous seronspendus.» Ilditlamême i chose à un espion qu'on trouva dans son camp. Lors1 qu'on voulut conduire ce misérable à la potence,il de1 manda à parler au maréchal: « Monseigneur, lui ditI « il, vous vous souviendrez que vous m'avez dit que «vous ou moi, nous serions pendus. Je viens pour « savoir si vous voulez l'être ; car, si vous ne l'êtes « point, je vois bien qu'il faut que je le sois. » Le maré« chai se prit à rire , et fit grâce à l'espion. » 22. M. de*** se disoit d'une maison fort illustre , quoiqu'il tirât son origine d'un fou. h'Angéli, bouffon de Louis XIV, se trouvant avec lui dans la cham+ bre du roi, après lui avoir parlé debout pendant quelque temps , lui dit : « Asseyons-nous , monsieur ; on « ne prendra pas garde à nous ; et vous savez que « nous ne tirons pas à conséquence. »
I
�74
PLAISANTERIE.
23. Louis XIV étoit de la dernière exactitude aux revues qu'il faisoit de sa maison. Il ne pardonnoit point à un gendarme à qui il manquoit quelque pièce de sou ajustement militaire; il le ehassoit sans miséricorde.Un Gascon, garde-du-eorps, ayant perdu au jeu son buffle, f u t obligé de passer en revue.Le monarque, ne lui voyant point de buffle, le cassa, malgré sa bonne mine,sa belle taille et son dégagé.Lc Gascon alla le lendemain promener sa douleur dans le parc : il vit de loin le roi qui s'y promenoitaussi.Ilsemitdansl'attitude d'un homme qui épluche ausoleilde petits animaux qui sontl'apanage de la misère. Louis XIVl'aperçut. Un garde se détacha pour avertir le Gascon que le roi l'avoit observé : « J'en « suis bien aise, reprit le garde cassé ; dites à sa majesté « que je fais la revue de mes gardes-du-corps, etqueje « casseceuxquin'ontpoint de buffle.» Cette plaisanterie réjouit le prince , et. le disposa à rétablir le Gascon. 24. Un homme, qui avoit l'esprit singulier, entendit lire a la cour d'Alphonse V, roi d'Aragon, la fable des Harpies , et s'imagina qu'on vouloit se moquer de lui, parce que les poètes disent que ces animaux fabuleux habitoientunecertaineîle en Sicile,dontlui-même,ainsi que sa famille , étoit originaire. Le monarque, s'éfant aperçuquécethomme bizarre s'ofï'ensoitde cette lecture, lui dit : « Ne vous fâchez pas ; les harpies ne demeurent « plus aujourd'hui dans celte île : elles se sontdispersées « dans les çours des princes, et c'est là que ces oiseaux « avides ont, depuis ce temps , fixé leur séjour. » 20. M. Ollier, curé de S. Sulpice,étant à la maison de campagne que le séminaire possède à Issy,fit un discours à ses séminaristes, etprêcha sur la destruction du vieil homme.U répéta souvent, avec beaucoup de zèle, qu'il falloit faire mourir le vieil homme. La jardinière, dont l e mari étoit fort âgé, ayant e u laeuriosi té de prêter l'oreille à laserrure delachambre oùl'onprêchoit, crut que M. Ollier vouloitqu'on tuât son mari.EUe alla, dans le moment, communiquer sa terreur à son époux, qui résolut aussitôt de se dérober à la mort qui lemenacoit. Il va trouver le curé : « Monsieur, lui dit-il,ma femme « atoutentendu; donnez-moi mon congé, je veux encore
�PLAISANTERIE.
y5
I « vivre : je connois votre dessein.—Quel dessein , maîI « tre Pierre ?—Vous le savez mieux que moi, M. le I « curé; il n'est pas nécessaire de vous le dire.—Maître I « Pierre, expliquez-vous.—Monsieur, n'avez-vous pas I « dit qu'ilffalloit tu er le vieil homme ? Je suis vieux, il est I « vrai; mais la vieillesse n'est pas un crime; et d'ailleurs I «mon travail peut encore me nourrir. >> M. Ollier vit I alors quel étoit le sujet de la méprise du jardinier: il eut I beaucoup de peine à le désabuser, et à lui prouver que I le vieil homme n'étoit autre chose que le péché que
I nous devions détruire au dedans de nous-mêmes.
I écrire sonhistoire, voulutqù'ilsl'accompagnassent dans I sa campagne de 1678. M. de Cavoie, ami des deuxpoèI tes, voulut un' peu rire à leurs dépens dans cette occaI sion. 11 vint trouver Piacine la veille du départ, et lui I demanda s'il avoit eu l'attention de faire ferrer ses chc! vaux à forfait? Racine, qui n'entend rien à cette ques§ tion, le prie de lui en donner l'explication. « Croyez\ « vous donc, lui dit M. Je Cavoie, que quand une armée I « est en marche, elle trouve par-tout des maréchaux? I « Avant que départir, on fait un forfait avec un maréI « chai de Paris, qui vous garantit que les fers qu'il met I « aux pieds de votre chevaly lesteront six mois—C'est I « ceqne j'ignorois, répond Racine ^ourquoiBoïleaune « m'en a-t-ilriendit? Mais je n'en suis pas étonné : il ne « songe à rien. » 11 va trouver Boileau, pour luireprocher sa négligence. Boileau avoue son ignorance , et lui dit qu'il fautpromptements'informer du maréchal le plus fameux pour ces sortes de for-faits. Ils n'eurent pas le temps de le chercher : dès le soir même, M. de Cavoie raconta au roi le succès de sa plaisanterie , et divertit beaucoup lemonarque.Uneautrefois,après unemarche fort longue, Boileau, très-fatigué, alla se jeter sur un lit, en arrivant, sans vouloir souper. M. de Cavoie, qui le sut, allale voiraprèsle souper du roi, etluidit, d'un air consterné, qu'il avoit à lui apprendre une fâcheuse nouvel! e. «L e roi n 'e st p as c ontent de vous .Ha rem arqué. « aujourd'hui une chose qui vous fait un grand tort.— « Eh! quoi donc? s'écria Boileau-tout alarmé.— Je ne
26. Louis A^Z/^ayant choisi Racine et Boileau pour
�y6
PLAISANTERIE.
« puis me résoudre à vous la dire ; je ne saurois afïli« ger mes amis. » Enfin, après Favoir laissé quelque temps dans l'agitation, il lui dit : « Puisqu'il faut vous « l'avouer , le roi a remarqué que vous vous teniez « tout de travers à cheval.—Si ce n'est que cela, ré« pondit Boileau , laissez-moi dormir. » 27. Un jour de marché, un musicien amusoit la populace par ses chansons; mais l'heure où le marché s'ouvroit étant venue, on donna un signal qui fit partir tout le monde : il ne resta qu'un seul homme auprès du nouvelAmphion.Celui-cis'approche del'amateur,leremercie de ne l'avoir pas abandonné, et l'appelle le favori d'Apollon, puisqu'il préférait aux soins grossiers de la vie, les beaux-arts et lamusique.L'homme, qui se voyoit seul, lui demanda si l'on avoit donné le signal pour aller au marché ? « Oui , vraiment , répondit le musi« cien.—Je vous remercie beaucoup de m'avoir averti, « car je suis sourd. Adieu ! jusqu'au revoir ! » 28. Un Gascon, nouveau Parisien, venoit d'acheter un coteret, et craignant qu'on ne s'en aperçut, il le portoit caché sous son manteau. Voyant un crocheteur qui s'approohoit de trop près : « Retire-toi, lui dit-il, tu cas« seras mon luth. » Le crocheteur s'écarta; et le nourrisson de la Garonne avoit à peine marché dix ou douze pas , qu'une pièce de son coteret tomba. « Monsieur, « s'écria aussitôt le porte-faix ; monsieur, ramassez « une corde de votre luth , qui vient de tomber. » 29. Un aubergiste des environs dePhalsbourg tomba en léthargie. On le crut mort; et, au bout de quelque temps , on l'ensevelit. Sa femme , tout en pleurant le pauvre défunt, s'aperçut qu'on avoit employé à cet effet un drap tout neuf et très-fin; et, comme elle étoit fort avare : «Helas ! dit-elle, ce drap est trop beau pour un « mort ; il me servira beaucoup mieux a. moi, qui suis « vivante.»Elle avoit,dans samaison,unhabitd'arlequin qu'une troupe debateleurslui avoientlaissépour payement à leur passage.EUe s'enferme dans la chambre du mort, découvre le cercueil, reprend son drap , habille le cadavre en farceur, et,à cela près, rétablit les choses dans leur premier état. L'heure du convoi étant arri-
�I
. |
|
I I
] |
i
j ,
77 vée , quatre hommes emportent la bière sur leurs épaules , selon l'usage du pays. Le prétendu mort se réveille de sa léthargie, s'agite , se débat. Les porteurs s'effraient : ils laissent tomber le cercueil qui se brise , et l'on en voit sortir un arlequin. 3o. Deux Bas-Normands étant dans un cabaret de Limoges, parloient de cette grande année platonique, où toutes choses dévoient retourner en leur premier état.îls voulurent faire accroire à l'hôte, qui les écoutait attentivement, qu'il n'y avoit rien de plus que cette révolution: «de sorte,dirent-ils, que dans seize mille ans « d'ici, nous serons encore à boire chez vous, à pareil « jour;» et là-dessus, ils le prièrent de leur faire crédit jusques-là. « Je le veux bien , dit le cabaretier ; mais, « parce qu'il y a seize mille ans , jour pour jour, que « vous étiez ici à boire comme vous faites , et que « vous vous en allâtes sans payer, acquittez le passé, « et je vous ferai crédit pour l'avenir. » 5i .Quatre chevaliers d'industrie ayantfaitbonne chère dans un cabaret, firent monter un garçon, et arrêtèrent avec lui le prix du repas.Le premier feignitde mettrela main à lapoche;maislesecondle retint,,et dit qu'il vouloit payer l'éeot;letroisièmetémoigna le mêmeempressèment: enfin le quatrième, qui ne vouloit pas se laisser vaincre en générosité, défendit au garçon de rien recevoir de ses compagnons. Comme personne ne vouloit céder,l'un d'eux dit: «Pournous accorderai faut mettre « un bandeau sur les yeux du garçon , et celui d'entre « nous qu'il prendra, se chargera de la dépense. » On applaudit à cette proposilion,on l'exécuté; maisytandis que le garçon tâtonnoit dans la chambre, ils défilèrent l'un après l'autre. Le maître monte ;notre colin-maillard , qui l'entend, court à lui, l'arrête; et, le serrant étroitement : « Eh ! pour le coup , lui dit-il, ce sera « vous qui payerez l'écot. » Il ne se trompa point. 32. Un Gascon, à jeun depuis deux jours, médita de dîneraux dépensde Jacques Pœmain,\&co]ùn,etc.ûhhre architecte qui avoit entrepris le pont des Tuileries. Il considéroit l'ouvrage comme s'il eût été un grand connoisseur.FrèreJlomajn,quil'observoit,curieuxde savoir
PLAISANTERIE.
�78 PLAISANTERIE. ce qu'il avoit dans l'esprit, lui demanda son sentiment, « Mon frère, dit le Gascon, j'ai une chose importante « à vous dire sur ce pont ; mais j'ai appétit, il faut que « j'aille dîner auparavant. » Le religieux l'invita aussitôt à venir manger avec lui. Celui-ci ne se fit pas prier. Après que le Gascon eu t bien mangé, il dit au religieux : « Cadédis, mon frère , vous faites un pont sur la lar« geur de la rivière, et vous avez raison ; car, si vous « l'eussiez entrepris sur la longueur, je ne sois pas gen'i tilhomme,sivous eussiezréussi !» Après cet excellent avis, il fit la révérence, et prit congé du bon cénobite. 53. Un homme de province , qui étoit venu à Paris dansle temps du carnaval, fitla partie d'aller aubal avec un de ses amis, et se déguisa endiablé. Ils se retirèrent avant le jour. Comme le carrosse qui les conduisoit passa dans le quartier où le provincial logeoit, il fut le premier qui descendit. On le laissa le plus près qu'on putdesa porte, où il courut promptementfrapper, parce qu'il faisoit grand froid. Il fut obligé de redoubler les coups, avant de pou voirréveiller une grosse servante de son auberge, qui vint enfin, moitié endormie, lui ouvrir, mais qui, dès qu'elle le vit, referma au plus vite la porte, et s'enfui t, en criant de toute sa force : Jésus Maria / Le provincial nepensoitpointàsonhabillementdiabolique; et, ne sachant pas ce que pouvoit avoir la servante , il continua de frapper , et toujours inutilement. Enfin, mourant defroid,il prit le parti de chercher gîte ailleurs. En marchant le long de la rue, il aperçut de la lumière dans une maison ; et, pour comble de bonheur, la porte n'étoit pas tout-à-fait fermée. Il vit en entrant un cercueil, avec des cierges autour, et un prêtre qui s'étoit endormi, en lisant son bréviaire , auprès d'un fort bon brasier. Tout étoit tendu de noir, et l'on ne sentoitpas de froid dans ce lieu-là. Le provincial s'approcha du brasier, ets'endormit tranquillement sur un siège. Cependant le prêtre s'éveilla, et voyant la figure de cet homme endormi, il ne douta pas que ce ne fût le diable qui venoit prendre le mort ; et là-dessus il fit des cris si épouvantables , que le provincial, s'éveillant en sursau t, bit tout effrayé, croyant voir le mort à ses trousses. Quand
�7g il fut revenu de sa frayeur, il fit réflexion sur son ha*hillcment, et compritque c'éloit ce qui avoit causé son embarras. Gomme il n'étoitpas loin de la fripperie, et que le jour commeneoit à paroîlre , il alla changer d'habit, et revint à son auberge , où il n'eut pas de peine à se faire ouvrir. Il apprit, en entrant, que la servante étoit malade, et que c'étoit une visite que le diable lui avoit rendue , qui causoit son mal. Le provincial n'eut garde de dire qu'il étoit lé diable. Il sut ensuite qu'on publioit dans le quartier que le diable étoit venu pour enlever monsieur un tel. Le confesseur attesloit la chose ; et, ce qui rendoit le bruit trèscroyable, c'est que le pauvre défunt avoit été maltôtier. 54-Un Gascons'étoit mis au service du duc de la Feuillade. Ce seigneur , entreprenant un voyage, avertit ses domestiques de se tenir prêts un tel jour, à telle heure. Le Gascon fut retenu aulit parlaparesse, et étoit encore dans ses draps,lorsqueleduc étoit sur le point de partir. Les autres domestiques, après l'avoir long-temps cherché, entrent enfin dans sa chambre , tirent les rideaux de son lit, et 1 ni reprochent sa mollesse, lui disantqu'il falloit qu'il fût bien paresseux pour être au lit, lorsqueson maître étoit déjà prêt à monter à ch e val .Le Gascon, feignant d'être surpris : « Quoi! s'écria-t-il, M. le duc « est levé , et je suis encore au lit ! Ah ! mes amis , « fermez vîte les rideaux ; je suis indigne de voir la « lumière. » En prononçant ces mots ,• il se rendormit. 35. A la première représentation du Devin du Village , deux hommes , dont l'un étoit pour la musique française, l'autre pour lamusique italienne, soutenoient leurs divers sentimens avec tant d'opiniâtreté , qu'ils troubloient l'attention des spectateurs. La sentinelle s'approcha pour leur faire baisser la voix. Mais le lulliste dit au grenadier : «Monsieur est donc-bouffo« niste? » Cette saillie déconcerta tellement le pauvre soldat, qu'il retourna tout confus reprendre son poste. 36. Les mousquetaires, lesgardes-du-corps, lesgendarmes,les chevaux-légersentroientautrefoisgrû^'j' à la comédie, et le parterre en étoit toujours rempli. Le célèbreMb/ière,qui dirigeoit alors le spectacle,pressé par les
PLAISANTERIE.
�80 PLAÏSÀNT'ERIE. comédiens, obtint du roi un ordre pour qu'aucune personne de sa maison n'entrât au spectacle sans payer.Ces messieurs indignés forcèrent la porte, tuèrent les portiers , et cberchoient la troupe entière , pour lui faire éprouver le même traitement. Un jeune acteur, nommé Béjart, qui étoit habillé en vieillard pour la pièce qu'on alloit jouer, se présenta sur le théâtre : « Eh ! messieurs, « leur dit-il, épargnez un vieillard de soixante-quinze « ans,quin'aplus quequelques jours à vivre. »Cette plaisanterie fit lire les mutins, et, ce que n'auroient peutêtre pas fait les meilleures raisons , calma leur fureur. 37-Un Gascon , voulant aller chercherfortune en Angleterre , se rendit au port de la Brille en Hollande ; et, ayant déposé sa malle , qui étoit fort légère, dans le paquebot qui alloit cingler vers la Tamise, il se retire dans un cabaret, en attendant le départ. Il conte à tous ceux qui veulent l'entendre, ses admirables projets. Mais ce récit, copieusement arrosé de bon vin, lui fait oublier que le moment du départ est arrivé depuis une bonne demi-heure. Il s'en aperçoit enfin. Le vent et la mer emportoientses espérances. lise désespère.Enfin ilinléresse un patron qui lui promet, à force de voiles, d'atteindre le paquebot,avec une barque plate et découverte. A peine sont-ils en pleine mer, qu'une violente pluie pénètre j usqu'à la moelle l'infortuné Gascon. 11 essuie ce t orage avec constance, et vient à bout d'atteindre le paquebot , sur lequel il grimpe à la faveur de l'obscurité. « Dieu vous garde ! » dit-il à tous ceux qui l'aperçoivent avec étonnement. «Gadédis, messieurs, il fautêtrebon « nageur pour vous atteindre ; mais, quand vous auriez « été à quatre lieues d'ici,vousne m'auriez pas échappé ; « et je nageois, dans celte confiance, avec un esprit fort « tranquille. »Lahardiesse du Gascon tout trempé d'eau en imposa à tout le monde. On admira l'habileté d'un tel nageur. Un milord, qui étoit présent, résolut de faire l'acquisition de cepersonnage, pour le mettre aux prises avec le Maure d'unautre milord,qui passoit pour lepremier nageur du monde, et qui avoit vaincu tous ceux qui avoientvoulului disputer cette gloirc.LeGasconaccepte la proposition du milord; et, quand ils furent arrivés à Londres
�PLAISANTERIE.
8l
Londres, ce seigneur alla proposer à son ami un pari de mille guinées en faveur de son Gascon , qui n'avoit jamais mis le pied dansFeau, pas même pour se baigner. Le jour estpris.Le Gascon est le trompette delà victoire qu'il se flatte deremporter.Le voilà avec le Maure sur le bord de la Tamise, tous deux dans un équipage leste , prêts à se jeter dans l'eau. Le Gascon avoit à côté de lui unepelilecaissedeliége.Illa prit sous lebras.LeMaure lui demanda l'usage qu'il en vouloit faire ? » Sandis, dit« il, je suis homme de précaution.» Il ouvre la caisse où. il y avoit plusieurs bouteilles de vin et force petit-salé. « Vous voyez cela , poursuivit-il ; si vous ne faites pas « de provisions comme moi, vous courez risque de « mourir de faim. Savez-vous bien que je vous mène « droit à Gibraltar ? » Le Maure le regarda alors ; et, comme le Gascon parloit d'un ton résolu, qui sembloit promettre qu'il tiendroit plus qu'il ne disoit , il fut tellement épouvanté, qu'il dit à son maître : « Milord, « je ne veux point me commettre avec cet homme là ; «je me perdrois : je lui cède la victoire. » En vain on voulut lui ôter cette idée; les prières, les menaces furent inutiles ; et le Gascon gagna les mille guinées. 38. Un prélat limousin ayant été placé sur le siège de S. Pierre, reçut unedéputationde ses compatriotes.Ces ambassadeurs lui témoignèrent d'abord la joie que son élévation avoit causée à son pays ; puis l'un d'eux lui tint ce discours : « Nous venons vous supplier , très« saint père, au nom de tous vos compatriotes, d'user, « en leur faveur , du pouvoir absolu qu'on leur a dit « que vous avez sur la terre. Vous savez , saint père, la « stérilité de votre pauvre patrie, dont les habitans re« cueillent à peine assez de blépourles nourrir lamoitié* « de l'année , et le besoin qu'ils ont de recourir aux « châtaignes. Donnez-lui la fertilité qui lui manque , « et faites , en considération de l'honneur qu'elle a de « vous avoir vu naître, qu'on puisse àl'avenir faire deux « récoltes par an. » Le pontife ne crut pas devoir leur refuser une pareille grâce. » Mes enfans, leur dit-il, je « vous accorde volontiers ce que vous me demandez ; « et, pour vous prouver davantage mon affection , j'y Tome III. F
�82 PLAISANTERIE. « joins un autre bienfait ; c'est qu'au lieu que dans les « antres pays on ne compte que douze mois pour une « année , je veux que , par un privilège spécial, vous « en ayez vingt-quatre à chacune des vôtres. » 5q. Un Gascon disoit: « Je suis si délicat sur le point « d'honneur , que je ne me rendrais point traitable « là-dessus , quand on m'offrirait un million de revenu <i chaque minute. » « Je suis venu si vite, disoit un ecclésiastique de « Gascogne , qui avoit couru à une œuvre de charité ; « je suis venu si vite , que mon bon ange gardien « avoit bien de la peine à me suivre. » 4.0. Un prédicateur gascon demeura court en chaire. Il eut beau frotter sa tête ; il n'en sortit rien.Tl fallut descendre. « Messieurs, dit-il en prenant congé de l'audi« toire, je vous plains ;vous perdez une belle pièce. » 4i -Un capucin à pied faisoit ses missions avec autant de succès que de désintéressement. Il se trouva un jour vis-à-vis d'un ruisseau, sur le bord duquel il rencontra un paysan qui eut l'effronterie de lui demander qu'il le portât sur son dos à l'autre bord.Le capucin le chargea aussitôt sur ses épaules, et commença à traverser le ruisseau , ayant de l'eau jusqu'aux genoux. Lorsqu'il eut fait quelques pas, il demanda au paysan s'il avoit de l'argent ?Celui-ci, croyant qu'il parloil par intérêt, touché d'ailleurs de l'excès de sa complaisance, lui répondit qu'oui, et qu'il le paierait bien. Aussitôt le capucin , le jetant clans l'eau : «Ah ! mon ami, lui dit« il, il ne m'est pas permis de porter de l'argent; » et il continua tranquillement sa route. 42.Un jeune prédicateur , homme de bonne mine, qui avoit une voix de tonnerre , le geste beau , et tous les autres agrémens d'une déclamation qui charme les auditeurs et les lient attentifs , étant monté en chaire1, perdit tout d'un coupla mémoire, et oublia tout-à-fait son sermon. Que faire ? Quitter la partie , et se couvrir de honte ?Parler et n'avoir rien à dire ? Cette alternative étoit embarrassante. Il se détermine à rester, et à faire usage de sa voix et de son geste, sans rien prononcer que des paroles imparfaites et décousues; des car, enfin,da
�83 maïs, des si, des donc, des chers auditeurs, etc.etc... Jamais prédicateur ne parut avoir plus de feu. Il crioit de toutes ses forces ; il faisoit des exclamations, frappoit des pieds et des mains : tout trembloit sous lui ; et les voûtes de l'église , qui étoit très-vaste , lui rendoient au double les éclats de sa voix. Tout l'auditoire étoit dans un silence profond : chacun avançoit sa tête, et redoubloit son attention , pour entendre ce qui ne pouvoit être entendu. Ceux qui éloient près de la chaire disoient : « Nous sommes trop près , il n'y a « pas moyen d'entendre. » Ceux qui étoient éloignés se plaignoient de ce que , par leur éloignement, ils perdoient les plus belles choses du monde. Enfin l'adroit prédicateur tint son auditoire trois quarts d'heure en haleine , et se retira avec l'applaudissement de tonte l'assemblée, qui se promettoit bien , à la première occasion, de mieux choisir ses places , et de ne pas se priver du fruit d'un sermon aussi pathétique. 43. Un gentilhomme gascon sans argent, apprit qu'un aubergiste venoit d'être condamné à dix écus d'amende pour avoir donné un soufflet à un autre gentilhomme. Assuré du fait,il alla chez le même aubergiste ,et passa trois ou quatre jours chez lui, de façon que son compte monta à six écus. Comme il prenoit congé de l'hôte , et que celui-ci demandoit le payement du temps qu'il avoit passé chez lui , le Gascon lui dit : « Cadédis ! « monsieur , je n'ai pas un sou ; mais je vous prie de « me donner un soufflet , et me rendre mon reste ; « car un soufflet, comme vous savez , vaut dix écus , « et je n'en dois que six. » 44- Un officier traversoit une rivière dans une barque avec un cordelier qni avoitunâne à côté de lui.Le pauvre animal trembloit detoutson corps.Le capitaine, qui étoit tenté de se moquer du révérendpère, commencala conversation, en lui demandant la cause de ce tremblement: «Si vous aviez, lui dit le religieux, comme mon « âne , la corde au cou, les fers aux pieds, et un cor« déliera vos côtés, vous trembleriez bien davantage.» 4-5. Un cordelier en voyage , se trouva pris par la. nuit-, et, ayant rencontré la maison d'un seigneur, il se F2
PLAISANTERIE.
�84 PLAISANTERIE. persuada qu'il y seroit bien reçu. On lui fit en effet un assez bon accueil. Le seigneur cependant, voj'ant son hôte embarrassé , résolut de se divertir à ses dépens. Il le pria donc, de passer le lendemain chez lui, et lui proposa une partie de chasse. II avoit dessein de lui faire monter un cheval extrêmement fougueux, et qui ne pouyoit être domté que par un autre seigneur du voisinage ; on lui avoit donné le nom deDiable.lje cordelier soupçonna le tour qu'on lui préparait; mais, comme il savoit fort bien se rendre maître d'un cheval, il dissimula tout, et ne monta dessus qu'après bien des grimaces, affectant beaucoup de crainte ; puis, s'étant bien assuré, il commença à piquer le cheval, et à courir au grand galop. Le seigneur ne pouvant le suivre , et voyant qu'il s'écartoit toujours de plus en plus,lui cria de s'arrêter.Mais le cordelier lui répondit d'un ton railleur : « Le diable m'emporte , le diable « m'emporte. » Il courut tant, qu'en peu d'heures le diable le porta dans son couvent, d'où il ne sortit point pour retourner vers son premier maître. 46.Le cocher d'une remise ayanteonduit deux dames et deux cavaliers dans un village à quelques lieues de Paris, les arrêta devant l'église de la paroisse, parce qu'ils voulurent assister aux offices divins.L'on disoit la grand'messe, il manquoit un chapier ; le cocher s'offrit d'en faire la fonction: il s'affubla d'une chape. On vint l'avertir dans ce moment qu'il avoit pris envie à ses chevaux de s'en aller : il sort de l'église avec sa^hape , vole après ses coursiers vagabonds, les atteint, et remonte sur son siège pour les ramener devant l'église. Un des premiers citoyens du village, voyant le phaéton couvert d'une chape, s'imagina que ce pouvoit être le carrosse du pape. Il communiqua cette burlesque idée à tous ses compagnons qu'il rencontra ; elle fut contagieuse, et bientôt une foule de ces lionnes gens allèrent à l'envi au devant de l'équipage, se jetèrent à genoux; et, prosternés contre terre, ils demandoient humblementla bénédiction du pré tendu vicaire de Jésus-Christ. 47- Un curé de campagne fort enjoué,étoitenhahit court dans la ville cathédrale de son diocèse. Un grandvicaire l'ayant aperçu, l'appela, et lui demanda pour-
�PTAISANTERIE. 85 quoi il portoit un habit court? Il répondit que l'habit étoit propre à danser: cette réponse irrita le ministre de Févêque, qui lui demanda qui ilétait.Ego sum gui sum, reprit le curé. Le grand-vicaire le fitcomparoître devant 1 evêque, qui d'abord lui fit des reproches sur ses réponses, auxquelles il donnoit l'épithète d'insolentes et d'impies. «Monseigneur, répondit le curé , vous allez « voir si j'ai tort, et si je mérite les titres que me donne « votre grandeur. Je suis curé d'un lieu appelé Dansé, « les chemins y sont pleins de boue, même dans la ca« nicule ; c'est ce qui m'a fait dire à M. votre grand« vicaire, que mon habit court étoit propre à danser. « Ensuite, je m'appelle Cuisson;je n'ai pas cru l'offen« ser en lui disant mon nom qu'il me demandoi*. » Le prélat , à ces mots, fit comme le roi, dans Boileau : Et le roi , que fit-il ? Le roi se prit à rire.
48. Un homme qui bégayoit, demanda en plusieurs temps, et en comptant tous ses mots dont il répétait les syllabes , le nom d'une rue qu'il ne pouvoit trouver. Il s'adressa justement à un homme qui avoit à la langue le même défaut que lui, et qui lui enseigna ce qu'il demandoit en imitant parfaitement les bégaiemens de celui qui l'interrogeoit. Le questionneur crut avoir trouvé un moqueur qui le vouloit tourner en ridicule en le copiant 5 il s'échauffa et s'emporta contre lui : celui-ci , en voulant s'excuser, bégayoit encore davantage. Ce bredouillement réitéré fait croire à l'autre qu'il avoit en tête un plaisant qui n'en vouloit point démordre : il s'accroche avec lui, et l'accueill e à coups de poings. Un autre bègue survient, et s'efforce de séparer les combattans : il en vient à bout ; mais , voulant savoir le sujet de leur querelle, il leur parla d'une voix si entre-coupée , qu'ils crurent que ce médiateur vouloit se moquer d'eux. De concert , ils fondent sur lui pour le punir ; et sans douje ils l'auroient mis en pièces dans leur colère , si des gens charitables ne l'eussent arraché de leurs mains. Quand ils apprirent tous trois leur défaut commun , leur fureur s'éteignit; et ils rirent eux-mêmes de leurméprise. F3
�86
POLITESSE.
4g. Un homme de la cour jouoit au piquet, et étoit impatienté par un voisin à vue courte et à long nez. Pour s'en débarrasser, il prit son mouchoir et moucha le nez de cet homme incommode. « Ah ! monsieur , « lui dit-il aussitôt, je vous demande pardon ; je l'a« vois pris pour le mien. » Voyez BONS-MOTS , NAÏVETÉ , RAILLERIE , REPARTIE.
POLITESSE.
I.Ï-JE chevalier William Gooëls , Anglais, gouverneur de Virginie , causant avec un négociant dans une rue de Williamsbourg , vit passer un nègre qui le salua,et aussitôt il lui rendit le salut. « Comment, « dit le négociant, votre excellence s'abaisse jusqu'à « saluer un esclave ? — Sans doute , répondit le gou« verneur; je serois bien fâché qu'un esclave se mon« Irât plus honnête que moi. » 2. L'empereur Adrien mettoit toujours de la politesse dans ses discours , même en parlant à des gens d'une condition vile , et détestoit ceux qui, sous prétexte qu'un prince ne doit jamais déroger à la majesté de son rang, lui faisoient une espèce de crime du plaisir qu'il goûtoit adonner ces marques d'humanité. 3. Le fameux Aristote, étant près de mourir, frrïprié par ses disciples de se nommer un successeur. Théo^7tr<2i'/edeLesbos,etiMrene£ZèmedeRhodes,prétendoient tous deux à cet honneur. Aristote se fit apporter deux bouteilles, l'une de vin de Rhodes, l'autre devindeLesLos. II goût a d'abord Je premier vin , et en fut très-content : il passa ensuite auvindeLesbos;et,lorsqu'ileneut bu : « Ces deux vins,dit-il, sont très-bons, sans doute ; « celui deLesbos me paroît cependant plus agréable. » Il vouloit, par cet ingénieux trait de politesse, donner honnêtement la préférence à Théophraste. 4-C'étoitdutempsde Charlemagne,\me sorte de politesse chrétienne et d'usage, dé demanderle pain béni aux évêques. Charlesl'ayantdemandcàl'undesprélats
�POLITIQUE.
87
dé sa cour,-le pontife bénit un pain, le coupa, en retint un morceau , et donna l'autre à l'empereur. Le monarque , choqué de la grossièreté de son procédé, lui dit : « Gardez tout; vous avez précisément retenu « le morceau que je voulois. » 5. Après l'entrevue d'Aigu es-Mortes , en i538 , François I alla visiter l'empereur Charles-Ouint sur sa galère , et lui dit : « Mon frère , vous me voyez « une seconde, fois votre prisonnier.—Non, mon frère, « répondit aussitôt l'empereur , je ne vous ai jamais « eu prisonnier que dans mon cœur , qui est tout à « vous , avec autant de sincérité que je voudrois que « le vôtre fût à moi. » Voyez CIVILITÉ , SAVOIR-VIVRE, TON ( bon ) , URBANITÉ. POLITIQUE.
1. -A-PRÈS avoir subjugué Babylone et l'Assyrie, Cyriis, devenu maître des vastes provinces de l'Asie, voyoitàses pieds des nations puissantes etbelliqueuses. Abandonnant désormais le désir des conquêtes , il ne songea plus qu'à diriger au même but, par une sage politique, toutes les parties de ce corps immense dont il. étoit l'ame et le modérateur. Seul,il n'eût pu soutenir le fardeau du commandement 5 il commença donc par choisir des ministres sages, capables de concourir avec zèle au bien public, dignes de partager avec lui les devoirs pénibles de la royauté. Chacun avoit son district et son objet particulier, dont il rendoit compte à celui qui étoit au-dessus de lui; et celui-là à un troisième, et ainsi de tous les autres, jusqu'à ce que par ces diffèrens degrés, la vérité confiée à des bouches intègres, parvînt au pied du trône. Il évitoit avec soin de déférer à un seul homme un pouvoir absolu, sachant qu'un prince se repentira bientôt d'avoir élevé cet homme unique , s'il consent qu'il abaisse tous les autres. Il établit iw ordre merveilleux pour la guerre, pour les finances, pour la police. 11 avoit dans toutes les provinces des personnes d'une probité reconnue, qui lui rendoient compte de
�88 POLITIQUE. tout ce qui s'y passoit. II étoit attentif à honorer, à récompensertousceuxquisedistinguoientparleurmérite, et qui excelloient en quelque genre que ce fût. Il préféroit infiniment la clémence au courage guerrier, parce que le dernier entraîne souvent la ruine et la désolation des peuples, aulieu que l'autre est toujours bienfaisante et salutaire. Il savoitque les lois peuvent beaucoup contribuer aux réglemens des mœurs; mais, selon lui, le prince devoit être, par son exemple, une loi vivante; et il ne croyoit pas qu'il fût digne de commander aux autres, s'iln'avoit plus de lumières et plus de vertu que ses sujets. Il étoit aussi persuadé que le moyen le plus sûr de s'attirer le respect des grands de sa cour, et de tous ceux qui l'approchoient, é toit de leur en porter assez de son côté , pour ne vouloir jamais , en leur présence, rien faire ni rien dire qui fût contraire aux règles de l'honnêteté et de la pudeur. 2. Les revenus des rois de Perse consistoient ou en levées de deniers imposés sur les peuples, ou en fourniture de plusieurs choses en nature, comme grains, provisions, fourrages et autres denrées, chevaux, chameaux, comme aussi de ce qu'il y avoit de plus rare en chaque province. Strabon remarque que le satrape d'Arménie envoyoit régulièrement tous les ans au roi de Perse vingt mille poulins. On peut juger du reste à proportion. Les tributs n'étoient imposés que sur les nations conquises ; car les sujets naturels, c'est-à-dire, les Persans , éloient exempts de toute imposition. Ce ne fut même que sous Darius que cet usage fut introduit , et que l'on détermina les sommes que chaque province devoit payer tous les ans. Elles montoiënt à peu près à quarante-quatre millions. Les contribu tions qui se faisoient en nature, avoient pour objet l'entretien de la table du prince et de sa maison, et la subsistance des armées.Les six vingts satrapies ou provinces de la Perse,fournissoient chacune sa quotepart et sa taxe. II y avoit aussi certains cantons assignés pour l'entretien de la toilette et de la garde-robe de la reine, l'un pour sa ceinture, l'autre pour son voile, et ainsi du reste; et ces cantons étoient d'une fort grande
�89 étendue , puisqu'un d'eux renfermoit autant d'espace qu'un homme en peut parcourir en un jour. 3. Pour rétablir l'ordre etla tranquillité danssapatrie, Lycurgue forma un sénat composé de vingt-huit sénateurs , auxquels présidoient les deux rois de Lacédémone.Cette auguste compagnie, qui eomprenoitce qu'il y avoit dans la nation d'hommes les plus sages et les plus expérimentés, servoit comme de contre-poids aux deux autres autorités, c'est-à-dire, à celle des rois et à celle du peuple ; et, quand l'une vouloit prendre le dessus , le sénat se rangeoit du côté de l'autre , et les tenoit ainsi toutes deux dans un juste équilibre. Dans la suite, pour empêcher que cette compagnie même n'abusât de son pouvoir qui étoit fort grand, on lui mit une espèce de frein , en nommant cinq éphores qui étoient tirés du peuple , et dont la charge ne duroit qu'un an, mais qui avoient une inspection absolue-*^', sur les sénateurs et sur les rois même. fcÈ?' Le pouvoir des rois étoit fort borné, sur-tout dans^à , ville et en temps de paix. Dans la guerre, c'étoient feftOr. qui commandoient les flottes et les armées ; et pour lors leur puissance étoit plus étendue. Cependant on leur donnoit alors même des espèces d'inspecteurs etde coni^<^ missaires qui leur tenoientlieu d'un conseil nécessaire; et l'on choisissoit ordinairement pour cette fonction , ceux des citoyens qui étoient mal avec eux, afin qu'il n'y eût point de connivence de leur part, et que le public fût mieux servi. Il y avoit presque toujours une secrète mésintelligence entre les deux rois ; effet de la politique spartaine , à qui leur trop grande union auroit pu donner de l'ombrage. Les affaires se proposoient et s'examinoient dans le ■ sénat, et c'étoit-là que se formoient les résolutions. Mais les décrets du sénat n'avoient point de force , s'ils n'éloient ratifiés par le peuple. 4. Pardesservicesaffectés,parunsoin ardent en apparence à rétablir l'ordre parmi les Mèdes, Déjoce s'en étoit fait aimer.Devenu nécessaire, on lui conférale titre et la puissance de roi. C'étoit ce que sa sombre politique avoit cherché jusqu'à ce jour ; et peut-être eût-il
POLITIQUE.
�gO
POLITIQUE.
été digne du. choix de ses compatriotes , si lui-même, par sa conduite, n'eût, pour ainsi dire, nécessité leurs suffrages. Lorsqu'il fut monté sur le trône , il voulut joindre à la dignité suprême dont il étoit décoré, toutes les marques qui ont coutume d'en relever l'éclat , et qui pouvoient inspirer pour sa personne de la crainte et du respect. Il obligea les Mèdes à lui bâtir un palais magnifique : il le fit très-bien fortifier , et choisit ceux d'entre ses sujets qu'il jugea les plus propres pour être ses gardes.Persuadé que la majesté des rois se fait plus respecter de loin , il mit d'abord un grand intervalle entre le peuple et lui. lise rendit presque inaccessible, et comme invisible : on ne pouvoit lui parler ni lui communiquer les affaires que par des placets et des personnes interposées. Ceux même qui avoient le privilège de l'approcher, ne pouvoient ni rire ni cracher en sa présence. Il ne se faisoit eonnoître que par les sages lois qu'il établissoit, et par l'exacte justice qu'il se piqnoit de rendre à chacun. On dit que du fond de son palais il voyoit tout ce qui se passoitdans ses Etats, parle moyen de ses émissairesquiluirendoient.compte et l'informoient de tout. Ainsi nul crime n'échappoit à la connoissance du prince , ni à l'animadversion des lois : la peine, suivant de près la faute , contcnoit les méchans , et arrêtoit les violences. Mais celte politique ne pouvoit être bonne que pour.De/0ce; car, combien de princes , après lui, ont été trompés par leurs officiers , toujours intéressés à déguiser la vérité ! 5. Charles XI, roi de Suède, forma une milice qui subsiste encore aujourd'hui, laquelle n'est ni à charge au trésor public, ni trop onéreuse aux particuliers, et qui fournit toujours des soldats à l'Etat, sans ôter des laboureurs aux campagnes. Les plus riches villages on seigneuries qui étoient ou qui sont encore du domaine du roi, entretiennent à leurs frais un cavalier. Les paysans de chaque village fournissent un fantassin, à proportion de leurs revenus, c'est-à-dire, qu'il faut avoir un certain bien, comme dix ou douze mille francs, pour être obligé d'équiper un soldat d'infanterie. Le paysan qui n'a que cinq ou six mille livres, se joint à un autre
�PRECISION. 91 qrùi en autant : s'il n'en a que trois mille , il contribue pour sa part avec plusieurs autres ; et tous ensemble fournissent un homme à lJEtat. Si le revenu de tout le village ne produit que dix mille livres , le village ne donne qu'un homme. A la mort du soldat , ceux qui l'avoient. donné le remplacent. Ainsi le nombre des milices est toujours le même qu'il a été une fois réglé par les états-généraux. Les paysans font bâtir au soldat qu'ils entretiennent , une maison ou une cabane, et lui assignent pour lui et pour sa famille une portion de terre qu'il est obligé de cultiver. Ces soldats distribués par villages, se rassemblent, à jour marqué, dans le principal bourg du canton , sous la conduite de leurs officiers, qui sont payés par le trésor public.
^VT%\x\axxxvxxax\\xxxv\vxxxxxx\\x\xxx\xxxxxxxvxxxxxxxxxxxx%xxxxxxxvxX'V
PRÉCISION. 1. A HOCION, l'un des plus grands capitainesquiaient illustré Athènes, se distinguoit sur-tout par une éloquence serrée et concise. Etant un jour dans l'assemAée du peuple , et paraissant méditer profondément, juelqu'un s'approcha de lui , et lui demanda à quoi songeoit : « Je songe , répondit-il, si je ne pourrais i>as retrancher quelque chose de ce que j'ai à dire aux
'Llhéniens. »
P
p
2. LesLacédémoniens étoient singulièrement avares le paroles , et le laconisme a pris son nom de la brièveté de leurs discours. Un député d'Abdère ayant parlé très-long-temps en présence du roi Agis II, ni demanda ce qu'il dirait de sa part à ses concitoyens : « Dis-leur, répondit le monarque , que , pen:< dant ton discours , j'ai gardé le silence. » PouVoit-il 'nieux faire sentir à ce ridicule orateur , que sa vaine prolixité ne méritoit aucune réponse ? Un autre ambassadeur , non moins insupportable , après une harangue qui paroissoit devoir être éternelle , ht à ce prince une question semblable : « Dis |« a tes citoyens, répondit-il, que nous avons eu beaucoup de peine, toi à finir, moi à l'entendre. »
�g2
PRÉCISION.
3. Archidame III du nom, roi de Sparte, ayant fait une irruption dans l'Arcadie , apprit que les Eléens venoient au secours des villes attaquées : pour les détourner de cette entreprise téméraire, il leur envoya cette exhortation vraiment laconique : « Archidame « aux Eléens , bon repos et prudence. » Après la bataille de Ghéronée , Philippe , roi de Macédoine , écrivit à ce prince d'un ton fier et insolent. « Mesure ton ombre , lui répondit Archidame ; « et tu verras que depuis ta victoire elle n'est pas « devenue plus grande. » 4. Un officier qui avoit été chargé de défendre contre l'ennemi un poste important, l'ayant rendu avec trop de facilité à la première attaque qu'on en fit, lorsqu'il auroit pu résister plus long-temps, voulut s'excuser des reproches que lui en faisoit son général: « Le poste, lui dit-il, étoit indéfendable. » Le général, le regardant d'un air de mépris , se contenta de lui répondre : « Cela n'est point français. » 5. Un officier gascon demandoit, avec beaucoup d'instance une audience au roi ; on la lui ménagea, à condition qu'il ne diroit que deux mots. Il se présenta donc au monarque ; et lui tendant un placet dans lequel il demandoit une pension : « Sire , signez. » 6. Un religieux de bon appétit , et qui n'aimoit pas à être interrompu dans l'exercice de la table, ne répondoitqu'avecune précision véritablement digne de Sparte, aux questions réitérées qu'on lui faisoit. Un jour, un de ses convives, qui vouloit le forcer de parler, lui fitces interrogations : « Quel vin buvez-vous dans votre cou« vent ? — Rouge. — Quel pain mangez-vous? — Bis. « —Mangez-vous beaucoup?—Tout.—Quelle viande « vous sert-on ? — Boeuf. — Combien êtes-vous .J —« Trop. —Prenez-vous souvent la discipline ?—Point.» 7. M. d'Argouges , intendant de Bourgogne, passant par Màcon , alloit être complimenté par les élus. Il dit à celui qui devoit porter la parole : « Soyez « court, monsieur, je vous supplie. » L'orateur, pour toute harangue , faisant une ample et profonde salutation , prononça ce mot : Dixi ; « J'ai dit. »
�93 8. M. de Novion , premier président du parlement, haranguant M. le duc de Bourgogne , encore au berceau , se contenta de lui dire : «Monseigneur, nous « venons vous offrir nos respects 5 nos enfans vous « offriront leurs services. » 9. Dans un combat sanglant entre l'armée de l'empereur Héraclius et celle des Sarasins, il se répandit un bruit que le général infidèle, nommé Dérar, étoit tué. Les Sarasins en fureut épouvantés. Rafi , un de leurs capitaines , les voyant fuir , s'écria : « Où cou« rez-vous ? Ce n'est pas là que sont les ennemis. On « vous a dit que le général est tué. Eh ! qu'importe « qu'il soit au nombre des vivans ou des morts ? Dieu « est vivant, il vous regarde : marchez. » Dans une autre circonstance , un général musulman dit à ses troupes : « Disciples du grand prophète, voilà le Ciel; « combattez pour Dieu : il vous donnera la terre. » 10. Guillaume le Bâtard, duc de Normandie , appelé à la couronne d'Angleterre par le testament d'Edouard III, étant entré dans le royaume avec de bonnes troupes , brûla ses vaisseaux , et dit à son armée : « Enfans , voilà votre patrie. » 11. Xerxès , roi de Perse , écrivit à Léonidas, roi de Lacédémone : « Rends les armes. — Viens les « prendre , » répondit le prince Spartiate. « Les ennemis sont près de nous , » disoit à ce même prince un soldat effrayé. — « Et nous près d'eux , » répondit-il. 12. Bias, général lacédémonien, s'étant laissé surprendre et investir dans une passage fort difficile, par Iphicrate, capitaine athénien, ses soldats lui demandoient ce qu'il falloit faire dans cette circonstance désespérante : « Fuyez , leur dit-il ; je vais mourir. » 13. Après une bataille perdue contre les Athéniens, et la mort de leur général , les Spartiates écrivirent aux éphores , pour leur donner avis du grand échec qu'ils Venoient de recevoir.Leur lettre étoit conçue en ce peu de mots : « La fleur de votre armée a péri ; notre « commandant a été tué; le reste des troupes meurt de « faim ; nous ne savons que faire, ni que devenir. »
PRÉCISION.
�94 PRÉSENCE D' ESPRIT. i4-Les Anglais faisoient le siège de Cadix, en 1702.
Commela vigueur étoitnécessaire pour forcer imposte si avantageux, le général des assaillans crut devoir les encourager par une harangue : «Anglais, leur dit-il, qui « mangez tons les jours du bon breufet de la bonne sou« pe , souvenez-vous bien que ce seroit le comble de « l'infamie de vous laisser battre par cette canaille d'Es« pagnols, qui ne vivent que d'oranges etde citrons.» 15. En i683 , le duc de Lorraine étoit à la tête d'un corps d'armée en Hongrie , pour empêcher les horribles dévastations des Turcs et des Tartares. Dans une attaque très-vive, quelques escadrons allemands , qui avoient beaucoup souffert, commencoient à se retirer en bon ordre. Le duc de Lorraine court à eux : « Quoi ! « messieurs , leur dit-il, vous abandonnez l'honneur « des armes de l'empereur ? Vous avez peur de ces « canailles? Retournez ; je veux les battre avec vous , « et les chasser. » Us font aussitôt volte-face , marchent aux Infidelles , et les battent. 16. Sur le point de livrer la fameuse bataille d'Ivri, Henri IVparcourt tous les rangs de son armée ; montrant aux soldats son casque surmonté d'un panache blanc , il leur dit: « Enfans, si les cornettes vous man« quent, voici le signe du ralliement; vous le trouverez «toujours au chemin de la victoire et de l'honneur.» Dans un autre jour de bataille , il se contenta de dire à ses guerriers : « Je suis votre roi ; vous êtes « Français ; voilà l'ennemi. »
niuw\ \\mnm\ntwHumxu\vu\mvw\mn\u\muuv\%
PRÉSENCE D'ESPRIT.
I.UN roi vouloit faire mourir un astrologue. Il lui demanda s'il savoit le jour de sa mort. L'astrologue , qui se doutoit du malheur qui le menaçoit, lui répondit : « Sire , mes observations m'ont appris que je dois « mourir un jour avant votre majesté. » Le monarque, étonné de cette prédiction , donna tous ses soins à la conservation de l'astrologue. 2.Un empereur, irrité contre un astrologue, luidemandoitavec menaces: «De quel genre demort,malheu-
�PRÉSENCE
D5 ESPRIT.
Q5
« reux, comptes-tu mourir?— Je mourrai, dit-il, de la « fièvre.—Tu en as menti, répondit Fempereur,tu péri« ras tout-à-l'heure d'une mort violente.» On alloitsaisir ce pauvre malheureux, lorsqu'il dit à l'empereur : «Sei« gneur, ordonnez qu'on me tâte le pouls, et l'on verra « que j'ai la fièvre.» Cette adroite saillie le tira d'affaire. 3. Le fils d'un fermier de la province de Wiltshire , en Angleterre, nommé James Brown, âgé de douze à quinze ans, avoit coutume d'aller à la ville voisine faire les provisions de son père. Comme il y avoit alors beaucoup de voleurs dans ce canton , cet enfant, par une présence d'esprit peu ordinaire à son âge, mettoit d'un côté les pièces d'or, et de l'autre la monnaie courante , afin de s/iuver les unes, si les autres étoient en danger. Use met en campagne. Apeine a-t-ilfaitunelieue,qu'un collecteur (c'est ainsi qu'on appelle les voleurs en Angleterre) vint lui demander la bourse ou la vie. Le jeune homme paroît interdit; il crie, il refuse :1e collecteur le presse etlemenace;enfin,/fi7n<?.îjBr<M're, feignant d'être au désespoir, met la main dans la poche où il serroit sa monnaie, etlajette loin de lui au delà d'un fossé etd'un petit buisson, en disant au voleur que s'il vouloit son argent, il prît au moins la peine de l'aller chercher. Le collecteur, ébloui parla quantité de pièces qu'avoit jetées le jeune Brown, crut devoir se hâter de les ramasser, pendant que le jeune homme prenoit la fuite. Il descend de cheval, il cherche les pièces dans le ruisseau et derrière le buisson. Mais quelle est sa surprise, lorsqu'il voit Brown, qu'il croyoit bien loin, monter tout-à-coup sur son cheval, piquer des deux et disparoitre ? C'est ainsi qu e, par sa prudence, James Brown, qui s'étoit caché près de là, acquit un bon cheval et la valise du collecteur pour une somme très-modique. 4- Jacques Nompar de Caumont, duc de la Force , encore tout jeune, échappa au massacre de la SaintBarlhélemi, par un trait de présence d'esprit au-dessus de son âge. Il étoit couché dans un même lit avec son père et son frère aîné. Les meurtriers entrèrent dans la chambre, et donnèrent plusieurs coups de poignard, dont Caumont et son fils aîné moururent snr-le-champ. Le plus jeune ne fut que blessé ; comme il nageoit
�96 PRÉSENCE D'ESPRIT. dans le sang , on le crut mort , et les assassins sortirent. Ce jeune enfant, qui avoit à peine douze ans , contrefit le mort, et se cacha le mieux qu'il put sous les corps de son père et de son frère.Il resta ainsi jusqu'au soir 5 et pendant cet intervalle , il entendit des discours detoute espèce , qui le firent frissonner d'horreur. Divers assassins entrèrent dans la maison pour massacrer ceux qu'ils y trouveraient, se mirent à piller ; et en regardant les corps qui étoient sur le lit, les uns faisoient l'éloge de ce meurtre,en disant que ce n'étoit pas assez de tuer les mauvaises bêtes, mais qu'ilfalloit aussi en écraser les petits : d'autres approuvoient le meurtre du père ; mais ils ne pouvoient souffrir qu'on eût égorgé les enfans , à qui l'on n'avoit rien à reprocher. Le jeune de la Force , qui étoit depuis longtemps dans une situation cruelle,fut tenté alors de se montrer : cependant il attendit encore ; et, sur le soir, ayant entendu la conversation d'autres personnes , qui déstestoient, entre elles la barbarie des exécutions de cette affreuse journée, il se débarrassa de dessous les corps de son frère et de son père ; et levant un peu la tête : «Je ne suis pas mort,» leur dit-il.On voulut alors lui faire beaucoup d'interrogations, et on lui demanda sur-tout qui il étoit ; il répondit qu'il étoit le fils d'un de ces deux morts, et le frère de l'autre. A l'égard de son nom, il ne voulut point le déclarer ; et comme on insistait pour le savoir, il eut la prudence de dire qu'il ne se nommerait que lorsqu'on l'aurait mis en sûreté. Il étoit bien difficile de trouver un asile assuré dans des conjonctures aussi affreuses. On demanda donc à cet enfant où il vouloit aller: « Al'arsenal, dit-il;, je suis a. parent du grand-maître ; vous serez bien récompen« ses. » On l'y conduisit avec le plus de précaution qu'il fut possible ; et enfin on le mit entre les mains de Biron. 4- Un cordelier, se trouvant en route, rencontra deux ministres protestans, qui lui proposèrent de souperavec eux. Ce religieux accepta avec plaisir la proposition. Les ministres cependant cherchoient en eux-mêmes comment ils dévoient s'y prendre pour se divertir aux dépens du bon père. Ces deux messieurs avoientchacun
�PRÉSENCE D'ESPRIT. 97 leur Femme. Une de ces dames leur proposa cet expédient : «Avertissons , dit-elle, l'aubergiste, et ordonnons-lui de ne servir pour tout le repas que quatre perdrix , qu'il placera vis-à-vis du moine , lequel nous prierons de vouloir bien servir. line manquera pas de distribuer à chacun de nous une perdrix, et comme nous sommes quatre, il ne lui restera pour sa part que le fond du plat. » Cet avis est applaudi : dans le moment on donne les ordres nécessaires à l'aubergiste , qui s'empresse d'obéir ponctuellement. On sert ; on feint de murmurer contre la modicité du repas : l'hôte s'excuse de son mieux ; on le renvoie , et l'on prie le révérend père de faire les honneurs de la table. Le cordelier s'aperçoit, à certaines grimaces, qu'on veut le jouer ; sa présence d'esprit lui fournit dans l'instant un moyen de rire aux dépens de ceux qui prétendoient le duper. Après s'être excusé long-temps de servir, il se rend aux instances qu'on lui fait:il prend le plat, le fait tourner deux ou trois fois, comme un homme qui ne sait pas trop comment s'y prendre. Son embarras fait rire les ministres et leurs dignes compagnes : «Allons,père, lui disent-ils, vous êtes bien long; faites« nous donc parvenir quelque chose. — Donnez-moi « une assiette. » On la lui tend aussitôt.Le rusé cénobite tire une perdrix ; et la plaçant entre un des ministres et sa femme,il lui dit : «Monsieur le ministre , cette « perdrix , madame votre femme et vous , vous êtes « trois. » 11 se fait donner une seconde assiette, sur laquelle il met une autre perdrix , et la présentant à l'autre ministre : « Monsieur le ministre , lui dit-il « aussi, cette perdrix, madame votre femme et vous, « vous êtes trois. Messieurs, ajouta-t-il en prenant les « deux perdrix qui restaient, et les mettant sur son « assiette , deux perdrix et moi nous sommes tiois : « croyez-moi, allons toujours de trois en trois.» 6.Sertorius étoit en quartier d'hiver à Castulon, ville desCellibériens.Ses soldats, qui se trouvoientdnns un pays fertile, où ils avoient des vivres en abondance , passoient les jours entiers à boire et à s'enivrer, et se jivroient à toutes sortes de débauches. Cette conduits Tome III. G
�98 PRÉSENCE I)' ESPRIT, donnaunsi-grand mépris pom- eux auxBarbares, qu'une nuit ils envoyèrent demander du secours à leurs plus proches voisins, les Grysaeniens; et entrant dans toutes les maisons, ils firent main-Lasse sur les Romains qui s'y trouvèrent. Pendant ce tumulte , Sertorius sortit avec un petit nombre de ses gens : et ralliant ceux qui se sauvoient après lui, il fit le tour de k ville. Il trouva encore ouverte la porte par où les Grvsœniens étoient entrés, et qu'ils avoient laissée sans gardes : il y plaça un corps de troupes; puis, s'étant rendu maître de tous les quartiers , il passa au fil de l'épée tous ceux qui étoient en âge de porteries armes. Après cette exécution sanglante , il commanda à ses soldats de quitter leurs armes et leurs-habits , de prendre ceux des Barbares qu'ils avoient tués , et de le suivre à la ville desGrysaeniens. Les Barbares , trompés par la vue de ces habits et de ces armes qu'ils connoissoient, ouvrirent leurs portes , et sortirent en foule au devant d'eux pour les recevoir , croyant que e étoient leurs gens et leurs voisins qui venoient se réjouir , après avoir heureusement exécuté leur entreprise. Les Romains en tuèrent une grande partie près des portes ; les autres, s'étant rendus à discrétion , furent vendus. 7. Iphicrate , fameux capitaine athénien , marchoit contre les ennemis de sa patrie; remarquant plusieurs de ses soldats qui pàlissoîent de crainte et n'avançoient qu'en tremblant, il fit dire par un héraut : « Si quelqu'un « aoublié quelque chose,qu'ils'enretourne au c.amp;il «reviendra ensuite.»Lespluslàches,charmésdecedélai, s'en retournèrent aussitôt. Iphicrate, les voyant partis : « Allons , dit-il aux autres, laissons aller cette canaille ; « fondons sur l'ennemi ; » et aussitôt il engagea le combat. 8. AgisII, roi de Lacédémone, et fils d'Archidame, avant remporté dans- un combat contre les Argiens un très-grand avantage, les vaincus se rallièrent être vinrent à la charge. On étoit sur le point de s'attaquer de part et. d'autre , lorsque le monarque vit quelques-uns des alliés se troubler : cette crainte pouvoit se communiquer, et devenir dangereuse : « Camarades, leur dit-il, « ayez bon courage ; si nous tremblons, nous qui som% mes vainqueurs , que feront donc ceux que nous
�PRÉSENCE D'ESPRIT. 99 « avons vaincus ? » Ces paroles adroites rassurèrent les esprits ; et les Spartiates achevèrent de moissonner les lauriers qu'ils avoient commencé de cueillir. 9. Le magasin à poudre des Espagnols, commandés par Gonsalve, leur capitaine, sauta, dès les premières charges , à la bataille de Cérignoles. Le général, qui sentit que ce hasard malheureux pouvoit avoir des suites funestes, eutassez de présence d'esprit pour en tirer un augure favorable. « Enfans , dit-il à ses soldats , la vic.« toire est à nous : le Ciel nous annonce , par ce signe « éclatant, que nous n'aurons plus besoin d'artillerie. » La noble assurance dont il accompagna ce discours persuada tous les esprits , et lui fit remporter la victoire. 10. Alexandre-le-Grand avoit résolu de détruire Lampsaque , dont les habitans avoient osé se mesurer avec lui. Mais quand ii fut près de cette ville , il vit venir à lui le philosophe Anaximene , qu'il estimoit beaucoup, parce qu'il l'avoit eu pour maître dans ses études. Ne pouvant douter qu'il ne vînt opposer ses prières à la colère qui le transportait, il jura qu'il ne feroit point ce que lui demanderoit le philosophe. « Seigneur, lui dit aussitôt Anaximene , je demande « que vous détruisiez Lampsaque. » La présence d'esprit de ce savant homme sauva cette illustre cité de la ruine à laquelle elle avoit paru condamnée. 11. Un officier des mousquetaires , à la tête d'une brigade de sa compagnie, étoit à Paris dans une grande place, chargé d'appaiser le soulèvement que la cherté du pain causoit parmi le peuple, en 170g. Il vouloit nettoyer la place des mutins qui la remplissoient; il dit à sa troupe : « Tirez sur la canaille ; mais épargnez les « honnêtes gens. » Ces mots furent entendus de tout le monde. Personne ne voulut être compris dans la canaille ; et la sédition s'appaisa dans le moment. 12. François 1 jouoit à la paume avec un moine trèsadroit à ce jeu. Il arriva que le moine fit un coup de raquette qui décida la partie. «Voilà, dit le roi, un vrai « coup de moine. — Sire, réponditlebonpère, il ne tient « qu'à votre majesté que ce ne soit un coup d'abbé. » Le monarque ne tarda pas à récompenser cette réponseG 2
�lOO
PRESÊNCE D ESPRIT.
13. Le cardinal de Richelieu s'amusoit volontiers à de petits jeux d'exercice, pour se délasser des pénibles travaux de son cabinet. M. de Grammont le surprit un jour que, tout seul en veste, il s'exerçoit à sauter contre un mur.Un courtisan moins délié que lui, eûtété sans doute ■embarrassé de se trouver avec un ministre du caractère deRichelieu, témoin d'une occupation si con traire au sérieux de sa dignité. Mais il s'en tira en homme d'esprit : « Je parie, dit-il au cardinal, que je saute aussi-bien « que votre éminence. » Aussitôt, quittant son habit, il se mit à sauter avec le ministre. Ce trait d'adresse fit sa fortune, et contribua beaucoup à son avancement. i4- Louis XIV, au retour de la chasse, étoit venu dans une espèce d'incognito, voir la comédie italienne, qui sedonnoit au château. Dominique, fameux arlequin de ce théâtre, y jouoit.Mais malgré les talens supérieurs de ce comédien célèbre, la pièce parut insipide. Le roi lui dit en sortant : « Dominique , voilà une mauvaise « pièce.—Dites cela tout bas, je vous prie, interrompit « l'acteur ; car si le roi le savoit, il me congédieroitavec « ma troupe. » Cette réponse , faite sur-le-champ, fit admirer la présence d'esprit de Dominique. 15. La vache d'un paysan fut tuée par le taureau du seigneur de son village. Le pauvre villageois jugea bien qu'il n'en auroit pas aisément satisfaction. Il vint trouver ce seigneur, qui étoit dans une maison de ses amis , et lui dit que sa vache avoit tué son taureau. « La loi veut, s'écria le seigneur, que la vache appar« tienne au maître du taureau qui a été tué. » Le paysan disputa sur cette peine ; mais le seigneur n'en voulut pas démordre. « Monseigneur, lui dit alors le rustique, « il faut tourner la médaille : c'est votre taureau qui a « tué ma vache ; palsangué ! vous vous êtes jugé, vous « n'en rappellerez pas. »Le seigneur futobligé de se con<i former à la sentence qu'il avoit prononcée lui-même. 16. Le roi Dagobert se disposoità monter sur son chai' ou chariot, quand il aperçut un de ces poètes qui faisoient consister le mérite de la poésie à faire des vers sur-le-champ. Le monarque lui promit les deux bœufs attelés à sa voiture ,. si, avant qu'il n'y fût monté , il
�PRÉVOYANCE.
avoit peint en vers Faction qu'il lui voj^oit faire poète dit aussitôt :
Ascendat Dagohert ; veniat bos unus et alter.
C'est-à-dire : « Que Dagobert monte, et que les deux « bœufs me viennent. » Le prince , charmé de cette saillie , tint sur-le-champ sa promesse. 17. Un officier gascon étant à l'armée , parloit assez haut à un de ses camarades. Comme il le quittait, il lui dit d'un ton important : « Je vais dîner chez Vïllars. » Le maréchal deVïllars, setrouvant derrière cet officier, lui dit avec bonté : « A cause de mon rang de général, et « non à cause de moi, dites monsieur de Vïllars. » Le Gascon , qui ne croyoit pas être si près du général, lui répondit sans être étonné : « Cadédis ! on ne dit point « monsieur de César, j'ai cru qu'on ne devoit pas dire «monsieur de Vïllars. » Voyez ADRESSE D'ESPRIT.
PRÉVOYANCE.
1. CE fut à la sage prévoyance de Tliémistocle, que la Gx'èce dut son salut, lorsque Xerxes, suivi de toutes les forces de l'Asie, vint menacer d'un joug odieux cette contrée célèbre. C'en étoit fait de sa liberté, si les Athéniens et lesLacédémoniensn'avoient eu que leurs troupes de terre à opposer au monarque persan. On sentit alors toutle prix desprudentes mesuresde Thémistocle> qui, sous un autre prétexte, avoit fait bâtir cent galères. Tout le monde avoitrégardé la célèbre journée de Marathon comme la fin de la guerre» Thémistocle, au contraire, la regarda comme le signal des plus grands combats, auxquels ildevoitpréparersonpeuple; et dès-lors il songeaàrendre sa patrie supérieure à Lacédémone, qui, depuis long-temps, dominoit sur toute la Grèce. Dans cette vue , il crut devoir tourner toutes les forces d'Athènes^ du côté de la mer, voyant bien que , foible par terre comme elle étoit, elle n'avoit que ce seul moyen de se rendre nécessaire auxalliés, et formidable aux ennemi*». G 3
�102
PBEVOYÂNCE.
Son avis passa malgré les efforts de Miltiade , arrêté sans doute par le peu d'apparence qu'il y avoit qu'un peuple tout neuf aux combats de mer, et qui n'étoit en état d'armer que de petits vaisseaux, pût résister à une puissance aussi redoutable que celle des Perses , qui , avec une flotte de plus de mille vaisseaux, avoient encore une nombreuse armée de terre. Les Athéniens avoient coutume de distribuer entre eux tous les revenus qu'ils tiroient des mines d'argent. Thémistocle eutle courage de proposer aupeuple d'abolir ces distributions, et d'employer cet argent à construire des vaisseaux à trois rangs de rames pour faire la guerre aux Eginètes, contre lesquels il réveilla leur ancienne jalousie. Le peuple ne sacrifie pas volontiers ses intérêts particuliers à l'utilité publique, et n'aime pas à acheter le bien de l'Etat par ses propres pertes. Il le lit pourtant en cette occasion ; et, louché par les vives remontrances de Thémistocle, il consentit que l'argent ui revenoit des mines fût cmplo}ré à bâtir cent galères, ►n doubla ce nombre à l'arrivée de Xerxes ; et ce fut cette flotte qui sauva la Grèce. 2..Arlotto,c\vcé italien, s'embarquantpour un voyage, fut prié par plusieurs de ses amis de leur faire diverses emplettes au pays où il alloit : ils lui en donnèrent des mémoires; mais il n'y en eut qu'un qui s'avisa d'y joindre l'argent nécessaire pour payer ce qu'il demandoit. Le curé employa cet argent de son ami conformément à son mémoire, et n'acheta rien pour les autres. Lorsqu'il fut de retour, ils vinrent tous chez lui pour y recevoir leurs emplettes, et Arlotto leur dit : « Messieurs, lors«; que je fus embarqué, je mis tous vos mémoires sur le « pont de la galère , à dessein de les ranger par ordre , << mais il s'éleva un vent qui les emporta tous dans la « mer, ainsi je n'ai pu me souvenir de ce qu'ils conte« noient. » Cependant, lui dit un d'entre eux , vous avez apporté des étoffes à un tel. « Il estvrai, répliquale « curé ; mais c'est qu'il avoit enveloppé dans son mé« moire un bon nombre de ducats dont le poids empèse cha le vent de l'emporter avec les autres. » 3. Jean V, duc de Bretagne , étoit ennemi mortel
Z
�PRÉVOYANCE.
lo3
d'Olivier de Clisson.Yoy&ntqn'ilnepouvoitnuire à ce guerrier par la force, il eut recours à la trahison et à l'artifice. Il feignit de se réconcilier avec lui ; il l'invita à veniràsacour , et le reçut avec les démonstrations de la plus sincère amitié. Un jour, à la fin d'un repas magnifique qu'il lui avoit donné, il le pria de venir voir un châteauqu'ilfaisoitbàtir. Clisson , trompé par les politesses du duc, et ne se défiant de rien, y consentit volontiers. Lorsqu'ils eurent visité les appartemcns, le prince proposa à Clisson de monter dans la maîtresse - tour du château, lui disant qu'il vouloit savoir ce que pensoit de saforcele plus habile homme du royaume en matière de fortifications. Clisson y monta; mais des gens armés, qui se tenoient en embuscade dans une chambre , se jettent tout-à-coup sur lui, et l'arrêtent. Clisson se défendit comme un lion; mais ses efforts furent inutiles. On le traîna dans une chambre, où les gens du duc lui mirent trois paires de fers aux pieds. Le duc , voyant son ennemi en sa puissance, se hâta de satisfaire son ressentiment. Il appela un de ses plus fidèles officiers , homme sage et prudent, nommé Jean de Bazvalen, et lui ordonna de faire mourir Clisson sur le minuit, le plus secrètement qu'il seroit possible. Bazvalenpromit d'exécuter ses ordres, et se retira. La nuit étant venue, le duc se mit au lit, et s'endormit d'abord ; mais l'inquiétude le réveilla bientôt. L'ordre cruel qu'il avoit donné vint alors se présenter à son esprit, sous la forme la plus effrayante : il fitles plus tristes réflexions sur lé sang de Clisson, et sur les suites qu'auroitsa mort. Dès le point du jour il envoie chercher Bazvalen; il arrive : « Avez-vous exécuté mes ordres ? lui dit précipitam«ment le duc. » L'officier répondit qu'il avoit obéi. « Quoi ! Clisson est mort! reprit le duc. — Oui , mon« sieur , reponditBazvalen ; cette nuit, bientôt après « minuit, il a été noyé ; et j'ai fait mettre le corps en « terre dans un jardin Ah! ah ! s'écria tristement le « prince, veie-cy un pitieux réveille-matin ! Retirezs vous , rnessire Jehan, que je ne vous voie mie plus. » Bazvalen se retira; elle duc commença à se tourmenter dans son lit, et à jeter des cris affreux. Il n'écoutoit
G4
�10rf. PROBITE. personne, et ne voulut ni boire ni manger de tout le jour. Alors Bazvalen, voyant que sa douleur étoit sincère, alla le trouver, et lui avoua qu'il n'avoit point exécuté ses ordres, prévoyant bien qu'il s'en repentjroit. A ces mots , le duc sauta de joie , embrassa son fidèle officier , et loua sa prudence. Quelque temps après il délivra Clisson. Voyez PRUDENCE. PROBITÉ. i. JAMAIS les vues domestiques ne balancèrent, dans l'espritdu célèbre Phocion, celles de l'intérêt public. Il refusa constamment de solliciter et d'agir en faveur de son gendre Chariclès , appelé en justice pour rendre compte des sommes qu'il avoitrecues d'un ennemidela patrie; et il lui dit alors ces belles paroles : « Je t'ai fait « mon gendre, mais pour choses bonnes et honnêtes.» 2. Les Athéniens vouloient forcer Démoslhènes à accuser un citoyen. Jamais ce grand orateur n'y voulut consentir; et voyant que le peuple murmuroit contre lui, il se leva et dit : «Athéniens, je serai toujours prêt « à vous donner des conseils utiles , au risque même de « vous déplaire ; mais jamais pour gagner vos bonnes « grâces , on ne me verra calomnier personne. 3 Le prince de***, charmé de la conduite intrépide d'un grenadier au siège de Philisbourg, en 1734 , lui jeta sa bourse , en lui disant qu'il étoit fâché que la somme qu'elle contenoit ne fût pas plus considérable. Le lendemain, le grenadier vint trouver le prince ; et lui présentant des diamans et quelques autres bijoux : « Mon général, lui dit-il, vous m'avez fait présent de « l'or qui étoit dans votre bourse , et je le garde; mais « vous n'avez sûrement par prétendu me donner ces « diamans , et je vous les rapporte. —Tu les mérites « doublement, répondit le prince , par ta bravoure « et par ta probité. Ils sont à toi. » 4- Claude Péchon, âgé de cinquante-huit ans, pauvre vigneron du village de Mombré-les-Reims , et père de huitenfans, reçutchez lui, le 10 de Mars 1770,un beaufrère nifn-meetà charge à sa famille, qu'ils'étoitengagé
�PRUDENCE.
io5
, de nourrir et loger le reste de sa vie , moyennant une donation d'un hienmodique, évaluéquatre cents livres. Le pensionnaire tombe malade le lendemain 11,meurt le i2,esl enterré le i3. Après l'office célébré, onserend à la cabane du défunt : alors Claude Péchon remet les titres du bien qui lui avoit été donné ; et malgré les remontrances du curé et du notaire, il renonce àladonation,disant: «quepourdeuxjoursqu'ilagardé sonpèn« sionnaire, il ne veut pas avoir , au préjudice de ses « parens , la conscience chargée d'un bien acquis à si « bon marché. » Voyez HONNÊTETÉ, INTÉGRITÉ. PRUDENCE. a. LJES Athéniens et leurs alliés, commandés par Cimon, ayantfait un très-riche butin dans la conquête des villes de Seste et de Byzance, prièrentce grand général d'enfaireleparlage. Cimonm'it d'un côté les prisonniers tout nus, et de l'autre tous leurs ornemenset toute leur dépouille. Les alliés se plaignirent d'abord de ce partage, comme y trouvant trop d'inégalité ; mais le capitaine leur donna le choix. Ils prirent, sans hésiter, les ornemens des Perses, et laissèrent les prisonniers aux Athéniens. Cimon partit donc avecle lot qui étoit resté, passant pour un homme peu entendu à faire des partages ; car les alliés emporloient une quantité de chaînes, de colliers et de bracelets d'or, de riches vêtemens, de beaux manteaux de pourpre; et les Athéniens n'avoient pour leur part que des corps tout nus , et qui étoient peu propres au travail. Mais bientôt .après on vit arriver de la Phrygie et de la Lydie les parens et les amis de ces prisonniers , qui les rachetèrent jusqu'au dernier, avec de grosses sommes d'argent ; de sorte que, des deniers provenant de cette rançon , Cimon eut de quoi entretenir sa flotte quatre mois, et qu'il y eut encore beaucoup d'or de reste pour le trésor public , sans compter ce qui lui en revint à lui-même. 2, Khosrou,roi de Perse, délibéroit dans son conseil sur une affaire de grande importance^ et les visirs pro-
�loS PRUDENCE. posoicnt chacun leur sentiment :1e roi donna son avis, ét 2?o«zo«/-#e//ij7uV,songrand-visir,le suivit.Après le conseiI,onlui demanda pourquoi ilavoitpréfe'rélesentiment du soitverainàcelui de tousles visirsjil répondit: «Lesuc« ces de l'affaire dont i! s'agit esttrès-incertainjetj'ai cru « qu'il étoilplus sagedesuivrele conseilduroi,a(ind'être « à couvert de sa colère,au cas qu'il ne réussisse point.» 3. On ne peut trop admirer la rare prudence avec laquelle Scipion l'Africain se comporta dans une sédition qui s'éleva parmi ses troupes , pendant la guerre qu'il lit en Espagne.Ce grand général ayant été attaqué d'une maladie assez fâcheuse, la nouvelle s'en répandit assez jromptement dans toute la province, et y jeta le trou)le et la confusion. Bientôt le hruit courut que Scipion étoit mort. Les alliés devinrent infidelles, et les soldats séditieux. Les princes espagnols soulevèrent leurs sujets, et portèrent la désolation dans les contrées soumises à la puissance romaine. Près de Sucrone , étoit un corps de huitmilleRomains, qu'on avoit fait camper en ce lieu pour contenir dans le devoir les peuples voisins de l'Ebre. Ces troupes avoient déjà commencé à se mutiner , avant que la nouvelle de la maladie de Scipion se fût répandue. Le long repos avoit insensiblement produit la licence. Accoutumées, pendant la guerre , à vivre au large dans le pays ennemi , elles souffroient avec peine de se voir réduites à l'étroit en temps de paix. D'abord ce n'étoientque des murmures secrets : «S'il y a encore des ennemis dans la provin« ce, disoient ces soldats, pourquoi nous retient-on « dans un x^ays tranquille , où nous languissons dans « une honteuse oisiveté ? Si la guerre est terminée , « pourquoi ne nous fait-on pas repasser en Italie ? » La nouvelle de la maladie dé Scipion, suivie de près du bruitde samort,augmenla infiniment cettemauvaisedisposition.Les séditieux demandèrent leursoldeavec.plus de hauteur et de fierté qu'il ne convenoit à des soldats bien disciplinés. Dans les corps-de-garde, on porta l'insolence j usqu'à dire des injures aux tribuns qui faisoient la ronde : plusieurs allèrent piller,pendant la nuit, les villages voisins, dont les habi tans étoicntdu nombre des, alliés. En plein jour, et tout ouvertement, ils abandon*
I
�PRUDENCE.
107
noient leurs drapeaux, et s'en alloientoù ils jugeoient à propos, sans demander congé à leurs officiers. Ils en vinrent mêmejusqu'à les chasser du camp d'une voixunanime, et déférèrent le commandement à deux simples soldats,auteurs de la sédition.Cesdeuxmsolenseurenll'impudence de prendre les marques du souverainpouvoir, ctde faire porterdevant enxles haches et les faisceaux. Les séditieux attendoient, de moment en moment, des courriers qui leur apprissent les funérailles de Scipion; mais, plusieurs jours s'étant passés sans que le bruit de sa mort se confirmât, alors on commença à en rechercher les premiers auteurs;chacun s'en défendoit, et aimoit mieuxparoitre avoir cru trop légèrement une pareille nouvelle , que l'avoir inventée. Dans cette cir^ constance, les chefs du soulèvement ne se voyant plus soutenus avec la même chaleur, commencèrent à envisager avec frayeur les faisceaux qu'ils avoient usurpés , et à redouter les effets d'une puissance légitime. La sédition étoitdéjàun peu ralentie, lorsqu'on apprit par des courriers sûrs etfidelles,premièrementqueiS'<:ipioji vivoit, et ensuite qu'il étoit absolument hors de danger. Bientôt après, sept tribuns légionnaires , envoyés par le général même, arrivèrent dansle camp.La vue de ces officiers aigritd'abord les esprits -, mais leurs manières douces et familières, accompagnées d'un air de bonté, firent bientôt rentrer tout le monde dans le calme. Se mêlant dans les cercles où ils voyoient plusieurs soldats s'entretenir ensemble,ilsprenoientpartà la conversation;et, sans leur faire aucun reproche sur leurconduitepassée,ilsparoissoient seulement curieux d'apprendreeequipouvoit causer leurmécontentement et leurs alarmes.Les soldatsse plaignoientsur-tout que, malgré les services qu'ils avoient rendus , on ne leur avoit point payé leur solde aux jours marqués. Les tribuns répondirent que ces plaintes étoient légitimes , et qu'ils ne manqueraient pas d'en avertir le général. Scipionn'c toit point embarrassé, quand il s'agissoit de faire la guerre ; c'étoit son métier : mais, n'ayant point encore éprouvé de sédition, celle-ci Finquiétoit.II craignoit,dela part desonarmée, des excèsquinelui permissent plus d'user de clémence. Ilcraignoit lui-même
�"[Oo"
V R
tJ
D E N C E.
d'outrer la sévérité. Il résolu t enfin de n'écouter que la prudence et. la modération.Pour cet effet, il envoya dans les villes tributaires ceux quiétoientchargés de leverles deniers de la république;et cette démarche fit espérer aux soldats qu'ils toucheroient, incessamment la somme qui leur étoit due. Quelques jours après,il publia une ordonnance qui leur enjoignoit de veniràCarthagène, pour recevoir leur paie,séparémentparcompagnies, ou tous ensemble, s'ilsl'aimoientmieux.La sédition étoit déjà bien affoiblie ; mais quand on sutque ceux des Espagnols qui s'étoient soulevés,rentroientdanslecalme, elle fut tout-à-fait éteinte ; carMandonius etlndibilis, princes espagnols , n'avoient pas plutôt appris que Se/pion jouissoit d'une parfaite santé, qu'abandonnant leur entreprise , ils étoient retournés dans leur pays. Ainsi, il n'y avoit plus ni citoyen, ni étranger, que les soldats de Sucrone pussent associer àleurrévolte. Après bien des réflexions, ils prirent l'unique parti qui se présentoit à eux : c'étoit de remettre leur sort entre les mains de leur général. Ils se représentoient qu'il avoit bien pardonné à des ennemis vaincus par la force des armes ; que, dans leur sédition, il n'y avoit pas eu une épée tirée,pas une goutte de sang répandue. Ils étoient seulement en doute s'ils iroient chercher leur solde tous ensemble, ou en différentes bandes. Ils prirent le parti qui leur parutleplus sûr : c'étoit de ne se point séparer. Scipion, de son côté, délibérait sur la conduite qu'il devoit tenir à leur égard. Son conseil étoit partagé en deux sentimens. Les uns vouloient que l'on se bornât au supplice des chefs , au nombre d'environ trentecinq ; les autres croyoient qu'une sédition si criminelle demandoit une punition plus générale. L'avis le plus doux prévalut. Au sortit du conseil, on avertit les soldats, qui étoient à Carthagène, de se tenir prêts à marcher contre les Espagnols révoltés , et de se munir de vivres pour plusieurs jours. On vouloit donner lieu de croire que c'étoit sur cette expédition qu'on venoit de délibérer. Quand les séditieux approchèrent de Carthagène, ils apprirent qu e le lendemain toutes les troupes que Scipion avoit dans cette ville, dévoient partir sous la conduite de Silanus. Cette nouvelle leur causa
�PRtroKNCs. 109 beaucoup de joie : ils s'imaginoient avec plaisir que leur général alloitrester seul avec eux, et qu'ils seroient plutôt en état de donner la loi, que de la recevoir. Ils entrèrent dans la ville vers le coucher du soleil , et virent les troupes de Carthagène qui faisoient tous les préparatifs de leur départ. Pendant la nuit, ceux sur qui l'on vb ni oit faire tomber la punition, furent arrêtés. On avoit pris de bonnes mesures pour se saisir d'eux sans bruit. Vers la fin de la nuit, les bagages de l'armée que l'on feignoit de faire partir, commencèrent à se mettre en marche. A la pointe du jour, les troupes s'avancèrent jusques hors de la ville, mais s'arrêtèrent à la porte ; et l'on mit des gardes à toutes les autres portes , pour empêcher que qui que ce fût ne sortît. Après ces précautions , ceux qui étoient arrivés la veille vinrent à l'assemblée, où ils étoient appelés ; et par l'air de fierté et d'arrogance qu'ils atfectoient, on eût dit qu'ils alloient donner de la terreur à leur général, loin de rien craindre de sa part. Alors Scipion monta sur son tribunal ; et en même temps, les troupes qu'on avoit fait sortir de la ville en armes , étant rentrées , se répandirent autour des soldats qui étoient venus à l'assemblée sans armes, suivant l'usage. Dans ce moment toute leur fierté les abandonna. Ce qui les effraya davantage , fut la vigueur et l'embonpoint de Scipion, qu'ils s'étoient attendus de trouver abattu d'une longue maladie , et les plus audacieux tremblèrent en voyant le feu de ses yeux et la tranquille sévérité de son visage. Il demeura quelque temps assis , sans rien dire , jusqu'à ce qu'on vînt l'avertir que les auteurs de la sédition avoient été conduits dans la place publique, et que tout étoit prêt. Alors, ayantfait faire silence par le hérau t, il prit la parole avec cette éloquence vive et mâle qui accable, qui anéantit le coupable : «Quel nom vous donnerai-je ? dit-il aux séditieux. Vous appellerai-je citoyens ? vous vous êtes révoltés contre votre patrie. Soldats ? vous avez secoué le joug de la discipline militaire.Ennemis ? l'extérieur, les visages , l'habillement annoncent des citoyens : les actions, les discours, les complots me montrent en vous des ennemis.... Après ayoir chassé les Carthaginois de
�110
PRUDENCE.
l'Espagne , je ne m'imaginois pas , vu la conduite que j'avois tenue, qu'il y evït dans tou te la province un seul lieu où ma vie fût odieuse, un seul homme qui souhaitât ma mort...Dans mon armée , dans mon camp , mes soldats ont appris avec joie le bruit de ma mort ; ils en ont attendu la confirmation avec empressement.... Je suppose que je n'aie pas mérité, comme je le croyois, votre attachement et votre fidélité ; hélas ! que vous avoit fait la patrie que vous trahissez, en vous unissant avec les Espagnols révoltés ?... Quel étoit le but de votre entreprise ? Espériez-vous ôter au peuple romain la possession de l'Espagne , et vous en rendre maîtres ? Insensés ! vous aviez donc oublié que la république , qui a triomphé de tant de nations, pouvoit aussi triompher de vos perfides efforts ?... Mais que tout le passé demeure enseveli, s'il se peut, dans un éternel oubli, et que la punition des scélérats qui vous ont portés à ce crime, vous serve à l'avenir d'expiation et d'exemple.» A peine Scipion eut-il cessé déparier, qu'on présenta de concert aux yeux et aux oreilles des coupables, tout ce qui pouvoi tporter la terreur dans leurs ames .Les soldats de l'autre armée, qui s'étoient répandus autour de l'assemblée , commencèrent à frapper de leurs épées sur leurs boucliers; et, dans le même moment, on entendit la voix du héraut qui citoit ceux qu'on avoit condamnés dans le conseil. Après les avoir dépouillés de leurs habits, onles traîna aumilieudelaplace ; et,sur-le-champ, onfitparoîtrelesinstrumensdeleur supplice. Pendant qu'on les attacha au poteau, qu'on les battit de verges, et qu'on leur tranchala tête, leurs complices demeurèrent immobiles, et tellement saisis de crainte, qu'il ne leur échappa aucune plainte, ni même aucun gémissement. 4- Zénis, Dardanien , avoit gouverné l'Eolie sous l'autorité du satrape Pharnabaze; et, comme après sa mort on vouloit donner cette province à un autre, Mania,s& veuve, vint trouver Pharnabaze avec des troupes et des présens, et lui dit qu'étant veuve d'unhomme qui lui avoit rendu de grands services, elleleprioitdene lui point ôter les récompenses de son mari, qu'elle le serviroitaveclemêmezèleet la même obéissance; et que, si
�PRUDENCE.
111
elley manquoit', il lui seroitloujourslibredeladépouil1er de son gouverne2nent. Elle le conserva donc, et s'y conduisit avec toute la sagesse et toute l'habileté qu'on aurait pu attendre de l'homme le plus consommé dans l'art de commander. Aux tributs ordinaires qu'avoit payés son mari, elle ajoutoit des présens d'une magnificence extraordinaire ; et lorsque Pharnabaze venoit dans sa province, elle le traitoit plus splendidement que ne f'aisoient. tons les autres gouverneurs. Elle ne se contenta pas de conserver les places qu'on avoit commises à sa garde ; elle en conquit de nouvelles , et prit, sur la côte de Larisse, Leuxite et Colonne. On voit ici que la prudence , le bon esprit et le courage sont de tout sexe. Mania se Irouvoit présente à tout, montée sur un char , et prononcoit elle-même sur les peines et sur les récompenses. 11 n'y avoit point, dans les provinces voisines , de pins belle armée que la sienne ; et elle tenoit à sa solde un grand nombre de soldats grecs. Elle accompagnoit même Pharnabaze dans toutes ses entreprises, et ne lui étoit pas d'un médiocre secours : aussi ce satrape , qui connoissoit tout le prix d'un si rare mérite, faisoit à cette dame plus d'honneur qu'à tous les autres gouverneurs ; il lui donnoit même entrée dans son conseil; et il la traitoit avec une distinction capable d'exciter la jalousie, si la modestie et la douceur de cette héroïne n'eussent tempéré l'éclat de ses vertus. 5. Cotis , roi de Thrace , étoit extrêmement vif et colère, et punissoit avec sévérité les moindresfautes.Un étranger lui ayant apporté de très-beaux vases, admirablement bien ciselés, ettravaillésavecun artinfmi, mais très-fragiles, Cotis les reçut, et fit un riche présent à cet homme. Ensuite il brisa tous ces effets précieux, disant qu'il ne vouloitpas s'exposer à punir ceuxquiles casseraient. Le sage seconnoît lui-même, et prévient, par sa pru dence .1 es fautes où ses passions pourraient l'engager. 6. Iphierate, général athénien, étant un jour campé sur les terres de ses alliés , ne laissoit pas de fortifier son camp d'un fossé et d'une palissade , comme s'il eût été en pays ennemi. « A quoi bon tant de soins , « lui dit quelqu'un ? que craignez-vous ? — Quand on. « ne voit rien à craindre , répondit le prudent capi-
�112
PUDEUR.
« c'est alors qu'on doit craindre le pins. Lorsqu'un « malheur imprévu est arrivé , il est honteux pour un « général d'être obligé de dire : Je n'y avoispaspensé. » Après avoir vaincu et mis en fuite les Lacédémoniens , il les poursuivit jusques dans un défilé trèsétroit, dont ils ne pouvoient plus sortir , à moins qu'ils ne s'ouvrissent un passage à travers son armée. Iphicrate sachant que le désespoir donne du coeur aux plus lâches, s'arrêta, et dit : « Ne forçons pas nos en« nemis à devenir braves. » Il les laissa échapper, et ne voulut point risquer de perdre le fruitde sa victoire, en combattant contre des gens qui n'avoient plus rien à perdre. Voyez PRÉVOYANCE , SAGESSE.
PUDEUR.
i. ON demandoit à Pythias , fille à'Aristote , quelle étoit la couleur qui lui plaisoit davantage ? « C'est, « répondit-elle , celle dont la pudeur orne le visage « d'une fille vertueuse. » 2. Cyane, fille de Syracuse , vengea d'une manière terrible l'outrage que son père , aveuglé par l'ivresse, avoit fait à sa pudeur. Apres cet attentat, une affreuse peste ravagea Syracuse. L'oracle consulté répondit qu'il falloit sacrifier le coupable, mais personne ne le connoissoit. Alors Cyane prenant son père par les cheveux, le traîne à l'autel, l'égorge comme une victime , et, sur son corps sanglant, s'égorge elle-même. 3. Chez les Romains, un fils en âge de puberté ne se trouvoitjamais aux bainsavec son père, ni un gendre avec on beau-père. On regardoit cette loi de modestie et de s etenue, comme inspirée parla nature : la violer étoit un r rime. « Il est étonnant que parmi nous, dit M. Rollin, c « la police n'empêche pointée désordre,quirègne impu<i nément au milieu de Paris, dans le temps des bains; « désordre si visiblement contraire aux règles de l'hon« nêleté publiqueet de lapudeur,si dangereux pour les « jeunes personnes de l'un et de l'autre sexe, et si for« tement condamné parle paganisme même ! » Voyez
CHASTETÉ , HONTE , RESPECT HUMAIN , ROUGEUR.
RAILLERIE
�RAILLERIE
RAILLERIE.
ll3
i. ARISTOPHANE , pour satisfaire la haine qu'il portoit aSocrate, composa contre ce grand homme une pièce qu'il intitula les Nuées. 11 introduit sur la scène le philosophe perché dans un panier, et guindé au milieu des airs et des nuées, d'où il débite les maximes, ou plutôt les subtilités les plus ridicules. Un débiteur fort âgé , qui désire se dérober aux vives poursuites de ses créanciers,vientletrouverpour apprendre de lui Part détromper en justice ses parties,de leurprouverpar des raisons sans réplique, qu'il ne leur doit rien 5 en un mot, de faire une bonne cause d'une mauvaise affaire. Mais, se sentant incapable de profiter des sublimes leçons desoii nouveau maître, il lui amène sonfils à sa place. Ce jeune homme, fort peu de temps après, sort de cette savante école , si bien instruit, qu'à la première rencontre il bat son père, et lui prouve, par des argumens subtils, mais invincibles, qu'il a raison d'en user de la sorte. Dans toutes les scènes où paroît Socrate, le poète lui fait dire mille impertinences, mille impiétés contre les dieux , et sur- tout eontre Jupiter. Il le fait parler comme un homme plein de vanité, d'estime pour soimême , de mépris pour les autres , qui veut', par une curiosité criminelle, pénétrer ce qui se passe dans les cieux, et sonder ce qui est dans les abîmes de la terre; qui se vante d'avoir des moyens de faire toujours triompher l'injustice, etquine secontentepas de garder pour lui ces fecrets dangereux , mais qui les enseigne aux autres, et par-là corrompt la jeunesse. Tous ces traits satiriques sont accompagnés d'une finesse de raillerie et d'un sel qui ne pouvoient manquer de plaire infiniment à un peuple d'un goût aussi délicat qu'étoit celui d'Athènes , et naturellement ennemi de tout mérite qui excelloit au-dessus des autres. Aussi les Athéniens en furent si charmés , que sans attendre que la représen tation fût finie, ils ordonn èrent que le nom à'Aristophane seroit écritau-dessusdes noms de tous ses rivaux. Tome III. H
�114
RÀÎLLERï E."
Socrate, qui avoitsu qu'on devoitlejouer sur le théâtre , se trouva ce jour-là à la comédie, contre son ordinaire ; car il n'aimoit pas cette sorte de spectacle, où Ton déchiroit impitoyablement la réputation de ses concitoyens. Il assista à celui-ci sans s'émouvoir et sans marquer le moindre mécontentement ; et quelques étrangers étant en peine de savoir qui étoit ce Socrate dont on parloit dans toute la pièce, il se leva de sa place, et se laissa voir tant que l'action dura. Quelques-uns de ses voisins lui dirent : «05ocrafe/n'êtes-vouspas indice gné des brocards sanglans qu'on vous lance ?—-Nulle« ment, répondit-il; le théâtreme paroîtêtreun grand « festin où je suis raillé par les convives, et j'entends « raillerie. » La seule vengeance qu'il tira des froides plaisanteries à'Aristophane , fut de les mépriser sans colère , ou plutôt d'en rire le premier. 2. Un orateur égayoit toujours ses discours de plaisanteries et de bons mots : il paroissoit n'avoir d'autre Bût que de réjouir les juges. «Ne craignez-vous point, « lui dit Plistarque , roi de Lacédémone , qu'après « avoir bien ri de vos bons mots , on ne rie enfin de « vous ? Celui qui cherche tant à faire rire les autres, « devient tôt ou tard ridicule lui-même. » S.Lamèred'^Ze^aTzrfre-Ze-GT-an^raillafinementson fils, lorsqu'elle appritqu'il se faisoit adorercomme dieu, et qu'il se disoit fils de Jupiter : «Je vous conjure, lui « écrivit-elle, de ne me point brouiller avec Junon. » 4- On nous pardonnera de rapporter sous ce titre , le fameux mémoire satirique du philosophe Crates ; fiction ingénieuse qui fait voir la folie des hommes qui font volontiers de grandes dépenses pour des choses nuisibles et honteuses , et croient toujours payer trop cher les choses nécessaires et utiles. liv. s. d. .« Pour le cuisinier , dix mines 4°° « Pour le médecin , une drachme 8 , « Pour le flatteur , dix talens 5o,ooo « Pour l'ami fidelle , de la fumée « Pour la courtisane , un talent 2,400 « Pour le philosophe , trois oboles 2....9. 5. Hérode le sophiste étoit si affligé delaniort deRé-
�ftÀitLËRtti iig gille Son épouse, qu'il avoit fait tendre en noir toute sa maison. Lucius, son ami, avoit en vain essayé de modérer sa douleur. Voyant un jour des enfans quilavoient des raves blanches à une fontaine, il leur démanda pour qui ces racines étoientdestinées? « C'est pour Uérodej d lui répondirent-ils»—Jen'encroisrien,reprit.L«cz«.y t « comment Hérodepeiit-il se résoudre à manger cesra^ « ves qui sont blanches, lui qui ne veut chez lui que du « noir ? » Ilérode apprit cette raillerie ; et, malgré sa froideur, elle fit plus d'effet sur lui, que les plus sages remontrances. Il éloigna cet appareil lugubre , crav* gnant de devenir bientôt la fable de toute la ville. 6. Un homme de lettres se vantoit, en présence d'une dame qui vouloit passer pour femme d'esprit, dédire sur-le-champ de quel poète et dans quel ouvrage seroit tel ou tel vers qu'il plairoit à chaque personne de la compagnie de citer. La dame voulant l'embarrasser , imagina d'en faire un , et de lui demander , s'il en connoissoit l'auteur : « Assurément , répondit^il ; il « est de la Chercheuse d'Esprit. » Il faisoit allusion à une pièce de théâtre donnée sous ce titre. 7. Le prince de Cvndé voulant se railler d'une per^ sonne qui > pour se donner des airs de qualité, disoit, monsieur mon père, madame ma nièr.ë, dit en sa présence : « Monsieur mon écuyer, allez dire à monsieur « mon cocher qu'il mette messieurs mes chevaux à « monsieur mon carrosse. » 8. Le prince Henri-Jules de Condé,rongé de vapeurs, se faisoit lire les viesde Plutarque par un de ses valets-* de-chambre, et n'en étoit pas plus tranquille. « Pour« quoi aussi, monseigneur, lui dit le lecteur, vous oc-* « cupez-vous d'histoires qui ne parlent que de massa« cres, de batailles, de destructions de peuples ? Tout « cela vous noircit l'imagination Lis-moi donc , re« prit le prince , la vie du maréchal de***. » Il venoit d'être décoré de cette dignité par faveur. g. Jeanne de Bourbon, abbesse de Fontevrault, fille naturelle de Henri IV, venoit de perdre un procès à la grand'chambre. Elle alla trouver le premier président Molé, pour se plaindre à ce magistrat, qui lui répondit H 2
�llo
RAILLERIE*
en riant- « Ignorez-vous, lui dit laprincesse irritée, que « jesuisdusangde France ?—Eh ! oui,madame, répondit «. Molé, je sais que vous en êtes, et du plus chaud. » 10. Un de ces courtisans ambitieux qui veulent faire les personnages d'importance, dit un jour, en présence d'un grand seigneur : « J'étois hier au coucher du roi, « qui me raconta une nouvelle bien surprenante.—Moi, « dit le seigneur, j'étois hier au sermon du père Bour« daloue, qui me dit de fort belles choses. » 11. Galba, jurisconsulte célèbre, étoit bossu; et l'on disoit de ce Romain que son esprit étoit fort mal logé. Un jour qu'il plaidoit devant César, il répétoit souvent: « Redressez-moi, César, si je me trompe en quelque « chose.—Je puis vous avertir et vous reprendre , lui f! dit César, mais non pas vous redresser. » Orbilius de Bénévent, fameux grammairien , parut en justice pour rendre témoignage contre un coupable. Quoiqu'il fût très-connu de Galba, cependant ce jurisconsulte lui demanda, pour se moquer de lui, quelle .<< étoit sa profession? « Ma profession,répondit Orbi« lius , est de frotter les bossus au soleil. » 12. Le duc de Ventadour passoitun acte avecungentilhomme fort mince, qui prit la qualité de très-haut et très-puissantseigneur: leducn'enpritaucunedenotaire en étant surpris : « Quels titres voulez-vous donc que je «me donne? dit-il: monsicurne les a-t-ilpas tous pris ? » 13. Après l'affaire deLeuze , où. les gardes du roi se signalèrent par des exploits inouis, quelques-uns d'entre eux, la plupart Gascons, détailloient avec complaisance leurs actions etleursprouesses.L'undisoit : J'ai tué vingt hommes à ma part. L'autre disoit : J'en ai tué autant, et j'aifait prisonniers deux officiers généraux.Untroisième ajouta qu'il avoit enfoncé , lui cinquième, deux ou trois escadrons, et qu i! en avoit rapporté tous les drapeaux. « Et vous, » dit-on à un gentilhomme gascon de riche taille , de beaucoup d'esprit, et d'une valeur de sang froid, « vous ne di tes rien : qu'avez-vous f ait dans cette « grande et mémorable journée ?— Hélas! messieurs , «répondit-il, j'y ai été tué. » i<4- Lemaréchal deS*** venoitdeprendrepossession de G**. Il avoit déjà reçu à ce sujet les complimens de
�RAILLERIE.
llf
toute la noblesse. Un corps de magistrats du voisinage vint aussi pour le haranguer. Celui qui devoit porter la parole avoit préparé son discours, et avoit même recueilli par avance les suffrages de tous ses confrères. Il arrive gravement devant le maréchal, qui, vêtu à la polonaise , étoit entre deux dames richement mises , et d'unebeauté éclatante. A cet aspecl.,l'orateurperdittoutà-coup la mémoire, et, de toute sa harangue ne put retenirqueceseulmot:iVIonje?'^neM/'.FatiguéesdeFentendre, les deux dames ne purent retenir plus long-temps l'envie de rire qui les pressoit; elles éclatent, et toute la suitedumaréchalles imite, tandis que le pauvre harangueur se tourmentoitpour retrouver, KVaidedixmonseigneur qui ne sortoitpointde sa bouche, leiil de son compliment. Les damescependantsetenoient les côtés;alors le maréchal se tournant vers elles : «Eh ! de quoi riez« vous donc, mesdames ? leur dit-il. Monsieur le ma« gistrat s'essaie, et n'a point encore parlé. » 15. Un babillard , qui avoit l'honneur d'entretenir Aristote, voyant que ce philosophe ne répondoit rien : « Je vous incommode peut-être, lui dit-il : cesbagatelles « vousdétournentdequelquespenséesplussérieuses.— « Non, vous pouvez continuer; je n'écoute pas. » 16. Les chanoines de Chartres ayant perdu leur procès contre leur évêque , par le crédit de madame de Maintenon , l'un d'entre eux dit : « Comment « aurions-nous gagné ? Nous avions contre nous le « roi , la dame et le valet. » 17. Le cavà'mû Mazarin, sur le point de mourir, voulant cacher l'extrémité de son mal, se mit du rouge, et passa sur son balcon pour voir essayer des chevaux. A l'aspect de son éminence, l'ambassadeur d'Espagne ne put s'empêcher de rire, en disant : « Voilà un portrait « qui ne ressemble pas mal au cardinal Mazarin. » 18. La veille d'une bataille, un officier vint demander au maréchal de Toiras la permission d'aller voir son père, qui étoit à l'extrémité,pour lui rendre ses soins et recevoir sa bénédiction. « Allez, lui dit ce général, qui « démêla fort aisément la cause de cette retraite : Tes « père et mère honoreras, Afin que tu vives longue« ment. » Voyez PLAISANTERIE. H 3
�n8
RAISONNEMENT.
%XV^V\\V\\\VXXV\\X\XX%\-V\VVX'VX-VV'V-VX-V'V'\XX\\*tVXX,VV^.X'%.-VVVXV\'l.-t'tV'%.X'V\\'lXX%\'V
RAISONNEMENT. f.. I_JE rhéteur Corax, qui le premier établit une école d'éloquence à Sjrracusé, convint avec Lisias, lJun de ses disciples, qu'il ne le payeroitque lorsqu'il seroiI parfaitement instruit dans l'art de parler. Quand Lisias eut achevé ses études, et qu'ileut acquis une entière connoissance de la rhétorique, il refusa lepayementdont il étoit convenu, et Corax fut obligé de le citer en justice. Le disciple s'en embarrassoit fort peu; il disoit, en badinant, à ses amis : « Si je persuade aux juges que je ne « dois rien, ma cause est gagnée; si je ne le persuade « pas , elle est encore gagnée, puisque mon maître ne « m'aura pas bien instruit dans l'art de persuader. » Mais Corax, retournant la proposition, raisonnoitbien autrement : « Si Lisias ne persuade pas ses juges , il « perd sa cause; et s'il les persuade, il la perd encore, « puisque ce sera une preuve que je l'ai bien instruit.» 2. Platon voyant que le philosophe Eschine étoit méprisé à la cour de Denys-le- Jeune, tyran de Syracuse, demanda à ce prince un entretien secret; etl'ayantob±enu, il lui parla de la sorte : « Si quelqu'un étoit venu « en Sicile dans l'intention de vous faire du mal, etqu'il « n'en eût point fait, faute d'occasion,ne puniriez-vous « pas sa mauvaise volonté ?—Sans dou te.—Par la même « raison, siquelqu'un étoit venu pour vous rendre ser« vice, mais qu'il n'en eût pas encore trouvé les moyens, « vous trouveriez que son zèle seul est digne de récom« pense ? — Assurément. — Eh bien ! voilà le cas où « est aujourd'hui le philosophe Eschine; il a passé les « merspourvous communiquersascience et ses lumiè« res ; cependant jusqu'ici qu'avez-vous fait en sa fa^ « veur?» ZJewy.îadmiralagénérosité dePZafon, et reçut avec les plus grands honneurs le philosophe Eschine. 3. Un homme riche, adonné au luxe et à la mollesse, cherchoit à s'excuser, en disant qu'il avoit'le moyen de subvenir à toutes ces dépenses , et qu'après tout, il foltok tùen, faire visage des présens de la fortune, « Si
�RAISONNEMENT.
1IQ
« votre cuisinier, lui dit Zenon, vous servoit un mets» « trop salé, vous lui en feriez des reproches ; mais s'il « vous disoit : Monsieur, j'ai une bonne provision de « sel, il faut bien l'employer ; que répondriez-vous ? » l^.Alamondare,\e plu s puissant des rois sarasins s uj ets delaPerse,s'étoitfaitinstruir,e des principes du christianisme , et ayant trouvé cette religion plus raisonnable que celle de ses pères, il avoit reçu je baptême. Sévère,. que la faction d'Eutichès avoit placé sur le siège d'Antioche, se lit un point d'honneur d'entraîner dans l'hérésie un guerrier dont le nom faisoit trembler la Syrie et la Phénicie. Il lui envoya deux évêques pour lui inspirer les erreurs d'Eutichès,doï\t la principale consistoit a ne reconnoitre en Jésus-Christ qu'une seule nature, la nature divine, à laquelle dévoient s'attribuer lanaissance, les souffrances et la mort de Dieu. Le Sarasin , après les avoir écoutés , leur promit de se décider le lendemain. Pendant la seconde entrevue , un de ses, officiers étant venu lui dire un mot à l'oreille, il feignit de tomber tout-à-coup dans une profonde tristesse; et comme les prélats lui en demandoient respectueusement la cause : « Hélas ! leur dit-il , j'apprends que « l'archange Michel vient de mourir. ?~> Les prélats lui représentant, pour le consoler, qu'on le trompoit, et qu'un ange étoit immortel de sa nature : « Eh quoi ! « leur répliqua-.t-il, vous voulez bienxne persuader « que la nature divine à subi la mort ! » Cette brusque réfutation, appuyée d'un regard et d'un ton militaire , déconcerta les deux convertisseurs. Ils prirent snr-lechamp congé d'un prince aussi expéditifdanslesdiscussions théologiques, que dans ses incursions guerrières. 5.Un vendeur de pots de terre se présenta hSchahroch, un des fils de Tamerlan, et lui demanda s'il ne tenoîtpas pour véritable la doctrine de la religion mahométane , qui enseigne que tous les musulmans sontfrères? « Oui, « sans doute. — Or, s'il est vrai que nous sommes tous« frères, n'est-ce pas une injustice que vous ayez un si ,« grand trésor, tandis que moi, votre frère, je suis dans « le besoin d'une pauvre maille ? Donnez-moi au moins -« la portion qui me touche, en qualité de frère. » Le
�i20
RECONNOISSANCË.
prince lui fit donner une pièce de monnaie d'argent de la valeur d'environ trois sous. Mais il n'en fut pas content, etil dit:«Quoi ! d'un si grand trésor il ne me revientqne « cette petite portion ? » Schahroch le renvoya , et lui « dit : Retire-toi, et ne parle à personne de ce que je « t'ai donné ; ma portion ne seroit pas si considérable, «si tous nos autres frères me demandoient la leur. » d.Socrate voyant qu'Alcibiade, son disciple, n'osoit se produire en public , et que sa timidité l'empêchoit déparier devantle peuple, l'eneourageapar cette induction : « Vous ne trouvez pas qu'un cordonnier soit un « homme bien propre à imposer du respect?—Non.— « Un crieur public , un charpentier , ne sont pas des « gens bien redoutables ? — Non. — Un boucher, un « maçon , enfin , tous ces artisans sans lettres qui se « trouvent dans les assemblées, ne sontguère capables « de nous déconcerter ? — Non. — Eh bien ! voilà les « gens qui composent le peuple d'Athènes. Vous les « méprisez chacun en particulier ; pourquoi donc les « craignez-vous quand ils sont rassemblés ? » Un homme se plaignoit de la fatigue d'un long voyage qu'il avoit fait à pied. Socrate lui demanda : « Votre « esclave a-t-il pu vous suivre? — Oui. — Portoit-il « quelque chose ? — Il étoit chargé d'un gros paquet. « — Se plaint-il de la fatigue ? — Non ; je l'ai en« voyé , en arrivant, faire une commission dans la « ville. — Vous avez sur votre esclave les avantages « de la fortune : il a sur vous ceux de la nature ; vous « êtes riche et libre, mais foible , mou et languissant: « il est pauvre et esclave, mais sain, robuste et vigou« reux. Décidez lequel est le plus heureux. » RECONNOISSANCE. i. kjv'LOSON , frère de Polycrate , tyran de Samos , avoit fait autrefois présent à Darius, fils à'IJystaspes, d'un habit de couleur rouge, dont celui-ci témoignoit avoir beaucoup d'envie, etn'avoit jamais voulu recervoirle prix- Darius étoit pour lors unsimplc particulier,
Q
�121 officier dans les gardes de Cambyse, qu'il avoit suivi à Memphis en Egypte. Quand il fut monté sur le trône, Syloson alla à Suze, se présenta à la porte du palais , et se fit annoncer comme un Grec à qui le roi avait obligation. Darius, surpris de cette annonce, et curieux d'en approfondir la vérité, le fit entrer. Le monarque reconnut en effet que c'étoitson bienfaiteur; et loin de rougir d'une aventure qui paroissoit ne lui être pas fort honorable, il loua avec admiration une générosité qui n'avoit eu d'autre motif que celui de faire plaisir à un homme de qu'il n'avoit rien à attendre , et lui promit de lui donner beaucoup d'or et d'argent. Ce n'étoit point ce que Syloson désiroit ; l'amour de la patrie étoit sa passion. 11 supplia le roi de l'y rétablir, mais sans répandre le sang des citoyens, et en chassant seulement de Samos celui qui en avoit usurpé la domination depuis la mort de son frère. Darius chargea de cette expédition Otane, l'un de premiers seigneurs de sa cour, qui s'en acquitta avec joie et avec succès. 2. Athènes ayant recouvré sa liberté parla prudence et le courage à:Harmodiuse\à.'Aristogiton, tous les citoyens s'empressèrentde témoignerleur vive reconnoissance à ces généreux libérateurs. On leur érigea sur-lechamp des statues dans la place publique; honneur qui jusques-là n'avoit encore été rendu à personne. Ayant appris,plusieurs années après,que lapetite-lille d'Aristogiton étoit à Lemnos, où elle vivoit dans un état malheureux, sans pouvoir se marier, à cause de son extrême misère, ils la firent venir à Athènes; et lui donnant pour époux un des plus riches citoyens de la ville, ils lui assignèrent pour dot une terre dans le bourg de Potamos. 3. La gloire qu'on a donnée aux Egyptiens d'être les plus reconnôissans de tous les hommes, fait voir qu'ils étoient les plus sociables. Les bienfaits sont le lien de la concorde publique et particulière. Qui reconnoît les grâces, aime à en faire ; et enbannissantl'ingratitude, le plaisir de faire du bien demeure si pur, qu'il n'y a plus moyen d'y être insensible. C'étoit sur- tout à l'égard de leurs roisqueles Egyptiens se piquoicnt de retour. Ilsles * honoroient,pendant leur vie, comme les images vivantes
RECONNOISSANCE.
�122
RECONNOISSANCE.
de la divinité ; ils les pleuroient, après leur mort , comme les pères communs des peuples. Le deuil étoit général; et chaque citoyen ressentoitla perte publique aussi vivemenl que si elle n'eût touché que lui seul. 4- Les Carthaginois étoient une colonie de Tyriens. Jamais ils n'oublièrent leur origine; et leur reconnoissance pour leur ancienne patrie fut toujours à l'épreuve des caprices de la fortune. Tous les ans, ils envoyoient régulièrement à Tyr un vaisseau chargé de présens. C'étoit comme un tribut de gratitude qu'ils payoient .à leurs compatriotes : ils faisoient offrir un sacrifice annuel aux dieux tutélaires du pays , qu'ils regardoient aussi comme leurs protecteurs. Ils ne manquoient jamais d'yporterles prémices de leurs revenus, aussi-bien que la dîme des dépouilles et du butin qu'ils faisoient-sur les ennemis, pour les offrir à Hercule * une des principales divinités de Tyr et de Carthage. Lorsque Tyr fut assiégée par Alexandre, les Tyriens , pour mettre en sûreté ce qu'ils avoient déplus cher ,envoyèrent à Carthageleurs femmes et leurs enfans, qui y furentreçuset entretenus, quoique dans le temps d'une guerre fort pressante, avec une honté, une générosité telles qu'on auroitpu les attendre des pères etdes mères les plus sensibles et les plus opulens. Ces marques constantes d'une vive et sincère reconnoissance, ne fontelles pas plus d'honneur à une nation que les plus grandes conquêtes , que les plus glorieuses victoires ? 5. lusques dans les plus petites choses, le peuple d'Athènes faisoit éclater cette vive reconnoissance qui constituoit son caractère. Après avoir achevé le temple qu'on nommoit Hécatonpédan , ils renvoyèrent libres -toutes les bêtes de charge qui avoient fourni à ce travail , et leur assignèrent de gros pâturages comme à des animaux consacrés. On dit qu'une decesbêtes étant allée d'elle-même se présenter au travail, se mettre à la tête de celles qui traînoientdescharrettes à la citadelle, marcher devant elles, comme pourles exhorter et pour les encourager, ils ordonnèrent par un décret qu'elle seroit nourrie, jusqu'à sa mort, aux dépens du publie. 6, Quand-^#ga<ytevitque sa puissance étoit affermie
�RECONNOISSANCE. 123 sur des fondemens inébranlables , il ne s'occupa plus que du soin de rendre les mortels heureux, et de faire oublier le barbare auteur des proscriptions. Aussi jamais prince ne reçut plus de marques de tendresse .et devénération de la partdesessujets.Leschevaliersromains , de leur propre mouvement, célébroient tous les ans son jour natal, par une fête quiduroitdeux jours. Tous les ordres, chaque année , à un certain jour, en vertu d'un vœu fait pour sa conservation, alloient jeter leurs offrandes dans le lac Curtius. Son palais ayant été brûlé , les vétérans, les compagnies de juges ou de greffiers, les tribuns , et même les particuliers s'empressèrent de lui apporter de l'argent pour aider à le rebâtir ; et lui , content de leur bonne volonté , et souhaitant de leur faire connoître qu'il y étoit sensible , sans néanmoins leur être à charge, portoit la main sur chaque tas , et en prenoit comme les prémices , n'allant point au delà d'un dernier. Des pères de famille ordonnoient, parleur testament, qu'on les portât après leur mort au Capitole, et qu'on y offrît en leur nom des sacrifices d'actions de grâces pour acquitter le vœu qu'ils avoient fait, si., en mourant, ils laissoient Auguste plein de vie. Plusieurs villes changèrent en son honneur le commencement de leur année, eten comptèrent pour premier jour celui où il les avoit visitées ; les rois alliés de l'empire fondèrent, pour la plupart, dans leurs états, des villes qu'ils appelèrent Césarée. Enfin, dans les provinces, outre les temples et les autels que l'on dressoil à ce prince chéri, tous les cinq ans on élablissoit des jeux pour célébrer la gloire de son nom. •j.Furniu j,nob'le romain, avoit suivi le Tpartid'Antoine. La victoires'étantdéclaréeipourAuguste, Furnius,qni craignoit le ressentiment du vainqueur, envoya sonfils demander sa grâce, et l'obtint.Touché de la clémence du dictateur, il osa seprésenter alors à ses yeux, et lui fit ceremercîment; « César,\e n'ai jamaisreçude vous que « des bienfaits ; et le seul mal que vous m'ayez jamais « fait, c'est de me forcer à vivre età mourir ingrat. » 8.Alexandre-le-Grand a voiteu pour maître le célèbre Aristote. Après la mort de ce philosophe,onlui demanda lequel il legrçlloit le plus, de son père ou de son prc-
�12
.4
RECONNOISSANCE.
ce pleur?» Le dernier, répondit-il; mon père m'a don« né la vie , mais Aristole m'a appris à en user. » 9. M. Viviani, savant géomètre de Florence, étoit reconnoissant au souverain degré. Il est vrai que le caractère général de sa nation peut lui dérober une partie de cette gloire. Les Italiens conservent le souvenir des bienfaits ; et, pour tout dire aussi, celui des offenses , plus profondément que d'autres peuples , qui ne sont guère susceptibles que d'impressions pluslégères.Mais la reconnoissance que M. Viviani a fait éclater en toutes occasions pour tous ses bienfaiteurs, a été regardée comme extraordinaire, et s'est attiré de l'admiration, même en Italie. Il avoit reçu les leçons de Galilée, durant les trois dernières années de la vie de ce grand homme ; et, malgré l'extrême disproportion d'âge, il conçut pour ce savant vieillard une tendresse vive et une espèce de passion. Par-tout il se nommoit le disciple , et le dernier disciple du grand Galilée ; jamais il ne mettait son nom à un titre d'ouvrage sans l'accompagner de cette qualité ; jamais il ne manquoit une occasion de parler de Galilée ; et quelquefois même, ce qui fait encore mieux l'éloge de son coeur , il en parloit sans beaucoup de nécessité ; jamais il ne prononçoit le nom de Galilée, sans lui rendre un hommage ; et l'on sentait bien que ce n'était point pour s'associer , en quelque sorte , au mérite de ce grand homme , et en faire rejaillir une partie sur lui : il est aisé de distinguer le style de la tendresse d'avec celui de la vanité. Louis XIV l'avoit honoré d'une pension considérable, et l'avoit mis au nombre des huit associés étrangers de l'académie des sciences. Avec la pension du monarque , il acheta une maison à Florence ; il la fit rebâtir sur un dessin très-agréable, et aussi magnifique qu'il pouvoit convenir à un particulier. Au frontispice de cette maison, il mit cette inscription : JEàes a deo datoe ; allusion heureuse , et au nom de Dieu-donné qu'avoit d'abord porté le roi , et à la manière dont elle avoit été acquise. Une reconnoissance ingénieuse , et difficile à contenter, n'a pu rien imaginer de plus nouveau et de plus noble qu'un pareil monument. M. Viviani, si digne, par son savoir
�R E C O ÎV W 0 I S S A N C E~.
3 2a
et par ses talens, de recevoir les bienfaits du roi, s'en rendoit encore plus digne par l'usage qu'il en faisoit après les avoir reçus. Galilée ne fut pas oublié dans le plan de cette maison.Son buste fut place sur la porte, et son éloge, ou plutôt tonte l'histoire de sa vie, dans des places ménagées exprès ; et M. Viviani, pour répandre dans le monde Un monument qui de luimême n'éloit pas durable, en fit faire des estampes , qu'il mit à la fin d'un de ses ouvrages dédié au roi. \o.Eérode-A grippa,\^el\l4^Asd' Hérode-le-Gra?id,\\' étant encore que particulier, fut arrêté sur de faux soupçons,et conduitàRomepar ordre de l'empereur Tibère, qui le fit attacher au tronc d'un arbre en face de son palais. On étoilenctc;la chaleur luicausoilunesoifardente, lorsque Tliai/mastès, esclave de Caligr/la, vint à passer avec un vase plein d'eau fraîche : il lepria de luidonner à boire;et, l'esclave l'ayantfaitnvec plaisir, il lui promit del'enrécompenserunjour.Quelque temps après Tibèremouru t, et Caligula montasu rie trône. Agrippa, qui n'avoitélé mis en prison quepourmortifier Caligulaqai l'aimoit, futaussitôt mis en liberté,et recutdu nouvel empereur le titrederoi de Judée. A sa prière, ce prince affranchit 2 'haumasfès. Agrippa, reconnoissant,le mit aunombre de ses amis et de ses ministres;et,lorsqu'il mourut, il pria, dans son testament, sa femme et ses enfans de lui conserver le même poste auprès d'eux. il. Louis XlVavo'it, en i6o3, chargé Dm/uesne de bombarder Alger, pour la punir de ses infidélités et de soninsolence.Le désespoir où étoi ent les corsaires,de ne pouvoiréloigner de leurs côtes la flotte qui les foudroyoit, les porte à attacher à la bouche de leurs canons des esclaves français, dont les membres sont portés sur les vaisseaux. Un capitaine algérien,qui avoit été pris dans ses courses, et très-bien traité par les Français, tout le temps qu'il avoit été leur prisonnier, reconnoît,parmi, ceux qui vont subir le sort affreux qu e la rage a imaginé, un officier, nommé Chois eul,dont il a éprouvé les attentions les plus marquées. A l'instant, ilprie, il sollicite, il presse pour obtenir laconservation de cet homme généreux. Tout est inutile ; on va mettre le feu au canon eiiChoiseul est attaché. L'Algérien se jette aussitôtsur
�Ï26 RECONNOfâSAffCËlui, l'embrasse étroitement, et, adressant la parole âtl canonnier , lui dit : « Tire ; puisque je ne puis sauver « mon bienfaiteur , j'aurai du moins la consolation de « mourir aVec lui. » Le dey, sous les yeux duquel la scène se passoit,enfut si frappé, qu'il accorda, les larmes aux yeux, ce qu'il avoit refusé avec tant de férocité. Le cardinal ffW.rey,ministreetfavoride//era/-i VIII, roi d'Angleterre, étant tombé dans la disgrâce de son maître, se vit tout-à-coup méprisé des grands, et haï du peuple.Fits- Williams,xm de ses protégés,fu t leseul qui osa défendre sa cause , et faire l'éloge des talens et des grandes qualités duministre disgracié. Il/il plus; il offrit sa maison de campagne à Wolsey, etle conjura d'y venir au moins passer un jour. Le cardinahsensibleàcezèle, alla chezFits- Williams,qui reçutson éminence avecles marques de la plus vive reconnoissance e tdu pl usprofond respect. Le roi, instruit de l'accueil que ce particulier avoit osé faire à un homme tel que Wolsey, fit venir Williams ;eï demandant d'un air et d'un ton irrités, par quel motifil avoit eu l'audace de recevoir chez lui le cardinal accusé et déclaré coupable de haute trahison? « Sire, ré«pondit Williams,]e suis pénétré, pour votre majesté, « delasoumissionlaplusrespectueuse;jenesuisnimau« vais citoyen, ni sujet infidelle.Ce n'est ni le ministre « disgracié, ni le criminel d'état que j'ai reçu chez moi; « c'est mon bienfaiteur, c'est mon protecteur, celui qui « m'a donné du pain , et de qui je tiens la fortune et la « tranquillité dont je jouis. Ah ! sire, si je Pavois aban« donné dans son malheur, j'eusse été le plus ingrat des « hommes.»Surpris, etplein d'admiration, le roi conçut dès cet instant la plus haute estime pour le généreux Fits-Williams. Il le fit chevalier sur-le-champ ; et,peu de temps après , il le nomma son conseiller-privé. ï3. Après la prise de Corinthe,un Romain se mit en tête de faire abattre les statues qu'on avoit dressées à la mémoire du célèbre Philopémen, l'un des plus grands hommesqu'aitjamaisproduitslaGrèce.lleutlahardiesse de le poursuivre criminellement, comme s'il eût été en vie, etdel'aecusevàmaastMummius,général de l'armée romaine, d'avoir été l'ennemi de la république , et
�RECONNOISSANCE.
12?
d'avoir toujours traversé ses desseins autant qu'il avoit pu. Cette accusation étoit outrée ; mais elle avoit quelque couleur, et n'étoit pas tout-à-fait sans fondement. LefameuxPoZj^e, qui avoit eu Philopémen pour maître dans la science de la guerre,prithautementsa défense. Il représenta Philopémen comme le plus estimable des héros qui eût illustré sa patrie, qui pouvoit peut-être avoir quelquefois porté un peu trop loin son zèle pour la liberté de la Grèce; mais qui, en plusieurs occasions, avoit rendu des services considérables au peuple romain,comme dans les guerres contre Antiochuset contre les Etoliens.Les commissaires, devantqui ilplaidoitune si belle cause, touchés de ses raisons, et encore plus de sa reconnoissance, décidèrent qu'on ne toucherait point aux statues du hérosaccusé, en quelque ville qu'elles se trouvassent. Polybe , profitant de la bonne volonté de Mummius, lui demanda encore les statues à'Aratus et à'Achéus : et elles lui furent accordées , quoiqu elles eussent déjà été transportées du Péloponnèse dansl'Acarnanie. Les Achéens furent si charmés du zèle que Polybe avoit fait paraître en cette occasion pour l'honneur des grands hommes de son pays , qu'ils lui érigèrent à lui-même une statue de marbre. i4- Au siège de JN amur, en i6o5, il y avoit dans Par mée du roi<3«z7Za:«77îedeuxguerriers du régimentd'HaI millon : l'un bas-officier, nommé Union, l'autre simple ! soldat, appelé^tzZerett'w.Ilsdevinrentennemisirréconciliables. Union, qui se trouvoit l 'officier de Valentin, saisissoit toutes les occasions possibles de le tourmenter et de faire éclatersonressentiment.Le soldat souffroittout l sans se plaindre; ou, s'il gémissoit quelquefois de cette tyrannie , jamais il n'oublioit l'obéissance aveugle que lui prescrivoientles lois du service.Plusieurs mois s'étoientpassés dans cet.état,lorsqu'un jourils furent commandés l'un et l'antre pour l'attaque du château de Namur. Les Français firent une sortie, où l'officier Union reçut un coup de feu dans la cuisse. Il tomba; eteomme les Français pressoient de toutes parts les troupes alliées, il s'attendoit à être foulé aux pieds. Dans ce moment,il eut recours à son ennemi : Ah ! Valentin ! Valentin ! «s ecria-t-il, peux-tu np abandonner ? » Valentin,». sa
1
�128
RECONNOISSANCE.
voix, courut précipitamment à lui ; et, au milieu du feu des Français, il mit l'officier sur ses épaules, et l'enleva courageusementà travers les dangers,] usqu'àlahauteur de l'abbaye de Salzine. Dans cet endroit, un boulet de canonletua lui-même,sans touchera l'officier. Valentin tomba sur le corps deson ennemi qu'il venoitde sauver. Celui-ci, oubliant alors sa blessure, se relève, ens'arrachant les cheveux ; et, se jetant aussitôt sur le cadavre défiguré de son libérateur : « Ah ! Valentin^'éciie-l-ïï, « cher Valentin, est-ce pour moi que tu meurs ? pour « moi, qui te traitois avec tant de barbarie ? Homme « généreux! je ne pourrai pas te survivre, je ne le veux « pas!....Non.» Ilfutimpossible deleséparerdececorps ensanglanté.Enfin on l'enleva,tenanttoujours embrassé son cher bienfaiteur; et, pendant qu'on les portoit ainsi l'un et l'autre dans les rangs, tous leurs camarades, qui connoissoient.leurinimitié,pleuroientà-la-fois d'admiration et de douleur. Lorsqu' Union fut ramené dans sa tente , on pansa , de force , la blessure qu'il avoit reçue ; mais le jour suivant, ce malheureux, appelant toujours Valentin , mourut accable de regret , et plein de reconnoissance. 15. Quelle honte pour les ingrats de voir les animaux leur donner l'exemple de la reconnoissance ! Quandles A théniensjtropfoibles pour attendre dansleurville l'armée innombrable de Xerxès, se furent embarqués afin de se retirer à Salamine, la désolation devint générale, et il n'y eut pas jusqu'aux animauxdomestiques quine prissentpartàce deuil public.Onne pouvoits'empêcher d'être touché et attendri, en les voyant courir avec des hurlemens après leurs maîtres qui les abandonnoient. Entre tous les autres,on remarquale chien de Xantippe, père de Périclès, qui, ne pouvant supporter de se voir éloigné de son maître,se précipita clans lamer, et nagea toujours près de son vaisseau , jusqu'à ce qu'il aborda presque sans force à Salamine , et mourut incontinent sur le rivage. On montroit encore dans le même lieu, du temps de Plutarque, l'endroit où l'on prétend qu'il fut enterré, et que l'on appeloit la sépulture du chien. \6.Un éléphant, mal traité par soncornac, (c'estainsi qu'on
�l'on
RECONNOISSANCE. 120, qu'on appelle 1 es condu cteurs de ces animaux), s'en é toit vengé en le tuant. Sa femme, témoin de ce spectacle, pritsesdeuxenfansetlesjetaauxpiedsde Panimalencore furieux, en lui disant : « Puisque tu as tué mon mari, « ôte - moi aussi la .vie, ainsi qu'à mes deux enfans.» L'éléphant s'arrêta tout court, s'adoucit, et comme s'il eût été touché de regret, prit avec sa trompe le plus grand des deux enfans , le mit sur son cou, l'adopta pour son cornac , et n'en voulut point souffrir d'autre. Un soldat de Pondichéry, qui avoit coutume de donner à un éléphant une certaine mesure à'arac, chaque jour qu'il touchoit son prêt, ayant un jour bu plus que de raison , et se vovant poursuivi par la garde , qui vouloitle conduire eu prison, se réfugia sous l'éléphant et s'y endormit. Ce fut en vain que la garde tenta dél'arracher de cet asile. L'anima! reconnoissant défendit son bienfaiteur, et vint à bout cl écarter les soldats. Le lendemain , cethomme, revenu de son ivresse , frémit à son réveil de se voir couché sous un animal d'une grosseursi énorme. L'éléphant, qui peut-être s'aperçut de son effroi, le caressa avec sa trompe pour le rassurer, et sembla lui faire entendre qu'il pouvoit s'en aller. 17. Dans le temps que Pyrrhus, roi d'Epire, entroit victorieux dans Argos, un éléphants'aperçutqu'ilavoit perdu son maître, lequel étoit tombé dans la foule des morts : outré de douleur , il renverse indifféremment amis et ennemis 5 il court de rang en rang, jusqu'à ce qu'il ait trouvé le corps de son maître;il le prend ensuite avec sa trompe, et l'emporte loin des ennemis. 18. On admire encore la fidélité du chien de TitusSahinus, qui n'abandonna jamais son maître dans la prison, qui le suivit au supplice , témoignant sa douleur par des hurlemens lamentables, refusant le pain qu'on lui offroit, et le portant à la bouche de son infortuné maître.Lorsque Sabinus eût été précipité dans le Tibre , son chien s'y jeta avec lui. Croyant son maître encore vivant, il soulevoit sa tête au - dessus des flots , s'efforcant, autant qu'il pouvoit, de reconnoître le soin qu'il avoit pris de le nourrir et de l'élever. 19. Dans un spectacle qui se donnoit à Rome , on Tome III. I
�l3o
RECONNOISSANCE.
faisoit combattre des criminels contredes bêtes féroces. Parmi les plus terribles de ces animaux, on remarquoit sur-tout un lion, dont la grandeur énorme, les rugissernens affreux, la crinière flottante, les yeuxétincelans inspiroient en même temps Fadmiration et la terreur. Un malheureux s'avance dans la carrière ; Fanimal furieux court au devant de sa victime. Tout-à-coup il s'arrête ; et,quittant sa fierté naturelle, il s'approche de lui avec un air de douceur, remuant la queue, comme les chiens qui flattent leurs maîtres ; il le joint, et lui lèche affectueusement les mains et les jambes.L'homme, caressé par cette bête farouche, revient peu à peu de sa frayeur ; il reprend ses esprits ; il considère attentivement le lion; et, le reconnoissant, il le caresse à son tour avec des transports de joie auxquels l'animal répondoit à sa manière. Un événement si merveilleux remplit toute l'assemblée de surprise et d'admiration: on applaudit, on battit des mains ; et l'empereur Caligula lui-même, qui étoit présentée fit amener l'homme épargné par le lion 5 lui demanda qui il étoit, et par quel charme il avoit désarmé ce terrible animal? «Je suis esclave, répondit-ilf mon nom est Androclus..Dans le temps que monmaître étoit proconsul d'Afrique , me voyant traité par lui avec toute sorte de rigueur et d'inhumanité , je pris la fuite ; et comme tout le pays lui obéissoit, pour me dérober à ses recherches, je m'enfonçai dans les déserts de la Lybie, résolu, si je n'y trouvois ma subsistance, de chercher la mort par la voie la plus prompte. Au milieu des sables, dans la plus grande chaleur du midi, j'aperçus un antre, où j'allai me mettre à l'abri des ardeurs du soleil. A peine m'y étois-je réfugié , que j'y vis entrer ce même lion , dont la douceur à mon égard vous étonne, poussant des cris plaintifs, qui me firent juger qu'il etoitblessé.Cetantre étoit sademeure: je m'y cachai dans l'endroitle plus obscur, tremblant, et croyant être au dernier moment dû ma vie ; il me découvrit et vint à moi 5 non pas menaçant, mais comme implorant mon aide, et levant son pied malade pour me le montrer. 11 lui étoit entré sous le pied une très-grosse épine que j'arrachai ; et, m"enhardissant par la patience avec laquelle il souffroit l'opération ,
�RÈGLE.
l3i
ie pressai les chairs pour en faire sortir le pus : ressuyai
la plaie ; je la nettoyai le mieux qu'il me fut possible , et la mis en état de se cicatriser. Le lion soulagé se coucha, laissant son pied entre mes mains, et dormit paisiblement. Depuis ce jour , pendant trois ans ', j'ai vécu avec lui dans le même antre et des mêmes nourritures. Il alloit à la chasse , et m'apportoit régulièrement quelques quartiers des bêtes qu'il avoit prises ou tuées. J'exposois cette viande au soleil, n'ayant point de feu pour la faire cuire. Enfin je me lassai d'une vie si sauvage ; et pendant que le lion étoit sorti pour la chasse, je m'éloignai de l'antre. Mais à peine avois-je fait trois journées de chemin, que je fus reconnu par des soldats qui m'arrêtèrent ; et l'on m'a transporté d'Afrique à Rome, pour être livré à mon maître : condamné par lui à périr, j'attendois la mort sur l'arène. Je comprends que le lion a été pris peu de temps après notre séparation , et que , me trouvant, il m'a payé le salaire de l'utile opération par laquelle je l'avois autrefois guéri. » Ce récit courut en un instant toute l'assemblée , qui demanda à grands cris la vie et la liberté pour l'heureux^ndroclus.Onlvà donna l'une et l'autre : de plus , on lui fit présent du lion ; il alloit dans les rues de Rome, menant cet animal en laisse ; on lui jetoitdes petites pièces de monnaie ; oncouvroitle lion de fleurs, et l'on se disoitles uns aux autres: «Voici le lion « qui a exercé l'hospitalité envers un homme ; voici «l'hommequiaétélemédecindulion.»/z'ojezFiDÉLiTK.
RÈGLE. i.JucuRTHA,roi deNumidie, faisoit une guerre sanglante aux Romains 5 etce monarque, que son or servoit aussi-bien que son courage, étoit parvenu â faire trembler la puissance romaine. La république voulut enfin réparersahonte.Sesgénérauxs'étoientlaissé corrompre; il n'y avoit plus d'ordre parmi ses troupes : elle jeta les yeux sur un homme assez intègre pour dédaigner les trésors de Jugurtha, et assez ferme pour rétablir la dis-
�i3a RELIGION, cipline énervée : cet homme fut Metellus. Il répondît aux vœux de ses concitoyens. A peine fut-il entré dans son camp, que tout changea de face à son aspect ; et, dès le premier jonr , il travailla à la reforme. Il falloit la faire par degrés , pour ne point jeter dans le désespoir des soldats devenus mutins. D abord il bannit du camp tous les goujats, et les filles prostituées ; ensuite il défendit de vendre aucun aliment tout préparé ; puis il obligea les soldats à porter eux-mêmes leurs armes, à chasser leurs valets , à se défaire de leurs bêtes de charge. Enfin il leur fit reprendre peu à peu les travaux militaires , qu'ils avoient presqu'entiérement oubliés , et les changea en véritables guerriers. Aussitôt que la règle fut remise en vigueur , la fortune revint sous l'aigle romaine ; et Ie fier Jugurtha ne compta plus ses batailles que par ses défaites. 2. A voir le bel ordre et la discipline rigoureuse qui régnoient dans l'armée du grand Gustave-Adolphe, roi de Suède , on eût aisément prédit les conquêtes qu'il alloit faire en Allemagne. Il n'y a point de monastère mieux réglé que ne l'étoitson camp. Ses soldats étoient des modèles d'obéissance ; et, ce qui est plus difficile pour des peuples septentrionaux, des exemples de la sobriété la plus parfaite. On n'entendoit proférer ni juremens , ni blasphèmes. Chaque régiment avoit un ministre , qui prenoit soin d'en chasser les filles débauchées , et faisoit chanter , deux fois le jour , les psaumes en langue vulgaire. Aucun soldat n'eût osé refuser à son hôte le payement de ce qu'il deyoit ; et les gens du pays étoient beaucoup mieux traités par le^Suédois , que par leurs propres compatriotes. RELIGION.
I.ILIES Romains, dès l'origine et la naissance de leur ville , établirent, pour principe fondamental de leur politique,la crainte des dieux, et le respect pour la religion : de là cette multitude de temples, d'autels, de sacrifices ; de là les augures, les aruspices, et tant de sortes de divinations : de là ces vœux si fréquens, formés dans les pressans besoins de l'état, et accomphsavec une
�RELI 6 I O S. l33 si scrupuleuse exactitude. Persuadés par ce reste de religion naturelle, qui n'a pu s'effacer entièrement du cœur des hommes , que la Divinité dispose de tout dans le gouvernement de l'Univers ; que c'est elle qui distribue aux hommes, selon son bon plaisir, l'esprit, la raison , la prudence , la fermeté d'ame , le courage, et toutes les autres qualités d'où dépend le succès des entreprises, il étoit convenable qu'ils implorassent la puissance céleste d'où émanent tous ces dons , et que , par des consultations religieuses , ils tâchassent d'en découvrir les arrangemens et les volontés, pour en mériter la protection. On ne peut croire combien cette conviction de la Divinité , qu'ils croyoient être présente et présider à tout, profondément gravée dans l'ame encore tendre des enfans par l'éducation , par l'instruction , par les discours des parais , et sur-tout par la vue des cérémonies publiques , faisoit dans la suite une vive impression sur leurs esprits. La sainteté des sermens qui se font, comme sous les yeux de la Divinité, ne fut nulle part respectée comme à Rome. Les soldats, quelque mécontens et emportés qu'ils fussent, n'osoient quitter leurs généraux, parce qu'ils s'étoient liés à eux par le serment. Dansune longue suite de siècles, personne ne donna jamais au censeur unefausse déclaration de ses biens.La religion arrêtoitla fbuguedes grandes passions.Elle rendoitles hommes plus dociles et plus soumis à l'autorité légitime. C'étoit le lien sacré qui unissoitles citoyens, et qui n'en formoit qu'une seulefamille dont Rome'étoit la mère. En un mot, c'étoit le plus puissant motif qu'on pût employer pour inspirer du courage dans les combats et dans les dangers. Cicéron rend sur ce sujet un témoignage glorieux à sanation. «Nous avons beau nous « flatter, dit-il, nous ne nous persuaderons jamais à « nous-mêmes que nous Femportionspar le nombre sur « les Espagnols, par la force du corps sur les Gaulois, « par l'habileté et la finesse sur les Carthaginois, par les « arts et les sciences sur les Grecs. Mais l'endroit par « lequel nous avons incontestablement surpassé tous « les peuples et toutes les nations, c'est la piété, c'est la I 3
�l34 RELIGION. « religion , c'est l'intime persuasion où nous avons « toujours été qu'il y a des dieux qui conduisent et « gouvernent l'Univers. » 2. Les Perses adaroientle soleil avec un profond respect, et sur-tout le soleil levant. Us lui consacroient un char magnifique avec des chevaux de grand prix, et quelquefois ilsimmoloient des bœufs en son honneur. Le feu avoit aussi des autels ; on Pinvoquoit toujours le premi er dans les sacrifices ; on le portoit par respect devant le prince lorsqu'il étoit en marche : les mages seuls en avoient la garde , et l'on se croyoit menacé des plus grands malheurs, si jamais ils le laissoient éteindre. La doctrine fondamentale des Perses étoit qu'il y a deux principes : l'un qui est la cause de tout le bien, l'autre qui est la cause de tout le mal. Le premier étoit représenté par la lumière, et l'autre par les ténèbres, comme leurs propres symboles. Ils nommoient le dieu bon Yasdam, ou Ormuzd ; et le mauvais, Abraman. Le premier est appelé par les Gres Oromasdès, et le dernier Arimanius. Ils croyoient qu'il y auroit une opposition continuelle entre ces deux divinités jusqu'à la fin du monde ; qu'alors le bon prévaudroit sur le mauvais , et qu'après cela chacun d'eux auroit son propre monde : savoir, le bon, son monde avec tous les gens de bien qui lui seroient unis ; et le mauvais, aussi sonmonde avec tous les méchans qui le suivroient. Le second Zoroastre, qui vivoit du temps de Darius y entreprit de changer ce système de religion : au lieu des deux principes, il en établit un supérieur 5 savoir, un Dieu suprême, auteur de la lumière et des ténèbres, et qui, par le mélange de ces deux principes, faisoit toutes choses selon son bon plaisir. Mais, pour éviter de faire Dieu auteur du mal, il disoit qu'il y a un Etre souverain, ïndépendan t,e t qui exis te par lui-même de toute éternité; que, sous cet Etre souverain, il y a deux anges, un ange de lumière qui est l'auteur du bien, un ange de ténèbres qui estl'auteurdumal; que ces deux anges ont formé,du mélange de la lumière et des ténèbres, toutes les choses qui existent; qu'ils sont continuellement en guerrel'un contre l'autre ; que lorsque l'ange de lumière se rend le
�REMORDS. i55 maître, le bien l'emporte sur le mal ; et que, lorsque 'ange de ténèbres a l'avantage, le mal prévaut sur le >ien, et que ce conflit durera jusqu'à la fin du monde 5 qu'alors il aura une résurrection universelle , et un jour de jugement, où chacun recevrala juste rétribution de ses œuvres : qu'après cela l'ange de ténèbres et ses sectateurs seront relégués dans unlieu où ils souffriront les peines dues à leurs crimes dans une obscurité éternelle; et l'ange de lumière et ses disciples iront aussi dans un lieu où ils recevront la récompense de leurs bonnes actions dans une lumière éternelle ; qu'ils seront séparés pour toujours, et que la lu mière et les ténèbres ne seront plus jamais mêlées et confondues ensemble. Les Perses, avant le dernier Zoroastre, n'érigeoîent nistatues, ni temples,ni autels à leurs dieux, et offroient leurs sacrifices en plein air, et presque toujours sur des hauteurs et des montagnes. Ils regardoient comme une chose injurieuse à la Divinité de la renfermer dans l'enceinte des murailles, elle à qui tout est ouvert, et dont l'Univers entier est comme la maison et le temple. Cet usage fut encore réformé par Zoroastre ; et c'est lui qui fit bâtir des temples où l'on conservoit avec grand soin le feu sacré qu'il prétendoit avoir apporté luimême du ciel. Les lois ne permettoîent à aucun Perse de borner le motif de ses sacrifices à un intérêt domestique et privé. G'étoit une belle manière d'attacher les particuliers au bien public, que de leur apprendre qu'ils ne dévoient jamais sacrifier pour eux seuls , mais pour le roi et pour tout l'état, où chacun se trouvoit avec tous les autres. Voyez ADORATION, PIÉTÉ.
Î
XVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX'VXXXXXXXrXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXxXXXXXXX'
REMORDS. 1. KJN philosophe pythagoricien avoit acheté à crédit une paire de souliers. Etant revenu ensuite pour les payer, il trouva la boutique fermée, et il apprit quele cordonnier étoit mort. Il ressentoit une secrète joie à cette nouvelle , et s'en alla fort content d'avoir les souliers et l'argent ; mais le remords suivit de près la
�l36 REMORDS. faute. II réfléchit sur son injustice., et revint à grands pas à la boutique : il glissa son argent par les fentes de la porte , en disant : « Cet homme qui est mort « pour les autres , est encore vivant pour toi. » 2. L'amour du commandement et la rivalité avoient rendu Héraclide, citoyen de Syracuse, l'irréconciable ennemi de Dion. Ce grand capitaine formoit-il quelque proj et pour le bonheur de sapatrie .-Topiniatrei/eVaciîz'^e s'y opposoit toujours; et, lâche flatteur d'une populace aveugle, il ne cessoit de eabaler contre le sauveur de Syracuse, afin de gagner les bonnes grâces des plus mé-' prisablescitoyens.Mille fois, les amis de Dion voulurent le débarrasser, par des voies violentes, de ce tyran d'une espèce nouvelle : son ame étoit trop belle , trop généreuse pour y jamais consentir : toujours il arrêta leurs bras prêts à frapper le séditieux. Enfin, un jour qu'il l'avoit envoyé appeler au conseil, il répondit qu'il n'y iroit point, et qu'étant simple particulier , il se trouveroit à l'assemblée avec les autres citoyens , quand elle serpit convoquée ; c'étoit mépriser ouvertement l'autorité de Dion : il est bien difficile de ne pas oubli er un instantsavertu;c'estee qui arriva dans cette occasion au souverain magistrat de Syracuse. Fatigué de souffrir tant dïnsultes,il lâcha la main àses amis, et leur permit de tuer Héraclide. On vit alors combien le cri de la conscience estcapable d'alarmer une amevertueuse : à peine le meurtre eut-il été commis, que .Dion ne goûta plus de joie vraiment pure : le repos s'éclipsa pour jamais. Un fantôme affreux, triste suite de son repentir, se présenta devant lui durant les ténèbres , et le remplit d'un trouble effrayant etd'une noire mélancolie. C'étoit une femme d'une taille énorme, dont.l'appareil 1 ugubre, l'air farouche , le regard furieux jétoient l'épouvante dans son ame, et sembloit, en balayant avec violence sa maison, lui présager les plus grands malheurs. 3. Alexandre-le-Grand, ayant reçu des fruits de la Grèce, les trouva si beaux e t si frais, qu'il en voulu t donner n Clitus, son ami, frère de sanourrice, et qui, dans un combat, lui avoit sauvé la vie. Clitus alors offroit un sacrifice pour la prospérité du roi. Il le quitte pour se
�REMORDS.
l5y
rendre auprès du monarque. Trois moutons qu'il devoit immoler, et sur qui l'on avoit déjà fait les effusions ordinaires, le suivirent ; ce qui fut pris pour un sinistre présage. Afin d'écarter lesidéesfunèbres quecetévénement singulier avoit fait naître , ont eut recours aux plaisirs ; etle prince donna unfestinmagnifique. Le souper fut long , et l'on y but beaucoup. On y chanta des vers qu'un poète de la suite de la cour avoit faits contre quelques capitaines macédoniens, qui, depuis peu, s'étoient laissé battre par les Barbares. Les vieux officiers en furent mécontens, et querellèrent le poète et le musicien. Alexandre et ses favoris, au contraire, s'amusant de ces vers,ordonnèrent au musicien de continuer.Laliqueur bachique avoit déjà troublé la raison àeClitus: ce capitaine, naturellement fier , se mit tout-à-fait en colère, et dit qu'il étoit honteux de tourner en ridicule, parmi des barbares ennemis, des officiers macédoniens, qui malgré le malheur qui leur étoit arrivé , valoient mieux que ceux qui rioient à leurs dépens. Alexandre lui répondit qu'en donnant à une lâcheté l'indulgente dénomination de malheur, il vouloit sans doute s'excuser lui-même. 11 n'en falloit pas davantage pour mettre à son comble le courroux d'un homme brave, que le vin anime , et qu'une longue liberté met au-dessus de la crainte. « Cette lâcheté que vous me reprochez, s'écria« t-il en se levant de table, vous a sauvé la vie, à vous, « qui vous dites fils des dieux, lorsque vous présentiez « le dos à l'épée de Spitriade. Ces Macédoniens que l'on « raille ont répandu leur sang pour vous. Les blessures « qu'ils ontreçues vous ontrendu si grand, que vous dé« savouez le roi Philippe pour votre père, et que vous « voulezsottementpasserpourlefilsde JupiterÂmmon. « — Méchant, repartit Alexandre, piqué jusqu'au vif, « crois-tu tenir encore long-temps impunément cesdis« cours séditieux que tu répètes sans cesse, pour faire « révolter lesMacedoniens?—Hélas! nous sommes tous « assez punis, répliqua Clitus, par la récompense que « nous recevons de nos travauxetdenosfati£mes;etnous « estimons heureux ceux qui sont morts assez tôt pour « ne point voir les Macédoniens battus de verges par les
�l38 REMORDS. a Mèdes,et pour n'être pas obligé de faire la cour aux « Perses, afin d'avoir accès auprès de vous.[» Clitus, la tête levée, tint encore d'autres discours semblables, auxquels Alexandre, en colère, repartit par des injures.Les plus vieux tàchoientdel'appaiser etde faire taire Clitus. Le monarque se tournant alors vers le CardienX^nodoque, et le Colophonien Artémius : «Ne vous semble« t-il pas, leur dit-il, que les Grecs sont entre les peu« pies, comme des demi-dieux qui se promènent entre « des bêtes sauvages ?» Clitus, ne rabattant rien de son audace et de sa fierté, cria qu'Alexandre dît tout haut ce qu'il-avoit à dire, ou qu'il n'invitât pas à sa table des hommes libres , accoutumés à parler avec franchise ; mais qu'il se tînt avec des Barbares, lâches esclaves , ar qui sa ceinture à la persienne et sa longue veste lanche étoient adorées. A ces mots le conquérant de l'Asie, outré de colère , jette une pomme à la tête de Clitus , et cherche son épée qn'Aritophane , l'un de ses gardes, lui venoit d'ôter. Les autres convives l'entourent et le supplient de se calmer : il sort de table , appelle ses gardes en langage macédonien ; et voyant un de ses trompettes, il lui commande de sonner l'alarme. Le trompette refusant d'obéir à cet ordre , il lui donne un coup de poing ; mais cet homme fut dans la suite estimé de tout le monde, et même d'Alexandre , parce que sa sage désobéissance avoit empêché toute l'armée de se mutiner. Gomme on ne pouvoit parvenir à faire taire Clitus, ses amis le jetèrent hors de la salle ; mais il y rentra par une autre porte, en prononçant à haute voix , ce vers d'Euripide:
E
Les mœurs et les vertus abandonnent la Grèce.
Ce dernier trait mit le comble à la fureur d'AlexanJre.Hors de lui-même , il arrache la javeline d'un de ses gardes, s'élance vers Clitus, le perce , et le renverse mort. La colère du monarque fougueux s'éteignit tout-à-coup dans le sang de sa victime. Dans ce moment , son crime se présenta devant ses yeux avec toute son énormité , toute sa noirceur. Il venoit de tuer un homme qui avoit, il est vrai , épuisé sa patience ; mais enfin cet homme l'avoit toujours bien servi 3 cet
�REMORDS.
l3g
homme avoit par son courage défendu la vie de son roi. 11 venoit de faire l'office abominable d'ivn bourreau, en punissant par un meurtre horrible des paroles indiscrètes , que l'on pouvoit imputer à l'effervescence d'une liqueur dangereuse. Comment désormais osera-t-il paroître devant la sœur de son ami immolé ? Comment osera-t-il présenter à cette femme sensible, mie main souillée du sang de son frère ? Ne pouvant soutenir ces tristes réflexions , le roi de Macédoine se [ette sur le corps sanglant de Clitus, en arrache la funeste javeline , et se la porte à la gorge ; mais ceux qui l'environnent lui saisissent les mains , le désarment, et l'entraînent, malgré lui, dans son appartement. Il y passa toute la nuit et le jour suivant à pleurer sans cesse, jusqu'à ce que , ne pouvant plus crier ni se plaindre, il s'étendit sur le plancher pour y pousser de longs gémissemens. Ses amis , n'entendant plus sa voix , et craignant pour ses jours, entrèrent de force dans sa chambre ; mais il ne voulut écouter qu'Aristandre , qui -, lui rappelant un songe qu'il avoit eu touchant Clitus, lui persuada que c'étoit un présage de ce qui étoit arrivé , et que ce triste événement étoit une suite de l'ordre suprême du destin : foible ressource contr© les cris d'une conscience justement alarmée, que les flatteries et les faux raisonnemens ne sont point capables de faire taire ! Cependant ces discours , répétés de toutes parts , commencèrent à ramener peu à peu le monarque à lui-même. Le philosophe Callisthène ,à\sciple et petit-neveu d'Aristote, puis Anaxarque d'Abdère, vinrent essayer de calmer entièrement la douleur de leur prince. Le premier, par son industrieuse douceur , entama ce grand ouvrage qui paroissoit impossible ; mais le second , plein de mépris pour les voies ordinaires , et qui par son caractère singulier , s'étoit acquis le surnom d'écervelé, s'écria dès la porte : « Cieux et terre ! qu'apèrcois-je ? Quoi ! voilà donc Alexandre-le-Grand, ce héros qui fixe aujourd'hui tous les regards de l'Univers ! le voilàcouché par terre' et pleurant comme un esclave ! Eh ! pourquoi pleuret-U ? Il craint les lois 5 il redoute les hommes ! Souverain
�l4o
RENOMMÉE.
Jupiter ! n'est-il pas lui-même la loi vivante ?n'a-t-il pas vaincu pour êlre seigneur et maître ? et le triomphateur de l'Asie doit-il redouter , comme un enfant timide , de vaines opinions ? Sortez , seigneur , sortez de cet état avilissant, et ressouvenez-vous de vousmême : tout ce que vous faites est bien ; votre volonté doit être la loi des mortels , et vos actions d'objet de nos éloges. » Par ces trompeuses paroles, Anaxarque vint à bout d'adoucir le désespoir à'Alexandre ; mais elles l'accoutumèrent à se livrer sans remords à l'impétuosité de ses passions. Voyez CONSCIENCE, REPENTIR.
XXXXXXXXxXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXXXXXXVXVXXXXXX
RENOMMÉE.
i.C'ÉTOIT la coutume de se donner mutuellement à l'église le baiser de paix, quand le prêtre , qui disoit la messe , avoit prononcé ces paroles: «Que la paix du « Seigneur soit toujours avec vous ! » La reine Blanche , épouse de Louis VIII, ayant reçu ce baiser de paix, le rendit à une fille publique dont l'habillement annonçoit qu'elle étoit mariée, et d'une condition honnête. La reine offensée de la méprise , obtint une ordonnance qui défendoità ces sortes de personnes, dont le nombre étoit alors très-considérable , de porter « robes à queue, à collets renversés, et avec une cein« turc dorée. » Ce règlement étant mal observé , les honnêtes femmes s'en consolèrent par ce proverbe : Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. 2. Henri II, roi de France, pria l'amiral de Coligny de lui dire son seatiment sur l'alliance du comte d'Aumale, avec une des filles deDiaraedePoitiers, duchesse de Valentinois, dont la conduite n'étoitpas sans reproche , e t de lui parler à cœur ouvert, comme s'il s'agissoit de ses propres intérêts : « Pour moi, lui répondit ce « seigneur , je ferois plus de cas d'un peu de bonne « renommée , que de toutes les richesses qu'une « femme pourroit apporter dans ma maison. » 3. Un homme appelé Caditanus , frappé du nom et de la renommée de Tite-Live, vint des extrémités du
�REPARTIE.
l4l
monde pour le voir, et s'en retourna après avoir contenté sa curiosité. Un Suédois , attiré en France par le grand renom de M. de Fontenelle, qu'il vouloit voir, vint à Paris ; et quand il fut aux barrières de cette capitale, il pria l'un des commis de lui indiquer la demeure de ce célèbre académicien. Le commis lui répondit qu'il ne coanoissoitni M-de Fonfeu elle ,nisama\son, et qu'il s'en informât plus loin.Le bon étranger suivii inutilementceconseil: enfin, après bien das recherches, il trouva la maison du savant qu'il venoit visiter, bien surpris qu'un homme dont la renommée avoit pénétré dans le fond de la Suède, et jusqu'aux extrémités du globe, fût à peine connu dans son propre pays, dans la ville même où ilséjournoitdepuisbiendès années. ^.RÉPUTATION.
REPARTIE.
1.(QUELQU'UN conseilloit à madame de Longueville d'aller à la cour pour lui donner bon exemple : « Je « ne saurois , dit-elle ,lui donner un meilleur exemple « que celui de la quitter. » 2. Un gentilhomme s'efTorcant de persuader à dom Barthelemi-des-Martyrs de faire quelques nouveaux bâtimens dans son palais , ce vertueux prélat, lui dit: « En vérité , monsieur, vous me pardonnerez bien , « si je vous dis que ce que vous voulez me persuader « est pire que ce que le démon proposoit à Jésus« Christ; car il lui conseilloit de changer des pierres « en du pain qui auroit pu nourrir des pauvres ; et « vous , vous mè conseillez au contraire de changer « en pierres le pain des pauvres. » 3. Un prélat demandoità un bon curé de campagne ce quevaloit son bénéfice? «Autant que votre évêché, « monseigneur, lui répondit-il -, le paradis ou l'enfer , « suivant l'usage que nous ferons de nos talens.» l{.LouisXlVàil au duc Schomherg, qui étoit huguenot: «Sans votre religion, il y a long-temps que vous « seriez maréchal de France.— Sire, répondit le duc,
�l42
REPARTIE.
« puisque vous méjugez digne de l'être, je suis satis« fait : je n'avois pas d'autre but. » Cette repartie lui valut dans le moment cette dignité , et leva tous les obstacles. 5. Le maître d'hôtel d'un prince , qui le servoit à table, répandit la sauce sur la nappe. Le prince lui dit en riant « J'en ferois bien autant. — Je le crois bien, « prince, répondit-il ; je viens de vous l'apprendre. » 6. Le célèbre Vaugelas ayant obtenu une pension par le canal du cardinal de Richelieu, ce ministre lui dit : «Au moins, monsieur, vous n'oublierez pas dans « votre dictionnaire le mot de pension.—Ni celui de re« connaissance, monseigneur, » lui répondit Vaugelas. 7. Un officier français , ayant remporté un avantage sur les Espagnols , écrivoit à sa femme qu'il en seroit plus digne d'elle. « Si vous aviez moins fait, lui répondit « cette généreuse épouse, je ne vous reverrois jamais. » 8. Quelqu'un consolant madame la maréchale de Vïlleroi, après la bataille de Ramillies, et lui disant que , grâces à Dieu , le maréchal et le duc de Vïlleroi se pOrtoient bien : « C'est assez pour moi, ré« pondit-elle ; mais ce n'est pas assez pour eux. » 9. Un grenadier de l'armée du comte de Saxe ayant été pris en maraude, fut condamné à être pendu. Ce qu'il avoit volé pouvoit valoir environ six livres. Le maréchal le voyant conduire au supplice, lui dit : « Il « faut que tu sois bien misérable de risquer à perdre « la vie pour six francs. — Parbleu , mon général, « répondit le grenadier, je la risque bien tous les jours « pour cinq sous, » Cette repartie lui valut sa grâce. 10. Un homme sage ne doit jamais donner à un enfant de raison qui puisse être rétorquée contre lui. Un enfant s'étoit levé fort tard ; son père , pour le rendre plus diligent, lui dit : « Mon fils, vous ne connoissez pas « encore le prix et les avantages de la diligence. Savez« vous qu'un homme diligent, s'étantun jour levé fort « matin, trouva une bourse pleine de louis dans son « chemin?— Mais, mon père,"répondit l'enfant, celui « qui l'avoit perdue s'étoit levé encore plus matin. » Un ministre protestant, homme violent et emporté,
�REPARTIE.
I
9 1 !
.
1
\ | j
expliquent à des ènfans le Pentatenque. Il en étoit à l'article de Balaam. Un de ses jeunes disciples se mit à rire. Le ministre indigné gronda , menaça , et s'efforça de prouver qu'un âne pou voit parler , sur-tout quand il voyoit devant lui un ange armé d'une épée : le petit garçon n'en rioit que plus fort. Le ministre s'emporta , et donna un grand coup de pied à l'enfant , qui lui dit en pleurant : « Ah! je conviens que « l'âne de Balaam parloit , mais il ne ruoit pas. » n. Un évêque demandoit à M. de Vermandois , amiral de France , quel âge il avoit : « Cinq ans , lui « répondit ce prince. — Montrez-les moi : on peut « montrer ce qu'on a. — Montrez-moi les vôtres , je « vous montrerai les miens. » 12. Dom Pèdre de Tolède, étant ambassadeur pour le roi d'Espagne à la cour de France , s'entretenoit avec le roi Henri IV. Ce prince , venant à parler familièrement de son royaume de Navarre , lui dit que le roi d'Espagne son maître le lui avoit usurpé ; que, s'il vivoit encore quelques années , il le sauroit bien recouvrer. Dom Pèdre chercha à justifier son maître ; et, alléguant qu'il avoit hérité de ce royaume , il ajouta que la justice avec laquelle il le possédoit, lui aideroit à le défendre. Le roi lui répliqua : « Bien ! « bien ! Votre raison est bonne, jusqu'à ce que je sois « devant Pampelune ; mais alors nous verrons qui en« treprendra de la défendre contre moi. » L'ambassadeur se leva là-dessus , et s'en alla précipitamment vers la porte. Le roi lui demanda où il alloit si vite : « A Pampelune, sire, pour y attendre votre majesté. » 13. Un prince d'Italie, àquiles saillies ne ré ussissoient jamais, parce qu'il y mettoitplus d'aigreur que d'esprit, étant un jour sur un balcon avec un ministre qu'il cherchoit à humilier, lui dit : C'est de ce balcon qu'un « de mes aïeux fit sauter un ambassadeur.—Apparem« ment, répondit sèchement leministre,que les ambas« sadeurs ne portoient point d'épée dans ce-temps-là. » Le même prince, qui prenoit les titres de deux souverainetés où il n'avoit pas un pouce de terre, voulant mortifier une seconde fois le même ambassadeur, lui
�1
^4
REPARTIE.
demanda en public où. étoit situé le marquisat dont il prenoit le titre : « Entre vos deux royaumes , mon« seigneur , » répliqua froidement l'ambassadeur. i4- Des ambassadeurs de Hollande à 1 a cour de France étoient invités à dîner par un ministre des finances. On servit au dessert du fromage de Hollande ; et comme on parloit de ce pays-là et de ce qu'il produisoit, ce ministre , en montrant le fromage , dit , en s'adressant aux ambassadeurs : « Voilà du fruit de votre « pays. » C'étoit une espèce de raillerie de la Hollande. Les ambassadeurs s'en aperçurent; l'un d'eux prit une poignée de ducats , et la jeta au milieu de la salle , en disant : « En voilà aussi. » 15. Barthelemi Socin, célèbre jurisconsulte dePise, disputait souvent sur les matières de droit contre Jason Magnus, autre jurisconsulte très-fameux.Un jour que Laurent de Médicis assistoit à leur dispute, Jason, se sentant poussé à bout par son adversaire , s'avisa de forger sur-le-champ une loi qui lui donnoit gain de cause. Celui-ci s'aperçut de la supercherie; et, comme il n'étoit pas moins rusé, il renversa aussitôt cette loi par une autre aussi formelle. Jason, qui n'avoit jamais entendu parler de cette loi , somma son adversaire d'en citer l'endroit. « Elle se trouve, répondit Socin, « à côté de celle que vous venez de rapporter. t> Laurent de JMêdicis applaudit beaucoup à cette repartie. 16. Le gouverneur de Catanne pria un seigneur des plus distingués de la cour d'Alphonse V, roi d'Aragon, de le présenter au monarque : ce courtisanle luiprom.it; mais, lorsque l'occasion se présenta d'exécuter sa promesse , il se trouva fort embarrassé. Le mérite du gouverneur se réduisoitàbien boire : quel éloge faire d'un tel homme au plus sobre de princes ? Enfin ne trouvant rien de recommandable dans le sujet qu'il présentait, il dit simplement : « Sire, j'ai l'honneur de présen« ter à votre majesté un homme qui n'est jamais à jeûn « quand le soleil se lève. — Encore moins quand il se « couche, » repartit Alphonse, en lui tournant le dos. 17. Le marquis de Grammont él.oit un homme à bons mots, et tout le monde étoit sacrifié à sa passion pour la plaisanterie.
�REPARTIE.'
l45
plaisanterie. Voyant un jeune gentilhomme breton, nouveau débarqué à la cour, pour l'embarrasser encore davantage , et lui foire, en quelque sorle, payer sa bienvenue, il lui dit : « Apprenez-nous si dans votre pays on « saitce quec'estque parabole, faribole,obole ? Le gentilhomme lui répondit, avec Papplaudissement de toute la cour : « Parabole est ce que vous n'entendez pas; fari«bole, ce quevôus dites; obole, ce que vous valez.» 18.Louis XIII, à la porte d'une petite ville, supportait avec beaucoup de patience une harangue très-ennuyeuse. Bautru crut qu'il feroit plaisir au roi d'interrompre l'insipide orateur. « Monsieur, lui demancla« t-il, xde quel prix sont les ânes dans votre pays ? » Le harangueur s'arrêta ; et après avoir regardé Bautru depuis les pieds jusqu'à la tête : « Quand ils sont de « votre poil et de votre taille , répondit-il, ils valent « au moins dix écus; » et il reprit le fil de son discours. iQ.Antigênidas, fameux joueur de flûte thébain, par sa supériorité dans son art, avoit excité la jalousie d'un musicien de sa profession, qui lui dit en colère : « Je « t'achèterai pour esclave.—Tu feras bien, lui rcpon« dit-il ; je pourrai l'apprendre à jouer avec grâce. » Il fut le maître du célèbre Isménias, qui, jouant un jour en public, et n'étant point applaudi comme il le méritait : « Joue pour moi, lui dit Antigénidas , et « pour les Muses. » 20. Les Gaulois ayant envoyé des ambassadeurs au grand Alexandre , pour lui demander son amitié ; ce prince , qui s'irnaginoit que son nom faisoit trembler toute la terre, voulut savoir quelle impression ses rapides conquêtes avoient faite sur leur esprit. « Que « craignez-vous le plus ? leur demanda-t-il. — C'est « que le ciel ne tombe sur nous, et ne nous écrase. » 21. Dêmades se moquoit, en présence A'Agis III, roi de Lacédémone, des épées des Spartiates, et disoit qu'elles étoientsi courtes, que les joueurs de gobelets d'Athènes les pourroient avaler. « Cependant , avec « ces courtes épées, lui répartit Agis, nous atteignons « ces ennemis dont les épées sont, si longues. » Un méchant homme demandait à ce monarque Tome III. R
�l46 REPARTIE. quel étoit le plus vertueux des Spartiates : « C'est ï « répondit-il , celui qui te ressemble le moins. » 22. Un Athénien disoit à Antalcidas, capitaine Spartiate, pour vaijter sa patrie : «Nous vous avons souvent « repoussés des bords du Céphise.—Et nous, répondit « le général lacédéaionien,nous ne vous avons jamais « repoussés des bords de l'Eurotas.» 23. On demandait à Cléomène, roi de Sparte, pourquoi les Lacédémoniens ne consacraient pas aux dieux les dépouilles des ennemis ? « Parce qu'elles <:< ont été remportées sur des lâches , » répondit-il. Un pirate, ayant pillé les terres des Lacédémoniens, fut pris et conduit devant Cléomène, qui lui demanda pourquoi ilvenoit ainsi ravager le pays ? «Je n'avois rien « pour vivre ni pour donner aux autres, dit le corsaire ; « je suis venu vers ceux qui avoient quelque chose, et « leur ai arraché ce qu'ils refusoient de donner.—Voi« là une méchanceté laconique, » reprit Cléomène. 24. Des députés de la ville de Tarragone vinrent annoncer à Auguste , comme un heureux prodige , qu'il était crû un palmier sur l'autel qu'on lui a voit érigé. « C'est une marque que vous n'y faites pas « souvent de sacrifices, » répondit-il. Pacm'ius, ayant dessein de demander une somme d'argent à ce prince, usa de ce stratagème : « Seigneur, « lui dit-il, le bruit s'est répandu que vous m'aviez « fait une gratification considérable : chacun m'en « fait compliment, et tout le monde en parle.—Lais« sez parler le monde, lui répondit Auguste ; mais , « pour vous , n'en croyez rien. » 25. Un Romain, nommé Junius, soupoitchez l'empereur Nerva. Véjentou, qui avoit été consul sous Donatien , et dont les calomnies secrètes avoient causé la mort de plusieurs citoyens, étoit un des convives. On parla de Catulus, connu sous le règne précédent pour un infâme délateur, N.e.-va, qui ne soupçonnoitpas Véjenton d'avoir fait le même métier, s'avisa de dire : % Que feroit maintenant le malheureux Catulus , s'il <i eût survécu à Domiùen? — Ce quïl feroit? dit Ju« nius, il soupcroit avec cous 3 » reprochant finement
�REPENTIR.
à l'empereur , qu'il avoit à sa table un homme qui ne valoit pas mieux que Catulus. 26. Les Grecs Asiatiques, suivant leur usage, nommoient, en présence à'Agésilas, roi de Sparte, le roi de Perse, le Grand-Roi: «Comment est-il plus grand que «moi, dit-il,s'iln'est pas plus tempérant et plus juste?» Un Argien accusant les Lacédémoniens de se gâter par les voyages, en ce qu'ils apprenoient à s'écarter des sages institutions de leurs ancêtres : « Pour vous au« 1res , leur répondit ce prince, les voyages que vouS « faites à Lacédémone ne vous gâtent pas ; ils vous « rendent meilleurs. » 27. Tandis que la guerre sociale mettoit en combustion toute l'Italie, Marius, retranché dans son camp, attendoit une occasion favorable pour attaquer l'ennemi. Popédius Silon , son adversaire, qui cherchoit à l'attirer en pleine campagne, lui disoit, pour le piquer: « Si tu es un si habile capitaine, viens donc combattre « contre moi. — Et toi, lui répondit Marius, si tu es « un si grand général, force-moi donc à te livrer « bataille. » Voyez PLAISANTERIE, RAILLERIE.
*XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX\XXX\XX%
REPENTIR. I.UN homme qui pleuroit amèrement, vînt se jeter aux pieds d'un archevêque de Sens, s'accusant d'avoir commis un inceste avec sa propre fille, et lui demandant s'il y avoit des pénitences qui pussent expier de si grands crimes , avec protestation de les subir, fallût-il endurer mille morts. L'archevêque touché du repentir que cet homme faisoit paroître : « Je vous « enjoins seulement, dit-il, une pénitence de sept «années Comment , interrompit ce pécheur con« trit, quand je vivrois jusqu'à la lin du monde , pour« rois-je effacer mon péché ?—Allez, reprit le prélat, « et jeûnez seulement trois jours au pain et à l'eau. » Alors ce bon-homme , versant un torrent de larmes , et se frappant la poitrine , supplioit le pontife de lui imposer une plus longue pénitence. L'archevêque ,
�l48
REPENTIR.
surpris et édifié* en même temps : «Je vous commande, «c lui dit-il, absolument, et pour la dernière fois , de « vous retirer , et de dire seulement un Pater pour « votre pénitence.» Dans le même instant, cet homme véritablement contrit , jetant un profond soupir, tomba par terre , et rendit Famé. 2. Julien F Apostat épuisoit toutes les ressources pour faire au paganisme un grand nombre de prosélytes. Il s'attachoit sur-tout à pervertir les soldats. L'ignorance, le désir d'avancer dans le service , Fhabitude de ne connoître d'autre loi que la volonté du prince , lui faisoient espérer, de leur part, une soumission aveugle. Pour surprendre plus aisément leur foi sans l'alarmer , l'empereur usa d'un stratagème. Un jour qu'il devoit distribuer aux troupes une gratification , il feignit de vouloir rappeler une coutume pratiquée, disoit-il, par les anciens empereurs. A côté de son tribunal, il fit dresser un autel et une table chargée d'encens. Sur l'autel s'élevoit une enseigne qui portoit l'image de Julien et de ses dieux. Il prit ensuite séance avec tout l'appareil de la majesté impériale. Les soldats , approchant à la file , passoient d'abord devant l'autel : on les avertissoit de jeter un grain d'encens dans le feu qu'on y avoit allumé. La crainte, la surprise, la persuasion que ce n'étoit qu'un ancien usage , et sur-tout For qu'ils voyoient briller dans la main du prince , étouffoient les scrupules. 11 ne s'en trouva que fort peu , qui , refusant de payer ce tribut à l'idolâtrie , se retirèrent sans se présenter à l'empereur. Après cette cérémonie, quelques soldats chrétiens burent ensemble , et Fun d'eux fit, selon la coutume,le signe de la croix. Un de ses camarades se mit à rire ; et comme il lui en demandoit la raison : « Eh quoi ! répondit l'autre, avez-vous déjà oublié ce « que vous venez de faire ? Depuis que vous avez jeté « l'encens sur l'autel, vous n'êtes plus chrétien. » A cette parole, tous se réveillant comme d'une léthargie, poussent des grands cris , fondent en larmes , s'arrachent les cheveux , courent à la place publique en criant : « Nous sommes chrétiens 5 l'empereur nous a
�REPENTIR.
149
« trompé, il s'est trompé lui-même : nous n'avons pas « renoncé à notre foi. » Ils se rendent au palais : ils se plaignent de la supercherie ; et, jetant aux pieds de l'empereur l'or qu'ils avoient reçu , ils demandent la mort en expiation de leur crime. JaZzen irrité commande qu'on leur tranche la tête. On les conduit au supplice, hors de la ville , suivis d'une foule de peuple qui admire leur courage et leur généreux repentir. Selon un usage établi par les lois romaines , lorsqu'il s'agissoit de punir ensemble plusieurs criminels, dans l'interrogatoire , on commençoit par appliquer à la question le plus jeune , et dans l'exécution , le plus âgé étoit le premier mis à mort. Mais le plus vieux de ces soldats obtintdubourreauqu'il commençât par le moins avancé en âge, de peur que sa constance ne s'ébranlât à la vue du supplice.de ses camarades. L'épée étoit déjà levée , lorsqu'on entenditun cri qui annonçoitleur grâce. Alors, le jeune homme, qui attendoit à genoux le coup mortel, se leva en soupirant: «Hélas ! dit-il, Romain{v'é,« toit son nom ) ne méritoit pas l'honneur de mourir « pour Jésus-Christ ! » Julien se contenta de les casser, et de les reléguer dans les provinces éloignées. 3. Les Lacédémoniens, aulieu de conduire leurs troupes dans PAttique, comme ils s'y étaient engagés,songèrentà se renfermer dans le Péloponnèse, pour s'y défendre.Dans cette vue, ils avoient commencé à élever un mur sur l'isthme, pour en fermer l'entrée à l'ennemi, et par là ils comptaient qu'ils seraient en sûreté, et n'auroientplus besoin des Athéniens. Ceux-ci députèrent à Sparte, pour se plaindre de la lenteur et de lanégligence de leurs alliés. Les Ephores ne parurent pas fort touchés de leurs remontrances, et remirent leurs réponses au lendemain ; puis, traînant l'affaire en longueur, sous differens prétextes, ils gagnèrent dix jours, pendant lesquels lamuraille fut achevée. Us étoientprès de renvoyer honteusement les députés, lorsqu'un particulier leur ayant représenté quelle indignité il y aurait a traiter ainsi les Athéniens, après toutes les pertes volontairesqu'ilsavoient souffertes généreusement pour la défense comm une de la liberté,et tous les services impol-
ie 3
�lOÙ
REPUTATION,
tans qu'ils avoient rendus à la Grèce , ils ouvrirent le* yeux, et eurenthonte d'une si noire perfidie. L'effetde cet heureux repentir futprompt. Dès la nuit même, ils firent partir, à l'insu des Athéniens, cinq mille Spartiates, qui avoient avec eux chacun sept Ilotes.Le lendemain matin, les députés renouvelant leurs plaintes avecbeaucoupdevivacité,furenttrès-surpris d'apprendre que le secours étoit en chemin, et s'approchoit de l'Attique. Voyez CONSCIENCE, PÉNITENCE, REMORDS. RÉPUTATION.
i. _iE vicomte de Turenne se rendant à la cour, où le roi l'appeioit, pour lui témoigner la satisfaction qu'il avoit de ses services importans, trouva sur sa route un concours de gens de tout âge et de toute condition,qui venoient au devant de lui pour le voir. Il y en eut eu Champagne, qui vinrent de dix lieues sur le chemin par où il devoit passer; et ceux de cette province, persuadés qu'ils lui dévoient tout le bien et tout le repos dont ils jouissoient, versoient des larmes de joie en le voyant. Chacun le regardoit comme un homme qui venoit de sauver l'état. On s'arrêtoit dans les rues de Paris pour le voir passer : il ne pouvoitplus aller dans les •églises, qu'ilnefùt environné d'une foule de peuple, qui sembloit ne pouvoir se rassasier de le voir. La plupart des princes étrangers faisoient venir son portrait. Sa réputation étoit répandue par-tout : il avoit des panégyristes dans toutes les cours, dans tous les pays du inonde. Es t-il rien de plus flatteur et de plus capable d'exciterle zèle et la vertu des jeunes guerriers, témoins, et souvent jaloux d'unegloire aussi pure et aussi étendue? 2. Sur la réputation du P. Sébastien, savant machiniste , M. Gunterfield , gentilhomme suédois , vint à Paris, pour lui redemander^ pour ainsi dire, ses deux mains, qu'un coup de canon lui avoit emportées; il ne lui restoit que deux moignons au-dessus du coude. Il s'agissoit de faire deux mains artificielles, qui n'auroient pour principe de leur mouvement, que celui de ces
ï
�R K S O L U T I O Ns
moignons, distribué par des bis à des doigts quisfer flexibles. On assure que l'officier suédois fut rein1 au P. Sébastien par les plus habiles Anglais , ] eoutumés cependant à reconnoître aucune sup dans notre nation. Une entreprise si difficile, et le succès ne pouvoit être qu'une espèce de miracle , n'effraya pas tout-à-fait l'habile religieux. Il alla même si loin, qu'il osa exposer aux yeux de l'académie des sciences et du public ses études, c'est-à-dire, ses essais, ses tentatives , et differens morceaux déjà exécutés , qui dévoient entrer dans le dessin général. Il choisit M. du Çwe^pour remplir ses vues-, et cet habile mécanicien mit la main artificielle en état de se porter au chapeau de l'officier suédois ; de l'ôter de dessus sa tête, et de l'y remettre. Ce chef-d'œuvre mit le comble à la réputation du P. Sébastien , et lui mérita la visite de plusieurs souverains , celle du czar Pz'ezre, qui l'admira et le traita comme s'il eût été son égal; celle du duc de Lorraine qui, étant venu à Paris incognito, alla le trouver dans son cabinet, et y passa plusieurs heures délicieuses. Dès que ce prince fut de retour dans ses états, où il vouloit entreprendre differens ouvrages, il le demanda au duc d'Orléans,Régent du royaume, qui accorda avec joie au prince, son beau-frère, un homme qu'il aimoit, et dont il étoit ravi de favoriser la gloire. Le voyage duP. Sébastien en Lorraine, la réception et l'accueil qu'on lui ht , renouvelèrent presque ce que l'histoire grecque raconte de quelques poètes, ou philosophes célèbres, qui allèrent dans des cours où l'éclat de leur nom les avoit appelés , pour y recevoir les récompenses dues à leur renommée. VoyezViENOMMY.'E, RÉSOLUTION.
I.SYLLA voyant ses troupes qui fuyoient dans un combat qu'il donna près d'Orchomène , met pied à terre , arrache un drapeau des mains d'un soldat qui fuyoit , et marche à l'ennemi , en s'écriant : « C'est «ici, c'est ici qu'il m'est'glorieux de mourir pour
ïv 4
�i5s B. É S O L U T I O N. « vous : si l'on vous demande jamais en cruel lieu « vous avez abandonné votre général, souvenez-vous « de répondre que c'est à Orchomène. » Ces paroles font rougir les guerriers qui les entendent. Us se rallient ; ils combattent de nouveau ; ils triomphent. 2. 11 est quelquefois arrivé à de grands capitaines de s'ôter tout espoir de retraite pour animer le soldat à vaincre ou à périr. Le prince Maurice, à la bataille de Nieuport, lit écarter ses vaisseaux qui auroient pu servir de retraite à ses troupes ; et les menant au combat : « Mes amis , leur dit-il, vous avez derrière « vous Nieuport, qui est aux ennemis ; la mer à « gauche ; une rivière à droite , et les ennemis en « tête; il ne vous reste qu'un chemin, c'est de passer « sur leur ventre ; » et , par cette héroïque disposition, il gagna une bataille, qui fut la cause du salut de la répuhliquo pour laquelle il combattoit. 3. Les flottes de Turquie et de France assiégeoientde concert la ville de Nice, il y a plus de deux siècles.Un gentilhomme savoyard, qui y commandoit, répondit à la première sommation qu'on lui fit de livrer la place , « que l'on s'étoit fort mal adressé ; que de son nom, il « s'appelait MLonuFort ; qu'en ses armes il portoit des « pals; que sa devise étoit ; Il me faut tenir ; et que, « pour ces considérations, il ne falloit attendre de lui « qu'une vigoureuse défense, » Il tint parole, et força lesTurcs et lesFrançais à abandonner leur entreprise. 4- Un ofhcier-=général, du plus grand mérite et de la plus brillante réputation , commandoit dans une bonne place où les ennemis se disposèrent à l'assiéger. Il avoit coupé la rivière qui y passoit ; et bientôt les ennemis qui parurent et qui se campèrent sur les bords de cette rivière , eurent épuisé le peu d'eau qu'avoit laissé la coupure. Leur général fut réduit à envoyer un trompette au commandant de la place, pour le prierde lui donner de l'eau. Il répondit qu'on lui en demando.it de trop loin, mais que si ce général vouloit d'excellent vin de Champagne , il lui en offrait. Le général prit cette réponse pour une raillerie. Il renvoya le ironxpette pour dire au commandant que s'il ne lui
�RESOLUTION.
donnoit de l'eau , il brûlerait toute la ville avec ses bombes, el qu'après le siège il achèverait de brûlerce que les bombes auraient épargné ; qu'il mettroit enfin le feu par-tout. « Dites-lui , repartit le commandant, « qu'il n'y pense pas , et que lorsqu'il me menace du « feu , il m'avertit de garder l'eau pour l'éteindre. » 5. Jean Guiton ayant été élu maire, capitaine et gouverneur de la Rochelle, pendant que Louis XIII formoit le siège de cette ville rebelle, assembla les habitans, prit un poignard, et leur dit : «Je serai maire, puisque « vous le voulez absolument , niais à condition qu'il « me sera permis d'enfoncer ce poignard dans le sein « du premier qui parlera de se rendre. Je consens « qu'on en use de même envers moi, dès que je pro« poserai de capituler; et je demande que ce poignard « demeure tout exprès sur la table de la chambre où « nous nous assemblons dans la maison-de-ville. » La famine ayant réduit la Rochelle à la plus affreuse désolation, le maire vit une personne exténuée parlafaini: « Elle n'a plus qu'un souffle de vie, lui dit quelqu'un. « — Qu'y a-t-il d'étonnant? répondit-il. Il faudra bien « que nous en venions là , vous et moi , si nous ne « sommes secourus. — Mais , ajouta un autre , la « faim emporte tant de monde, que bientôt nous « n'aurons plus d'habitans. — Eh bien! reprit le maire, « il suffit qu'il en reste un pour fermer les portes. » 6. Pélopidas, ce Thébain fameux, qui, après avoir rendu la liberté à sa patrie , l'éleva au comble de la gloire , marchoit à la tête de son armée. Un soldat ayant aperçu les Lacédémoniens qui approchoient , courut lui dire : « Ah ! seigneur, nous sommes tom« bés entre les mains des ennemis. — Lâche , ré« pondit aussitôt le général, dis plutôt qu'ils sont tom« bés entre les nôtres. » Aussitôt il donne le signal, marche aux Spartiates , les attaque , les combat, les défait, et remporte la victoire de Tégyre, fameuse , parce que ce fut la première action où les Lacédémoniens furent battus avec l'avantage du nombre. 7. Une autre fois , Pélopidas marchant contre les troupes d'Alexandre , tyran de Phères , quelqu'un
�l54 RÉSOLUTION. vint lui dire qu'on voyoit approcher ce prince à la tête d'une grosse aimée : « Tant mieux , répondit-il; s'ils <^sont beaucoup nous en battrons un plus grand « nombre. » En effet, ayant aussitôt attaqué l'ennemi , il remporta la victoire ; mais s'étant laissé entraîner par son courage , en poursuivant le tyran qu'il avoit aperçu, il fut enveloppé et tué au sein même de son triomphe. 8. Un citoyen de Lacédémone, appelé Pœdarète, entendant dire que l'armée des ennemis étoit très-nombreuse, répondit avec une intrépide résolution : «Tant « mieux , le danger sera plus grand , et la victoire « plus glorieuse. » 9. Le premier exploit qui signala la valeur de Charles XII, roi de Suède , fut une descente qu'il fit à Coppenhague, Capitale du Danemarek. Les bateaux de débarquement n'étoient. encore qu'à trois cents pas du rivage , lorsque ce prince , impatient de ne pas aborder assez près, ni assez vite, se jeta de sa chaloupe dans la mer , l'épée à la main , ayant de l'eau par-dessus la ceinture. Les officiers , les soldats suivent aussitôt son exemple , et marchent au rivage , malgré une grêle de mousquetade que tiroient les Danois. Le roi, qui n'avoit jamais entendu de sa vie de mousqueterie chargée à balle , demanda au major Stuar , qui se trouvoit auprès de lui, ce que c'étoit que ce petit sifflement qu'il entendoit à ses oreilles ? « C'est le bruit que font les balles de fusil, qu'on vous « tire , dit le major—Bon ! reprit le roi , ce sera dé« sormais ma musique. » 10. Le maréchal Fabert, en forçant une barricade, y fut blessé àlacuisse d'un coupde feu. On trouva saplaie si dangereuse par une furieuse inflammation, etpar un commencement de gangrène, que les chirurgiens conclurent à l'amputation de la partie malade. Les amis de ce grand capitaine le conjurèrent de consentir à se laisser retrancher un membre pour conserver tous les autres : « Non, non, leur répondit-il : il ne faut point « mourir par pièces ; la mort m'aura tout entier , on « n'aura rien. » Le maréchal dut son salut à cette
�RESPECT.
355
fermeté ; car il guérit, malgré la délibération des suppôts d'Esculape. 11. Dans les circonstances critiques et fâcheuses , souvent le moindre objet nous détermine, et nous inspire une courageuse résolution. Denys l'ancien , au commencement de sa tyrannie, eut beaucoup à souffrir des fréquentes révoltes desessujets.Un jour,ilfutassiégé dans son palais parle peuple; et ses amis lui conseilJoient de renoncer au trône , s'ilvouloit éviter la mort. Le despote balançoit ; mais voyant un bœuf que son cuisinier étendit mortd'un seul coup : « Mes amis, dit-il « à ses conseillers, la mort est un instant si court, qu'il « seroit ridicule de quitter un empire par la crainte « d'un mal qui passe si promptement. » Il s'arma d'une généreuse hardiesse ; et bientôt il fit trembler à son tour les ennemis de son injuste grandeur. 12. Callicratidàs, généra] de Svavte, étoit sur lepoint d'attaquer la flotte des Athéniens , lorsqu'un aruspice vint l'avertir que les auspices annonçoient la victoire aux Lacédémoniens, mais la mort à leur chef. Callicratidas répondit, sans s'effrayer : « La destinée de « Lacédémone n'est pas attachée à un seul homme. « Après ma mort, ma patrie trouvera sans peine un « autre chef; mais, si la crainte me fait reculer devant «l'ennemi, ma honte rejaillira sur elle.» Il choisit ensuite Cléandre pour son successeur ; et engagea le combat où il périt. Voyez ASSURANCE, COURAGE , INTRÉPIDITÉ, SANG-FROID.
*VXV\'\.VVVXCI.\\'\% VV\\v\X"VX.\\VX\X VA.'VXV V\X\'V\'VXX\'VX'V\V\'VXX'V-\\'V1.%\'VW\X.XX\'VX\'*t
, , ,
RESPECT.
EMNON , le plus grand des généraux de Darius, oi de Perse, entendant un soldat qui parloit mal d'Alexandre: «Scélérat, lui dit-il, enle frappant de sa javeline , je ne t'ai point pris à ma solde pour parler « mal de ce prince,mais pour combattre contre lui.» 2. AntoinezZe Lève,1'un des plus célèbres généraux de Charles- Quint, s'étant rendu auprès de ce prince, le monarque lui fit l'accueil le plus honorable. De Lève
l
\
�356 RESPECT. étoit plus que septuagénaire. Charles le fait asseoir près de sa personne , et veut absolument qu'il se couvre ; et, comme ce héros m arquoit quelque ré)ugnance à mettre son chapeau , le prince le pose ui-même sur sa tête , en disant : « Un capitaine ita« lien , qui a servi glorieusement pendant soixante « campagnes , mérite bien de jouir des privilèges des « Grands d'Espagne , et d'être assis et couvert , à « l'âge .'de soixante et treize ans , en présence d'un « empereur qui n'en a que trente. » 3. Jean-sans-Terre , roi d'Angleterre, faisoit à ses Tiarons une guerre cruelle. Il assiège, en i2i5, le château de Rochester. Guillaume à'Albinet, gouverneur de cette place , y étoit renfermé avec toute sa famille. Ce grand homme , voyant un arbalétrier qui visoit au roi, et qui alloit le tuer : « Malheureux ! s'éeria-t-iï, « en détournant le coup, songes-tu que c'est le roi ? « Je sais que nous sommes réduits aux dernières ex« trémités ; que nous manquons de tout; que nous « n'avons aucun espoir de secours ; qu'il va donner « l'assaut ; qu'il fut toujours sans miséricorde ; qu'il « nous fera tous massacrer, et que ma fille et moi « serons les premières victimes qu'il sacrifiera à son « implacable cruauté : mais c'est le roi. » 4- Fabius Maximus, qui avoit été dictateur, alloit à cheval au devant de Ouinlus Fabius Maximus, son fils, qui venoit d'être créé consul. Ce jeune homme, voyant son père venir à lui sans descendre de cheval, lui envo}Ta commander de mettre pied à terre. Fabius descencendit aussitôt ; et, courant embrasser son fils : « Je « me réjouis , lui dit-il , de ce que tu te conduis en « consul. » Ce grand homme se trouvoit plus honoré d'avoir un fils qui sût soutenir sa dignité, que de se voir respecté par le premier magistrat de la république. 5. M. Du Hamel, célèbre académicien , avoit été curé de Neuilly-sur-Marne ; et, tous les ans, il alloit visiter cet ancien troupeau. Le jour qu'il y passoit étoit célébré dans tout le village, comme un jour de fête. On ne travailloit point ; et l'on n'étoit occupé que de la joie de le voir. Pendant qu'il fut en Angleterre, les
f
�RESPECT HUMAIN. 35/ catholiques anglais , qui alloient entendre sa messe chez l'ambassadeur de France , disoient communément : « Allons à la messe du saintprêtre. » Ces étrangers n"'avoient pas eu besoin d'un long temps pour prendre de lui l'idée qu'il meritoit. Tout en lui annonçoit ses vertus , et le rendoit respectable.
RESPECT
HUMAIN.
i. XJN hommequise respecte, doit aussi respecter les autres : faire peu de cas de ce qu'on peut penser de nous, c'est le propre de l'impudence. Après la perte de la bataille de Cannes, les Romains vaincus cherchoientleur salutdans lafuite.Co/-neZ£WZe«£«ZttJ,quifuyoitcomme les autres, aperçutle consulEmilius, dangereusement blessé, et appuyé contre un arbre. Il court à lui, sans songer davantage aux ennemis qui le poursuivent : il descend de cheval, et supplie le souverain magistrat de la république de ne point mettre le comble au malheur de cette journée , par sa mort. « Je suis jeune , « disoit-il; les forces de ma jeunesse favoriseront mes « efforts-, la vitesse de ma course me fera trouver un « asile ; et d'ailleurs, si l'un de nous deux doit mourir, « illustre Emilius, n'est-il pas plus avantageux pour la « patrie que je périsse, que vous qui la gouvernez ? » Emilius, charmé de cette grandeur d'ame , mais ne voulant pas qu'il fût dit qu'il n'étoit redevable de son salut qu'à la mort d'un citoyen , le remercia de ses offres généreuses , lui dit de- se servir de son cheval, pour se dérober lui-même à la poursuite des ennemis; que pour lui, il rougissoit de survivre à tant de Romains et à la gloire de Rome, et qu'il attendoit le coup fatal qui termineroit ses jours avec constance et avec joie. Ensuite il fit ses adieux à Lentulus, et le chargea de dire au sénat tout ce qu'il croyoit nécessaire de faire dans les circonstances présentes. Lentulus le quitta les larmes aux yeux ; et le consul fut massacre peu de momens après.
�2. Le consul Varron, par sa témérité, avoit perdu Ja bataille de Cannes. Cependant le sénat lui offrit la dictature. Mais Varron , instruit par une funeste expérience , rougit des honneurs qu'on lui déféroit ; «t, craignant de paroître indigne d'une république si généreuse , il répara , en quelque sorte, sa faute , en refusant cette suprême dignité. 3. Depuis la fondation de Rome , jusqu'au temps de Scipion l'Africain , les sénateurs et les plébéiens assistoient pêle-mêle aux spectacles publics. Cependant , durant un si long espace de temps , jamais on ne vit un seul homme du peuple se placer devant un sénateur : chacun se faisoit honneur de céder le pas à ces graves patriciens dont la sagesse veilloit sans cesse au bonheur de l'état ; et l'on se fût cru déshonoré , si l'on eût manqué à cet acte de politesse. 4- Gode/roi de Bouillon, ayant été proclamé roi de Jérusalem, ne voulut point ceindre le diadème. «Eh « quoi ! disoit-il , je porterais une couronne d'or et <i de diamans dans une ville où le Fils de Dieu , le « Maître et le Créateur de l'univers, s'est vu indigne« ment couronner d'épines pour expier nos fautes ! « Un misérable vermisseau , un vil mortel recevrait << dans Jérusalem plus d'honneurs que le Tout-Puis« sant! Que penseroit-on de ma piété? Que diroit-on « de mon respect pour le Sauveur du monde ? »
a 58
R E T E N V E.
RETENUE. i. VJN solitaire , se sentant ému de colère dans son monastère , dit en lui-même : « Je m'en irai dans le « désert , afin que n'ayant là personne avec qui je « puisse avoir aucun démêlé, cette passion se calme. » Etant donc allé dans la solitude, et s'étant retiré dans le fond d'une caverne , sa cruche qu'il avoit remplie d'eau, se renversa trois fois de suite. Cet accident le mit dans une si grande colère , qu'il jeta la cruche , et la cassa. Mais" aussitôt > rentrant en. lui-même , il
�RETENUE.
^
l59
dit : « Le démon de la colère m'a trompé ; car, quoi« que je sois seul, elle ne laisse pas de me vaincre : « puis donc que par-tout où il y a à combattre, nous « avons besoin de patience et du secours de Dieu, je « m'en retournerai au monastère. » 2. Platon, irrité contre son esclave , se préparoit à le châtier , lorsque Xénocrates survint : « Tiens , « mon ami, lui dit-il, donne les étrivières à ce coquin j « car je suis fort en colère. » 3. Alfonse V, roi d'Aragon , étant à table, donna la coupe à Perreti, son échanson , lui disant de la porter à un seigneur qu'il estimoit beaucoup. L'échanson , brouillé mortellement avec cette personne, refusa de la lui présenter ; et, quoique le roi le lui eût commandé jusqu'à trois fois , jamais il ne voulut obéir. Alfonse perd enfin patience : enflammé de colère , il se lève de table , poursuit cet officier, l'épée à la main ; mais, au moment qu'il est prêt à le frapper , il jette tout-à-coup son épée , en disant : « Il « vaut mieux te pardonner, que d'écouter mon res'i sentiment et le plaisir de la vengeance. » 4- Un officier espagnol, nommé le capitaine Mich.au, vint offrir ses services à Henri IV, sous prétexte des mécontentemens qu'il avoit reçus de la cour d'Espagne, mais en effet à dessein de prendre son temps pour arracher la vie au roi, et sacrifier cette grande victime à l'ambition de PhilippeII. Henri en fut averti, et se tint sur ses gardes. Il chassoit, un jour , dans les forêts d'Aillas : il s'aperçut que le traître le suivoitj, bien monté , avec deux pistolets aux arçons de sa selle, bandés et amorcés. Le monarque étoit mal accompagné 5 il se tourna du côté du perfide capitaine, et lui dit avec une voix assurée, et de ce ton d'autorité si naturel aux grands rois : « Capitaine Michau, mets pied à terre ; je veux essayer si ton cheval est aussi bon que tu le dis. » Le capitaine étonné obéit ; et descend de cheval. Le roi saute en selle; et, prenant les deux pistolets : « Veux-tu , lui dit-il, tuer quel« qu'un? On m'a dit que tu en voulois à ma vie; mais « je suis maître de la tienne, et puis te l'ôter. » En
�l(5o
RETRAITE.
disant ces mots , il lâche les deux pistolets en l'air , et lui commande de le suivre. Le capitaine s'étant excusé,prit congé deux jours après , et ne parut plus. 5. Mégabyse , seigneur persan , étant allé voir Zeuxis, fameux peintre de l'antiquité , commença à dire son sentiment sur la peinture et sur les tableaux, selon la coutume des grands qui jugent de tout sans rien savoir. Les écoliers de Zeuxis se mirent à rire de ses jugemens hasardés. « Seigneur, lui dit Zeuxis, « je vous conseille de laisser cette matière. A vant que « vous eussiez parlé ces enfans, éblouis par lamagni« licence de vos habits , avoient du respect pour vous; « mais, depuis que vous parlez, il ne peuvent retenir « le mépris qu'ils conçoivent cle vos paroles. » Voyez
CIRCONSPECTION , MODÉRATION.
RETRAITE. i. Ï_JE philosophe Cléante, voyant un homme solitaire qui conversoit avec lui-même : « Prenez garde, lui dit« il, que vous ne vous entreteniez avec un méchant. » 2. Théoclose-le-Grand cherchoit un chrétien sage et éclairé pour former le coeur à'Arcadius son fils , et pour y jeter les pures semences de la véritable vertu. Il le trouva dans Arsène , distingué par sa noblesse , et plus encore par l'intégrité de ses mœurs , et par une parfaite connoissance des lettres et de toutes les sciences humaines. Lorsqu'i/oraorzW, qui naquit Fannée suivante 585, fut en âge de recevoir des leçons, il le joignit à son frère , sous la direction à'Arsène. Cet habile instituteur ne manquoit d'aucun des talens propres à former de grands princes, si dans ses élèves, la nature ne se fût pas refusée à ses soins. Théodose lui donna sur eux l'autorité qu'il avoit lui-même. Mais Arsène, après onze ans de travaux continuels, se dégoûta de la cour. Il vivoit dans la pompe et la délicatesse, superbement vêtu et meublé , servi par un grand nombre de domestiques ; l'empereur lui entretenoit
�RIS.
l6i
entretenoït une table somptueuse. À l'âge de quarante ans , il fit réflexion que , tandis qu'il se Jivroit tout entier à l'éducation des deux princes, il ne travailloit pas à se réformer lui-même. Frappé de cette pensée, il se retira secrètement du palais; et, s'étant dérobé à toutes les recherchas de Théodore, il s'alla cacher dans le désert de Scéihé, où il vécut, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, dans la plus austère pénitence, plus content dans sa chère solitude, qu'au milieu des grandeurs dont il étoit environné. 3. S. Jérôme disoit que les villes lui paroissoient être d'affreuses prisons , et que la solitude , au cou-traire, lui sembloit un lieu de délices, un paradis. Ce grand docteur pensoit, sans doute, comme il parloit , puisqu'il préféra au voluptieux séjour de Piome, les affreux déserts de la Syrie , où, vêtu d'une casaque, couché sur la terre, vivant l'herbes , il habiloit avec les serpens et les bêtes sauvages.
R I S. i. UN bourgeois de Paris voyoit rire un savetier qui demeuroit auprès de chez lui > toutes les fois qu'il passoit. Un jour que cela l'impatienta plus qu'à l'ordinaire : « D'où vient, lui dit-il, que tu ris toutes les fois que « je passe ?— Et d'où vien t, lui répondit brusquement « le savetier, passez-vous toutes les fois que je ris ?» 2. Un homme étoit extrêmement malade ; un assoupissement mélancolique et presque continuel étoit son mal. Son singe , qui logeoit avec lui, cherchoit à se consoler de la maladie de son maître , par quelques friandises : il furetasibien, qu'il vint à un gobelet d'une médecine préparée, qu'il avala. Mais la potion ne tardant point à opérer , il se mit à courir par toute la chambre; faisant sauts et gambades, et criant avec des grimaces effroyables. Son maître, sachant la cause de son agitation , se mit pour lors si fort à rire , qu'il se trouva beaucoup soulagé , et recouvra la santé. Tome III. L
�l62
ROUGEUR.
3. Un cardinal étoit réduit à l'extrémité , par un abcès qui ne pouvoit crever. Chacun comptant qu'il n'en revi endroit pas, faisoitson inventaire, et s'aceommodoit de tout ce qui pouvoit lui convenir. Un singe , voulant aussi avoir part au butin, se saisit de la calotte rouge, qu'il mit sur sa tête, et se présenta, ainsi coiffe, devant le cardinal, qui fit un si grand éclat de rire , que l'abcès creva , et il recouvra la santé. ^..Philémon, poète comique qui florissoit du temps d' Antigonus-Gonatas , roi de Macédoine , avoit fait apporter des figues pour son repas. Comme il se préparait à les manger, un âne entre, et les dévore, thïlémon trouve la chose si plaisante , qu'il se (prend à rire de toute sa force. Son esclave, qui étoit allé chercher du vin , rentre dans ce moment. « L'âne a assez « mangé , lui dit Philémon ; donne-lui maintenant à « boire. » En disant ces paroles , il redoubla ses ris avec tant de violence, qu'il en mourut. Voyez GAIETÉ , HUMEUR (bonne), JOIE.
^VX\XXVlrXX%VVl.'X%-vV-\-v* V'V'V-\%'V*'V'V*VX-VX-V'V'*.'V\»XX\V'V'VXX'V-V'V\-*'LV'V'V-VX\V'VVt-VX'V\»
J
ROUGEUR.
1. -■-^'IOGÈNE, apercevant un jeune homme qui rougissoit au moindre met équivoque : « Courage ! mon « ami, lui dit-il ; je vois sur votre visage le. coloris de « la vertu. » 2. Le philosophe Hippocratide rencontra un jeune homme accompagné d'un de ses amis, connu par ses débauches.Le jeune homme eut honte-d'être vu en si mauvaise compagnie : <ï Courage ! mon enfant, lui dit « le sage ; j'aime à voir en vous cette marque de pu« deur. Mais qu'il vaudrait bien mieux aller avec des « i; pns dont la société ne pût vous faire rougir ! » Voyez
HONTE, PUDEUR, RESPECT HUMAIN.
�SAGACITÉ.
l63
\\\\\ uu\m\vu\\\\\\u\ »W\.\W%A xwwiv
SAGACITÉ.
EUX paysans dévoient tirer au sort devant un intendant de province, pour savoir lequel des deux seroit choisi pour la milice. Le plus jeune avoit été recommandé à l'intendant, qui fit mettre dans la boîte deux billets noirs ; ensuite il dit aux deux paysans : « Celui qui tirera le billet noir partira ; » et, adressant la parole à celui qu'il vouloit engager : «Tire le premier ; « je te l'ordonne. » Mais le rusé villageois , se doutant du tour qu'on lui jouoit, tire le billet, et l'avala surle-champ. «Que fais-tu, malheureux ?—Monseigneur^ « si le billet que j'ai avalé est noir, celui qui est dans « la boîte doit, être blanc ; il faut le voir : dans ce cas, « je partirai ; et si j'ai avalé le billet blanc, mon cama« rade partira : vous pouvez facilement savoir la véri« té. » L'intendant embarrassé fut obligé de lui faire grâce ; et pour ne point déplaire à ceux qui lui avoient recommandé l'autre , il fit grâce à tous les deux. 2. Alfonse, roi d'Aragon, alla chez un jouaillier avec plusieurs de ses courtisans. A peine fut-il sorti de la boutique , que le marchand courut après lui pour se plaindre qu'on venoit de lui dérober un diamant de grand prix. Le monarque rentre aussitôt avec toute sa suite , et se fait apporter un grand vase plein de son. Il ordonne que chacun de ses courtisans y mette la main fermée, et l'en retire toute ouverte -, lui-même commence le premier. Après que tout le monde eut suivi son exemple, il dit au jouaillier de vider le vase sur la table. Par ce moyen , le diamant fut retrouvé , et personne ne fut déshonoré. 3. Un empereur de la Chine,nommé Vou-Tï, avoit beaucoup depenchantpour les sciences occultes.Unimr posteur lui apporta un élixir, et l'exhorta à le boire, lui promettantque cebreuvagele rendrait immortel. Un de ses ministres qui étoit présent, ayanttenté inutilement de le désabuser, prit la coupe et butlahqueur. L'empereur, irrité de cettehardiesse, condamna à mort le manL 2
1
.13
�1
&4
SAGESSE,
darin , qui lui dit d'un air tranquille : «Si ce breuvage « donne l'immortalité*, vous ferez de vains efforts pour « me faire mourir* et s'il ne la donne pas, auriez-vous « l'injustice de m'arracher la vie pour un si frivole lar« cin ?Ce discours calma l'empereur, qui ne put s'empêcher de louer la prudente sagacité de son ministre.
SAGESSE.
I.HJA plupart des évêques,rassembléspourleconcile de Nicée, avoienf entre eux des querelles particulières. Ilscroyoientl'occasionfavorable pour porte rieurs plaintes à l'empereur , et en obtenir justice. C'éîoient tous les jours de nouvelles requêtes, de nouveaux mémoires d'accu sa tion. Constantin, en ayant reçu un grand nombre , les fit rouler ensemble, sceller de son anneau, et assigna un jour pour y répondre. Il travailla, dans cet intervalle, à réunir les esprits divisés. Le jour venu , les parties s'étant rendues devant lui pour recevoir,la décision, il se fit apporter le rouleau ; et le tenant entre ses mains : « Tous ces procès , dit-il , ont un jour auquel ils sont assignés : c'est celui du jugement général. Ils ont un juge naturel : c'est Dieu même. Pour moi, qui ne suis qu'un homme , il ne m'appartient pas de prononcer dans des causes où les accusateurs et les accusés sont des personnes consacrées à Dieu. C'est à eux de vivre sans mériter de reproches, et sans en faire. Imitons la bonté divine, et pardonnons ainsi qu'elle nous pardonne : effaçons jusqu'à la moindre de nos plaintes par une réconciliation sincère, etne nous occupons que de la cause de la foi qui nous rassemble.» Après ces paroles, il jeta au feu tous ces libelles, assurant , avec serment, qu'il n'en avoit pas lu un seul. « Il « faut, di'spit-il, se donner de garde de révéler les fa u « tes des ministres du Seigneur, de peur de scandaliser « le peuple , et de lui prêter de quoi autoriser ses désor« dres. » On dit même qu'il ajouta que s'il surprenoit un évêque en adultère, il le couvriroit de sa pourpre , pour en cacher le scandale aux yeux des Fidelles.
�S A S E S S E. l65 Cœréphon, disciple zélé de Socrate, étant allé a Delphes, demanda à l'oracle s'il y avoit au monde un homme plus sage que Socrate. La prêtresse répondit qu'il n'y en avoit aucun. Cette réponse embarrassa Socrate , et il eut peine à en comprendre le sens ; car , d'un côté , il savoit bien, dit-il lui-même , qu'il n'y avoit en lui aucune sagesse, ni petite , ni grande ; et de l'autre , il ne pouvoit soupçonner l'oracle de fausseté ou de mensonge, la divinité étant incapable de mentir : il fit donc mille efforts pour en comprendre le sens. D'abord il s'adresse à un puissant citoyen, homme d'état et grand politique , qui passoit pour un des plus sages de la ville , et qui lui-même étoit encore plus persuadé que tous les autres de son mérite. Il trouve, dans la conversation , qu'il ne sait rien, et le lui insinue adroitement ; ce qui le rendit très-odieuxà ce citoyen, et à tous ceux qui avoient été témoins de cette épreuve. Il en fut de même de plusieurs autres qui se piquoient aussi d'une sublime sagesse ; et tout le fruit de ses recherches fut de s'attirer un plus grand nombre d'ennemis.De ces hommes d'état il passa aux poètes qui lui parurent encore plus remplis d'estime pour eux-mêmes , mais en effet plus vides de science et de sagesse. Il poussa ses enquêtes jusqu'aux artisans. Il n'en trouva pas un qui, parce qu'il réirssissoit dans son art, ne se crût très-capable et très-instruit des plus grandes choses : cette présomption étoit le défaut presque général des Athéniens. Comme ils avoient, naturellement de l'esprit, ils prétendoient se connoître à tout, et se croire capables de juger de tout. Ses recherches chezles étrangers nefurentpasplushenreuses. Socrate ensuite, rentrant en lui-même et se comparant à tous ceux qu'il avoit interrogés, reconnoissoit que la différence qui étoit entre eux et lui, c'est que tous les autres croyoient savoir ce qu'ils ne savoient pas, au lieu que pour lui il avouoit sincèrement son ignorance ; de là il concluoit qu'il n'y a que Dieu qui soit véritablement sage ; et que c'est aussi ce qu'a voulu dire l'oracle, en faisant entendre que toute la sagesse humaine n'est pas grand chose, ou plutôt qu'elle n'est rien. « Que si 2.
�l66
SANG
FROID.
« l'oracle m'a nommé, ajouta-t-il, il ne s'est sans doute « servi de mon nom que pour dire à tous les hommes: « Le plus sage d'entre vous c'est celui qui reconnoît, « comme Socrate , qu'il n'y a véritablement aucune « sagesse en lui. » SANG FROID.
i. T-JN orateur déclamoit publiquement contre le célèbre Iphicrate, l'un des plus grands généraux de son siècle.« Qui es-tu, disoit-il avec mépris, et qui peut te « rendre si fier ? Dans quel genre de service t'es-tu dis« tingué ? Es-tu cavalier oufantassin, archer ou cuiras« sier? — Non dit froidement Iphicrate ; mais je suis «celui qui commande à tous ces gens-là. » 2. Sylla , après avoir rempli l'Univers de meurtres et de carnages , abdiqua cette fameuse dictature qui avoit été siAmeste aux Romains , et s'en retourna chez lui en simple particulier.Un jeune homme insolent le poursuivit jusqu'à sa maison, en l'accablant d'injures. Sylla supporta cet outrage avec un grand sangfroid ; il dit seulement: « Ce jeune étourdi sera cause que per•« sonne , après moi , ne se démettra volontairement « de la dictature. » 3. Phocion regardoit comme indigne d'un homme d'état d'employer dans ses discours un style mordant et satvrique , et ne répondit que par le silence et la patience à ceux qui s'en servoient contre lui. Un orateur l'ayant interrompu pour l'outrager , il le laissa parler autant qu'il voulut , puis , reprit son discours froidement,, comme s'il n'avoit rien entendu. 4- Epictète , philosophe stoïcien , esclave d'Epaphrodite, affranchi de l'empereur Néron, fut, dans cet état d'humiliation, un modèle depatience.Un jour son maître, homme violent et emporté, lui donna un grand coup sur la jambe : «Prenez garde de la rompre, » lui d it Epictete sans s'émouvoir. PI us irrité qu'auparavant, Epaphrodite redoubla de telle sorte, qu'il la lui cassa effectivement. « Je Pavois bien prévu, dit alors letran« quille philosophe. »
�SANG FROID. 167 5.Le jour même que CésarîuX assassiné,Brutus, chef de la conjuration, étant alors préteur, rendit la justice et écouta ceux qui seprésentèrent, avec autant de sang froid et de tranquillité que s'il n'eût point eu d'autre affaire. Quelques-uns même de ceux qu'il avoit condamnés, se plaignant de sa sentence, et. criantqu'ils en appeloient à César ; Brutus , sans s'émouvoir , regardant l'assemblée , dit hautement : « César ne m'empê« chera jamais de faire ce que commandent les lois. » 6. L'empereur Marc-Aurele touchoitaux portes du tombeau;mais ce dernier moment, qui souvent déconcerte l'ame la plus intrépide , ne lui avoit rien fait perdre de ce sangfroid philosophique qui constituoit son caractère. Le tribun vint, suivant l'usage, lui demander le -mot : « Mon ami, lui répondit-il, adressez«vous au soleil levant ; pour moi, je me couche. » 7. Philippe II, roi d'Espagne, avoit armé une flotte qu'on nomma l'Invincible, parce qu'elle couvroit tout l'Océan. Son dessein étoit de conquérir l'Angleterre; mais la tempête ruina entièrement ses vaisseaux àla vue des côtes de la Grande-Bretagne. Lorsqu'on lui apprit ce désastre , il étoit à écrire ; il répondit seulement : « Je ne Pavois pas envoyée combattre les vents,» et il reprit la plume comme si cette nouvelle lui eût été absolument étrangère. Une autre fois , ayant passé une nuit entière à faire des dépêches , sur le matin il les donna à son secrétaire , qui les étala toutes sur une table pour y mettre les adresses. Pour qu'elles ne s'effaçassent point , il voulut y mettre du sable ; mais , comme il étoit à moitié endormi, au lieu de la sablière, il prit l'encre, et la répandit tellement, que tout, l'ouvrage de la nuit fut perdu. Philippe lui dit tranquillement: «Voilà le cornet à l'encre, et voilà la sablière;» et, sans autre mouvement d'impatience , il se mit à récrire ce que l'inattentif secrétaire avoit gâté. 8. Le baron de Penterieder, ambassadeur de l'empire près de Louis XIV, avoit la réputation de ne jamais se décontenancer.LoMz'.y X1V\\\\ donnant audience, parut piqné du peu d'impression que sa personne faisoit sur cet ambassadeur. Ce prince, pour l'intimider, l'inter-
�l68 SANG FROID. rompit à la première période de sa harangue, qui commeneoitainsi: «Sire, V'empereur mon maître, m'envoie vers votre majesté : » en lui disant d'un ton élevé : «Plus haut, monsieur l'ambassadeur. » Mais celui-ci lui répondit sans s'émouvoir: « Plus haut? L'empereur, mon maître, sire, m'envoie vers votre majesté....» en nommant l'empereur le premier , haussant la voix et continuant son discours avec assurance. 9. Le marquis deBiveroles, mort officier-général des armées du roi , avoit une jambe de bois. Un boulet de canon la lui emporta, tandis qu'il alloit reconnoître un poste. « Le canon, dit-il, sans montrer aucune émo« tion ; le canon en veut à mes jambes ; mais cette « fois je l'ai pris pour dupe, car j'en ai une autre dans « mon charriot. » 10. Le maréchal Fabert, se disposant défaire le siège d'une ville , montrait les dehors de cette place avec un doigt , pour désigner l'endroit par où il faudrait opérer. Un coup de mousquet lui emporta ce doigt, et il parut n'y pas faire attention : «Messieurs, con« tiiiua-t-il , je vous disois donc qu'il serait bon de «placer ici vos retranchemens. » 11 acheva son discours avec le même sang froid , et en indiquant d'un autre doigt la partie la plus foible de la place. 11. Au fameux passage du Rhin , M. de Vivonne 'étoit au milieu du fleuve , lorsque son cheval fit un mouvement qui pensa le désarçonner. Il se tint ferme; et, conservant toute sa tranquillité : «Au moins, dit-il « à son coursier, ne t'avise pas de faire mourir un « amiral dans l'eau douce. » 12. Les Français , battus à la journée de Brenne"ville en 1119, fuyoient devant le duc de Normandie. Un Anglais saisit la bride dii cheval de Louis-le-Gros , 'en criant : « Le roi est pris ! » Le monarque répondit sans s'émouvoir : Ne sais - tli pas que , même au jeu « des échecs, on ne prend jamais le roi? » En parlant •ainsi, il portoit à ce soldat un coup de sa masse d'arômes , et l'abattoit mort à ses pieds. 13. Au siège de Nanmr , en 1692 , le comte de Toulouse , qui étoit auprès de Louis XIV dans l'ataque d'un ouvrage, reçut an bras un coup de mous-
�SANG FROID. J.69 rpiet. On entendit le bruit de la balle ; et le monarque demanda si quelqu'un étoit. blessé. « Il me sem« ble , dit en souriant le jeune prince , que quelque « chose m'a touché. » Cependant la contusion étoit considérable ; et la balle avoit noirci le galon de la manche ,' comme si le feu y avoit passé. A cetle même expédition,un soldat du régiment des Fusiliers, qui travailîoit à la tranchée, y avoit porté un gabion : un coup de canon vint et emporta son gabion. Aussitôt iî en alla poser à la même place uri autre, qui fut sur-le-champ enlevé par unautre coup de canon.Le soldat, sans rien dire, en prit un troisième et l'alla poser. Un troisième coup de canon emporta ce troisième gabion. Alors le soldat rebuté se tint en repos ; mais son officier lui commandadenepointlaisser cet endroit sans gabion. Le soldat dit : «J'y irai, mais j'y serai tué.» Il y alla, et, en posant son quatrième gabion, il eut le bras fracassé d'un coup de canon. Il revint, soutenant son bras pendant avec l'autre bras, et se contenta dédire à son officier : « Je l'avais bien dit.» Il fallut lui couper lebras, quinctenoit presque à rien. Il souffrit l'amputation sans proférer un seul mot; etapi'ès cette opération cruelle , il dit froidement : «Je suis donchors d'étatde « travailler ; c'est maintenant au roi à me nourir. » i4-A la bataille de Detlingue, en 174°% le jeune comte de Bouffiers, de la branche de Bemiancourt, enfant de dix ans et demi, eut la jambe cassée d'un coup de canon. Il reçut !'e coup,sevitcouperlajambe, et mourut avec un égal sang Froid. Tant de jeunesse el tant de courage attendrirent tous ceux qiii furent témoins de son malheur. 15. Dans la chaleur de la célèbre bataille de Foutenoi, Louis XV fit ramasser les boulets de canon qui tomboient auprès de lui, et ditgaiment à M. de Chabrier, officier d'artillerie : « Renvoyez ces boulets aux en« nemis , je ne veux rien avoir à eux. » 16. Au combat d'Exilés , en 1747 , le marquis de Brienne, colonel d'Artois, ayant eu un bras emporté, retourna aux palissades, en disant : « Il m'en reste un « autre pour le service du roi; «et il fut frappé à mort.
�170 SANG F IO I D. 17. Le comte de Grancé étant blessé au genou, les chirurgiens lui firent beaucoup d'incisions, qu'il souffrit d'abord constamment ; mais , s'impatientant à la fin, il demanda pourquoi ils le charpentoient si cruellement. « Nous cherchons la balle, lui répondirenl« ils. — Eh ! que ne parliez-vous ? leur dit le comte. « Je l'ai dans ma poche. » 18. CharlesXII, roi de Suède, dictoit des lettres à son secrétaire ; en ce moment une bombe partie du camp des ennemis qui l'assiégeoient vivement dans Stralzund,en 1715, tomba sur la maisonoùil étoit,perca le toit, et vint éclater près du cabinet du monarque. Au bruit de la bombe , et au fracas de la maison qui sembloit tomber,, la plume échappa des mains du secrétaire. « Qu'y a-t-il donc ? lui ditle roi d'un airtranquille. « Pourquoi n'écrivez-vous pas? » Le secrétaire ne put répondre que ces mots : « Eh ! sire , la bombe ! — « Eh bien, reprit le prince, qu'a de commun la bombe « avec la lettre que je vous dicte? Continuez. » îq. Les Turcs vouloient secourir la ville de Gran en Hongrie, que le brave Charles de Mansfeld assiégeoit en i5q5. Us envoyèrent un corps de Tartares pour insulter le camp des Impériaux. Mansfeld étoit à table lorsqu'ils s'approchèrent. Ce vaillant capitaine , au bruit qu'il entend , sort de sa tente , et dit , en voyant les Tartares : « Ho ! ho ! voilà donc enfin les « convives que j'attendois depuis si long-temps ? Je « pourrai donc aujourd'hui dîner au milieu de mes « ennemis ? » Il monte à cheval, fond sur ces troupes, les bat, revient dîner, et la ville se rend. 20. Thomas Môrus, chancelier d'Angleterre, ayant refusé de recomnAlva Henri VIII ^onv chef de l'Eglise anglicane, fut condamné à avoir latête tranchée. Etant aux pieds de l'échafaud, il appela un homme auquel il dit : « Mon cher ami, je vous ai appelé pour m'aider à « monter, afin que vous puissiez vous vanter de m'avoir « rendu le dernier service. » Ayant mis la tête sur le billot, et s'apercevant que sa barbe , qui étoit fort longue, étoit étendue dételle sorte que le bourreau l'auroit coupée en l'exécutant, il le pria de l'accommoder
�SAVOIR.
171
de façon qu'elle fût conservée. « Et. d'où vient, lui ré« pondit le bourreau, vous mettez-vous en peine de « votre barbe, vous à qui l'on va couper la tête?—Cela n est fort peu important ponr moi, luirépliqua Morus: « mais C'est pour toi que je parle. Veux-tu être accusé «.de ne pas savoir ton métier , puisqu'on t'a ordonné « de me couper la 1ete , et non pas la barbe ? » 21. Un Espagnol qui n'avoit qu'un œil, et qui étoit dans la galerie d'un jeiWe paume, pour voir jouer, eut l'autre œil crevé d'un coup de balle. Sans s'émouvoir, il ôta son chapeau à la compagnie , en disant : « Bon « soir, messieurs. » Voyez TRANQUILLITÉ.
SAVOIR. différence mettez-vous entre un savant « et un ignorant, demandoit-on au philosophe Aris« tippe ? — Envoyez-les tous deux dans un pays in« habité, répondit-il, et vous le verrez. » S'étant embarqué avec quelqu'un deses concitoyens, il fit naufrage, eteulbiende la peine à se sauver, parle moyen d'une planche, surlescôtes de l'île deRhodes. Il aperçut des figures de mathématiques sur le sable, et s'écria : «Bon courage ! je vois ici des traces d'hommes ! » Quoiqu'il fût dépourvu de tout, son mérite rare le fit bientôt rechercher de tout le monde. H ne manqua de rien, et chacun s'empressade lui marquer son estimepar des bienfaits. Ses compagnons de voyage se préparant à s'en retourner, demandèrent s'il n'avoit rien a faire dire à ses compatriotes? «Dites-leur, répondit Aris« tippe, qu'avant de se mettre en mer, ils fassent pro« vision de ces biens qui échappent au naufrage , et « se sauvent à la nage , avec celui qui les possède. » 2. On demandoit au visir Burzugemiliir comment il avoit fait pour acquérir tant de science ? « C'est, « répondit-il , avec la vigilance d'un corbeau, l'avi« dité d'un pourceau , la patience d'un chien , et la « finesse d'un chat. » 3. On demandoit au docteur Gazali, l'un des plus
1.«QUELLE
�172 SAVOIR-VIVRE. grands génies d'entre 1 esMusulmans, de quelle méthode il s'étoit servi pour arriver à ce haut point de science qu'il avoit acquis ? « C'est, répondit-il, en ne rougis« sant jamais de demander ce que je ne savois pas. » 5. Un de courtisans du sage Alfonse V, roi d'Aragon, s'avisa de soutenir, en sa présence, qu'il avoit lu dans l'histoire, qu'un certain roi d'Espagne disoit que la science ne convient nullement aux gens de qualité, et qu'il est indigne de leur rang de s'y appliquer. « Vous vous trompez, dit Alfonse en l'interrompant, « ce n'est pas un roi qui l*a dit, mais un bœuf. » 5. Démétrius Poliorcèteszyant prisMégare d'assaut, l'abandonna au pillage. Il défendit cependantqu'on touchâtà la maison du philosophe Sdlpon ; mais les soldats échauffés n'entendirent point ses ordres. Stilponrse fit aucune plainte ; et Démétrius lui ayant demandé s'il n'avoit rien perdu : « Rien de ce qui m'appartient, « répondit-il; mes véritables richesses me restent : la « science et l'amour de la vertu ; quant aux autres, « pourquoi m'appartiendroienl-elles plus qu'à l'enne« mi ? » Voyez AMOUR DES SCIENCES, ERUDITION. SAVOIR-VIVRE. i. IL n'est que trop ordinaire aux gens du monde , qui, pour la plupart, bornent leur petite science à la connoissance des usages, de mépriser ceux qui les ignorent. M. le duc de Bourgogne ne pensoit pas ainsi. En 1702, ce prince commandoit en France l'armée française. Un vieux officier, qui connoissoit mieux son métier que les usages de la cour, se mit à la table du prince sans en avoir obtenu la permission. On l'averti t de sa faute, et il en demanda pardon : « Mon« sieur, lui dit obligeamment le duc de Bourgogne, « vous souperez avec moi ; je vous apprendrai la cour, « et vous m'apprendrez la guerre. » 2. Un jeune gentilhomme de Parrière-ban, arrivant au camp de M. de Turenne, demanda à ce général, après l'avoir salué , où il mettrait ses chevaux? A cette
�SECRET.
173
question, tous ceux qui étoient présens éclatèrent de la manière du monde la plus mortifiante pour ce nouveau-venu ; mais le maréchal, prenant un ton sérieux : « C'est donc , dit-il à ces rieurs impitoyables; « c'est donc une chose bien étonnante, qu'un homme, « qui n'est jamais venu à l'armée, n'en sache pas les « usages ? N'y a-t-il pas bien de l'esprit à se rire de « lui, parce qu'il ne sait pas des choses qu'il ne peut « savoir, et qu'au bout de huit jours il saura aussi« bien que vous ? » Il ordonna en même temps à son écuyer d'avoir soin des chevaux de ce gentilhomme, et de l'instruire des autres choses nécessaires. 3. Une demoiselle de province, aussi-bien faite que spirituelle , étoit aimée d'un galant homme dont le bien répondoit à d'autres qualités fort estimables. Beaucoup de soins , de complaisances de la part de ce cavalier , mais point de déclaration : le repsect le retenoit dans les bornes les plus étroites du devoir. Enfin , un jour qu'on parloit , dans une conversation générale, d'engagement et de mariage, le cavalier releva ce mot de manière à laisser entrevoir les sentimens de son cœur. « Voulez-vous rire , monsieur ? lui dit « alors la demoiselle. Dans ce cas , je vais rire avec « vous. Mais parlez-vous sérieusement ? C'est à mon « père à vous répondre. * Voyez AGRÉMENS,, ATTENTIONS , BIENSÉANCE , CIVILITÉ , EGARDS , GRÂCES , MANIÈRES , POLITESSE , TON ( bon- ) , URBANITÉ.
SECRET. 1. PAPIRIUS, surnommé Prœtextatus, fut, dans sa jeunesse, mené au sénat parsonpère,l'un des plus illustres membres de cette auguste compagnie. L'on y déiibéroitsurdesaffaires deladernièreimportance, et qui, par celte raison, exigeoient un profond secret. Quand le jeune sénateur fut de retour, sa mère lui demandace quis'étoitpasséausénat.P«/?iVzHjlui ré pondit qu'il avoit été défendu d'en parler. Cette réponse, rien;moins que satisfaisante, ne fit qu'irriter laeuriositédecette femme.
�174 SECRET. Elle employa les moyens les plus pressans pour obtenir ce qu'elle désirait. Le jeune homme, vivement pressé, crut devoir employer l'artifice, plutôt que de trahir le secret de Pétât. Il lui dit qu'on avoit délibéré s'il serait plus utile à la république de donner deux femmes à nu mari, que deux maris à une femme. L'épouse du sénateur , inquiète sur cette prétendue délibération , courut aussitôt communiquer ses craintes aux autres dames romaines. Le lendemain elles se présentèrent à la porte du sénat , et dirent d'un ton tumultueux, que, sur une affaire de cette importance , il ne falloit rien conclure sans les entendre. Les sénateurs ne comprenant rien aux demandes de ces femmes attroupées , le discret Papirius les tira de peine, eu leur racontant de quelle manière, il lui avoit fallu éluder la curiosité de sa mère. On loua sa prudence ; mais il fut résolu qu'à l'avenir aucun jeune homme , à l'exception de Papirius , n'aurait l'entrée du sénat. 2. Alexandre rt'.comTnanàoiX. le silence à ceux qu'il admettait à la connoissauce de ses secrets. « Quiconque « divulgue un secret, disoit-il, est im homme sans rete« nue.Sil'appàt du garnie faitpar1 iv 'estun méchant; « si c'est un autre motif, il pèche également contre la « justice. » Un jour il lisoit, et laissoit lire avec lui par Héphestion une lettre de sa mère, quicontenoit desjchoses secrètes et des plaintes contre Antipater. Après la lecture, il applique son cachet sur la bouche à'Héphes/iora,l'avertissant par là de garder un secret inviolable. 3. Les Athéniens ayant intercepté un paquet de lettres que Philippe , roi de Macédoine, écrivoit à plusieurs de leurs ennemis, elles furent ouvertes en présence du sénat. Mais ayant trouvé, parmi les autres, une lettre adressée à la reine Olympias, épouse du monarque, l'aréopage l'envoya toute cachetée à cette princesse; persuadé que les secrets d'un mari et d'une femme dévoient être sacrés chez toutes les nations. 4-Une courtisane, appelée Lionne, qui, par les char mes de sa beauté, et par son adresse à toucher la lyre, s'étoit particulièrement attachéHarmodius etAristogitan, les vengeurs de la liberté athénienne,fut arrê-
�SENS {bon). 175 tée après leur mort. Le tyran Hippiàs, qui savoit qu'ils n'avoient rien de caché pour cette femme, la fit mettre à la question, pour tirer d'elle le nom des complices delà conjuration formée contre son injuste puissance. Elle souffrit les plus cruels tourmens avec une constance invincible , et expira au milieu des supplices, montrant que son sexe est plus courageux et plus capable de secret qu'on ne pense. Les A théniens ne laissèrent point périr la mémoire d'une action si glorieuse. La qualité de l'héroïne sembloit en ternir l'éclat : ils la dissimulèrent et la couvrirent, en érigeant en son honneur une statue de lionne , qui étoit sans langue. 5.Un sage courtisan évite, autant qu'il peut, de se charger du secret de son maître. Le poète Philippide s'étant insinué dans la plus intime faveur de Lysimaque , l'un des successeurs d'Alexandre : « Que veux« tu que je te dise, mon ami, lui demanda ce prince ? « — Tout ce qu'il vous plaira, seigneur, excepté votre « secret. » 7. Guillaume III, roi d'Angleterre, étoit en marche pour quelque expédition militaire : un colonel le pria de lui dire quel étoit son dessein. «N'endirez-vous rien à « personne ?—Je vous jure que non, sire. — Eh bien ! «j'ai, comme vous, le talent de garder le secret.» Cette réponsefit taire le trop curieux officier. Voyez SILENCE.
*V\%\V\\^XV\XV\VtXXXXX\V^\XXX%%\VVVVVVV V\'VX-VX'V\.\VVV%X^V\\'VVVVVXVVVXX\ VV*'k
J ,
SENS
(bon).
i.î_/E gros hon-sens d'un paysan est souvent , dans les arts, un guide plus sûr que les réflexions des prétendus connoisseurs. Un peintre avoit représenté l'abondance sous l'emblème d'une femme qui tenoit une corne, de laquelle sortoit quantité de fruits. Entre ces s fruits s'élevoient plusieurs épis mûrs. Chacun admijroit la composition de ce tableau, en louoit le dessin , le coloris, la touche. Un manan jette un coup-d'œil en passant sur ce chef-d'œuvre, et fait remarquer que les têtes des épis n'étoientpoint courbées vers la terre. 2.On montroità un bon villageois tout ce qu'un ma-
�I76
SENSIBILITÉ.
récriai de France avoit pris ; les villes , les pays, tout cela éloit dans un tableau. «Morgue ! tout ce qu'il a «pris n'est pas là, dit-il ; car je n'y vois pas mon pré. » 3. Un paysan , qui avoit. un procès au parlement de Bordeaux, alla chez le premier président de ce parlement , pour lui présenter un placet. Il attendit trois grandes heures dans une anti-chambre. Enfin le magistrat se montra , et trouva le villageois fort attentif à considérer un portrait où il y avoit au bas quatre P, qui signifioient Pierre Pontac, Premier Président. « Eh bien ! mon ami, lui dit le chef du parlement, que «penses-tu que signifient ces quatre lettres?— Ah ! « monseigneur , il n'est pas difficile , au bout de trois «heures , d'en deviner l'explication'; elles signifient : « Pauvre Plaideur, Prends Patience. » 4- Un paysan, chargé de fagots , crioit par les rues : «Gare ! gare!» afin qu'on se détournât. Un petit-maître, vêtu de soie , ayant négligé l'avertissement, eut son habit déchiré. Là-dessus , grand bruit : le petitmaître veut être payé de son habit, et fait sa plainte au commissaire qui étoit survenu. Le rustique est interrogé ; mais il ouvre la bouche sans dire mot. « Etes« vous muet? mon ami, lui dit le commissaire.—Non, « non, monsieur, inteiTompit le plaignant, c'est belle « malice : parce qu'il ne peut se défendre , il fait le « muet ; mais , quand je l'ai trouvé en mon chemin, « il crioit comme un possédé : Gare ! gare ! — Eh « bien ! dit le commissaire , que ne vous rangiez« vous ? » Il est donc des cas où en ne disant rien , on plaide mieux sa cause qu'en parlant ? SENSIBILITÉ.
I.X_JNmilitaire,l'ami et le bienfaiteur des soldats de sa compagnie, et des malheureux qu'il pouvoit secourir , avoit cautionné, pour un emploi, un homme qui, s'y étant mal comporté, fut renvoyé , en laissant dans sa recette un vide de deux mille écus. Le généreux militaire fut obligé de les payer. Cet acte de bienfaisance
�177 sance étoit resté inconnu à sa famille et à ses amis , lorsqu'un jour cet homme vint se présenter dans la maison de son protecteur. L'épouse de l'officier y étoit seule.avec un fils âgé de douze ans. Elle fit à ce malheureux une vive leçon sur son inconduite. Cette sévère remontrance l'affecta beaucoup ; et l'enfant , témoin de son chagrin , crut le consoler et contenter sa mère , en s'éeriant, par un sentiment d'humanité : «Maman, vous m'avez dit qu'une parente m'avoit « laissé , l'année dernière , un legs de quatre mille « livres ; cette somme peut remplacer en partie celle « que cet infortuné doit à mon papa : rendez-lui vos « bontés ; il seroit trop à plaindre de les perdre sans « retour.» Ce cri d'un coeur bienfaisant, dans un'âge si foible, tira des larmes de joie du père et de la mère , ainsi que de tous ceux qui étaient présens. 2. Le 14 Avril 1782, jour de la première communion, des jeunes personnes de Charonne , mademoiselle le Camus, l'une des communiantes, âgée de douze à treize ans, pria son père de la gratifier d'une rente viagère de trois cents livres, en avancement de sa dot. Le père étonné lui représenta qu'ayant droit, comme ses autres enfans , au partage de sa fortune , il ne voyoit point la raison d'une demande de cette nature. Mademoiselle/^ Camus insistales larmes aux yeux, et d'une manière si touchante, que le père se l'endit à ses instances. A peine le consentement fut-il donné, qu'elle alla chercher dans la pièce voisine une femme du pays, qui venoi t de perdre son mari par un accident très-funeste, et qui restait chargée de huitenfans en bas âge. Elle. se jeltaà son cou, etluidit en pleurant: «Consolez-vous, « ma bonne; mon père vient de m'accorder trois cents « livres de rente, que je vous abandonne en entier, et « qui vous seront payées avec exactitude. » Le père attendri, autant que surpris , confirma la donation. 3. Une servante suédoise étoit attachée à une veuve chargée d'un grand nombre d'enfans ; et cette veuve, n'étantplusenétat de lui payer ses gages, se voyoit dans l'impossibilité de la garder, quoique ses services luifussentobsolumentnécessaires.Le désintéressement et la Tome 111. M
SENSIBILITE.
�I78 SENSIBILITÉ. sensibilité de celte fille tirèrent la maîtresse de l'embarras où elle se trouvoit : elle ne voulut jamais l'abandonner , « Je ne vous serai point à charge, lui dit-elle; « je ferai votre ménage, je travaillerai dans les momens « perdus pour mon entrelien; il me faut si peu de cho« ses, que j'aurai du temps de reste. » Ce trait estvenu à la connoissance de Gustave III : il fit donner à cette vertueuse fille une somme d'argent considérable , et lui envoya la médaille de l'ordre de Vasa. Le grandmaître la lui attacha au cou , au milieu d'une foule d'habitans , qui s'étoient assemblés dans l'hôtel - deville. Après cette auguste cérémonie, la modeste servante retourna chez sa maîtresse ; et, continuant de la servir avec le même zèle qu'auparavant, elle voulut partager avec elle les bienfaits du souverain. 4- Alafin de l'hiver de 1777,1111 fermier de laparoisse de... s'enrevenoit du moulin monté sur son cheval, qui portoit en outre lafarine d'une demi-somme d'orge. Au détour d'une ruelle, ce fermier est attaqué parunvoisin qui , le bâton levé, lui demande en jurant sa farine. Le cavalier saute à terre, saisit son homme au collet, le terrasse, et lui dit : «Tu vois qu'il ne tiendrait qu'à moi de « t'assommer.—Assomme, ou donne - moi ta farine; il « melafaut:je meurs de faim, ainsi que mesenfansetma « femme. — Ah! tu meurs de faim ! c'est autre chose ; « mais je ne veux pas que tusois voleur.Prends ce sac, je « t'en fais présent; jevaist'aider àle charger. Va-t-en, et « ne dis mot. » Cependant le cheval débarrassé de son fardeau , étoit arrivé au grand galop dans la cour de la ferme. La fermière, ne voyant point son mari, s'effraie et crie. Les valets, les servantes accourent, et la suivent dans la route. Ontrouve à cent pas le fermier qui venoit tranquillement en rêvant.Sa femme l'interroge : «Pour« quoi le cheval ?—Tais - toi.—Et ta farine ? — Mais « tais-toi donc. » Quand ils sont seuls il lui conte son aventure, et ajoute : « Ilfalloitque le pauvre homme fût « bien dans le besoin pour s'attaquer à moi, qui enbat« trois quatre comme lui. » A peine a-t-il dit ces mots , que la femme,aussisensible,aussi compatissante que son mari, court au garde-manger, y prend un pain, le cache
�SENSIBILITÉ.
379
clans son tablier, et dit tout bas au bon fermier : « Puis« qu'ils ont si faim, ils ne pourront pas attendre que la « pâte soit levée , elle pain cuit: je vais leur porter ce« îui-c.i. » Aussitôt elle part, et'se montre à la malheureuse famille, qui est saisie de frayeur enla voyant.Leur crainte se changeaen étonne ment et en reconnoissance, lorsqu'elle leur offrit le pain qu'elle apportait, et. qui venoit bien à propos, puisque les petits enfans mangeoient déjà des poignées de farine.Cette bonneaction a eu la suite qu'elle méritait. Ce pain rendit à la probité unhommequ'unseulmotpouvoit conduire au supplice. Il trouva de l'ouvrage , travailla , et éleva ses enfans dans les principes de la vertu et de l'honneur. 5. En 1776, un des jours du plus grandfroid, Louis XVI alla se promener à pied à trois quarts de lieu de Versailles , accompagné seulement de son capitaine des gardes. Deux enfans qui ne connoissoient pas le roi, lui demandèrent l'aumône sur son chemin. Le bienfaisant monarque, touché de leur état, leur ht plusieurs questions. Leur mère étoit morte depuis dent jours ; leur père, malade et couché sur la paille, n'avoit ni pain ni feu ; et ils pleuroient amèrement en annonçant leur crainte de le perdre. Le roi, cmïeux de savoir s'ils disoient vrai, les suivit jusques dans leur chaumière, et trouva effectivement le père dans l'état où ces enfans l'avoient représenté. Alors le prince, se livrant à toute la sensibilité de son cœur , donna de l'argent au malade ; et, de retour à Versailles, lui envoya des secours et des meubles. Ensuite il ordonna que les deux enfans fussent mis en pension, et élevés à ses propres frais. En 1772, ce même prince, n'étant encore que dauphin , se promenant avec son auguste épouse , qui , voyant passer un petit garçon portant de la soupe dans une écuelle avec quelques cuillers d'étain, l'arrêta et lui dit : « Mon enfant, que portes-tu là , et où vas-tu? «—Madame, c'est de lasoupe pour mes frères et sœurs. «—Combien en as-tu donc ?—-Huit, madame. — Que « fait ton père ?—Il est jonrnalier , et travaille dans « ces jardins. — Combien gagne-t-il pour nourrir une
�58o ' SENSIBILITÉ. « si grande famille ?—Vingt-quatresousl'été, et vingt' « sous l'hiver. » Alors madame la dauphine s'adressant à son époux : « Goûtons cette soupe : elle n'est « pas fort ragoûtante •, cependant ce sont des hommes « comme nous qui s'en nourrissent.... N'importe , je « la goûterai... Tenez , goûtez-la aussi. » En même temps, elle tire quatre pièces d'or, les enveloppe dans un papier, et dit à l'enfant : «Porte cela à ton père;» puis elle le suivit pour voir comment il s'acquitterait de sa commission. L'enfant arrive à la cabane, et jette e petit paquet sur la table, en disant : « Tenez, mon « papa, me voilà bien riche. » Le bon homme, effrayé de voir cet or , dit aussitôt : « Malheureux, où as-tu pris « cela ?—Je ne l'ai point pris ; une belle dame me l'a « donné datts le jardin—-Est-il bien vrai ?—Oui , « mon ami , dit la princesse qui écouloit à la porte ; « c'est moi qui vous ai envoyé ce peu d'argent. » L'infortuné la reconnoit, et se jette à ses genoux, pénétré jusqu'aux larmes. « Eh bien! monsieur, dit-elle, alors « au dauphin , n'êtes-vous pas attendri de ce spec« tacle ? Ne ressentons - nous pas la plus pure satis« faction ? Pourquoi ne pas nous la procurer fous les « jours .J Sans doute nous faisons souvent l'aumône ; « mais il y a peu de gens de notre état qui sachent « la bien faire. » G-Ï^'emperenr Joseph lise promenoit incognito dans les rues de Vienne. Il rencontre une jeune fille quiparoissoit fort triste, et qui portoit un paquet sous son bras. Le monarque l'aborde : « Qu'avez-vous, et où al« lez-vous ? » D'abord elle n'ose répondre ; mais encouragée parl'affabilité del'inconnu, elle avoue qu'elle vavendreleshardesdesamalheureusemère,etque c'est la dernière ressource qui leur reste. « Hélas ! mon« sieur , si mon père, qui a versé tant de fois son sang << pour la patrie, vivoit encore, ou s'il avoit obtenu les « récompenses dues à ses services , vous ne me ver« riez pas dans ce douloureux état.—Pourquoi n'allez« vous pas trouver l'empereur ? S'il savoit votre situa« tion , il l'adouciroit : vous auriez dû lui présenter un « mémoire.—Je l'ai fait, mais inutilement. Le seigneur
�SENSIBILITÉ. l8l « à qui je m'étais adressée, m'a dit qu'il n'avoit pu rien « obtenir.—On vous a trompée , mademoiselle ; l'em« pereur aime trop ses sujets pour laisser périr demi« sère la veuve et la fille d'un officier qui l'a bien servi. « Faites un mémoire , apportez - le demain au chà« teau, à telle heure, et à tel endroit : si tout ce « que vous me dites est vrai, je vous ferai parler à « l'empereur, et vous en obtiendrez justice.» La jeune personne, en essuyant ses larmes, prodiguoit ses remercimens à l'inconnu, lorsqu'il ajouta : <c II ne faut « cependant pas vendre les hardes de votre mère. Com« bien comptiez-vous en avoir ? — Six ducats. — Per« mettez-moi que je vous en prête douze, jusqu'à ce « que nous ayons vu le succès de nos soins. » A ces mots elle vole chez sa mère , lui remet les douze ducats, et lui raconte avec vivacité l'espérance qu'un seigneur, qu'elle ne connoît pas, vient de lui donner. Au portrait qu'elle en fait, ses parens rcconnoissent l'empereur. Désespérée d'avoir parlé peut-être trop librement , elle ne peut se résoudre d'aller le lendemain au château. Elle y est entraînée par ses parens; elle arrive tremblante, et s'évanouit lorsqu'elle reconnoît son souverain dans son bienfaiteur.Cependant le prince, qui lui avoit demandé la veille le nom de son père , et celui du régiment dans lequel il avoit servi, s'était informé du mérite de cet officier, et avoit reconnu la vérité de tout ce que la jeune personne lui avoit dit. Lorsqu'elle eut repris ses sens, il la fit entrer dans son cabinet avec ses parens , et lui dit : « Mademoiselle, voilà pour votre « bonne mère le brevet d'une pension égale aux ap« pointemens qu'avoit votre père ; la moitié sera ré« versible sur vous, si vous avez le malheur de la « perdre. Je suis fâché de n'avoir pas su plutôt votre « situation , j'aurois adouci votre sort.. » Un citoyen honnête de cette même capitale, veuf et chargé de onze enfans, n'ayant pour son entretien qu'un revenu de quatre cents florins que lui rapportait une charge, présenta un placet à ce même monarque, pour le supplier d'augmenter ses appointemens. L'empereur lui demanda où il logeoit, et lui promit de penser à lui. & 1 M 3
�lB2 SENSIBILITÉ. En effet, après s'ê tre bien informé de la conduite de cet homme, il se transporta chez lui, accompagné d'un chambellan. Il trouva ce bon pèredefamilleassis, et réfléchissant sur son triste sort. En apercevant son souverain, il se précipite à ses pieds ; le prince le relève et demande ses enfans. Ils arrivent; il les compte, et est surpris d'en trouver douze. «Pourquoi n'en avez-vous mar« que qu'onze dans votre placet?— Voire majesté saura « qu'on mit devant ma porte, il y a peu de temps, un « enfant que personne ne vouloit recevoir; mon cœur « s'ouvrit à la compassion, et je fui ai fait partager le « pain de mes propres enfans. » Joseph II, touché de cette humanité , si conforme à celle que son cœur généreux éprouve , assura sur-le-champ au sensible vieillard une pension de dix-huit cents florins , et se retirapour se dérober aux transportsde reconnoissance de cette nombreuse famille. Un officier vint lui dire: « il y alongtempsque jesuis << au service de votre majesté; mes forces épuisées etma * santé affoiblie, me contraignent à vous demander ma « retraite. — Combien y a-t-il donc que vous êtes au « service?—Quarante ans.—Et quel âge avez-vous?— « — Soixante-dix ans Soit : vous aurez pourpension « vos appointemens; je vous remercie de votre fidélité. « Oserois-je demander une seconde grâce à votre ma« jesté?—-Parlez.—Je désirerois me retirer auprès de « mon père ; la pension, que vous daignez m'accorder « partagée avec lui, l'aideroit à vivre. — Vous avez « donc encore votre père ! et quel âge a-t-il ? — Cent « dix ans ; il se porte assez bien , et me mande qu'il « n'a d'autre désir que celui de me revoir et de mou« rir dans mes hras. — Accordé... Allez vers ce vé« nérable père, et saluez-le de la part de JosephII.» 7, Après une longue guerre, on avoit réformé une grandepartie des soldats.Ces malheureux,n'ayant point d'asile , se voyoient réduits à devenir brigands ou à mourir de misère. La plupart venoient au maréchal de Brissac,])Oxir demander si au moins ilneleurindiqueroit point où ils trouveroient du pain. « Chez moi, mes « enfans , répondit Brissacj chez moi, tant qu'il y eft
�SENSIBILITE. l83 « aura.» Après avoir fait dix aus la guerre en Italie, ce général en revint pauvre et dénué de tout, ayant vendu jusqu'à sâvaisselle et ses meublespourpayerseslroupes. llétoit accompagné d'une foule de marchands de Turin, qui venoient solliciter à la cour le paiement de ce qu'ils avoient fourni à l'armée. On ne sepressapas de les satisfaire; et ces malheureux, loin de recevoir ce qui leur étoit dû, se consumoient en frais à Paris. Brissac, outré de la négligence de la cour, el touché de l'état de ces infortunés, résolut de sacrifier ce qui lui restait de bien pour les dédommager en partie. Madame la maréchale deBrissacétoït arrivée depuis quelques jours avec vingt mille écus qu'elle avoit amassés pour la dot. de sa fille. Brissac fit venir les marchands; et les présentant à sa femme : «Madame, lui dit-il, voilà des pauvres gens « qui ont sacrifié leur fortune sur mes promesses : la « cour ne les veut point payer ; remettons à un autre « temps le mariage de mademoiselle de Brissac, et don« nons à ces malheureux l'argent destiné pour sa dot.» La maréchale y consentit volontiers ; et par le secours de quelque emprunt, Brissac amassa cent mille livres; ce qui faisoit la moitié de la somme due aux marchands, à qui il donna des sûretés pour le reste. 8. Beaiichâteau, ancien comédien de l'hôtel de Bourgogne , entendant la messe à Notre-Dame , vit une femme toute en pleurs auprès d'un pilier de l'église. Ului demanda le sujet de son chagrin: elle fit d'abord quelque difficulté de lui répondre; mais sur les instances du sensible comédien, elle lui apprit qu'elle était venue à Paris pourlejugementd'unprocès qui avoit duré beaucoup plus de temps qu'elle ne l'a voit prévu; et que ne pouvant avoir des nouvelles de son pays, il ne lui restait aucune ressource ; qu'elle n'osoit plus retourner dansla chambre qu'elle avoit louée , parce qu'il lui étoit impossible de payer le terme qu'elle devoit. Beauchàteau, touché de ce récit, la retira dans sa maison.. Un pareil traitement engagea cette femme à .se faire connoître de plus en plus à son bienfaiteur. Elle dit entre autres choses qu'elle avoit eu une soeur qui était morte dans un couvent, où elle avoit expié , par une péa
�l84
SENSIBILITÉ.
tence austère le malheur de s'être rendue à la passion d'un président;qu'elle en avoit eu une fille, mais qu'on, nesavoit ce que cet enfant étoit devenu. La femme de Beauchâteau qui étoit présente,se sentit toute émue à ce discours ; ses yeux se remplirent de larmes ; et, cédant aux mouvemens de sa tendresse , elle se jeta aux pieds de cette personne , et l'appela cent fois sa chère tante. La demoiselle Beauchâteau étoit en effet cette fille , fruit de la séduction du président, et de la foiblesse de celle dont on venoit de parler. 9. Il y avoit à la cour du roi Ptolêmêe, un jeune homme nommé Gaietés,hean de visage,maisencoreplusrecommandable par la douceur de son ciâra'ctçré et par son inclination à faire plaisir à tout le monde. Le monarque aimoit à le voir souvent ; et chaque fois qu'il l'apereevoit : « O que vous êtes un excellent jeune homme ! lui « disoit-il; bienloin d'avoir faitle moindre malà qui que « Ce soit, vous avez au contraire rendu service à un « grand nombre de personnes. » Gaietés, se promenant à cheval avec le roi, vit de loin quelques criminels que ronmenoit au supplice. Il ne pcrditpoint cette heureuse occasion que le hazardlui présentoitde faire unebonne action : « Seigneur , dit-il au prince , puisque le sort « veut que, pour le bonheur de ces misérables qui ont « été condamnés à mort, nous nous trouvions à che« val, voulez-vous tourner bride vers eux , afin que « nous leur apparaissions comme des dieux tutélaires « dans l'affreuse circonstance où ils se trouvent?» Ptolémêe, charmé de la sensibilité de son jeune courtisan, alla vers les criminels , et leur accorda leur grâce. 10.Le feu avoit pris dans une maison delà villed'Auch, et tout le rez-de-chaussée étoit en proie aux flammes , lorsque M. d'Apchon, archevêque de cette ville, y arriva. Le premier objet qui frappa ce prélat sensible , fut une femme tenant un enfant dans ses bras à une fenêtre du premier étage , et dont les cris pénétraient les entrailles de tous les spectateurs , qui n'osoient la secourir. Les flammes commencoient à la gagner. M. d'Apchon fait placer une échelle contre cette fenêtre, et propose une forte récompense à celui qui aura le
�SENSIBILITÉ. l85 courage d'aller sauver la mère et l'enfan t. Toutfcmonde s'y refuse. Le prélat offre jusqu'à mille livres de pension. L'avidité n'inspire pas plus d'ardeur aux travailleurs , qu'un spectacle aussi touchant. « J'y irai donc moi-même,»s'écrie le généreux archevêque en s'élancant sur l'échelle, que les flammes environnoientdéjà. Bientôt après , on le voit reparoître avec les deux infortunés qu'il a arrachés à une mort certaine. 11. Paris s'étant enfin soumis à Henri IV, ce bon prince signala son entrée dans cette capitale, par cette sensibilité vraiment royale, et par cet amour paternel qu'il avoit pour la France et pour tous les français. La villefutréduite sous son obéissancesansefTusiondesang, à l'exception de deux ou trois bourgeois qui furent tués. « S'il étoit en mon pouvoir, disoit ce graud monarque, « je rachèterois de cinquante mille écus la vie de ces « deux ou trois citoyens , pour avoir la satisfaction de « faire dire à la postérité que j'ai pris Paris sans qu'au« cun homme y ait été tué. » 11 aperçut un soldat qui prenoit par force du pain chez un boulanger : il y courut lui-même, et le menaça de lui donner la mort. Quoique la discipline militaire exige des sacrifices nécessaires, Henri trouva fort mauvais que le maréchal J'.//K/r£o«£eûtfaitpasserparles verges un soldat qui avoit quitté son poste pour aller voir sa femme qui étoit en couche. «C'est, dit-il, en user trop sévèrement, que de « prétendre arracher du cœur des sentimens naturels, « et qui n'ont rien que de juste.» Il défendit d'en user à l'avenir avec une pareille sévérité. Quand le Ciel lui eut donné un dauphin (LouisXIII) , il le fit passer parles rues dans un berceau découvert, afin que tout le monde pûtle considérer à son aise, et jouir avec plaisir de la vue d'un bien que les Françaisavoient si long-temps désiré. 12. P,ertrand du Guesclin, près de mourir, prit dans ses mains victorieuses l'épée de connétable; et l'ayant considérée quelquesmomensavecbeancoupd'attention: « Elle m'a aidé, dil-il les larmes aux yeux, à vaincre les « ennemis démon roi ; mais elle m'en a donné de cruels «auprès de lui. Je vous la remets,ajouta-t-il, s'adres« sant à Oliviér Clisson, protestant que je n'ai jamais « trahi l'honneur que le roi m'avoit fait en me la
�l86
SENSIBILITÉ.
« confiant En même temps, saisi d'un pieux respect ] il ôte son bonnet, baise cette épée , embrasse tons les assistans, et expire en recommandant à Dieu son ame, son roi et sa patrie. 10. Les Portugais, voulant faire des conquêtes dans les Indes, s'attachèrent, en i5o8, au siège de la ville d'Oïa,quïlsattaquèrentavecfureur.Leshabitansse défendirent avec le courage qu'inspire le désespoir 5mais, trop foibles pour résister à des Européens armés delà foudre, ilsprirentkfuiteeteherchèrentdanslesbois et dans les montagnes voisines des asiles contre la cruauté des vainqu eurs. Un officier portugais, nommé Silvéira, découvrant un Maure de fort bonne mine, qui se déroboitpar un sentier, avec une jeune femme d'une beauté extraordinaire, courut vers eux pour les arrêter. Le Maure ne parut point alarmé pour lui-même ; mais , après avoir tourné le visage pour se défendre, il fit signe à sa compagne de fuir , tandis qu'il alloit combattre. Elle s'obstina , au contraire, à demeurer près de lui, en l'assurant qu'elle aimcroit mieux mourir, ou rester prisonnière, que de s'échapper seule. Syvéira, touché de ce spectacle, leur laissa la liberté de se retirer , en disant à ceux qui le suivoient : « A Dieu ne plaise « que mon épée coupe des liens si tendres ! » i<4- William, jeune Anglais , aveugle de naissance, recouvra la vue en 1764, à l'âge de vingt ans, par l'opération de la cataracte, que lui fit une main habile. Les circonstances de cette cure merveilleuse forment une scène de sensibilité, bien capable de plaire aux ames tendres. Un chirurgien ayant promis aux parens du jeune aveugle de détruire l'obstacle qui le privoit de la vue , plusieurs personnes s'assemblèrent pour être témoins de cette opération.Tous les spectateurs avoient promis de garder le silence , si l'opération réussissoit, afin de mieux observer les mouvemens qu'occasionneroient dans Famé du jeune homme les sensations nouvelles et soudaines qu'il éprouveroit. L'opération eut le succès qu'on en attendoit. Lorsque les yeux du malade furent frappés des premiers rayons de la lumière , on vit sur toute sa personne l'expression d'un
�187 ravissement extraordinaire ; il parut prêt à s'évanouir de joie et d'étonnement. L'opérateur étoit devant lui avec ses instrumens à la main. William]'examina depuis la tête jusqu'aux pieds. Il s'examinoit ensuite avec la même attention , et sembloit comparer sa figure avec celle qu'il voyoit. Tout lui paroissoit exactement semblable, excepté les mains, parce qu'il prenoitles instrumens du chirurgien pour des parties de ses mains. Pendant qu'il étoit occupé de cet examen , sa mère y qui ne pouvoit plus contenir les tendres mouvemens dont son coeur étoit agité, se jeta à son cou, en s'écriant : « Mon fils ! mon cher fils ! » Le jeune homme reconnut la voix de sa mère, et ne put prononcer que ces mots : « Est-ce vous ? est-ce ma mère ?» et il s'évanouit. Il y avoit dans la chambre une jeune fille avec qui William avoit été élevé , qu 'il aimoit tendrement , et dont il étoit tendrement aimé , tout aveugle qu'il étoit. Lorsqu'elle le vit sans mouvement et sans connoissance , elle laissa échapper quelques cris de douleur, qui parurent réveiller la sensibilité du jeune homme. En revenant à lui, ses yeux se tîxoient sur l'objet chéri dont il reconnoissoit la voix. Après quelques momens de silence , il s'écria : « Qu'est-ce qu'on m'a donc fait ? « où m'a-t-on transporté ? Ce que je sens autour de « moi est-ce la lumière dont on m'a si souvent parlé ? « Où est Tom, qui me sert de guide ? Il me semble « qu'à présent je marcherois bien sans lui. » Il voulut faire un pas , mais il s'arrêta, et parut effrayé de tout ce qui l'environnoit. Comme l'agitation de son ame étoit extrême , on lui dit qu'il falloit qu'il revînt, pour quelque temps, à son premier état, afin de donner peu à peu à ses yeux la force de supporter la lumière» On le tint, pendant quelque temps, les yeux couverts ; et enfin, lorsqu'on jugea qu'il seroiten état de supporter la lumière , on chargea la jeune fille d oter le bandeau.de dessus ses yeux, et de tâcher de distraire, par ses discours, l'impression trop vive des objets. Elle s'approcha de lui ; et, en dénouant le bandeau , elle lui dit: «M. Wïlliam,\e vais vous rendre l'usage delà vue, mais je ne saurais m'empêcher d'avoir quelqu'inquiéSENSIBILITÉ.
�l88
SENSIBILITÉ.
tude. Je vous ai aimé dès mon enfance , quoique vous fussiez aveugle : vous m'avez aimée aussi ; mais vous allez connoître la beauté ; vous allez éprouver des sentimens qui vous ont été inconnus jusqu'ici. Si vous ail iez cesser de m'aimer ! si quelqu'objet plus aimable à vos yeux alloit m'effacer de votre cœur ! — Ah ! nia chère amie, répondit le jeune homme, si je devois , en jouissant de la vue , perdre les tendres émotions que j'ai senties toutes les fois que j'ai entendu le son de votre voix ; si je ne devois plus distinguer le pas de celle que j'aime , lorsqu'elle s'approche de moi; et s'il falloit que je changeasse ces plaisirs si doux et si fréquens , pour le sentiment tumultueux que j'ai éprouvé pendant le peu de temps que j'ai joui de la vue, j'aimerois mieux renoncer à ce sens nouveau. » La jeune fille l'embrassa , en versant de douces larmes. William revit la lumière avec le même trouble et le même ravissement. Il ne pouvoit se lasser de regarder sa maîtresse ; il l'appeloit en la touchant, et la prioit de parler, pour s'assurer que c'étoit bien elle qu'il touchent. Tout l'étonnoit ; il ne pouvoit accorder les sensations qu'il éprouvoit par la vue, avec celles qu'il avoit reçues des mêmes objets par les autres sens; et ce ne fut que par degrés , et bien lentement, qu'il parvint à reconnoître et à distinguer les formes, les couleurs et les distances. 10.Des voyageurs partis de Glascow, furent obligés de s'arrêter à un petit bourg près de Lanesk. «N'ayant rien de mieux à faire, dit l'un d'eux, nous regardions les paSsaris par les fenêtres de notre hôtellerie, placée vis-à-vis la prison. Nous vîmes arriver à cheval un homme vêtu d'un frac bleu , très-simple, et un chapeau bordé sur sa tête. Cet homme mit pied à terre à notre hôtellerie , et, remettant son cheval à l'hôte, il s'avança vers un vieillard qui étoit occupé à paver la rue. Après l'avoir salué, il prit la demoiselle, donna quelques coups sur le pavé, endisantau vieillard , iort étonné de l'aventure. Cet ouvrage me paroîtbien pénible à Votre âge; n'avez-vous donc point d'enfans qui puissent partager vos travaux, et soulager votre vieil-
�189 lessc? — Pardonnez-moi, monsieur; j'ai trois garçons qui me donnoient les plus grandes espérances ; mais les pauvres enfans ne sont point maintenant à portée de secourir leur père Et où sont-ils donc?—L'aîné étoit parvenu au grade de capitaine dans les Indes Orientales ; le second s'estfait soldat, dans l'espoir de s'élever comme son frère. — Et qu'est devenu le troisième ? —Hélas ! il a répondu pour moi. Le pauvre enfant s'est chargé de payer mes dettes ; il n'a pu les acquitter , et il est en prison.» A ce récit, le voyageur se détourna de quelques pas, resta quelque temps les mains sur le visage, puis , revenant près du vieillard : « Et cet aîné , ce fils dénaturé , ce capitaine , il ne « vous a donc rien envoyé pour vous tirer de la misè« re?—Ah! ne l'appelez point dénaturé. Mon fils est « vertueux ; il aime et respecte son père. Il m'a en« voyé de l'argent, et plus même que je n'en avois « besoin ; mais j'ai eu le malheur de le perdre, en « me rendant caution pourun très-galant homme,pour « mon hôte , qui malheureusement se trouvant hors « d'état de payer, a causé ma ruine. On m'a tout pris, « il ne me reste plus rien. » Alors un jeune homme , passant la tête par les barreaux de la prison voisine , où il étoit renfermé, se mit à crier: «Mon père ! mon « père ! si mon frère Guillaume vit encore, c'est lui, « c'est ce voyageur qui vous parle. — Oui, mon .ami, « c'est moi-même,» répondit le voyageur, en se précipitant dans les bras du vieillard, qui, tout hors de lui-même , voulant parler et sanglotant, n'avoit pu reprendre ses sens ; quand une vieille femme , mise fort décemment, sortit d'une mauvaise cabane , en s'écriant: «Où est-il donc ? où es-tu, mon cher Guil« laume /"Viens clone à moi, viens embrasser ta mère.» Le Capitaine ne l'eut pas plutôt aperçue, que , quit-> tant son père, il alla se jeter au coude la bonne vieille. Alors nous descendîmes , et augmentant le nombre des spectateurs de cette scène attendrissante , M. Bramble, l'un de nous, fendant lapresse, allaau voyageur, etluidit: «Capitaine, nous demandons la faveur de nous lier avec vous : nous aurions volontiers fait
SENSIBILITÉ.
�1QO
SENSIBILITÉ.
cent lieues pour être les témoins de cette tendre reconnaissance avec votre honnête famille. Vous et les vôtres, nous vous en supplions, dînez avec nous dans cette hôtellerie. » Le capitaine, sensible à cette invitation, l'accepta, mais en nous disant qu'il ne mangeroit, ni ne boiroit, que lorsque son jeune frère auroil recouvré sa liberté ; et à l'instant il alla déposer la somme pour laquelle on l'avoit mit en prison, d'où il sortit quelques momens après. Alors toute cette famille se rendit à l'hôtellerie, où elle trouva le sensihle Guillaume nu milieu d'une multitude qui l'accabloit de caresses, qu'il rendit avec la même cordialité. Ce •.bon. militaire , dont le nem étoit Brown, nous dit, aussitôt que nous punies converser librement : «Messieurs , c'est aujourd'hui que je sens dans toute son étendue , les faveurs de la fortune, à laquelle je dois tout. Mon oncle m'élevoit au métier de tisserand; mais je répondis mal à ses bontés, et, par esprit de paresse et de dissipation, je m'enrôlai dans les troupes de la Compagnie des Indes. J'avois alors tout au plus dix-huit ans. Mon bonheur vient d'avoir été remarqué par mylord Clive, dont toute l'Êuropc connoit la bienfaisance et l'inépuisable générosité. Mon zèle pour le service lui inspira des bontés pour moi ; et, grâces à ses soins , de grade en grade je devins capitaine , et fus chargé de la caisse du régiment. A force d'économie , je parvins , par des moyens honnêtes , et à la faveur du commerce , à m'assurer un fonds de Vingt mille livres sterling. Alors je quittai le service. Ll est vrai que j'ai fait trois remises à mon père ; mais il n'y a eu que la première , de deux cents livres sterling, qui lui soit parvenue. La seconde est tombée entre les mains d'un banqueroutier ; je confiai la troisième à un gentilhomme écossais , qui mourut dans la traversée : j'ai sa reconnoissance, ses héritiers m'en répondront. » Après le dîner , le capitaine remit à son père cinquante livres sterling , pour subvenir à ses besoins les plus pressons; il lui en assura, ainsi qu'à sa mère , quatre-vingts de revenu annuel , et réversibles sur ses deux frères, promit d'acheter une eom-
/
�SERVICES. îgi mission à celui qui étoit engagé , et d'associer le plus jeune à une manufacture qu'il se proposoit d'établir pour donner de l'occupation aux gens industrieux. 11 donna cinq cents livres sterling en dot à sa sœur , qui étoit mariée à un fermier peu aisé ; et, après en avoir distribué cinquante autres aux pauvres, il donna une très-belle fête aux habitans du bourg. M. Brown méritait les faveurs de la fortune ; et par cette généreuse [sensibilité , il fit bien voir qu'il étoit digne des bien! faits qu'il avoit reçus du lord Clive. Voyez HUMANITÉ, (TENDRESSE.
I SERVICES.
que la diversité de conditions pouvoit exciter } entre les deux ordres de l'Etat qu'il venoit de fonder, ! travailla à les attacher l'un à l'autre par des liaisons et des bienfaits réciproques , et à les unir ensemble de manière qu'en faisant honneur à la noblesse, il ne rendit point le peuple méprisable. Pour parvenir à ce but, il établit le droit de patronage , et régla les services et les devoirs que les patrons et les cliens se rendraient les uns aux autres. D'un côté , les patrons éloient obligés d'expliquer à leurs cliens les lois qu'ils n'étoient pas en état d'entendre, de prendre soin de leurs affaires , quelque part où ils fussent , et de se porter pour leurs intérêts avec la même ardeur qu'un père le pourroit faire pour ceux de ses propres enfans. Ils étoient chargés de faire valoirl'argentde leurs cliens, de présider aux contrats qu'ils en faisoient, et d'empêcher qu'on ne leur fît aucun tort. S'il arrivoit qu'on leur intentât quelque procès, c'était au patron à les soutenir, et à défendre ses cliens contre leurs accusateurs. En un mot, ils étoient obligés de leur procurer toute la tranquillité dont ils avoient besoin dans les affaires publiques ou particulières, afin qu'ils ne fussent point détournés de leurs travaux; et ce qu'il y avoit de plus grands hommes dans la république se
1 lousie
11. ROMULUS, voulant prévenir et empêcher la ja-
I
�1Q2
SERVICES.
faisoient un plaisir, et tenoient à honneur de rendre ces sortes de services à leurs concitoyens. Les cliens, de leur côté, s'engageoient envers leurs patrons à fournir la dot de leurs filles , si le pères n'étoient pas en état eux-mêmes de les pourvoir; aies racheter à leurs frais, eux et leurs enfans, s'il arrivoit qu'ils fussent pris par les ennemis ; à payer les dépens des procès que leurs patrons auroient perdus, ou les amendes pécuniaires auxquelles ils auroient été condamnés, le tout de leurs propres deniers, sans usure ni intérêt ; à entrer dans toutes les dépenses qu'ils étoient obligés de faire dans leurs charges et dans leurs emplois, avec la même affection que s'ils eussent été de leurs familles. Outre ces engagemens particuliers et aux cliens et aux patrons, il y en avoit encore entre eux de communs. 11 ne leur étoit pas permis de s'entre-accuser en justice, de porter témoignage ou de donner leurs suffrages l'un contre l'autre, ni de se ranger duparti de leurs ennemis mutuels. Quiconqueserendoitcoupabledequelqu'une de ces fautes, étoit puni très-sévèrement. Ce droit de patronage s'étendit avec la puissance de Rome. Quand l'empire eut été agrandi par des conquêtes , les colonies , les villes alliées ou conquises par les armes , prenoient aussi quelques Romains , à leur choix, pour être leurs patrons. Souvent même le sénat renvoyoit les différens des villes et des nations à leurs protecteurs, dont il confirmoit ensuite le jugement. 2. La ville de Naples avoit résolu d'ériger un arc de triomphe magnifique , afin de conserver à la postérité la mémoire du grand Alfonse V, son souverain, et le souvenir de ses actions héroïques. Déjà la place étoit marquée , et l'on se disposoit à renverser, pour l'agrandir , la maison d'un vieil officier qui avoit servi avec distinction pendant toute la guerre d'Italie. Alfonse l'ayant appris , défendit absolument qu'on touchât à cette maison. « J'aime mieux, dit-il, me passer « d'une masse de pierres et d'un vain monument , « que de souffrir qu'on détruise l'hôtel d'un guerrier, « qui , pour la gloire et le salut de son prince et de « sa.patrie , a prodigué son sang et sa fortune. »
�lg3 3. Un des domestiques de M. de Tvrenne alla demander de sapait, quoiqu'il n'en sût rien, un emploi» M. de Colbert. Geministre,ravi de trouverune occasion de faire plaisir à ce grand homme, alla lai porter luimême la commission. Le vicomte fut assez surpris de la démarche et du compliment du contrôleur des finances. Néanmoins, recevant laçommission, il remercia'M. Je Colbert, etfit appeler le domestique en faveur duquel elle étoit expédiée. Cet homme , à cette nouvelle , se crut perdu, et se jeta aux pieds de son maître, en lui demandant miséricorde. M. de 1 \irenne le fit relever aussitôt avec bonté; et, lui remettant la commission entre les mains : «Sivpnsm'eussiezparlé decette affaire, « lui dit-il, je vous y aurois servi comme vous l'auriez, «pu souhaiter; et tout ce qui me fâche en cela, c'est « que vous ne me disiez point ce qui vous oblige à me « quitter. » Ce domestique confus, et néanmoins rassuré, lui ayant dit qu'il n'avoit recherché, cet emploi que parce qu'il avoit beaucoup d'enfans , le vicomte lui fit payer ce qu'il lui devoit de ses gages, et lui donna encore une somme considérable pour l'aider à faire subsister sa famille. Voyez OBLIGATION, OFFICE.
SÉVÉRITÉ.
SEVERITE. 1. UN soldat avoit volé une poule à un paysan, et l'avoit mangée avec les neuf autres soldats de la chambrée. Li'emperentPescennius-Nigerles condamna tous dix à la mort; et ce ne fut qu'aux instantes prières de toute l'armée qu'il leur laissa la vie, en les obligeant de donner chacun au paysan dix poules , et leur imposant une note d'infamie publique tant que dureroit la guerre. Que de crimes une telle rigidité est capable d'arrêter î 2. Rollon, duc de Normandie, parvint, en très-peu de temps, à policer ses sujets ; et comme ils avoientéfé long-temps accou tumés au pillage , il fit des lois si sévères contre le vol, qu'on n'osoitpas même ramasser ce qu'on trouvoit, dans la crainte de passer pour l'avo'r volé. Un jour que Rollon étoit à la chasse, il suspendit Tome III. N
�tt)4
S É V É R I T É.
un de ses bracelets aux branches d'un chêne sous lequel il s'étoit reposé ; et, l'ayant oublié , ce bracelet y demeura trois ans, personne n'aj'ant osé y toucher. 3. L'empereur Adrien, voyant un de ses esclaves se promener fièrement entre deux sénateurs, voulut venger la dignité du sénat, avilie dans cette rencontre, et punir l'insolence de ce valet, orgueilleux d'appartenir au souverain. Par son ordre, quelqu'un alla lui donner un soufïlet(i), et lui dit : «Garde-toi de te promener <î entre ceux dont tu peux encore être l'esclave ! » 4- Un marchand de mauvaise foi vendit à la femme de l'empereur Gallien des diamans faux, qu'il lui fit payer comme s'ils eiissentété véritables.L'impératrice, ayant découvert l'imposture , en demanda vengeance à son époux. Gallien fit saisir le fripon, et le condamna awx bêtes. Il fut conduit dans l'arène, et le peuple, qui étoit venu en foule à ce spectacle , s'attendoit à voir paroître un lion terrible. Le marchand croyoit toucher au derrnier moment de sa vie, lorsqu'au lieu du formidable animal, on vit paroître un chapon; il s'éleva tout-à-coup un grand éclat de rire dans l'assemblée , et le prince fit crier par un héraut : « Le trompeur est trompé à son tour. » 5. Les censeurs Scipion Nasica ciM..Popilius, faisant la revue des chevaliers, aperçurent un cheval maigre et élancé , dont le maître étoit fort gras et d'un merveilleux embonpoint. «D'où vient donc, luidirent« ils, une si grande différence entre vous et votre che: « val ? —C'est que je me soigne moi-même, répliqua le « chevalier, au lieu que c'est mon valet qui soigne « mon cheval.» Cette réponse trop hardie excita l'animadversion des censeurs ; et la négligence du chevalier, jointe à ce manque de respect, fut punie par une en tière dégradation , qui ne lui laissa plus d'autre droit de ci toyen , que celui de payer les tributs. 6. Pendant le siège de Carthage , qui fut prise par Scipion, un jeune chevalier romain donna un repas à
(1) C'étoit ainsi qu'à Rome on reudoit la liberté à ceux qui l'avoient pefdué. I
�SÉVÉRITÉ. Ig5 «es amis, où il fit servir un grand gâteau en forme de ville, à qui il donna le nom de Carthage. « Allons, mes « amis,leur dit-il, pillons Carthage.» Chacun des convives, à ees paroles, sejeta sur le gâteau;et dans un instant il disparut.Scipion , dans la suite, ayant été censeur, ôta à ce jeune homme son cheval, ce qui étoit un grand déshonneur pour les chevaliers, et lui dit : «C'est « pour vous punir d'avoir pillé Carthage avant moi.» y. Caton l'ancien , ce magistrat sévère , chassa du sénat, pendant sa censure , Manilius , citoyen d'une illustre naissance, pour avoir embrassé sa femme en présence de sa fille. Après une vive réprimande , il ajouta que sa femme ne l'avoit jamais embrassé , que quand la crainte du tonnerre la forcoit de se jeter entre ses bras. Quelle étoit donc, dans ces temps heureux , l'austérité des moeurs romaines , puisqu'une faute si légère fut jugée digne d'un tel châtiment! 8. Quelques jours avant la mort de Lysandre, deux des principaux citoyens de Sparte avoient fiancé ses deux filles ; mais quand ils surent l'état misérable où cet illustre Lacédémonien avoit laissé ses affaires, ils refusèrent de les épouser. La république ne laissa point impunie une telle bassesse d'ame, et ne put souffrir que la pauvre té d e Lysandre, qu i é toi 11 a pl us grande preuve de sa justice et de sa vertu, fût regardée comme un obstacle qui dût empêcher de s'allier à sa famille. Ils furent condamnés à un amende, couverts de honte , et exposés au mépris de tous les gens de bien. 9. Galba , qui dans la suite monta sur le trône des Césars , n'étant encore que proconsul d'Espagne, fit couper les mains à quelques banquiers convaincus de fraude et de rapines, et les fit clouer sur leur bureau, pour être les monumens terribles de leur injustice et de sa juste sévérité. 1 o. Humain à l'égard deses ennemis, Tbtila punissoit sévèrement le crime dans ses propres soldats. Un Romain de la Calabrevint lui demander justice contre un de ses gardes, l'accusant d'avoir fait violence à sa fille. Le coupable, sur sonpropi-eaveu, fut condamné à mort. Comme c'étoit un guerrier renommé par sa valeur, les N 2
�196 SÉVÉRITÉ. prineipauxofnciersseréunirentpourdemandersagraCe. Le roi, après les avoir écoutés avec bonté, leur répondit en ces termes : «Ne mesonpçonnezpas de cruauté ; rien ne me touche plus sensiblement que les malheurs de mes compatriotes. Mais le plus grand mal que je leur pourrois faire seroit de laisser les crimes impunis. Je sais que le vulgaire nomme clémence une indulgence meurtrière , qui nourrit les forfaits et les multiplie. Au contraire , celui qui, par une sévérité salutaire , maintient l'autorité des lois , est regardé comme dur et impitoyable. C'est la licence qui renverse ainsi les vrais noms des choses pour se procurer l'impunité. Vous n'avez point de part au crime : songez qu'en le défendant, vous vous rendriez complices. Je tiens également coupables l'auteur du forfait, et celui qui en empêche la punition. Choisissez de sauver un criminel ou la nation entière. Au commencement de la guerre , nous étions puissans et fortunés : le nombre et la bravoure de nos soldats , nos richesses , nos victoires passées nous rendoient formidables. Toutes les forteresses de l'Italie étoient en nos mains. L'injustice de j'héodaia détruit notre empire ; Dieu s'est armé contre nous : il a marché à la tête d'un petit nombre de Romains, et nos armées innombrables ont disparu devant de foibles ennemis. Rassasié de vengeance , il se tourne maintenant vers nous ; son bras puissant relève ceux que son bras avoit abattus : nous n'attendions que la mort ; il nous a donné la victoire. Conservons-la par notre justice ; n'attirons pas sur nos têtes le châtiment que le coupable a mérité. » Ces sages réflexions pénétrèrent le cœur des Goths : ils abandonnèrent le criminel; il fut exécuté, et ses biens furent donnés à la fille qu'il avoit outragée. 11. Les Romains, sous les ordres des consuls Manlius eX, Bécïus , faisoient aux Latins une guerre sanglante. Les généraux , que quelques échecs avoient rendus circonspects, donnèrent un édit qui defendoit, sous les dernières peines,de combattre hors de rang, sans une perniission expresse. T. Manlius, fils du consul, ajant été envoyé , avec un détachement de cava-
�197 lcrie , pour reconnoître les mouvernens des ennemis qui n'étoient pas loin , s'avança presque jusqu'aux portes de leur camp. Un des principaux officiers latins le défia à un combat singulier, et lui parla même avec une insultante hauteur. Le jeune Romain,plein de feu et de courage , ne peut se contenir : il oublie à l'instant ce qu'il doit à la majesté paternelle, et aux ordres suprêmes des consuls. Il s'élance sur son adversaire •, il le terrasse ; il l'immole ; et, couvert de ses dépouilles , il retourne , dominé en triomphe , avec sa petite troupe qui le comble d'éloges, ii arrivé au camp ; il vole vers son père : «■ Je me suis montré « digne de vous, lui dit-il ; je viens déposer ;\ 1 os « pieds les dépouilles d'un audacieux , qui , par ses « outrageantes bravades , a provoqué ma colère : sa « mort a vengé votre fils.» A ces mois,le sévère magistrat détourne ses regards ; il repousse , en quelque sorte, des yeux et de la main, le téméraire vainqueur ; et sur-le-champ il fait assembler toutes les légions. Un vaste silence annonce l'attente des guerriers ; et le consul fait entendre ces terribles paroies : «Mon fils , « sans respecter ni la majesté consulaire, ni l'autorité « paternelle,vous avez osé combattre, hors de rang , « contre notre défense : vous avez aboli, autant qu'il « étoit en vous , la discipline militaire, qui, jusqu'à « ce jour, fut le plus ferme soutien de la république; « et je me vois réduit à la triste nécessité, ou de « trahir les intérêts de l'Etat , ou de me sacrifier « moi-même avec tout ce que j'ai de plus cher; mais « il est juste que nous portions la peine de notre faute, « plutôt que de la faire retomber sur la patrie inno« cente. Je crois que vous-même , s'il est vrai que « mon sang coule dans vos veines , vous vous sacri« fierez volontiers pour rétablir , par votre supplice , «la discipline militaire, que vous avez renversée par « votre désobéissance. Approche, licteur ; attache-le « au poteau. » Toute l'armée fut saisie de frayeur en entendant un ordre si violent et si atroce. Le licteur se saisit du jeune Manlius , et lui trancha la tête en présence de tous les soldats.
SEVERITE.
�ig8
SÉVÉRITÉ.
12. Dans une guerre contre lesSamnites, PapiriusCursor, qui commandoit l'armée romaine en qualité dè dictateur, étant obligé de retourner à Rome, laissa le commandement à Fabius , maître de la cavalerie , jeune homme plein d'ardeur et de courage ; mais il lui défendit expressément de combattre en son absence. Fabius ne le vit pas plutôt parti, qu'il songea à former quelque entreprise, sur-tout lorsqu'il eut appris l'extrême négligence qui régnoit parmi les ennemis depuis le départ de Papirius. Il se hâta d'attaquer les Samnites ; et le succès du combat fut aussi heureux qu'il eût pu l'être, quand même le dictateurs y fût trouvé en )ersonne.Legénéraletlessoldats firent égalementbien eut-devoir; et plus de vingt mille ennemis restèrent sur la place. Aussitôt après l'action, Fabius écrivit à Rome iour y mander la nouvelle de sa victoire. Il adressa les ettres au sénat, et non pas au dictateur, faisant assez connaître par là qu'il ne prétendoit point partager avec lui la gloire des avantages qu'il avoit remportés. Toute la ville fut dans la joie à cette nouvelle. Le seul Papirius n'y prit point de part , et ne témoigna que du mécontentement et de l'indignation. Il partit à l'instant, faisant contre le maître de la cavalerie les plus terribles menaces. Fabius, averti par ses amis du ïessenliment de Papirius, assembla ses soldats , et les conjura de le défendre contre la cruauté et la jalousie du dictateur. Cependant Papirius arrive , et convoque l'assemblée. Il fait citer Fabius , et lui demande , en premier lieu, s'il n'est pas vrai qu'il lui a défendu de combattre? En second lieu, s'il n'a pas néanmoins livré la bataille ? Fabius, embarrassé de répondre à ces deux questions, se jette à l'écart : il se plaint d'avoir dans le même homme son accusateur et son juge; il s'écrie à haute voix, qu'on peut bien lui ôter la vie, mais qu'on ne peut lui enlever l'honneur d'une illustre victoire : il mêle les justifications aux reproches , mais ces discours vagues et tout à la fois offensans , ne font qu'aigrir la colère du dictateur , qui ordonne au licteur de saisir le maître de la cavalerie. Fabius, en ce moment, appelle tous les soldats à son secours;
f
Î
�SÉVÉRITÉ.
îgg
et s'étant débarrassé des licteurs, il va chercher un asile au milieu de l'armée qui le reçoit et l'environne. Un tumulte affreux règne dans le camp : ici l'on entend des prières ; là, des menaces. Papirius ordonne qu'on fasse silence ; mais le bruit horrible, qui croit sans cesse, empêche qu'on ne puisse entendre sa voix, ni celle de ses huissiers. Enfin, la nuit, comme il arrive quelquefois dans les bâtai! les,sépara les contestans. Fabius est ajourné au lendemain.; mais, par le conseil de ses amis, il s'enfuit à Rome pendant la nuit, et, le lendemain matin, il assemble le sénat. Pendant qu'il y déclamoit contre la rigueur et l'injustice de son général, on entend lout-à-coup à la porte le bruit des licteurs qui faisoient écarter la foule : c'éloit le dictateur, qui, ayant appris la retraite du maître delà cavalerie, l'avoit suivi de près. La querelle recommence, et.Papirius ordonne à ses licteurs de saisir le coupable. En vain le sénat entier lui demande grâce : toujours inflexible, il persiste dans sa résolution. Alors M. Fabius , père du maître de la cavalerie, eut recours à la dernière ressource qui lui restoit; et adressaut la parole au dictateur : « Puisque, dit-il, rien n'est capable de vous « toucher, ni l'autorité du sénat j ni la vieillesse d'un « père infortuné , ni le mérite et la noblesse de 1 ae« cusé, j'en appelle aupeuple, qui certainement a plus « de pouvoir que ne vous en donne votre dictature. » En conséquence de cet appel , on se transporte dans la place publique ; et Papirius monte à la tribune aux harangues. Fabius avoit pour lui la majesté du sénat, la faveur du peuple, les voeux de l'armée. Dé l'autre côté, Papirius faisoit valoir l'autorité du commandement, regardée jusques-là comme inviolable ; là discipline militaire, les ordres des dictateurs, toujours respectés comme des oracles; l'exemple de Mahlius, et la tendresse paternelle sacrifiée à l'Etat : il s'autorisoit encore du supplice que Brutus, fondateur de la république, avoit fait souffrir à ses deux enfans. Tous ces motifs, qu'il détailla dans un discours prononcé d'un ton sévère et d'un air imposant, firent une terrible impression sur les esprits. Le peuple n'osa absoudre Fabius : il prit le
�300
SE V E RI T E.
parti de prier et de conj nrer le dictateur de lui accorder sa grâce ; les tribuns joignirent leurs prières à celles du peuple. Le père àeFabius,Fabius lui-m ême, se jelèrent aux pieds de Papirius, le suppliant, avec larmes, de se laisser fléchir. Alors le dictateur, ayantfait faire silence: « Je suis content, dit-il ; la discipline militaire, la ma« jesté du souverain commandement, qui ont couru ris« que aujourd'hui d'être abolis pour jamais , ont enfin « triomphé. Fabius, qui a osé combattre contre l'ordre « de son général, n'est point défendu comme innocent, « mais reconnu pour coupable. Il obtient le pardon de « son crime par les prières du peuple romain et des tri« bnns, quidemandentpourlnilaviecommeunegrace, « et non comme une justice. Vivez, Fabius, plus heu« reux mille fois par ce consentement unanime de tons « vos concitoyens à s'intéress.er pour vous , que par la « victoire qui vous causoit tant de joie. Vivez , après « avoir commis une faute que votre père lui-même n'au« roit pu vous pardonner, s'il eût été en ma place; et « sachez que la plus grande marque que vous puissiez « donner au peuple romain de votre, reconnoissance , « c'est d'apprendre, par ce qui s'est passé aujourd'hui, « à obéir avec soumission, tant en paix qu'en guerre , « à ceux qui auront sur vous une autorité légitime. » i3. Un serpent d'une énorme grandeur , causoit beaucoup de désordres dans l'île de Rhodes, et avoit même dévoré quelques habitans. La retraite de ce furieux animal étoit dans une caverne située au bord d'un marais, au pied du mont Saint-Etienne, à deux milles de la ville. Il en sortoit souvent pour cherchersa proie : il mangeoit des moutons, dés vaches, et quelquefois des chevaux, quand ils approchoient de l'eau et du bord du marais. On se plaignit même qu'il avoit dévoré de. jeunes pâtres qui gardoient leurs troupeaux. Plusieurs des plus braveschevaliers, en différons temps et à l'insu des autres, sort irent séparément de la ville, pour tâcher de le tuer ; mais on n'en vit revenir aucun. Gomme l'usage des armes à feun'étoit point encore inventé , et que le peau de cette espèce de monstre étoit couverte d'écaillés à l'épreuve des flèches et de dards
�SÉVÉRITÉ.
les pins acérés, les armes, pour ainsi dire, pas égales, etleserpentles avoitbientôt terrass pourquoi Hélion de Villeneuve, alors grand-m l'ordre, défendit aux chevaliers de tenter davant entreprise qui paroissoit au-dessus des forces humainesT Tousobéirent, à l'exception du chevalier Dieu-Donné de Cozon, qui forma secrètement le dessein de combattre cette bête carnacière, résolu d'y périr, ou d'en délivrer l'ile de Rhodes. Pour commencer à mettre son projet, à exécution, il passa enFrance, et se relira dans le château de Gozon, qui subsiste encore aujourd'hui dans la province de Languedoc. Ayant reconnu que le serpent qu'il vouloit attaquer n'avoit point d'écaillés sous le ventre, il forma, sur cette observation, le plan de son entreprise. 11 filfaire, en bois ou en carton,une figure de cette bête énorme; et il tâcha sur-tout qu'on en imitât la couleur. Il dressa ensuite deux jeunes dogues à accourir à ses cris, et à se jeter sous le ventre de cette affreuse bête, pendant que, monté à cheval, couvert de ses armes et la lance à la main, il feignoit, de son côté, de lui porter des coups en différens endroits. Le chevalier employa plusieurs mois à faire tous les jours cet exercice ; et il ne vit pas plutôt ses dogues dressés à ce genre de combat , qu'il retourna à Rhodes. A peine fut-il arrivé dans l'île, que, sans communiquer son dessein à qui que ce fût, il fit porter secrètement ses armes auprès d'une église située au haut de la montagne de Saint-Etienne, où il se rendit , accompagné seulement de deux domestiques qu'il avoit amenés de France. Il entra dans l'église ; et après s'être recommandé à Dieu, il prit ses armes, monta à cheval, et ordonna à ses deux domestiques, s'il périssoit dans le combat, de s'en retourner enFrance; mais de se rendre auprès de lui, s'ils s'apercevoient qu'il eût tué le serpent, ou qu'il en eût été blessé. Il descendit ensuite de la montagne aveesesdeuxchiens,marchadroitaumarais et au repaire du serpent. Aubruitque faisoit l'intrépide chevalier, le furieux animal accourut, la gueule ouverte , et les yeux étincelans, pour le dévorer. Gozon luiporta uilcoupdelance,que l'épaisseur et la dureté des écailles
�202
SÉVÉRITÉ.
rendit inutile.lise préparoit à redoubler ses coups; mais son cheval épouvanté des sifflemens et de l'odeur du serpent, refuse d'avancer, recule et se jette à côté.Il aurait été la cause de la perte de son maître, si, sans s'étonner, il n'eût mis pied à terre.Tirant aussitôt son épée, accompagné de ces deux fidelles dogues,il jointcettehorrible bête, et lui porte plusieurs coups en différens en-, droits, que la dureté des écailles empêche d'entamer. Le redoutable animal,d'un coupde queuede jetamême à terre, et il en auroit été infailliblement dévoré, si les deux chiens ne se fussentattachésauventre duserpent, qu'ils déchiroient par de cruelles morsures , sans que, malgré tous ses efforts, il pût leur faire lâcher prise. Le chevalier, à la faveur de ce secours,se relève, et se joignant à ses dogues, enfonce son épée jusqu'à la garde dans un endroitquin'etoitpointdéfendu pardesécailles; il y fit une large plaie dont il sortit des flots de sang. Le monstre,blessé à mort,tombesurle chevalier, qu'il abat une seconde fois; et il l'auroit étouffé par le poids et la masse énorme de son corps, si les deux domestiques, spectateurs de ce combat,ne fussent accourusausecours de leur maître.Ils le trouvèrent évanoui, et ils le crurent mort, mais après l'avoir retiré de dessous le serpent avec beaucoup de peine, pour lui donner lieu de respirer s'il étoit encore envie, ils lui ôtèrent son casque ; et après qu'onlui eut jeté de l'eau sur le visage, il ouvrit enfin les yeux.Le premier spectacle, etle plus agréable quipouvoit se présenter à sa vue, fut celui de son ennemi mort. On n'eut pas plutôt appris dans la ville sa victoire et la mort duserpent,qu'une foule d'habitans sortit au devant de lui.Les chevaliersle conduisirent entriomphe aupalais du grand-maître. Mais, au milieu de ces acclamations, le vainqueur fut bien surpris, quand le grandmaître, jetant sur lui des regards courroucés, lui demanda s'il ignoroit les défenses qu'il avoit faites d'attaquer cette dangereuse bête, et s'il croyoit les pouvoir violer impunément. Aussitôt ce sévère observateur de la discipline, sans vouloir l'entendre, ni se laisser fléchir par les prières des chevaliers, le fitmettre en prison.Ensuite il convoqua le conseil, où il représenta que l'ordre
�SÉVÉRITÉ. 2o3 ne pouvoitse dispenser depunirrigoureusementunedésobéissance si formelle, et, comme un autre Manlius, il opinahau tement à rendre cette victoire funeste au vainqueur.Le conseil obtint qu'il se contentât de le priver de l'habit de l'ordre. Le malheureux chevalier s'en vit honteusement dépouillé; mais le grand-maître après avoir satisfait à son devoir par ce châtiment, revint, à son caractère naturellement doux et plein debonté,et rendit l'habita cebrave chevalier,auxinstantesprièresdesprincipaux commandeurs de l'ordre. Gozon, dans la suite, en devint le chef, et soutint dans cette dignité suprême la liante réputation due aux vertus qui l'y avoient élevé. i4- Trois jeunes gentilshommes flamands > envoyés par leurs parens à l'abbaye de Saint-Nicolâs-des-Bois, pour apprendre la langue française, allèrent un jour se promener hors du monastère,et s'amusèrent à tirer des lapins à coup de flèches. L'ardeur de la chasse les emporta jusque dans lesbois à'Enguerrandde Coucy,oùïls furent arrêtes par les gardes de ceseigneurJe plus violent et le plus emporté de son temps,qui les fit pendre sur-le-champ sans les entendre, et sans leur donner le tempsde se préparer à une mort qu'ilsneeroyoiëntguère avoir mérité. S. Louis en futaverti par un proche parent d 'un de ces malheureux étrangers. Touché d'une action si barbare , il donna promptement ses ordres pour en faire informer. Le crime fut avéré, et Coucy assigné à comparoître devant les juges ordinairesdelacourduroi. II se présent a, mais sans vouloir répondre, sous prétexte qu'étant baron, il nepouvoit être jugé que parles pairs. On lui prouva que cette prérogative ne lui appartenoit pas : il fut arrêté, et très-étroitement gardé dans la tour du Louvre, non par les pairs ou parles chevaliers, mais parles huissiers ou sergens du roi .Cette action deri gu cur étonna tous lesbaronsde la France,la plupart parens ou alliés du coupable : ils commencèrent à craindre pour sa vie : Louis vouloit la peine du talion; il s'en exphquoit ouvertement. Le monarque assembla son conseil,composé, dans cette circonstance, de tous les barons et.de la plus grande noblesse du royaume.Coucy, interrogé par le roi même, et presque convaincu, ne vit d'autre
�èq*4
S É V É R I T É.
moyen d'éviter sa condamnation, que de demander de pouvoir prendre conseil de ses parens,ce quifutaccordé. Alors, ce qui prouve bien lanoblesse ducoupable, tous les barons se levèrent et sortirent avec lui. Quelque temps après, ils rentrèrent; et Coucy, à leur tête, nia le fait, offrant de s'en justifier par le duel.Mais ce moyen fut rejeté par le prince, qui le traita de monstrueux brigandage; et cette inexorable fermeté lit trembler pour le malheureuxEnguerran J.Lesaintmonarque convaincuquelajusticedoitêtrelapremièrevertu desrois, sembloit oublier la qualité du criminel, pour ne songer qu'à l'énormité de son crime. Plein decette idée, il ordonne aux barons de reprendre leur place, et de donner leur avis.Alors il se fait un profond silence; aucun ne veut opiner ; tous se jettent aux pieds du monarque, pour demander grâce. Co«cylui-même,prosterné à ses genoux, et fondant en Jarmes,implore sa miséricorde. On peut juger de l'effet que produisit une scènesi touchantesur un coeur comme celui de Louis; il insistoitnéanmoins eueôresui la nécessité de punir sévèrement une action si inhumaine.Mais enfinn'espérantplus obtenir le consentementde ses barons,ne croyant pas devoir mépriser les sollicitations detouslesgrandsde son état, contentd'ailleurs de leurs soumissions et de celle d'un homme de la première qualité , il laisse tomber un regard sur lui : « Enguerrand, lui dit-il d'un ton de maître, sijesavois « certainementqueDieum'ordonnàtdevousfairemou« rir , toute la France et notre parenté même ne vous « sauveraient pas.» Ces paroles , mêlées tout-à-la-fois de clémence étde sévérité, remirent le calme dans l'assemblée, qui ne demandoitquela vie du coupable. On alla ensuite aux opinions, qui furent tou tes pour un châtiment exemplaire. Coucy fut condamné à fonder trois chapelles où l'ondiroit des messes à perpétuité pour les trois gentilshommes flamands; à donner à l'abbaye de Saint-Nicolas , le bois fatal où le crime avoit été commis; à perdre dans toutes ses terresledroitdehaute-justice et de garenne; à servir trois ans à la Terre-Sainte, avec un certain nombre de chevaliers ; enfin , à payer douze znille cinq cents livres d'amende , que le mo-
�SEVERITE.
20J
narque se fit délivrer avant que de le mettre en liberté. r5.Ausiégede Vigual, fait parle maréchaUeBrissac, un jeunegentlihomme, nommé leBâtarddeBoissi,-psx une témérité digne de son âge, part de sa troupe sans attendre aucun ordre, monte sur la brèche, tire un coup d'arquebuse, et mettant l'épée à la main, s'y maintint quelque temps.Quelques-uns de ses compagnons , l'apercevant dans ce danger, courent à la brèche, y cornLattentavec valeur, étappellentlerestedel'armée, que lemaréchal fut obligé d'envoyer à leur secours.La place fut ainsi emportée après un combat furieux. Quelques jours après, le maréchal assembla l'armée,et il se plaig»il deladésobéissacce des soldats qui, sans son ordre, avoient eu l'audace de monter à l'assaut. Il fit arrêter Boissi,qu.'il remit lié et garotlé entre les mains du prévôt. Onle condamna à mort comme infrac t eur de ladiscipline militaire. Plusieurs officiers se jetèrent en vain aux genoux du général, pour obtenir sa grâce : il fut inflexible. Onprononçalasentence au mallieureuxJîow,yi,etleprévôt alloit l'emmener au supplice, lorsque lemaréchal lui ordonna de se retirer. Ilfit alors approcher le coupable. « Boissi, lui dit-il, ta vertu et ton courage, léméraire« ment montrés à l'assaut de Vigual, m'excitent à la pi« tié. Ta faute est plutôt l'effet d'une valeur inconsidé« rée,que d'un esprit de désobéissance : je te pardonne « en cette considération, et en faveur de toute l'armée « qui m*en prie ; et de mon côlé, pour reconnoitre î'in« trépide courage qui t'a fait jeter à corps perdu dans la « brèche, je te donne cette chaîne d'or, que je te prie « de porter pour l'amour de moi : mon écuyer a ordre « de te remettre un cheval et des armes , avec les« quelles tu serviras désormais auprès de moi. » 16. Epaminondas ayant trouvé une sentinelle endormie , la perça de son épée ; et comme on lui reprochoit cette sévérité , il répondit ': « J'ai laissé cet « homme tel que je l'ai trouvé. » Le sommeil est l'image de la mort. 17. Pendant la guerre des Thébains contre les Lacédémoniens, ce même général, obligé de retourner à Thèbes pour l'élection des magistrats,laissa le commande-
�206 SILENCE. mentdel'arméeàsonfils,avecune défense expressed'engager le combatà son absence ; mais le jeune homme ne pouvant supporter les repi'oches de l'ennemi, oublia les ordresde son père, attaqualesSpartiat.es, elles défitentiéremen t. Epaminonda s é tan t de retour au camp, son fils vint se présentera lui, tout fier de sa victoire. Ce père inflexible le couronna d'abord comme vainqueur , et le fit ensuite mourir comme rebelle à ses ordres. 18.L'empereur Alexandre-Sévère apprità Antioche que plusieurs officiers dépeiisoicntleur bien en jeux et en festins ; il les fit mettre en prison. Cette juste sévérité excita une révolte parmi les troupes. L'empereur, sans s'étonner, monte sur son cheval ; e t jetant sur les mutins un regard terrible, il les dégrade tous , puis, d'un ton foudroyant, il leur ordonne de mettre bas les armes. Tous les soldats surpris, déconcertés, obéisent à l'instant, et l'empereur fit porter les armes et les drapeaux dans son palais, au milieu du peuple d'Antioche : quelque temps après, il leur pardonna ; et il n'eut ensuite qu'à se louer de leur courage et de leur obéissance.
^XV«X«VV^XV\VVA.VX'l'V\VV VV VVA.'tVV%-%.>'VX'WX*'*vfcv'V'V%'V'VX%'V'W\'V\VVX'V\V \\'V"VV\\V\\
, , ,
SILENCE. 1. L'ART de parler, dit Plutarque , est la" première connoissance que l'on donne aux enfans : il vaudroit mieux , selon moi, commencer par leur apprendre à se taire. On se repent souvent d'avoir parlé ; jamais on ne s'est repenti d'avoir gardé le silence. 2. Caï07iFanciendisoitsouvent: «Lalangueestunins« trument si rebelle, qu'on a toutes les peines dumonde « à ]a contenir , dès qu'une fois elle a franchi les li« mites. » 3. On demandoit à Démosthàne pourquoi les hommes , ayant deux oreilles , n'avoient qu'une langue ? « C'est parce que nous devons beaucoup plus écou« ter que parler , » répondit l'orateur. 4. Un- impertinent faisoit au philosophe Xénocrate plusieurs quest ions sur des $tt}ets obscènes, indécens :
�207 le sage l'écoutoit sans répondre un seul mot. «Eh bien! « lui dit cet homme, vous ne répondez rien? — Il vous « convient assez, répondit enfin Xénocrate, de faire de « pareilles questions ^ mais il ne convient pas à moi d'y « satisfaire. » 5. Au milieu d'un cercle d'amis , le philosopha Cléanthe gardoit un profond silence : « Pourquoi vous « taisez-vous ? lui dit quelqu'un. Y a-t-il rien de plus « agréable que de s'entretenir avec ses amis ? — Et « c'est pour cela même, reprit Cléanthe ,\qx\e je laisse « mes amis goûter un si doux plaisir. » 6. Caton d'Utique étoit extrêmement taciturne dans son enfance , et ne vouloit parler en présence de personne. Comme on lui en faisoitdes reproches, il répondit: «Qu'on blàmemonsilence, pourvu qu'on approuve « ma conduite 5 je ne veux parler que lorsque je serai « en état de dire des choses dignes d'être entendues. J> 7. Un jeune homme instruit et fort modeste , avoit gardé le silence dans une compagnie de gens de lettres. Son père lui demandoit, en particulier , pourquoi il ne s'étoit pas fait honneur de ce qu'il savoit : « Je « craignois , répondit-il, qu'on ne vînt à m'inlerroger « aussi sur ce que j'ignorois. » 8. Les ambassadeurs d'un prince avoient invité Zénon à un repas splendide, et s'étonnoient de ce qu'il ne disoit mot. Comme ils lui demandèrent ce qu'ils rapporteroient à leur prince : « Dites-lui, leur répon« dit-il, que vous avez vu un vieillard qui savoit se « taire au milieu d'un festin. » 9. Dans un cercle de grands parleurs , le fameux Heraclite gardoit un profond silence. «Eh ! pourquoi « donc vous taisez-vous, lui demanda quelqu'un? — « Afin que vous ayez le temps de parler, » répondit-il. 10. Molière alloit avec Chapelle à Auteuil dans un batelet. Ils parlèrent de Descartes et de Gassendi ; et comme ils n'étoientpas d'accord, ils prirent pour ju^e de leur différend, un minime qui étoit leur compagnon de voyage. «Je m'en rapporte aurevérend père, à\tMo~ « Hère , si le système de Descartes n'est pas une fois «taieuximaginé que toutee que Gassçndia.débiléj)our
SILENCE.
�2o8 SILENCE. « nous faire adopter les rêveries à'Epicure. » Le religieux répondit par un hom ! hom ! qui fais oit entendre aux deux amis qu'il étoit connoisseur en cette matière. Mais il eut la prudence de ne se point mêler dans une conversation si échauffée. « Oh ! par« bleu ! mon père , di Chapelle , qui se crut affoi« bli par l'apparente approbation du minime , il faut « que Molière convienne que Descartes n'a formé « son système que comme un mécanicien qui ima« gine une belle machine sans faire attention à l'exé« cution. » Le minime sembla se ranger du côté de Chapelle par un second hom ! hom ! Molière outré de ce que son rival triomphoit , redouble ses efforts, et détruit les opinions de Gassendi par de si bonnes raisons , que le religieux fut obligé de s'y rendre par un troisième hom ! hom l qui sembloit décider la question en sa faveur. Chapelle s'échauffe •, et criant à pleine tête pour convertir son juge , il ébranla son équité par la force de ses poumons , et le .força de convenir de tout par ses gracieux hom ! hom ! ha dispute s'anime de plus en plus ; et les deux amis en étoient aux convulsions , quand ils arrivèrent devant les Bons - Hommes. Le religieux demanda qu'on le mît à terre , et donna son applaudissement au profond savoir des deux antagonistes. Mais avant que de sortir du bateau , il alla prendre sous les pieds du batelier sa besace , qu'il y avoit mise en entrant. C'étoit un frère-lai. Les deux philosophes n'avoient. point vu son enseigne ; et honteux d'avoir perdu le fruit de leur dispute devant un homme qui n'y entendoit rien , ils se regardèrent l'un l'autre sans se rien dire. Molière , revenu de sou étonnement, dit à Baron qui étoit de la compagnie , mais d'un âge à négliger une pareille conversation : « Voyez, petit « garçon , ce que fait le silence, quand il est observé « avec conduite. » . ,., 11. Les Romains ayant prié les Athéniens de vouloir bien leur communiquer les lois que Solon leur avoit prescrites autrefois , l'aréopage s'assembla ; et après une mûre délibération , il fut résolu d'envo) er
�SILENCE; 203 à Rome un des sages de la Grèce, pour savoir si les Romains étoient dignes , par leur sagesse , d'avoir ces lois ; avec ordre , s'ils ne l'étoient pas , de rapporter les lois sans les communiquer. Cette résolution ne put être si secrète que le sénat romain n'en fût averti. 11 se trouva fort embarrassé, parce qu'alors Rome étoit dépourvue de philosophes assez habiles et assez savans pour lutter contre un sage de la Grèce. Il fut donc question d'imaginer quelque expédient pour se tirer avec honneur de ce pas difficile. Le sénat n'en trouva pas de meilleur , que d'opposer uil fou an philosophe grec , afin que , si le hasard vouloit que le fou prévalût, la gloire de Rome en fût d'autant plus grande , qu'un fou de Rome auroit confondu un sage de la Grèce 5 et si ce dernier tviomphoit, qu'Athènes ne pût tirer aucun avantage d'avoir fermé la bouche à un fou de Rome. L'ambassadeur athénien étant arrivé à Rome , on le conduisit au Capitole , où l'on avoit placé , dans un appartement richement meublé , un fou dans un fauteuil , habillé en sénateur, et auquel on avoit expressément défendu de parler. L'Athénien avoit été prévenu que ce sénateur étoit très-savant, mais qu'il p.irloit fort peu ; de sorte que cet Athénien, en entrant, sans lui dire autre chose , haussa un de ses doigts. Le fou croyant que c'étoit une menace de lui crever un oeil, et se souvenant qu'il lui avoit été défendu de parler , haussa trois des siens ; voulant signifier par là , que si le Grec voitloit lui crever un œil, lui, à son tour, lui en creveroit deux , et du troisième doigt, l'étrangleroit. Le philosophe qui, en élevant son doigt, avoit voulu faire entendre qu'il n'y a qu'un premier Etre qui gouverne toutes choses , crut que les trois doigts du fou marquoient qu'en Dieu, le passé, le présent et l'avenir sont la même chose, et jugea par là qu'en effet cet homme étoit fort savant. 11 ouvrit ensuite la main ; et la montrant au fou , il voulut exprimer que rien n'est caché à Dieu ; mais le fou prenant ce signe pour la menace d'un soufflet qu'on von loit lui appliquer,présenta sa main fermée au philosophe , voulant lui faire Tome III, O
�210
SIMPLICITÉ.
entendre que pour un'soufflet il lui donnerait un coup de poing. Le Grec , au contraire , déjà prévenu en faveur du fou, se figura qu'il vouloit dire par ce geste, que Dieu tient l'Univers dans sa main; et jugeant par là de la profonde sagesse des Romains , il leur accorda les lois de Solon. SIMPLICITÉ.
1. BUSSY d'Amboise ayant appris que tous les seigneurs de la cour de Henri II, qui étoient d'un même tournoi que lui, faisoient des dépenses extraordinaires pour leurs équipages et pour leurs habits, fit vêtir ses gens comme des seigneurs, et lui marcha le plus simplement du monde au milieu de ce train magnifique. Lanature alors fit valoir tellement ses avantages dans la personne de Bussi, que Bussi fut pris seul pour un grand seigneur ; et tous les seigneurs qui s'étoient fiés à leur magnificence , ne passèrent que pour des valets. 2. Gontran, roi de Bourgogne , trouva dans la dépouille chi duc Mummol, qu'il avoit vaincu, trois cents quarante marcs de vaisselle d'argentqu'il fi t briser afinde les distribuer en aumônes. « Je n'en ai réservé que deux « plats, disoit-il; et c'est autant qu'il enfaut pourleser« vice ordinaire de ma table. » Ce prince, par ses manières simples et populaires, se fit adorer de ses sujets. II alloit souvent les voir dans leurs maisons, et y mangeoit ce qu'ils lui présentaient. Aussi ne l'appeloient-ils que notre Z>o« ?-oz'c7ora£raH.Quand,aprèsqueîquesvoyages,il revenoit dans sa capitale, tout le peuple sortait au devant de lui avec les bannières, en criant : « Vive le roi ! » et ceprince embrassoitles chefs du peuple,tendoitlamain aux moindres citoyens, et satisfaisoit tout le monde par son affabilité. On eût dit un bon père qui rentrait dans le sein de sa famille , et qui caressoit ses enfans. S.Charles-QuintZLXoïtla. vanité de remplir ses lettres etses dépêches d'une multitude de titres, énonçant toujours les couronnes et les royaumes d'Espagne. 11 eut mêmelapassiond'érigerlesPays-Basenmonarchiç.Pour
�SIMPLICITÉ.
211
faire la critique de cette conduite, François I prit, en lui écrivant, \a.qua.\\téàepremiergentilho?nmede France, et celle de seigneur de Vanvres et de GentïLly7 villages des environs de Paris. 4. Pharnabaze , un des plus grands seigneurs de Perse, ayant demandé une entrevue hAgésilas, roi de Sparte, pour traiter de la paix, un ami commun ménagea cette conférence. Le monarque lacédémonien arriva le premier au rendez-vous avec ses amis -, et, en attendant le satrape, il s'assit à l'ombre d'un arbre sur le gazon qui s'y rencontra. Dès que Pharnabaze fut arrivé, ses gens étendirent à terre des peaux très-douces et à long poil, de riches tapis de diverses couleurs, et de magnifiques coussins. Mais voyant Agésïlas assis tout simplement à terre, sans appareil, il eut honte de sa mollesse, et s'assit comme lui sur l'herbe nue. Ainsi l'on vit dans cette occasion tout le faste persan venir faire hommage à la simplicité et à lamodestiespartaine. 5. Alfonse V, roi de Sicile et d'Aragon, ne se piqnoit pas de montrer beaucoup de magnificence en ses habits ; son extérieur assez simple le distinguoit peu d'un particulier ou d'un homme ordinaire; et, comme on lui représentoit qu'il falloit soutenir la majesté rovale : « Ce n'est pas la pourpre, répondit-il, ni l'é« clat des diamans qui doivent distinguer un roi ; mais « la sagesse et la vertu. » Il alloit souvent dans les rues à pied, sans être accompagné. Ses courtisans lui exposèrent que sa sûreté exigeoit qu'il fût suivi de gardes et de gens armés, ainsi qu'en usent tous les princes quand ils sortent. « C'est aux tyrans , répondit-il, à « marcher environnés de satellites ; mes gardes sont « ma propre conscience et l'amour de mes sujets. » Comme il alloit un jour à sa bibliothèque prendre quelques livres dont il avoit besoin , il la trouva fermée , et celui qui en avoit la clef étoit sorti. L'expédient qu'il prit fut de rompre la serrure, et d'enfoncer la porte. Un prélat très-considéré à la cour vint à passer dans ce moment. Etonné de le voir occupé à cette opération , il lui dit : « Quoi ! un roi comme vous « daigne faire le métier d'un garçon serrurier? » AlO 2
�212'
SIMPLICITÉ.
fonse, riant de la surprise de l'évoque, lui répondit : « Je crois que la nature a donné aux rois des mains « comme aux autres hommes ; et je ne pense pas « qu'elle leur ait jamais défendu de s'en servir dans « les occasions où elles peuvent leur être utiles. » 6. Julie, fille unique de l'empereur Auguste, entra un jour dans l'appartement de son père avec une parure indécente : le prince en fut choqué , et la reçut très-froidement. Le lendemain, elle se présenta devant lui dans un habillement simple et modeste. Auguste, charmé de ce changement, l'embrassa avec tendresse, et s'écria : « Oh! combien cette noble simplicité est« elle plus digne de la fille d'Auguste ! — Hier, ré« pondit la princesse, j'étois parée pour mon époux ; « aujourd'hui je suis parée pour mon père. » 7. Un seigneur de Hagi, château situé dans le comté deKybourg, près deWinthertour enSuisse, faisoit de l'agriculture son occupation ordinaire , quoiqu'il possédât plusieurs fiefs. 11 réservoit ses meilleurs chevaux pour la charrue. Son fils, jeune et d'une figure agréable, les guidoit , tandis que le père en cheveux blancs , ouvroit le sein de la terre , et traçoit les sillons. Un duc d'Autriche, qui alloit à Winthertour, aperçut en passant ces laboureurs respectables, et fut frappé de l'attelage. Il s'arrête. « Faites halte , dit-il au grand« maître de sa maison. Je n'ai jamais vu un si beau « paysan , ni des chevaux si superbes attelés à une « charrue. » Mais quelle fut sa surprise , lorsque le grand-maître lui apprit que c'étoit le baron de Hagi, qui labouroit avec son fils ! Le duc faisoit quelque difficulté de le croire. « Monseigneur, reprit le grand« maître, votre grandeur pourra s'en convaincre de« main par elle-même. Elle le verra venir à cheval à « sa cour pour lui offrir ses services. » En effet , le lendemain le baron de Hagi, accompagné de sept de sesgens, tous à cheval, vintà Winthertour faire sa cour au duc, qui ne manqua pas de lui demander si c'étoit bien lui qu'il avoit vu la veille à la suite d'une charrue superbement attelée? « Oui, monseigneur, répondit « le baron avec dignité, c'est moi-même. J'aime l'agri-
�SIMPLICITÉ.
"2l3
« culture, et je ne trouve pas, après la guerre pour la dé« fense de la patrie, d'occupation plus digne d'un gentii« homme, que celle de faire valoir lui-même ses terres. » 8. Le consul Mummius ayant pris la ville de Corinthe , fit transporter à Rome les tableaux exquis , et les belles statues qui déeoroient cette superbe cité; mais il étoit si peu connoisseur, qu'il menaça sérieusement celui qui étoit chargé du transport de ces ouvrages précieux , que , s'il en perdoit quelques-uns , il seroit tenu d'en fournir d'autres à ses dépens. 9. Pendant la première guerre punique, le fameux M. AttiliusPiégulus fut envoyé en Afrique pour combattre les Carthaginois. Le temps de son consulatétant expiré, le sénat ne jugea pas à propos de rappeler cet habile généra], et d'interrompre le cours de ses victoires. Il lui continua le commandement des armées. Personne ne fut autant affligé de ce décret que celui à qui il étoit si glorieux. Il écrivit au sénat pour s'en plaindre, et pour lui demander qu'on lui envoyât un successeur. Une de ses raisons étoit qu'un homme de journée, profitant de l'occasion de la mort de son fermier qui cultivoit son petit champ, composé de sept arpens, s'étoit enfui après avoir enlevé tout son équipage rustique; que sa présence étoit donc nécessaire, de peur que , si son champ venoit à n'être plus cultivé , il n'eût point de quoi nourrir sa femme et ses enfans. Le sénat ordonna que le champ seroit cultivé aux dépens du. public ; qu'on rachèterait les instrumens de labourage qui avoient été volés, et que la république se chargeroit aussi de la nourriture et de l'entretien de la femme et des enfans de Régulas. Ainsi le peuple romain se constitua, en quelque sorte , le fermier de ce grand homme. 10. Philopémen, l'un de plus illustres capitaines de son siècle , étant en marche avec son armée, prit les devants, et arriva le premier au lieu où il devoit loger. On y avoit été averti de son arrivée, et chacun s'empressbit à préparer un repas magnifique pour un personnage d'une réputation si brillante. Quand il entra f comme il n'avoit pas une mine fort heureuse, et efue-
O 3
�2 l4
1
S I M P 1 ICI T
fi
rien n'annoneoit sa dignité, personne n'y fit attention, line femme, le prenant pour un des valets de l'armée qui venoit préparer les gîtes , le pria de lui aider à fendre du bois. Phvlopémen, souriant en lui-même de la méprise de cette femme, prit gaiement une hache, et se mit à travailler de toutes ses forces. Sesprincipaux officiers arrivèrent ; et, le voyant dans cet exercice ; ils demeurèrent tout surpris : « Que faites-vous donc « là, seigneur ? lui dirent-ils. —Je paie l'intérêt de ma « mauvaisemine,» répondit en riant le général achéen. n. Scipion étant ailé rendre visite au poète Ennius, celui-ci, qui sans doute étoit occupé, fit dire à Scipion pàr sa servante qu'il étoit sorti. Scipion s'aperçut de l'artifice : cependant il feignit de le croire e,t s'en alla. Quelques jours après, Ennius alla chez Scipion, et demanda à la porte s'il étoit à la maison : « Je n'y « suis pas , lui cria Scipion. — Comment, reprit le « poète ; n'est-ce pas votre voix que j'entends ? Vous « vous moquez de moi. — Voyez , s'écria Scipion , « l'entêtement de cet homme : l'autre jour, sur la foi « de sa servante, j'ai cru qu'il n'étoit pas chez lui ; et « il ne veut pas croire aujourd'hui, sur ma parole , « que je ne suis pas chez moi. » 12. Après la fameuse bataille de Dunes , dans laquelle M. de Turenne acquit tant de gloire, ce grand homme écrivit de sa propre main le billet suivant à la vicomtesse de Turenne : « Les ennemis sont venus à « nous ; ils ont été battus. Dieu en soit loué ! J'ai un « peu fatigué toute la journée ; je vous donne le bon « soir , et je vais me coucher. » i 3. FrançoisI s'étant égaré à lâchasse, entra, vers les neufheures dusoir, dans lacabane d'un charbonnier. Le mari étoit absent, il ne trouva que la femme accroupie auprès du feu. C'étoit en hiver, et il avoit plu. Il demanda une retraite pour la nuit; et à souper. L'une et l'autre lui furent accordés; mais, à l'égard du souper, il fallut attendre le retour de l'époux. En attendant, le roi se chauffa assis dans une mauvaise chaise, qui étoit l'unique de la maison. Vers le dix heures arrive le charbonnier , las de son travail, fort affamé > et
�SINCÉRITÉ. 2l5 >énétré de pluie. Le compliment d'entrée ne fut pas ong. L'épouse exposa la chose .au mari, qui ratifia la promesse du lit et du souper ; mais à peine eu L—il salué son hôte et secoué son chapeau tout mouillé , que , prenant la place la plus commode et le siège que le roi occupoit, il lui dit : «Monsieur, je prends votre place, « parce que c'est celle où je me mets toujours ; et cette « chaise , parce qu'elle est à moi. Or , et par droit et « par raison , chacun est maître en sa maison. » Le monarque applaudit au proverbe rimé. Il se plaça ailleurs sur une sellette de bois. On soupa ; on parla des affaires du temps , de la misère , des impôts. Le charbonnier eût voulu un royaume sans subsides. François eut delà peine à lui faire entendre raison. « A la bonne « heure donc, dit le charbonnier ; mais cette . grande « sévérité pour la chasse, l'approuvez-vous aussi ? Je « vous crois honnête homme , et je pense que vous « ne me perdrez pas. J'ai là un morceau de sanglier « qui en vaut bien un autre ; mangeons-le ; mais sur« tout bouche close. » François le promit, mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles, et dormit bien. Le lendemain il se fît connaître , paya son hôte , et lui permit la chasse.
Î
SINCÉRITÉ. i _iE duc d'Epernon représenta à Henri IV, qu'il né faisoit point payer la solde d'une garnison catholique : « Sue, ajouta-t-il, on dit que si elle étoit huguenote, « votre majesté seroit plus exacte à son égard. — Je « m'aperçois depuis long-temps,lui réponditlemonar« que, que vous me dites des choses offensantes.— Ah ! « sire, répliqua le duc , je vois que vous ne m'aimez « pas : je suis prêt à vous sacrifier ma vie, ma liberté , « mes biens , mais jamais la vérité. Je vous trahirais r « sire , si j'étois assez lâche pour la déguiser. C'est « par elle seule que je veux mériter votre estime. » 2. Le grand Alexandre dit un jour à l'un de ses ministres qui l'avoit long-temps servi: «Je ne suis point
.t
�2l6
SINCÉRITÉ.
« satisfait de vous ; car je suis homme, et je sais que J« comme tel, je suis sujet à l'erreur et à l'oubli ; ce« pendant vous ne m'avertissez jamais de mes défauts :■ « si vous ne vous apercevez pas plus que moi de mes. « fautes , c'est ignorance ; si vous vous en apercevez , « et que vous me les cachiez , c'est trahison. » 5. Jean II} roi de Portugal , sollicité de nommer à une charge vacante : «Je la réservé , répondit-il, pour « quelqu'un qui ne me flattera point. » . 4- Louis- XIV, ayant montré des vers de sa façon à M. le duc de la Feuillade , sans lui dire qu'il en étoit l'auteur , le duc les trouva mauvais. «Eh bien ! « lui dit le monarque , c'est moi qui les ai forgés. » Alors le duc, fâché d'avoir été si sincère , dit au roi : « Sire , que je les relise. — Non, non , lui répondit « le roi ; vous joueriez le rôle de flatteur, après avoir « joué celui d'un homme sincère , que je préfère a « l'autre. » 5. Après que le vicomte de Turenne eut embrassé la religion catholique , il alla urt jour à confesse, et le prêtre lui demanda s'il n'étoit pas retombé dans une faute qui lui avoit été habituelle avant sa conversion? « Je n'ai jamais manqué de parole aux hommes , répon« dit le vicomte , en mauquerois-je à Dieu ? » 6. Un ami du philosophe Chrysippe lui demandoit quel maître il falloit donner à son fils ? «Moi-même , « lui répondit-il ; car, si je connoissois quelqu'un plus « habile que moi, je partirais à l'instant pour aller « prendre ses leçons. » Cette réponse n'étoit point dictée par l'orgueil ; c'étoit l'aveu libre et sincère d'un grand homme qui sait s'apprécier. Chrysippe étoit en effet alors le seul philosophe : tous les autres n'avoient que l'ombre du savoir. 7. Dans le temps que Louis XlVétoit indisposé contre M. de Catinat, ce monarque demanda au duc de la Feuillade, qu'il savoit n'être pas des amis du maréchal , ce qu'il en pensoit. La Feuillade, avec une sincérité bien admirable,parce qu'elle est bien rare à là cour, répondit : «Sire, c'est unhommepropre à tout, et « qui serait aussi bon chancelier que maréchal de
�S O B R I É T É.
|
217
« France.»Leroine ditrien, etchangeadecohversation. 8. Dans une des intendances de la Pologne-Autrichienne , un Saxon , pour parvenir à la charge de greffier, dont les lois excluent les prolestans , avoit feint d'être catholique. Sa feinte, découverte après coup, fut dénoncée au gouververnement deLemberg. Le Saxon interrogé avoua le fait, et prétendit se justifier en disant qu'il étoit catholique dans le cœur, et qu'il se proposoit d'en faire profession publique lorsqu'il auroit recueilli en Saxe un héritage qu'il craignoit de perdre s'il le faisoit auparavant. Le gouvernement, en rendant compte à l'empereur Joseph II de cette affaire, opinoit pour l'indulgence , en considération des talens , de la bonne conduite et de la résolution du Saxon. La réponse de l'empereur fut un ordre de le congédier sur-le-champ , parce qu'on ne peutpas compter sur un homme capable de mentir en matière de religion. Voyez BONNE FOI, GRANDEUR,
INGÉNUITÉ.
SOBRIÉTÉ. sobriété , la tempérance doivent être sages, et dirigéesparlaraison: il ne fautpas qu'un amour aveugle de la vertunous condu ise à des infirmités qui nous obligeraient d'en interrompre l'austère pratique. S. Paul, dans sonEpître aux Romains , leur dit: «11 est bon de « ne point, manger de viande, et de ne point boire de « vin. » Dans celle aux Corinthiens , il dit : « Si la « nourriture que je prends scandalisoit mon frère , je « m'en abstiendrais pour toujours. » Mais ces deux préceptes de tempérance ne regardent que les personnes en Santé , comme ce saint docteur des nations le fait connoîlre, lorsqu'il prescrit à Timothée la nécessité de corriger son eau par un peu de vin , à cause de la foiblesse de son estomac. 2. Le maréchal de laFerté pensoit qu'on devoit accoutumer la jeunesse à une vie sobre et dure. Son tnaître-d'hôtel ayant fait, par ordre de son fils , une
�2l8
SOBRIÉTÉ.
ample provision pour la campagne , de truffes , de morilles , et de toutes ces autres superfluités que l'amour des bons ragoûts a rendues si nécessaires , lui en apporta le mémoire. Le maréchal n'eut pas plutôt lu cet article, qu'il jeta le mémoire avec indignanation : « Ce n'est pas ainsi , dit-il, que nous avons « fait la guerre ; de la grosse viande apprêtée simple« ment , c'étoient-là tous nos ragoûts. Il faut à mon « fils des truffes , des morilles , mille bagatelles pour « flatter délicieusement le palais de monsieu rie déli« cat. Oh bien ! dites-lui que je ne veux entrer pour « rien dans une dépense aussi folle que celle-là, aussi « indigne d'un homme de guerre ; et vous , cherchez « quelqu'un qui vous en tienne compte. » 5. En 1728 , un nommé Vïllars confia à quelques amis que son oncle, qui avoit vécu près de cent ans, et qui n'étoit mort que par accident, lui avoit laissé le secret d'une eau qui pouvoit aisément prolonger la vie jusqu'à cent cinquante années , pourvu qu'on fût sobre. Lorsqu'il voyoit passer un enterrement , il levoit les épaules de pitié : « Si le défunt, disoit-il, « avoit bu de mon eau , il ne seroit pas où il est.» Ses amis auxquels il en donna généreusement, et qui observèrent un peu le régime prescrit, s'en trouvèrent bien, et le prônèrent. Alors il vendit la bouteille six francs. Le débit en fut prodigieux. Ceux qui en prirent, et qui s'astreignirent à un peu de régime , sur-tout qui étoient nés avec un bon tempérament, recouvrèrent en peu de temps une santé parfaite. Il disoit aux autres : « C'est votre faute si vous n'êtes pas entiére« rement guéris : vous avez été intempérans et incon« tinens. Corrigez-vous de ces deux vices , et vous « vivrez cent cinquante ans pour le moins.»Quelquesuns se corrigèrent. La fortune de cet homme s'augmenta comme sa réputation. Des enthousiastes le mettaient fort au-dessus du maréchal de Villars. « 11 fait « tuer des hommes, disoient-ils 5 et lui les fait vivre.» On sut enfin que l'eau de Villars n'étoit que de l'eau de Seine avec un peu de nitre. Voyez ABSTINENCE , FRUGALITÉ , TEMPÉRANCE.
�SOCIABILITE.
SOCIABILITÉ.
I.ILI'IMMORTEL maréchal de Turenne comptoit au nombre de ses vertus, toutes celles qui caractérisent et qui rendent aimable l'homme qui vit en société, llvivoit à Paris dans une grandesimplicité,sembiableauxhéros de l'ancienne Rome, qui ne se distinguoient par aucun éclat extérieur. Unjeunehomnie de condition, arrivé de province , et qui ne connoissoit pas le vicomte , frappa un jour son cocher dans un embarras desruesdeParis. Un artisan sortit de sa boutique , un bâton à la main , en criant : « Comment! on maltraite ainsi les gens de «M. de Turenne! » A ces mots,le jeune homme éperdu vint à la portière du carrosse faire des excuses au vicomte, qui dit en souriant : « Vous vous entendez fort « bien, monsieur, à châtier les gens 5 quand les miens « feront des sottises , trouvez bon que je vous les en« voie. » 11 alloit souvent entendre la messe à pied, et de là se promener seul sur le rempart, sans domestiques, et sans aucune marque de distinction. Un jour , dans sa promenade, il passa près d'une troupe d'artisans qui jouoient à la boule, et q\ii, sans le connoître, le prièrent de juger un coup. Il prit sa canne, et après avoir mesuré les distances, prononça. Celui qu'il avoit condamnélui ditdes injures : le maréchal sourit; et, comme il alloit mesurer une seconde fois, plusieurs officiers qui l'aperçurent vinrent l'aborder. L'artisan demeura confus, et se jeta à ses genoux pour lui demander pardon. Le vicomte répondit : « Mon ami, vous aviez tort de « croire que je voulusse vous tromper. » Il alloit quelquefois aux spectacles , mais rarement. Un jour il se trouva seul dans une loge, où entrèrent quelques provinciaux en pompeux équipage. Ils ne le connoissoient pas , et voulurent l'obliger à leur céder sa place sur le premier banc. Comme il le refusa, ils eurent l'insolence de jeter son chapeau et ses gants sur le théâtre. Sans s'émouvoir , il pria un jeune seigneur de la première qualité dç les lui ramasser. Ceux qui l'avoient
�220
SOCIABILITÉ.
insulté rdugirent, et voulurent se retirer ; mais il les retint avec bonté , et leur dit que, s'ils vouloient s'arranger , il y auroit place pour tous. . 2. Le fameux Scipion r Africain fut moins admirable encore par sa valeur et par ses victoires , que par ses qualités sociales , par son humanité , par sa douceur. La conduite qu'il tint en Espagne, nous offre plusieurs traits héroïques de bonté et de clémence. Après s'être emparé de }a ville de Carthagène , il lit assembler les prisonniers qui étaient au nombre de près de dix mille. 11 ordonna qu'on en fît deux classes : une des gens distingués et des bourgeois de Carthagène , de leurs femmes et de leurs enfans; l'autre, des artisans. Après avoir exhorté les premiers à s'attacher aux Romains, et à ne jamais perdre le souvenir de la grâce qu'il alloit leur accorder , il les renvoya chacun chez eux. Us se prosternèrent devant lui , et se retirèrent en versant de larmes de joie. Pour les artisans , il leur dit qu'ils étaient maintenant esclaves du peuple romain , mais que , s'ils s'affectionnoient à la république , et lui rendoient, chacun selon sa profession, les services qu'ils doivent , ils pouvoient compter qu'on les mettroit en liberté, dès que la guerre contre les Cartbaginois seroit heureusement terminée. Il mit ensuite à part Magon, noble Carthaginois, qui cornmandoil dans Carthagène, et quelques autres des plus distingués de sa nation. Il en confia la garde à Lélius son lieutenant, lui recommandant d'avoir pour eux tous les égards possibles. Puis, s'étant fait amener tous les otages des Espagnols , qui étaient au nombre de plus de trois cent, il commença par flatter et caresser les enfans les uns après les autres , leur promettant , pour les consoler , que dans peu ils reverroient leurs pareils ; il exhorta les autres à ne pas se laisser abattre à la douleur. Il leur représenta qu'ils étaient sous la puissance d'un peuple qui aimoit mieux gagner les hommes par les bienfaits, que de les assujettir par la crainte. Après cela, ayant choisi, entre les dépouilles, celles qui convenoient le mieux à son dessein, il en fit desprésens à chacun, selon son sexeetsonage.il donna
�SOCIETE.
221
aux petites filles des jeux d'enfans et des bracelets ; aux jeunes garçons , des couteaux et de petites épées. Un vainqueur qui s'abaisse jusqu'à ces petits soins , n'en devient que plus grand. 3. Jamais prince ne fut plus propre que Théodose-leGrand à régner sur les esprits , à la faveur de ce doux empire que la vertu sait s'établir dans les coeurs. La douceur de ses regards , celle de sa voix , la sérénité qui brilloit sur sou visage , tempéroient en lui l'autorité souveraine. Grand observateur des lois , il savoit cependant en adoucir la rigueur. Dans les trois premières années de son règne, il ne condamna personne l à la mort. Il ne fit usage de son pouvoir que pour rapî.lpeler les exilés , faire grâce aux coupables dont l'imllpunité ne tiroit pas à conséquence ; relever , par ses ^libéralités , les familles ruinées ; remettre ce qui restent à payer des anciennes impositions. Il ne punissoit pas les enfans des fautes de leur père par la confiscation de leurs biens;mais il ne pardonnoitpaslesfauesqui tendoient à frustrer le prince des contributions égitimes ; également attentif à arrêter deux excès , l'enrichir son trésor par des exactions odieuses , et de e laisser appauvrir par négligence. Ses sujets le reardoientcomme leur père : ils entroient avec confiance ans son palais, comme dans un asile sacré. Ses ennelis même , qui auparavant, ne se fiant, pas aux traités, e se croyoient point en sûreté à la table des empeeurs, venoient sans défiance se jeter entre ses bras : |t ceux qu'on n'avoit pu vaincre par les armes , se pndoient volontairement à sa bonne foi.
S
SOCIÉTÉ.
1. TOUTE action devient presque toujours légitime et même vertueuse , quand il s'agit de l'intérêt publie, «est ce principe qui, chez les Arabes , a conservé cet ©cmple de sévérité d'un gouverneur de Basra, nommé mad. Ce gouverneur, après avoir inutilement tenté de purger la ville des assassins qui Pinfestoient, se vit
�222
SYMPATHIE.
contraint de décerner la peine de mort contre tonE homme qui se trouverait la nuit dans les rues. L'on y arrêta un étranger ; il fut conduit devant le tribunal du gouverneur, dont il essaya de fléchir la clémence par ses prières et par ses larmes :'« Malheureux étranger, « lui dit Ziad , je dois te paraître bien injuste en pu« nissant une contravention à des ordres que sans « doute tu ignorais 5 mais le salu t de Basra dépend de « ta mort : je pleure et je te condamne. » 2. Le bien public, l'ordre, ou plutôt tous lesdifferens établissemens particuliers d'ordre que la société demande, toujours sacrifiés sans scrupule, et même violés par une mauvaise gloire, étoient pour M. des Billettes, savant académicien , des objets d'une passion vive et délicate. Il la portait à tel point, et en même temps cette sorte de passion est si rare , qu'il est peut-être dangereux de dire à sa mémoire, que, quand il passoit sur les marches du Pont-Neuf, il en prenoit les bouts qui étoient moins usés, afin que le milieu, qui l'est toujours davantage, ne devînt pas trop tôt un glacis. Mais une si petite attention s'enoblissoit par son principe ;ct combien ne seroit-il pas à souhaiter que le bien public fût toujours aimé avec autant de superstition ? Personne n'a jamais mieux su soulager et les besoins d'autrui, et la honte de les avouer. Il disoit que ceux dont on refusoit le secours avoient eu l'art de s'attirer ce refus , ou n'avoient pas eu—Part-de le prévenir , et qu'ils étoient coupables d'être refusés ! Voyez AMOUR DU PROCHAIN. SYMPATHIE. 1. iVl. VARIGNON,durantlecoursdesespremièreséto des, alloit souvent disputer à des thèses dans les classes de philosophie ; et il brilloït fort par sa qualité de b« argumentateur, à laquelle concouraient et le caractèfl de son esprit , et sa constitution corporelle; beaucoii; de force et de netteté de raisonnement d'un côté, et l'autre une excellente poitrine et une voix éclatante.
r
�SYMPATHIE. 225 fut alors que M. l'abbé de St.-Pierre, qui étudioit en philosophe dans le même collège, le connut. Un goût commun pour les choses de raisonnement, soit physiques, soit métaphysiques, et des disputes continuelles furent le lien de leur amitié. Ils avoient besoin l'un l'autre pour approfondir, et pour s'assurer que tout étoit vu dans un sujet. Leurs caractères difïerens faisoient un assortissement complet et heureux ; l'un , par une certaine vigueur d'idées , par une vivacité fécondé , par une fougue de raison ; l'autre par une analyse subtile, par une précision scrupuleuse, par une sage et ingénieuse lenteur à discuter tout. M. l'abbé de St.-Pierre, pour jouir plus à son aise de M. Varignon, lelogea avec lui ; et enfin, toujours plus touché de son mérite, il résolut de lui faire une fortune qui le mît en état de suivre pleinement ses talens et son énie. Cependant cet abbé, cadet de Normandie, n'avoit que dix-huit cents livres de rente ; il en détacha "rois cents , qu'il donna par contrat à M. Varignon. 'e peu , qui étoit beaucoup par rapport au bien du onateur, étoit beaucoup aussi par rapport aux besoins t aux désirs du donataire. L'un se trouva riche , et 'autre encore plus riche d'avoir enrichi son ami. Ils inrent à Paris, qu'ils regardoient comme le meilleur éjour pour des philosophes raisonnables. Ils s'établient dansune petite maison dufaubourgSaint-Jacques: à ils se livroient tous deux à l'étude la plus profonde. J'étois leur compatriote , et j'allois les voir assez souvent, dit M. de Fontenelle , et quelquefois j'ailois passer deux ou trois jours avec eux. Il y avoit encore de la place pour un survenant, et même 9 pour un second, sorti de la même province , aum jourd'hui l'un des principaux membres "de l'académ mie de belles-lettres , et fameux par les histoires j|| qui ont paru de lui. Nous nous rassemblions avec une extrême plaisir, jeunes, pleins de la première ardeur de savoir, fort unis , et, ce que nous ne comptions peut-être pas alors pour un assez grand bien, peu connus. Nous parlions à nous quatre une bonne partie de différentes langues de l'empire des
�3
^4
SYMPATHIE.
« lettres; et tous les sujets de cette petite société se « sont dispersés de là clans toutes les académies. » > 2. M. deMontmort, célèbre géomètre, avoit approfondi la théorie des jeuxdehasard. M. NicolasBernouilli avoit appliqué la même théorie à quelques questions de droit, qu'il assujèttissôit aux principes austères du calcul. Cette conformité de goûts et d'études fit naître entre ces deux savans l'amitié et l'émulation. M. Bernouilli vint à Paris, etM. de Montmort l'emmena chez lui à sa campagne, où ils passèrent trois mois dans un combat continuel de problêmes dignes des plus grands géomètres. 11 s'agissoit d'estimer les hasards, de régler les paris, de calculer ce qui se déroboitle plus au calcul. Leurs journées passoient comme des momens, grâce à ces plaisirs, qui ne sont pourtant pas compris dans ce qu'on appelle ordinairement les plaisirs, 5. Jamais prince n'a éprouvé plus amèrement Tingratitude et l'inconstance du peuple que Henri IV, quoiqu'il ne désirât que son soulagement et son bonheur. La plus grande partie de ses sujets le regardoient comme un tyran, parce qu'il étoit hérétique. Lorsqu'il fit abjuration dans l'église de l'abbaye de Saint-Denis, entre les mains de l'archevêque de Bourges, une nombreuse populace s'y rendit en foule pour voir un roi dont on lui avoit dit tant de mal, et dont elle s'etoit formée des idées si désavantageuses. On vit alors un de ces effets merveilleux de cette force sympathique qui attire, qui unit les coeurs. Son air noble , libre et guerrier, joint à cette aimable douceur, à cette gaieté vive et charmante qui l'accompagnoient toujours, fra;> )èrent tous les esprits , et firent éclore tout-à-coup 'affection publique. Elle alla au point qu'une vieille femme, hors d'elle-même à la vue de ce grand prince, fendit la presse, écarta tous les obstacles, courut à lui, et, lui saisissant la tête, l'embrassa plusieurs fois avec transport. Tous les spectateurs en eussent voulu faire autant. Le peuple désabusé répandoitdes larmes de joie, et formoit des vreux pour la prospérité d'un monarque dont tous les traits , toutes les manières; toutes les démarches étoient, pour ainsi dire, frappa
Î
an
�SYMPATHIE. 225 au coin de la bonté. Le duc de Sully, qui étoit près de lui, le voyant attendri à la vue de cette multitude qui poussoit des cris d'allégresse , et qu'on lui avoit représentée si animée contre sa personne , ne put s'empêcher de lui dire : « Eh bien ! sire , voilà ces gens « que l'on s'attachoit à vous peindre comme vos plus « cruels ennemis ! Ne semble-t-il pas , au contraire , « qu'ils revoient en vous un libérateur et un père? » Henri neput répondre que par des larmes de tendresse. 4- Dans un manuscritque possède une de plus riches bibliothèques de Paris, on lit que les comtes de Ligneville et d:'Autricourt, frères jumeaux, issus de l'une des quatre maisons de l'ancienne chevalerie de Lorraine, étoient si ressemblans, que quand ils s'habilloient l'un comme l'autre, ce qui leur arrivoit de temps en temps pour s'amuser, leurs domestiques ne pouvoient les distinguer. Ils avoient le même son de voix, la même démarche, le même maintien ; et ces rapports parfaits jetoient dans le plus grand embarras les personnes avec lesquelles ils étoient liés, et souvent leurs femmes même. Etant tous deux capitaines des chevaux-légers, l'un se plaçoit à la tête de l'escadron de l'autre , sans que les cavaliers et les officiers se doutassent de cet échange. Le comte d'Autricourt eut une affaire criminelle ; il ne tenoit qu'à sa partie adverse de le priver de la liberté. Que fit le comte de Ligneville ? Il ne quitta plus son frère, ne le laissa plussortir sans l'accompagner ; et la crainte de saisir l'innocent, au lieu du coupable, rendit nuls les droits qu'on avoit obtenus sur la personne du comte d'Autricourt* Us s'amusèrent un jour d'une scène assez plaisante, M. de Ligneville fit appeler un barbier. Après s'être fait raserun côté, ilprétexte une affaire pour passerdans l'appartement voisin. M. d'Autricourt y étoit caché ; il endosse la robe-de-chambre de son frère, s'attache la serviette au cou, et vient s'asseoir dans le siège qu'avoit quitté M. de Ligneville. Le barbier se met en devoir de raser l'autre côté ; mais quelle fut sa surprise en voyantquelabarbe étoit en un instant revenue ! Ne doutant point que ce ne soit un démon qui a pris la figure Tome 111. P
�226 T A L E N S. de sa pratique , il fait un grand cris,, et s'évanouit. Tandis qu'on s'occupoit à le faire revenir , le comte d'Autricourt rentra dans le cabinet, et M. de Ligneville, à demi-rasé, reprit sa place. Nouvelle surprise pour le barbier : il croit avoir rêvé tout ce qu'il a vu, et n'est convaincu de la vérité, qu'en voyant, qu'en touchant les deux frères ensemble. La sympathie qui régnoit entre eux, n'étoit pas moins originale que leur ressemblance : ils ont toujours été malades dans le même temps. Si l'un recevoit une blessure, l'autre en ressentoit de la douleur : il en étoit de même de tous leurs maux ; aussi veil!oient-ils avec le plus grand intérêt à la conduite l'un de l'autre. Ce qu'il y a de plus étonnant encore , c'est que très-souvent ils faisoicnt les mêmes songes. Le jour que le comte d'Autricourt fut attaqué en France d'une fièvre continue , dont il mourut, le comte de Ligneville ressentit en Bavière les accès de la même fièvre, et il auroit succombé comme son frère, ajoute le manuscrit, s'il n'avoit fait un vœu à Notre-Dame d'Altenting. Si tous ces faits sont véritables , il faut avouer qu'ils ont de quoi confondre la pénétration des physiciens les plus subtils, et qu'ils nous annoncent bien des découvertes à faire encore dans le système de la natare. T A L E N S. î.RiENne donne une meilleure éducation qu'une petite fortune, pourvu qu'elle soitaidéedequelquestalens. La force de l'inclination, le besoin de parvenir, le peu de secours même, aiguisent le désir et l'industrie , et mettent en œuvre tout ce qui est en nous. Le savant Alexis Littre, académicien célèbre, joignit à ces avantages un caractère très-sérieux, très-appliqué, et qui n'avoit rien de jeune que le pouvoir de soutenir beaucoup de travail. Sans tout cela, dénué de ressources, comment eût-il pu subsister durant le cours de ses études ? Une grande économie n'eût pas suffi. Il fallut qu'il répétât à d'autres écoliers plus riches et moins diligens , ce qu'on venoit presque dans l'instant de leur enseigner à. tous ; et il en tiroit la double utilité de vivre plus
�T A L E N S. 227 commodément,et de savoir mieux. La promenade eût été line débauche pour lui. Dans les temps où il étoit libre , il suivoit un médecin chez ses malades ; et au retour, il s'enfermoitpour écrire les raisonneméns qu'il avoit entendus. A la fin de ses études , il se trouva un petit fonds pour aller à Montpellier , où Fattiroit la grande réputation des écoles de médecine ; et il fît si bien, qu'il futéncoreen état de venir de là à Paris, le séjour ordinaire et le lycée des véritables talens. Saplus forte inclination étoit pour l'anatomie; mais, de toutes les inclinations qui ont une science pour objet, c'estlâ plus difficile à satisfaire.Les sortes délivres qui sétils enseignent sûrement l'anatomie, ceux qu'il faut le plus étudier, sont rares ; on ne lès a pas sous sa main en aussi grand nombre et. dans le temps qu'on voudroit.Un certain sentiment, confus à la vérité,mais très-fort, et si général qu'il peut passer pour naturel, fait respecter les cadavres humains ; la France n'est pas à cet égard autant au-dessus de la superstition chinoise, qui révère les morts, que les anatomistes le désireroient. Chaque famille veut que son défunt n'ait plus qu'à jouir de ses obsèques, et ne souffre point qu'il soit sacrifié à l'instruction publique; à peine seulement permettra-t-elle, en quelques occasions, qu'il le soit à sonintérêtparlicnlier.Lapolice restreintextrêmement la permission de disséquer les morts ; et ceux à qui elle Taccordepour l'utilité commune, ensontbeaucoupplus jaloux que cette utilité ne demanderoit. Quand oh n'est pas de leur nombre, on ne fait guère de progrès enanatomie, qui ne soient en quelque sorte illégitimes. On est réduit à frauder les lois, et à ne s'instruire que par artifice, par surprise, à force de larcins toujours un peu dangereux. M..Littre étant à Paris, éprouva les inconvéniens de son amour pour l'anatomie. Il est vrai qu'il fut un temps assez tranquille, grâce à la liaison qu'il fit avec un chirurgien de la Salpêtrière, qui avoit à sa discrétion tous les cadavres de l'hôpital. 11 s'enferma avec lui pendant l'hiver de 1684, qui heureusement fut fort long et très-froid; et ils dissécruèrent ensemble plus de deux cents cadavres. Mais le savon qu'il acquit par là P 2
�228 T A L E N SS. le grand nombre d'étudians qui coururent, à lui, excitèrent des envieux qui le traversèrent. Use réfugia dans le temple, où les plus grands criminels se mettent quelquefois à Pabri des privilèges du [lieu. Il crut y pouvoir travailler en sûreté, avec la permission du grandpriéur de Vendôme ; mais un officier subalterne, avec qui il n'avoit pas songé à prendre les mesures nécessaires , permit qu'on lui enlevât le trésor qu'il tenoit caché dans cet asile , un cadavre qui l'occupoit alors. Cet enlèvement se fit avec une pompe insultante. On triomphoit d'avoir arrêté les progrès d'un jeune homme qui n'avoit pas droit de devenir si habile. Malgré ses malheurs, et peut-être par ces malheurs même , sa réputation croissoit, et les écoliers se multiplioient. Us n'attendoient point de lui les grâces du discours, ni uuc agréable facilité de débiter son savoir; mais une exactitude scrupuleuse à démontrer, une extrême timidité a conjecturer de simples faitsbien vus. De plus ils s'attachoient à lui par la part qu'il leur donnoit à la gloire de ses découvertes dès qu'ils le méritaient , ou pour avoir aperçu quelque chose de nouveau, ou pour avoir eu quelque idée singulière et juste. Ce n'étoit point qu'il affectât de mettre leur vanité dans ses intérêts : il n'étoit pas si fin ni si adroit : il ne songeoit. qu'à leur rendre loyalement ce qui leur étoit dû. Malgré toutes ses lumières, il s'empressoit cependant toujours de s'instruire avec l'avidité d'un disciple. Il assistait à toutes les conférences qui se tenoient sur les matières qui l'intéressoientill suivoit les médecins dans leurs visites ; il se trouvoit aux pansemens des hôpitaux. Enfin il fut reçu docteur-régent de la faculté de Paris. L'éloquence lui manquoit absolument. Un simple anatomiste peut s'en passer , mais un médecin ne le peut guère. L'un n'a que des faits à découvrir et à exposer aux yeux; mais l'autre, éternellement obligé de conjecturer sur des matières très-douteuses , l'est aussi d'appuyer ses conjectures par des raisonnemens assez solides , ou qui du moins rassurent et flattent l'imagination effrayée. Il doit quelquefois parler sans avoir d'autre but que de parler ; car il a le malheur de
�T A L E N S. 229 ne traiter avec les hommes que dans le temps précisément où ils sont plus foibles et plus enfans que jamais. Cette puérilité de maladie règne pricipalement dans le grand monde, et surtout dans une moitié de ce grand monde, qui occupe plus les médecins, qui sait mieux les mettre à la mode , et qui a plus souvent besoin d'être amusée que guérie. Un médecin peut agir plus raisonnablement avec le peuple ; mais , en général, s'il n'a pas le don de la parole , il faut presque qu'il ait, en récompense , celui des miracles. Aussi ne fut-ce qu'à force d'habileté que M. Littre réussit dans cette profession ; encore ne réussit-il que parmi ceux qui secontentoient de l'art de la médecine, dénué de celui du médecin. Sa vogue ne s'étendit point jusqu'à la cour ; mais malgré tant d'obstacles, son rare mérite , justement apprécié , fut jugé digne de décorer l'académie des sciences. On connut bientôt M. Littre dans cette docte compagnie , non par son empressement à se faire connoître , à dire son sentiment, à combattre celui des autres , à étaler un savoir imposant,quoique inutile ; mais par sa circonspection à proposer ses pensées, par son respect pour celles d'autrur, parla justesse et la précision des ouvrages qu'il donnoit, par son silence même. Il fut toujours d'une assiduité exemplaire à l'académie , fort exact à s'acquitter des travaux qu'il lui devoit,sice n'est qu'il s'en affranchit les trois ou quatre dernières années de sa vie , parce qu'il perdoit la vue de jour en jour ; mais il ne se relâcha point sur l'assiduité. Alors il se mit à garder dans les assemblées nn silence dont il n'est jamais sorti : il paroissoitun disciple de Pythagore, quoiqu'il pût toujours parler en maître sur les matières qui l'avoient occupé. Ceux d'entre les gens de bien qui condamnent tant les spectacles, l'auroicnt trouvé bien net sur cet article : jamais il n'en avoit vu aucun. Il n'y a pas de mémoire qu'il se soit diverti. Il n'avoit de s-a vie songé au mariage ; et ceux qui l'ont vu de plus près ont assuré que les raisons de conscience n'avoient jamais dû être assez pressantes pour l'y porter. Presque tous les hommes ne songent qu'à étendre leur sphère, et à y faire entrer tout ce qu'ils peuvent d'étranger :
�/
23o T A L E N 8. pour lui , il avoit réduit la sienne à n'être guère que lui seul. Il avoit fait de sa main plusieurs préparations anatomiques , que dés médecins ou chirurgiens anglais et hollandais vinrent acheter de lui , quelque temps avant sa mort, lorsqu'il n'en pouvoit plus faire d'usage. Les étrangers le connoissoient mieux que ne faisoit une partie d'entre nous. Il arrive quelquefois qu'ils nous apprennent le mérite de nos concitoyens, que nous négligions , peut-être , parce que leur modestie leur nuisoit de près. a.Del'étatde tailleur ,Dorfl/ng, célèbre officier prussien, parvint au grade de well-maréchal. En sortant d'apprentissage, il eut l'ambition de vouloir aller travailler à Berlin. Comme il falloit passer l'Elbe dans un bac , et qu'il n'avoit pas de quoi payer , le passage lui fut refusé.Piqùé de cet affront, il dédaigna u» métier qu'il en crut la cause., jeta son havresac dans le fleuve , et se lit soldat. Il marcha à pas de géant dans cette carrière. Il eut bientôt l'estime de ses camarades , ensuite de ses officiers , et enfin de l'électeur Frédéric-Guillaume son maître. Ce grand prince, qui aimoit la guerre , qui la savoit , et qui étoit forcé de la faire, avança rapidement un homme quijoignoit les vertus du citoyen à tous les talens du -militaire. Dorfiing fut fait web-maréchal, et remplit l'idée qu'on doit se former d'un homme qui, de la condition de soldat, s'élève jusqu'au généralal. Une fortune si considérable , et plus encore les qualités brillantes qui l'avoient méritée, excitèrent la jalousie des cœurs sans élévation. Il y eut des hommes assez bas pour dire que Dorfling , pour être devenu grand seigneur, n'avoit pas perdu l'air de son premier état. « Oui, » dit-il à ceux qui lia rapportèrent ce discours , « j'ai « été tailleur ; j'ai coupé du drap : » maintenant, eontinua-t»-il en portant la main sur la garde de son épée , «voici l'instrument avec lequel je coupe les oreilles « h ceux qui parlent mal de moi. » 3.Heureusementné pour la géométrie, le célèbre Vincenzio/^zVz'«zzz',fit à l'école du gran.d£7aZz7e'fi,de rapides progrès dans cette sciencesublime. Après la mort de cet
�TALENS.
23l
homme rare, dont le génie créateur avoit, èn quelque sorte, enfanté la philosophie, en la tirant des ténèbres qui, depuis tant de siècles, obscurcissoient son flambeau, le digne disciple de ce maître immortel s'"empressa de parvenir àla célébrité, en marchant sur ses traces .Un géomètre ancien appel é Aristée-, avoit fait un Traité des sections coniques, fort recherché dans son temps, et qui, malgré Pestime qu'on en avoit faite, s'étoit perdu. Viviani1, fort versé dans la géométrie des anciens, et regrettant sur-tout l'ouvrage à: Aristée, entreprit d'y suppléer, autant qu'il étoit possible, en tâchant de deviner ce qu'il avoit du nous dire. S'il est jamais permis aux hommes de deviner, c'est en cette matière, où, si l'on n'estpas sûr de retrouver précisémentce qu'on cherche, on l'est du moins de ne rien trouver de contraire, et de trouver toujours l'équivalent. Il fut quinze ans entier sans pouvoir se livrer à ce projet singulier,quidemandoit des talens si profonds ; et, durant ce tin tervalle, il conçut le dessein d'un nouvel ouvragcoù il s'agissoitde deviner encore. Apollonius-Pergœus, qui vivoit environ deux cent cinquante ans avantl'èrechrétienne,avoitramassé, sur les sections coniques, tout ce qu'avoient fait les savans qui l'avoient précédé. Son ouvrage eontenoit huit livres, dont les quatre dernierss'étoientperdns,etle cinquième traitoit des plus grandes etdes pluspetiteslignes droites, qui se terminassent aux circonférences des sections coniques. M. Viviani, laissant Aristée pour quelque temps , songea à restituer de la même manière ce cinquième livre , et s'y occupa dans ses quinze années de distraction. Cependant le fameux Jean-Alphonse Borelli, passant par Florence, trouva dans la bibliothèque de Médicis, un manuscrit arabe dont l'inscription latine portoit: « Les huit livres des sections coniques, «par Apollonius-Pergœus. » 11 jugea, par toutes les marques extérieures qu'il put rassembler, que ce devoit être effectivement l'ouvrage de ce géomètre en son entier , et le grand-duc lui permit de porter ce manuscrit à Rome, pour le faire traduire pa.rAl/raha7nEcchellensisf maronite,professeur enlangues orientales.A cettenouvelle, Viviani, qui ne Youloit point perdre le fruit de
' P
4
�252 T À L E N S. tout ce qu'il avoit préparé pour sa divination, prit tontes les mesures nécessaires pour prouver qu'il n'avoit fait effectivement que deviner. Il se fit donner des certificats authentiques qu'il n'entendoit point l'arabe; et pour plus de sûreté qu'il n'avoit point vu. ce manuscrit, il obtint du princeLéopold, frère du grand-duc Ferdinand II, la grâce qu'il lui paraphât de sa propre main sespapiers,enl'état où ils se trouvoient alors. Ilncvoulut point que Borelli lui mandât jamais rien de ce qn'Ecchellensis auroit pu découvrir en traduisant, et fit imprimer son ouvrage. Tandis que le public accueilloit cette produ ction d'un savant si digne de son estime, Abraham Ecchellensis, qui ne savoit point de géométrie, aidé par Borelli , grand géomètre , qui ne savoit point d'arabe, travailloit à traduire le manuscrit arabe d'Apollonius ; et bientôt ils mirent cet ouvrage au jour. Alors l'Univers savant, suspendu, jusqu'à ce moment, sur le jugement qu'il devoit porter de M. Viviani, compara sa divination aveclavérité, et l'on trouva qu'il avoit plus que deviné, c'est-à-dire, qu'il avoit été beaucoup plus loin qu:Apollonius sur cette matière. Un succès si singulier et si heureux excita de plus en plus le désir qu'avoit/^ViaKÏde réussir aussi-bien sxxr Aristée JW.xe,gardoit depuis long-temps comme des distractions importunes tout ce qui l'empêchoit de se livrer à cet ouvrage, qu'il destinoit kLouisXIV', dont il ne cessoit de recevoir des bienfaits, et qui venoit de l'agréerpour tin des huit associés étrangers de l'académie des sciences. Il redoubla d'ardeur, et enfin il en publia trois livres. On ne peut assez admirer les recherches profondes qu'ils renfermoient : l'on souhaita, pour son honneur', qu'Aristée ressuscitât comme avoit fait Apollonius. 4 - La nature combla de ses dons l'immortel Daguesseau ; et ce grand homme parut réunir tous les talens dont l'heureux assemblage fait l'admiration de tous les siècles. Il lut les poètes grecs et latins avec une avidité qu'il appeîoit la passion de sa jeunesse. Sa mémoire les lui rendit si présens dans tout le cours de sa vie , qu'à l'âge d'environ quatre-vingts ans, un homme de lettres ayant cité peu exactement une épigramnae de
�233 Martial, il lui en rappela les propres termes, en lui avouant qu'il n'avoit pas ouvert cet auteur depuis l'âge de douze ans. La société de Racine et deBoileau avoit des charmes infinis pour lui. Il cultivoit comme eux la poésie, en avoit le génie et le conserva jusqu'à ses derniers jours. Reçu avocat-général du parlement de Paris, il y parut avec tant d'éclat, que le célèbre Denys Talon, alors président à mortier, dit qu'il voudroit finir comme ce jeune homme commencoit. Il fut ensuite nommé procureur-général à trente-deux ans ; et ce fut alors qu'il déploya tout ce qu'ilétoit. Le chancelier de Pontchar-train le chargea de la rédaction de plusieurs lois ; et charmé de la manière dont il s'en acquitta , il lui prédit qu'il le remplacerait un jour. L'administration des hôpitaux fut l'objet le plus cher de ses soins. On lui conseilloit un jour de prendre du. repos. « Puis-je me reposer , répohdit-il généreuse« ment, tandis que je sais qu'il y a des hommes qui « souffrent? » Il avoit prévu le premier le fameux et terrible hiver de 1709, sur des observations qu'il fit à sa campagne, et en avoit indiqué le remède, en conseillant de faire venir des blés avant que le mal eût produit une alarme générale. A la mort du chancelier Voisin, le régent jeta les yeux sur Daguesseau pour remplacer ce grand ministre. Il le mande au PalaisRoyal; et, en le voyant, il lui donne le nom de chancelier. Daguesseau s'en défend, fait des représentations au prince, allègue son incapacité. Le duc d'Orléans , pour la première fois, refuse de le croire; et Daguesseau se voit enfin obligé de consentir à son élévation. Il parut encore plus grand que sa dignité. Il s'étoit instruit des lois de toutes les nations et de tous les temps. Il n'étoit étranger dans aucun pays, dans aucun siècle. Il savoit la langue française par principes , le latin, le grec , l'hébreu, l'arabe, les langues orientales, l'italien, l'espagnol, l'anglais et le portugais. L'étude de tant de langues, qui auroit rempli la vie entière de plusieurs savans, n'étoit pour Daguesseau qu'un amusement, comme il le disoit lui-même. Son principe étoit que le changement d'occupation est seul
TALENS.
�2^4
TALENS.
un délassement. Ainsi, tous les travaux de l'homme de lett res nefaisoient avicun tort aux fonctions du ministre. Quand il perdit sa digne épouse, on craignit que le poids des affaires, joint à celui de Fafïliction, ne l'accablât : on lui conseilla de suspendre ses pénibles occupations. « Non, repondit-il, jemedoisaupublic : il n'est pas juste <l qu'il souffre de mes malheurs domestiques. » 5. Le célèbre Fagon,si connu par ses découvertes dans labotanique, naquit dans le jardin royal des plantes. Les premier objets qui s'offrirent à ses yeux, ce furent des plantes 5 les premiers mots qu'il bégaya, ce furent des noms de plantes : la langue de la botanique fut sa langue maternelle. A cette première habitude se joiguitun goût naturel et vif, sans quoi le jardin eût été inutile. Etant sur les bancs, il fit une action d'une audace signalée, qui ne pouvoit guère, en ce temps-là, être entreprise que par un jeune homme, ni justifiée que par un grand succès. Il soutint dans une thèse, la circulation du sang; et les vieux docteurs, opiniâtrement attachés à l'opinion contraire , trouvèrent qu'il avoit défendu avec esprit ce qui passoit alors pour un étrange paradoxe. Cependant on avoit négligé le jardin royal ; et cet établissement si utile étoit tombé dans un état où l'on ne pouvoit plus le souffrir. Il étoit si dénué de plantes , que ce n'étoit plus un jardin. M. Fagon s'offrit de voyager pour chercher ses habitans : il alla en Auvergne, en Languedoc ', en Provence , sur les Alpes et sur les Pyrénées , et n'en revint qu'avec de nombreuses colonies de plantes destinées àrepeuplerce désert. Quoique sa fortune fût très-médiocre, il lit tous ses voyages à ses dépens, poussé parle seul amour de la patrie ; car on peut dire que le jardin royal étoitla sienne. Il célébra ces nouveaux citoyens dans un petit poème latin, afin qu'il ne manquât rien à son ouvrage. Ce concours de plantes qui, de toutes les parties du monde, sont venues à ce rendez-vous commun,ces différenspeuples végétaux, qui vivent sousunmême climat; le vaste empire de Flore, dont toutes les richesses sont rassemblées dans cetteespèce de capit ale ; lesplantes lesplus rares et les plus étrangèresjtelle que lasensitive,qui a plusd'ame,
�235 ou une ame plus fine que toutes les autres ; le soin du roi pour la santé de ses sujets , soin qui auroit seul suffi pour rendre la sienne infiniment précieuse , et digne que toutes les plantes salutaires y travaillassent s tout cela fournit assez au poète ; et d'ailleurs on est. volontiers poète pour ce qu'on aime. A peine M. Fagon étoit-il docteur, qu'il eut les deux places de professeur en botanique et en chimie an Jardin Royal ; car on y avoit joint la chimie qui fait usage des plantes, à la botanique qui les fournit. Comme il avoit repeuplé de plantes ce jardin , il le repeupla aussi de jeunes botanistes , que ses leçons y attiraient de toutes parts. Un jour qu'il devoit parler sur la thériaque , l'apothicaire qui étoit chargé d'apporter les drogues , lui en présenta une autre presqueaussi composée, surlaquelle il n'é toi t point préparé. 13 com menca par se pl aindre publiquementde la supercherie;carilavoitlieu d'ailleurs de croire que c'en étoit une. Mais, pour corriger l'apothicaire de lui faire de pareils tours, il se mit à parier sur la drogue qu'on lui présentoit, comme il eût fait sur la thériaque, et futsi applaudi, qu'il dut avoir beaucoup de reconnoissanoe pour Jp malignité qu'on avoit eue.Enmême temps,ilexerçoitlamédecine dansParis, avec tout le soin, toute l'application, tout le travail d'un homme fort avide de gain ; et toutefois il ne recevoit jamais aucun payement,malgré la niodicité de sa fortune, non pas même de ces payemens déguisés sous la forme de présens,et qui font souvent une agréable violenceauxplus désintéressés.Il ne se proposoit que d'être utile, et de s'instruire, pour l'être toujours davantage. 6. L'immortelMctssillon décela de bonne heure ses grands talens pour l'éloquenceapostolique.Ilfitsespremiers essais deParf-oratoire à Vienne, pendantqu'ilprofessoitlatbéologie.L'oraisonfunèbredciïewriJe^'/ZZar.y, archevêqu e de cette vilie, fut accueillie avec un suffrage unanime. Ce succès le fit appeler à Paris par le V.de lu Tour, alors général de la congrégation de l'Oratoire, où il étoitenlré.Lorsqu'il eut fai t quelque séjour dans la capitale, son supérieur lui demanda ce qu'il pensoit des prédicateurs qui brilloient sur ce grand théâtre ? «Je leur IrpuYp, répondit-il, bien del'esprit et du talent 3 niais si
T A L E N S.
�236 T A L E N S. « je prêche, je ne prêcherai pas comme eux. » Il tînt parole : il prêcha, et s'ouvrit une route nouvelle. Le P. Bourdaloue ne fut pas du nombre de ceux qu'il ne se proposoit pas d'imiter : trop connoisseur pour ne pas sentir tont le mérite de ce grand homme, il ne l'entendit que pour l'admirer ; et s'il ne marcha pas sur les mêmes traces, c'est que son génie le portoit à un autre genre d'éloquence. Il se fit donc une manière de composer qu'il ne dut qu'à lui-même, et qui, aux yeux des hommes sensibles, parut supérieure à celle de Bourf&zZowe. Après avoir prêché son premier A vent à Versailles, il reçut cet éloge de la bouche même àeLouisXIV: « Mon père, quand j'ai entendu les autres prédicateurs, j'ai été très-content d'eux : pour vous , toutes les fois que je vous ai entendu, j'ai été très-mécontent de moimême.» La première fois qu'il prêcha son fameux sermondu petit nombre desElus, il y eut un endroit où un transport, de saisissement s'empara de tout l'auditoire. Presque tout le monde se levai moitié par un mouvement involontaire. Le murmure d'acclam ation et de surprise fut si fort, qu'il tronbla l'orateur.Ce trouble ne servit qu'à augmenter le pathétique de ce morceau. Ce qui surprit sur-tout dans le père Massillon, ce furent ces peintures du monde , si saillantes, si fines, si ressemblantes. On lui demandoit, où. un homme, cousacrc comme lui à la retraite, avoit pu les prendre? «Dans le cœur humain, répondit-il. Pourpeu qu'on le sonde, on y découvrira le germe de toutes les passions.Quand je fais un sermon , j'imagine qu'on me consulte sur une affaire ambiguë. Je mets toute mon application à décider et à fixer dans le bon parti celui qui a recours à moi. Je l'exhorte, je le presse, et je ne le quitte point qu'il ne se soit rendu à mes raisons. » Sa déclamation ne servit pas peu à ses succès. Son air simple, son maintien modeste, ses yeux humblement baissés , son geste négligé, son ton affectueux, sa contenance, qui montrait qu'il étoit pénétré des vérités qu'il annonçoit , tout en lui portoit dans les esprits les plus brillantes lumières, et dans les coeurs les mouvemens les plus tendres. Le célèbre comédien Baron l'ayant rencontre dans une maison ouverte aux gens de lettres , lui fit
�T A h E N S. 237 ce compliment:«Continuez , mon père, à débiter comme vous faites ; vous avez une manière qui vous est propre , et laissez aux antres les règles. » Au sortir d'un de,ses sermons , la vérité arracha à ce fameux acteur cet aveu humiliant pour sa profession : « Mon ami, dit-il à un de ses camarades qui l'avoit accompagné ; mon ami , voilà un orateur ; et nous, nous ne sommes que des comédiens.» En 1704, le père Massillon parut pour la seconde fois à la cour, et y parut encore plus éloquent que la première fois. Louis XIV, après lui en avoir témoigné son plaisir, ajouta, du ton le plus gracieux: « Et je veux, mon père, vous enten« dre désormais tous les deux ans.» Des éloges si flatteurs n'altérèrent point sa modestie. Un de ses confrères le félicitant sur ce qu'il venoit de prêcher admirablement , suivant sa coutume : « Eh ! laissez, mon père, « répondit-il ; le diable me l'a déjà dit plus élôquemment que vous. » L'évêché de Clermont fut la récompense de son mérite, en 1717. Destiné, l'année suivante, à prêcher devant Louis XP~, qui n'avoit encore que neuf ans , il composa , en six semaines , ces discours si connus sous le nom de Petit-Carême. C'est le chef-d'œuvre de cet orateur, et celui de l'art oratoire. Ce grand prédicateur auroit souhaité qu'on introduisît en France l'usage établi en Anglentere, de lire les sermons , au lieu de les prêcher de mémoire , regardant la coutume d'apprendre par cœur, comme un esclavage qui enlevoit à la chaire bien des orateurs , et qui avoit une foule d'inconvéniens , pour ceux qui s'y consacraient. Cette méthode.ne nuiroit point , selon lui, à la vivacité de l'action. Le prédicateur ne seroit plus , comme il arrive quelquefois , autant de temps à retenir un sermon qu'à le faire. Rassuré par son cahier , il n'en réciterait qu'avec plus de chaleur. Ceux qui composent avec facilité et avec génie , mais qui apprennent difficilement, attireraient une foule d'auditeurs ; et l'on ne seroit point en danger de compromettre sa réputation devant la multitude,qui fait circuler dans la société , comme un très-grand ridicule , un moment d'absence de mémoire. Il lui étoit arrivé , aussi-bien qu'à deux autres de ses confrères, dç rester
�238 T A r. E N s. court en chaire, précisément le même jour. Ils préchoient tous les trois à différentes heures, un vendredi saint. Ils voulurent s'aller entendre alternativement. La mémoire manqua au premier : la crainte saisit les deux autres , et leur fit éprouver le même sort. 7. Damort,célèbre musicien,précepteur dufameux Périclès, voyant des jeunes gens que les vapeurs du vin et un air de flûte, joué sur le ton phrygien, avoient rendus extravagans, les fit entrer tout d'un coup dans un état calme et sage , en prenant sa lyre , et touchant un air dont tous les accens respiroient la douceur. Ainsi, sous les doigts de cet artiste , la lyre devenoit, en quelque sorte , un instrument de morale. 8. Après un siège long ,pénible et sanglant, Amurat IF~, empereur des Turcs , ayant pris Bagdad , Ordonne de mettre tout à feu et à sang. Trente mille Persans sont égorgés en présence du vainqueur ; et ce prince sanguinaire alloit exterminer tous les habitans , lorsqu'un musicien se jette à ses pieds , et lui tient ce discours : «Très-sublime empereur , souffrirez-vous qu'un art aussi parfait que la musique ,périsse aujourd'hui avec moi ? avec Sehcih-Culi:, voire esclave? Ah ! conservez , en me sauvant la vie , un art divin, dont je n'ai pu encore découvrir toutes les beau tés. » Cette prière fit rire lè sultan ; et jetant sur l'artiste un regard favorable , il lui permit de prouver ses talens. Schah-Cull prend aussitôt un scheschdar, espèce de harpe à six cordes ; et mariant sa voix aux sons de cet instrument, il chante la prise tragique de Bagdad , et le triomphe à'Amurat.D'abord le sultan paroît interdit. Bientôt la fureur se peint sur son visage. Il se croit au milieu des combattans : il anime ses guerriers ; il commande à la victoire. A l'instant le musicien saisit une autre touche, et par des tons plaintifs , il pénètre, il subjugue l'amc de l'implacable conquérant. Le fier sultan fond en larmes. Son cœur , pour la première fois sensible à la pitié, lui fait détester l'ordre barbare qu'il vient de donner. Il le révoque , il fait cesser le carnage ; et, vaincu par les charmes de la musique, il rend la liberté aux compagnons de SchaliCuli, prend avec lui cet artiste, et le comble de biens.
�T A L E » S.
20g
9.^Z-lîamAi,fameuxdocteurrn«su]man,étoitun de es génies heureux, un de ces hommes universels qui péètrent dans toutes les sciences avec une égale facilité. Il es'étoitpasbornéàl'èxplication desrêveries del'Alcoanj il avoit encore approfondi des sciences plusutiles,, lus dignes de lui; etilpassoit pour le plus grand philosohe de son siècle. L'aventurequilui arriva<zhe7.Seïfedovlat, sultan de Syrie ,fait connoître les talens de ce saant. 11 revenoit du pèlerinage de la Mecque, lorsqu'il jassachez ceprince,quifavorisoitles sciences,et quiles mltivoit lui-même. Il étoit environné de docteurs qui l'étoient assemblés dans son palais pour conférer sur les )bjets de leurs études. .^Z-T^raèz s'introduit dans cette mguste académie, et demande au monarque où il veut pi'ilse place? « Où vous vous trouverez le plus coin modé« ment,» luirépond leprince.Le philosophe va se placer |uf un coin du sopha où le sultan étoit assis. Se'ifeddou\at, surpris de la hardiesse de cet étranger, dit, enlanue maternelle, à undeses officiers : «PuisqueceTurc est si indiscret, faites-lui quitter sa place, et réprimanr dez-le vivement. » ^Z-FaraZn'a) antentendu cetordre, it au sultan : « Celui qui commande si légèrement , i seigneur, est sujet à se repentir. » Le prince, remli d'étonnement, lui repartit : « Entendez-vous ma :< langue ?—Je l'entends, etplusieurs autres, » reprit le hilosophe ; et dans le moment, ouvrant la conférence , y disputa d'une manière si éloquente et si forte, qu'il éduisit tous les docteurs au silence. La dispute étant inie, Seïfeddoulathix rendit de grands honneurs, et se int auprès de lui, pendant que lesmusiciens qu'il avoit 'ait venir pour récréer l'assemblée , déployèrent les rihesses de leur art. Al-Farabi se joignit à eux, et ac:ompagna du luth avec tant de délicatesse, qu'il attira ur lui les yeux et l'admiration de tous ceux qui étaient trésëns.Le sultan Payantprié de donner quelque chose we sa composition,il tira de sa poche une pièce enjouée, ■a fit chanter, et l'accompagna avec tant de force et de ■vivacité, qu'il fit rire à l'excès tous les assistans. Il fit ■chanter ensuite une autre pièce si tendre et si touTchante , qu'il fit pleurer tous ceux qui l'entendirent ; fet par une troisième , il les endormit tous. Cette va-
�2^0
TALENS.
rie te de talens porta le prince à le presser de reste! avec lui : il lui fit les offres les plus brillantes ; mais le philosophe s'en excusa , partit, et fut tué par des voleurs , dans un bois de Syrie. îo.Le célèbre iMraZ»HJe,fameuxpeintrehongroisproii. va que les talens et le génie créateur sont de touslespays, Afin de se passer de couleur et d'impression, il imagim une certaine eau dont le secret périt avec lui, par lt moyen de laquelle il enfantoit des chefs-d'œuvre dont rien ne pouvoit altérer le coloris; l'on pouvoit plier et replier la toile de ses tableaux , sans endommager la peinture.Tous lesprmcesdesonsièclcs'empressèrentderattirer à leurs cours, et de le combler des marques de considération que méritoit son habileté. Il s'attacha suceessivementau roi d'Angleterre etau marquis de Vernes, qui aimoit à protéger les arts. Mais Mabuse, plus ami deli bouteillequedesrichesses,consacroità la passion du vin tous les présens delà fortune. Un jour le marquis,quidevoit recevoir Charles-Ouint dans son château, ayanlhabillé toute sa maison en damas h\a.nc,Mabuse vendilson damas, etalla en déposer le prix sur le comptoir d'un » baret. Il le remplaça par une robe de papier blanc qu'il peigniten damas àgrandes fleurs. L'éclatdes couleurs,]! vérité du dessin , firent remarquer l'habit du peintre, L'empereur,surpris dubrillantde ce damas,le fit approcher, et découvrit la ruse.Le monarque enritbeaucoup; et plein d'admiration pour l'adresse de l'artiste ,il pris le marquis de le rémunérer en son nom. Ce seigneur obéit, mais après avoir puni l'intempérant Mabuse de quelques semaines de prison , afin qu'on rie publiât pas qu'il falloit habiller ses gens de papier peint. 11. Un commerce aimable, des mœurs pures, un naturel doux, un cœur sensible à l'amitié, n'étoientpasles seules qualités qui faisoientde Bérétin, peintre toscan, un homme estimable : son habileté dans son art le rendit cherà ses contemporains. Il montra d'abord peudetalent pour la peinture; mais ses dispositions s'é tant développées tout-à-coup, il étonna ceux de ses compagnons quis'étoient moqués de lui.Rome,Florence,lepossédèrent successivement. Le pape Alexandre VII le créi chevalin
�TALENS.
34l
chevalier de l'épéron d'or. Le grand-duc Ferdinandll lui donna aussi des marques de son estime. Ce prince , admirant un jour un enfant qu'il avoit peint pleurant , il ne fit que donner un coup de pinceau, et il parut rire ; puis avec une autre touche , il le remit dans son premier état. ,< Vous voyez, prince, lui dit Bérétin, avec « quelle facilité les enfans pleurent et rient. » 12. Pour exprimer les conquêtes d'Alexandre - ZeGrand, pour tracer aux regards la rapidité des victoires de ce héros, Apelle le peignit la foudre à la main ; et ce tableaufut trouvé sibienfait, qu'il fit dire que, des deux Alexandres, celui de Philippe étoi t invincible, et celui à'Apelle inimitable. lien fitnn autre, que le monarque alla voira Ephèse,où le peintre travailloit. Il paroissoit monté sur un superbe coursier, aveccet air magnanime qu'il montroit au moment d'unebataille. Par une de ces bizarreries ordinaires aux grands, le prince critiqua le chef-d'œuvre, ettrouvasur-toutdesdéfauts danslecheval. Ilétoitàpied.Onluiamena Bucéphale : aussitôt cet animal se met à hennir à la vue de celuiquereprésentoit le tableau,le croyant véritable. « En vérité, seigneur, « dit alors Apelle, ce cheval paroît se connoître mieux «que vous en peinture.» Après la mort d'^Zeaîa/zcZre, un voyage que cetartistefitpar mer, l'obligea de relâcher à Alexandrie. Quelques envieux qu'il avoit en cette ville, et qui savoient que le roi Ptolémée ne l'aimoit pas, le firent invitera souper de la partde ce prince. Apelle ne soupçonnant rien dans cette invitation perfide, se rend au palais. Ptolémée,choqué de voirun homme qu'ilhaïssoit, mande tous ceux qui étoient chargés d'avertir les convives, et ditau peintre de reconnoitre celui qui l'avoit invité. Apelle ne le trouvant point parmi ces officiers , prit un charbon , traça son portrait sur la muraille 3 et le monarque reconnut que c'étoit son bouffon. 13. Zeuxis etParrhasius, deux fameux peintres de l'antiquité, épris d'une noble émulation,entrèrent un jour en lice , et se disputèrent le jjrix proposé à leurs rares talens. Zeuxis parut le premier, avec un tableau qui représentait un enfant portant une corbeille de raisins. Ces fruits étoient rendus avec tant de vérité , que Tome III. Q
�TALENS.
les oiseaux s'y trompèrent, et s'approchèrent pour les becqueter. Varrhasius vintensuite.il avoit peint sur son tableau un rideau. Son rival fier du suffrage desoiseaux, se flattoit déjà de la victoire. « Tirez votre rideau, lui « dit-il d'un ton qu'animoit l'amour-propre; voyons votre a ouvrage. — Tirez-le vous-même, répond tranquille« ment Farrhasius, et jugez. » Zeuxis s'approche 5 il )ortela main sur le tableau; mais quelle est sa surprise, orsque aulieud'unrideauilnetrouveque des couleurs! Il s'avoue vaincu; et, trouvantmoins difficile de tromper des oiseaux , que les yeux d'un peintre, il rend le premier hommage au triomphe de son antagoniste. l4- Le génie, pour s'immortaliser, s'écarte quelquefois des routes ordinaires. Hogarth, peintre anglais, ne travailloit point ses tableaux pour satisfaire ce qu'on appelle les amateurs; car il avoit négligé le mécanisme de son art, c'est-à-dire, les traits du pinceau, le rapport des parties entreelles,reffetduc]air-obscur,Pharmoniedu coloris, etc., pour s'élever aupoélique et au moral de la peinture. « Je reeonnois , disoit-il, tout le monde pour « juge compétent de mes tableaux, excepté les connois« seurs de profession, » Un seul exemple prouveracombien ilréussit, et avec quelle éloquence son pinceau parloitaux cœurs simples etsensibles.Ilavoitfaitgraver une estampe dans laquelle il avoit exprimé, avec cette énergie qui caractérise ses pathétiques productions, les différens tourmens qu'on fait éprouver aux animaux. Un charretier fouettoit un jour ses chevaux avec beaucoup de dureté. Un passant, touché de pitié, lui dit : « Mi« sérable ! tu n'as donc pas vu l'estampe à.'Hogarth ?» i5. Daniel Tauvry eut son père pour précepteur. Il apprit, pour ainsi dire, dès le berceau, les langues savantes ; et le maître trouva dans son disciple des dispositions si heureuses, qu'il lui fit soutenir problématiquement une thèse de logique à l'âge de neuf ans etdemi.La thèsegénéraledephilosophie,problématique aussi, vint un an après.Ensuite M. Tauvryle père,quiétoitmédecin de l'hôpital de Laval , enseigna en même temps à son fils la théorie de la médecine, et la pratique sur les malades de cet hôpital. Mais pour l'instruire davantage
f
�/
TALENS. 2/|.3 dans cette profession utile, il l'envoya à Paris, âgé de treize ans -, et, deux ans après, le jeune médecin fut jugé digne par l'université d'Angers, d'y être recudocteur.il revint à Paris ; et ce fut alors qu'à l'âge de dix-huit ans „ il donna au public des ouvrages capables de l'immortaliser, et qui le firent entrer dans l'académie des sciences, où son mérite et ses talens étoient dignes de briller. 16. Jean-Louis-Elisabeth de Montchalm de Candiac apprit, dès le berceau, à distinguer les lettres. A trente mois, il les connoissoit toutes, les grandes comme les petites ; et, à trois ans, il lisoit parfaitement le latin et le français, imprimé ou manuscrit. A quatre ans, on lui apprit la langue latine; à cinq, il traduisoit couramment les auteurs les plus difficiles; à six, il lisoit le grec et l'hébreu. Il poss^édoit dès-lors les principes de l'arithmétique, de l'histoire, de la géographie, du blason, de la science des médailles. En quatre semaines , il parvint à écrire correctement et facilement. Montpellier, Nînies, Grenoble, Lyon, Paris même, admirèrent ses progrès surprenans, ses talens précoces, et l'étendue de ses cônnoissances. 11 avoit lu une foule des poètes, d'orateurs, d'historiens, de philosophes , d'épistolaires , de grammairiens, dans un âge où les autres enfans savent à peine bégayer leur propre langue. Ce petit prodige ne fit que paroître. Une complication de maux l'enleva au monde, dont il avoit été l'admiration, à l'âge de sept ans. 18.A l'âge de dix-huit ans, Jean-Baptiste du Hamel composa un petit traité où il expliquoit avec une ou deux figures, et d'une manière fort simple , les trois livres des Sphéricfues de Théodose. Ily ajouta une trigonométrie fort courte et fort claire, dans le dessein de faciliterl'entrée de l'astronomie. Il a dit dans unouvrage postérieur, qu'il n'avoit fait imprimer celui-là que par une vanité de jeune homme; mais peu de gens de cet âge pourroient avoir la même vanité. Il falloit que l'inclination qui le portoit aux sciences fut déjà bien générale et bien étendue, pour ne pas laisser échapper les mathématiques, si peu connues et si peu cultivées en ce temps-là. La physique étoit alors comme un grand
�244 T ALï'lfS. royaume démembré, dont les provinces et les gouvernemens étoient devenus des souverainetés presque indépendantes. L'astronomie, la mécanique, l'optique, la chimie , etc., étoient des sciences à part, qui n'avoient plus rien de commun avec ce qu'on appeloit physique ; et les médecins même en avoient détaché leur plrysiologie, dont le nom seul la trahissoit. La physique appauvrie et dépouillée , n'avoit plus pour son partage que des questions également épineuses et stériles. M. diiHàmél entreprit de lui rendre ce qu'on lui avoit usurpé, c'est-à-dire, une infinité de connoissances utiles et agréables , propres à faire renaître l'estime et le goût qu'on lui devoit. Il commença l'exécution de ce dessein, par quelques ouvrages qui furent accueillis avec la plus grande avidité. A la forme de dialogues qu'il emploie, et à cette manière de traiter la philosophie , on reconnoît que Cicêron a servi de modèle ; mais on le reconnoît encore à une latinité pure et exquise, et, ce qui est plus important , à un grand nombre d'expressions ingénieuses et fines, dont ces ouvrages sont semés. Ce sont des raisonnemens philosophiques qui ont dépouillé leur sécheresse naturelle , ou du moins ordinaire, en passant au travers d'une imagination fleurie et ornée j et qui n'y ont. pris cependant que la juste dose d'agrément qui leur convenoit. Ce qui ne doit être embellique jusqu'à une certaine mesure précise, est ce qui coûte le plus à embellir. En 1666, M. Colbert, qui savoit combien la gloire des lettres contribue à la splendeur d'un état, proposa et fit approuver au roi l'établissement de l'académie royale des sciences. Il assembla avec un discernement exquis un petit nombre d'hommes excellens, chacun danssongenre. Ilfalîoità cette compagnie un secrétaire qui entendît et qui parlât bien toutes les langues de ces snvans, celle d'un chimiste, par exemple, et celle d'un astronome ; qui fût auprès du public leur interprète commun; qui pût donner à tant de matières épineuses et abstraites des éclaircissemens, un certain tour, et même un agrément que les auteurs négligent quelquefois de leur donner, et que cependant la plupart des
�TALENS.
lecteurs demandent. ; enfin, qui, par son caractère, fût exempt de partialité, et propre à rendre un compte désintéressé des contestations académiques. Le choix du ministre, pour cette fonction, tomba sur M. du Ilamel ; et ce choix glorieux ne pouvoit tomber que sur lui. Il réunissoit à tous les talens de conciliation, ce désintéressement littéraire qui ne s'attache qu'au vrai, et qui rejette le mensonge sans acception des personnes-, cet amour du travail qui ne connoît de repos que le changement d'occupations ; et ce génie univezsel que Je moindre rayon de vérité qui s'échappe au travers de la nue, éclaire suffisamment, tandis que la vérité entièrement développée ne frappe pas les autres. 18. Ce qui a rendu le nom de M. Ruysch si célèbre, a été de porter l'anatomie à une perfection jusques-là inconnue. On s'étoit long-temps contenté des premiers instrumens qui s'étoient d'abord offerts comme d'euxmêmes, et qui ne servoient guère qu'à séparer des parties solides, dont on observoitla structure particulière, ou la disposition qu'elles avoient entre elles. Reynier Graaf, ami intime de M. Ruysch, fut le premier qui, pour voir le mouvement du sang dans les vaisseaux et les routes qu'il suit pendant la vie, inventa une nouvelle espèce deseringue, paroùilinjectoit dans les vaisseaux unematièrecolorée,qui marquoittout le chemin qu'elle faisoit, et, par conséquent, celui du sang. Cette nouveauté fut d'abord approuvée ; mais ensuite on l'abandonna, parce que la matière injectée s'échappoit continuellement, et que l'injection devenoit bientôtinutile. JeanSwammerdam remédia au défaut de l'invention de* Graaf. Il pensa très-heureusement qu 'il falloit prendre une matière chaude, qui, en se refroidissant à mesure qu'elle couloit dans les vaisseaux, s'y épaissît, de sorte qu'arrivée à leur extrémité, elle cessât découler; cequi demande, comme on voit, une grande précision, tant pour la nature particulière de la matière qu'on HIIT ploiera, que pour le degré de feu qu'il faudra,lui donner, et le plus' ou moins de force dont on la poussera. Par ce moyen, Swammerdam rendoit visibles pour la première fois, les artères et les veines capillaires de Q3
�246 TALENS. la face. Mais il ne suivit pas lui-même bien loin sou invention. Une grande piété qui vint l'occuper entièrement, l'en empêcha, et ne le rendit pourtant pas assez indifférent sur son secret, pour en faire part à M. Buysch sonami, qui en étoit extrêmement curieux. Il le chercha donc de son côté, et le trouva pour le moins ; car il y a beaucoup d'apparence que ce qu'il trouva étoit encore plus parfait que le secret même de Swammerdam. Les parties étoient injectées de façon que les dernières ramifications des vaisseaux, plus fines que des fils d'araignées, devenoient visibles, et, ce qui est encore plus étonnant, ne l'éloient pas quelquefois sans microscope. Quelle devoitêtrela matière assez déliée pour pénétrer dans de pareils canaux, et en même temps assez Solide pour s'y durcir ? On voyoit de petites parties qui ne s'aperçoivent ni dans le vivant, ni dans le mort tout frais. Des cadavres d'enfans étoient injectés tout entiers : l'opération ne paroissoit guère possible dans les autres. Cependant il entreprit en 1666 , par ordre des états-généraux, le cadavre déjà fort gâté de Guillaume Bercley, vice-amiral anglais, tué à la bataille donnée le 11 de Juin, entre les flottes d'Angleterre et de Hollande ; et on le renvoya en Angleterre, traité comme auroit pu l'être le plus petit cadavre. Les états-généraux récompensèrent ce travail d'une manière digne d'eux, et du travail même. Tout ce qui étoit injecté conservoitsa consistance, sa mollesse, sa flexibilité; et même s'embellissoit avec le temps , parce que là couleur en devenoit plus vive, jusqu'à un certain point. Les cadavres, quoique avec tons leurs viscères, n'avoieht point de mauvaise odeur; au contraire, ils en prenoient une agréable, quàiidmême ils eussent senti fort mauvais avant l'opération. Tout se garantissoitde la corruption, parle secretdeM. Ruysch. Une fort longue vie lui a procuré le plaisir de ne voir aucune de ses pièces se gâter par les ans, ctdenepoint fixer de terme à leur durée. Tous ces morts, sans dessèchement apparent, sans rides, avec un teint fleuri et des membres souples,étoient presque des ressuscitésuls ne paroissoient qu'endormis, tout prêts à parler quand
�TALENS.
ils se réveilleroient. Les momies de M. Ruysch prolongeoient, en quelque sorte , la vie , au lieu que celles de l'ancienne Egypte ne prolongeoient que la mort. Quand ces prodiges commencèrent à faire du bruit, ils trouvèrent, selon une loi bien établie de tout temps, beaucoup d'incrédules on de jaloux. Us détruisoient , par quantité de raisonnemens, les faits qu'on leur avançoit:quelques-uns disoient , en propres termes, qu'ils se laisseraient plutôt crever les yeux, que de croire dépareilles fables. A tous leurs discours, M. Ruysch répondoit simplement : Venez, et voyez. Son cabinet étoi t toujours prêt à leur parler et à raisonner avec eux.Ces deux mots étoient devenus son refrain perpétuel, son cri de guerre. Un professeur de médecine lui écrivit bien gravement qu'il feroit mieux de renoncer à toutes ces nouveautés, et de s'attacher à l'ancienne doctrine , si solidement établie, et qui renfermoit tout. Comme le novateur ne se rendoit point , le docteur redoubla ses lettres ; et il lui dit enlin que tout ce qu'il faisoit dérogeoit à la dignité de professeur , dont il étoit revêtu. M. Ruysch répondit : Venez , et voyez. Outre la chaire d'anatomie,il fut encore chargé de celle debotanique, parlesbourgmestresd'Amsterdam; et l'on peut bien croire qu'il ne démentit point ses succes et Ses talens dans celte occupation. Le grand commerce des Hollandais lui fournissoitdes plantes de tous les climats de l'Univers. 11 les disséqnoit avec la même adresse que les animaux 5 et, dégageant entièrement leurs vaisseaux de la pulpe ou parenchyme , il montrait à découvert tout ce qui faisoit leur vie. Les animaux et les plantes étoient également embaumés , et sûrs de la même durée. Son cabinet, où tout alloit se rassembler, devint si abondant et si riche, qu'on l'eût pris pour le trésor savant d'un souverain. Mais , non content de la richesse et de la rareté, il voulut encore y Ijoindrel'agrément, et égayer le spectacle. Il mêloit des Jbouquctsde plantes et de coquillages à de tristes squelettes, et animoitle tout par des inscriptions ou des vers Ipns des meilleurs poè'teslatins.C'étoient,pourles étranr ers ,une des plus grandes merveilles desPays-Bas, que e cabinet àeM.Ruysch.hes savans seuls l'admiroient
�248 TALENS* dignement: tout le restevouloit seulement se vanter de Tavoir vu.Les généraux d'armée,les ambassadeurs, les princes, les électeurs , les rois, y venoient comme les autres; etces grands titres prouvent du moins la grande célébrité. Quand le czav Pierre-le-Grand vint en Hollande pour la première fois, il fut frappé, transporté à cette vue. En effet, quelle surprise et quel plaisir pour un génie naturellement aussi avide du vrai, qu'un pareil spectacle où il n'avoit point été conduit par degrés! ïl baisa avec tendresse le corps d'un petit enfant encore aimable, et quisembloit lui sourire. Il ne pouvoit sortir de ce lieu, ni se lasser d'y recevoir des instructions; et il dinoit à la table très-frugale de son maître, pour passer les journées entières avec lui. A son second voyage , en 1717, il acheta le cabinet, et l'envoya àPétersbourg ; présent des plus utiles qu'il pût faire à laMoscovie, qui se trouvoit, tout d'un coup et sans peine , en possession de ce qui avoit coûté tant de travaux à l'un des plus habiles hommes des nations savantes.. 19. M. Régis, étant à Paris pourachever le cours de ses études, fut frappé de la philosophie cartésienne, qui surmdntoit avec peine les obstacles sans nombre qu'on opposoit à ses progrès. 11 commença à la connoître par les conférences de M. Rohaut ; et il s'attacha entièrement à cette philosophie, dont le charme, indépendamment même de lanouveauté,ne pouvoit manquer de se faire sentir à un esprit tel que le sien.Iln'avoit plus que quatre ou cinq mois à rester dans la capitale ; et ilse hâta de s'instruire sous M. Rohaut, qui, de son côté, zélépoursa doctrine,donna tous ses soins à un disciple qu'il croyoit.propre à la répandre. Régis étant parti (le Paris , avec une espèce de mission de son maître, alla établir la nouvelle philosophie à Toulouse , par des conférences publiques , qu'il commença d'y tenir en 1660. H avoit une facilité admirable de parler, et le don d'amener les matières abstraites à la portée de ses auditeurs. Bien tôt toute la ville fut remuée par le nouveau philosophe. Savans , magistrats, ecclésiastiques, tout accQurutpourl'enlendre. Les dames mêmefaisoient partie de la foule ; et si quelqu'un pouvoit partager avec lui la gloire de ee grand succès, ce n'étoit du rr. ôifl»
�TALENS.
que Yilhislve-Descartes, dont il annoncoit les découvertes. On soutint une thèse de pur cartésianisme , en français , dédiée à l'une des premières dames de Toulouse, queM.Iiegijavoit rendueforthabile cartésienne ; et il présida à cette thèse.On n'y disputa qu'en français : la dame elle-même y résolut plusieurs difficultés considérables ; et il semble qu'on affectât, par toutes ces circonstances, de faire une abjuration plus authentique de l'ancienne philosophie. Messieurs de Toulouse, touchés des instructions et des lumières que M. Régis leur avoit apportées , lui firent une pension sur leur hôtelde-ville ; événement presque incroyable dans nos mœurs, et qui semble appartenir à l'ancienne Grèce. 2o.Les parens deM. Dodart ne se contentèrent pas de faire apprendre à leur fils le la tin et le grec 5 ils yjoignirentle dessin, la musique, les instrumens, qui n'entrent que dans les éducations les plus somptueuses, et qu'on ne regarde que trop comme des superfluités agréables. Ilréussit â tout, de manière à donner les plus grandes espérances ; et il eut achevé ses études de si bonne heure, qu'il eut le temps de s'appliquer également au droit et à la médecine, pour se déterminer mieux sur la profession qu'il embrasseroit. Il est peut-être le seul qui ait voulu choisir avec tant de connoissance de cause: il est vrai qu'il satisfaisoit aussi son extrême avidité de savoir. Il prit enfin parti pour la médecine. Son inclinai tion naturelle l'y portoit ; mais, ce qui le détermina le plus puissamment,c'estqu'iln'y vit aucundangerpour la justice, et une infinité d'occasions pour la charité; car il étoittouché dès-lors de ces mêmes sentimens de religion, dans lesquels il a fini sa vie. On imagine aisément avec quelle ardeur et quelle persévérance s'attache à une étude, un homme d'esprit dont elle est le plus grand plaisir, et un homme de bien dont elle est devenue le devoir essentiel. Ses progrès furent rapides, comme la marche de son génie ; et bientôt sa réputation s'établit au point que les princes lui confièrent le soin de leurs jours, et déposèrent leurs cœurs dans le sien. Sa fortune fut applaudie , quoiqu'il la méritât ; et ce fut la première fois qu'on ne porta point envie aubonheur mérité. 11 n'est pas besoin de comioîlre beaucoup les maisons
�200
T A L E K S.
des grands, pour savoir que, d'y être bien avec tout le rhonde,c'estunehef-d'œuvredeconduite et desagesse,et souvent d'autant plusdifficile,quel'onad'ailleursdeplus grandes qualités.Legrand secret pour y réussir,est celui quepratiquoitM. EWar£:ilobligeoit autantqu'illuiétoit possible,etne ménageoit point sa faveur dans les affaires d'autrui. Avoirbesoinde soncrédit,c'étoit être endroitde l'employerHeureusementpourungrandnombredegens de mérite, les grands postes qu'il occupoit le firent connoitrede plusieurs autres personnes du premierrang ou delà première dignité,qui,malgré leur é!évation,avoient pourluicette sorte de respectqui n'a point étéétabliparini leshommes,etdontlanature s'est réservée le droit de disposer en faveur de la vertu.Eni673,M.Dodartentra. dans l'académie des sciences, parle moyendeM.PerraKZ/.IlsavoientbeaucoupdecréditauprèsdeM. CoZèer£, et en faisoient un usage assez extraordinaire : ils s'enservoient à faire connoître au ministre ceux qui avoientde grandstalensaussi-bienqu'eux,etàleurattirersesgraces. Le nouvel académicien fit connoître alors un nouveau mérite qu'on n'avoit encore faitque soupçonner.Pour tribut académique, il se livra à l'étude des plantes , à laquelle il avoit consacré déjà bien des années ; et jamais homme n'avoit été plus propre que lui à faire l'histoire de cette multitude immense de nations végétantes, dont l'Eternel, a peuplé notre globe pour la conservation de nos jours. Il possédoit au souverain degré l'esprit de discussion et de recherche. Il savoit de quel côté, ou plutôt de combien de côtés différens il falloit porter sa vue, et pointer, pour ainsi dire, sa lunette. Tout le monde ne sait pas voir : on prend pour l'objet entier la première face que le hasard nous en a présentée; mais M. Dodart avoit la patience de chercher toutes les autres, et l'art de les découvrir,ou du moins la précaution de soupçonner celles qu'il ne découvroit pas encore. Ce ne sont pas seulement les grands objets qui enontplusieurs, mais encore les plus petits ; et une grande attention est une espèce de microscope qui les grossit. Il est vrai que cette attention scrupuleuse, qui ne croit jamais avoir assez bien vu, quecesoin detournerun objet de tous les sens, en un mot, quel'esprit de
�TAU KT S. / 25f N^N discussion est assez contraire à celui dè décisionfirais, \ ; un sage observateur doit plus examiner que deicider, %ArL suivre attentivement Ja nature par des obseryatiotis_^,^y exactes, et non pas la prévenir par des jugemens pfcéd*pités. Rien ne sied mieux à notre raison que des conclusions un peu timides; et même, quand elle a le droit de décider , elle feroit bien de relâcher quelque chose. Iln'étoit pas possible que M. Dodartne portât, dans l'exercice de la médecine, ce même esprit, fortifié encore par son extrême délicatesse de conscience.Un malade n'avoit à craindre ni son inapplicalion,nimême une application légère et superficielle ; mais seulement, car il faut tout dire, sa trop grande application, quipouvoit le rendre irrésolu sur le choix d'un parti. La pratique n'admet pas toujours les sages lenteursdelaspéculation; et quelquefois la raison elle-même ordonne qu'on agisse sansl'attendre.La connoissance desplantes étoitleprincipal travail de M. Dodart dans l'académie , mais non pas le seul. Il s'attacha à étudier la transpiration insensible ducorps hnmain.Tous les physiciens etlesmédecins en avoient toujours eu une idee,mais si générale et si vague, que tout cequ'ilsen savoientproprement, éloit qu'il y aune transpiration. L'illustre Sanctorius, médecin dePadoue,estlepremierquiaitsularéduireauCalcul par des expériences, et en comparer la quantité à celles des déjections grossières.Elle va beaucoup au delà de ce qu'on entimaginc.il peut sortir ducorps en un jour,selon Sanctorius, septàhuitlivresdematièreparla transpiration; et, commeil n'estpaspossible qu'une si abondante évacuation ne soit fort importante, plusicurshabiles médecins laregardenteommeundesprincipauxfondemens et de leur théorie et de leur pratique. Mais, parce que Sanctorius à en le premier de sibelles Vues,il ne lésa pas poussées à leur perfection. Par exemple, quoiqu'il ait conçu, en général, que la transpiration devoit êlre différente selon les âges, ilne paroît pas avoir eu égard à cette différence, ni dans ses observations, ni dans les conséquences qu'il en tire; et M. Dodart s'assura par des expériences continuées pendant trente-trois ans, que l'on Iranspire beaucoup plus dans la jeunesse.Eneflel, il est
�252 T A L E N S. fort naturel, et que la chaleur du sang , plus foible à mesure que l'on vieillit, pousse au dehors moins de particules subtiles, et qu'en même temps les pores de la peau se resserrent.M. Dodart étoit particulièrement propre à faire ces sortes d'expériences, parce qu'il faut les faire sur soi-même, et mener une vie égale et uniforme, tant d'un jour à l'autre , que dans les différens âges ; autrement, on ne pourrait comparer, sans beaucoup d'erreur ou d'incertitude , les transpirations de différens temps : une alternative irrégulière d'intempérance ou sobriété brouillerait tout. Il fît sur ce même sujet une autre expérience, pour laquelle l'uniformité de vie n'eût pas été suffisante : il falloit encore , ce qui semblera peut-être surprenant, une grande piété. Il trouva, le premier jour du carême 1677, qu'il pesoit cent seize livres uneonce.il fitensuite le carême , comme il a été fait dans l'Eglise jusqu'au douzième siècle : il ne buvoit ni ne mangeoit que sur les six ou sept heures du soir; il vivoit de légumes la plupart du temps,et, sur la fin du carême , de pain et d'eau. Le samedi de Pâques, il ne pesoit plus que cent sept livres douze onces ; c'est-à-dire que , par une vie si austère, il avoit perdu en quarante-six jours huit livres cinq onces, qui faisoient la quatorzième partie de sa substance. Il reprit sa vie ordinaire ; et, au bout de quatre jours , il avoit gagné quatre livres; ce qui marque qu'en huit ou neuf jours il aurait repris son pre-r mier poids, et qu'on répare facilement ce que le jeûne a dissipé. En donnant cette expérience à l'académie , il prit toutes les précautions possibles pour se cacher, mais il fut découvert. Il est assez rare, non qu'un philosophe soit bon chrétien , mais que la même action soit une observation curieuse de philosophie et une austérité chrétienne , et serve en même temps pour l'académie et pour le ciel. 21. LeP.ilfaZeèraHCÂepassoitparlarue St.-Jacques; un libraire lui présenta le traité de l'homme du grand Descartes , que l'on venoit de mettre au jour. 11 avoit vingt-six ans, et ne eonnoissoit Descartes que de nom, etpar quelques objections de ses cahiers de philosophie. 11 se mit à feuilleter le livre, etfutfrappé comme d'une
�255 lumière qui en sortit toute nouvelle à ses yeux.Il entrevit 1 une science dont il n'avoit point d'idée, etsentit qu'elle 1 lui convenoit. La philosophie scholastique, qu'il avoit ! eu tout le loisir de connoître, ne lui avoit point fait, en 1 faveur de la philosophie en général, l'effet de lasimple ivue d'un volume de Descartes : la sympathie n'avoit jpoint joué; l'union n'y étoit point; cette philosophie ne lui avoit point paru une philosophie. Il acheta le livre, le lut avec empressement, et, ce qu'on aura peut-être peine à croire, avec un tel transport, qu'il lui en prenoit des battemens de cœur, qui l'obligeoient quelquefois d'interrompresalecture.L'invincibleetutilevéritén'est pas accoutumée à trouver tant de sensibilité parmi les hommes ; et les objets les plus ordinaires de leurs passions se tiendroient heureux d'y en trouver autant. Il abandonna donc absolument toute autre étude pour la philosophie de Descartes. Quand ses confrères et ses amis, les critiques ou les historiens, à qui tout cela paroissoit bien creux, lui en faisoient des reproches, il leur demandoitsi Adamn'avoit pas eu la science parfaite ; et, commeils en convenoient,,selonl'opinioncommunedes théologiens,il leur disoitque la science parfaite n'étoit donc pas la critique ou l'histoire, et qu'ilnevouloit savoir que ce qu'Adam avoit su. Il en apprit en peu d'années , du moins autant que Descartes lui-même en savoit; car, en philosophie, plus on pense, plus on fait de progrès, et un homme dans le même temps pense beaucoup plus qu'un autre. Mais pour les sciences de fait , unhommenelitdans un temps que ce qu'un autre auroit ni lire. Ainsi le génie fait les philosophes aussi-bien que espoètes, et le temps fait les savans.Le V.Malebranche devint si rapidement philosophe, qu'au bout de dix animées de cartésianisme,ilavoitcomposélelivre delaJRecherchede^ la FerzVe.-ouvrageimmortel, qui fut accueilli par les uns , combattu par les autres , admiré de Tous. L'auteur étoit cartésien , mais comme Descartes;il ne paroissoitpas l'avoir suivi, mais rencontré. Il règne dans ce traité un grand art de mettre des idées abstraites dans leur jour, de les lier ensemble, de les fortifier par leur liaison. Il s'y trouve même un mélange adroit de quanT À 1 E S S
�254
TALÏN'S.
tité de choses moins abstraites, qui, étant bien facilement entendues , encouragent le lecteur à s'appliquer aux autres, le flattent de pouvoir tout entendre, etpeut être lui persuadent qu'il entend tout à peu près. La diction , outre qu'elle est pure et châtiée , a toute la dignité que les matières demandent, et toute la grâce qu'elles peuvent souffrir. Ce n'est pas qu'il eût apporté aucun soin à cultiver les talens de l'imagination ; au contraire , il s'est toujours fort attaché à les décrier ; mais il en avoit naturellement une fort noble et fort vive, qui travailloit pour un ingrat, malgré lui-même, et qui ornoit la raison en se cachant d'elle. Après avoir long-temps combattu pour la défense de sonsystème,leP.iVJaZeèrfl/2c/ietombamalade;durantles quatre derniers mois desavie,il s'affoiblissoit de jour en jour,et sedesséchoitjusqu'àn'êtreplus qu'un vraisquelette. Son mal s'accommoda à sa philosophie ; le corps qu'il avoit tant méprisé, se réduisitpresqu'àrien; et l'esprit accoutumé à la supériorité,demeura sainetentier. II n'en faisoit usage que pour s'exciter à des senlimens de religion, et quelquefois, par délassement, pour philosopher sur le dépérissement de la machine. Il fut toujours spectateur tranquille de sa longue mort, dont le dernier moment fut tel, que l'on crut qu'il reposoit. Depuis que la lecture de Des cartes Y av oilmis surhs bonnes voies,il n'avoitétudié que pours'éclairerl'esprit, et non pour se charger la mémoire; car l'esprit abesoiu de lumière, et n'en a jamais trop. Mais la mémoire est le plussouventaccablée de fardeauxinutiles;aussineeherche-t-elle qu'à les secouer.il avoit donc assez peu lu, et cependantbeaucoupappris.il retranchoitdeses lectures celles qui ne sont que de pure érudition : un insecte le touchoit plus que toute l'histoire grecque ou romaine ; et, en effet, un grand génie voit d'un coup-d'œil beaucoup d'histoires dans une seule réflexion d'une certaine espèce.Ilméprisoitaussicettesortedephilosophiequine consiste qu'à apprendre lessentimens des différens philosophes. Onpeut savoir l'histoire des pensées des hommes sans penser. Après cela, on ne sera pas surpris qu'il n'eût jamais pu lire dix vers de suite sans dégoût. limé-
�TALUS. 255 ditoit assidûment, et même avec certaines précautions, comme de fermer ses fenêtres. Il avoit si bien acquis la énible habitude de l'attention, que, quand on lui proosoit quelque chose de difficile, on voyoitdans l'instant on esprit se pointer vers l'objet, et le pénétrer. Ses déassemens étoient des divertissemensd'enfantjetc'étoit ar une raison très-digne d'un philosophe, qu'il y reherchoit cette puérilité honteuse en apparence : il ne ouloit point qu'ils laissassent aucune trace dans son mejdès qu'ils étoientpassés,ilneluienrestoitrien,que e ne s'être pas.toujours appliqué. Il étoit extrêmement énagerde toutesles forces de son esprit, etsoigneux de s conserver à la philosophie. Cette simplicité, que les rands hommes osentpresqueseulssepermettre,etdont contrasterelève toutcequ'ilsontderare, étoitparfaite lui. Une piété fort éclairée, fort attentive et fortséi re, perfectionnoit des mœurs que la nature seulemetitdéjà, s'il étoit possible, en état de n'en avoir pas ;aucoup besoin. Sa conversation rouloit sur les mêesmatièresque ses livres seulement,pour ne pas trop aroucher la plupart des gens, iltàchoitde larendre un peu moins chrétienne ; mais il ne relâchoitrien du phi^ îosophiquc.On la recherchoitbeaucoup,quoique si sage etsi instructive.Ilyaffectoitautantdesedépouillerd'une supériorité qui lui appartenoit, que les autres affectent d'en prendre une qui ne leur appartient pas. Ilvouloitêtre utile à la vérité; et il savoit quece n'est guère qu'avec un airhumbleel soumis qu'ellepeutse glisser chezles hommes. Il ne venoit presque point d'étrangers savans à Paris, qui ne luirendissentleurshommages.On ditquedes princes allemands y sont venus exprès pour lui; et, dans laigucrre du roi Guillaume, un officier anglais, prisonmer, se consoloit de venir ici, parce qu'aussi-bien il avoit toujours eu envie d© voir\eroiLouisXZT^etle P. Malebr'anche. Il a eu l'honneurde recevoir une visite de Jacquesll, roi d'Angleterre. Mais cescuriosités passagères neson t pas si glorieuses pour lui que l'assiduité cons tante de ceux qui vouloient véritablement le voir, et non pas |a\oir vu. Milord Quadrington, qui est mort vice-roi de « Jamaïque, pendant plus de deux ans de séjour qu'jl
�256
T A L E N S.
fit à Paris, venoit passer avec lui deux ou trois heures, presque tous les matins. Les compatriotes du P. Maie-' branche sentoient aussi ce qu'il valoit ; et un assez grandi nombre de gens de mérite se rassembloient autour de! lui. Ilsétoient la plupartses disciples et ses amis en même temps ; et l'on ne pouvoitguère être l'un sans l'autre! Il eût été difficile d'être en liaison particulière avec ni homme toujours plein d'un système qu'on eût rejeté; etj si l'on recevoit le système, il n'étoit pas possible qu'on negoûtâlinfinimentle caractère de l'auteur, qui n'étoit, pour ainsidire, que le système vivant. Aussi jamais p? losophe, sans excepter Pythagore, n'a-t-il eu des secta teurs pl us persuadés ; et l'on peut soupçonner que, po; produire cette forte persuasion, les qualités personel > les du P. Malebranche aidoient à ses raisonnemens, 22. Lêibnitz perdit son père à l'âge de six ans ; ets mère,femme de mérite, eut soin de son éducation. 11 m marqua aucune inclination particulière pour un genii d'étude plutôt que pour un autre. Il se portaà tout m une égale vivacité; et, comme son père lui avoit laiss uneassez ample bibliothèque de livres bienchoisis,ilei treprit, dès qu'il sut assez de latin et de grec, de lesliif tous avec, ordre ; poètes, orateurs, historiens, juriscor suites , philosophes , mathématiciens /théologiens.: sentitbientôt qu'il avoitbesoin de secours; il en alla chef cherchez tous les habiles gens de son temps, etmêiffi quand il le fallut, assez loin de Léipsick, sa patrie. Cet: lecture universelle et très-assidue, jointe à un grandes nie naturel, le fit devenir tout ce qu'il avoit lu. Pareil,e quelquesorte,auxanciensquiavoientl'adressedemeii« | jusqu'à huit chevaux attelés de front, il mena de fra toutes les sciences : il excelladans toutes; il devint una \ nie universel.Les princes de Brunswick, instruits de» talens pour Phistoire,lui confièrent celle deleurmaisi Il parcourut toute l'Allemagne, pour ramasser touslf, matériaux de ce grand édifice, et passa de là en Ital où les marquis de Toscane, de Ligurie et d'Est, sortis la même souche que les princes de Brunswick, avoie leurs principautés. Comme ilalloitpar mer de Veai» Mésola dans le Ferrarois, il futsurpris par une terni»
�25? Les matelots le croyant allemand etbérétique, alloientle jeter dans la mer, pour désarmer la Divinité, en conservant néanmoins ses hardes et son argent» Léibnitz, qui entendoit l'italien, comme presque toutes les autres langues , sans marquer aucun trouble ; tira un chapelet, qu'apparemmentilavoitpiïsparprécaution, et le tourna d'un air assez dévot. Cet artifice lui réussit : un marinier dit aupilote que, puisque cethomme-là n'étoit pas hérétique , il n'étoit pas juste de le précipiter dans les flots. De retour de ce voyage, en 1690, il commença à faire part au public de la récolte abondante qu'il avoit faite dans ses savantes courses. Son mérite, connu bientôtde toute l'Europe, lui procura des pensions et des charges honorablesL'électeuriSr«e^-^M^z^elefit,eni696,son conseiller-privé de justice : iU'étoitdéjà de l'électeur de Mayence etduducàeBrunswick-Lunebourg.Kni6Q6,il fut mis à la tête des associés étrangers de l'académie des sciences de Paris : il n'avoit tenu qu'à lui d'y avoir place plutôt, et avec le titre de pensionnaire. Dans un voyage qu'il fit en France, on voulut l'y fixer fort avantageusement, pourvu qu'il quittâtleluthéranisme; mais il rejeta cette condition-L'Allemagne enprofitallinspira à l'électeur de Brandebourg le dessein d'établir une académie des sciences à Berlin : il en fut fait président, et il n'y eut point de jaloux; car qui auroit pu l'être ? Un champ, non moins vaste et non moins glorieux, s'ouvrit à 1 ui en 1711. Le czar Pierre-le-Grand\e vit à Torgau, et ce législateur des Barbares traitaLe/iraiteavec la considération qu'un sage couronné a pour un sage quimériteroit lacouronne.il luifitun magnifique présent, lui donna le titre deson consëiMer-prive de justice, avec une pension considérable. L'empereur d'Allemagneilfer,de#mpensa pas moins généreusement ses taTêrfs^ue Pemsireur de Russie : il lui donna le titre de conseiTler£u«§ne, avec une forte pension, et lui fit des offres considérables pour le fixer à sa cour. La vie de Léibnitzne fut marquée que par des événemens flatteurs, sil'on en excepte la dispute touchant la découvertedu calcul différentiel, ou des infiniment petits ; système sublime, méthode divine, qui porte nosconnoissances jusques dans l'infini, et presque Tome 111. R
T A t ï Iï S.
�258
TALÏNS.
au delà des Bornes prescrites àl'esprithumain, du moins au delà de celles où l'ancienne géométrie étoi t renfermée. Quelquesphilosophes,sectateursdugrandiVeivftm, l'accusèrent de l'avoir dérobé à cet homme immortel. Léibnitz en appela à la société royale de Londres. Cette compagnie discuta, pesa les raisons, et, par prévention peut-être pour un compatriote, condamna.LezZ>m'£z. Les autres tribunaux de l'Europe savante le pigèrent avec moins de sévérité, et sans doute avec plus de justice. Les sages pensèrent assez généralement que le philosophe anglais et le philosophe allemand avoient saisi chacun la même lumière et la même vérité, par la seule conformité de la pénétration de leur génie. Léibnitz n'apprit qu'avec un chagrin mortel la perte de son procès , qui entraînoit celle du plus beau rayon de sa gloire , quoiqu'il en restât toujours assez , puisque le vol dont on î'aceusoit supposoit le plus grand génie. Ce revers lui inspira une tristesse qui le consuma peu à peu , et hâta , dit-on , sa mort, arrivée en 1716 , à Hanovre, comme il raisonnoit sur la chimie. On lui a reproché quelques défauts, mais que ses grands talens doivent faire excuser. Sa mémoire étoit admirable : toujours prêt à répondre sur toutes sortes de matières, il mérita que le roi d'Angleterre l'appelât son dictionnaire vivant. C'est, sans contredit, le savant le plus universel de l'Europe. Historien infatigable dans ses recherches, jurisconsulte profond, éclairant l'étude du droit par la philosophie; métaphysicien assez délié pour vouloir réconcilier la métaphysique avec la théologie; poète latin même, et enfin assez grand mathématicien pour disputer l'invention du plus beau de tous les systèmes ai^pju|^rand génie qu'ait eu l'Angleterre. 23. ^^Çgfijtjtnï sentit, dès son enfance, ses regards se porter, comme malgré lui, vers les étoiles. A dix ou douze ans, il passoit quelquefois de belles nuits dans le jardin de son père, couché sur le dos, pour contempler la beauté d'un ciel bien étoilé ; spectacle, en effet, auquelil estétonnantquelaforcemêmcde l'habitude puissenousrendresipeusensibles. L'admiration des mouvemens célestes allumoitd«jà en lui le désir de les connoître ; et il en démêloil par lui-même ce qui étoit à la
�À 1 E N S.
3%
portée de sa raison naissante ; car il n'avoit point de maître ; mais la nature seule fait les bons écoliers» À l'âge de quinze ans il avoit composé un ouvrage de mathématiques , qui n'a été que manuscrit, mais ou il a trouve dans la suite des choses dignes de passer dans des ouvrges imprimés. Il savoit trop d'astronomie pour donner dans les folies de l'astrologie judiciaire ; et dans la suite , quand ses rares connoissances eurent répandu son nom dans toute l'Europe j il refusa courageusement tout ce qu'on lui offroit pour l'engager à tirer des horoscopes. Une fois seulement, il se rendit à un comte de l'empire , qu'il avoitbien averti de ne le pas croire. Il dressa, parastronomie, le thème de sa nativité ; et ensuite, sans employer" les règles de l'astrologie,il lui prédit tous les bonheurs qui lui vinrent à l'esprit. En même temps, le comte fit faire aussi son horoscope par un médecin très^entêté de cet art, qui s'y croyoit fort habile, et qui ne manqua pas d'en suivre exactement, et avec scrupule > toutes les règles. Vingt ans après, le seigneur allemand apprit à M. Ozanam que toutes ses prédictions étoient arrivées, et pas une de celles du médecin. Get.Eenouvelle lui fit un plaisir tout différent de celui qu'on pré^ tendoit lui faire. On vouloit l'applaudir sur son grand savoir en astrologie , et on le confirmoit seulement dans la pensée qu'il n'y avoit point d'astrologie. Il composoit avec une extrême facilité, quoique sur les matières les plus difficiles des mathématiques. Sa première façon étoit la dernière ; jamais de ratures ni de corrections , et les imprimeurs se louoient fort dè la netteté de ses manuscrits. Quelquefois il résolvoit des problêmes embarrassés , en allant par les rues ; quelquefois même , dit-on , en dormant ; et alors il se faisoit apporter promptement à son réveil de quoi les écrire ; Car la mémoire , ennemie presque irréconciliable du jugement, ne dominoit point chez lui. 24- M.jLeFeVre, père de madame Dacier, ne pensoit nullement à élever sa fille dans les lettres ;maislehasard en décida autrement. Ce savant avoit un fils, qu'il instruisoit avec grand soin. Pendant qu'il lui donnoit des R 2
�2ÔO
TEMRPERANCE.
leçons ^mademoiselle Le Fêvre , qui avoit alors onze ans, étoit présente, et travailloit en tapissscrie.il arriva qu'un jour le jeune écolier répondit mal aux questions de son père. Sa sœur, touchée de la situation pénible où il se trouvoit, lui suggéroit tout bas les réponses qu'il falloit faire. Le père étonné l'entendit ; ravi de cette découverte, il résolut d'étendre sur elles ses soins, et de l'appliquer à l'étude. Elle fut très-fàchée d'avoir parlé;car dès ce moment ellefntassujettie à des leçons réglées.Enpeu de temps elle fit des progrès si rapides, que son père la regarda comme son égale, et ne faisoit rien sans la consulter. Voyez AGREMENS , AMOUR DES
SCIENCES , CARACTÈRE , ESPRIT , ETUDE , INCLINATION, PHILOSOPIE , SAVOIR, SCIENCE.
TEMPÉRANCE. i. LE grand Annïbal, vainqueur des Romains, mena toujours une vie dure, sobre et tempérante , même en temps de paix, et au milieu de Carthage, lorsqu'il y occupoit la première dignité ; et l'histoire remarque qu'il ne mangcoit jamais couché sur un lit, suivant la coutume , et qu'il ne buvoit que fort peu de vin. Une vie si réglée , si uniforme , est un grand exemple pour nos guerriers , qui mettent souvent parmi les privilèges de la guerre , et parmi les devoirs des officiers , de faire bonne chère et de vivre dans les délices. 2. Agésilas, roi deLacédémone, avoit pour les lois rigides de son pays, le respect le plus religieux: il observoit sur-tout, avec le dernier scrupule, celles qui commandoientla tempérance. Ce prince ne se traitait pas mieux que ceux avec lesquels il vivoit. Il évitoit de se rassasier ; il fuyoit l'ivresse, ce vice hideux qui déshonore l'homme, et particulièrement l'homme qui commande. Il maîtrisoit, pour ainsi dire, le sommeil, et ne s'y livroit qu'autant de temps que les affaires le lui perm ettoient. Il se prémunissoit contre le froid et le chaud, de manière que, dans les quatre saisons de l'année, il ne portoit jamais qu'un vêtement unique. Lorsqu'il étoit sons les tentes avec les soldats, il n'avoit pas un meilleur
�TEMPÉRANCE.
2Ôl
ht qu'eux, etdisoitcontinuellement : «Un prince ne doit « pas l'emporter sur les particuliers , par la mollesse et « par les délices, mais par le courage et par la tempé« rance.» Déjà vieux, il paroissoit souvent en public , le matin , dans le plus grand froid de l'hiver, sans chaussure et sans tunique, et n'étant couvert que d'un manteau fort usé. Quelqu'un lui remontrant, qu'en agissant ainsi, c'était une imprudence à son âge : « Les «jeunes gens, dit-il, imiteront plus volontiers l'exem« pie que leur donne un roi dans sa vieillesse.» 3.Les solitaires qui vivoient sons les auspices dusaint ahbéGeraJîVne,demeuroientseuls,chacundansleurcellule, pendant cinq jours de la semaine,gardant un silence exact, sans prendre d'autre nourriture que du pain, des dattes et de l'eau. Le samedi et le dimanche, ils venoient à l'église pour participer aux saints mystères ; après quoi, ils mangeoient en commun quelque chose de cuit, et buvoient un peu de vin.Le samedi, à l'heure des vêpres , ils apportaient au monastère leur ouvrage de toute la semaine 5 et, en retournant dans leurs cellules , ils y portaient du pain, des dattes etde l'eau pour la semaine suivante, avec des branches de palmier pour leurs ouvrages. La pauvreté, l'humilité ,1a tempérance étaient les vertus auxquellesS-G^ra^zweles exercoitle plus. Us n'avoient que l'habit qu'ils portaient sur eux : leurs meubles étaient une natte pour se coucher, av ec une méchante couverture faite de plusieurs pièces, et une cruche pleine d'eau pour boire , et pour arroser leurs feuilles de palmier. Quand ils sortaient de leurs cellules,S.G£?r<z>«7reevouloit qu'ils en laissassent laporte ouverte,pour montrer qu'ils n'avoient rien qui ne fut à la disposition des au tres. Son dessein étoit par là de les ramènera l'esprit de détachementdespremiersFidelles, chez qui tout était en commun.Il ne permettait à aucun des solitaires d'allumer du feu dans sa cellule, pas même une lampe, parce qu'ils pouvoient., sans lumière, travailler à leurs ouvrages , en chantant des psaumes, ou méditantl'Eeriture-Sainte.Plusieursl'ayantprié deleur permettre défaire chauffer leur eau, de manger quelque chose de cuit,et de lire à la clarté d'une lampe , il leur refusa cette grâce, comme n'étant pas compatible avec
�2Ô2
TEMPÉRANCE.
l'austérité et la tempérance d'un véritable anachorète. « L'abstinence , leur dit-il, est la mère de la vraie et parfaite tempérance : elle contribue à la pureté , en écartant les pensées dangereuses ; elle donne des forces pour résister au sommeil, et met l'homme en état de veiller plus exactement sur soi-même. Si je me rends aujourd'hui à vos instances , demain il faudra user d'une nouvelle indulgence qui fera naître de nouveaux besoins , et la discipline périra. Croyez-moi, mes frères , soyons constans dans la carrière , et diminuons, s'il est possible, par notre tempérance , le fardeau de ce corps qui pdurroit retarder notre course. » Ces discours étoient soutenus de l'exemple que le saint abbé donnoit lui-même , puisqu'il passoit ordinairement le carême sans autre nourriture que l'eucharistie, 4-Ceux à qui M. Morin devoit le jour, donnèrent à son éducation tous les soins qu'une fortune médiocre et une nombreuse famille leur permirent, et que la religion leur demanda. Dès qu'il put marquer une inclination, il en marquaune pour les plantes. Un paysan quienvenoit fournir les apothicaires de la ville où il étoit né, fut sonpremier maître.L'cnfantpayoitsesleçonsde quelque petite monnaie, quand il pouvoit, et de ce qui devoit faire son léger repas d'après dîné.Déjà, avec le goût de la botanique, la libéralité et la sobriété commençoientà éclore en lui; et une inclination indifférente ne se développoit qu'accompagnée de ces deux vertus naissantes. Bientôt il eut épuisé tout le savoir de son maître;et il fallut qu'il allât herboriser lui-mêne aux environs du Mans , sa patrie, et y chercher des plantes nouvelles.. Quand il eut fait ses humanités , on l'envoya à Paris pour la philosophie. Il y vint, mais en botaniste, c'està-dire, à pied. Il n'avoit garde de ne pas mettre le chemin à profit. Sa philosophie faite , sa passion pour les plantes le détermina à l'étude de la médecine. Alors il embrassa un genre de vie que l'ostentation d'un philosophe ancien, ou la pénitence d'un anachorète, n'auroientpas surpassé. I l se réduisit au pain et à l 'eau ; tout au plus se permettoit-il quelques fruits. Par là , il se maùileiioit l'esprit plus libre pour l'étude, et toujours égaiemeat-et parfaitement libre \ car Pajne n'avoit nul
�TEMPÉRANCE. 263 prétexte de se plaindre de la matière. Il donnoit à la ce nservatfbn de sa santé tout le soin qu'elle mérite, et qu'on ne lui donne jamais : il se ménageoit beaucoup d'autorité pour prêcher un jour la diète à ses malades, et sur-tout il se rendoit riche, malgré la fortune., non pas pour lui, mais pour les pauvres qui seuls profitoient de cette opulence artificielle , plus difficile que toute autre à acquérir. On peut aisément croire que, puisqu'il pratiquent au milieu de Paris cette frugalité digne de la Thébaïdc , Paris étoit pour lui une Thébaïde à l'égard de tout le reste , à cela près qu'il lui fournissoit des livres et des savans. Après quelques années de pratique , il fut reçu expéetant à l'IIôtelDieu. La place de médecin-pensionnaire lui auroit été bien due dès qu'elle seroit venue à vaquer ; mais le mérite seul agit lentement, et c'est même beaucoup qu'il agissse. M. Morin ne savoit ni s'intriguer , ni faire sa cour : l'extrême modération de ses désirs lui rendoit cet art inutile , et sa vie retirée lui en faisoit ignorer jusqu'aux premiers élémens. A la fin cependant, on fut forcé de lui rendre justice. Mais l'argent qu'il recevoit de sa pension de l'Hôtel-Dieu, y demeuroit : il le remettoit dans le tronc, après avoir bien pris garde à n'être pas découvert. Ce n'étoit pas là servir graluilementles pauvres ; c'étoitles payer pour les avoir servis. Sur la réputation qu'il s'étoit acquise dans Paris, mademoiselle deGuise le nomma son médecin.Cetteplace, qu'il n'accepta qu'avec peine.l'obligea à prendre un carrosse , attirail fort incommode ; mais , en satisfaisant à cette bienséance extérieure,dont il pouvoit être comptable au public, il ne relâcha rien de son austérité dans l'intérieur de sa viedontilétoittoujours.Ie maître. Au bout de deuxanset demi, laprincesse tomba malade.Comme il avoit le pronostic fort sûr, il en désespéra, dans un temps même où elle se croyoit hors de danger, et lui annonça la mort; ministère souverainement désagréable en de pareilles circonstances, mais dont sa piété, jointe à sa simplicité, l'empêchoit de sentir le désagrément. Il ne le sentit pas non plus par le succès. Cette princesse, touchée de son zèle, tira de son doig t une bague qu'elle lui donna, comme le dernier gage de son affection, et
�264 TEMPÉRANCE. le récompensa encore mieux, en se préparant chrétiennement à la mort. A peine eut-elle rendu l'esprit, qu'il se débarrassadu carrosse, etseretira à Saint-Victor, sans aucun domestique, ayant cependant augmenté son ordinaire d'un peu de riz cuit à l'eau. M. Morin, après un grand nombre d'années de pénibles travaux, se vitcontraintde reprendre un valet ; et ce qui est encore plus considérable, il se résolutàboire une once de vinparjourjcar illemesuroit aussi exactement qu'un remède qui n'est pas éloigné d'être un poison. Alors il quitta toutes ses pratiques de la ville, et se réduisit aux pauvres de son quartier, et à ses visites de l'Hôtel-Dieu. Sa foiblesse augmentoit,et il fallut augmenter la dose du vin ; mais toujours avec la balance. A soixante-dix-huit ans,ses jambes ne purent plus le porter , et il ne quitta plus guère le lit. Sa tête fut toujours fort bonne ; et il s'éteignit enfin, âgé de près de quatre-vingts ans, sans maladie, et par la seule nécessité de mourir. Une vie longue et saine , une mort lente et douce , furent les fruits de son régime. Ce régime si singulier n'étoit qu'une portion de la règle journalière de sa vie,donttoutes les fonctions observoientunordrepresqu'aussi uniforme et aussi précis que les mouvemens des corps célestes, lise couchoitàsept heures du soir en tout temps, et se levoit à deux heures du matin. Il passoit trois heures en prières.Entre cinq et six heures en été, et l'hiver entre six et sept, il alloit à î'Hôtel-Dieu, et entendoit le plus souvent la messe à Notre- Dame. A son retour, il lisoit l'Ecriture-Sainte, et dînoità onze heures. Il alloit ensuite, jusqu'à deux heures, au Jardin Royal, lorsqu'il faisoit beau. Il y examinoit les plantes nouvelles, et satisfaisoit sa première et plus forte passion. Après cela il se renfermoit chez lui, si ce n'étoitqu'ileûtdespauvres à visiter,et passoit le reste de la journée à lire des livres de médecine ou d'érudition, mais sur-tout de médecine, à cause de son devoir. Ce temps-là étoit aussi destiné à recevoir des visites, s'il en recevoit ; car on lui a entendu dire : « Ceux qui me vienne nent voir me fonthonneur ; ceux qui n'y viennent pas « me font plaisir ; » et l'on peut bien croire que, chez un « Iiomme qui pense ainsi; la foule n'y estpas. Il n'y avoi
�TENDRESSE. 265 guère que quelqu'^/ztoznequipût aller voir ce Paul. Il laissapourtant, malgré son excessive libéralité, une bibliothèque de près de vingt mille écus, unmédailler et un herbier; nulle autre acquisition. Son esprit luiàvoit, sans comparaison, plus coûté à nourrir que son corps. 5. S. Jean de Lycople, solitaire, joignoit à une mortification rigoureuse une prière continuelle. Il ne mangeoit jamais que le soir, et toujours fort peu. A Page même de quatre-vingt-dix ans, il ne mangeoit jamais rien de cuit, non pas même du pain, mais seulement quelques fruits. Il trouvoitque la mortification donnoit, plus de liberté à l'esprit, et le rendoit plus recueilli dans la prière. Cependant il ne vouloit pas qu'on poussât le jeûne à l'excès; et c'est pour cela qu'il mangeoit chaque jour, de peur que le corps trop affaibli n'abattît aussi l'esprit, et ne le rendit incapable de s'acquitter des exercices quinourrissentlapiété. «Lejeûnele plus «agréable à Dieu, disoit-il, est de faire en tout, et « toujours, la volonté de Dieu même. » Il désapprôuvoit toute vertu de caprice et de fantaisie, parce que l'Evangile , qui nous commande d'être vertueux, est fondé sur la vérité, qui n'est autre chose qu'un amour constant de Pordreetde la justice. Ayantunefoispoussé son jeûne jusqu'à la fin du deuxième jour, il s'en repentit, reconnut que c'étoitle démon qui l'avoit trompé, et qui avoit voulu le faire tomber dans l'affoiblissement, afin de le tenter plus efficacement ; et depuis ce temps-là, il se garda bien de commettre cet excès de tempérance'/^oj-ezABSTiNENCEjFuuGALiTÉ^OBRiÉTÉ.
TENDRESSE. i. CHARLES V, surnommé le Sage, avoit été empoisonné dans sa jeunesse, par Charles-le-Mauvais, roi de Navarre. Un médecin allemand arrêta l'effet du poison par une légère incision au bras, et avertit ce prince de se disposer à la mort, quand la plaie se refermerait d'elle-même ; ce qui arriva dans un temps où ce bon roi craignoit, sur-tout pour la France a le
�266 TENDRESSE. malheur d'une^ minorité. Quelques heures avant sa mort, il fit ouvrir les portes de son appartement, afin de voir encore une fois son peuple , et d'en être vu ; de le bénir, et-de se recommander à ses prières. 2. l\l.Fourcroi, avocat, plaidoit pour un jeune homme qui s'étoit marié sans le consentement de son père, lequel demandoit la cassation de cet hymen fugitif. L'avocat, voyant que sa partie perdrait infailliblement sa cause, essaya de toucher les coeurs. Il fit venir, pour cet effet, à l'audience , le jour qu'il devoit plaider, deux enfans nés de ce mariage. 11 tâcha d'intéresser les juges en leur faveur; et, ,sachant que le grandpère étoit présent, il se tourna pathétiquement vers lui, et, lui montrant de la main ces deux innocens, il l'attendrit si fort, que celui qui demandoit la cassation du mariage,.déclara hautement qu'il l'approuvoit. 3. Quelle plume pourrait peindre toutes lesscènesde douleur ou de joiequisepassoitdans le sein d'une mère ? Qui pourroitdéciïreses tendres sollicitudes pour l'objet de sa tendresse ; ses alarmes, ses agitations, lorsqu'elle est en danger deleperdre; sondésespoir, lorsqu'elle l'a perdu? La femme d'un noble Vénitien, ayant vu mourir son fils unique, s'abandonnoit à la plus vive douleur. Un religieux tâchoit de la consoler. « Souvenez« vous, lui disoit-il, du patriarche Abraham, à qui Dieu « commanda de plonger lui-même le poignard dans le « sein desonfils, et qui obéit sans murmurer.—Ahlmon « révérend père, répondit-elle avec impétuosité, Dieu « n'aurait jamais commandé ce sacrifice à une mère. » 4- Ariobarzane, roi de Cappadoce, s'étant rendu au camp de Pora/jee, s'assit sur une chaisecurule auprès du tribunal de ce grand capitaine.Mais,tandis qu'il conversoit avec lui, il aperçut son fils placé auprès du bureau d'un greffier. La tendresse de ce père ne put supporter de voir son fils tenir une place si peu convenable à son rang. Il descendit, et alla lui ceindre le diadème, et l'exhorter à prendre la place qu'il venoit de quitter. Le fils combattant par son respect contrela tendresse de son père, laissa tomber le diadème,etne voulutpoinl serendre,quelquesinstances quilui fussentfaites.Il fallut que
�TENDRESSE. 207 l'autorité de Pompée intervînt pour terminer une que" relie si singulière. Il confirma le jugement du père, et ordonna au fils d'obéir. Ainsi , par un événement qui semble incroyable , celui qui quittoit une couronne étoit plein de joie , et celui à qui on la mettoit sur la tête , étoit plongé dans une tristesse amère. 5. D'Ayala,^age de Charles payant suivi ce prince en AUemagne,apprit que son père étoit proscrit.il vendit aussitôt son cheval, et en envoya le prix à un gentilhomme espagnol pour le lui faire tenir.Dès qu'onsefut aperçu qu'il n'avoit plus de cheval , on lui imposa des peines, pour savoir ce qu'il en avoit fait; mais on ne put rien obtenir ni par les chàtimens, ni par les caresses.On apprit enfin la vérité : on le dénonça à l'empereur , et d'Ayala avoua tout à son prince. Charles feignit d'être fâché, pour ne pas autoriser une action qui étoit contre la discipline;mais pour ne pas laisser sans récompense une marquede tendresse si héroïque,il saisit la première occasion dans laquelle d'Ayala se distingua , et lui donna des gages de sa générosité et de son estime. 6. Jamais peut-être sujet n'aima son prince comme le célèbre le Nôtre.Etant allé en Italie de la part de Louis XIV,\e pape InnocentXI, instruitde sonmérite, vou! ut le voir, et lui donna une assez longue audience, sur la fin de laquelle le Nôtre s'écri a, en s'adressant au pontife: v J'ai vu les deux plus grands hommes du monde, votre « sainteté etleroimon maître.—Il y a une grande diffé« rence,ditlepape;leroiestun grandprince victorieux, « je suis un pauvre prêtre , serviteur des serviteurs de « Dieu. » Lé Notre, charmé de cette réponse qui flattoit son prince, oublia qui la lui faisoit; et, frappantsur l'épaule du pape, lui répondit à son tour : « Mon révé« rend père , vous vous portez bien , et vous enterrev rez tout le sacré collège. » Le pontife rit dupronostic; et le Nôtre, charmé de plus en plus de sa bonté, se jeta au cou du pape, et l'embrassa : c'étoit,au reste,sa coutume d'embrasser tous ceux qui publioientles louanges de Louis XIV, et il embrassoit le roi lui-même , toutes les fois que ce prince revenoit de campagne.Ayant trouvé ce monarque dans les jardins de Marli, ce prince
�263 TENTATIONS. monta dans sa chaise couverte, traînée par des Suisses> et voulut que le Nôtre prît place dans un autre à peu près semblable. Ce vénérable vieillard, les larmes aux yeux , se voyant à côté du roi', et remarquant Manmrà , surintendant des bâtimens , qu'il avoit produit à la cour, marchant à pied, s'écria : « Sire, en vérité, « mon bon-homme de père ouvrirait de grands yeux, « s'il me voyoit dans un char auprès du plus grand roi « de la terre 5 il faut avouer que votre majesté traite « bien son maçon et son jardinier. » En 1675 , Louis XIV lui ayant accordé des lettres de noblesse et la croix de S. Michel, voulut lui donner des armes ; mais il répondit qu'il avoit les siennes , qui étoient trois limaçons couronnés d'une pomme de chou. «Sire,ajou« ta-t-il, pourrois-je oublier ma bêche ? Combien doit« elle m'être chère ! N'est-ce pas à elle que je dois les « bontés dont votre majesté m'honore ? » et il se jeta à son cou les larmes aux yeux.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX\\\
TENTATIONS. 1. 1 nous n'avions à former que des hommes profanes , on pourrait se contenter de leur inspirer l'amour des vertus sociales; et cet article serait inutile. Mais notre objet est encore de perfectionner les véritables enfans de Jésus-Christ ; et comme la tentation est, en quelque sorte , le creuset de leur vertu, nous leur offrons les moyens de la soutenir et de la repousser, à l'exemple du divin Sauveur et de ses Saints. Aussitôt que Jésus-Christ fut baptisé , il se setira dans le désert, ou plutôt il y fut porté par le SaintEsprit. Dans cette vaste solitude, le démon vint le tenter après un jeûne de quarante jours et de quarante nuits. Cet esprit superbe ne pouvant croire qu'un Dieu fût caché sous cette bassesse extérieure, après avoir inutilement épuisé toutes ses tentations secrètes pour l'éprouver, résolut enfin de faire un dernier effort, et de l'attaquer sous une forme visible. Il s'approcha de lui avec d'autant plus d'adresse , qu'il paroissoit agir simplement; et, sans découvrir le dessein qu'ilcachoit
S
�TENTATIONS.
2bg
en lui-même , il dit à Jésus - Christ: « Si vous êtes le « Fils de Dieu , dites que ces pierres se changent en « pain. » Jésus, à cette parole, se tint aussi caché que le démon tâchoit de l'être. Il se contentade lui répondre par ce passage de l'Ecriture : « L'homme ne vit pas seu« lement de pain , mais de toute parole qui sort de la « bouche de Dieu. » Le tentateur ne se rebuta point; et, voyant que le désert étoitun lieu peu favorable pour vaincre le Sauveur, il l'en retira , pour le transporter au haut du temple. « Si vous êtes le Fils de Dieu, lui « dit-il encore, précipitez-vous en bas ; car il est écrit: « Dieu a ordonné à ses anges d'avoir soin de vous et de « vous recevoir entre leurs mains , de peur que vous « ne heurtiez votre pied contre la pierre. » Jésus, qui nous fait voir qu'ayant été victorieux dans la première tentation, on devoit espérer de l'être aussi dans les autres, répondit au démon, avec la même simplicité que la première fois, par un passage de l'Ecriture. Il est écrit: «Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu.» Cette réponse si sage confondit l'orgueil du démon, et irrita sa colère. Il ne garda plus ce respect extérieur qu'il avoit témoigné d'abord ; et, au lieu qu'il avoit traité au commencement Jésus-Christ comme le Fils deDieu, il voulutqu'il l'adorât lui-même comme Dieu, et lui promit, pour cela, de lui donner tous les royaumes du monde , dont il lui fit voir l'éclat et la gloire. Jamais l'insolence du démon ne monta plus haut. Il en avoit moins témoigné envers les plus grands saints : il se contentoit de leur nuire comme ajournais il n'exigeoit pas d'eux qu'ils l'adorassent, comme il l'exigeoit de Jésus-Christ, dont il connoissoit l'excellence par sa résistance même. Mais cette impudence extrême fut aussitôt repoussée du Sauveur par la fermeté de ces paroles : « Retire-toi, satan, lui dit-il ; car il est écrit : « Vous adorerez le Seigneur votre Dieu , et vous le « servirez lui seul. » Cette réponse foudroyante mit le démon en fuite , et les anges s'approchèrent de Jésus , et le servirent. 2. Dieu permet que les plus saints personnages, au milieu des plus grandes austérités, soient exposés aux traits de l'esprit tentateur, afin de purifier leurs vertus,
�27O
TENTATIONS.
et de multiplier leurs couronnes. « Combien de fols j dit S. Jérôme , en parlant de lui-même'; combien de fois, étant dans la plus profonde solitude , m'iiiiaginois-je néanmoins être aux spectacles des Romains ! Mes membres secs et décharnés étoient couverts d'un sac ; mes jours se passoient en gémissemens ; et si le sommeil m'accabloit quelquefois malgré moi,la terre dure sur laquelle je couchois , étoit moins un repos pour moi qu'une espèce de tourment. Cependant je ne pouvois fixer mon imagination volage. Mon visage étoit défiguré par le jeûne , et mon cœur brûloit, malgré moi,de mauvais désirs. Toute ma consolation étoit de me jeter aux pieds de Jésus-Christ sur la croix, et de les arroser de mes larmes. Combien de fois , pour domter cette chair rebelle , ai-je jeûné , les semaines entières , au pain et à Peau ! Combien de fois ai-je poussé des cris vers le ciel , le jour et la nuit, en frappant ma poitrine , jusqu'à ce que le Seigneur m'eût rendu le calme ! O mon Dieu ! je vous rends grâces de toutes ces persécutions intérieures. Rien n'est plus à craindre pour un chrétien qu'un trop long calme. La tempête fait qu'on veille , et qu'on redouble ses efforts pour éviter le naufrage. » 3. Quoique S.Benoît eût tout quitté pour suivre Dieu dans te secret de la solitude; quoiqu'il se fût livré sans réserve à toutes les macérations de la pénitence, la tentation vint troubler la paix de son ame. Le souvenir d'une femme qu'il avoit autrefois vue à Rome excita dans son cœur un si grand trouble, qu'il Eut sur le point de quitter le désert. Mais,, après de longs combats, fortifié par la grâce, et voulant vaincre la volupté par la douleur, il se roula tout nu,pendant quelque temps , au milieu des orties et des épines, en sorte que son corps fut tout ensanglanté. Etantainsi sorti victorieux d'une attaque si rude, il reçut de Dieu, pour récompensera grâce d'être exempt à l'avenir de ces sortes de tentations, dont la plus légère est toujours très-dangereuse. 4. S. Antoine avoit abandonné de grands biens à une sœur qu'il aimoit, pour s'enfoncer dans un désert.U étoit jeune encore. Le démon, ne pouvant souffrir que, dans
1
�271 un âge si peu avancé, ce solitaire adolescent eût une telle ardeur pour la perfection, lui livra de terribles assauts. Il lui mettoit devant les yeux , tantôt le soin qu'il devoit prendre de sa sœur , tantôt les immenses richesses qu'il avoitquittées : il lui représentoit les difficultés qui se rencontrent dans le chemin de la vertu, la dureté de la vie qu'il menoit, la foiblesse de son corps, a longueur du temps qui lui restoit à vivre , et mille autres pensées de cette nature,capables de le décourager. Antoine les repoussoit par la foi, les prières etles "eûnes.Le démon , vaincu de ce côté-là, l'attaqua vioemment par des pensées d'impureté , dont il le tourentoit jouret nuit. Antoine alors redoubla ses veilles et ses prières. Il élevoit ses pensées vers Jésus-Christ, e représentoit la noblesse d'une ame consacrée à Dieu, t opposoit à la tentation de la volupté, la vue des suplices éternels dont les impudiques sont menacés, ictorieux dans ces premiers combats, le saint solitaire e prépara à de nouveaux triomphes par une vie plus ustère que jamais.Il veilloit jusqu'à passer souvent les uits entières sans fermer l'œil : il ne mangeoit qu'une ois le jour, ou de deux en deux jours, après le soleil ouché : quelquefois il passoit trois jours entiers sans anger.Sa nourriture éloil du pain et du sel ;et il ne nwoitque de l'eau. Son lit étoit une natte : mais le plus iouvent il couchoit sur la terre toute mie. Sonhabit consistait en un cilice, un manteau de peaux de mouton, une :eintureetun capuce. Jamaisil ne se frottoitd'huile, ni tieprenoitle hain;ce qui étoitenEgypte où il habitoit, me austérité considérable : enfin il s'enferma dans un onibeau, sans avoir de communication qu'avec celui ni lui apportoit de temps en temps du pain. 5.La vertu de Pierre Goncalbs, plus connu sous le nom e S.Elme, édifioit toute l'Espagne; mais le démon jaotvxmit tout en œuvre pour la corrompre. Quelques eunes seigneursdelacours'entretenantunjourdugrand érite de ce saint,virent passer une fameuse courtisane ; t l'arrêtant, ils lui dirent que si elle avoit entendu prêcher Goncales, elle changerait bientôt de vie.Cettemaleureuse répondit effrontément: « Si j'avois la liberté « de lui parler seuleà seul, onverroitquesavertun'est
TENTATIONS.
�2^2
TENTATIONS.
« pas plus affermie que celle de tant d'autres qui ont « consenti à mes volontés. » Cette réponse piqua la maligne curiosité de ces jeunes seigneurs, et ils lui promirent une somme d'argent, si ellepouvoit engager Gonçalhs à se rendre à ses désirs.La courtisane, enhardie par cette promesse, va trouver le saint ; et, afin d'écarter ceux qui étaient avec lui, elle lui dit qu'elle aune affaire importante et secrète à lui communiquer. Quand le Saint fut seul: «C'est de moi qu'il s'agit,dit cette femme;» puis se jetant à ses genoux, et versant des larmes feintes : «Je veux, ajouta-t-elle, changer de « vie: je suis une malheureuse, je viens à vous afin que « vous me tiriez du bourbier où j'ai été si long-temps « plongée.» Comme le jour étoit près de finir, Gonçalh lui dit de revenir le lendemain , et qu'il lui donnerait tout le loisir que demandoit une affaire de cette importance. «Ah ! mon père ! s'écria-t-elle en redoublant ses « larmes, si vous ne m'écoutez à présent , peut-être « que demain un nouveau crime aura fortifié m es m au« vaises habitudes, et je n'aurai plus la force de reve« nir. Je vous en conjure , ayez pitié d'une ame qui « mérite toute votre compassion.» Gonçalès attendri se retira avec elle dans un lieu secret pour n'être point interrompu ; et, après avoir prié pour celle qu'il croyoit repentante, il lui dit de commencer la confession de ses crimes. Alors cette hypocrite, changeant de ton et de langage : « Mon cher frère Pierre, lui dit-elle, la « blessure mortelle dont je suis atteinte, c'est vous qui « l'avez faite ; je vous aime, et je meurs si vous ne satis« faites ma passion.» Joignant ensuite ses larmes criminelles avec ses airs libres et séduisans, elle lui dit tout ce que le démon put lui inspirer de plus tendre et de plus passionné. Mais Dieu, qui, en permettant que la tentationattaque ses saints pour les éprouver,leur donnedes forces supérieures pour en triompher, soutint Gonçalh\ contre les attaques de celle-ci. «A Dieu ne plaise, nia « fille, lui dit-il, que je sois cause devotre mort! Atten« dez un moment, et votre maladie seraguérie.»Puis, entrant dans une autre chambre,il y allume un gram! feu , s'enveloppe de son manteau ; et, appellant cette | femme, 1
�TENTATIONS.
. 2/3
femme,il se coucha sur cebrasier,etditàla courtisane : «Venez ; voici le lit où je vous attends.» Cette femme, interdite d'une action si peu attendue,etplus surprise encore de ce que la flamme ne brû]oitpasGonçalès,se jette à ses genoux-, et, versant des larmes plus sincères qu'aupar-avant: « Ah ! mon père, s'écria-t-elle, vous ne « voyez plus une infâme pécheresse , vous voyez une « pénitente. Obtenez-moi miséricorde du Sauveur qui « vous favorise. » La conversion fut sincère. Cette femme confessa tous ses péchés, et entra dans un monastère pour en faire pénitence le reste de ses jours. 6. Quelque mortifié que fût S. Macaire dans tous ses sens, et dans tous les mouvemens de son cœur, Dieu permit qu'il fût exercé, pendant toute sa vie, par diverses tentations. Une des plus violentes et des plus opiniâtres , fut la pensée qu'il eut de sortir de sa cellule , pour aller à Rome exercer la charité envers les malades. Il y résista long-temps ; mais voyant que l'ennemi ne lui donnoit point de relâche, et qu'au contraire son esprit étoit de plus en plus agité de cette pensée, il se coucha par terre ; et, embrassant le seuil de sa porte , il dit au tentateur qui le pressoit si fort: «Arra« che-moi d'ici si tu peux , et traîne-moi par force où « tu veux que j'aille ; autrement je suis résolu de ne « point sortir d'ici. » Il demeura dans cette posture jusqu'au soir ; mais se sentant la nuit plus agité que jamais , il prit une grande corbeille pleine de sable, qu'il mit sur ses épaules , et se mit à marcher à travers le désert.Un des frères le rencontrant, s'offrit de le soulager, et le pria de ne se point tourmenter davantage. « Je tourmente, répondit Macaire, celui qui me tour« mente, et qui, me voyant si lâche et si paresseux, me « veut persuader d'entreprendre de longs voyages. » Ayant ainsi marché long-temps , il retourna dans sa cellule le corps brisé de fatigue; et le calme fut rendu à son ame. Ces tentations éloient fort affligeantes pour une ame aussi pure et aussi élevée que celle àeMacaire; mais Dieu le permettait par un effet de sa miséricorde sur lui, pour empêcher qu'ilnefûtséduit par lapins dangereuse de toutes, qui est celle de l'orgueil. Ily étoit sans Tonu III, S
�274 TENTATIONS. cesse exposé par la grande réputation de sainteté dont il jouissoit, et par les dons extraordinaires dont le Ciel rémunérait sa vertu. Il lui fit voir un jour , sous des images sensibles, les dispositions intérieures des solitaires pendant les divins offices •■, l'attention et la ferveur des uns, la négligence et les distractions des autres, et les démons appliqués à troubler le saint exercice delà prière par mille pensées vaines et frivoles qu'ils excitoient dans leur imagination.Macaire, touché de cette vision , jeta de profonds soupirs ; et, fondant en larmes en la présence deDieu, il lui dit: «Regardez, Seigneur, « de quelle sorte le démon nous tend des pièges. Le« vez-vous , mon Dieu , afin que vos ennemis soient « dissipés , et fuient devant vous ; car vous voyez « comment ils remplissent nos ames d'illusions. » •j.Moyse, qui, de capitaine de voleurs, étoit devenu un grand solitaire, pratiquoit dans les déserts les plus austères macérations pourdomterses ancienneshabitudes; mais, malgré tous ses efforts,l'enfer,furieuxd'avoir perducettevictime,armoit tous ses ministrespourlefaire rentrer dans l'abime.Mille idées dangereuses seprésentoient sans cesse à son espritpour réveiller les passions impures auxquelles il s'étoit autrefois livré. Un jour même cette tentation fut si forte , que peu s'en fallut qu'il ne quittât la solitude.Dans cette agitation, il alla trouver le grandZ>zd!ore,prêtre dudésertde Scété, et lui découvrit son cœur. «Mon frère, lui dit ce saint, que cela ne vous étonne pas : vous ne faites que commencer à quitter vos mauvaises habitudes , et elles cherchent encore les choses auxquelles elles ont été accoutumées. Un chien, dont l'habitude est de ronger des os dans la boucherie, y revient toujours ;maissil'onne lui donne plus rien , et qu'on ferme la boucherie , il n'y revient plus , et la faim l'oblige d'aller ailleurs : de même, si vous persévérez dans l'exercice de la continence, en mortifiant votre chair, et vous tenant en garde contre la gourmandise, qui est comme la mère de l'impureté, ce dernier démon, voyant qu'il ne recevra point de vous les viandes dont il a coutume de se nourrir, vous quittera, et vous laissera enfin dans un calmeprofond.» Moyse,ayantreçucet avis,se renferma.dans sa cellule,
�2y5 commença àpratiquerun jeûne plus rigoureux qu'auparavant. Il ne mangeoit par jour que douze onces de pain, sans aucune antre nourriture, travaillait beaucoup, ctfaisoit de fréquentes oraisons.Mais, quoi qu'il fît pour abat Ire son corps, il ne laissoit pas d'être encore inquiété par des pensées d'impureté, particulièrement dans les songes ; sur quoi il alla consulter un vieillard d'une vertu très-éprouvée, qui lui dit : « Cela vient de ce que vous « ne dé tournez pas assez vo tre esprit de ces i m;i gi nations; « mais, croyez-moi, accoutumez-vous à veiller, priez « avec attention ; vous en serez bientôt délivré. x Moyse prit donc la résolution de passer les nui ts entières sans dormir, et même sans se mettre à genoux pour prier Dieu, de peur de succomber au sommeil.Il vécut six ans delasorte, demeurant toutes les nuits debout au milieu desa cellule, et priant sans relâche. Néanmoins il ne put encore, par tant de mortifications et de veilles, écarter ces pensées importantes : tant il est difficile de se délivrer du démon de l'impureté, quand une fois on lui a laissé prendre une place dans son cœur ! Ces pensées poursgivoient Moyse avec tant de violence, qu 'un jour, ne pouvant plus demeurer dans sa cellule, il alla trouver le saint prêtre Isidore, qui tâcha de le consoler par divers passages de PEcriture-Sainte, et l'exhorta à retourner dans son ermitage. Mais le solitaire étoit tellement découragé, qu'il ne pouvoit s'y résoudre. Alors Isidore le mena sur le haut de la maison, et lui fit voir, du côté de P0ccident,une nombreuse troupe de démons dans l'agitation et dans le trouble. Il lui dit ensuite de regarder du côté de l'Orient, et il y vit une multitude innombrable d'anges, et une armée céleste plus brillante que le soleil. « Ceux que vous voyez à l'Occident, « lui dit Isidore, sont ceux qui attaquent les saints de « Dieu ; à l'Orient sont ceux que Dieu envoie pour les «défendre. Reconnoissez donc que , comme le dit le « prophète Elisée, nous en avons plus pour nous que « contre nous, et que S. Jean a raison de dire que celui « qui est ennous estplus grandqueceluiquiestdansle « monde ; ce qui signifie que Dieu qui habite en nous, « et qui nous soutient par sa grâce, est plus fort que le
TENTATIONS.
�276 TENTATIONS. « démon qui nous tente. » Moyse , fortifié par celle vision, s'en retourna à sa cellule pleinde confiance dam le secours deDieu, et rendant grâces à la bonté deJésusChrist. Il s'avisa ensuite d'une nouvelle austérité pour achever de mortifier sa chair. Il alloit, durant la fruit, aux cellules des anachorètes, qui, ayant vieilli dans les travaux de la pénitence, n'avoient plus la force d'aller quérir l'eau qui leur étoit nécessaire ; car, dans ces déserts, ilfalloitfaire quelquefois une ou deux lieues pour en avoir. Moyse prenoit, donc les cruches de ces Saints vieillards, etlesalloit remplir sans qu'ils le sussent.Isidore, qui craignoit qu'il ne portât ses austérités trop loin, l'exhortaàlesmodérer.Maisilfôj>,ye l'assura qu'ilnecesseroi tpointde combattre les démonsde toutes ses forces, jusqu'à ce qu'il se vît délivré des ten tarions et des fantômespar lesquels ils continuoient de le persécuter. Alors S. Isidore lui dit : « Jevousdéclareque,par Jagracede « TSolre-SeigneuT Jésus-Christ, 1 oulcs ces illusions ces« seront dès ce moment. Prenez donc conrage,etnecrai« gnez plus désormais de vou s approcher de la sainte eu« charistie •, car c'est une graee que Dieu vous a faite dé « vous laisser si long-temps sous le joug et sous la tyran« nie de cette tentation, afin que vous ne soyez point ' « enflé de vanité, comme si vous l'aviez surmontée par «• vos mortifications. »En même-temps, il priapour lui; et Moyse, étant retourné dans sa cellule, y .vécut toujours depuis fort tranquille , pratiquant avec modération . toutes les austérités ordinaires aux solitaires. Ces terribles épreuves lui donnèrent une grande défiance de luimême, et une charité sans bornes pour les autres. Toujours prêt à excuser leurs fautes , il ne se pardonnoit rien 5 et la vue de ses misères le rendoit circonspect quand il falloit juger ses frères. Il en donna un jour un bel exemple. Un solitaire de Scété ayant commis une grande faute, les Pères du désert s'assemblèrent pour délibérer sur ce qu'il y avoit à faire. On y appela Moyse, qui refusa d'abord de s'y trouver, mais , cédant enfin aux instances réitérées qu'on lui fit, il s'y rendit, portant sur son dos un panier plein de sable. Les autres solitaires, fort étonnés, lui demandèrent ce que c'éloit .J « Ce sont, dit-il, mes péchés que je
�TENTATIONS* 277 « porte derrière moi , et que je ne vois pas ; et l'on « me fait venir ici pour juger des péchés des autres. >^ Cette parole fit rentrer chacun en soi-même, et personne n'osa condamner le coupable. 8. S.Jean Calybite étoitle troisième et demi er fils d'un homme des plus qualifiés de Constantinople, nommé Eutrope, dont la femme s'appeloit Théodore. Ses parens l'élevèrent chrétiennement, et l'appliquèrent de bonne heure à l'étude des sciences. Il y réussit; mais '1 ne s'y attacha point. A l'âgé de douze ans , il eut occasion de s'entretenir avec un religieux du monastère des Acémètes, qui passoit par Constantinople , en allant visiter les saints lieux de Jérusalem. Jean ayant appris de lui la manière dont on vivent dans son onastère, fut touché d'un si violent désir d'aller serir Dieu dans cette maison, qu'il fit promettre à ce on religieux qu'à son retour il repasseroit par Consantinople , pour l'emmener avec lui. Depuis ce moicnt, Jean n'étoit plus occupé que du dessein qu'il voit formé de suivre Jésus-Christ pauvre et crucifié, ans cette vue, il pria ses parens de lui donner un livre es Evangiles, afin d'y étudier le divin modèle qu'il 'étoitproposé d'imiter. Comme ils avoient delà piété, 1s se firent un plaisir de seconder une inclination si ouable. Ils lui donnèrent un livre d'Evangiles, bien 'crit, etreliémagnifiquement,afinquelabeautédulivre ût pour l'enfant un nouvel attrait qui l'invitât à le lire. LereligieuxAcémète revint, comme ill'avoitpromis; tJean, ayantpris son temps, quitta secrètement la maion de son père pour le suivre, emportant avec lui son ivre d'Evangiles. Il alla au monastère des Acémètes; t, s'étant présenté à l'abbé, il le pria de le recevoir et e lui couper les cheveux. L'abbé, qui avoit appris du eligieux quel étoit cet enfant, et de quelle manière il 'étoit échappé de la maison paternelle, fit d'abord diffiulté.de le recevoir, à cause de sa grande jeunesse, et de adélicatesse dans laquelle il avoit été élevé ;mais enfin,aincu par ses instances et par ses larmes, il l'admit au ombre des religieux. Il est aisé de juger quelle douvUr causa à son père et à sa mère la perte d'un enfant S 3
�278 TENTATIONS. qui leur étoit si cher. Ils le firent chercher de tous côtés ; mais, quoique le monastère où il s'étoit retiré ne fût pas éloigné de Constantinople, Dieu, quil'y avoit conduit, letintsihiencaché , qu'onneputl'y découvrir. Cependant Jean s'exercoit, avec, une ardeur incroyable, à la pratique des vertus monastiques ; et, quoique le plus jeune de tous, il parvint à un degré de perfection où à peine les plus âgés pouvoient atteindre. Après qu'il eut passé six ans dans cet état, le démon lui suscita une tentation des plus violentes. Il lui rappela le souvenir de lamaisonde son père, et le pressa d'y retourner.Cette pensée le suivoit par-tout, et ne lui laissoit aucun repos. 11 s'en ouvrità son abbé, etlepria deluipermettred'aller revoir ses parens.Celui-ci essaya d'abord de l'en détourner, en lui rappelant sa première ferveur, et les vives instances qu'il lui avoit faites autrefois pour être reçu dans le monastère. Mais la vue de son corps, exténué par l'ennui, le toucha ; et, sur ce que Jean lui dit qu'il espéroit de la bonté de Dieu et de la grâce de JésusChrist; qu'en contentant le désir qu'il avoit de revoir ses parens, non-seulement il ne seroit pas vaincu par l'ennemi de son salut, mais qu'il le terrasseroit lui-même; il pensa que peut-être Dieu avoit dessein de faire entrer ce jeune homme dans quelque voie extraordinaire.Ces raisons le firent consentir à son départ ; et, après l'avoir recommandé aux prières de tous les frères, il lui donna sa bénédiction, en répandant beaucoup de larmes. Jean, é tant sorti du monastère, rencontra à quelque distance de là un pauvre fort mal vêtu. Il lui donna ses habits, et se revêtit des haillons dont ce pauvre étoit couvert. En cet état, il s'en alla à Constantinople ; et, après avoir | prié Dieu de le fortifier dans le dessein qu'il avoitpris de livrer à son ennemi un comba t d'un genre tout nouveau, il alla se coucher à la porte de la maison de son père, où il passa la nuit. Le lendemain matin, les domestiques de la maison , le voyant, eurent pitié de sa misère ; et on lui permit de se faire unepetiteloge sous laporte, pour s'y retirer. Il y vécut ainsi, sans être reconnu de personne,exposé aux mépris et aux rebuts de tout le monde, souffrant dans son cœur un combat continuel entre l'amour de Dieu quile rctenoit dans cet état d'humiliation.
�TENTATIONS. 279 et l'amour naturel, qui 1 e sollicitoit à toute heure de se faire connoître à ses parens qu'il voyoit si sou vent passer devant lui. Son père , touché de la patience avec laquelle il supportoit la pauvreté , lui envoyoit , tous les jours, des mets de sa table ; mais Jean n'en prenoit que ce qui lui étoit nécessaire, etdistribuoit le reste à d'autres pauvres. Sa mère , qui pleuroit encore tous les jours le fils qu'elle avoit perdu, l'avoit devant les yeux sans le connoître ; et, le voyant pauvre, hideux et tout défiguré, elle pouvoit à peine arrêter ses regards sur un objet si triste et si désagréable. Dieu, qui avoit sans doute inspiré à notre Saint cette résolution extraordinaire, lui donna la force d'y persévérer pendant trois ans, sans que de si rudes épreuves pussent affoiblir son courage. A la fin, connoissantque sa dernière heure approchoit, il pria l'intendant de la maison de dire à sa maîtresse que le pauvre Calybite la supplioit de venir le voir, ajoutant qu'il avoit quelque chose de conséquence à lui dire. La dame parut surprise de cette demande. Elle en parla à son mari, qui fut d'avis qu'elle lui donnât celte consolation. Etant descendue, elle fit tirer le Saint de sa loge pour lui parler. 11 étoit mourant, et pouvoit à peine se faire entendre. «Madame,» lui dit-il, d'une voix foible et entre-coupée, « je prie « Dieu qu'il vous récompense de la charité que vous « avez exercée envers un pauvre et un étranger comme « moi : mais j'ai une dernière grâce à vous demander ; « c'est qu'après ma mort je sois enterré sous cette loge, « avec les haillons dont je suis couvert , et sans aucune « cérémonie.» Après qu'ellelelui eutpromis, il lui présenta son livre des Évangiles, en disant : « Recevez ce « présent que je vous offre. Je souhaite que vous et votre « digne époux y trouviez votre consolation dans cette « vie, et le gage de celle que Dieu réserve aux jus tes. » Elle le reçut de bon cœur, mais avec quelque étonnement de voir qu'un homme si pauvre eût un livre d'un si grand prix; puis, l'ayant considéré attentivement : «Ce «livre, dit-elle, est tout semblable à celui que je don«nai autrefois au plus jeune de mes fils. » En même temps , sa douleur se renouvella ; et, jetant un grand
S4
�TENTATIONS. û8o cri au souvenir de la perte de ce cher enfant, elle répandit beaucoup de larmes. Elle alla montrer ce livre à son mari- Ille reconnut aussitôt; et, se sentant les entrailles émues il alla sur-le-champ avec sa femme, trouver ce pauvre, dans l'espérance d'apprendre des nouvelles de leur fils. Ils lui firent promettre de leur découvrir avec sincér.té tout ce qu'il savoitau sujet de ce livre. Alors Jean, se voyant près de rendre l'esprit, jeta un profond soupir, et leur dit: « Je suis ce fils que vous avez « si long-temps cherché, etc'est-là le livre que vous me « donnâtes quelque temps avant mou départ. » A ces paroles, leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent à divers signes qu'ils n'avoieiît pas remarqués d'abord. Mais l'excès de la joie d'avoir trouvé leur fils, se confondant avec là douleur qu'ils avoient de le perdre eu même temps , ils demeurèrent saisis, et ne purent presque faire autre chose que de l'arroser de leurs larmes.
«XtXXXXXXXXXXXXXVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX-*XXXXXXXXXXXXX\M
î.V^/DELQu'uN reprochoit au philosophe Cléanthe l'extrême timidité qu'il montroit en toute occasion. « C'est un heureux défaut, répondit-il; j'en commets « moins de faute. » 2. Une timidité naïve caractérisoit le célèbre Nicole. 'Ce grand homme , si hardi dans ses raisonnemens , et dont la docte plume prenoitun essor si sublime, n'osoit paroître dans les rues, de peur qu'il ne lui tombât quelques tuiles sur fa tête. Il se logea très-long-temps au faubourg Saint-Marcel ; et quand on lui en demandoit la raison : « C'est, répondit-il, que les ennemis qui « ravagent tout en Flandres et menacent Paris, entre« ront par la porte Saint-Martin ; et avant qu'ils n'arri« vent chez moi, j'aurai le temps de m'enfuir. » Une demoiselle étoit venue le consulter sur un cas de" conscience. Au milieu de l'entretien, arrive le P. Fouguetde l'Oratoire , fils du surintendant. Nicole, du plus loin qu'il l'aperçoit, s'écrie: « Voici, mademoiselle, quel« qu'un qui décidera la chose ; » et sur-le-champ , il conte au P. Fouguet toute l'histoire de la demoiselle,
�I
(bon). 281 qui rougit Beaucoup. On fit des reproches à Nicole de cette imprudence. Il s'excusa sur ce que le P. Fouquet étoit son confesseur. « Puisque , dit-il, je n'ose rien « cacher à ce père , mademoiselle ne doit pas être ré« servée pour lui. » 3. Louis XIII étoit naturellement timide et défiant. Après la mort de Henri IVlorsqu'on lui dit qu'il étoit roi : « Je ne le veux pas être , répondit-il ; car on me «tueroit comme on a tué mon père. » 11 passoit les nuits dans des inquiétudes mortelles , et vouloit toujours être accompagné de ses gardes , même pendant la nuit et lorqu'il dormoit. « Gardez-moi bien , leur « disoit-il , de peur qu'on ne me tue. » 4. Quoique fier et hautain , l'empereur Caligula trembloit comme un enfant au moindre bruit du tonnerre : et lorsqu'il remarquoit de la frayeur sur les visages de ceux qui l'environnoient, il se couvroit la tête d'un coussin , et se tenoit ainsi honteusement caché.
TON
,
IV\\%\XXXV\\\XV\*VVVt\VX\V*XVXXXV\XXXXXXX\^XXVXX%VVVXXXX *XXXXXXX\%\'VXXXX'Vl)
TON
{bon).
î FRANçois-de-Sales ayant contribué au mariage de Christine de France avec le prince de Piémont, la princesse choisit le religieux prélat pour son premier aumônier. Il l'en remercia d'abord , disant que cette charge étoit incompatible avec la résidence , qui étoit pour lui d'une étroite obligation. Enfin la princesse , qui révéroit ses vertus , continuant de le presser , il l'accepta , mais à deux conditions : l'une, qu'elle ne l'empêcheroit point de résider dans son diocèse ; l'autre , que quand il ne rempliroit point ses fonctions auprès d'elle , il n'en recevroit pas les appointemens. « Vous avez , lui dit Christine, des scrupules qui vont « trop loin. Si je veux vous donner vos appointemens « lors même que vous ne servirez pas , quel mal ferez« vous de les accepter? —Madame, lui répondit-il en « riant, je me trouve bien d'être pauvre. Je crains les « richesses : elles ont perdu tant d'autres ; elles pour« roient bien me perdre aussi. » La princesse fut obligée de consentir à ces deux conditions j ej sur-le-champ ,
.S.
�282 TON (bon). comme pour l'investir de sa charge, elle lui fit présent d'un diamant d'un grand prix, en lui disant : « C'est à « condition que vous le garderez pour l'amour de moi. « — Je vous le promets , madame , lui répondit-il y à « moins que les pauvres n'en aient besoin. — En ce cas, « dit la princesse , contentez-vous de l'engager ; et «j'aurai soin de le retirer.— Je craindrois, madame, « répartit François , que cela n'arrivât trop souvent ; « et que je n'abusasse enfin de vos bontés. » 2. Le grand Gustave méditoit le siège d'Ingolstad. Il va reconnoître une fortification qu'il veut faire attaquer. Les canonniers de la place tirent sur lui avec tant de justesse, qu'un boulet emporte la croupe de son cheval. Il tombe dessous, enseveli dans la boue et couvert de sang; mais il se relève promptement, saute sur un autre cheval, et continue de donnerses ordres. Gassion fut un des premiers qui accoururent au roi ; cet empressement lui valut un régiment. Gustave, qui avoit le talent heureux de relever le prix de tous les grades qu'il donnoit, dit à Gassion : « Ce sera un régiment de chevets , et l'on « pourra dormir auprès dans une entière sécurité. » 3. Un homme qui vivoit avec la plus sévère sécurité, et dont la table étoit toujours servie avec une honnête frugalité, vit arriverchez lui, à l'heure de son repas, un de ses amis qui venoit lui demander à dîner. «Soyez le «bien-venu, lui dit-il ; puisque vous êtes venu sans « m'avertir, vous dînerez aujourd'hui avec moi : une « autre fois, si vous voulez me le faire savoir, ou venir « de meilleure heure, je dînerai avec vous. » 4- Un magistratdu premierordre, quiavoitrendu un service signalé à un riche particulier , vit arriver chez lui, quelques jours après, un homme qui lui présenta de sa part, deux beaux flacons de vermeil, et d'une bonne capacité. «Je sais ce que c'est, dit le magistrat « sans paroitre étonné ; » et ayant fait appeler son maître d'hôtel: «Remplissez, lui dit-il, ces flacons de « mon meilleur vin, et qu'on les porte chez monsieur « un tel. » Puis se tournant vers celui qui lui avoit «présenté les flacons : «Dites-lui, s'il vous plaît, qu'il « ne l'épargne pas , tant qu'il le trouvera bon. »
�TON (bon). 283 5. En i52o, François I et Henri VIII eurent une entrevue entre Ardres et Guisnes. Il étoit réglé que les deux rois passeroient le jour ensemble; que celui de France se retireroit le soir à Ardres, et celui d'Anglelerreà Guisnes. François I, qui se piquoit de beaucoup de franchise , et vouloit se délivrer de toutes ces formalités , par un matin , suivi d'un page et de deux gentilshommes, se rend à Guisnes, et dit au gouverneur du château , qu'il trouye sur le pont avec deux cents archers : « Mes amis , je vous fais mes prison« niers. Qu'on me conduise à l'appartement de mon « frère le roi d'Angleterre. » Ce prince fort surpris de l'aventure , s'écrie en le voyant entrer : « Mon « frère , vous me faites le meilleur tour que jamais « homme fit à autre , et me montrez la grande fiance « que je dois avoir en vous ; et de moi, je me rends « votre prisonnier dès cette heure , et vous baille ma « foi. » Les deux monarques passèrent quelques heures ensemble ; et le reste du temps de l'assemblée ne fut qu'un' enchaînement de fêtes , qu'ils se donnèrent avec une confiance réciproque. 6.Un jeune duc s'étoit attiré la disgrâce deLouisXIV par une conduite qui déplut à ce monarque ; il voulut regagner son estime, et alla au feu, pendant le siège de Mons, avec une intrépidité et un jugement de héros, Le roi lui rendit alors ses bonnes grâces, et lui dit : « Vous n'étiez pas content de moi ; je ne l'étois pas de vous : oublions le passe, et désormais datons de Mons.» Il avoit donné une pension de six mille livres à M. l'avocat-général Talon. M. de Lamoignon, qui étoit aussi avocat-général, pria sa majesté de vouloir bien lui en accorder autant. Le roi le lui promit. Six mois se passèrent pendant lesquels M. de Lamoignon vit souvent le roi, sans lui parler de rien. Sa majesté lui dit un jour : M. de Lamoignon , vous ne me parlez « plus de votre pension. — Sire , lui répondit ce ma« gistrat, j'attends que je l'aie méritée. —Si vous le « prenez de ce côté-là , reprit le monarque , je vous « dois les arrérages. » En effet ces arrérages furent payés , Louis XIV lui ayant accordé la pension , à commencer du jour qu'il la lui avoit demandée.
�284
TRANQUILLITÉ.
Ce prince s'amusoit quelquefois à faire des vers. MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui montroient comment il falloit s'y prendre. Il venoit de composer un petit madrigal, que lui-même ne trouvoit pas trop joli.Un matin, il dit au maréchal deGrammont : « Mon« sieur le maréchal, lisez je vous prie , ce petit ma« drigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si im« pertinent : parce qu'on sait que j'aime les vers , on « m'en apporte de toutes les façons.» Le maréchal , « après avoir lu, dit au roi : «Sire, votre majesté juge « divinement bien "de toutes choses ; il est vrai que « voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie « jamais lu. » Le roi se mit à rire : « N'est-il pas vrai « que celui qui l'a fait est bien fat ?— Sire , il n'y a « pas moyen de lui donner un autre nom. — Oh bien ! « reprit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé « si bonnement : c'est moi qui l'ai fait. — Ah ! sire , « quelle trahison ! que votre majesté me le rende ; je « l'ai lu brusquement. — Non , M. le maréchal, les « premiers sentimens sont toujours les plus naturels.» Le roi , dit madame de Sévigné,rit beaucoup de cette folie ; et tout le monde trouva que c'étoit la plus cruelle petite chose qu'on pût faire à un vieux courtisan. Voyez ATTENTIONS, CIVILITÉ, EGARDS, POLITESSE ,
SAVOIR-VIVRE , URBANITÉ.
TRANQUILLITÉ.
I.ST. JEAN-LE-NAIN travailloit à faire des nattes sur le chemin du désert de Scété. Quelqu'un lui dit des injures pour le mettre en colère. Il les écouta d'abord sans répondre. L'insolent redoubla ses impertinences 'y et le saint, craignant enfin de perdre l'heureuse tranquillité de son ame , jeta ce qu'il tenoit, et s'enfuit. Une autre fois qu'il étoit occupé à scier des blés, voyant un frère en colère contre un autre , il s'enfuit encore , et laissa-là la moisson. Etant dans l'église de Scété, il entendit quelques frères qui disputoient l'un contre l'autre : il s'en retourna aussitôt vers sa cellule j et l'on remarqua qu'ayant d'y entrer , il en fit
�TRANQUILLITÉ. 285 trois fois le tour. Comme on lui en demandoit la raison, il répondit que ses oreilles étant encore pleines de paroles fâcheuses qu'il avoit entendues , il avoit voulu leur donner le temps de s'en purifier, afin de reporter dans sa solitude son esprit calme et tranquille. Un jour qu'il étoit assis à la porte de l'église , plusieurs frères se mirent autour de lui pour lui découvrir leurs pensées , et recevoir ses avis ; ce qu'il faisoit avec beaucoup de charité. Un vieillard, qui en fut témoin, en eut de la jalousie, et lui dit: «Voilà Jean qui ressemble à une courtisane qui s'ajuste , et qui s'embellit pour attirer les jeunes gens Vous avez raison, mon père, réponiï\tJean.~-Votre esprit, continua le vieillard, est rempli de venin. — Cela est vrai, mon père , et plus que vous ne pensez. Vous en diriez bien davantage , si vous me connoissiez à fond. » Un de ses disciples lui ayantdemandé, quelquetemps après,s'il nes'étoitpoint senti ému des discours du vieillard? « Non, par la grâce de Dieu, répondit Jean. Je suis au dedans tel que vous me voyez au dehors. Le fils d'un philosophe , continua-t-il, ayant perdu son père, fut élevé chez un autre philosophe qui avoit promis de s'en charger. Ce jeune homme ayant insulté la femme de son tuteur, fut chassé de la maison. Il eut un regret sincère de sa faute , en demanda pardon à son tuteur, et le conjura de lui rendre ses bonnes grâces. Il fa ut, avanttoutes choses, lui répondit le tuteur, que vous passiez trois ans avec ceux qui sont condamnés aux mines, et que vous les aidiez à porter du marbre à la rivière.Les trois ans expirés, le jeune homme se présenta au philosophe, espérant qu'il le laisseroit entrer dans sa maison. Il n'est pas encore temps, lui dit le tuteur ; il faut que vous passiez trois autres années à souffrir toutes sortes d'injures , et même à donner de l'argent à ceux qui vous en diront. Après ces trois ans, son tuteur lui pardonna , et le mena à Athènes pour apprendre la philosophie. A la porte de cette ville étoit un vieux philosophe qui mettait son plaisir à dires des injures à tous ceux qui entroient. Il traita de même ce jeune homme qui ne. fit qu'en rire. Comme le philosophe athénien en pa-
�286 TRANQUILLITÉ. roissoit surpris : « Il y a trois ans , dit le jeune homme , que je donne de l'argent à ceux qui me traitent: comme vous faites ; et je ne rirai pas à présent qu'il ne m'en coûte rien ? — Entrez , lui dit le vieillard. vous le méritez bien. » 2. Les troupes du célèbre Gonsalve , l'un des plus grands généraux que l'Espagne ait produits, mécontentes des fatigues de la guerre , se présentèrent à lui en ordre de bataille pour exiger leur solde. Un des plus hardis poussa les choses jusqu'à lui présenter la pointe de sa hallebardcvLe général, sans s'étonner , saisit le bras du soldat; et, çffectant un air gai etriant, comme si ce n'eût été qu'un jeu : «Prends garde, camarade,lui « dit-il,qu'en voulant badiner avec cette arme,tu ne me blesses.»Un capitaine dïvne compagnie de cent hommes d'armes , porta l'outrage plus loin. Il osa dire à Gonsalve, qui témoignoit son chagrind'être hors d'état de procurer les choses dont on avoit besoin : «Eh bien! « si tu manques d'argent, livre ta fille ; tu auras de « quoi nous payer. » Comme ces odieuses paroles furent prononcées parmi les clameurs de la sédition , Gonsalve feignit de ne les avoir pas entendues ; mais la nuit suivante , il fit mettre à mort le misérable qui les avoit dites, et le fit attacher à une fenêtre où toute l'armée le vit avec terreur exposé le lendemain. Après s'être rendu maître de Naples , et l'avoir livrée au pillage, quelques soldats vinrent se plaindre, avec des cris séditieux , de n'avoir pas eu assez de part au butin : « Il faut réparer votre mauvaise fortune , leur « dit Gonsalve ; allez dans mon logis : je vous abau<i donne tout ce que vous y trouverez. » 3. ïbatzès, Bulgare, allié à la famille roj'ale , se révolta en î o vj.Comme cette rébellion donnoitbeaucoup d'inquiétude à l'empereur Basile ,Daphnomèle, que ce prince avoit fait gouverneur d'Acre, le rassura, et lui promit de lui livrer le chef des séditieux ; et voici de quellemanièreil tintparole.il savoitqu'/Z»ateèjcélébroit avec une solennité particulière la fête de l'Assomption de la sainte Vierge, et que, ce jour-là,ilrecevoitsurune montagne où il s'étoit fortifié,tous ceux qui vouloient prendre part, à sa dévotion.Daphnomèle s'y rendit, de
�TRANQUILLITÉ. 287 même que beaucoup d'autres. Les sentinelles mises en faction par Ibatzes, l'ayant reconnu, voulurent l'arrêter. Mais il leur déclara, sans donner le moindre signe de frayeur,qu'il n'étoit venu que pour s'édifier de la piété et de la magnificence de leur chef.Ibatzès surpris de la téméritéaveclaquelle il s'exposoit,et de la tranquillité qu'il affectoit, ne le soupçonna d'aucun mauvais dessein, sur-tout au milieu d'un concours si nombreux; et il eut àson tour assez de témérité pour lui donner une audience particulière dans un lieu écarté.Daphnomèle profitant de l'occasion, le renversa au moment qu'il s'y attendoit le moins ; et deux hommes qu'il avoit apostés étant venus le seconder, ils lui enfoncèrent leurs habits dans la bouche avec tant de violence, que les yeux du malheureux Ibatzes lui sortirent de la tête par les efforts qu'il fitpourse défendre.Ses cris etle mouvement qu'il e donnoit, ayant bientôt rassemblé autour de lui un grand nombre de çersomies,Daphnomèlese réfugia avec es deuxcompagnonsdans la chambre la plus haute d'Ibatzès,céso\us de combattre jusqu'à la mort.Comme les ulgares attroupés crioient qu'il falloit leur faire soufir les tourmens les plus cruels, Daphnomèle, toujours ranquille au milieu de l'orage , se montra , et faisant igne de la main pour se faire écouter : «Je ne suis point « étonné, dit-il, que l'action que je viens de faire vous « soulève et vous irrite contre moi : peut-être votre in« dignation augmentera-t-elle, si je vous dis que , loin « de vouloir du mal à Ibatzes , j'étois un de ses amis. « Mais j'ai cru devoir lui préférer l'empereur Basile , « dont il étoit devenu sujet par droit de conquête , et « par la soumission volontaire de tout le corps des Bul« gares. Ce prince, à qui nous obéissons , m'a chargé « d'éteindre cette étincelle avant qu'elle eût formé un « incendie. Je ne vous conseille.pas de tourner votre « vengeance contre lui ; il est trop fort et trop puissant « pour vous : vengez-vous, si vous le trouvez à propos, « de ceux qui ont exécuté ses ordres : nous sommei « prêts à nous défendre jusqu'au derniersoupir.»i)apnwmèle , par cette tranquille fermeté , appaisa en un nstantla fureur des Bulgares. Les plus timides se reti^ :èrent d'eux-mêmes, les autres approuvèrent l'action
�288 TRANQUILLITÉ. qui les avoit tant indignés un instant avant : tous ju irèrent une obéissance entière à l'empereur. 4- Lorsque Louis de Bourbon,\>r'mce de Condé, chef des Protestans, alloit livrer la bataille de Jarnac, et marchoit aux ennemis , le cheval du comte de laRochefoucault, son beau-frère, lui donna un coup de pied qui lui cassa la jambe. Ce prince, sans daigner se plaindre, s'adressa aux gentilshommes qui l'accompagnoient. « Apprenez , leur dit-il', que les chevaux fougueux « nuisent plus qu'ils ne servent dans une armée. » Un moment après il s'écria : Noblesse française ! apprenez que « Condé , avec un bras en écharpe et une jambe « cassée , a encore assez de courage pour donner ha« taille. » Il la donna , fut vaincu , fait prisonnier, cl assassiné par un fanatique et un traître. 5. L'émulation dégénérée en jalousie, avoit brouille' le Tintoret et le Titien, deux peintres fameux d'Italie. ÏJArétin, le plus redoutable satirique de son siècle,et dont la verve cynique n'épargnoit ni les rois , ni les saints , ni Dieu même, étant intime du dernier de ces artistes , prit parti dans la querelle, et lâcha quelques vers très-piquans contre le rival du Titien. Le Tintoret, sensible à cet outrage , résolut de se venger, niais avec ce phlegme qui le caractérisoit. Le rencontrant un jour près de chez lui, il le pria d'entrer , sous prétexte de faire son portrait. A peine le satirique fut-il assis , que le peintre vint à lui d'un air tranquille , le pistolet à la main : « Eh ! Jacques , que voulez-vous «faire, s'écria YArétin saisi de crainte?—Prendre « votre mesure , s'écria gravement le Tintoret ;» et, après l'avoir mesuré , il ajouta du même ton : « Vous « avez quatre de mes pistolets et demi de haut, » et le renvoya. \J Arétin garda le silence. 6. Un jour que François de Lorraine, duc de Guise visitoit son camp, le baron de'Lunebourg, un des principaux chefsdes Reitres,trouva mauvais qu'il voulût examiner sa troupe , et s'emporta jusqu'à lui présenter le bout de son pistolet. Le duc de Guise tira froidement son épée, éloigna le pistolet et le fit tomber. Montpèstar,lieutenant des gardes de ce prince,choqué de l'insolence
�289 lence de l'officier allemand , alloit lui ôter la vie, lorsque Guise lui crie : « Arrêtez , Montpézat ; vous ne « savez pas mieux tuer un homme que moi ; » et, s€? tournant vers l'emporté Lunebourg : « Je té pardonne, « lui dit-il, l'injure que tu m'as faite : il n'a tenu qu'à « moi de m'en venger. Mais , pour celle que tu as « faite au roi , dont je représente ici la personne , « c'est à lui d'en faire la justice qu'il lui plaira. » A ussitôt il l'envoya en prison , et acheva de visiter le camp, sans que les Reitres osassent murmurer, quoiqu'ils fussent, naturellement séditieux. 7.Le connétabl c de Lesdiguières é tant encore chef du parti calviniste, donnoit de l'ombrage aux catholiques. L'un d'eux, plus fanatique que pénétré des sublimes maximes de la charité, vint à bout de corrompre le domestique de confiance de ce capitaine, et le détermina à assassiner son maître. Platel ( c'étoit le nom du perfide ) en trouva plusieurs fois l'occasion, sans oser la saisir. Lesdiguières averti du complot, manda son domestique , et lui ordonna de s'armer. Il s'arma à son tour : « Puisque tu as promis de me tuer, dit-il à ce « malheureux , essaies maintenant de le faire , et ne « perds pas,par unelàchelé,larcputationdevaleurque « tu as acquise. » Platel confondu de tant de magnanimité , se jette aux pieds de son maître, qui lui pardonne et continue de s'en servir. On le blâma de cette conduite 5 on s'efforça de lui inspirer des alarmes : «Non, « non , répondit-il ; je suis tranquille : rien ne peut « m'intimider au sujet de Platel.Puisque ce valet a « été retenu par l'horreur du crime , il le sera plus « encore par la grandeur du bienfait. » 8.0lgiati,Yundes assassins de Galéas-Sforce, duc de Milan, ayant été arrête, fut condamné à périr dans les derniers supplices. Il brava ses juges ; et, riant de leur sentence, il monta sur l'échafaud avec l'intrépidité etlti calme d'un républicain qui vient de tuer un t.yran,et qui. meurtpourlahbertépublique.S'apercevantquelebourreaudétournoitlatêtc enle tourmentant : «Prends cou« rage , mon ami, lui dit-il d'un ton tranquille , et ne « crains point de me regarder : les peines que tu crois Tome III. T
TRANQUILLITÉ.
�29O
TRANQUILLITE.
« me faire souffrir , font toute ma consolation , quand « je me souviens que , si je les endure , c'est pour « avoir tué le tyran, et rendu la liberté à ma patrie. » g. Le chancelier Morus, ayant, refusé de reconnoître Henri VITI,xo\ d'Angleterre,pourchef de l'Eglise,fiit dépouillé de sa dignité, et jeté dans une prison. On lui enleva ses livres, son unique consolation, au milieu des horreurs qui l'environnoient; mais onneputlui enlever la tranquillité d'ame qui le soutenoit dans ses disgrâces. Ses amis tâchèrent de le gagner, en lui représentant qu'il ne devoit point être d'une autre opinion que le grand-conseiid'Ângleterre.(<J'aipoLU'moitoutel'lïglise, « répondit-il, qui est le grand-conseil des chrétiens. » Sa femme le conjurant d'obéir au roi, et de conserver sa vie pour la consolation de ses enfans : « Combien d'an« nées, lui dit-il, pense-tu que je puisse encore vivre ? « —Plus de vingt ans, répondit-elle.—Ah ! ma femme, « répliqua Morus , veux-tu donc que je change l'éter« nité avec vingt ans ? » Ayant été condamné à périr du dernier supplice , on vint lui dire que le roi avoit modéré l'arrêt de mort rendu contre lui , à la peine d'être seulement décapité. « Je prie Dieu , répondit« il, de préserver tous mes amis d'une semblable clé« mence ! » Il reçut la mort avec la tranquillité d'un chrétien , et le sang froid d'un philosophe. 10. S. Laurent, diacre de l'Eglise romaine,sous le pape Sixte II, adminislroit, en cette qualité, les biens del'Eglise.L'empereur Valérien ayantallumé le feude la persécution par un édit cruel, Sixte fut mis en croix: et, du haut de son gibet, il promit à Laurent, impatient de le suivre , qu'il recevroit, dans trois jours , la couronne du martyre. On l'arrêta bientôt après; et le préfet de Rome lui demanda, au nom de l'empereur, les trésors qui lui avoient été confiés. Laurent ayant obtenu un délai de trois jours, pendant lequel il assembla tous les pauvres chrétiens, il les présenta au préfet: «Voilà, « lui dit-il, tous les trésors de l'Eglise. » Ce barbare , outré de dépit, le fit étendre sur un gril ardent, après l'avoir fait déchirer à coups de fouet. Le héros chrétien , tranquille au milieu des flammes, dit à son tyran : «J'ai été assez long-temps sur ce côté, faites-moi
�TRANQUILLITE. 2g1 « retourner sur l'antre. » Le préfet, d'autant plus furieux que Laurent étoit plus intrépide, le fit retourner. « Mangez hardiment, » dit le généreux martyr à cet homme de sang, « et voyez si la chair deschré« tiens est meilleure rôtie que crue. » Il pria ensuite pour ses persécuteurs , pour ses bourreaux , pour la ville de Rome, et expira le 2 d'Août 258. Sa mort fit beaucoup de chrétiens. Un grand nombre de païens, touchés de sa constance , s'empressa d'embrasser la religion qui la lui avoit inspirée. 11. Charles V, roi de France, qui mérita par sa conduite le glorieux surnom de Sage, étant à l'extrémité, et voyant autour de son lit ses frères, ses médecins et sescourtisans fondant en larmes, les consola lui-même par ces dernières paroles : « Mes bons et loyaux amis, « rejouissez-vous 5 car, en briève heure, je serai hors « de vos mains : allez-vous-en ; priez pour moi, et « me laissez, afin que mon travail soit fini en paix. » 12. Les médecins ayant déc idé qu'il ne restoit plus que deux heures de vie au chancelier Brulart de Sillery, et pas un d'eux n'osant lui annoncer cette triste nouvelle , un vieux valet-de-chambre , qui avoit entendu leur consultation, se chargea de cette commission délicate. 11 s'approche du moribond : Monsieur, « lui dit-il, votre procès vient d'être jugé ; préparez« vous à la mort : vous n'avez plus que quelques « quarts d'heure à vivre. — Mon ami, répondit tran« quillement le chancelier, employons-les donc bien.». 13. Le maréchal de Tavannes vi t aussi, sans être ému, la mort s'approcher avec toutes ses horreurs.Quelqu'un le trouvant fort pensif, lui demanda s'il ne désireroit pas de revenir ensanté ? « Non, répondit-il ; j'ai eu beau« coup de peine à faire les deux tiers du chemin ; il « faucîroit recommencer si je guérissois : il est temps « de me reposer 5 je ne suis plus propre à la fatigue. » 14. Après une assez longue alternative de rechutes et d'intervalles d'une très-foible santé, M. Carré, célèbre académicien, tomba enfin dans un état où il fut le premier à prononcer son arrêt. Jamais on ne vit avec plus de calme les approches de la mort. Il dit à un, T 2
�2g2 TRANQTJILL I T É. prêlre qui, selon la pratique ordinaire, cherchoit des détours pour le préparer à descendre au tombeau : «U « y a long-temps, mon père, que la philosophie etlare« ligion m'ont appris à mourir. » U eut toute la fermeté que toutes deux ensemble peuvent donner : ilcomptoit tranquillement combien il lui restoit encore de jours à vivre; et enfin au dernier jour , combien d'heures. i5. Le comte de Guébriant, maréchal de France, faisoitle siège deRotwil,petite ville deSouabe.Il est blessé mortellement ; et, tandis qu'on le portait de la tranchée dans sa tente, il dit aux soldats alarmés : « Rassurez« vous, camarades, ma blessure estpeu de chose ; mais « j'appréhende qu'elle ne m'empêche de me trouver à « l'assaut que vous aller livrer. Je ne doute pas que « vous ne fassiez vaillamment comme je vous ai toujours « vu faire ; je me ferai rendre compte de ceux qui se se« ront distingués, et je reconnoîtrai les services qu'ils « auront rendus à la patrie dans une occasion si bril« lante. » Son capitaine des gardes, homme naturellement vif, se donnoit des mouvemens extraordinaires pour trouver un chirurgien. Guébriant l'appelle, et lui dit avec une tranquillité héroïque : «Allez plus doucc« ment, Gauville ; il ne faut jamais effrayer le soldat. » Les assiégés, ne voulant pas s'exposer à être emportés de vive force, prirent le parti de se rendre. Ce héros en rnourant se fit porter dans la place, et y expira tranquillement au milieu des soins qu'il se donnoit pour sou salut et pour la conservation de sa conquête. 16.. Un peu avant que madame ladauphine expirât, M. l'évêque de Meauxdit au roi Louis XIV, qui étoit dans sa chambre : « Il faudroit quevotre majesté se reti« rât. — Non, non, reprit le monarque, il est bon que je « voie comment meurent mes pareils. » Aussi ce grand prince sut-il profiter de ce spectacle si effrayant pour un cœur pusillanime. Ilvitapprocherla mortsanséprouTer le moindre trouble. « J'avois cru, dit-il à madame de « Maintenon dans ce moment terrible ; j'avois cru qu'il « étoitplus difficile de mourir. » Au milieu dessanglots de ses anciens et fidèles serviteurs, il conserva cette sérénité qu'on lui avoit vue aux jours de ses prospérités
�TRAVAIL.
2<!)3
sur son trône : il ne jeta pas même un œil de regret sur la vie. « Pourquoi pleurez-vous ? » dit-il à l'un de ses courtisans, que les larmes abondantes d'une douleur moins circonspecte lui firent remarquer ; « aviez«vous cru que les rois étoient immortels? » Il donna tranquillement ses ordres sur beaucoup de choses , et I même sur sa pompe funèbre : imitateur deLouisXIII, I qui dans sa dernière maladie, avoit mis en musique le I De profundis qu'on devoit chanter à ses funérailles. 17. Le célèbre maréchal de Saxe vit approcher le I dernier moment de sa brillante carrière avec ce phlegme, cette tranquillité, cette présence d'esprit qui le caractérisoient au milieu des combats , et qui déceloient la fermeté de 6a grande ame. Apercevant M. de Sênac, médecin du roi, qui venoit le visiter souvent de la part du monarque , pour sauver , s'il étoit possible, des jours si précieux à la France, il jeta sur lui un regard tranquille et tendre tout ensemble, et lui dit : « Mon ami ! me voilà donc à la fin d'un « beau rêve ; tel est le cours des grandeurs humaines : «ce ne sontque de beaux songes. » Voyez SANG FROID.
TRAVAIL. 1. UN solitaire étant allé trouver l'abbé Silvain qui demeuroit sur la montagne de Sinaï, et voyant les frères qui travailloient : « Quoi, leur dit-il, vous travail« lez ainsi pour une nourriture périssable ? Marie n'a« telle pas choisi la meilleure part? » Le saint vieillard, ayant appris le propos du solitaire, dit à Zacharie , son disciple : « Donnez un livre au frère pour Fentre« tenir, et menez-le dans une cellule où il n'y ait rien « à manger. » L'heure du repas étant venue, le voyageur s'attendoit à y être invité ; mais personne ne se montra : enfin, pressé par le besoin, il quitte la cellule, et vient trouver Silvain. « Mon père, les frères n'ont« ils pas mangé aujourd'hui ? — Pardonnez-moi. — Et « d'où vient donc ne m'avez-vous point fait appeler?— « Parce que vous êtes un homme tout spirituel, muni T 3
�2g4 TRAVAIL. « de la meilleure part ; et passant les journées entières « à lire, vous n'avez pas besoin de cette nourriture pé« rissable ; au lieu que nous, qui sommes charnels et « grossiers, nous ne pouvons pas nous passer de man« ger; et c'est ce qui nous oblige de travailler. » A ces mots, le solitaire reconnut son imprudence; il en eut du regret, et en demanda pardon à l'abbé, qui lui dit: « Je suis bien aise, mon frère, que vous sachiez que « Marie ne sauroit se passer de Marthe , et qu'ainsi « Marthe a part aux louanges qu'on donne à Marie. » 2. Jean-le~Nain,r>\ewL solitaire de Scété, dit un jour àson frère aîné : «Je voudrais bien être commelesanges « qui n'ont point, d'inquiétude, qui ne sont point obli« gés de travailler, et qui n'ont d'autre occupation que « celle de louer l'Eternel. » En même temps, il quitta son habit, et s'en alla dans le désert. Après y avoir passé une semaine , il vint retrouver son frère, qui, l'entendant frapper à la porte, lui dit : « Qui êtes-vous? — Je « suis Jean votre frère. — Jean n'est plus maintenant « avec les hommes ; il est devenu un ange ; » et il le laissa frapper toute la nuitsans vouloir lui ouvrir.Quand le jour fut venu, il lui ouvrit sa porte, et lui dit : « Si « vous êtes un ange, vous n'avez pas besoin de maper« mission pour entrer dans ma cellule; mais si vous « n'êt es qu'un homme, ne devez-vous pas travaillerpour « gagner votre vie ? Alors, reconnoissant sa faute, il se jeta aux pieds de son frère, et lui dit : «Pardonnez-moi, « je me suis abusé.» Depuis ce temps-là, il ne s'occupa plusquedutravaiietdelapratique des différentes vertus qui convenoient à unsolitaire. On luidemandoitce que c'éloit qu'un moine? « C'est un homme de travail, ou « plutôt le travail même , répondit-il, puisqu'il doit « s'exercer à toutes sortes de peines et de travaux. » 3. Quelques solitaires vinrent visiter l'abbé Lucius. « A quels ouvrages des mains vous occupez-vous, mes « frères ? leur demanda ce saint homme.—Nous netra« vaillons point ; mais nous prions sans cesse, suivant le « précepte de l'apôtre. — Mangez-vous? ■— Oui, sans « doute Etquiprie alors pour vous ?» A cette question,^ ne surent querépondre. «Ne dormez-vous point?
�290 « continua-t-iî.—-Oui, nous dormons.—Et quand vous « dormez, qui prie pour vous?» Autre demande aussi embarrassante que la première. «Pardonnez-moi,mes frères , si je vous avertis que vous ne faites pas ce que vous dites. Je veux vous faire voir comment , en travaillant des mains, je prie sans cesse. Demeurant assis depuis le matin jusqu'à une certaine heure, je trempe dans Peau quelques feuilles de palmier dont je fais des cordes ; et, durant ce temps, je prie en disant: Le travail est la pénitence que vous avez imposée à l'homme , ô mon Dieu ! Faites que je la remplisse avec zèle. Ayez pitié de moi, Seigneur , selon l'étendue de votre miséricorde, et daignez effacer tous mes péchés, selon la grandeur et la multitude de vos bontés. Quand mon travail est fini , je le vends : j'emploie une petite partie de ce qu'il me produitpour me nour? rir, et je donnefe reste aux pauvres,qui, par ce moyen , lorsque je mange ou que je Lois, demandent à Dieu pour moi, qu'il lui plaise de me pardonner mes péchés ; et, suppléant ainsi à ce qui manque à ma prière , ils la rendent continuelle. » 4-Le fameux Caton l'ancien avoitpour le travail et pour la vie rustique un amour singulier ; et toujours il s'y exerçoit avec l'application la plus grande. L'exemple d'un ancien Romain, dont la métairie étoit voisine de la sienne, lui servoit infiniment. (C'étoit Curius Dentatus, qui, trois fois, avoit reçu les honneurs du triomphe.) Caton alloit souvent s'y promener ; et, considérant la petitesse de cette terre , la pauvreté et la simplicité de la maison, il se sentait pénétre d'admiration pour cet illustre personnage, qui, étant devenu le plus grand des Romains , ayant vaincu les nations les pins belliqueuses, et chassé Pyrrhus de l'Italie, cultivoit lui-même ce petit coin de terre , et , après tant de triomphes , habitait encore une si chétive cabane. « C'est-là,disoit-il en lui-même ; c'est dans ce même lieu que les ambassadeurs des Samnites venoient le supplier d'accepter leur or , et que ce grand homme refusoit leurs présens , avec cette noblesse et cette grandeur d'ame qui né se trouvent que dans des cœurs héroïques. » Plein de ces pensées, Caton s'en retourTRAVAIL.
�296 . f RA V Aï tf _ noit chez lui ; et, faisant de nouveau la revue de sa maison , de ses champs , de ses esclaves et de toute sa dépense , il augmentait son ardeur pour le travail, et retranchent toute vaine superfluité. Quoique jeune encore,il faisoit lui-même l'admiration de tous ccuxqui ïecotirioïssoient. V~aldriusFlaccus,Ym\ des plus nobles et des plus puissans deRome ,avoit des terres contiguè's à la petite métairie de Caton.Yà, il entendoit souvent parler ses esclaves;, de la manière de vivre dé son voisin, et du travail qu'il faisoit aux champs. On lui racontait que, dès le matin, il alloit aux petites villes des enviions plaider et défendre les causes de ceux quis'adressoient à lui ; que de là il revenoit dans son champ, où jetant une méchante tunique sur ses épaules, si c'était en hiver, et presque nu, si c'étoiten élé,il travailloit avec ses domestiques ; et, après le travail, assis avec eux à table j il mangeoit du même pain etbuvoit du même vin. 5. Continuellement livré au travail, Arïstote mangeoit peu , et dormoit encore moins. On rapporte qu'afin de ne pas succomber à l'accablement du sommeil , il étendent hors du lit une main dans laquelle il tenoit une boule d'airain, pour que le bruit qu'elle feroit en tombant dans un bassin du même métal, le réveillât. 6. Jamais peut-être on ne se livra au travail avec plus d'ardeur que M. de Tschirnhaus, fameux mathématicien de l'académie des sciences. Tout était réglé chez lui ; tout tendoit vers cette passion , si capable de faire de grands hommes. En été , il faisoit ses expériences ; et il les mettait en ordre , ou en tiroit ses conséquences, ou enfin faisoit ses grandes recherches de' théorie, pendant l'hiver , qu'il trouvoit plus propre à la méditation. Sur la fin de l'automne, il donnoit quelques soins particuliers à sa santé , et faisoit une espèce de revue de ses forces corporelles , pour entrer dans cette saison destinée aux grands travaux de l'esprit. Il relisoit les compositions de l'hiver précédent , s'en rappeloit les idées , se faisoit renaître l'envie de les continuer ; et alors il commencoit à se retrancher le repas du soir , et à diminuer même un peu du dîner de jour en jour. Au lieu de souper , oit il lisoit sur les matières qu'il avoit dessein de traiter.
�TRAVAIL.
. 297
on il s'en entretenoit avec quelque ami savant. Il se couchoit à neuf heures , et se faisoit éveiller à deux heures après minuit: il se tenoit exactement,pendant quelque temps , dans la même situation où le réveil | J'avoit trouvé, ce qui l'empêchoit d'oublier le songe jqu'il faisoit en ce moment ; et si, comme il pouvoit 1 assez naturellement arriver, ce songe rouloit sur la ! matière dont il étoit rempli , il en avoit plus de facilité à la continuer. Il travailloit dans le silence et le repos de la nuit : il se rendormoit à six heures ; mais seulement jusqu'à sept , et reprenoit son travail. Il a dit qu'il n'a jamais fait de plus grands progrès dans les J sciences , qu'il n'a jamais senti son allure plus vigou■ reuse et plus rapide, que quand il a observé toutes ces pratiques avec le plus de régularité. On y pourra trouver un soin excessif de se ménager tous les avantages possibles ; mais toutes les grandes passions vont, à l'égard de leur objet, jusqu'à une espèce de superstition. Il lui arrivoit souvent, pendant la nuit, de voir une grande quantité d'étincelles très-brillantes , qui voltigeoient et jouoient en l'air. Quand il vouloit les regarder hxémcnt, elles disparoissoient ; mais quand il les négligeoit , non-seulement elles duroient presque autant que son application au travail, mais elles redoubloient d'éclat et de vivacité. Ensuite il parvint à les Voir en plein jour , lorsqu'il eut acquis un certain degré de facilité dans la méditation. Il les voyoit sur une muraille blanche, ou sur un papier qu'il avoit placé à côté de lui. Ces étincelles , visibles pour lui seul, éloient en même temps et un effet et une représentation des esprits de son cerveau , violemment agités. 7. Si un homme fort et en état de travailler , fait le métier de mendiant en Hollande , on le saisit, on le descend dans un puits profond, et on lâche un robinet. Si le pauvre ne pompoit pas sans relâche, il seroit bientôt noyé.Pendantque ce malheureux travaille,degraves Hollandais font des paris sur le bord du puits : l'un gage que cet homme est lâche et paresseux, et que l'eau va 1 ensevelir ; l'autre soutient le contraire. Enfin, après quelques heures, on tire le mendiant plus mort que vif, et on le renvoie avec celte utile leçon du travail.
�298
TRISTESSE.
TRISTESSE.
I."V^ARÏJS , capitaine imprudent et sans expérience, «'étant laissé surprendre parles Germains, fut vaincu, et se donna la mort de désespoir. Ses légions , l'élite des troupes de la république , furent taillées en pièces: les drapeaux et deux aigles romaines tombèrentaupouvoir du vainqueur.Lorsque la renommée eut répandu dans Rome la nouvelle de ce désastre , la douleur y fut générale ; la tristesse régna dans tous les coeurs. Auguste en donna l'exemple : non-seulement il prit le deuil, et laissa croître sa barbe et ses cheveux ; mais entrant encore dans des espèces de vertiges , il se heurtoit la tête contre les murailles , et s'écrioit souvent: « Varusl téméraire Varus ! rends-moi mes légions !» Cette affliction si légitime , puisqu'elle avoit la patrie pour objet, ne fut point passagère : tant qu'il vécut, le jour de la défaite de Varus fut pour lui tous les ans, un jour de tristesse et d'amertume. 2.Le philosophe Démonax ayant appris qu'un homme ne pouvoit se consoler de la mort de son fils, alla le trouver : «Mon ami,lui dit-il, jevous promets de ressusciter « votre fils, si vous pouvez me trouver seulement trois « hommes dont la maison ait toujours été exempte de « deuil. » Ce père affligé chercha vainement ; il n'en put pas même trouver un seul. «Pourquoi donc, reprit « alors le sage ; pourquoi vous tourmenter ainsi pour un « malheur qui vous est commun avec tant d'autres?» 3. La reine Blanche, mère de St. Louis , mourut lorsque ce prince étoit encore dans la Terre-Sainte. Le légat du pape , qui étoit auprès du monarque , en fut le premier instruit. Il connoissoit la tendresse du roi pour une mère si respectable : il crut devoir prendre des mesures , avant de lui annoncer une si affligeante nouvelle. Il se fait accompagner de l'archevêque de Tyr, va trouver le prince , lui demande une audience particulière , en présence de son garde des sceaux et de son confesseur.Le saint roi conn ut au visage du prélatqu'il avoitquelque chose defàcheux à lui apprendre ,et le mena dans sa chapelle. Alors le pontife lui
�2Q9 exposa les grandesobligationsqu'ilavoità Dieu, depuis son enfance , sur-tout de lui avoir donné une si bonne mère, qui Fa voit élevé si pieusement, et qui avoit gouverné son royaume avec tant de zèle et de prudence. «Hélas! sire, ajouta-t-il avec des sanglots et des larmes, « ellen'estplus, cette illustre reine: laniortvientdevous « l'enlever ! » On ne peut exprimer le sentiment de tristessedontle coeur de ce tendre fils futpénétré.Le premier mouvement de sa douleur lui lit jeter un grand cri, et verser un torrent de larmes ; mais revenu à lui dans le même instant, il se jette à genoux devant l'autel, et dit, en joignantlcs mains: «O mon Dieu! je vous rends grâces « de m'avoir conservé jusqu'ici une mère si digne de toute «monaffection. C'étoitun présent devotremiséricorde: «vous le reprenez comme votre bien; jen'aipoint à m'en «plaindre. Il est vrai que je l'aimois tendrement; mais, « puisqu'il vous plaît de me l'ôter, que votre saint nom « soit béni dans tous les siècles ! » Le légat fit ensuite la prière pourl'ame de la princesse ; et le monarque ayant témoigné qu'il vouloit être seul, les deux prélats se retirèrent etle laissèrent avec son confesseur. Dès qu'il se vit sans autre témoin que le dépositaire de ses plus secrètes pensées, il se prosterna de nouveau devantle crucifix, et demeura comme abîmé dans une profonde méditation. Puis, se levant tout-à-coup avec un visage plus serein, il passe dans son oratoire, toujours accompagné de son directeur, et récite avec lui tout l'office des morts, mais avec une telle attention, que le bon prêtre ne pouvoit assez admirerque, dans une affliction si récente et si vive, il ne lui fût échappé aucune méprise, tant la pensée de Dieu suspendoit en lui tout autre sentiment ! Depuis ce moment^ilfitdire chaque jour devantluiunemessebasse pourl'ame de cette merebien-aimée. Deuxjours sepasserentsans qu'il voulûtvoir personne. Ce terme, expiré, il fit appeler le sire de Joinville, sénéchal de Champagne, son confident, etlui dit en l'apercevant: «Ah ! sénéchal, « j'ai perdu ma mère ! — Sire, répondit le bon chevalier, « je n'en suis point surpris, vous savez qu'elle étoit mor« telle ; mais ce qui m'étonne, c'est la tristesse excessive « d'un prince qui es t en si bonne réputation de sagesse.»
TRISTESSE.
�3ôo
VALEUR.
VALEUR. i. Au combat de Minorque , en 1706, un eanonnier ayant eu le bras droit emporté , dans le moment qu'il alloit faire feu, ramasse la mèche de la main gauche, se poste de nouveau à soncanon, etdit, enfaisantfeu: «Ces « gens-là croyoient donc que je n'avois qu'un bras? » 2. Pendant la guerre civile de César et de Pompée, un centurion del'arméede César, appelé Scéva, se distingua par une des plus belles défenses dont l'histoire fasse mention. SongéncralétoitdevantDyrrachium. Pompée étant accouru pour sauver cette ville, César l'enferma dans des lignes qu'il fit élever autour de son camp. Dans un des combats qui selivrèrentautourde ceslignes, Scéva , chargé de garder une des portes d'un fort, y arrêta les ennemis, quoique blessé à la tête, ayantl'épaule et la cuisse percées , et un œil crevé. Dans cet état, il appela un centurion du parti contraire], commepourse rendre: celui-cis'étantapproché sans précaution, Scév a lui passa son épée au travers du corps. A près le combat, on montra à César le bouclier de Scéva, percé en deux cent trente endroits. César, pour récompenser la valeur de ce brave officier , lui accorda une pension de six mille deux cents livres , et le fît monter tout d'un coup du huitième grade entre les capitaines du premier. 3. A la bataille de Thapsus, en Afrique, où Scipion et Juba furent vaincus par César, un éléphant blessé et furieux se jeta sur un malheureux valet d'armée; et, le tenant sous un pied , lui appuyant le genou sur le venfre, l'écrasant de tout le poids de son corps , il le maltraitoit, etachevoit de le tuer à coups redoublés de sa trompe. Un soldat vétéran, indigné à la vue de cet affreux spectacle , courut à l'éléphant les armes à la main. Aussi tôt l'animal guerrier laisse le cadavre, saisit le soldat de sa trompe dont il l'enveloppe , et l'élève en l'air tout armé. Dans un si pressant danger, le soldat rappelle tout son courage , et se met à frapper sur la trompe de l'éléphant, avec l'épée qu'il avoit à la main.
�V A L E V R.
La douleur force l'animal de lâcher prise. Il jet ennemi par terre, et court avec de grands cris rejo la troupe des autres éléphans. Depuis ce temps-1 cinquième légion , dont étoit ce soldat valeureu Iporta un éléphant dans ses enseignes. 4-Les catholiques, commandés par le duc d'Anjou, assiégeoient la Rochelle, en i5y3.11 y avoit près de la (contrescarpe un moulin nommé lafiraude, dontiVbr» |77tan^, capitaine, avoi t obtenu la propriété, sous condiItion qu'il le feroit garder. Il songea d'abord à le fortifier ; |mais,voyantqu'ilneparviendroitpasà le mettre en état 'de défense,il se contenta d'y tenir durant le jour, quelques soldats qui se retirantle soir, n'y laissoientqu'une sentinelle. Strozzi,xm des générauxcatholiques.qui crut pouvoir tirer avantage de ce moulin, profita d'un clair delunepourl'attaqueravec un détachement etdeuxcouleuvrines.Unsoldatnommé2?«rZio£,uniquedéfenseurde ce mauvais poste,y tintferme.il tiroit avec une incroyable célérité plusieurs coups d'arquebuse sur les assaillans; et, en variant lesinflexioisde sa voix, il faisoit croire qu'il avoit un assez grand nombre de camarades. Le capitaineiVbr/rian^l'encourageoitduhaut d'un cavalier; et, lui parlant comme s'il avoit une compagnie entière dans le moulin, il crioitqu'on soutînt bravement l'attaque; qu'on alloit envoyer dureniort.Barbot, se voyant sur le point d'être forcé, demande quartier pour lui et pour les siens: onle lui accorde. Aussitôt ilmetles armes bas, et montre toute la garnison dans sa personne. 5.Pendantque le roi Jean languissoit à Londres dans une triste prison, ses sujets opposoient aux efforts des Anglais un courage invincible. Jamais on ne vit en France tant d'héroïsme que dans ce siècle malheureux. On admira, dans de simples paysans, des exemples de valeur , des actions de courage, qu'on trouve à peine dans la vie des plus célèbres capitaines. Environ deux cents villageois s'étoient renfermés dans Longueil , bourg situé vis-à-vis S. Corneille de Compiègne, déterminés à le défendre jusqu'à la dernière extrémité. Us avoient élu pour général un d'entre eux , appelé Guillaume Lalouette. Une compagnie anglaise , qui occupoit le château de Crcil, croyant défaire sanspei-
�302 VALEUR. ne cette poignée de rustres, vint les attaquer. Les ennemis entrèrent, en effet, sans presque trouver d'autre obstacle que le chef avec quelques-uns des plus résolus. Dès le commencement du combat, Guillaume LalloueUetomhe mort, percé de coups.Il avoit avec lui un valet de ferme, appelé le Grand-Ferré .Ce généreux domestique , ému par la vue de son maître expirant, s'attendritjverse des larmes et devient Tin autre homme. Il ranime ses camarades ;se met à leur tête ;saisit une hache ; tombe sur les Anglais, en tuedixdès le premier choc ; met le reste en fuite , les chasse hors du bouig ; les poursuit ; ouvre leurs rangs ; arrache leur drapeau , etles dissipe entièrement.Non content de cespremiers exploits, il dit à l'un des siens, d'aller jeter le drapeau des ennemis dans le fossé. Celui-ci refuse , parce qu'un gros d'Anglais coupoit le passage qui pouvoit seul y conduire.IjeGrand-FerréseiaÀt suivre par sonhomme, attaque seul les ennemis,les renverse , s'ouvre le chemin, jette le drapeau dans le fossé, revient au combat, et ne cesse de frapper qu'après avoir tué quarante ennemis de sa propre main etmis le reste en fuite. Quelques jours après, il remporta un semblable triomphe ;mais, ayant bu de l'eau froide après sa victoire, ce Samson moderne tomba dangereusement malade, et fut obligé de retourner à son village, nommé Rochecourt, voisin de Longueil. Les Anglais en furent instruits. Douze d'entre eux entreprennent de le surprendre dans son lit.La femme du malade les aperçoit, et court apprendre à son mari le danger qui le menace. A cette nouvelle , le gu errier saute de son lit, s'arme de sa hache , vole dans sa cour , fond sur l'ennemi , malgré leur nombre et sa foiblesse ; en immole cinq, et fait disparoître les autres. Cette dernière victoire redoubla son maf Il se mit au lit, demanda les sacremens, et mourut en chrétien , après avoir combattu en héros. 6. A la célèbre bataille de Salamine, personne , du côté desPerses,ne s'acquit plus de gloire quelafameuse Artémise, reine d'Halycarnasse.Ëlle se signala par des efforts incroyables de hardiesse; en sorte queXei^xès, la voyant ainsi combattre, s'écria que dans cette journée les hommes avoient paru des femmes,et que les femmes
�VALEUR. 3o3 avoientmontré un courage de héros. Les A théniens indi" gnés de ce qu'une femme avoitosa venir porter les armes contre eux, avoient promis dix mi lie drachmes de récompenseà quiconque Ja pourroit prendre en vie ; mais l'adroite guerrière échappa à leur vive poursuite. Un vaisseau athénien la serroit de près : il paroissoit qu'elle ne pouvoit plus éviter de se rendre ; en ce moment, elle arbore le pavillon grec, et attaque un vaisseau des Perses, monté par Damasithymus, roi de Calynde, avec qui elle avoit eu une querelle, et le coule à fond ; ce qui fit croire à ceux qui la pressoient que son vaisseau étoitdu parti des Grecs-, et ils ne songèrent plus à l'attaquer. Au reste, si cette princesse eût été prise, ellen'auroit mérité que d'être comblée de louanges et d'honneurs. i 7. Les G aulois, après avoir mis en cendres la ville de Rome,tenoient assiégés.depuis quelqu e tempsjlesrestes desRomains, qui s'étoient réfugiés dans leCapitolé. A forcederôderautour de cette forteresse, ilsreconnurent une route nouvellementfrayéc, par où ils crurent pouvoir y monter. Ils choisirent une nuit pour exécuter ce dessein:leur marche ne fut ni aperçue des sentinelles qui vieilloientsur la citadelle, ni sentie par les chiens que le moindre bruit éveille. Déjà ils avoient gagné le pied des remparts, et s'étoient mis en ordre debalaille pour tenter l'escalade ; mais ce qui avoit trompé la sagacité des chiens, ne trompa point la vigilance des oies. On en élevoitune troupe dans une cour du Capitole,en l'honneur de Junon et de son temple. Dans la disette où l'on étoit des vivres, on avoit épargné les jours de ces animaux par un motif de religion ; mais on les nourrissoit avec plus d'économie. Naturellement, ces oiseaux ont l'ouïe fine; mais la faim les rendoit alors plus attentifs. Ils enteiidirentquelquebrnit;etd'abord, par leurs cris etle hattementde leurs ailes,ils éveiIlèrentM2«Zz'«j,vaillant guerrier, et qui, trois ans auparavant, avoit été consul. 11 fait sonner l'alarme, et court sur lerempart. A son arrivée, il trouve deuxGauloisdéjà montéssurla muraille: un d'eux lève sa hache d'arme pour l'en frapper; mais le Romain lui abat le bras droi t d'un coup de sabre : il pousse rudement deson bouclier l'autre Gaulois/etle fait tomber du haut de la muraille; ce Gaulois, en tombant, en-
�5o4 VALEUR. traîne la plupart de ses compagnons. Ceux des ennemis qui se tenoient accrochés au faîte de la muraille parle inaiiiS)SontpercésparFinfatigableiWi2«ZzW.Enfinlesf mains,quis'attroupent,chassentleurs agresseurs àcoupsl de pierres et de dards, e t préservent la citadelle du dernier malheur.Chez lesRomains, jamais une action louable n'étoit sans récompense. Le lendemain, les troupes s'assemblèrent pour distribuerles prix militaires à ceiri qui, la veille, en avoient mérité. Manliusint nommé le prcmier.Pourreconnoîtrel'importautservicequ'ilvejioil de rendre, chacun se retrancha une partie de froment qu'il recevoit du public, avec épargne; e t une mesure de vin d'environ cinq onces, pour les céder au vengeur, an libérateur, au sauveur de la patrie; présent peu considérable aux yeux de la cupidité , mais grand et noble dans cette circonstance, parce qu'il honoroit la valeur, 8. Le consul Attilius, s'étant engagé dans un vallon dominé par une hauteur, sur laquelle les ennemis étoienl postés, se vit à la veille dépérir avec ses troupes. Maisli valeur intrépide de CalpurniusFlamma, tribun légionnaire, le sauva de ce danger, avec toute l'armée. Ce brave guerrier , suivi de trois cents hommes que soi courage anime, marche à l'ennemi; et, s'étant empare d'une hauteur voisine : «Allons, camarades, dit-il aui n héros qui le secondent, mourons ; et par notre mort « délivrons les légions et le consul. » Il dit, et par ses cris il attire l'ennemi de son côté. On l'attaque : ses guerriers se défendent avec une bravoure plus qu'humaine. Plus d'une fois les assaillans reculent; mais enfin les généreux Romains succombent sous l'effort du graiid nombre , pendant que le consul se retire avec! l'armée que l'ennemi n'ose insulter. On trouva Calpurnius au milieu d'un tas de corps morts, tant des ennemis que des siens , parmi lesquels seul il respiroil encore. Il étoit couvert de blessures , mais dont heureusement aucune n'étoit mortelle. On l'enlève, on le panse , on en prend un soin infini ; et parfaitement guéri, il rendit encore long-temps d'utiles services à sa patrie. Une couronne de gazon fut toute la récompense de ce héros, qui fut très-sensible à cet honneur.1
\4
�3o5 Q> Dans la dernière guerre que les Romains eurent h outenir contre Tarquinet contre lesLatinsquivoxdoient e rétablir, un jeune patricien, nommé Caïus Marcius, oyant un de ses compatriotes en danger de périr, vole à son secours, écarte, renverse tout ce qui s'oppose à sa bravoure, ettue l'ennemi qui pressoit le citoyen romain, rfut aussitôt honoré , par le dictateur, de la couronne •ivique, et obtint, à la fleur de son âge, une distinction «lorieuse, que les plus anciens guerriers acquéroient •arement. Ce premier succès ne fit qu'aiguillonncrson courage. Au siège de Corioles, il monta lepremiersurles remparts; repoussa les ennemis qui s'erapressoient de résister à ses efforts, et ne cessa de combattre qu'après que les Romains se furentrendus maître de layille. Cette valeur héroïque Ini fit donner le surnom de Coriolan : ç'estceRomam fameux par l'inflexibilité de son caractère, et la fierté de son ame. Quelque temps après, ilsedistinguabeaucoup' dans un combat contre lesVolsques : le consulluifit présent d'un très-beaucheval,etluidestina la part la plus considérable du butin. WlnisCoriolan, s'avancant au milieu des soldats, réponditgénéreusement: «Je suis sensible aux éloges dontm'honore le consul, et « je reçois le cheval dont il veut bien gratifier mon cou« rage. Le reste me paroit plutôt le salaire d'un merce« naire, que la récompense d'un homme de coeur. Je ne « demande seulement que la liberté d'unVolsque,mon « ami et mon hôte, que j'ai reconnu parmi les prison« niers.» Après avoir vaincu les Volsques,il poursuivoit avec ardeur les fuyards ; et, comme on lui représentait qu'il devoitplutôt retourner au camp pour s'y reposer de ses fatigues : «Un vainqueur, dit-il, n'est jamais fatigué ; » et il continua de poursuivre l'ennemi, ja douceur delà victoire suspendant en lui tout autre sentiment. îo.Le duc de TSour gagne,Charles-le-Hardi, pour assouvir lahainequ'ilportoit àLoww A"J, ne cessoitdefaire a ce prince une guerre cruelle. Après avoir porté dans tous les lieux de son passage le ravage et la mort,ilse jeta sur la vfllede Beauvais,qu'ilcroyoit emporterdès lapremière attaque, pour aller de là se rendre maître de la capitale. Mais il vit alors combien la valeur française est Tome III. V
VALEUR-
�3o6 VALEUR. redoutable, quand elle combat pour la défense de ses foyers et pour le salut de son souverain. Les bourgeois, animés d'un zèle héroïque,abandonnent leurs faubourgs etse renferment dans la cité, opposantauxcoupsdel'ennemi le rempart de leurs corps. Les filles, les femmes, transportées d'une émulation magnanime, disputent à leurs pères, à leurs époux, la gloire de sauver la patrie. Souslesauspicesd'unehéroïneappeléeJean7zeI/acAe«e, elles volent sur les endroits de la muraille, qui étaient dépourvus de défenseurs : elles renversent les échelles ; ellesprécipitentles audacieux qui déjà s'emparoient des fortifications. Jeanne Fouquet, l'une de ces amazones françaises-, arrache un étendard des mains de l'ennemi, et le porte en triomphe par les rues de laville, à la tête de ses braves compagnes. On les comble d'éloges, on exalte leur intrépidité; et le courage des citoyens s'enflamme de plus en plus, à la vue de ces guerrières formidables. En vain les Bourguignons multiplient leurs assauts; en vainleur artillerie foudroie jour et nuit la place: leurs efforts réitérés ne servent qu'à déceler leur faiblesse. Charles avoit beaucoup d'hommes dans son armée; mais les guerriers étoient dans Beauvais. Il fut obligé d'en lever le siège, après avoir perdu la moitié de ses troupes. La résistance des citoyens de Beauvais sauva Paris, et peut-être tout le royaume , dont une grande partie du moins eût subi le sort de la capitale. Louis Xlrécom pensa dignement leur bravoure, en leur exemptant de toute espèce d'impôts,en leurlaissantune entière liberté dans l'élection de leurs officiers municipaux, et en leur accordant tous les privilèges de la noblesse. Comme les femmes s'étoient signalées autant que les hommes danscesiége mémorable, illes distingua de même par ses bienfaits. Il ordonna que, dans une fête qui se célébreroittous les ans en l'honneur de sainte Angadresme , dont on avoit porté les reliques sur les remparts , les femmes, soit à la procession, soit à l'offrande , auroient le pas sur les hommes, et même sur le corps-de-ville. Enfin, pour prouver encore mieux sa satisfaction , le monarque écrivit à Duplessis-Bouné, intendant-général des financés, cette lettre flatteuse: « M. Duplessis,n\on ami, je vous écris que j'ai fait vœu
�V A L E TT IV.
, OOr
'«'dé ne manger point de chair jusqu'à ce que le voeu r/t que j'aifaitd'envoyerdouze cents écus pour deux cents « marcs d'argent que j'ai ordonnés pour faire une ville << de Beauvais -, eh remembrance de ce que Dieu m'a « donné cette ville, soit accompli ; et pour ce, jë vous « prie, tant que je le puis , que vous faites incontinent « délivrer par Briçontiet lesdits douze cents écus, et en « faites faire une ville, et envoyez un homme bien sûr; « mais sur-tout qu'il n'y ait point de faute ; car s'il y k avoit difficulté , mon vœu ne seroit pas accompli.» C'est ainsi que l'on fait.éclore les héros. n. Que île peut point la Valeur, même dans le sexe le plus foible ? En 1378 > les Anglais, sous la conduite du capitaine Tinet, guerrier intrépide, se présentent devant Alfùrb, ville de la Navarre. La place, que sa garnison avoit abandonnée/offroit, ce semble, une conquête facile. Déjà les assaillans se flattoicnt d'un riche butina Ils s'approchent. Quelle est leur surprise de trouver les portes fermées, et les remparts remplis d'une armée d'amazones, qui, au défaut de leurs époux, avôient pris soin de défendre leur patrie ! Leur contenance fière et courageuse intimide les ennemis ; et le général anglais , frappé comme d'un coup de foudre en voyant l'ordonnance guerrière de ces héroïnes , s'écrie , en courant à toute bride : « Voilà de braves femmes ! « Retournons en arrière : nous n'avons rien fait. » i2.Ausiégê de Sigethjentrepris sousles ordresde Solimanll, un des officiers qui défendoient la place, certain de périr sur le rempart, prit lacruefle résolution de tuer sa femme , de peur qu'elle ne fût déshonorée en tombant sous la puissance des vainqueurs. Cette jeune épouse, moins attachée à la vie qu'à sonmarijuifit des reproches sur la mauvaise opinion qu'il avoit de son courage, et l'assura qu'elle vouloit l'accompagner à la gloire ou au tombeau. Elle prend un de ses habits, un cheval et des armes, et se mêle parmi les officiers. Les Turcs dressent leurs échelles , et font des efforts pour se rendre maîtres des fortifications. Les assiégés les répoussent pardes prodiges des valeur; mais aucun.d'eux ne montretantdebravoureque cette généreuse héroïne.
�3o8 VALEUR* Sans cesse à côté de son mari, elle renversoit tout ce qui se présentoit devant elle.L'omc.ier,couvert de blessures , sentoit ranimer ses forces et son courage en la voyant agir pour écarter la mort qu'elle envoyoit aux infidelles.Enfin, elle est percée deflèches et javelots qui la mettent hors d'état de se soutenir. Elle se traîne avec peine sur le corps de son époux déjà terrassé ; elle se jette entre ses bras ; elle recueille ses derniers soupirs , et les rend elle-même un moment après. i3. Un aventurier anglais, nommé Felleton, voulant signaler sa valeur par quelque exploit remarquable , vint, pendant la nuit obscure, escalader le château de Pontorson, en Basse-Normandie. Bertrand du Guesclin, qui y commandait, étoit absent. L'officier anglais s'étoit ménagé une intelligence secrète avecdeuxchambrières de la dame du Guesclin, qui demeuroit dans la place avec Julienne du Guesclin, religieuse, sœur de son mari, et tante de Bertrand. Il s'approche : tout le monde étoit plongé dans un profond sommeil. Il donne aux perfides suivantes le signal convenu. Déjà il avoit dressé quinze échelles contre les murs de la tour,lorsque la dame du Guesclin, qui, dans le moment, revoit qu'on surprenoit le château , ou, pour mieux dire, à demi-réveillée par le bruit des ennemis qui montoient à la hâte, s'écrie qu'on attaque la place. Julienne du Guesclin, qui couchoit avec elle, se jette hors du lit; et cette intrépide religieuse, comme ressentant la race dont elle étoit, prend la première armure qu'elle trouve , monte sur le haut de la tour, et voyant les échelles dont les Anglais n'avoient par encore gagné les derniers échelons, elle les renverse par terre, en criant alarme ! pour appeler la garnison à la défense du château. Felleton , se voyant découvert , prend le parti 'de la retraite ; mais malheureusement il rencontre du Guesclin qui le fait prisonnier. On apprit de lui la trahison des deux chambrières ; et la rivière qui coule aux pieds de la forteresse , offrit à ces deux misérables un tombeau digne de leur perfidie. i4- Côme de Médicis, duc de Toscane, vouloitprendresurles Français la ville de Sienne.Il faitinveslir cetle place par sonarméejetlebraveilibrafZacladéfenddurant
�v A L E v n. 3og huit mois avec un courage et une constance héroïques. Les citoyens, épuisés par une si longue résistance, demandent à capituler , et viennent supplier le capitaine irançais de signer les conditions favorables qu'on leur propose. « La république, dit-il, vient de conclure un « traité avantageux : je me retire , pour qu'elle en re« cueille le fruit 5 mais moi et mes compagnons , nous « prétendons ne devoir notre salut qu'à nos épées, si « l'on est assez hardi pour troubler notre retraite. » 15. Les Normands assiégeoient Paris; eteesbrigands, la terreur de leur siècle, donnoient assaut sur assaut, et faisoient jouer tous les instrumens de guerre pour emporter cette capitale.Mais le courage des citoyens étoit invincible ; et jamais la valeur ne fit tant de prodiges. L'évêque Gauzelin conduisoitlui-même son troupeau au combat. Le casque en tête, un carquois sur le dos, une hache à la ceinture,ce hérossacré combattoitsurlabrêche, à la vue d'une croix qu'il avoit plantée sur le rempart. L'abbé Ebole, son neveu, secondoit sa bravoure, etpartageoitavecluile mérite si doux de défendre la patrie.Cet intrépide ecclésiastique voit tomber son oncle à ses côtés : ce spectacle, qui lui fend le cœur,ranime sa vengeance.La nature l'avoit doué d'une force extraordinaire.Il court à la brèche, armé d'un javelot assezsemblable à une broche : il en perce les Normands, et crie à ses compatriotes : «Portez ceux-ci à la cuisine, ils sont « tout embrochés ! » Cependant les ennemis formoient une nouvelle attaque générale. Déjà leurs échelles étoientplantées;déjà les soldats montoientsurlesmurailles, eterioient victoire /Aussitôtun guerrier d'une taille médiocre,mais d'un cœur de héros, appelé Gerbault., suivi seulement de cinq hommes aussi braves que lui, s'avance, tue les premiers qu'il rencontre , renversé les autres , arrache les échelles , et délivre la ville. 16. Le fameux Bélisaire étoit assiégé dans Rome par une armée nombreuse de Gofhs; etcegrand capitaine , pour repousser les Barbares, faisoitdessorties fréquentes , etlivroitpresque tous les jours de sanglantes batailles.Dans un de ces comba ts, un cavalier massagè le,nom mé Ghorsamante,garde du général romain,poursuivit seul un corps de soixante-dix cavaliers, qu'il mit d'abord
�3lO
VALEUR.
en fuite.Mais les Goths s'apercevant qu'il approchoitde leur camp, se rallièrent, et vinrent sur lui.11 tue le plus hardi, charge les autres , et les met une seconde fois en déroute, ne cessant de les combattre qu'après les avoir vus rentrer dans leurs retranchemens. Plus valeureux queprudent,£'AoAçam<z«£erevientàRome,où il est, reçu avec de grands acclamations.Quelque temps après,ayant été blessé dans une rencontre, il jura de s'en venger, et tint parole. Il sortit seul, et courut vers le camp des Goths. Ceux-ci le prirent d'abord pour un transfuge. Mais lorsqu'ils le virent tirer sur eux , vingt cavaliers sortirent pour le mettre en pièces.11 les soutint avec une audace intrépide, et les lit même reculer. Maisbientôt environné de tout es parts, furieux à l'aspect du péril, et toujoursplusredoutableà mesureque croissoit le nombre des ennemis,il tombapercé de coups surun monceau d'hommes et de chevaux qu'il avoit immolés à sa valeur. La bravoure de Chorsainante piqua l'émulation des capitaines barbares , alliés des Romains. Tarnat, l'un d'eux, étant resté presqueseul sur le champ debataille, fut assailli par une foule d'ennemis.Mais, armé de deux javelots , et combattant des deux mains , il ne cessoit d'abattre à ses pieds tous ceux qui l'approchoient.Enfm, percé de coups, il étoit près de tomber en défaillance , lorsqu'il vit accourir son frère, chef des Isaures, qui se jeta entre lui et les ennemis, avec un corps de cavalerie. Ranimé par ce secours inespéré, il reprit assez de force pour regagner Rome en courant à toute bride , et toujours armé de ses deux javelots. 11 ne survécut que deux jours à cet étonnant effort de courage. 17.Souvent il nefautqu'un traitde valeurpour dissiper de nombreuxbatâillons,et terminer des guerres longues etsangiantes.L'empereur ConstantII, elGrimoald,voï des Lombards, combattoient depuis plusieurs années, l'un pour se maintenir dans la possession de l'Italie , ] autre pour affeemir ses conquêtes. Les deux années, étoient en présence, et altendoient le signal, pour décider cette grande querelle.Un Lombard, nommé i/icelong , qui portpit la lance du roi, ne put modérer l'ardeur qu'il avoit de combattre : il sort des rangs, s'élance sur les Grecs, tombe sur un cavalier, etleperce
�3l I avec tant de furie, qu'il l'enlève de dessus son cheval, et le jettant par dessus sa tête, le fait tomber mort derrière lui. Ce Irait surprenant de bravoure frappa tellement les guerriers de l'em pereur, qu'ils prirent la fuitej et abandonnèrent une victoire complette à l'ennemi. 18. A la bataille de Ravenne, livrée aux Espagnols le 11 d'avril i5i2, sous les ordres de Gaston de Foix, duc de Nemours , les.Français et les Allemands confédérés ne pouvoient entamer l'infanterie espagnole , parce qu'elle présentait un front bordé de lances , qu 'il étoit impossible de rompre. Cependant la victoire en dépendoit.Un officier allemand nommé Fabien, homme d'une force et d'une grandeur extraordinaires , saute au milieu des ennemis , et prenant en travers une longue pique dont il étoit armé , la baisse avec tant de violence sur celles des Espagnols , qu'il ouvre un passage à ceux qui le suivent. Les Français et le Allemands pénètrent par cette brèche , tuent, écartent, renversent , dissipent tout ce qui s'oppose à leur courage , et remportent une victoire complette. ig. Chilpéi-ic II, roi de France ,. et Charles-Martel qui vouloit le détrôner, se faisoient la guerre. Leurs armées étaient en présence.. Un des soldats,de Charles s'offre d'attaquer seul les royalistes , et promet de les mettre en fuite. Le duc d'Austrasie y consent. Le guerrier part; et, d'un air intrépide •qui sembloit présager la victoire, il marche droit aux Neustriens qu'il trouve sans sentinelles., sans armes ,. sans défiance et sans crainte. Aussitôt il met l'épée à la main , criant d'une voix terrible : « Fuyez ! voici Charles avec ses troupes !» et perce tous ceux qu'il rencontre. L'épouvante se répand dans tous les cœurs , et Charles, témoin de la consternation , fond sur ces gens effrayés , le met en fuite , et achève le triomphe de son soldat. 20. Zéiri, le Cyrus des Arabes d'Afrique, et qui, comme ce conquérant, avoit commencé par commander à des enfans avant de cemmander à des hommes y avoit bâti une ville pour servir de boulevard à ses États.. Ses voisins ne virent point sans jalousie cette nouvellecité , et bientôt ils se réunirent, pour la renverser.. Us.
V ALÏ U Vk.
V 4
�3r2 VALEUR, étoient commandés par Kémat-Ben-Médin , chef d'une des principales tribus arabes. Zéiri signala son courage par des prodiges , et sa rare valeur étoit secondée par celle d'un de ses fils , appelé Kétab. Comme il connoissoit l'audace intrépide de ce jeune prince, il lui défendit de sortir de la place , et de marcher contre l'ennemi. Mais rien ne put arrêter l'ardeur de ce guerrier à peine adolescent. Il se dérobe à la vigilance paternelle, fait une sortie à la tête des plus braves de la garnison , et tombe sur Kémat qui animoit ses troupes au combat. Le coup qu'il lui porte est si violent, qu'il le terrasse , et lui trancha la tête. Les assiégans, voyant leur général expirer , poussent un cri de douleur , et prennent la fuite. Kétab , après cette prompte victoire , rentre dans la ville , et va trouver son père , lui portant dans son triomphe une excuse de sa désobéissance. 21. Après avoir conquis les Indes , Alexandre vint assiéger la capitale du pays des Oxydraques. Par son ordre , on plante les échelles contre la muraille de la place : il monte le premier à l'assaut couvert de son bouclier, et arrive sur le haut du mur. On se hâte pour le soutenir ; mais les échelles se brisent, et le monarque demeure sans secours. Alors , ne consultant que son intrépide courage , il saute dans la place, tombe heureusement sur ses pieds, et l'épée à la main, il écarte tout ce qui s'offre à ses coups , tue le chef des ennemis qui alloit le percer ; puis, s'appu3rant contre un gros arbre . il pare avec son bouclier tous les traits qu'on lui lance. Personne n'osoit l'approcher. Le feu de ses yeux , sa contenance fière et terrible , toute sa personne inti midoit les plus hardis. Enfin, un Indien décoche une longue flèche qui lui entre bien avant, un peu au dessus du côté droit. Il en sort une si grande quantité de sang, qu'il tombe et reste évanoui. L'Indien accourt plein de joie pour le dépouiller ; mais le roi, réveillé par l'attouchement de cette homme, lui plonge son épée dans le corps , et punit l'audacieux. Aussitôt des officiers qui avoient fait mille efforts pour le secourir, arrivent, lui font un rempart de leurs corps, chassent les Barbares , et prennent la fuite. 22. Oçtc.jc, surnommé César-Auguste, ayantdétruit
�3i3 tous ses rivaux, résolut d'agrandir l'empire dontils'étoil rendu maître. Les Japodes, peuples d'IUyric, faisoient, depuis trois ans, la guerre aux Romains. Auguste marche contre eux, et vient assiéger leur ville capitale, appelée Métuléum. La place paroissoit imprenable ; là nature et l'art l'avoient fortifiée de concert. Les Barbares se défendoientavec un courage plus qu'humain. Cependant on. emporte le rempart après quelques jours d'attaque. Mais les Japodes, sans se déconcerter, construisent en une seule nuit, un nouveau mur, etforment une seconde enceinte qui contraint Octave de recommencer ses travaux. Ce prince , dont la valeur croissoit avec les obstacles, élève des terrasses, dresse des tours du haut desquelles on devoit jeter sur le mur des ennemis quatre ponts volans à la fois. Cette manœuvre fut exécu tée avec trop de précipitation. Trois des ponts sê rompirent. Pessonne n'osoit avancer sur le quatrième. Auguste, qui, du haut d'une tour, combinoit les évolutions de ses guerriers , remarque leur irrésolution, descend en hâte, presse, exhorte, conjure ses soldats intimidés , mais sans succès. Enfin, pour réveiller leur courage consterné, il donne l'exemple : il monte luimême sur le pont, et marche contre la muraille, tenant son bouclier devant lui. On s'empresse de le suivre; la crainte disparoît, l'audace lui succède, officiers et soldats, tous veulent accompagner le prince. En un moment , la foule devient si grande, que le pont succombe sous le fardeau, et se rompt comme les trois premiers. Plusieurs furent tués ; tin grand nombre furent blessés; Auguste eut la jambe droite toute froissée, et les deux bras considérablement offensés. Néanmoins se soutenant contre un accident sifâcheux par sa fermeté d'ame, il remonte sur-le-champ au haut delà tour, se montre aux siens, ranime leur audace, et prend la ville. 23. LésRomainsétantentrésdanslaPersepourhumilier cette nation rivale, formèrent le siège de Béjude, château situé surunroc escarpé, etdéfendu parunetour avancée, construite depierres aussi duresquele diamant. Laplaceparoissoitimprenable. Onattaque, on emporte la tour ; on donne l'assaut au corps de la citadelle, et la valeurpresquemiraciileused'unsoldatjappéléi'o/jeVzW,
VALÏUI.
�5l4
VALEUR.
y fait arborer l'aigle romaine. Cet intrépide.guerrier s'avance jusqu'au pied de la muraille, brave les traits ées assiégés 5 puis enfonçant des coins aigus les uns audessus des autres , entre les jointures des pierres , el s'accrochant avec les mains aux inégalités du mur, il vient à bout de monter aux créneaux. Il y touchoit, lorsqu'un Perse roulant sur lui une pierre énorme, le précipite du haut en bas. Il n'était qu'étourdi de sa chute: il se l'élève, et courant une seconde fois au rempart, il y remonte avec la même intrépidité. Le Perse le renverse encore enfaisant tomber sur lui un pan de muraille déjà ébranlé par le bélier. Sapérius, toujours aussi heureux et aussi magnanime, retourne une troisième fois, parvient enfin au haut du mur, abat d'un coup de sabre la tête de son ennemi, et la jette aux pieds des assiégans. Les Romains , étonnés de ces prodiges de hardiesse, s'empressent de suivre le héros. Un frère de Sapérius est bientôt à ses côtés, et seconde sa bravoure triomphante. Enfin, une foule de soldats monte à l'escalade, et Béjude est soumis à l'empire romain. 24. Tandis que toute l'Asie fléchissoit sous le joug qu'' Alexandre-le-Grand imposoit à l'Asie , un seul homme, qui n'avoit qu'un rocher pourempire, osarésister à ceterrible conquérant. lls'appeloit^/'i/ftaze.. Cantonné dans un chàteiu nommé Petra-Oxiana, situé sur la pointe d'un roc le plus escarpé qui fût dans la Perse, il comptait trente mille homme sous ses drapeaux, et des provisions pour plus de deux ans. Le ioi de Macédoine lui fait ordonner de se rendre. « Me rendre ! ré« pondit-il d'un air moqueur ; et à qui? votre grand « Alexandre a-t-il des ai les pour voler en ces lieux?» Le monarque , vivement piqué de l'insulte , choisit, trois cents jeunes montagnards, vaillans et robustes, accoutumés dès leur enfance à gravir contre les rochers. Il leur ordonne d'escalader Petra-Oxiana aux approches de la nuit. Cette entreprise étoit capable de rebuter le courage le plus opiniâtre. 11 falloit lutter tout à la fois contre la neige , contre le vent et contre le froid. Leur intrépide valeur triompha de tous les obstacles. Après un jour et demi d'excessives fatigues ; après avoir perdu trente-deux de leurs compagnons, ils
�VALEUR. 3l5 arvinrenlenfmsur le sommetd'unrocher,et donnèrent leur souverain un signal qui l'instruisit de leur succès. llexandre aussitôt envoie unnouveau députépourprooser à Arimaze des conditions favorables. Arimaze les iejette avec mépris : alors l'envoyé le prend par la main, ■e prie de sortir ; et, lui montrant les soldats macédoniens : « Vous voyez , lui dit-il, qu'Alexandre et ses guerriers ont des ailes.» Arimaze, frappé d'une terreur Soudaine, se rend; mais son opiniâtreté lui coûta la vie ; %i vainqueur le fit expirer sur une croix, après l'avoir ■ait battre de verges avec toute la noblesse du pays. I 25.L'empereur Charles-QuintassiégeoitDuren,ville Bêla dépendance du duc deClèves, auquelce monarque «voit déclaré la guerre. Il envoie un héraut au seigneur mie Flattes qui commandoil la garnison, pour l'engager à ierendre.OnofTroitàce capitaine des conditions avanageuses, et une fortune considérable, s'il vouloit prévenir le courroux del'empereur. <\L'empereur,répondit fièrement ce brave guerrier, connoît donc bien peu mon courage ? Eh bien ! je vais le lui faire connoître < en répandantmon sangpour le service de mon prince. ( Qu'il m'attaque quand il voudra. » Tant que ce héros vécut, tous les efforts de Charles furent inutiles. Mais jime maison s'étant écroulée tout-à-coup, lorsque de Flattes passoit pour aller défendre les brèches , elle lensevelit sous ses ruines et ce grand homme et les esIpérancesdeDuren, où les Impériaux entrèrent aussitôt. 26.La véritable valeurdoit toujours être fondécsurla religion. Le fameux Bayard, l'homme le plusintrépide desonsiècle,lui dont ondisoitqu'ilavoittroisexcellentes qualitéspropresà un grand capitaine, «assautde lévrier, « défense de sanglier, et fuite de loup, » reçoit un coup de mousquet à la journée deRébec, qui le blesse mortellement. 11 se fait asseoir contre un arbre, le visage tourné vers l'ennemi, tenant la garde de son épée faite en forme de croix, et priantDieu, en attendant lamort dont il sentoitles approches. Sur le point de rendre sa grande aine, il fit cette belle prière : « O mon Dieu ! qui avez promis un asile dans votre miséricorde auxplus grands pécheurs qui retourneroient à vous sincèrement et de tout leur cœur, je mets en vous toute ma confiance, et toute
Ï
�3l6 VALEUR. mon espérance dans vos promesses. Vous êtes mon Dieu , mon Créateur, mon Rédempteur. Je eonfesst vous avoir mortellement offensé , et que mille ans d( jeune au pain et à l'eau dans le désert ne pourroienl acquitter mes fautes ; mais , mon Dieu ! vous savei que j'étois résolu d'enfaire pénitence,sivons m'eussiei conservé la vie : je sens toute ma foiblesse, et que, pat moi-même , je n'aurois jamais pu mériter l'entrée et votre paradis , et que nulle créature ne peut obtenir que de votre infinie miséricorde... Mon Dieu... mon Père... oubliez mes fautes, et n'écoutez que votre clé. mence... Que votre justice se laisse fléchir par les mérites du sang de Jésus-Christ!... » La mort lui coupa la parole. Sonpremiercri,quandilsesentitblessé , avoit été : « Jésus ! Àh ! mon Dieu ! je suis mort !» et ce futeo invoquant ce nom adorable, que ce héros termina sa glorieuse carrière, le 3o d'Avril i524, à l'âge de 48 ans. 27. Au fameux siège de Rhodes, que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem soutinrent avec tant de valeur et si pende succès, lesTurcs, conduits parSolimanll, creusèrent sous une bastion une mine terrible. Tandis qu'ils firent jouer ce volcan, le grandmaître de l'ordre, Milliers de VIsle-Adam, étoit dans une église voisine, où il imploroit aux pieds des autels le secours du Dieu des armées. Il jugea bien, à l'horrible fracas qu'il entendit, que l'éclat qu'avoit fait la mine seroit suivit d'un assaut. Il se lève dans le moment où les prêtres, pour commencer l'office, entonnoient cette prière préliminaire : Deus, in adjutorium meum intende! Seigneur, venez à mon secours ! « J'accepte l'augure, » s'écrie le pieux général-, et, se tournant vers quelques chevaliers qui l'accompagnoient : « Allons,mes frères, 1 e ur dit il, changer le sacrifice de nos « louanges en celui de nos vies, et mourons, s'il le faut, « pour la défense de notre sainte loi. » Il dit; etle nouveau Machabée,\a. pique à la main, s'avance d'un air terrible, j Il monte sur le bastion, joint les Turcs, écarte, renverse, | tue tout ce qui ose lui résister.Il arrache les enseignes ennemies, et regagne impétueusement le bastion. 28. Isabelle de Bavière , femme de l'imbécille Charla VI, princesse dénaturée, profitant de la stupidité de
�V A L E V R<
ânmari, pour favoriser une faction puissante, avoit fait Ishériter le dauphin Charles FHsonfils, et nommer Iritier du trône français, Henri V,roi d'Angleterre,
Jii épousa Catherine de France, sœur du dauphin, ■ne grande partie du royaume le reconnut; et, après mort, Henri VI, son fils, succéda à ses prétendus oits, etles fit valoir sons la régence du àucde Bedfort noncle. Cependant Charles F"Us""étoitfaitcouronnerPoitiers l'année même delà mortde son père en 1522, quelques provinces lui étoient demeurées fidelles; aisson parti étoit si foible , que les Anglais, par prision, ne l'appeloient que le roi de Bourges. Pour hever de le ruiner, ils résolurent d'assiéger Orléans , 1428. Quoique la ville fi\t défendue par le célèbre vaillant comte de Dunois, et une foule de gentilsmmes d'une bravoure éprouvée , ils avoien t si peu de Soupes, et les troupes ennemis étoient si nombreuses, ■l'ellese vit bientôt réduite à la dernière ex trémité. mharlesVII]và-même,cam-pé pour lors à Chinon,désesKrade sa fortune,et déjà ilsongpoit à se réfngierdans le Wauphiné, lorsqu'une jeune fille, âgée de dix-sept ans, ■nt ranimer son courage et sauver la France. m Née près des rives de la Meuse, à Dom-Remv, village 9e Lorraine, ses parens pauvres, mais honnêtes, lui »oient donné une éducation conforme à la médiocrité Wehurîortune.Jeanne d'Arc, ainsi s'appeloit cettehéfflpïne, dès son enfance, avoit été nourrie dans l'horreur Bu nom anglais. Sans cesse elle prioit le Ciel de pélivrer la monarchie de ces ennemis qui la tvranniM)ient. Son zèle s'enflamma avec l'âge; elle eut à treize Bis des extases dans lesquelles elle assura qu'elle «étoit entretenue avec S. Michel,sainte Marguerite, ■pinteCatherine, qui lui avoient annoncé que Dieu Bappeloit pour chasser les Anglais, et faire couronner jj* dauphin ,\ Reims. Elle possédoit toutes les vertus Bontuneame simple est susceptible : innocence, piété, wandeur, et une modeste assurance, <rui déceloit son «ourage.Lavie agreste avoitencorefortifié sesmembres, naturellement robustes. Elle n'avoit crue l'extérieur* mt même les grâces naïves de son sexe,sans éprouver Mes infirmités qui en annoncent la foiblesse.
�5t8 VALEUR; Après plusieurs années derévélaLions,/éâ!7meprcsstf de plus en pluspar cette voix intérieure qui Pexcitoitl s'armer pour son roi, pour sa patrie, prit enfin la résolution de se faire présenter à Baudricourt, gouverne» de Vaucouleurs, pe ti te vil le voisine. «Capitaine m ëssire. lui dit-elle, sachez que Dieu, depuis aucun temps en, ça , m'a plusieurs fois fait à savoir et commandé q» j'allasse devant le gentil dauphin , qui doit être et esl vrai roi de France, et qu'il me baillât des gens d'armes , et que je lèverois le siège d'Orléans , et. le mènerais sacrer à Reims. » Baudricourt étonné la prit pourunefolle, et voulut la faire exorciserpar le curé du lieu.Mais enfin, obsédé sans cesse,il l'arma de toutei pièces, lui donna deuxgentilshommcsavecleursdomes tiques, et la congédia, en lui disant: «Va, et advienne toutee qu'itpourra. » Elle arrive àChinon, et s'annonct à la cour du roi.Pendant deux jours on délibère si on l'écoutera. On l'admet par curiosité. Charles , Sam aucune marque de dignité , s'étoitmêlé dans la foule des courtisans , à dessein de l'éprouver. Jeanne le distingue, le désigne; en vain on lui dit qu'elle se trom-l pe. «C'estlni, s'écric-t-elle, c'est lui !» On admire si noble hai'diesse ; on promène sur elle des regards étonnés. Charles lui-même ne sait ce qui se passe au dedans de son cœur,à l'aspect de cette inconnue. «Gentil dauphin , lui dit l'héroïne sans se déconcerter,]» nom Jeanne laPucelle.he. roi du ciel m'a envoyée pour vous secourir. S'il vous plaît me donner gens de guerre par grâce divine et force d'armes, je ferai lever le siège d'Orléans, et vous mènerai sacrer à Reims, malgré tous vos ennemis : c'est ce que le Roi du ciel m'a commandé de vous dire , et que sa volonté est que les Anglais se retirent en leur pays , et vous laissent paisible en votre royaume , comme en étant 1( vrai, unique et légitime héritier. Que si vous en faitei j offre à Dieu , il vous le rendra beaucoup plus grand et florissant que vos prédécesseurs n'en ont joui, el| prendra mal aux Anglais s'ils ne se retirent. » A insiditlaPucelle.Lachaleur de ses paroles, la naïveté de sondiscours, ses réponses simples,maisprécises,lout persuada. Le roi la fait examiner par des femmes, des
�,]J1 nier-
3 If) léologiens et s on parlement.Tous,d'unevoix unanime, éclarent qu'il faut seservirauplulôt de cetinstmment lélestequeleTout-Puissant envoie àlapatrie.CAûr/ejlui Jiit une armure complette, lui donne un étendard, des jcuyers, des pages , un intendant,un chapelain , une juite conforme à l'état d'un chef de guerre. La nouvelle mazone se met à la tête d'un convoi considérable desiné pourOrléans.Bientôt ses guerriers sont remplis de on enthousiasme. Elle part, suivie des principaux capilaines de l'armée campée à Chinon. Elle arrive, le 29 jLvril 1429, à la vue de la place.Dunoisv\entau devant 'elle.lirinviteàsatisfairel'empressementqu'avoientles B/abitans de voir leur libératrice.Elle se rend à ses prièes:elle entre comme en triomphe; mille cris de joie se jbnt entendre.Dès ce moment,lesOrléanais se crurent tivincibles, et le furent en effet.Tout changea.Les Anmais, vainqueurs jusqu'à ce jour, tremblent au seul nom fie Jeanne d'Arc.\]s la croientmagicienne d'aussi bonne ïoiqueles Français la croient célestementinspirée. «Anglais , leur écrit l'héroïne, vous qui n'avez aucun droità le royaume de France, Dieu vous ordonne,depar moi Veanne la Pucelle, d'abandonner vos forts et de vous retirer. »On arrête les courriers; on ne répond que par fies injures à cette audacieuse sommation. Jeanne outraée, mais redoutée, se dispose à prouver samission.Le aercredi 4 de Mai, elle choisit un corps de troupes ; et emplie d'uneardeurplus qu'humaine, elle seprécipite ur les forts ennemis, et les emporte, après un assaut de uatre heures.Elle songe ensuite à s'emparer du bouleart et du fort des tourelles , où l'élite de l'armée anlaise s'étoit cantonnée. Après avoir fait ses dispositions urant la nuit, aux premiers rayons du jour elle donne e signal : on la suit ; on monte avec elle sur les brèches; n se bat avec ardeur : on presse, on enfonce, on culbute "ennemi,qui se défend avec courage: on alloit triomher, lorsque Jeanne, blessé à la gorge, est contrainte eseretirer pour mettre lepremierappareilàsablessure. Sonabsenceéteintlecouragedesassaillans.Lesoldatperd cette illusion guerrière qui le rendoit victorieux. Déjà chacunvouloilse mettre ensureté,Dw«oijlui-mêmeétoit ie cet avis.Tout-à-couplaPttceZZe semontre ; elle court
A AVE V R*
�O2o
V A L EU R.
au pied du fort, elle y place son étendard. Son intré'pi ditépasse dans tous les cœurs : on redouble d'efforts ; on oublie les premières fatigues.Les Anglaisfuient,le boulevard est emporté. Le lendemain , les vaincus se rangent en bataille du côté de laBeauce.Les Français,toujours conduits, toujours animés par leur héroïne, se présentent dans le même ordre , résoins de combattre, quoique inférieurs en nombre.Mais ces ennemis, autrefois si fiers et si terribles, n'osent tenir devant eux. Ils s'éloignentprécipitamment ; ils abandonnent leurs malades, leurs bagages, leurs vivres, leur artillerie, et près de cinq mille morts. Ainsi, contre toute espérance, la ville d'Orléans fut délivrée, le 8 deMai, dix jours après l'arrivée de \aPucelle.La reconnoissance publique s'épuisa, en quelque sorte, pour -témoigner hJeanned'Arc avec quelle vivacité on sentoit toute la grandeur de ses services.Le roi T'anoblit, avec son père, ses trois frères, et toute sa postérité ; lui donna le nom du Lys, et y ajouta des terres , afin de soutenir la gloire de ce nom. On lui érigea une statue sur le pont de la ville qu'elle venoit de sauver ; et pour éterniser la mémoire de cet heureux événement, on établit une fête, qui se célèbre encore tous les ans , et dans laquelle on prononce l'éloge de l'héroïne, qui, depuis cette époque illustre, n'est plus appelée que LA PUCELLE D'ORLÉANS. Endélivrant d'Orléans, Jeanne n'avoitrempli que le premier objet de sa mission. Pour accomplir le second, elle livra de nouveauxcombats;etd'abord accompagnée duducd'Alençon,elIeassiégeaJargeau.Aprèsqu'oneut emporté les faubourgs : « Avant, gentil duc, dit laPucelle,àl'assaut!»Au même instant les guerriers la suivent. Le choc est terrible. Du haut de leurs remparts, lesennemisfontdesefforts incroyables.Jeawnelesbrave. Sa voix et ses exemples animent les Français. «Ne craignez rien, dit-elle au duc;ne savez-vous pas la promesse que j'ai faite à votre épouse de vous ramener sain et sauf ? » Cependant on fait pleuvoir une grêle de traits sur l'héroïne; l'un déchire sa bannière qu'elle arboroit au haut de son échelle ; l'autre l'atteint à la tête, et la renverse au pied de la muraille. Devenue plus terrible
par
�321 |sachute:«Or sus, amis ! amis, sus, sus, s'écrie-t-elle. ! « Notre-Seigneur a condamné les Anglais ; ils sont à « nous. Bon courage ! » Aux cris de la guerrière, les Français s'empressent et se précipitent. Gagner la brèche , culbuter les ennemis dans la ville , les massacrer, les écraser, les poursuivre l'épée dans les reins, en immoler onze cents , forcer les autres à se rendre [prisonniers , est l'action d'un instant. Ce fut par de tels exploits que Jeanne vint enfin à bout de gagner Reims, où elle fit sacrer le roi en i429 > evt assista à la cérémonie son étendard à la main. Elle continua ensuite de poursuivre les Anglais; mais elle cessa bientôt d'être heureuse.Elle fut blessée à l'attaque de Paris, et prise au siège deCompiègne, dans une sorti», ■p&rLyonnel,bâtard de Vendôme, qui la céda au comte de Ligni, Jean de Luxen<ibou g, son général. Celui-ci la vendit aux Anglais pour la somme de dix mille livres comptant, et cinq cents livres de pension annuelle. A peine eut-on appris dansParis cette nouvelle inespérée,que le duc deBedfort ordonna des réjouissances publiques , précédées d'unie Deum, et qu'il dépêcha des courriers à toutes les villes qui étoient soumises à son pupille , pour les inviter à partager la satisfaction que cet avantage inspiroit au parti du roi d'Angleterre. Jeanne fut chargée de chaînes, et renfermée dans la forteresse deBeaulieu. La dureté de sa prison, les outrages de ses gardes , les malheurs qui menacoient sa tête, tout lui inspira d'abord une sorte de désespoir. Ayant saisi un moment où ses surveillans cruels l'observoient avec une exactitude moins sévère , elle se précipita par une des fenêtres de la tour. Sa chute fut si douloureuse , qu'elle ne put se relever. Ses gardes accoururent; elle fut serrée plus étroitement, et transférée peu de temps après au château de Crotoy. CependantîrèveMarti?i, vicaire-général de l'inquisition enFrance,réclamoit la prisonnière «comme véhémentement soupçonnée de plusieurs crimes sentant hérésie ; crimesquine pouvoient se dissimuler ni passer sans bonne et convenable réparation. » L'université elle-même, avant que le comte de Ligni n'eûttraité avec Tome III. X
VALEUR.
�322 VALEUR. les Anglais, le supplioit de livrer sa captive au tribunal du Saint-Office ; et ces prières de l'université étoient alors d'un grand poids. «Vous avez employé votre noble puissance , lui écrivoit cette compagnie, à appréhender icelle femme , qui se dit la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a été sans mesure offensé, ! la foi excessivement blessée , et l'Eglise trop fort déshonorée ; car , par son occasion , idolâtrie , erreurs , mauvaise doctrine , et autres maux inestimables se sont ensuivis en ce royaume.... Mais peu de chose seroit avoir fait telle prinse, si ne s'ensuivoit ce qu'il I appartient pour satisfaire l'offense par icelle femme perpétrée contre notre doux Créateur, et sa foi, et sa sainte Eglise, avec ses autres méfaits innumérables... Et si seroit intolérable offense contre la majesté divine , s'il arrivoit qu'icelle femme fût délivrée. » Ainsi tout conspirait contre la malheureuse Jeanne , dont tout le crime étoit de s'être armée pour combattre la tyrannie, et venger son légitime souverain. Un prélat couvert d'ignominie , méchant par goût, chassé de son siège par ses diocésains même , Pierre Cauchon, évêque deBeauvais, se chargea de procéder à la condamnation de l'nnocenle captive.Par ses soins, on composauntribunal d'ecclésiastiquesinjustes,ignorans, passionnés, fanatiques .Jeanne y fut citée à la requête du promoteur Guillaume Espinet.\L\\e comparut avec la modesfie qui convenoit à son sexe, et la fierté d'une guerrière intrépide. D'abord on lui défendit de songer à s'évader. « Si je me sauvois , dit-elle , on ne i< pourrait m'accuser d'avoir violé ma parole, puisque « je ne vous ai point donné ma foi. » Interrogée si le roi Charles avoit aussi des révélations comme elle : «En« voyez-lui demander, répondit-elle. » Interrogée si, dès son enfance, elle avoitdésiré de combattre les Bourguignons et leurs alliés, elle dit: «J'ai toujours souhaité « que mon rai recouvrât ses Etats. « Interrogée si les esprits célestes lui avoient pi*omis qu'elle s'échapperoit ? « Ceci ne touche point mon procès : voulez-vous « que je parle contre moi?— Changiez-vous souvent de bannière ?les faisiez-vous. bénir ? Par quels motifs (< y avez-vous faitbroder les noms àe Jésus et àeMarie? (<
�523 « Efiez-vous persuadée que cette bannière portent « bonheur, et l'avez-vous fait croire aux troupes fran« caises? — Je ne renouvellois mon étendard que iors« qu'il étoit brisé ; jamais je ne l'ai fait bénir avec des « cérémonies particulières. C'est des ecclésiastiques « que j'ai appris à faire usage , non-seulement pour « mon étendard , mais encore pour les lettres que « j'écrivois , des noms du Sauveur du monde et de sa « Mère. A l'égard de la fortune qu'on prétend que « j'attribuois à cette bannière , je disois , pour toute « assurance aux soldats : Entrez hardiment au milieu « des Anglais ; et j'y entrois moi-même..— Pourquoi, « dans la cérémonie du couronnement de Charles, « avez-vous tenue ladite bannière levée près de la per« sonne de ce prince? — Il étoit bien juste qu'ayantpar« tagé les travaux etlesdangers,ellepartageâtl'honneur. « — Les saints qui vous ont apparu, ont-ils des che« veux ? Sont-ils nus ou habillés ? — Pensez-vous que « Dieu n'ait pas de quoi les vêtir ? — Avez-vous vu des « fées ? qu'en pensez-vous ? — Je n'en ai point vu ; j'en « ai entendu parler ; mais je n'y ajoute point de foi, « — Avez-vous eu une mandragore ? qu'en avez-vous « fait ? — Je n'en n'ai point eu : on dit que c'est une « chose dangereuse et criminelle. » Ainsi, par ces questions captieuses, déplacées, indécentes , on vouloit lui arracher quelques paroles équivoques , qui pussent autoriser l'iniquité des juges, animés par la fureur barbare de leur indigne chef. Un deux cependant, touché de compassion , conseilla à Jeanne de s'en rapporter au jugement du pape et du concile. L'évêque de Beauvais, jetant un regard terrible sur ce conseiller trop chrétien : «Taisez-vous, de « par le diable, s'éeria-t-il.» Un autre avoua , qu'en la conduisant devant le tribunal, il lui avoit plusieurs ibis permis de s'arrêter devant la chapelle du château , pour y faire sa prière. Cette indulgence lui attira de la part de Jean Bénédicité les plus sanglans reproches : « Truand, lui dit-il, qui te fait si hardi d'approcher « cette excommuniée de l'Eglise, sans licence ? j e te ferai « mettre en telle tour, que tu ne verras ni lune, ni soleil, « d'ici à un mois , si tu le fais plus. » Ce même Jean
VALEUR.
�v 324 A L E U R. Bénédicité n'adressoit jamais la parole à Jeanne, dans tout le cours du procès , qu'avec les termes de paillarde , d'ordière , d'hérétique, d'infame. Le 23 mai, Jeanne d'Arc fut admonestée dans sa prison. Elle étoit malade et presque mourante. Le lendemain on la conduisit à la place du cimetière de l'abbaye de S. Ouen, où l'on avoit dressé deux échafauds. L'évêque de Beauvais et ses dignes collègues s'y étoient rendus, accompagnés de plusieurs prélats anglais. Une foule de peuple inondoit la place. Un docteur, nommé Guillaume Erard, commença d'un ton furieux, un sermon fanatique et rempli d'invectives. « C'est à toi, « Jeanne, que je parle, s'écrioitl'insultant prédicateur, « et te dis que ton roi esthérétique etschismatique.— « Par ma foi, sire, interrompit la Pucelle, révérence « gardée, je vous ose bien dire et jurer, sur peine de « ma vie , que mon roi est le plus noble chrétien de « tous les chrétiens, et n'est point tel que vous dites. » Ensuite , on pressa l'innocente guerrière d'abjurer ses erreurs. Elle demanda la signification de ce terme abjurer, et dit à haute voix : «Je m'en rapporte à l'E« glise universelle, si je dois abjurer. —Tu abjureras « présentement, reprit.ErareZavec fureur, tu abjureras, « ou tu seras arse (brûlée). » Alors le greffier s'approcha , et lut une formule d'abjuration , qui contenoit simplement une promesse de ne plus porteries armes, de laisser croître ses cheveux , et de quitter l'habit d'homme. 11 falloit périr au milieu des plus affreux supplices, ou signer cet écrit. Jeanne y consentit. Dans le moment, on substitua une autre cédule, par laquelle elle se reconnoissoit dissolue, hérétique, schismatique, idolâtre, séditieuse , invocatrice des démons, sorcière, etc.etc. Dèsqu'elleeutsignécetteabjurationsupposée, l'évêque de Beauvaisproférale jugementqui lacondamnoit, pour réparation de ses fautes, à passer le reste de ses jours dans unevrisonvervétuelle,aupaindedouleir et à l'eau d'angoisse, suivant le style de l'inquisition. L'assemblée se sépara; et Jeanne ayant repris l'habit de femme, fut conduite et enchaînée, comme auparavant, dans sa prison. La nuit même, les gardes, par ordre des juges, enlevèrent les robes de femme quiéloient sur son
�325 lit, et leur suLtituèrent son habit d'homme. En vain Jeannehnr demanda ses vêtemens ; en vain elle leur rappela que les'jugesluiavoient expressément défendu de s'habiller en homme. Us lui répondirent brutalement qu'elle n'en auroit point d'autres. Pressée par des besoins naturels, l'infortunée fut contrainte de se couvrir des seuls vêtemens qui lui étoient offerts. A l'instant, plusieurs témoins cntrcrentpour constater cette prétendue transgression. Les juges survinrent, e,t dressèrent un procès-verbal. Le lendemain ils s'assemblèrent, et Jeanne fut condamnée comme relapse, excommuniée, rejetée du sein de l'Eglise, et jugée digne, par ses forfaits, d'être abandonnée à la justice séculière. On vint lireceltesentenceàl'innocente prisonnière. Ellepleura; elle se plaignit, mais sans emportement, mais .sans injures. On lui permit de recevoir l'Eucharistie. Ensuite elle sortit de prison le 3oMai, escortée d'une garde de six-vingtshommes d'armes. Elleétoit revêtue d'un habit defemme. Satête étoit chargée d'une mî tre sur laquelle étoitécrit '.Hérétique, relapse, apostate, idolatre.Y)eux religieux dominicains la soutenoient. Elle s'écrioit sur la route : «Ah! Rouen, Rouen, seras-tu ma dernière « demeure ? » Arrivée au bûcher qui devoit la consumer, elle se mit à genoux, pria Dieu dévotement, etse disposa saintement à son sacrifice; « Menez-la, dirent aux bourreaux les juges séculiers. Ils obéirent. En face du bûcher étoit un tableau sur lequel on lisoit cette inscription: « Jeanne, quis'estfaitnommerlaPucelle , « menteresse , pernicieuse , abuseresse des peuples , « devineresse , superstitieuse , blasphémeresse de « Dieu, présomptueuse, malcréante de la foi de Jésus« Christ, meurderesse , idolâtre , cruelle , dissolue , « invocatrice du diable, apostate, schismatiqueethéré« tique.» Elledemandaunecroix. On lui présenta celle de l'église voisine. Elle l'approcha pieusement de sa bouche, la mit contre son sein, monta sur le bûcher, et rendit son ame en prononçant le nom de Jésus. Incontinent après l'exécution, le bourreau dit aux juges , en pleurant, '< qu'il ne croyoit pas que Dieu lui « pardonnât jamais le tourment qu'il avoit fait souffrir « à cette sainte Jilie ; que jamais il n'avait tant craint
VALEUR.
�3a6 VALEUR.' « de faire une exécution ; que les Anglais avoient fait « construire un échafaud de plâtre si élevé , qu'il ne « pouvoit atteindre à elle, ce qui avoit rendu ses dou« leurs plus longues et plus cruelles. » La fin tragique àeJeannedArc futpleuréedans Londres même. Un milord dit publiquement que la Pucelle étoit une brave femme; et qu'elle auroit mérité les plus grands éloges, si elle étoitnée Anglaise. I In secrétaire du roid'Angleterre, nommé Jean Trassai-d, s'écriatout haut: «Nous sommes tous perdus, damnés etdéshono« rés, d'avoir faitcruellcmentmourircette fidelle et in« nocente chrétienne, dontl'ame estes mains de Dieu.» Le courroux du Ciel sembla tomber, dès cette vie, sur la plupart de ceuxquis'étoientprêlésà lavengeahce des Anglais , en condamnant cette héroïne. Pierre Cauchon mourut subitement en se faisant raser ; Nicolas Midi, un autre des principaux juges, docteur en théologie, fut frappé de la lèpre ; Jean Bénédicité expira dans les plus cruelles douleurs ; et Guillaume Espinet, chassé de Rouen par les Anglais, alla finir misérablement ses jours dans un colombier, hors de la ville. Voyez BRAVOURE, COURAGE, INTRÉPIDITÉ. VÉRACITÉ. ï .XJN saint anachorète, nommé Jean-l'Egytien, reçut la visite de Rvjin et de six de ses amis ; et, comme les solitaires d'Egypte , aussitôt que quelques frères arrivoient , avoient coutunie.de s'unir à eux par le moyen de la prière, toute la compagnie le supplia de la faire, et de lui donner sa bénédiction. Le pieux soli taire leur demanda si personne d'entre eux n"étoit ecclésiastique ? On lui répondit que non. Alors il les considéra les uns après les autres, et connut qu'il y en avoit un qui étoit diacre; ce que tous ignoraient, à la réserve d'un seul à qui ce diacre se confioit, parce qu'il ne vouloitpas qu'on le sût, par humilité. Mais, quoiqu'il fût le plus jeune de la troupe , le saint anachorète ne l'eut pas plutôt aperçu, qu'il dit en le montrant du doigt: «Celui-ci est ç diacre. » Ce jeune homme ne vouloit pas l'avouer, et
�327 même il continuent à le nier ; Jean lui prit la main, et la lui ayant baisée : « Mon fils, lui dit-il, gardez-vous bien « de désavouer la grâce que vous avez reçue de Dieu, « de peur qu'un bien ne vous fasse tomber dans un mal, « et l'humilité dans le mensonge ; car il ne faut jamais « mentir, même sous prétexte d'un bien, puisqu'aucun « mensonge ne procède de Dieu, mais d'une mauvaise « cause. » Ce diacre ne lui répondit rien , et reçut avec respect cette charitable et solide correction. 2. L'historien Aristobule avoitécritles belles actions à'Alexandre; et, par un excès de flatterie, il les avoit chargées d'une foule de brillans mensonges,tristes fruits d'une imagination-intéressée.Le conquérant, écoutant la lecture de cet ouvrage pendant sa navigation surFHydaspe, arracha des mains de Fauteur ces fades impertinences, et les jeta dans le fleuve, en disant : « Tu méri« terois encore mieux que je t'y précipitasse, toi, vil « imposteur, qui,contre toute vraisemblance, me fais « combat tre seul et tuer un éléphant d'un seul trait. » 3.11 existe à la Chine un tribunal historique, chargé , par une loi fondamentale, de consigner dans les fastes de l'empire les vertuset les vices du monarque régnant. L'empereur Tai-Tsong, ou Tai-çu, ordonna un jour à ce tribunal de lui montrer l'histoire de son règne. «Tu « sais, lui dit le président, que nous donnons un récit « exact des vertus et des vices de nos souverains 5 et « nous ne serions plus libres de dire la vérité, si tu jetois « lesyeuxsurcedépôtsacré.—Quoi Irepritl'cmpereur, « tu veux transmettre à la postérité l'histoire dema vie, « et tu prétends aussi l'informer de mes défauts, l'ins« truire de mes fautes?—Mon caractère , lui répondit « le président, et la dignité de ma place, ne me per« mettent pas d'altérer la vérité. Je dirai tout. Si tu fais « quelqu'injustice, j'en serai pénétré de douleur : si ta « déshonore ton rang par quelque foiblesse honteuse , « je te plaindrai; mais je ne tairai rien. La conversation « que nous avons ensemble ne sera pas même passée « sous silence : telle estmon exactitude etmasévérité.» Tai-Tsong avoit l'âme noble et grande : « Continue , « dit-il au président ; écris, et dis sans crainte la vérité« Puissent mes vertus , ou mes vices , contribuer à
VÉRACITÉ.
�038
VÉRITÉ.
« l'utilité publique , et à l'instruction de mes succès« seurs ! Ton triJ>unal est libre; je le protège , et lui « permets d'écrire mon histoire avec la plus grande « impartialité. » Voyez VÉRITÉ. VÉRITÉ.
ïi EPAIWINONDAS, l'un des plus grands personnages de la Grèce , avoit tant d'amour pour la vérité, qu'il se faisoit un scrupule de mentir, même par jeu et par divertissement. 2. Firmus, évêque de Tagaste en Afrique, montra par sa généreuse fermeté,qu'il é toit véritablement digne de son nom. On persécutoit les chrétiens par ordre de l'empereur; et les inquisiteurs du prince ayant appris qu'un homme qui professoit la religion proscrite, avoit cherché un asile chez le saint prélat, vinrent le presser de le leurlivrer. Il leur répondit : «Je ne puis ni mentir , « ni découvrir celui que vous cherchez : je l'ai caché ; « mais vous ne saurez jamais le lieu de sa retraite.» Ces officiers, pleins d'indignation le saisirent lui-même, et lui firent souffrir les tourmens les plus cruels, afin de l'obliger àdéconvrirle chrétien qu'ilrécéloit. Firmus , au milieu des plus affreuses tortures, se contentoitdeleur répondre : « Jesaisniourir;maisjenesaispointparler.» L'empereur fut instruit de cette héroïque constance.Il fit venir le pontife, qui lui parut si digne d'admiration, qu'il lui accorda sa grâce et celle de celui qu'il avoitcaché. «Quede courage!que de vertu!s'écrieS.^wg#J///2. « Quels éloges ne mérite pas ce saint évêque, qui aima « lavérité jusqu'au point de tout souffrir, plutôt que de « trahir par un mensonge , et qui porta la charité jus« qu'à s'exposer aux plus horribles supplices,plutôt que « dedécouvrirunmalheureuxdonton vouloitlamort! » 5. Mon palais et mes oreilles , disoit Hiéron I, <i roi de Syracuse , seront toujours ouverts à quicon« que voudra me dire la vérité , sans ménagement et « avec franchise. » lu Ajitiochus-le-Grand,m\.àe Syrie, étant à la chasse,
�VÉRITÉ. 329 et poursuivant une Lête fauve, s'écarta de ses amis et de sasuite,et se retira dans la demeure de quelques pauvres ouvriers qui ne le connoissoient pas. En soupant, il fit tomber la conversation sur le roi. Ses hôtes direntque le monarque actuelétoitunhonnêtehomme,unbonprince; mais qu'il se reposoit de presque tous les soins du gouvernemeut sur ses amis qui ne lui ressembloientpas, et qui lui faisoient agréer tout ce qu'ils vouloient ; que d'ailleurs sa passion excessive pour la chasse,lui prenant presque tout son temps, il négligeoitles affaires les plus importantes. Antiochus écoute , sans rien dire, la leçon qu'on ne croyoit pas lui donner. Le lendemain, quand sa suite l'eut rejoint, il dit, en prenant son diadème et ses habits royaux qu'on lui présentait : « Depuis « que je vous porte, ornemens plus dangereux qu'ho« norahles , j'ai, pour la première fois, hier, entendu « dire la vérité sur ce qui me touche. » 5. Philippe, roi de Macédoine, aimoit qu'on lui dît la vérité. Il souffroit que le philosophe Aristote lui fit des leçons sur l'art de régner. Il disoit qu'il avoit obligation aux orateurs d'Athènes de l'avoir corrigé de ses défauts , à force de les lui reprocher. Il gageoit un homme pour lui dire tous les jours , avant qu'il donnât audience , cette grande et terrible vérité, peu agréable aux monarques : « Philippe , souviens - toi « que tu es mortel ! » 6. Ce célèbre Thespis,légère du théâtre d'Athènes, ayant, réformé la tragédie , attiroit tout le monde à son spectacle. Le sage Solon y alla comme les autres, pour juger si le mérite du.comédien répondoit à sa grande réputation. Quand la pièce fut finie , il appela Thespis , et lui demanda s'il n'avoit pas de honte de mentir ainsi devant tant de gens? Thespis lui répondit qu'il n'y avoit point de mal dans ces mensonges et dans ces fictions poétiques, qu'on nefaisoitqueparjeu. «Ouï, » répondit le législateur d'Athènes, en donnant un grand coup de son bâton contre terre , « oui, mais si nous « souffrons , si nous approuvons ce beau jeu-là , il « passera bientôt dans nos contrats et dans toutes nos «affaires.» Voyez VÉRACITÉ.
�33o
VERTU."
*XXXXXXX'XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXXXXXXXVXXXXXXXX'VXXXXX%VXXXXXXXVXXXX\\^
VERTU.
N demandent au chevalier Bayard quels biens un père devoit laisser à ses enfans ? « La vertu et la « sagesse , répondit-il ; ces richesses inestimables, « qui ne craignent ni pluie, ni vent, ni tempête, ni « violence humaine. » 2. Le sultan Mahmoud étoit fort laid.Unjour son premier visir, ayant remarqué que ce prince étoit mélancolique , prit la liberté de lui en demander le sujet. « J'ai « toujours entendu dire, répondit le monarque, que le « visage du prince doit réjouir ses sujets; je suissurpris. « que le mien, qui est si difforme, ne leur blesse pas les «yeux.—Seigneur, repartit le ministre, l'excellence « de l'homme ne consiste pas dans sa bonne mine : la « vertu et les qualités de l'esprit sont la véritable « source de la beauté. Parmi vos sujets, à peine y en; « a-t-il un sur mille , qui voie les traits de votre vi« sage ; mais vos moeurs et vos vertus sont regardées « de tous : c'est par elles que vous devez gagner leurs « cœurs , et devenir l'objet de leur amour. » 3. Dans une conférence qui se tenoifentre les philosophes grecs et indiens devant le roi de Perse Chosroès, on demanda quelle chose étoit la plus fâcheuse en ce monde? Un philosophe grec dit que ce toit une vieillesse imbécille, jointe à une extrême pauvreté. Un In-; dien avança quec'étoit la maladie du corps, accompa-. gnée d'une grande peine d'esprit. «Pour moi, dit le « visir Buzurgemihir , je pense que le plus grand des « maux que l'homme puisse éprouver en ce monde,! « est de se voir proche du terme de sa vie, sans avoir}' « pratiqué la vertu. » Une acclamation générale prouvai la vérité de cette opinion. ^.Démétrius de Fhalère, exilé d'Athènes par une fac-, tion in j us te, apprit,dans s a retraite, qu'on a voi t aba ttu les trois cent soixante statues d'airain érigées en son hon-k neur.Mais ce grand homme se consolasanspeine de cette | disgrace;et,encontinuaht sa route, ils'écrioit : « Grâces j
�VERTU.
33l
aux Dieux, la vertu qui me les fit élever, me reste ! » 5. Au sortir de sa préture , Métellus, l'un des plus lluslres citoyens de l'ancienne Rome , fut accusé de foncussion et de rapines dans l'exercice de sa charge. L'accusateur exigea qu'il fît voir ses registres ; mais Dute l'assemblée rendit alors un témoignage éclatant la haute vertu du préteur : personne ne voulut exalincr ses registres ; et chacun détourna les yeux , timaginant commettre la plus criante injustice, s'il Joutoit de l'intégrité de Métellus. j.Le neveu du consul CàiusMarius ayant voulu fairè fcolence à un jeune soldat d'une grande beauté, nommé Vrébonius,\e jeune hommele tua,aimant mieux comîettre une action périlleuse, dit le prince des orateurs jmains , que de consentir à un crime honteux. Il fut mduit devant le souverain magistrat ; et tout le mons'attendoit qu'il alloit venger, d'une manière éclaante , le meurtre de son neveu ; mais, ayant été insfrvit des motifs qui avoient porté le sage Trébonius à tuer , loin de le punir , il le couronna en présence |e toute l'armée,pour récompenser et honorer sa vertu. 7. Louis, dauphin de France , dont nous regrettons |jncore laperte, digne père de notre auguste monarque, îonlra , dès son enfance , tant de goût pour la vertu , lue la reine sa mère disoit : « Le Ciel ne m'a accordé |u'un fils , mais il me l'a donné tel que j'aurois pu le mhaiter.» Un trait connu', et qui mérite d'être transmis à la postérité, c'est la sublime leçon qu'il donna aux sunes princes ses fils, lorsqu'on leur suppléa les cérémonies dubaptême.Onapporta lesregistressurlesquels ^Eglise inscrit, sans distinction,ses enfans. «Voyez , mr dit-il, votre nom placé à la suite de celui du pau|re et de l'indigent : la religion et la nature mettent DUS les hommes de niveau : la vertu seule met entre lux quelque différence ; et peut-être que celui qui lous précède sera plus grand aux yeux de Dieu , que Fous ne le serez jamais aux yeux des peuples. » 0. Le libraire Berihier mettant au jour des mémoires >onr l'histoire du cardinal de Richelieu, témoigna à la eine-mèrela crainlequ'il avoit que certaines personnes le la our, dont l'historien ne parloitpas avantageuse-
�3Ô2
VERTU.1
ment, ne lui fissent de la peine. «Allez , lui dit celte « princesse , travaillez en paix , et faites tant de honte « aux vices , qu'il ne reste que la vertu en France. » 9. Les cruautés de Néron l'ayant rendu odieux à tous les ordres de l'état, plusieurs sénateurs conjurèrentcontre lui, et résolurent de donner l'empire à Pison, le citoyen le plus illustre de son temps, par sa noblesse et par l'intégrité de ses mœurs ; mais la sublime vertu de ce grand homme fut cause de sa perte et de celle de tous les conjurés.Il avoit une maison de campagne où Néron alloit souvent se divertir , sans gardes , etj presque sans suite. Les conjurés avoient résolu de le tuer dans cette maison , ce qui n'étoit point difficile, j Mais Pison. n'y voulut jamais consentir; et l'espérance de la souveraine autorité ne put jamais le faire écarter des principes de la vertu sévère. Il dit que ce seroitvio 1er l'hospitalité, que de laisser assassiner dans sa maison un homme qui y venoit avec confiance. Quelque temps après , la conjuration fut découverte ; le vertueux , le généreux Pison fut mis à mort avec tous ceux qui avoient voulu couronner son grand mérite. 10.Le tyran Maxime, par une feinte douceur , avoit presque fait oublier ses crimes ; et le zèle qu'il affectoit pour la religion catholique, lui procuroit une foule de panégyristes.Lesévêquesmêmese rendoient de toutes parts à sa cour; et, selon un auteur ecclésiastique de ce temps-là, ils prostituoient leur dignité à la plus honteuse adulation. S.Martin, alors évêque de Tours, fut le seul qui soutînt l'honneur du ministère apostolique ; et ce prélat fit voir quel est l'empire de la vertu. Il vint demander grâce pour les proscrits ; mais il la demanda sans s'avilir, et d'un ton qui en imposoit au tyran même. Son extérieur n'étoit rien moins qu'avantageux ; il n'avoit de grand que son ame et son caractère. Maxime l'ayant plusieurs fois invité , avec instance , à manger à sa table, il avoit toujours répondu qu'il ne se croyoit pas permis de s'asseoir à la table d'un homme, qui rebelle à deux souverains, avoitôte à l'un la vie , à l'autre la moitié de ses états. Il se rendit cependant aux pressantes sollicitations de Maxime ■ qui en parut ravi de joie, et qui invita, comme pour
�VE R T u. 333 ■me fête solennelle , les personnages les plus distingués de sa cour. Martin s'assit à côté du prince : un Brêtre de l'église de Tours , dont il se faisoit toujours raccompagner, fut placé enireMarce/in, frère du tyran. Kl son oncle. Lorsque le repas fut commencé, l'échanRon ayant présenté à boire à Maxime , celui-ci donna ■a coupe à S. Martin, voulant qu'il en bût le premier, Kt la recevoir ensuite de sa main. Mais Févêque , après Rvoir trempé ses lèvres , fit porter la coupe à son prêBre,comme à celui qui méri toit la préférence d'honneur Bur tous les convives. Cette liberté, qui trouveroit aujourd'hui peu d'approbateurs, fut admirée de toute la ftour: on louoit hautement Martin d'avoir fait à l'égard ne l'empereur , ce que tout autre évêque n'auroit osé ■aire à la table du dernier des magistrats. Maxime lui. Bit présent d'un vase de porphyre, que le prélat consaftra à l'usage de son église. Le tyran le mandoit souvent si sa cour : il le traitoit avec honneur ; et, soit par hypocrisie, soit par les accès passagers d'une piété superfisielle et inconséquente,il aimoità s'entretenir avec lui les matières de religion. Mais la femme de Maxime , lontle nom n'est pas venu jusqu'à nous , avoit pour le saint évêque une vénération plus profonde et plus sincère.Elle l'écoutoit. avec docilité : elle luirendoit les devoirs les plus humbles et les plus assidus ; et, comme la jiété prend quelquefois une forme singulière dans- les femmes de la cour, elle voulut un jour, avec la permission desonmari,leservir à table.Elleapprê ta elle-même les viandes : elleluidonna àlaver,luiservitàboire,se tint debout derrière lui, etrecueillitavecrespectles restes de son repas. S.Martiny consentit avec peine, enfaveur de quelques prisonniers dontil sollicitoit l'élargissement. n.La véritable vertu ennoblit tout, et ne dédaigne que les fonctions qui pourroient altérer son éclat. C'étoit ainsi que pensoit le fameux maréchal Fabert. Il croyoit qu'à la guerre il n'y avoit aucune fonction avilissante. Quelques officiers du régiment des GardesFrançaises trouvèrent mauvais que ce grand capitaine, [au siège de Bapaume, s'occupât indifféremment des sapes, des mines, del'artillerie, des machines, des ponts, et des autres travaux le plus pénibles 5 ils chargèrent
I
�334
VERT TJ.
même un de ses amis de lui représenter qu'il avilissent sa dignité de capitaine aux Gardes , et d'officiel général. «Je suis très-obligé à mes camarades du soin qu'ils prennent de mon honneur, réponditFabert. Je voudrois cependant leur demander si le bien que m'a fait le roi , est une raison de diminuer le zèle que j'ai toujours eu pour son service ? C'est la conduite que l'on me reproche , qui m'a élevé aux grades dont je suis honoré. Je servirai toujours de même , quand ce ne seroit que par reconnoissance.Mais j'ose me flatter i que ces travaux, que l'on trouve humilians, me conduiront aux honneurs militaires les plus élevés. Tout bien considéré, le conseil de ces messieurs n'est bon que pour ceux qui veulent vieillir dans le régiment des Gardes. Pour moi, je leur déclare que je n'ai aucune envie d'y rester : bientôt je leur en donnerai des preuves. La nuit prochaine , je ferai la descente du fossé ; et, sans avoir égard à la dignité de mes grades, j'attacherai le mineur, je travaillerai moi-même à la galerie , à la chambre de la mine, es j'y mettrai le feu si la garnison refuse de se rendre.»Le cardinaliViazarin lui proposoit de lui servir d'espion dans l'armée. « Un grand ministre comme vous ,lui répondit-il, doit avoir toutes sortes de gens à son service : les uns doivent le servir par leurs bras , les autres par leurs rapports : trouvez bon que je sois dans la classe des premiers. » Les habitans de Sedan, dont il étoit le gouverneur , essayèrent, à plusieurs reprises , de lui faire accepter quelques foibles marques de leur reconnoissance : toutes leurs tentatives furent inutiles. Un voyage qu'il fit à la cour leur fit hasarder d'offrir à sa femme une belle tenture de tapisserie , qu'ils avoient fait venir de Flandres. Le présent étoit du goût de madamedeFabert;ma\s elle le refusa pour ne pas déplaire à son mari. Quelque temps après son retour , Fabert apprend que ce meuble est à vendre , et qu'on n'en trouve pas le prix qu'il a coûté. Le maréchal , qui ne veut pas être l'occasion d'une perte pour le magistrat, lui envoie l'argent qu'il a déboursé, et pour l'achat de la tapisserie,et pour les frais du transport.Deux jours après, il la fait vendre, et ordonne que le produit soit
�VERT u. 335 employé aux fortifications. Les troupes de l'empereur lyant pénétré en Champagne, manquèrent de vivres. Les généraux français les ayant obligés de se retirer, illes tuèrent, dans leur retraite, tous ceux qui leur en refusèrent. Fabert, qui les poursuivoit, entra dans leur ?amp abandonné et couvert d'officiers et de soldats mtrichiens blessés et mourans. Un français, qui avoit 'ame féroce , dit tout haut : « 11 faut achever ces mal|« heureux qui ont massacré nos camarades. — Voilà |« le conseil d'un barbare , reprit Fabert ; cherchons \< une vengeance plus noble et plus digne de notre \« nation. » Aussitôt il fit distribuer à ceux qui purent Drendre une nourriture solide , le peu de provisions jue son détachement avoit apportées. Les malades furent ensuite transportés à Mézières, où, après quelpies jours de soins , la plupart recouvrèrent la Santé. Ils s'attachèrent presque tous au service de la puissance qui, contre toute espérance, les traita si généreusement. Tel est le triomphe de la vertu. 12. Les Sidoniens s'étant soumis à Alexandre-le\Grand, ce prince chargea Ephestionde leur donner pour roi celui d'entre eux qu'il jugeroit le plus digne d'une si "îaute fortune. Ce favori était logé chez deux jeunes frè|res des plus considérables du pays, auxquels il offrit le sceptre ; mais ils le refusèrent, apportant pour raison que, par les lois de l'Etat, nul ne pouvoit monter sur le trône qu'il ne fut du sang royal. Ephestion admirant cette grandeur d'ame, qui méprisoit ce que les autres cherchent par le fer et parle feu: Continuez, leurdit« il, de penser ainsi, vous qui les premiers avez com« pris combien il estplus glorieuxderefuserunroyaume « que de le posséder. Mais, au moins, donnez-moi quel« qu'un de la race royale, qui se souvienne, quand il « sera roi, que vous lui avez mis la couronne sur la tête.» Ces deux frères, voyant que plusieurs, dévorés d'ambition, aspiroient à ce haut rang, et que, pour y parvenir , ils faisoient servilement la cour aux favoris à'Alexandre, déclarèrent qu'ils ne connoissoient personne plus digne du diadème, qu'un certain Abdolonyme, descendu, quoique de loin, de la tige royale,
�336 VERTU, mais si pauvre , qu'il étoit contraint, pour vivre , de cultiver , par un travail journalier , un jardin hors de la ville. Sa probité l'avoit réduit, comme bien d'autres, à cette pauvreté. Uniquement occupé de son travail, il n'entendoit point le bruit des armes, qui avoit ébranlé toute l'Asie. Les deux frères aussi tôt l'étant allécher^ cher avec les habits royaux, le trouvèrent qui arrachoilles mauvaises herbes de son jardin. Ils le saluent roi; et l'un d'eux portant la parole : « Il s'agit, lui dit-il, « de changer ces vieux haillons avec l'habit que je vous, « apporte. Quittez cet extérieur vil etvbas dans lequel « vous avez vieilli : prenez un cœur de roi ; mais por« tez et conservez sur le trône cette vertu qui vous « en a rendu digne ; et quand vous y serez monté, « devenu le souverain arbitre de le vie et de la mort) « de tous vos concitoyens , gardez-vous d'oublier « l'état dans lequel, ou plutôt pour lequel vous avez « été choisi. » Il semblent à Abdolonyme que c'étoit un songe ; et , ne comprenant rien à tous ces-discours , il leur demanda s'ils n'avoient pas honte de se moquer ainsi de lui ? Mais , comme il tardoit trop à leur gré , ils le revêtent eux-mêmes , et lui jettent1 sur les épaules une robe de pourpre toute brillante d'or ; et, après lui avoir fait mille sermens qu'ils parloient avec sincérité , ils le conduisirent au palais. Incontinent la renommée porta cette nouvelle dans toute la ville : le plus grand nombre en fut ravi de joie ; quelques-uns en murmurèrent, principalement les riches , qui , pleins de mépris pour la bassesse de sa fortune précédente , ne purent s'empêcher d'en marquer leur mécontentement dans la cour du prince. Alexandre commanda qu'on le fit venir; et, après l'avoir long - temps considéré, il lui dit: « Ton air ne dément point ce qu'on dit de ton origine. « Mais je voudrais bien savoir avec quelle patience tu « as porté ta misère? — Plaise aux Dieux, répondit« il, que je puisse porter cette couronne avec autant « de force ! Ces bras ont fourni à tous mes désirs; et, •« tandis, que je n'ai rien eu , rien ne m'a manqué, s Cette réponse lit concevoir ail roi une grande opinion
...
�VIEILLESSE. ZZj ■ de sa vertu ; et, pour lui prouver son estime , ,il le 1 combla de présens magnifiques , et ajouta à ses États ■ une des contrées voisines.
I
■
H
%\\%\XXVVXXXX%XX-\xX\VXXXXXXXVXXX^
VIEILLESSE.
i. <N Egypte, on avoit pour les vieillards le respect ■ le plus profond. Les jeunes gens étoient obligés de se ■lever devant eux , et de leur céder par-tout la place ■ d'honneur. 2. Un jeune Spartiate voyant des hommes quisefai■ soient porter à la campagne dans des litières , s 'écria : ■ « A Dieu ne plaise que je sois jamais assis en un lieu I « d'où je ne puisse me lever devant un vieillard ! » 3.Pendantles fêtes qu'onnommePû«a//iene'e.s',etqui se célébroient à Athènes, un vieillardétantallé chercher ■ une place dans l'endroit où les Athéniens étoient assis, les jeunes gens se moquèrent de lui, et le renvoyèrent avec mépris : il se retira du côté des Lacédémoniens : et, dès qu'il parut, ils se levèrent tous , par respect pour son âge. Les Athéniens, témoins de cette aclion , lui donnèrent de grands applaudissement. «Hélas! s'écria « un Lacédémonien, ce peuple connoît ce qui esthon« nête , sans avoir le courage de le pratiquer ! » C'étoitune salutaire coutume établie chez les anciens, et il seroit à souhaiter qu'elle le fût aussi parmi nous, queles jeunes gens qui aspiroient aux charges,s'attachassentparticuliérement aux vieillards qui s'y étoient le plus distingués, et qu'ils apprissent, par leurs conversations, et plus encore par leurs exemples , l'art de se bien conduire eux-mêmes,etde gouvernersagementles autres. C'est ainsi qu'^rwftcZe s'attacha à Clisthhne : et lui-même,dans là suite,ouvritsamaisonàtouslesjeunes ;ens d'Athènes , qui avoient bonne volonté, et qui aloient le consulter comme oracle. Il les recevoit avec bonté : il les écoutôitavec patience; il les instruisoitavec plaisir, et s'appliquoit sur-tout à leur relever le courage, et à leur inspirer de la confiance. Ce fut à cette école Toin. III. Y
I E
I
4-
S
�338
VIEILLESSE»,
sçrue le célèbre Cimon reçut les semences précieuses de ces grandes qualités qui Pont rendu si fameux. 5. Sénèc/ue, quoique fort avancé en âge, ne rougissent pas d'aller aux écoles de philosophie. « Il y a déjà cinq jours, écrivoit-il à l'un de ses amis, que je vais en classe et que j'assiste, à huit heures précises, aux leçons du philosophe J\Iétrônà'cle:VëxxtLèlre allez-vous dire que je me mets au rang des enfans : j'en conviens; et je m'estime heureux , s'il n'y a que ce reproche qui puisse déshonorer ma vieillesse. Quoi ! il m'est permis, mal* gré mes années, d'aller au théâtre, et je rougir'ois d'entendre un sage ! Quelle folie que celle de ne vouloirpas apprendre, parce qu'on ne s'y est pas pris assez tôt pour le faire ! Il est toujours temps d'apprendre, quand ou est ignorant ; et l'on doit s'instruire des devoirs de la vie , tant qu'on a à vivre. Qui ne gémiroit pas de l'extravagance des hommes ? Mon chemin , pour aller au logis de Métronacte,m'ohYige dépasser derrière le théâtre : je le vois toujours rempli d'une foule de fanatiques qui s'empressent de juger sérieusement du mérite d'un vil histrion. Mais dans le lieu où l'on apprend à devenir plus honnête homme , les bancs sont vides ; et lê petit nombre de ceux qui y vont, passent pour insensés et pour ridicules. A la bonne heure \ qu'on lance contre moi des railleries qui me touchent peu. Il faut écouter , sans s'émouvoir, les reproches des ignorans; et leur mépris doit être méprisable à celui qui n'a pour objet que ce qui est honnête. » 6. Sophocle, ce poète immortel, qui, par la douce harmonie de ses vers, avoit mérité le glorieux surnom A'Abeille et de Sjrene Attique, lit bien voir que lavieillesse n'est point incapable de soutenir les travaux du Parnasse.Parvenu dans un âge très-avancé,ses fils , impatiens de posséder son héritage , l'accusèrent d'être tombé en démence, et demandèrent qu'il fût interdit. Pour toute défense , le poète lut à ses juges la tragédie A'Œdipe à 6Wo72e,qu'ileomposoitactuellement,etleur demanda si cette production paroissoit être l'ouvrage d'un imbécille? On ne lui répondit que par de grands applaudissemens : on couronna le vieux, nourrisson des
�v i c 11 A *f c Ê>: 53() Muscs; et ses indignes enfans, devenus l'exécration pu■nique , ne remportèrent de ce procès inique , que la |»ionte et l'infamie dues à une si criante ingratitude. VIGILANCE. fils du roi de Perse, fatigué des remontrances que Buzurgemihïr , son maître, lui faisoit sans «esse sur la vigilance, commanda un jour à ses gensdô llraller attendre de grand malin , lorsqu'il sortirait de ■shez lui i et de le dévaliser. Cet ordre ayant élé poncHtuellement exécuté, Buzuagemihir vint, en l'état où Kl se trouvoit, chez le prince qui, étant informé de ce Terni lui étoit arrivé, lui dit aussitôt : « Monsieur le docl« teur , prêcherez'-vous maintenant la vigilance avec |« tant de zèle ? Vous voyez ce qu'elle vous procure : : sans elle, vous auriez évité cette mauvaise rencontre. « — Vous vous trompez , prince , lui répondit Buzur« gemihir ; si j'eusse été plus vigilant, les voleurs ne « m'eussent pas enlevé ce que j'avois avec moi ; mais, « parce que je me suis laissé prévenir par ces brigands, « le Ciel m'a puni de ma paresse. Pratiquez donc cette « vertu , seigneur ; et que mon exemple soit pour vous « à l'avenir une utile Jeçon. » 2. Après la conquête de Philisbourg , M. le Prince et M. de Turenne firent gouverneur de cette place M. d'Erpenait, homme d'une exacte vigilance. Dans le temps que ces deux grands généraux lui déclaraient leur choix, et lui recomniandoient de bien remplir ses devoirs , le nouveau gouverneur les interrompit pouii aller chasser une chèvre qui mangeoit un chou sur un Lastion ; et, quand il fut de retour : « Messieurs , dit« il, voilà tin échantillon de mon exactitude. » 3. Quelqu'un représentant à Henri Arnauld , évêque de Toul, qu'il devoit prendre un jour de la semaine pour se délasser : « Oui , je le veux bien , ré«pondit le prélat , pourvu que vous me donniez un, <:< jour que je ne sois pas évêque.
Jft. lliOR.MUZj
.1.
Y 2
�34-0
VIRGINITÉ.
VIRGINITÉ.
i. O. MACAIRE étant en oraison, entendit une voix qui lui disoit : «Maurice,tu n'es pas encore arrivé à une aussi «grande vertu que celle de deuxfemmes,qui demeurent « ensemble dans une telle ville. » Aussitôt le saint vieillard prit son bâton , se transporta dans cette ville , et chercha la demeure des deux femmes. L'ayant trouvée, il frappa à la porte : l'une des deux vint lui ouvrir et le reçut avec bien de la joie. Il demanda aussi à parler i l'autre.Lorsqu'elle fut venue, il s'assit avec elles,etleiu dit: «C'est pour vous que je suis venu du fond du désert: « c'est pour savoir ce que vous faites et comment vous « vivez. Je vous prie de m'en informer. — Très - saint « père , lui répondirent - elles, quelles bonnes couvres « pouvez-vous attendre de personnes engagées, comme « nous, dans le mariage, et qui habitent avec leurs nia« ris ? « Macaire les pressant toujours de lui déclarer comment elles vivoient, elles lui dirent : «Nous avons « épousé deux frères ; et il y a quinze ans que nous demeurons ensemble. Depuis ce temps-là,nôusnenom « souvenons point d'avoir proféré une seule parole li« bre , ni d'avoir eu la moindre dispute , nous avons « toujours vécu dans une parfaite union. Nous avons « essayé tous les moyens possibles pour engager nos « époux à nous permettre de nous retirer dans une « communauté de vierges chrétiennes ; mais, comme « ils n'ont pas voulu y consentir, nous nous somma1 « promis l'une à l'autre , en la présence de Dieu, cie « conserver pure la virginité conjugale, et de ne pn> « nonoer jamais aucune parole mondaine, tant que nous «vivrons.» S. Macaire ayant entendu Ce discours, s'écria : « Qu'il est bien vrai, mon Dieu ! que vous ne « regardez point si l'on est vierge ou femme marie'e : « si l'on est moine ou séculier ! Vous ne considérez qrfe « la disposition du cœur : vous donnez votre esprit « saint à tous ceux qui veulent vous servir , que!» « que soient leur condition et leur genre de vie. »
�VIRGINITÉ.
| 2. Sainte Geneviève avoit environ sept ans , lorsque §B. Germain, évêque d'Auxerre, et S.Loup, évêque de raTroyes, passèrent à Nanterre, sa patrie, pour aller en ■Angleterre combattre contre l'hérésie de Pelage. A ■eur arrivée , une foule de gens , attirés par la réputation de leur sainteté, s'assembla autour d'eux pour reRevoir leur bénédiction. Geneviève y alla avec les autres, Conduite par son père et sa mère. Germain la distingua u milieu de la foule ; et l'ayant fait approcher «Ma lie, lui dit le prélat, voulez-vous vous consacrer à J. C. pour être son épouse ?—C'est tout mon désir , Je mon père , répondit la sainte.» Germain la mena dans le moment à l'église, lui imposa les mains , et la pria de le venir voir. Elle y alla le lendemain , conduite par son père et sa mère ; et le pieux évêque l'ayant Bbriseà part : «Ma fille , lui dit-il , vous souvenez-vous |< de ce que vous m'avezpromis hier?— Oui, mon père; :< et j'espère l'observer par le secours de Dieu et par :< vos prières.» Alors Germain regardant à terre , vit ne médaille de cuivre où la croix étoit empreinte : i\ a lui donna, en lui recommandant de la porter à son ou ; puis il ajouta ces paroles remarquables, qui sont Éjune leçon pourtoutes les vierges chrétiennes : «Ne soufK< frez pas que votre cou ou vos doigts soient chargés ||« d'or, d'argent, ou de pierreries ; car si vous aimez. ■« la moindre parure du siècle , vous serez privée des B« ornemens célestes et éternels. » 3.SainteIïwp/î/-<2jieperdit son père fort jeune ; et sa ■mère , dame vertueuse , prit soin de l'élever dans les principes les plus austères du christianisme. Euphrasie avoit reçu en partage tous les dons de la nature et de la fortune. Sa mère l'avoit promise, dès l'âge de cinq ■ans, au fils d'un sénateur de Constantinople 5 et pour lia rendre digne de son époux, elle se retira dans un ■ monastère de vierges, afin d'y cultiver en sûreté cette ■ jeune plante, et de la faire fructifier à l'abri du souffle ■ corrupteur du monde. La supérieure de cette eommu■ nauté prenoit un saint plaisir de s'entretenir avec cette I jeune fille , qui n'avoit alors que sept ans. Elle aimoit I à l'entendre raisonner sur la piété, et admiroit ce que Y 3
�342
VIRGINITE.
Dieu peut clans un cœur qu'il prévient de sa grâce, et qu'il daigne éclairer de ses lumières. Un jour, lui ayant demandé qui elle aimoit davantage, ou de celles qu'elle voyoit dans le monastère , ou de l'époux auquel elle «koit accordéeHâ]éûnéEùpJiràsie lui répondit: «Je ne « connois point celui qu'on m'a destiné, et je n'en suis :« point connue : pour vous autres , je vous connois et « je vous aime toutes. — Si vous m'aimez, dit la supé« rïëure en riant, demeurez donc avec nous. — Je le « veux bien, dit l'enfant,pourvu qne ma mère y con-1 « sente.» Elle lui demanda en effet son agrément, en lui témoignant un grand désir de demeurer dans le monastère ; mais la supérieure craignant que cette inclination ne vînt d'une attache passagère , assez ordinaire aux efans, à qui la nouveauté plaît toujours, lui dit : « Ma chèreMiUe , on ne peut demeurer ici, si on « ne se consacre entièrement à Jesus-Christ.—Et où « est Jésus-Christ ? repartit Euphrasie. » On lui montra un crucifix , en lui disant que c'étoit l'image de Ïïésus-Christ, le sauveur de tout le genre humain. Euphrasie l'embrassa tendrement, en disant : «Vous « êtes mon seigneur ; je me consacre à vous pour tou« jours : je ne veux point d'autre époux que vous ; je « ne sortirai point d'ici.—Vous n'y pouvez demeure^ « lui répliqua la supérieure : on ne sauroit où vous « loger.—Eh quoi ! ne puis-je être où vous logez vous« même ?—;Mais si vous demeurez ici , il faudra que « vous appreniez tout le psautier, que vous jeûniez « tous les jours , que vous veilliez , et que A'ous pra« tiquiez beaucoup d'autres mortifications.—Ah! nia « mère , j'espère être fidelle à tout, pourvu que vous « me laissiez avec vous. » Euphrasie perdit, peu de temps apîès avoir pris le voile, sa tendre et pieuse mère 5 et l'empereur Thêodose-te-Grand ayant su sa mort, en apprit la nouvelle au sénateur à qui la jeune vierge avoit été accordée , et lui fit savoir en même temps qu'elle avoit pris Jésus-Christ pour époux.Cependant , à sa prière , il écrivit à Euphrasie , afin de l'informer de l'engagement que sesparens avoient contracté pour elle. Cette généreuse épouse de Jésus-
�343 É. Christ récrivit a Fempcreur une lettre pleine de res\pect, et en même temps pleine de religion. « Je suis à Jésus-Christ, dit-elle , je ne puis me donner à un autre : tout ce que je souhaite , c'est que le monde ne ise souvienne plus d;Euphrasie. Je supplie très-hiimblepnent votre majesté de faire distribuer aux pauvres et aux orphelins tous les biens que mes parens m'ont laissés à Constantinopîe et aux environs ; défaire donner la liberté aux esclaves de ma famille, et de faire remettre aux fermiers de mes biens tout ce qu'ils doivent depuis la mort de mes parens. » L'empereur fut si touché de ces nobles sentimens ; qu'il fit lire la. lettre en plein sénat, et exécuta ponctuellement tout ce que la sainte avoit demandé. Voyez GXIASTETÉ , PUDEUR.
V I V. A C I T
ENRI IV etoit né vif et emporté ; mais il se. rendit, tellement le maître de sa colère, qu'il savoit se modérer dans lès occasions les plus difficiles. Au siège de Rouen,, les assiégés firent une sortie furieuse , et nettoyèrent la tranchée : le maréchal de Biran en rejeta la.faute sur, Criltou. Cet officier voulut se justifier : il alla trouver le roi, qui.ne parut pas aussi persuadé de-ses raisons , qu'il l'eût voulu. Des excuses, il passa à la chaleur de la contestation, et de là contestation à l'emportement, et aux blasphèmes , qui lui étoient familiers.. Le prince, irrité dix manque de respect de CrïLlon lui ordonna de sortir. Grillon revenant à tous momens , on. s'aperçut que le monarque perdoît patience. Il en avoit le plus juste sujet; mais enfin CrïLlon sortît ; et. le roi s'étant.remis, dit aux seigneurs qui l'aceojnpagnoienb: «La nature m'a formé colère ; mais, depuis que je me connois , je me suis toujours tenu en garde contre une passion qu'il est dangereux.d'écouter. Je l'e sais par expérience ; et je suis bien aise d'avoir de si bons témoins de ma modération. » 2.Un ministre de Hollande, envoyé vers un roi da
m
VIVACITE.
Xi
�344
VIVACITÉ.
INord, prince habile, mais violent, eut une audience secrète de ce monarque, dans laquelle il avoit à justifier quel mes démarches de la république , qui ne ppùvoiënî que déplaire au roi. Le discours s'anima vivement : et , dans la chaleur des contestations, le ministre répéta plusieurs fois le nom de ses maîtres. « Ah ! s'écria le monarque en colère , vos maîtres sont « des fourbes ! — Sire, interrompit le sage négocia« teur , votre majesté voudroit-elle que je leur fisse « part de cette déclaration dans mon rapport ? Sans « doute , répliqua le roi : vous n'avez qu'à le leur « marquer de ma part. » Le ministre se gardabien d'obéir; et, quelques jours après, voyant le prince dans une assiette d esprit plus ealme,il lui fit valoir adroitement sa discrétion, et en obtint tout ce qu'il voulut. 3.Le maréchal de Biron étoit violent et emporté; mais sa colère passée , il devenoit doux et Irailahle. Un jour , dit Brantôme. , venant au logis de M. notre général, ainsi qu'il s'approchoit, et qu'il y avoit force chevaux de.seigneurs et gentilshommes attendant leurs maîtres qui étoient dans le logis du général, comme cela se fait aux cours et aux armées , il y eut un fort beau courtaud d'un gentilhomme , qui valoit bieu deux cents écus , qui fit semblant de se ruer. Il mit aussitôt la main à l'épée , et coupa tellement, d'un revers, le nazau au cheval , qu'on ne lui voyoit que les dents , dont il paroissoit si laid, qu'il fit rire tout le monde. Le gentilhomme s'en vint à lui se plaindre, après que sa colère fut passée , connoissant son humeur ; car autrement il eût bien trouvé à qui parler, que son cheval étoit gâté pour jamais ; qu'il en avoit refusé deux cents écus. — Quand vous en auriez refusé mille, lui dit Biron, je lui en eusse fait de même; car je n'ai qu'une bonne jambe , je ne la veux pas perdre. Mais venez-vous-en à mon écurie , je vous en donnerai un qui le vaudra. » 4- Le duc de Lauzun, favori de Louis XIV, manqua un jour de respect à ce prince, à un point qui n'étoit pas excusable.Le monarque, qui sentoitvenirsa colère, jeta brusquement par la fenêtre une canne qu'il tenoit
�545 la main , et dit, en se tournant vers M. le Tellier , Mai étoit présent : « Je serois au désespoir, si j'avois B frappé un gentilhomme ! » Dans une autre occasion, le même Lauzun ayant abusé de l'amitié que le roi Iffvoit pour lui, ce prince se contenta de dire : « Ah ! m si je n'étois pas roi, je me mettrais en colère. » Voyez MODÉRATION , RETENUE.
B
URBANITÉ.
^XXXXXXA.XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXAXXXXXX*I(
URBANITÉ.
[.Louis XIV, ayant donné la charge de grand-maître le sa garde-robe au prince de Marsillac , lui écrivit le billet, plein de cette urbanité qui doit caractériser Bn monarque français : « Je vous envoie la Gerborie, « de qui vous apprendrez une nouvelle qui, selon les 1 apparences , vous sera fort agréable. Je me réjouis « avec vous comme votre ami, du présent que je vous K fais comme votre maître. » Le grand Condé étant allé le saluer, après le gain de bataille de Senef, livrée le 11 d'Août 1674, contre prince d'Orange, le roi se trouva sur le haut du rand escalier. Le prince, qui avoit de la peine à monjer à cause de sa goutte , s'écria : «Sire , je demande pardon à votre majesté, si je la fais attendre. — Mon cousin lui répondit Louis, ne vous pressez pas : on ne sauroit marcher bien vite , quand on est aussi chargé de lauriers que vous l'êtes. » Le même prince ayant fait faire halte à son armée, ar une excessive chaleur , pour rendre au roi , qui arrivoit, les honneurs qui lui étoient dus, sa majesté xigea que le prince entrât dans l'unique cabane qui e trouvoit, pour se mettre à l'abri des ardeurs du oleil, ajoutant : « Mon cousin , puisque je ne viens |< dans votre camp qu'en qualité de volontaire, il n'est I< pas juste que je sois à l'ombre , tandis que mon te général est exposé à toute la chaleur du jour. » I 2. Lorsque l'empereur Joseph II partit pour la France , le duc de Wirtemberg craignit qu'il ne voulût , comme à son ordinaire , s'arrêter dans une hôtel-
I
�34*5
z
È L E:
Wie publique lorsqu'il passerait par Stuttgard. Pour l'engager à loger chez lui, il fit ôter toutes les enseignes des auberges de la ville , et sur la seule porte de son palais , il en fit mettre une qui portoit : Hôtel impérial, garni. L'empereur , sensible à un empressement aussi flatteur, répondit à l'urbanité du duc, en demeurant avec lui plus de temps qu'il n'avoit projeté. 3. Un soldat de l'armée de M. de Turenne avoit pris le nom de ce général, qui. lui en fit réprimande. « Que voulez-vous , mon général ? répondit le soldat. « J'ai la folie des noms ; si j 'en avois su vin plus beau « que le vôtre, je l'aurais pris. » 4. Le comte d'Evreux venoitvoir quelquefois Fontenelle. Un jour que ce prince , après une longue visite, se préparait à sortir, Fon tenelle dit à ses gens: « Ouvrez donc les deux battans. — Laissez , je pas« serai bien un seul ouvert. — Oui, monseigneur, « vous y passeriez bien ; mais, votre nom n'y passerait « pas. » 5. Après la première cause que M. Cochin plaida au palais , M. le Normand le joignit au sortir de l'audience , et lui protesta tout haut, que de sa vie il n'avoit rien entendu de si éloquent. « On voit bien, « lui répondil M. Cochin, que vous n'êtes pas de ceux « qui s'écoutent parier. » Voyez CIVILITÉ ,. POLITESSE , SAVOIR-VIVRE, TON {bon).
^vx\x%\\x\x\xx\\xxv\xxxxxxxxvvvxvxxxx%xxvxxxvxv\>xcx\xx\wxxxxx%xxx\\\v\\v
Z È L E.
1 .DARIUS I, rai des Perses , voulant faire la guerre aux Scythes , son frère Artabane , pour qui il. avoit un grand respect, et qui, de son côté , n'avoit pas moins de zèle pour les véritables intérêts du. roi, se crut obligé , dans cette occasion, de lui découvrir ses sentimens , avec toute la liberté que demandoit l'importance de l'affaire. « Grand prince , lui dit-il, ceux « qui forment de vastes entreprises doivent considérer, « avant tout, si elles seront utiles ou préjudiciables à « l'état ; si l'exécution en sera facile ou difficile, si
�'on-
ZÈLE: 347 elles pourront contribuer ou nuire à leur gloire ; enfin , si elles sont conformes ou contraires aux règles de la justice. Je ne vois point, seigneur , quand même vous seriez assuré du succès , quel avantage vous pouvez attendre de la guerre que vous entreprenez contre les Scythes. Ce sont des peuples séparés de votre empire par de longs espaces de terre et de mer , qui habitent d'immenses solitudes ; qui sont sans villes , sans maisons , sans établissemens , sans richesses. Qu'y a-t-il à gagner pour vos troupes dans une telle expédition, ou plutôt que n'y a-t-il point à perdre ? Accoutumés à passer d'une contrée dans une autre , s'ils s'avisent de prendre la fuite devant vous , non par crainte ou par lâcheté , car tout l'Univers connoît leur courage intrépide , mais dans le dessein de fatiguer et de ruiner votre armée par de continuelles et de pénibles courses , que deviendrons: nous dans un pays inculte , stérile et dénué de : tout, où nous ne trouverons ni fourrages pour : nos chevaux , ni nourriture pour nos soldats ? Je : crains , seigneur, qu'une fausse idée de gloire , : et des conseils flatteurs , ne vous précipitent dans : une guerre qui pourra tourner à la honte de la : nation. Vous jouissez d'une paix tranquille au milieu de vos peuples , dont vous faites l'admiration et le : bonheur. Vous savez que les Dieux ne vous ont placé sur le trône , que pour être le canal et le ministre de leur bonté , encore plus que de leur puissance. Vous vous piquez d'être le protecteur , le tuteur , le père de vos sujets ; et vous nous répétez souvent, parce que vous le pensez ainsi , que vous ne vous croyez roi , que pour les rendre heureux. Quelle joie pour vous , grand prince, d'être la source de tant de biens, et de faire vivre, à l'ombre de votre nom , tant de peuples dans un si aimable repos ! La gloire d'un roi qui aime son peuple, et qui en est tendrement aimé ; qui, loin de faire la guerre aux nations voisines ou éloignées, les empêche de l'avoir entre elles , n'est elle pas infiniment
�34^ Z È L E. << plus touchante que celle de ravager la terre, en « répandant par-tout le carnage , le trouble, l'horreur, « la consternation, le désespoir ? Mais un dernier « motif doit encore faire plus d'impression sur votre « esprit, que tous les autres : c'est la justice. Vous « n'êtes point, grâces aux Dieux , de ces princes qui « ne reconnoissent d'autre loi que celle du plus fort, « et qui regardent comme un privilège attaché à la « royauté d'envahir le bien d'autrui. Vous ne faites « point consister votre grandeur à pouvoir tout ce « que vous voulez , mais à ne vouloir que ce que vous « pouvez , selon les lois , et ce que vous devez. Ea « effet, sera-t-on injuste et ravisseur , quand on ne « prend que quelques arpens de terre à son voisin ? « et sera-t-on juste, sera-t-on héros, quand on usurpe << et qu'on envahit des provinces entières ? Or, j'ose « vous le demander , seigneur , quel titre avez-vou? << pour vous emparer de la Scythie ? quel tort vous « ont fait les Scythes ? quelle raison pouvez-vous « alléguer pour leur déclarer la guerre? Celle que << vous avez faite aux Babyloniens étoit en même « temps et nécessaire et juste : aussi les Dieux f'ont>> ils couronnée d'un heureux succès. C'est à vous, « seigneur, de juger si celle qne vous entreprenez « maintenant a les mêmes caractères.» Il n'y avoit que le zèle généreux d'un frère uniquement occupé de la gloire de son prince, et du bien public, qui pût inspirer une telle liberté;mais aussi il n'y avoit du côté du prince, qu'une parfaite modération capable de la souffrir. Darius, loin de se choquer du discours à'Artabane, le remercia de son conseil; mais il n'en profita pas. L'engagement étoit pris. Il partit à la tête d'une armée formidable, et fut vaincu sans combattre, comme l'avoit prédit le sage conseiller du monarque. 2. Le comte de Nassau , l'un des généraux de Charles-Quint, menaçoit Péronne , en i536 ; et les habitans, dépourvus de toutes choses , paroissoieni résolus de l'abandonner. Alors un gentilhomme français des environs , nommé d'Esturmel, signala son zèle
�34g Donr sa pairie. Prévoyant les suites funestes qu'entraiîeroit la perte de Péronne , il s'y trasporta , avec sa ffamille et ses enfans , et anima tellement ses conciRoyèns par ses discours et son exemple, qu'ils se déterminèrent à la défendre jusqu'à la dernière extréftnité. Cet homme aussi généreux que brave, y fit cortfduire tous les grains qu'il avoit chez lui, et tous ceux u'il put obtenir de la noblesse du voisinage ; y disribua son argent, et celui qu'il trouva dans la bourse e ses amis , montra une valeur , une activité , une ntelligence , qui rassurèrent les plus timides. Cette onduite déconcerta l'ennemi, et l'obligea de se relier après un mois de siège , pendant lequel il donna uatre fois l'assaut sans pouvoir se loger sur les brèches , qui étoient très-considérables. Le roi , voulant écompenser d'Esturmel, le fit son maître-d'hôtel, et ui donna une charge considérable dans les finances. 3. M. de la Feuillade assiégeoit Turin, avec aussi peu de succès que de présomption. Le maréchal de Vauban , qui brûloit du désir de combattre pour sa atrie , offrit au général de servir sous lui en qualité e volontaire. Il en fut refusé. LouisXIV, voyant que e siège iravancoit point, le consulta; et Vauban offrit encore d'aller conduire les travaux. « Mais , M. « le maréchal, lui dit le roi , songez-vous que cet « emploi est au-dessous de votre dignité ?—Sire , ré« pondit Vauban , ma dignité est de servir l'état. Je « laisserai le bâton de maréchal à la porte, et j'aiderai « peut-être le duc de la Feuillade à prendre la ville. » 4- Le peuple de Gubbio, en Ombrie , s'étoit soulevé ; et lès séditieux, les armes à la main , menaçoient déjà d'inonder la ville du sang des citoyens. S. JJbald, leur évêque , l'apprend : un zèle divin l'enflamme ; il court à la place publique : il emploie lès remontrances pour calmer les mutins ; mais ses prières , ses exhortations sont inutiles. Le généreux prélat , ne consultant plus alors que son ardente char ité, se précipite au milieu des épées nues. Il se laisse tomber à terre , comme s'il eût été mort ; et chacun I crut qu'il l'étoit. en effet. Aussitôt les sédilieux déZ È L E.
�35o
z È i £ posèrent les instrumens de leur fureur ; et, se livrant au désespoir d'avoir perdu un pasteur chéri, ils s'ar-1 rêtent pour pleurer une mort dont ils se croyoient f coupables. Le saint évêque , voyant que cet innocent S artifice avoit eu un succès heureux, se relève , fait dire au peuple qu'il n'étoit pas blessé. Alors chacun se réconcilie , et ne pense plus qu'à remercier Dieu, de ce que celui qu'ils croyoient avoir perdu par leur faute , leur étoit rendu. 5. Durant une violente persécution que le paganisme avoit excité contrôles chrétiens , Arcade, pour I mettre sa foi en sûreté , abandonna sa maison , etr s'alla cacher dans une solitude où il servoit Dieu dans les veilles, le jeûne et la prière. Les persécuteurs, ! étant entrés dans sa maison, y trouvèrent un de ses h parens , que îe gouverneur fit resserrer dans une I étroite prison , jusqu'à ce qu'il eût déclaré le lieu | qu? Arcade avoit choisi pour retraite. Le saint,l'ayant appris , sortit aussitôt de son asile , et vint se présen- [ ter au gouverneur. « Si c'est à cause de moi , lui I « dit-il, que vous retenez mon parent prisonnier, je E « viens me remettre moi-même entre vos mains, pour I « vous déclarer ce que vous voulez savoir , et qu'il « ne pouvoit vous apprendre. Relâchez - le mainte- [ « nant, car je vous rendrai compte de tout. » Le gou- h verneur dit à Arcade qu'il pardonnoit à son parent, et h qu'il lui pardonnerait à lui-même, s'il vouloit sacrifier I aux dieux. «Savez-vous, repartit Arcade, ee que c'est |« « qu'un serviteur de Dieu?C'est un homme qui ne se | « laisse ni affoiblirpar l'amour de la vie, ni ébranler par I « la crainte de la mort. C'est Jésus-Christ qui est sa vie; I « et la mort est un gain pour lui. Imaginez contre nous ■ « les supplices les plus horribles, et vous verrez que 1 « rien ne peut nous séparer de nolreDieu.» Legouver- | neur, piqué de ce discours, mitla constance à'Arcade à i l'épreuve des plus affreux tourmens. 11 lui fit couper, | l'un après l'autre, età plusieurs reprises,les doigts, les mains, les bras, les jambes. Le saint martyr, au milieu, de ces supplices, qui faisoient souffrir les spectateiuset les bourreaux même , conservoit une tranquillité lou-
�ZÈLE;
/65Î
Iburs égale , ne cessan t de louer Dieu , et de le lour la conversion de ceux qui le faisoient so ttnfin, réduit à n'être plus qu'un tronc sans mer It baigné dans son sang, il rendit son esprit à avec la gloire d'être tout ensemble le martyr de ■hrétienne et de la charité fraternelle, j 6. L'arianismefaisoitde grands ravages dans l'Eglise ■ar la protection que lui donnoi t l'empereur Valens. Un fjjieux solitaire , nommé Aphraate, dont là réputation ■toit grande, crut que Dieu demandoit de lui qu'il s'y ■pposât de tout son pouvoir. Ne consultant que son zèle ■our la défense de la foi de Jésus-Christ, il quitta sa » traite, vint â Antioche, etfortifia le peuple dans la mine doctrine, autant par la sainteté de sa vie que par ■éloquence de ses discours. Onvoyoit, non sans admimtion, ce solitaire exténué par ses grandes austérités , B l'âge de près de quatre-vingts ans, parcourir les rues, ■1er dans les places publiques et dans les maisons, pour Ruiner lesFidellesà souffrir la persécution, les prému■ir contre le venin de l'erreur, les confirmer dans la ■érité, et par-tout faire triompher la divinité de Jésustthrisl, en confondant l'impiété etl'hérésie.L'empereur Jgoulullui foire un reproche de ce qu'il avoit abandonné m solitude, pourcourir parles villes, et exciter, disoitm, les peuples à la révolte. Mais Aphraate lui répondit, Wec cel-te fermeté <îue donne un saint zèle pour Jésus■hrist: « Prince , je suis resté dans ma solitude , tant ■ que les brebis du troupeau du céleste Pasteur ont été |enpaix;aujourd'huique je les vois troublées et prêtes à être dévorées, me conviendroit-il de demeurer tranquille dans ma cellule ?Si j'étois une fille l'etirée dans lia maison de mon père, et que je visse quelqu'uny (mettre le feu , me conseilleriez-vous délaisser faire , de rester en repos, et de me laisser brûler avec la maison ?Ne me diriez-vous pas plutôt d'aller chercher du secours, de jeter de l'eau, et défaire tousmes efforts pour éteindre l'incendie ? C'est ce que je fais maintenant. Vous avez mis le feu à la maison du Seigneur. De ma cellule j'ai aperçu l'incendie , et je tâche de l'cleiudre. Un. solitaire perd-il la qualité de chrétien
�352 ZÉLÉ. « pour être dans la retraite ? et les intérêts de Jési « Christ ne sont-ils plus les siens , parce qu'il ai, « nonce à ceux du monde ? » L'empereur ne repL point à une réponse si généreuse, et son silence connoître qu'il la trouvoit juste. 7. L'empereur Anastase, mettant tout en œuvre pj établir l'erreur des Eutychiens , entreprit de gagna son parti le célèbre Théodose, chef d'une nombretb compagnie de solitaires. Il lui envoya une très-groS somme d'argent, comme une aumône , pour assis! les pauvres et les malades. Le saint abbé s'apertj bien de l'artifice : néanmoins il reçut l'argent, etl fit l'emploi. Quelque temps après , l'empereur lui proposer de souscrire une confession de foi , qui « tenoit l'hérésie proscrite. Aussitôt il assembla tous: moines , les avertit du péril où étoit la foi, et les I horta vivement à défendre la vérité, aux dépens mél de leur vie. 11 écrivit ensuite au monarque une letl pleine de l'esprit apostolique , dans laquelle , ap avoir réfuté solidement l'erreur d'Eutychès, il dl « Puisque nous n'avons qu'un choix à faire , ou a « conserver honteusement notre vie en suivant lij| « reur , ou de mourir avec honneur dans la vraieI « que les saints pères nous ont enseignée, je décli « à votre majesté que nous préférons la mort à la vif Anastase, étonné de cette liberté, fit au zélé patril che une réponse fort respectueuse, et l'assura qt ne désiroit autre chose que de procurer la paix à 11 glise. Mais il recommença la guerre bientôt après,p des édits sanglans qu'il publia contre les catholique et qu'il fit exécuter à main armée. A cette nouvel! Théodose courut à Jérusalem, fit assembler le peu» dans l'église ; et , étant monté dans la tribune où 11 faisoit les lectures etles instructions1, il dit àhaute vcii « Si quelqu'un ne révère pas les quatre conciles écfl « méniques de Nicée, de Constantinople , d'Ephè' « et de Chalcédoine , comme les quatre Evangiki « qu'il soit anathême ! » Une action si hardie , dans1 vieillard de quatre-vingt-quatorze ans, rendit le coi rage à ceux que la rigueur des édits avoit effrayés.|
�ZÈLE. 353 , Abraham étoit assis à la porte de sa tente , pour s'il ne trouveroit pas quelqu'occasion d'exercer , Jers les voyageurs , les devoirs sacrés de l'hospitaJfl. Il aperçoit trois jeunes hommes : il court à eux , invite avec instance à entrer dans sa tente, les reavec joie, les sert avec empressement, et, après jepas, les conduit dans le chemin. Ces trois voyaie gagne geurs éîoient trois anges que Dieu envoyoit pour punir le èriinc de Sodome. On marchoit de compagnie dans joule de cette ville coupable , lorsque l'ange , qui jues-là avoit fait le principal personnage , s'écria toul-d"un-coup : « Pourrai - je me résoudre à cacher « plus long-temps à Abraham les desseins que je suis « près de faire éclater ? Non ; ouvrons-nous à lui sans « réserve, et ne craignons point de lui faire une con« fidence dont il est digne... La clameur des énormes « péchés dont Sodome et Gomorrhe se sont déshono« rées , s'est fait entendre jusqu'à moi, et me demande « vengeance ; tant leurs iniquités sont infâmes et into« lérables ! J'irai moi-même , et je verrai si le bruit de « ces forfaits n'en exagère point la grandeur , pour « punir ensuite les coupables , suivant la mesure de |ur iniquité. » |eux des voyageurs, à ces mots, quittèrent Abraham, avancèrent rapidement vers Sodome. Mais le saint iarche ne quitta point celui dont il venoit d'entenles oracles, et qu'il avoit eu tout le loisir de reconnoître pour l'envoyé du Seigneur. Il s'approcha respectueusement de lui ; tant la charité et le zèle donnent quelquefois du courage ! et il prit la liberté de lui dire : « Mais quoi ! Seigneur, voudriez-vous confondre |ans la même punition , l'innocent et le coupable ? i l'une de ces villes criminelles renferme dans son bin cinquante j ustes mêlés dans lafoule des pécheurs, p ferez-vous périr tous ensemble ; ou plutôt, ne jardonnerez-vous pas à la multitude des coupables, In faveur des cinquante justes ? Oui, Seigneur, vous erez miséricorde. Malheur à moi, si je pensois que |ous pussiez en user autrement ! Vous qui jugez tous es hommes, et qui êtes la souveraine justice , vous Tome III. Z
m
�354
Z
È
L
E
*
« ne perdrez point le juste avec Fimpie. Non, vous ne « le ferez point ; vous ne pourrez vous y résoudre. » La candeur et la simplicité d'une prière si touchante gagnèrent le cœur de Dieu, et attirèrent à Abraham, la plus consolante réponse. « Vous serez content, lui « dit le Seigneur ; si Sodome offre à mes yeux cin« quante justes qui se soient préservés de la contagion, « je ne détruirai point la ville; et les cinquante justes « obtiendrontla grâce de tous les criminels.—Que vous « êtes bon, Seigneur! reprit Abraham , et que j'avois « bien jugé de votre clémence infinie ! Mais puisque « j'ai commencé à vous parler, moi qui ne suis que « cendre et poussière, j'ajouterai encore un mot ; vous « n'en serez point offensé. Bornez - vous tellement la « grâce de Sodome au nombre de cinquante justes, « que s'il en manquoitcinq sur la totalité, vous repris«: siez tous vos droits ; et voudriez-vous perdre une ville « dont l'innocence de quarante-cinq de vos serviteurs « solliciteroit le pardon ?—Non , reprit le Seigneur, « quarante-cinq j ustes suffiront pour désarmer ma ven« geance. —Mais , mon Dieu! continua le zélé patriar« che,si,par malheur, il ne s'en trouvoitque quarante, « que feriez-vous ? — Je ne vous refuserois pas encore, « dit le Seigneur, et je pardonnerois, » Abraham en avoit déjà beaucoup fait; et tout autre eût regardé une démarche de plus, comme une ticïrdiesse insoutenable. Mais l'innocence, qui fait les amis de Dieu, leur donne des droits que les autres hommes ne connoissent pas ; et, ce qui seroit dans ceux-ci témérité punissable et folle présomption, est dans ceuxlà simplicité de cœur et respectueuse liberté. Aussi Abraham , qui d'abord ne faisoit ses conditions avec Dieu que de cinq en cinq, passe ensuite jusqu'à dix; et, retranchant ce nombre de celui de quarante : K Ne « vous irritez point, Seigneur , dit-il, si votre pre« mière condescendance me donne la hardiesse de vous << parler encore une fois. Au cas qu'il ne se trouvât « que trente justes dans Sodome, faudroit-il désespérei « du pardon ? — Non, répondit le Seigneur , et cese« roit assez pour surpendre ma justice. — Hélas ! Sei-
�% È
L E.
355
« « « « «
gneur , ce seroit bien peu que vingt justes dans une grande ville ; mais , après tout, ce petit nombre d'ames innocentes ne seront-elles d'aucune considération devant vous ? - Oui, sans doute ; et vingt justes me désarmeront. » Abraham délibéra alors , et commença à craindre l'excès de son importunité ; mais Fange , après tout, ne le quittoit point , et ne paroissoit point fâché de l'entendre. « Je le vois bien , Seigneur , dit-il, vous « voulez que je vous presse encore ; mais ce sera pour « la dernière fois , et je m'assure que vous me par« donnerez , si je vous dis que dix justes suffiront « pour autoriser votre indulgence.—Oui, sans doute, « ils me suffiront. Pour dix justes , je consens à épar« gner des milliers de coupables.» Peut-être Abraham éloit-il tenté de faire un dernier effort; car la charité des saints est bien difficile à rebuter. Mais le Seigneur ne lui en laissa pas le loisir. L'ange, qui le représentait, disparut ; et le vertueux patriarche retourna chez lui, comblé des mérites de son zèle , pénétré de la craintedes jugemens du Très-Haut, et dans l'attente de la funeste punition dont étoient menacées les villes coupables pour lesquelles il avoit inutilement prié. 9. Pendantque saint Louis étoit retenu dans lts fers des Sarasins , ces infidelles, étonnés de ses vertus sublimes, voulurent le proclamer roi d'Egypte ; mais ils craignirent qu'il ne détruisit leur croyance. Peu de temps après,le monarque, s'entretenant de cette aven^ ture avec le sire de Joinville, son confident,il lui demanda s'il crovoit qu'il eût accepté la couronne qu'on avoit parlé de lui offrir ? « Ma foi ! sire , répondit le « sénéchal, vous eussiez fait en vrai fou , vu qu'ils « avoient occis leur seigneur.—Or, sachez, reprit « Louis, que je ne l'eusse mie refusée : » tant étoit vif et ardent le zèle de ce prince véritablement trèschrétien ! 10. Le solitaire Abraham, qui fut depuis évêque de Carres, en Mésopotamie, brûloit du désir de répandre son sang pour la foi de Jésus-Christ.11 quitta sa retraite; et, s'étant déguisé sous un habit de marchand, il s'en
Z
2
�356 ZELE. alla avec quelques autres anachorètes dans un village du Mont-Liban , dont il avoit appris que les habitant étoient encore plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, îl y loua une maison ; et après avoir passé trois ou quatre jours , sans rien faire paroître de ce qu'il étoit, il commença enfin à chanter des psaumes avec, ses compagnons. On les entendit , quoiqu'ils chantassent d'un ton assez bas. Aussitôt tous les habitans accoururent , bouchèrent la porte de la maison par dehors, et, dessus le toit, jetèrent quantité de terre pour les étouffer. Cependant ces saints, ensevelis dans la poussière , continuoient d'offrir à l'Eternel l'encens de leurs prières. Cette patience toucha quelques-uns des idolâtres , qui arrêtèrent les autres. On déboucha la porte : on les tira de dessous la terre dont ils étoient couverts , et on leur commanda de sortir du village, à l'heure même. Dans ce moment, arrivèrent des officiers de l'empereur, pour faire payer la taille aux habitans. Ils chargeoient les uns de chaînes , et faisoient impitoyablement fouetter les atitres. Alors Abraham, oubliant les mauvais traitemens qu'il venoitde recevoir, ne pensa qu'à imiter celui qui , étantsur la croix, avoit prié pour ceux qui l'y avoient attaché. Il parla aux officiers , et les conjura de traiter ces pauvres gens aveo moins de rigueur. Us demandèrent si quelqu'un vouloit répondre de la dette, qui étoit de cent pièces d'or? Abraham offrit sa caution, et promit de payer cette somme dans peu de jours. Il alla aussitôt à Emesse, ville voisine , où , ayant emprunté à des personnes de connoissance l'argent dont il avoit besoin, il l'apporta au jour marqué. Ces habitans furent si touchés de la générosité du serviteur de Dieu, qu'ils lui demandèrent pardon des mauvais traitemens qu'ils lui avoient faits , et le prièrent instamment d'être leur seigneur ; car ils n'en avoient pas. Il y consentit, mais à condition qu'ils embrasseroientla religion chrétienne. Ils acquiescèrent à tout ce que le saint exigeoit, et bâtirent eux-mêmes une église. Ensuite , comme il s'agissoit d'avoir un prêtre pour les conduire, ils lui déclarèrent qu'ils n'en vouloient point
�357 ■'antre que lui-même. Il fut donc ordonné prêtre ; et B passa trois ans à les instruire de la religion , et il le les quitta que pour être placé sur le siège épiscoHal de Carres. Cette ville avoit eu plusieurs évêques ■lustres en piété ; mais quelques peines qu'ils eus■snt prises poux défricher cette terre rebelle, Abraham K trouva encore toute couverte d'épines , par la cor■uplion des mœurs et les superstitions payennes, auxquelles la plupart des habitans demeuroient attachés, eut des travaux infinis à essuyer , pour les faire énoncer à leurs erreurs. Enfin l'éclat de ses vertus, force de ses paroles , et l'ardeur de son zèle , aclompagnés de la bénédiction de Dieu , les convertirent presque tous ; et il eut la consolation de voir fette ville idolâtre changée en une ville toute chréjenne. Les travaux de l'épiscopat ne lui firent rien relâler de la pénitence qu'il avoit pratiquée dans la so|tude. Aussi zélé pour son propre salut , que pour i sanctification de ses brebis, il donnoit la plus grande artie de la nuit à la prière et au chant des psaumes, t passoit le reste assis dans un siège , où il prenoit uelque repos. Il ne mangeoit qu'après l'office de vêïres , c'est-à-dire , après le coucher du soleil ; et aute sa nourriture étoit des herbes crues , ou des tuits dans la saison. Il vécut ainsi, pendant tout le smps de son épiscopat, sans faire usage ni de pain, li d'eau, ni de feu , ni de lit. Mais cette austérité | étoit que pour lui : elle ne l'empêchoit pas de pren|re grand soin des autres. Il exercoit l'hospitalité d'une lanière très-généreuse, et n'épargnoit rien pour bien 'aiter ses hôtes. Il les faisoit manger dès midi , et se friettoit à table avec eux ; mais ce n'étoit que pour fervir et exciter les convives. 11. S. Jean l'Aumônier ayant remarqué que plusieurs personnes sortaient, après la lecture de l'évangile de la messe , pour s'amuser , hors de l'église , des entretiens inutiles , quitta un jour l'autel poulies suivre , et alla s'asseoir au milieu d eux. Comme ils en paroissoient fort étonnés : « Mes enfans , leur Z 3
ZÈLE.
�358 Z È L E. « dit-il , il faut que le pasteur soit où sont les brehij. « Ou rentrez avec moi dans l'église, ou je demeurerai « ici avec vous. Ce n'est que pour vous que je viens « dans le temple saint ; car je pourrais dire la messe « pour moi dans la maison épiscopale. » Après avoir fait la même chose une seconde fois , il corrigea cet abus. Un jour j il se vit contraint de lancer contre un de ses prêtres les anathêmes de l'Eglise. Comme il vit que sa juste sévérité n'"avoit fait qu'endurcir le cœnr de cet homme , et qu'il étoit plus que jamais ulcéré contre lui , il entreprit de le gagner par la douceur. D'abord il eut la pensée de le faire venir, et de l'absoudre , après lui avoir donné quelques avis salutaires ; mais Dieu permit qu'il l'oubliât. Le dimanche suivant, étant, à l'autel , cet ecclésiastique lui revint en mémoire. Aussitôt, pour obéir au commandement de Jésus-Christ, il quitta l'autel 5 et étant allé dans la grande sacristie, il envoya plusieurs de ses officiers, pour chercher le clerc par-tout oii il pourrait être. On le trouva ; et, lorsqu'il fut venu, le patriarche se jeta le premier à genoux devant lui. L'ecclésiastique, surpris et confus , se prosterna à son tour , reconnut humblement sa faute , demanda pardon ; et sa conversion fut sincère. Un cabareticr d'Alexandrie insulta le neveu du zélé prélat. Le jeune homme en étoit outré de douleur, et tout le monde disoit qu'une telle impudence ne devoit pas demeurer impunie. Le patriarche , pour consoler son neveu , lui dit : « Est-possible , mon « enfant , qu'il y ait eu quelqu'un assez hardi pour « ouvrir la bouche contre vous ? Assurez - vous que « j'en ferai aujourd'hui un exemple qui remplira d'é« tonnemcnt toute la ville d'Alexandrie. » Cesparolcs, qui sembloient annoncer quelque punition d'éclat, appaisèrent le jeune homme. Alors le saint patriarche l'embrassa , et lui dit : « Mon fils , si vous êtes véri« tablement mon neveu , vous devez être prêt à es« suyer toutes sortes d'outrages de la part de tout le << monde ; car ce n'est point la chair et le sang, mais
�35g la ressemblance de l'esprit et de la vertu , qui fait la véritable parenté. » En même temps , il donna >rdre qu'on remit à cet homme tous les droits qu'il Revoit payer à l'église et à lui-même. Les assistans , bien étonnés , comprirent alors le sens de ce qu'il avoit dit à son neveu, qu'il alloit traiter son ennemi 'une manière qui surprendroit toute la ville. Un homme, qui avoit été son domestique, étant réluit à une extrême pauvreté, Jean lui donna de sa proDie main une grosse somme d'argent, et lui recommanda trèsrexpressément le silence. Cet homme lui en témoi■gnant sa reconnoissance dans les termes les plus touTchans : « Mon hère , lui dit-il, je n'ai pas encore rék<pandumon sang pour vous , comme J. C. mon maî[.« tre et notre Dieu me le commande. » Les Perses avoient fait d'horribles ravages dans la [Syrie et dans la Palestine, et en avoient emmené une Ifoule de captifs.Ceux qui furent assez heureux pour sauIver leur vie etlcur liberté, se réfugièrent à Alexandrie. |Le saint prélat les reçut tous avec joie. Il les consoloit; jil leur fournissoit les choses nécessaires, sans considérer [leur multitude. Il fit mettre les blessés et les malades Idans des hôpitaux où il les visitoit deux ou trois fois la [semaine. Quant a ceux qui se portoient bien, et qui deJmandoient l'aumône, il donnoit aux hommes, à chacun lune pièce d'argent valant environ huit sols de notre Imonnaie; et aux femmes, comme plus foibles, le douI ble. Quelques-unes qui portoient des bracelets et des I ornemens d'or , demandant aussi l'aumône , ceux qui I étoient chargés de la distribution, ne leur vouloicnt rien i donner ; mais le saint leur dit, d'un ton et d'un air séI vère , contre sa coutume : « Si vous voulez être mes I « économes , ou plutôt les économes de Jésus-Christ, I « obéissez avec simplicité au commandement qu'il nous I « fait de donner à quiconque nous demande. 11 ne veut I « point, non plus que moi, de ministre curieux. Si ce | « que je donne étoit à moi, j'aurois quelque raison de I « le ménager ; mais il est à Dieu 5 et Dieu veut qu'on I « exécute ses ordres dans la distribution de ses biens. •« Pour moi, je ne veux prendre aucune part à voire
ZÈLE.
z 4
�36o
zi
L B
« peu de foi; et puisque, malgré mon indignité, il a plu « au Très-Haut de m'établir dispensateur de ses biens, « je ne me lasserai point de les répandre dans le sein du « pauvre- quand tout ce qu'il y a d'hommes au monde « s'assembleroient à Alexandrie pour y demander l'an« mène , ils n'épuiseront jamais les trésors infinis de « Dieu, ni ceux de son église. » 12. S.Framçois de Sales ayant été placé sur le siège de Genève, retrancha toutes les visites inutiles , disant qu'un évêque n'a point de temps à perdre. Résolu de tout sacrifier , de se sacrifier lui-même pour soulager les malheureux , et pour instruire son troupeau, il se chargea personnellement du soin des pauvres et des malades : il alloit les visiter; il pourvoyoit à leurs besoins avec la sollicitude d'un père et le zèle d'un ami, Il établit les catéchismes dans son diocèse pour l'instruction de la jeunesse ; et pour mettre cet exercice en honneur, il en fit lui-même l'ouverture , et les continua toujours depuis, autant que ses autres occupations pouvoient le lui permettre. Il entreprit la visite des paroisses de son évêché avec la résolution de ne la jamais discontinuer totalement, persuadé que c'étoitle moyen de rassembler dans sa bergerie tant de brebis égarées et perdues dans les montagnes, qui n'avoientpeut-être jamais ouï la voix de leur pasteur. Il les alla chercher avec des peines infinies, marchant à pied dans des déserts affreux,réduit souvent à coucher sur la paille dans de pauvres chaumières, obligé de gravir contre des rochers presque inaccessibles, et de franc, hird'horribles précipices. Il parloitàces pauvres gens avec une bonté qui les attendrissoitùl entrait dans leurs besoins et dans leurs peines, les assistait de tout son pouvoir; et souvent on l'a vu se dépouiller d'une partie de ses habits, pour en revêtir les pauvres, quand il n'avoit plus rien autre chose à leur donner. Un jour, les députés d'une vallée vinrent le trouver, à trois lieues de là , et lui apprirent que des rochers s'élantdétachés des montagnes,avoienlécrasé plusieurs villages, avec un grand nombre d:habitans , et quantité de troupeaux , qui faisoient toute la richesse du pays;
�ZÈLE.
36i
Ku'étant réduîts,par cet accident, à la dernière pauvrej», et hors d'état de payer les tailles , ils n'avoient pu Béanmoins obtenir d'enêtre déchargés.Ils le supplièrent Menvoyer sur les lieux pour vérifier leur récit,afin qu 'il Bit écrire en leur faveur. François s'offrit de partir à ifcenre même, pour aller leur rendre tous les services Bai dépendroient de lui. Us lui représentèrent que le Hiemin étoit impraticable. Le saint évêqne leur demanda s'ils n'en étoient pas venus. Ils répondirent qu'ils étoient de pauvres gens accoutumés à de pareilles fatigues. « Et moi, mes enfans, répliqua-t-il, je suis votre Hpère, obligé de pourvoir par moi-même à vos besoins.» Il partit avec eux à pied ; et il lui fallut une journée entière pour faire les trois lieues. Etant arrivé, il trouva des gens dans une misère affreuse, et qui manquoient de tout. 11 mêla ses larmes avec les leurs, les consola, mur donna tout l'argent qu'il avoit apporté, et écrivit WL leur faveur au duc de Savoie, de qui il obtint tout ce qu'il demanda. Une charité si active , jointe à l'onction admirable de ses discours , produisoit partout, des fruits merveilleux pour la conversion des hérétiques et des pécheurs. ■Ses officiers gagnèrent un grand procès contre plusieurs gentilshommes de son diocèse.Il avoit consenti à H procès,parce qu'il s'agissoit des droits de son église, qu'il ne lui étoitpas permis d'abandonner.Son économe jft proposa d'en exiger les dépens à la rigueur. «Dieu Suc garde, répondit-il, d'en agir ainsi envers qui que Se soit,mais particulièrement envers mes diocésains, ;|Ëpù sont mes enfans. » L'économe insista, en lui reSésentant que ces dépens montoient à u ne grosse somme, dont il avoit besoin pour se dédommager de ce que S avoit coûté cette affaire. « Eh ! comptez-vous pour Min petit gain, repartit le saint, de regagner descœuJS « que ce procès a peut-être rendus mes ennemis ? Pour «loi, je le compte pour tout. » A l'heure même, il envoya chercher ces gentilshommes , qui ne furent pas peu surpris, lorsque, par une générosité à laquelle ■ne s'attendoient nullement, le charitable prélat leur remit les dépens.
�362
2 È L È.
Ce zèle sans homes, qui remettait à tout le monde, et qui donnoit tout, jusqu'à ses habits, mettoit l'économe de mauvaise hum eur,parce qu'il étoit quelquefois, embarrassé de fournir à la dépense de sa maison. Il le querelloit alors , et le menacoit de le quitter. Mais François lui disoit avec sa douceur ordinaire : « vous ave; « raison ; je suis un incorrigible : et , qui pis est, j'ai « l'air de l'être long-temps. » Quelquefois il lui mon-, troit son crucifix , et lui disoit: « Peut-on rien refuseï « à un Dieu qui s'est, mis en cet état pour l'amour « de nous ? » L'économe le quittait tout confus ; cl quand il rencontrait les autres domestiques , il leur disoit : « Notre maître est un saint, mais il nous mè« nera tous à l'hôpital ; il iïa lui-même le premier, « s'il continue comme il a commencé. » Ce prélat, si rempli de douceur et de charité , nt vouloit pas cependant qu'on laissât le Crime impuni, ou qu'on donnât oceasion de le commettre témérairement. Un jour qu'il prêchoit , il aperçut un jeun! folâtre qui chuchotait à l'oreille d'une fille pendant 11 sermon. Cette impiété scandaleuse toucha vivementlf zélé pontife. « Comment! s'écria-t-il en inlerronipanl « son discours , fera-t-on de la maison de Dieu uw « caverne de voleurs et de brutalité ? Si vous ne cessa « ces indécentes manières, je vous montrerai au doigt « et je vous nommerai devant tout le monde. Insu! « tez-moi, outragez-moi , je n'en murmurerai point « Mais si vous bravez en ma présence le Tout-Puis« sant, croyez que je ne le souffrirai pas impunément, « et qu'il n'est rien que je ne fasse pour que chacun « se range à son devoir. Voyez CHARITÉ , PIETÉ.
FIN.
�I ■
I
TABLE
HISTORIQUE ET ALPHABÉTIQUE
DES PERSONNAGES
DONT IL EST PARLÉ DANS CE DICTIONNAIRE.
H/> Chiffre Romain renvoie nu Tome , et le
A R o u , frère aîné de Moyse, kt et Chef de la tribu de Lévi , naquit 1574 ans avant J. C. Il seconda 'son frère dans la délivrance du peuple de Dieu, et après le palace de r 'a mer Rouge ; il fut sacré grandirétre , et fut le premier pontife et e premier sacrificateur des juifs. [Il fut privé , comme Moyse , de la onsolation d'entrer dans la terre romis3 , pour avoir hésité en frapant un rocher, d'où Dieu lit sortir une source d'eau vive , dans le déserl de Cadèe ; et il mourut à l'âge de 123 ans, laissant sa dignité à son ils. Elle se conserva dans sa maion jusqu'à l'entière destruction du mple de Jérusalem ; et depuis 'aron jusqu'à cette époque , sa amilie donna 86 grands-prêtres au icuple de Dieu.l, 233. UA ou Abassa, commença sa é voire en 1622 , sous Mustapha I, e voulant, disoit-il, que venger la lortdu sultan Osman, qu'il impuoit aux janissaires. Les grands rofitèrent de sa rébellion pour déoser Mustapha , et placer Amurat V sur le trône ottoman. Le noueau monarque vainquit le rebelle ; t, non content de lui pardonner, le :ùt à la tête de 60,000 hommes qu'il nvoya en Pologne en 1634. Aba\a |eût triomphé sans la lâcheté des Valaques et des Moldaves. Revenu Constantinople , il fut étranglé ar ordre du sultan. III, 23. D A l A z 1 z, célèbre docteur muuiman, révéré comme un saint parni les Perses et les Turcs. II, 433. HDALCADF. R, scrupuleux obserrateur de la loi musulmane qu'il onnoissoit à fond. Il naquit dans
Chiffre Arabe indique-la page. )
la province de Ghilan en Perse , ce qui le fait surnommer Ghili parmi ceux de sa secte. 1, 16. A B D A L I A , fils i' Ye\id, jurisconsulte musulman, eut un grand nombre de disciples ; et ses maximes sont encore en honneur dans les écoles des Mahométans , parce qu'elles sont fondées sur le bon sens et la raison. II , 435ABDOLONYME,OU Abdalonyme, prince qn'Alexandrc-le-Grand donna pour roi aux Sidoniens. Quelques auteurs, qui le nomment Abarthomius , disent qu'il étoit simplement jardinier d'Alexandre ; et que ce conquérant n'eut la fantaisie de le placer sur le trône, que pour laisser à la postérité une vaine preuve de sa grandeur. 111 , 334. ABOU-HANIPAH, chef de la secte qui, de son nom, fut appelée Hanijite , est le Socrate des Musulmans. Il naquit à Coufa , et mourut en prison à Bagdad vers l'an 757 de J. C. II , 443. ABOU-HATFM , docteur musulman , se fit un nom célèbre par sa piété , et par la confiance avec laquelle il comptoit sur les bienfaits de la Providence. 11 ne voulut rien posséder ; et la modération de ses désirs lui rendoit en elfet les richesses inutiles. IH , 2ff. A B o U-J o s E P H mérita , par son savoir , les faveurs du calife Harsun-al-Tiaschild , qui le fit grandjusticier de Bagdad. Il étoit sectateur zélé de la doctrine à'AbonHanifah , et il contribua beaucoup aux progrès de cette nouvelle secte. II, 343. A B R A D A T E j roi de Snze, moins
�564
TABLE
H ISTORIQtfE
blessure , et fut enterré au promon. célèbre par ses vertus ou ses exploits, toire de Sigée. Homère s'imrnortahV eue par la tendresse qu'eut pour lui Panthéc son épouse. Cyrus-le-Grand en chantant ses exploits, etAlcxtw, dre-le-Grand houora son tomber se l'attacha par ses bienfaits. 11 fut d'une couronne. Ce Heureux ÂcliilU] tué dans une bataille où il combattit » s'écria ce conquérant , d'avoir! vaillamment, vers 5l*8 ans avant » treuvé pendant sa vie un ami J. C. Panthée inconsolable se poi>3 comme Patrocle, et après sa mon gnarda sur son corps , et voulut le 55 un poète comme Homère î » Oi suivre au tombeau. I, Il5, I3I. a publié un ouvrage intitulé : iiV ABRAHAM, père de la nation juimericus Achilles , par Drelincotm ve , patriarche célèbre , que sa foi où cet auteur a rassemblé tout ci vive a fait appeler le Père des que l'antiquité nous a laissé de plu Croyans. 11 naquit à Uren Chaldée , curieux sur Achille, \ , 245. 1006 ans avant J. C. Il épousa Sara, qui fut mère à'isaac à l'âge de oo ACTIUS ouAccius (Lucks) poète tragique très-estimé des an. ans. Ce fils, l'héritier des promesses ciens, qui admiroient dans ses pii. de Dieu , avoit environ 25 ans, ces la noblesse des sentimens, ]J lorsque le Seigneur ordonna à Abravérité des caractères , l'énergie du ham de le lui offrir en holocauste. expressions ; mais son style n'apa On montre à Rome , dans l'église de toujours eu des approbateurs; et S. Jacques , la pierre sur laquelle , Perse, ainsi que Martial, tournent dit-on , Isaac étoit placé lorque son en ridicule ceux qui le prenoient père étoit près de !e frnpper.Abraham pour modèle. Il florissoit envtrti mourut âgé de 175 ans, laissant plu171 ans avant J. C. On trouve que!sieurs enfans de plusieurs femmes ques fragmens de ses vers dans]; qu'il avoit épousées après la mort de Corpus poëtarum , ou Recueil dei Sara. II, 249, 497- M , 356. anciens poètes. 1, 3o6\ ABRAHAM, évêque de Carrhes, ou Carres , en Mésopotamie , sous ACYKDINU s(clavius-Septimks} fut revêtu du consulat d'Orientl'aa l'empire de Théodose II, passa sa 340 de J. C. sous le règne de l'emjeunesse dans la solitude ; et ne la pereur Constantin le jeune et de quitta que pour prêcher l'Evangile ses fils. Il eut ensuite le gouveret extirper les restes de l'idolâtrie. nement d'Autioche , l'un des plu Son zèle fut heureux , et il mourut import ans de l'empire. II , 36o, I à la cour de Thèodose , qu'il avoit édifiée, ainsi que son troupeau , par ADAM, père du geure- humain , fit forméle sixième jour de la création. ses discours et par ses exemples. Placé dans un jardin délicieux, il III , 6i, 354désobéit à Dieu , en mangeant ii ABUBECB.E-COBBA.THI, docfruit de l'arbre de la sciencedu bien teur musulman , qui joignoit à et du mal, à la sollicitation d'£«a beaucoup de savoir une modestie femme, fnt chassé de cet agréablij peu commune , surtout chez ceux séjour, condamné à manger son paii-. qui , comme lui, font profession à la sueur de son front, et à terminer d'instruire les autres. 1, 345. par la mort une vie douloureuse et A c H É u s , capitaine achéen, con. pénible , ne laissant pour hérita;} temporaind'^ratus,renditdegrands à sa triste postérité que les mail services à sa patrie , et mérita sa et la foiblesse attachés à sa nature, reconnoissance On lui éleva des mais dont la grâce et la bouté divin!:, statues à Corinthe et ailleurs , et les auraient exemptés , s'il eût été■ elles furent respectées par les Rofidelle à l'ordre du Seigneur. On dit mains. 111 , 127. qu'outre Caïn , Abel et Scth, il cnl ACHILLE, fils de Pelée et de Théencore trente enfans. Il etoit âgédf tis , fut le plus grand des héros qui p3o ans lorsqu'il cessadevivre. l,6M formèreut le siège de Troie. Cette ADHAD-EDDOULAT, sultan, ville fameuse ne pouvoit être prise de Perse , de la race des B°vW»l sans lui , mais il devoit y périr. Il ou Dilémites. I , 20. préféra une vie courte , mais glorieuse , à un graud nombre d'années A D M E T E , mauvais poète gvMrj qui avoit la manie des épitapnes.1 passées dans l'obscurité. Pour venIl en fatiguoitles auditeurs, et. ieur^ ger la mort de Patvocle son ami, il faisoit désirer de les voir bientôt sut combattit et tua Hector , fils du roi sa tombe. III, 68. Priant ; mais , percé d'un coup de /lèche au talan , il mourut de sa ADNAN, famille célèhiedansl'histo
�DES
PERSONNAGES.
365
Arabes, par la subtilité et lapéétration que possédoient ceux qui a coniposoient. Il paroît qu'elle urrissoit d'une considération assez istinguée dans le temps oii elle floissoit. III ,34. RETS {Français de Beaumont, baron es) gentilhomme dauphinois , emrassaleparti des Huguenots, après voir suivi celui des Catholiques. II lit sur euxValence, Vieune, Lyon, oui il fut gouverneur, et plusieurs utres places importantes ; mais s'il rouva son courage par ses exploits, ■ montrabien plus encore sa cruauté par lusbarbaries dont il accompauases victoires. Altéré du sang des 'athoiiqueSjil faisoit massacrertous eux qui toinboient en son pouvoir, a férocité inventoit même de noueaux supplices; et, pour rendre ses infans aussi barbares que lui, il les tça, dit-on , de se baigner dans le ^■ang d'un certain nombre de prisonniers qu'il venoit de faire égorger, s'étoit fait protestant par humeur; redevint catholique par veugeanfflffle : il e^t probable qu'il ne croyoit :|ffii la vraie ni la fausse doctrine, et qu'il n'avoit d'autre divinité que sa fureur. Il mourut détesté de tout le . inonde , en 1Ô87. Guy Allard a publié sa vie en 1675. ( Grenoble , in. ) lu j 76. ^1 EN (JÊlius) , né à Italica , l'an ' de J. C. fut adopté par Trajan, : lui succéda le 11 août 117. Il boffora d'abord la mémoire de sou père loprif, mais plus par politique que ir reconnoissance ; et ne pouvant Igalerjil essaya d'anéantir enquelre sorte les monumens de sa gloire ' de ses services, en cédant l'Assyè , la Mésopotamie et l'Arménie l'il avoit conquises , aux Farthes jii ne les redemandoient pas , et en rdonnant de détruire un pont trèstile que ce grand prince avoit fait instruire sur le Danube. Si cequ'on t de son érudition n'estpas exagéré, eut assurément tous les talens dfun ofesseur ; mais il n'eut pas tous nx d'un empereur ; et peut-être t-il été mieux placédans unechaire ie sur le trône. Ses vertus furent rrtôtle fruit de sa réflexion que de n caractère; mais comme il ne rétcliissoit pas toujours, il oublia quelquefois sa philosophie, pour ne suivre que le dangereux penchant de soir naturel porté à la jalousie et à la cruauté ; et si l'on étudie bien lo
flh 'a88
principe de ses actions publiques, on verra q n'il fut plus curieux de passer pour bon prince que de l'être en effet 11 adopta le sage Antomn , et c'est le meilleur usage qu'il ait fait de sa puissance. Il régna près de 21 ans , et mourut en i38.1, 67, 387. — II, 434 j 437- III 69 , 86 , io3. ADRIEN COMNÈNE , frère d'Alexis Comnène , empereur de Constantinople. I , 48S. AFRANIE , fille cadette du consul Menenius Agrippa et d'-EeWse. I, 148. AGAMEMNON , fils à'Atrée, succéda à son père sur le trône d'Argos et de Mycènes, l'an 1226 avant J. C., et fut déclaré généralissime de l'armée des Grecs qui alloient faire le siège de Troie.Cethonneurluicoûta cher: avant d'arriver devant la ville proscrite , il fut contraint de sacrifier à Diane sa. fille Iphigénie dans l'AuIide; et à son retour,Egiste, amant de Clitemnestre sa femme, l'assassina. Oreste, son fils, tua le meurtrier et l'adultère Clitemnestre , sa propre mère; mais ce dernier trait de vengeance le livra à des remords qui le rendirent furieux , et qui ont exercé avec succès la verve de plusieurs poètes tragiques anciens et modernes. II, 406. AGAPET 1, pape, succssseur de Jean II, en 535 ; ne siégea que dix mois sur la chaire de S.Pierre. Théodat, roi des Goths, l'obligea d'aller à Constantinople, pour obtenir de Justinien l des conditions de paix plus tolérables que celles qu'il imposoit; et pour faire ce voyage, le pontife qui n avoit d'autre bien que sa vertu , fut obligé d'engager quelques-uns des vases sacrés de l'église de Rome. II, 201. AGASICLES, roi de Lacédémone , vers l'an 645 avant J. C. , s'appliqua à faire régner la paix dans son petit royaume, et la chose n'étoit pas aisée de son temps, ni dans la ville où il régnoit. S'il eût été despote , on peut présumer,d'après le peu qu'on sait de lui, qu'il eût été le père plutôt que le maître de ses sujets. II , <°P, 434. AGATHOU, poète grec , composa des tragédies et des comédies, doutAristo te et Athénée citent quelques vers. ^ étoit de Samos, et vivoit dans la 9i.e olympiade, c'est-à-dire vers l'an 4r3 avant J. C. Plaion le cempteit au nombre de ses amis les plus intimes. I, lo3. II 434.
�366
TABLE
HISTORIQUE
rhndien,sous 355, 3lo, 335, 346. FI, 7, 103 \,i le règne de Ptolémée-Philadelphe , 137, 20J, 353, 373, 3i6, 378 ,'434' Toi d'Egypte , ver.< l'an 384avant 455, 450. III, 14a, 310, J5O. ' * *' J.C., battit une flotte de ce prince à AGÉSILAS, frère du célèbre Thémisti. la hauteur d'Ephèse. I , 40. cZe, fut leMutius-Scévola des Grecs. AGESJLAS II , l'un des plus grands Comme ce Romain , il s'introduisit princes qui aient existé , et le plus dans le camp de Xerxès pour poi. illustre des rois quiont monté sur le gnarder ce prince ennemi de sapa, trône de Lacédémone, réunit les vertrie ; et s'étant mépris , en tuant tus du simplecitoyen ettous les taMardonius, seigneur persan, au lien lens de l'homme d'état. Si la nature du roi, il punit l'erreur de sa mai) lui refusa les grâces du corps , elle en la livrant à l'ardeur d'un brasier, lui prodigua celles de l'esprit, avec Xçrxès, ainsi quePorsenna.fut frai, les qualités du cœur. Politique aussi pé de cet excès de témérité ou Je profond que capitaine habile, il sut courage: au lieu du supplice qu'il employer avec une égale dextérité la méritoit sans doute , Agésilas eut ruse oulaforce pour humilier ou déla liberté de se retirer, ii . 55. truireles rivaux ou les ennemis de AGESIPOLIS 11 , roi de Lacédémone Sparte. Durant un règne de 41 ans , fils de Cléombrote 11, eut un règne ce prince, petit et boiteux, fit tremsi court, qu'il n'eut pas le temps je bler tour-à-tour les Grecs et ie grand l'illustrer. II ne fut que montré au roi de Perse. Les troupes sparraiues Spartiates l'an 371 avant J. C. I. ïi, fureuttoujoursvictorieuses lantqu'ii AGIS II , roi de Sparte, ravagea ,'Arfut à leur tête,et il faisoit encore des golide, et se signala dans la guerre £ u conquêtes, il gagnoit d'importantes ' Péloponnèse.On lui attribue une batailles à l'âge de plus de 80 ans.Sa maxime très-vraie , quoique com. première et sa principalepassionétoit rnuue, et qui n'est même commune l'amour de la patrie : il sacrifia ses fue parce qu'elle est très-vraie. « Je intérêts les plus chers à sa sûreté ou 9 plains bien les envieux, disnir-il; à sa grandeur. Pausanias son fils eut 9 la félicité des autres les tourmente ,J la foiblesse d'accepter cinquante taautant que leurs propres maliens d'or pour favoriser le parti du 9 heurs. » Il mourut l'an 427 avant roi de Perse. Agésilas oublia qu'il J. C. I , 34 , 305. II , 61. 111,01, étoit père , et ne vit plus dans le V8. 4 jeuue prince qu'un ennemi public, "-Gis [II, roi de Lacédémone, suc;e'ai qu'il fit mourirde faim. Sa langue ' Archidame II, régna il ans, etne administration n'augmenta point sa fut point heureux. 11 fut vaincu pal fortune, et en vrai Spartiate, il fut Antipater, gouverneur de Macédoijaloux d'être pauvre , et ne rougit ne, l'an 33o avant J. C. II, 201. jamais de le paroître.Il alloit immo"t-5. 1er un bœuf sur l'autel de Pallas;aa AGIS IV , roi de Sparte , prince trop de ces insectes immondes, qui sont vertueux pour son temps, voulut «• l'apanage de la misère, le mordit à former les mœurs de Lacédémone, et l'épaule, et l'empêchoit d'apporter à rappeler l'ancienne sévérité Je l'auguste cérémonie une application Lycurgue - mais.les esprits des Sparassez suivie.-il s'arrête,saisit l'ennetiates n'étoient plus dociles; s mi et l'écrase devant tout le monde: exemples ne touchèrent pcrsonne.el « Par tous les dieux ! dit-il, il faut ses lois ne firent qu'irriter les ci» massacrer les traître» , même au toyens corrompus. Il fut arrêté pa; J) pied des autels.» 11 cultiva etfavosurprise,mis en prison,et condamne risa tous les exercices qui peuvent par les Ephores à être étranglé.Ir M. contribuera donner ou à augmenter tondit 'a lecture de cette iniquesenles forces etl'adresse ducorps: il ne tence avec une heroïqueindift'érence; méprisa que l'équitation , qu'il reet l'un de ses juges lui demandant gardoit comme plus convenable aux s'il ne se repentoit pas de ce qu'il femmes qu'aux hommes .-aussi peravoit fait : « Jamais , répondit-il, . suada-t-ilà Cynisca,sa sœur, de s'y » non , jamais je ne.nie repentirai appliquer ; et la princesse profita » d'avoir voulu vous rendre "ertellement de son avis, qu'elle osa » tutux.» Lorsqu'on le menoit au disputer le prix de la course aux jeux supplice,il dit à un de ses gardes qui olympiques. Ce roi célèbre mourut pleuroit : « Sèches tes larmes, mon 3<î2 ans avant I. C. F, 6, 35, 138 , » ami, ou pleures sur ceux quimt
AcATHOSTnATE.général
�DES
P E R »
O J! H A C H
AGUERRE
s.
36/
(M. d'), brave officier français, chargé de l'attaque de l'île de Sainte - fiiargueriJe par le comte à" Harcomt. I , 262. AGUESSEAu(.rïenri-Fnznfois d'), né à Gi\,' frère aîné d'Agésilas-le-Grand, Limoges en i668,fit voir dès sa plus tendre jeunesse, le germe précieux n'est connu que parce qu'il ne mondes rares talens qu'il développa enta pas >ur le trône de Lacédémone. suite avec tant de succès, et en tant GNODICE, jeune Athénienne, qui se de genres. Son génie étoit propre à tout. La législation, la jurisprudenlivra à la médecine , dont l'étude ce , les beiles-lettres , l'éloquence, étoit interdite à son sexe , et, par ses talens, rit abroger la loi qui détoutes les sciences humaines lui furent également familières , et sa fendoit aux femmes de cultiver cet vaste érudition fut consacrée toute art , quelquefois utile. I , 241. GRICOLA , gouverneur de Sébaste en entière au bonheur de ses compaArménie , en 808, sous l'empire de triotes ; car il ne vouloit être savant que pour eux.ll est le seul de nos juLicinius. 111 , 42. GRIPPA, Romain de la famille d'Aurisconsultes qui ait bien connu l'esguste , une des victimes de la défianprit de nos lois, le seul qui pouvoit ce de Xr'Mre. I, 363. les adaptera nos besoins; le seul qui .GRippiUE,petite-filIe d'Auguste, mère eût pu créer celles qui nous mande Néron , et digne de l'être. Après quent , et réformer celles qui nous deux mariages, elle épousa Claude, régissent. Jamais on ne le vit dedont l'indolence alloit jusqu'à la stumander aucune chi:ri;e;i' n'eut même pidité, voulut assurerl'empire à ' jamais le déeird'en posréder aucune; son fils ; et comme on lui disoit que mais les honneurs vinrent le cherNéron ponrroit bien lui donner la cher ; et sou mérite les appela malmort un jour : «Qu'importe, répongré lui. Il fut d'abord avocat-général ï> dit-eile , pourvu qu'il règue?» 11 du parlement de Palis en 1691 , puis régna en effet.^rippineempoisonna procureur-général en 1700, et enfin son époux , et fit proclamer Néron chancelier de France 17 ans après. empereur.Ce qu'on lui ayoit prédit Celte dignité suprême l'exposa à ne tarda point à arriver. Le nouveau bien des orages, qu'il supporta touCesar se lassa de voir toutel'autorité jours avec constance, parce qu'il ne en tre les mains de sa mère; il oublia les méritoit pas. Il s'en consoloit$e s services, fut insensible à ses cadans sa terre de Fresne,ense livrant resses,et la rit massacrer l'an 5j<de aux travaux innoceus de l'agriculJ. C. Le centurion chargé de lui ture ; et les jours de ses exils furent donner la mort,l'ayant frappée à la c< ux qu'il appeloit les bei.ux jours de tête : « Frappe plutôt mon sein, lui sa vie. Ce grand homme mourut en » cria-t-elleenle découvrant;punisI75i , à l'âge de 83 ans. On a déjà » le d'avoir porté un monstre telque publié plusieurs volumes de la col)3 Néron. » Elle méritoit une telle lection de ses dauvres , qui doivent mort, mais son fils ne devoit pas terrir le premier rang dans la bibliol'ordonner. Il la vint voir au mothèque des jurisconsultes et des orament où elle expiroit, et parcourant teurs. II, 361. III , 323. des yeux les différentesparties de son AHMED, fils à'Iahia, natifde Damas , cadavre étendu , sanglant et défut consacré à Dieu par son père et pouillé : ce Je ne croyois pas , dit-il, sa mère, et se livra au service du » qu'elle eût tant debeauté.» .^gr/ptemple de la Mecque. Après 24 ans pine avoit de l'esprit, de la pénétrad'absence , il voulut revoir ses pation , et autant de talens que d'atrens , frappa à leur porte , et n'en traits ; mais elle abusa de ces dons fut pas reçu. Cette histoire n'est de la nature, pour servir son ambipeut-être qu'une allégorie musultion, et suivre avec sécurité tous ses mane, qui tend à enseigner qu'on net penchans dépravés. Elle établit une doit rien attendre de sa famille colonie à Urbium sur le Rhin, lieu quand on se livre à Dieu pour ne de sa naissance,et cette ville qu'elle plus rien faire pour elleruous n'avons appela Coloitia Agrippina , subsiste droit à la reconnoissance delasociéencore aujourd'hui sous le nom de té , que quand nous lui rendons ce Cologne. I, 370, 371. qu'elle nous donne. III, 56. r> condamnent; carils valent moins j) quemoi.» En achevant ces mots, il présenta généreusement le cou au fatal cordon, 341 ans avant J.C.
�368
TABLE
H I STORIQUE tus et la noble fermeté de son ta. racière. Il mourut à Viterbe en 1367. II, 94 , 191. ALC A MÈNE, fils de Telècle ou Tèlccri succéda à son père sur le trône de Lacédémone ,8i3 ans avant J. C, et régna 37 ans. Il eut des vertus dignes de son rang,et donna l'exem. pie de la soumission que l'on doit aux lois de l'état. Les Messéniem lui offrirent de riches présens pont l'engager à leur être favorable dan! une discussion qu'ils avoient avecles Spartiates: il les refusa. «Pourquoi 33 ne les avoir pas pris,lui demanda. 33 t-ou? — Parce que je me semis 33 brouillé avec les lois.>3 II croyoit, avec raison , qu'un prince ne gou. verne bien que quand il consulteles intérêts de ses sujets plutôt que les siens. III, 3o. ALCIBIADE, Athénien célèbre, fils de Clinias,(at élevé par5ocr<3tc,et profita des leçons d'un si grand maître, moins pour former ses mœurs , qui furent tantôt réglées, tantôt dissolues,rarement bonnes,que pour diriger sagement tous les ressorts de sa politique.il fut tour-à-tour le défenseur et le fléau de sa patrie, mérita son exil et son rappel,et fut assassiné par l'ordre du satrape Fharnaban , qui lui avoit offert un asile dans son gouvernement, et à l'instigation de Lysandre , roi de Sparte, qui crargnoit le génie arrssi supérieur que dangereux de cet illustre général. Il étoit dans la 5o.e année de son âge lorsqu'il reçut ls mort, vers l'an 404 avant J. C. 1 , 22 , 33 , 34 , in5, no, 244. 11, 89, 350, 426. III, 27, 120. ALCUIN, {Flaccus-Albinus), diacre de l'église d'Yorck où il enseignoit les sciences ecclésiastiques , fut appeie d'Angleterre en France par Charitmagne, qui le prit pour son maître, et qui se servit de lui pour rétablir les lettres dans ses états. Alcuin vit récompenser son zèle par plusieurs abbayes , et mourut dans celle de S. Martin de Tours en 804. Ce qui nous reste des écrits de ce restaurateur des études forme un volume in-fvl. , qui fut publié à Paris en iii7 , et qui est un monument eurieux de la barbarie du siècle del'auteur. I , 3o8. ALEXANDRE , lacédémonien , contemporain de Lycurgue , et que ce sage législateur rendit meilleur pour le punir. I , 320.
ALEXANDRE
Rouen, l'une des trois victimes qu'exigea Henri V,ro\ d'Angleterre, lorsqu'il prit cette ville en 1419. I , 225. ALAIN-CHARTIER , littérateur français , écrivit mieux en prose qu'en vers,et fut secrétaire de Charles VI et de Charles VII, rois de France; mais le baiser que \\ii&ont\aMarguerite d'Ecosse , première femme de Louis XI, l'a plus immortalisé que ses ouvrages, qui ont été publiés en J617 ( ift-4.0, Paris ). 11 fut nommé le père de l'éloquence franaise;ç mais l'éloquence de son tempsécorc'heroit les oreilles et fatigueroi t l'esprit dans le nôtre. Il mourut vers 1458. 1,246. ALAMONDARE, ou Monder, roi d une partie des Sarasins , fit des courses dans la Syrie et la Palestine en529, et persécutales solitaires qui se sanctifioient dans les déserts de ces contrées , ainsi que les Chrétiens qui habitoiant ses états ; mais touché ensuite de leurs vertus et de la solidité de leur doctrine , il voulut devenir leur frère. 11 sut distinguer les vrais peincipes du christianisme,des absurdités qu'y mèloient les hérétiques de son temps ; et ce choix qu'on n'avoit pas lieu d'attendre d'un guerrier , prouve qu'il avoit autant de sagacité que de courage. II , 347, III, 119. ALBIN OU Albinus (£). Clodius), se fit proclamer empereur par ses troupes en 19a , après la mort de Pertinax. H fut reconnu dans la Bretagne oùil commandait, à Lyon et dans la majeure partie de l'Italie. Il falioit que son parti fût puissant,puisque5évire, qui s'étoit fait aussi déclarer souverain en Pannonie, feignit de rechercher son amitié ; mais il ne tarda point à le combattre , et il le vainquit à Lyon en 197. I , 393. ALBINET ( Guillaume d'), brave gouverneur du château de Rochester , du temps de Jean-sans-Terre, roi de la Grande-Bretagne en 1215.III.156. ALBINUS , citoyen romain qui s'est rendu célèbre par un trait de piété, dans le temps où Rome fut prise par les Gaulois , sous la conduite de Brennus , 887 ans avant J. C. III , 64. ALBORNOS ( Gilles-Alvare\-Carillo), d'abord archevêque de Tolède, puis cardinal , et enfin légat du saint siège , fut digne de tous ces honneurs, et se distingua par l'austérité de ses mœurs, l'intégrité de ses ver-
ALAIN-BLANCHARD,citoyende
�.DES PERSO N N A G E Sde ses vastes états, de ses immenses AXE*AttDRE, fils de Lisymachus et de richesses, se rendit maître de la LyMècride , prince phrygien. I, 4^die , de l'Ionie, de la Carie , de la j ALEXANDRE I , roi de Macédoine, Pamphiiie et de la Cappadoce , erx I monta sur le trône vers Tan 49^avant moins de temps qu'il n'eu auroit i J. C et régna 43 ans. Il s'attacha fallu à un autre pour les parcourir. aux Pênes, qu'un de ses successeurs Tyr, qui lui résista quelques mois, , devoit un jour subjuguer. Il en fut et la Judée, accrurent ses conquêl'esclave etl'agent, et ce bon prince tes. Il vint adorer le vrai Dieu dans» ne se doutoit pas qu'un autre A'.exanle temple de Jérusalem,où le grand! dre endeviendroit le maître. 1,197. prêtre lui montra que ses victoires» ALEXANDRE, frère d'Olyinpiasy mère avoient été prédites par Daniel. La | d'Alexandre-le-Grand, ex par conséPhénicie et l'Egypte lui furent ouquent oncle maternel de ce conquévertes, et les Indes même devinrent raut,montasur le trône des Molosses une des provinces de son empireet de l'Epire, après le mortd'ArimCette immense domination nesatis* ! bas, et à l'exclusion d'ALacides, fils faisoit point encore son ambitieux, dece prince,et père du célèbre Pyrcourage : regardant comme peu do rhus* 342 ans avant J. C. À l'exemchose ce qui lui restoit à conquérir, ple de son neveu , il voulut aussi pour être maître du globe,il désiroit agrandir ses états ;etla dixième and'autres mondes , atin*de les sounée de son règne, il passa en Italie mettre aussi à sa puissance. Pour pour combattre les Samnîtes et les méditer de nouveaux exploits, il se* Lucaniens. Il gagna sur ces peuples rendit à Babylone : là, dans le seint plusieurs batailles considérables, et des plaisirs, il trouva ce qu'il avoit lit alliance avec lc3 Romains; mais échappé en tant de batailles; un exses nouveaux sujets secouèrent soucès de vin, ou le poison , Lui donna vent le joug : il fut obligé de les la mort 324 ans avaut J. C. , et dans combattre sans cesse, etenti.11 il fut la trente-troisième année de son âge* tué par les Apuliens , dans une renSi ce prince eut des qualitésodieuses, contre, 326 ans avant J. C. I , 33. ■ il eut aussi des vertus estimables* ALEXANDRE III, que ses vertus et ses Aussi humain qu'il étoit brave, s'il vices, ses actions héroïques et ses fut terrible dans les batailles , il courageuses extravagances ont fait étoit, après la victoire, le plus poli, surnommer le Grand, eut pour père le plus libéral des princes. Il taisoic Philippe J y roi de Macédoine, et des lois après avoir fait des conquênaquit à Pella, 356 ans avant.T.C. Il tes. S'il détruis oit des villes,' il annonça de bonne heure ce qu'il seen construisoit d'autres , for moi t roit un jour , et les amusemens de des colonies utiles, faisoit fleurir 1© son enfance furent des jeux héroïcommerce , protégeoit et animoit ques.Il eut^ristote pour précepteur,^ les arts, etillaissoit voir à ses nouet on l'appliqua à tout ce qui pouveaux sujets plutôt un père qu'un voit le rendre aimable et courageux. conquérant.S'ildut tout à'ses triomL'esprit et le corps furent également phes,il ht tout aussi pour les méritée cultivés, et le jeune prince surpassa et pour les rendre durables, ne iais-.--' l'attente de ses maîtres, les soins et sant rien derrière lui, ni à côté, et lesdésirs de son père.On voulutt'enpossédantl'art si peu commun d'opgager à disputer le prix aux jeux poser la discipline à la multitude , olympiques : «Je le veux bien, ditetde vaincreparelle.il sut lier étroi» il ,si Ton me donne des rois pour » antagonistes.)> Il succéda à Phitement toutes les parties de son noulippe à l'âge de 20 ans,et se montra vel empire, en détruisant cette ancienne rivalité qui divisoit les Grecs digne d'un tel prédécesseur.A peine fut-il roi, qu'il voulut être conquéet les Perses ; et par l'adresse dit souverain et i'imparriali ré de son adrant. La ïhrace et l'Xllyrie furent subjuguées, Thèbes fut détruite et ministration, les uns oublièrent peu à peu qu'ils étoient vainqueurs , et toute la Grèce soumise. Ensuite , les autres, qu'ils étoient vaincus. Sî avec une poignée de soldats, il osa reiiverseri'énorme colosse de la moses folies furent grandes,elles ne funarchie persanne, qui, depuis plurentque momentanées, et peut-être sieurs siècles , faisoit trembler la les dut-il moins à sonproprenaturel, qu'à cette cohorte de vils flatteurs Grèce, et mena'çoit le reste del'Europe. li vainquit Darius, s'empara qui l'encensoieut pour le tromperset Tome ÎIU A a
36*9
�3jO
TABLE
H
ISTORIQUE chirer par ses chiens.Il fit construite un temple pour y consacrer la pique avec laquelle il avoit tué son oncle et lui offrit même des sacrifices, comme à une sorte de divinité.Sans cesse livré à la .crainte de rencontrer enfin un vengeur de l'humanité outragée,il se cléfioitde tout le monde; et jamais il ne se rendoit auprès de Thèbè sa femme qu'il aimoit beaucoup , sans l'avoir fait fouiller par des satellites , pour s'assurersielle ne cachoit point quelque poignard. Ce qu'il redoutoit arriva ; carectte princesse le soupçonnant infidelle à la foi conjugale , l'assassina , aidée de ses frères Tisiphon et £yco. phron, 357 ans avant J. C. I, 252. Il, fa., 357. ALEXANDRE ( S. ) , martyr , dans la cinquième persécution générale ordonnée contre les Chrétiens par un édit de l'empereur Sévère , en 302. II , 73.
ALEX ANDRE-SÉVÈRE(#/.
qu'il écouta sans doute avec trop de complaisance;mais la raison le rappeloit bientôt à lui-même , et dans le feu même de ses passions, elle savoit se faire entendre, et souvent arrêtoit l'incendie. La postérité ne lui a pas pardonné d'avoir trop aimé le vin, de s'être quelquefois laissé dominer parla colère et par l'orgueil, et surtout d'avoir eu la manie de vouloir passer pour le/ils d'un Dieu; mais l'horrenrqu'inspirent ses vices, n'a pas empêché qu'on ne lui ait payé dans tous les siècles le juste tribut d'admiration qu'il mérite.11 avoit la taille moyenne, penchoit un peu le cou ; et ses yeux à fleur de tête, son regard lier, annonçoient le maître du monde. I, 2, 36 , 62 , 102 , It3, 144 , 147 » a44, 25o , 25i, 252 , 255 , 2*ty , 287 , 3o5 , 320 , 336 , 4<5 , 43i. II, • , 6, 87 , 80 , 00 , 103 , ijo , i3o, i58 , 169 , 170 , 108 , 207 , 234 , 248 , 252 , 275 , 329 , 352, 354 , 357 , 377 , 395 , 416 , 418 , 456. III, 45 , 68 , 99 , 114 , 122 , 123 , i36, 145 , ià5 , 174 , 175 > 214 > 240 , 3n , 3i3 , 326 , 334. ALEXANDRE tua son oncle Poliphron, pour s'emparer de la tyrannie dePhère en Thessalie, 36y ans avant J. C. L'année suivante , il délit les Thébains commandés par Pélopidas,ût prisonnier ce général célèbre , et le jeta dans un affreux cachot.Le reste de l'arméevaincue eût péri sans ressource , si Epaminondas, qui y servoit comme volontaire , ne se fût mis à la tête des fuyards, et n'eût arrêté le tyran.Cependant Pélopidas recouvra sa liberté, et n'en lit usage que pour attaquer son vainqueur. Alexandre fut battu à son tour, et contraint de se circonscrire dans le territoire de Phère; mais le général thébain périt au milieu de son triomphe , et cette mort releva les espérances du tyran. 11 ramassa de nouvelles forces , et gagna une bataille sur mer contre les Athéniens , la neuvième année de son règne. Il eût été à souhaiter pour son peuple que ce princo eût toujours fait la guerre. Il aimoit à répandre le sang, et il versoit celui de ses sujets,quand il n'avoit pas d'ennemis à tuer. Une des récréations de ce barbare étoit d'enterrer face à face des hommes vivans, ou de les déguiser en bêtes féroces , pour les faire tuer à coups de flèches par ses chasseurs, ou dé*
veruS'j41exan.der)fut adopté par l'in-
fâme Hèliogabale en 221,et lui succéda l'année suivante.11 vainquit leî Allemands et les Perses,réforma les abus , corrigea les mœurs , rendit l'empire heureux et florissant,etfut assassiné par des soldats qu'avoit gagnés un de ses officiers nommé Mexi/nirr,qui usurpa le trône desCésars en 235. Il étoit âgé de 29 ans , et en avoit régné treize. 1 , 15., 284, II, 49. III , 2o5. ALEXANDRE ( Jérôme ) , l'un des savans , qui , sous le règne de Louis .XZJjCommencèrent enFrance la restauration des études. Ce bon roi lui donna une pension qu'il méritoit plus encore par son zèle que par ses talens ou ses écrits. I , 442ALEXANDRE VII , de l'illustre maison de Chigï , naquit à Sienne en 15JJ. D'abord inquisiteur à Malte , il fut successivement vice-légat à Ferrare, nonce en Allemagne, évêque d'imola, cardinal, et pape, après la mort d'Innocent X , en i655. Il embellit Rome, protégea les gens de lettres , approuva la bulle de son prédécesseur contre les cinqpropositions attribuées kjansénius, évêque d'Ypres, et prescrivit ce fameux formulaire de i665,qui causa tant de trouble parmi les théologiens français. Il fut obligé de réparer de Iamanière la plus éclatante l'outrage que sa garde corse avoit fait au duc de Çféquf, ambassadeur de Louis XIV,
�DES
PERSO N M A G E S. AI.FO-NSE
371'
et mourut en 1667, avec la réputation d'un homme rusé , mais qui n'avoit pas assez de dextérité pour cacher ses ruses. 111, 23J. 1,1-XANDRIDAS , citoyen de Sparte. III , 384. LEXIS COMUÉNE , fils à'Isaac Comnène, empereur de Constautinopie , se distingua par des exploits dignes des plus grands généraux, avant de monter sur le trône, qu'il usurpa sur IJicéphore Botcniate. Il battit les Turcs,et les contraignit à demander la paix : ensuite il vainquit les Scythes , et promit aux croisés de les secourir,iorsqu'ils se présenferoient dans ses états. Mais, soit.qu'il craignît d'être entraîné dans leur ruine , ou soit, comme les Latins le lui reprochent , qu'il fut charmé de voir cette multitude innombrable se fondre et disparoître peu à peu , il les abandouna à leur propre fortune , et fut peuhdelle à ses engagemens. Ils voulurent punir cette espèce de trahison lorsqu'ils repassèrent à Constantinople: il sut les calmer par ses protestations, ses manières affables, ses largesses et même ses services ; et après avoir évité cette guerre et pacifié son empire , il mourut en 1118 , après un règne de 38 ans. I ,
484.'
( ou Alphonse ) VI, roi de Léon, succéda à son père Ferdinand ' II, dans le douzième siècle , remporta plusieurs victoires surlesMaures , et mourut comblé de gloire et regretté de son peuple. I, 149. ALFONSE (ou Alphonse)V, surnommés le sage et le magnanime, succéda à son père Ferdinand-le-Juste sur le trône d'Aragon etde Castille eni4i6« Jeanne II, reine de Naples, l'appeia. à son secours , et l'adopta pour sont héritier cinq ans après. Cetre adoption l'engagea dans une guerre assez: longue contre louis d'Anjt u , que cette princesse fit roi en 1431 ; eC après sa mort elle lui subsiifua René d'AnjOuson frère. Alj'onse fit de nouveaux efforts pouruefendresesdroitsj mais i i fut vaiucuetprisparPAi/ippe, duc deMilan,qui le remit en libené. Cependant Jeanne mourut, Rend fuC reconnu roi;inais^//onsccontinuanC de lui dispu'er cette couronne, la lut enleva enfin,et ht le bonheur de Napies , comme il faisoit celui de ses autres états. Ce bon prince mourut dans cette ville, en 1458, laissant le> trôue d'Aragon à Jean II, son frèrej et celui des deux Siciles à icrdinand /son fils. 1, 2, 3. 14, 148, 236, 243, 284., 323. III, 8/, 320 , 365 , 384 % 390. 111 , 23, 27, 33,74, 144 , i58 ,
163, 172, 192, 210.
, surnommé Michacolvviti, c'est-à-dire,Fris <fe7V/icnrf,suceéda à ce prince sur le trône de Russie en KÎ45, et l'occupa 3i ans. Il rit la guerre aux Polonais, fut sur le point d'être leur roi, protégea le commerce , maintint la discipline dans ses armées , veilla à l'exécution des lois , augmenta ses états par plusieurs conquêtes , et prépara la fameuse réformation nationale que Pierre-le-Grand son fils exécuta lorsqu'il eut succédé à ce bon prince. I , 198. L-FAHABI , fameux philosophe musulman, vivoit au dixième siècle, et laissa plusieurs ouvrages , dont on trouve,dit-on, quelques parties dans la bibliothèque de Leyde. III , 238. LFOKSE ou {Alphonse) I , succéda à Henri, comte de Portugal,son père, en 1112. Ayant défait cinq rois maures en 1139 , ses troupes le proclamèrent roi, et il fut le premier prince portugais décoré de ce titre,qui n'ajouta rien à sa puissance, mais qui la rendit plus vénérable. Il régna 46 ans, et laissa le trône à son fils Hanche I, en u58.1, 149.
LEXIS
IV, calife ou souverain des ?arasins , et l'un des successeurs des Mahomet. III , 237. ALIPE , disciple et ami de saint Augustin, embrassa la religion catholique, devint évêque de Tagaste, et soutint la cause de l'église contre les Donatistes, dans une célèbre conférence qui se tinta Carthage en 411,er» présence du tribui\MarceUin.Ù,2<j<iALIX, sœur de Renaud, comte de Boulogne , sous le règne de S. Louis. I,
ALI
430.
ALLUCIUS
, prince des Celtibériens ,
en Espagne, que le premier Scipion. VAfricain vainquit 210 ans avanc J. C., et qu'il s'attacha ensuite par ses bienfaits. II , 244. AMALON , comte de Champagne > feudataire du roi Gofitran,vers l'an Musulman célèbre par sa générosité sous le califatcVHaroun-al-Raschild, au huitième siècle. II, 240. AMASIS , né d'une famille très-obscure» et probablement indigente, eut presque tous les vices que l'éducation.
570. 1 , 468. AMAUACH.BEN-HAMZAH,
�TABLE
H I S T
ORIQUE
» donnons point au pouvoir de l'en» corrige ou réprime quelquefois, et » nemi. » 11 remporta la victoire, quelques-uns des talens qu'elle ne Sachant, par sa propre expérience, donne pas toujours.Sa première jeucombien l'oisiveté est pernicieuse! nesse, il la passa dans des tavernes ; la république, ainsi qu'à ceux qui et les joueurs de profession, les vacomposent,il porta un décret contre gabonds , les fainéans , furent ses quiconque ne pourroit , chaque anpremiers maîtres. N'ayant pas assez née,prouver aux magistratsparqueb de fortune pour suivre constamment moyens il subsistoit. Cette loi parut ïeurs leçons,il cherchoitpar adresse si belle au sage Solnn,qu'il l'inséra ou par force,dans la bourse d'autrui dans son code, et se ht honneur da de quoi remplir la sienne , et plus l'avoir copiée. Ce prince aimoit à d'une fois il futsurle pointd'ètrelidire des bons mots , et ceux qui lui vré à la justice par ceux dont il avoit échappoient u'étoient pas tonjoun contraint la libéralité. Ce fut en vodépourvus de ce sel philosophique lant ses concitoyens , qu'il apprit à qui les rend piquans ou agréables. dérober le sceptre. Son industrie le Un de ses courtisans étoit inconsoTendit nécessaire à ^pries,roi d'Elable de la mort de son tils unique; gypte, sonsouverain.Une armée que Amasis fatigué de ses cris lugubres; ce prince avoit fait marcher contre « Ami, lui dit-il , imagine-toi qua les Cyrénéens , ayant été défaite , » tu ne l'as jamais eu. » Ce roi, s'étoit révoltée, Amasis fut envoyé célèbre à "quelques égards,gouverna pour rappeler les rebelles à leur dedurant 44.ans > et laissa le trône à voir. Il veut parler; on le proclame Psamme7irre,quifut|vaincu par Cam> souverain : loin de s'en défendre, il byse S26 ans avant J. C. 1, 20. se metàla tète de ses nouveaux su1 jets, marche contre Apriest le com- AMBOISE (George d ) fut premierministre sous Louis -Y/J, et partage» bat,le fait prisonnier,le livre à la fuavec ce prince le glorieux titre da reur de ceux qui lui avoientdonnéle Père du Peuple. Il ne fut pas grand titrederoi ,et le réalise en sa rendant politique,mais excellent citoyen, et maîtredetoute l'Egypte vers l'an 570 ses vertus suppléèrent à seslurnières. avant J.C.Sans perdre ses anciennes 11 montra autant de zèle pour le habitudes , il se montra digne du bonheur de la Franco , que pour le trône par les soins qu'il dounaà l'admaintien delà religion etdesmœursi ministration de la justice,et par son 11 ne posséda jamais qu'un seul béapplication à rendre ses peuplesheunéfice , dont il consacroit les deui reux et florissaus. Dès le lever de tiersà lanourriture des pauvreseti l'aurore jusqu'au milieu du jour , il l'entretien des églises.11 se contcilH expédioitles affaires avec l'attention de l'archevêché de Rouen et du chala plus scrupuleuse ; ensuite , pour peau de cardinal , sans vouloir y se délasser,il se livroit à la boisson ajouter d'abbayes , suivant l'u>age. avec un certain nombre d'amis caIl eût pu devenir pape, et il le désîpables de le seconder ; et on l'eût roit pour le bien de la chrétienté; pris pour leur bouffon plutôt que mais le cardinal de la Rovère, plu pour leur maître,par les espiègleries intrigant que lui,lui enleva la tiare, qu'il fiisoitafin deles exciter à rire. et prit le nom de Jules ILLaFrance Quelques graves courtisans osèrent perdit ce sage ministre en i5io.ll luireprésenterqu'en se familiarisant mourut à Lyon dans le couvent dcî ainsi,il dégradoit la majesté royale. Célestins, à l'âge^de 5^ ans. Il répé« Bon, bon , dit-il, un arc ne peut tait souvent au frère infirmier qui lf )) pas toujoursêtretendujilfaut que servoit dans sa maladie; « Frtre » la récréation succède au travail , » Jean, que n'ai-je été toute maris M si on veut le reprendreaveefruit.» » frère Jean!» paroles qui prouvée! Il entreprit plusieurs guerres, et fit que ce n'est pas dans lagrandeunjuî quelques conquêtes.Sur lepoint d'en l'on trouve l'a véritable félicité. Si venir aux mains avec les Arabes, il vie a été publiée par le Gendre , en s'aperçutque ses troupescraignoient 1721, et l'on a imprimé ses lettre^ d'engager le combat : il rit p-acer Louis XII, à Bruxelles eu 1711 derrière les bataillonslesstatues des 1 , 236. divinités les plus respectées de l'Egypte , puis parcourant tons les AMBROISE (S.) > l'un des 4 docteii" de l'Eglise Latine,et archevêque» rangs:« Camarades, s'écrïa-t-il, nos flÀilau, signala son zèle sa reiigio» » Dieux nous rcgardent,ne les abaa5
�DES
PERSONNAGES,
373
nève en 1451, âgé de 6$) ans.II.828. «t ses talens sous plusieurs empereurs, et mourut le 4 avril, veille AMIN , fils du calife Haroun-al-Raschild , succéda à ce priuce en 800 , de Pâques , en 3<)7 , à l'âge de 57 à condition que Mamoun son frère ans. La douceur de son éloquence auroit le califat après lui , et qu'en lui afaitdonner le surnom àedoctor attendant il posséderoit tous les meiii'/friusToussesouvragesrespirent meubles de la maison impériale, et la piété la plus touchante, et la requ'il commanderoit au Khorasan , ligion s'y montre avec la parure qui l'une des provinces de l'empire. lui est convenable. On en aîait pluAmin , devenu maître , ne voulut sieurs éditions; mais celle des Bénéremplir aucune de ces conditions * dictins, en 2 vol. in-fol. est la meilimposées solennellement par son leure. 1, 402. il , yi , 102 , 204 , père. Mamoun fut obligé d'armer 263 , 275 , 333. contre lui , et de le combattre. Le lAiviiDtE VIII_, duc de Savoie,fut surcalife fut vaincu , et se réfugia dans nommé le Pacifique, parce qu'il sut Bagdad où son frère vint l'assiéger. conserver la paix pendant que tous Le danger dont il étoit menacén'inles potentats ses voisins se faisoient terrompit point ses plaisirs. Au lieu la guerre, et on lui décerna le titre de songer à défendre sa capitale , il de Salomon de son siècle , pour la se reposoit sur ses officiers, pour se sagesse aveclaquelle il gouverna son livrer tout entier à la bonne chère peuple, et les lois utiles qu'il porta. et au jeu.Mamoun alloitdonner l'asPresque tous les souverains de son saut ; on vient l'apprendre au calife temps le choisirent pour arbitre de qui jouoit alors aux échecs : «Paixl leurs querelles,et il s'enfitrespecter » paix! dit-ilà l'importun messager, autant qu'il étoit aimé de ses sujets. >3 je vais faire un beau coup , et Aprèsavoirfaitérigerla Savoie en du» donner échec et mat. » Mamoun ché,il laissa ses états à son fils,et sa cependant entra dans la ville,arrêta retira avec plusieurs seigneurs de sa son frère,le fit déposer, et lui donna cour, dans une petite ville appelée la mort en 8j3,, la cinquième année Ripaille. Il y bâtit un monastère,et de son règne. 1 , 323. tout auprès un agréable palais auquel il donna le nomd'iCimi'rage.Là, AMMOUIUS, pieux et saint solitaire, qui vivoit dans le quatrième siècle, ce prince, avec ses compagnons , et qui refusa l'épiscopat. II, 04. menoit une vie délicieuse, et cherchoit à prodiguer les roses sur les AMPHIARAUS , fils d'Oïclès , inventa l'art futile de la divination par le9 épines de la vertu.Une table délicasonges , et, pour cette belle découtement servie, des mets plus choisis verte, fut mis au rang des dieux. 11 que nombreux, d'innocentes récréaprévit, dit- on , par sou art , qu'il tions entremêlées d'occupations seroit tué s'il accomp;ignoit./4drûste champêtres, rend oient ces nouveaux à la guerre de Thèbes ; et comme reclus moins semblable s aux ermites il étoit plus jaloux de vivre que de du désert qu'à ces disciples d'Epicombattre , il se cacha ; mais sa cure, qui ne se refusent aucune des femme Eriphile, séduite par la prodouceurs de ce monde , et ne s'apmesse d'un riche collier d'or , dépliquent qu'à en éviter l'excès. Ils couvrit le lieu de sa retraite. 11 prit prenoient cependant le nom de Sola fuite, et fut englouti tout vivant litaires de Ripaille , parce qu'ils dans la terre avec son char. Les haavoient exclus les femmes de leur bitans d'Orope, ville de l'Attique , société, et qu'ils portoient la barbe lui élevèrent un temple, dont l'oracomme les Capucins. Vêtus moins cle eut beaucoup de célébrité. Pour grossièrement que ces religieux, ils le consulter, on immoloit un bélier portoientune robe de drap gris trèssur la peau duquel on se couchoit, fin, soutenue par une ceinture d'or, et ce qu'on songeoit la nuit étoitla et ils avoient au cou une croix de la réponse du Dieu, que l'on payoit en même matière.Tel étoit le repos vojetant dans sa fontaine des pièces luptueux dont jouissoit Amédée , d'or et d'argent. 11 , 174 , 256. lorsque les pères du concile de Bâle lui donnèrent la tiare en i43o. Il AMPHILOQUE (S.) , évêque d'Icône , au quatrième siècle, assista au preprit le nom de Félix V, mais 10 ans mier concile général de Constantiaprès , il abdiqua la papauté en fanople, en 831 , et présida au conveur deNicolas V,et se contenta du cile de Side. Dans l'un et dansl'auchapeau de cardinal. Il mourut à CeAa3
�5/4
TABLE
H I
S
T
O
R I
Q U E
tre , il fît admirer son zèle pour la pureté de la foi de J. C, et mourut vers l'an 3p4- H nous reste de lui quelques ouvrages théologiques que le père Combesis a publiés en 1644. 1,, 16. 'AMPHIOW , peintre célèbre, contemporain â'Âpelle qui l'estimoir , florissoit vers \Jan32ç avantJ. C. II, 44a. AIWROU , sultan ou prince souverain d'une partie de l'Orient , dans le temps que les Sarasins étoienf maîtres de ces contrées. Il ; 42^:MURÂT I , empureur des TurCs , monta sur le trône en i35p , après 4Jrchan son père, et mérita le titre <{'Iilustre, non par ses vertus, mais pair ses conquêtes. Il enieva aux <Trecs la Thrace , Galljpo-li et Andrinople , dont il fit le siège de son empire, li battit le prince des Bulgares , s'empara de la basse Mysie^ chîtia ses ba?sas rebelles , rit crever les* yeux à son fils, qui avoit voulu se soustraire à la cruauté de son despotisme, etfut tué dans un combat en i3t>9 , après avoir gagné 3/ l.atailles.C'est lui qui créa la milice des Janissaires , et qui lui donna 3a forme qu'elle a encore aujourd'hui. XI , 37S. 'AMURAT IV succéda à Mustapha sur Je trône ottoman, en 1623, et s'acquit le surnom à'Intrèpide, par la bravoure aveclaquelle il s'exposa aux dangers de la guerre, il prit d'assaut Bagdad , et sut se faire craindre des janissaires,qui s'étoient rendus redoutables à leurs souverains.La valeur étoit sa seule vertu, et il la ternit par.la cruauté et par la1 débauche. Il mourut en 1640 , d'un excès de vin, en dépit du prophète Mahomet^ui défend à ses sectateurs l'usage decetteliqueurdangereuse. III, 20, 237. ANACHARSIS , fils de Gnurus roi des y Scythes, préiéra la philosophie au trône , qu'il laissa à son frère Gadyida , et quitta son pays l'an 592 avant J. C. , pour se rendre à Athènes, dont la reine sa mère, qui étoit grecque, lui avoit appris la langue, il prit Solon pour maître, et profita tellement des leçons de ce philosophe , qu'il devint son égal , et fut au nombre des sept sages de la Grèce. 11 fut Hé avec tous les hommes célèbres de son temps , et s'en fit admirer par l'austère gravité de «es mœurs et l'énergie de ses maximes. Dans sa vieillesse il voulut re-
voir sa patrie , non par une vain? curiosité , mais pour introduire les scienceset les usagesdés Grecschez ses concitoyens. Les Scythes , tout barbares qu'ils etoient , furent plus prudens que le philosophe; ils virent qu'en adoptant desmœursétrangères et des études incompatibles avec la simplicité de leur vie, ils perdoient leur caractère national. Anacharsis fut traité comme un novateur dangereux ; et sans respect pour son grand Age ni pour sa naissance , 1<J roi ie tua d'un coup de flèche, vers l'an 554 avant J. C. Les Grecs lui érigeront des statues, au-pied desquelles on lisoit ce précepte: Tau. toi ; sois sobre et chaste. 1, 108, 24a, 304. H , 43 , 88 , 4.08. ANACRÉON naquit à Téos en Ionie , vers l'an 532 avant J. C. , et fut comblé d'honneurs par les rois ses contemporains, à cause de ses aimables poésies , et de son caractère plus aimable encore. îl passa sa vie dans une mollesse voluptueuse , et les plaisirs l'accompagnèrent jusqu'au tombeau. A l'âge de 85 ans, un pépin de raisin s'arrêta dans sou gosier, et lui donna la mort. Ce qui nous reste de ses vers semble avoir été dicté par les grâces- Les meilleures éditions sont celles de Cambridge , 1705 in-12 , de Londres, 1706 , in-B.° et d'Utrecht 3 1732 , 1/1-4 ° II , 9°* ' ANANIAS , l'un des trois jennes Hébreux captifs à Babyione , que Na* buchodonosor fit jeterdans unefourïlaise ardente , pour avoir refusé d'adorer son idole. On l'appelle encore Sidrach, ( Voye\ AZARIAS. ) II , i5o. ANASTASEI, surnommé le Silentiairey non qu'il eût l'art de se taire, mais parce qu'il étoit chargé de faire taire les autres dans le palais de l'empereur , monta sur le trône de Constantinople , par le crédit à'Ariadne , veuve de Xénon , dont il étoit depuis long-temps le favori secret. Il l'épousa par reconnoissance, et donna les plus grandes espérances , en retranchant plusiuérs impôts, en diminuant les autres, et en abolissant la vénalité des charges ; mais il ne tarda point à démentir ces heureux commencemens; et ses sujets, au lieu d'un pèrequ'ils avoient cru trouver, ne virent plus en lui qu'un tyran avare et cruel. Il se déclara contre les catholiques,et
�DES
PER'S
ONNACES.
montra autant de hauteur envers les ministres des autels,que debassesse avec les ennemis de l'état. II acheta la paix des Perses et des jBulgares j et appaisa dos séditions plus par hypocrisie que par autorité. Un jour entr'autres , il parut au cirque en habit [de suppliant, protestant qu'il étoit prêt à sacrifier ses intérêts particuliers à l'intérêt public. Cette comédie toucha le peuple, qui le supplia de reprendre les rênes du gouvernement. II les reprit, et continua ses vexations. Il mourut d'un coup de tonnerre , en 5*8, à l'âge de 88 ans, dont il avoit régné 27. III , 35i. HANAXAGORE , né à Clazomène , vers I l'an 460 avant J. C., se livra de I bonne heure à l'étude de la philosoI phie, sous la conduited'^HûXtmène. I II y fit de tels progrès, qu'à l'âge de2o I ans il osa le premier ouvrir à Athè»I nés une école de philosophie. Il eut I un grand nombre d'auditeurs, parmi I lesquels on distinguoit-PeWc/^s, qui I le choisit pour maître. Ces succès I n'éblouirent point Anaxagore. Afin I de s'abandonner plus librement aux I objets de ses méditations , il distriI bua ses terres à ses concitoyens, et I aesmeubles à sesamis. Il enseignoit I qu'une intelligence souveraine avoit I formé cet univers, et présidoit à sa I conservation ; et ce dogme parut si I nouveau,qu'on donna à son auteur le I surnom £ Intelligence. Il disoit que I le tonnerre n'est produit que par le I choc et la collision des nuées ; que I les comètes ne sont que des étoiles I errantes , qui, venant à se rencouI trer, lançoient des flammes 5 que la I lune est un globe opaque , parsemé I de collines et de vallons, et couvert I de lieux habitables ; que la voie lacI tée n'est point un composé d'étoiles, I mais l'effet de la réflexion des rayons I du soleil; et que cet astre lui-même I n'est qu'un rocher incandescent, I beaucoup plus grand que le PéloI ponnèse. Quelques articles de cette [ doctrine étonnèrent les Athéniens, I mais le dernier les révolta. Ils adoI roient le soleil; ils furent indignés I de ce que le philosophe n'en faisoit I qu'une pierre. Il fut accusé d'imI piétéj et condamné à l'exil. Il supI porta cette disgrâce avec toute la I constance qu'inspire une conscience I sans reproche : « Voilà le fruit de I » vos paradoxes, lui dit-on lorsqu'il I x> sortoit de la villes vous ne verres
51
I
I I I I I I I I I I I I I I I I
» plus les Athéniens.—Dites plutôt, » répliqua-t-il , que ce sont eux » quineme verront plus. 5) Il se retira à Lampsaque, où il se rit admirer. Il parvint à une extrême vieillesse ; et comme il s'éteignoit peu à peu , ses disciples lui demandèrent s'il ne voudroit point retourner à Clazomène, pour yêtre inhumé auprès de ses pères, tt Cela m'estiudif» férent ; il y a tout aussi loin de » là que d'ici pour aller au séjour » des morts.» Quand il ne fut plus, on l'honora comme un homme divin, et l'on érigea des autelssurson tombeau. On'remarque qu'il n'a jamais ri. Cependant il ne manquoit pas de motifs; exDêmocriteeût bien profité des occasions que le hasard offrit au philosophe de Clazomène. I, 12, 108. II, 176, 179-, 200. ANAX ARQUE , philosophe d'Abdère , disciple de Démocrite , fut un des favoris à' Alexandre-le-Grand, quoiqu'il lui parlât comme eût fait Diogène.Le conquérant dei'Asie le combla de bienfaits , et le philosophe n'abusa point des bontés du roi de Macédoine. Nicocréen, tyran deChypre,. qui le haïssoit, le fit piler dans un mortier ; et cet affreux supplice ne servit qu'à faire éclater l'héroïque constance à'Anaxarque. I, aôi. ily 357, 3QO\ III, l3p. ANAXILAUS , tyran de Zanècle et de Rhégio en Sicile , mourut vers l'an 476 avant J. C. , après avoir régné 18 ans. Il ne fit rien de mémorable, mais il eut l'art de conserver la puissance qu'il avoit usurpée > et de la laisser à ses enfans. 1, 3oo. ANAXIMÈNE, naquit à Lampsaque, et se fit un nom par son éloquence^' Philippe, père d'Alexandre, le choisit pour donner à son fils des leçons de belles-lettres; et le précepteur s'attacha tellement à son élève, qu'il le suivit dans la guerre contre les Perses. Il sauva sa patrie , qu'Alexandre voulut détruire, et il s'immortalisa plus en désarmant ce? héros , que par ses harangues et ses histoires dont il ne nous reste rien. _ "1, 99ANGKLONG, officier lombard, qui portoit la lance de Grimoald son roi , se rendit célèbre par sa bravoure dans une guerre de ce prince contre l'empereur Constant II, vers l'an 662. LU , 3oo. ANDIATORIGKS , adversaire i'slit-* guste , que ce prince rit prisonnier,: Aa k
�ZyG
TABLE
H ÏSTORIÇTJE
et qu'il fit mettre à mort. I , r6ô. gnarder Agrippine sa mère. Le aj, ANDRÉ II , succéda à Ladislas IX, tellite fut ridelle aux ordres du ty. sur le trône de Hongrie , en 1204 , ran, et voilà pourquoi l'on parle de f et l'occupa durant 31 ans.Il se croilui dans l'histoire. I , 3/2. sa pour la Terre-Sainte , défendit ANICIUS-BASSUS , préfet de Rome Jérusalem avec une bravoure qui lui en 383, fut revêtu des honneurs du acquit le surnom de Jérosolymituin, consulat en 408, et il les méritoit. et soutint d'autres guerres dans lesI I, 454. quelles il ne démentit point sa va- AXNE,femme d'Elcana etmère de Sa. leur. Son équité égala son courage : rnuel, qu'elle mit au monde environ ' il ne se crut roi que pour adminis1124 ans avant la naissance de J. C. | trer à ses peuples une justice imparElle signala sa reconnoissance par tiale; et les intérêts de ses sujets lui un cantique , qui est l'un des plus j furent plus sacrés que les siens. Il beaux de tous ceux que l'on trouve I protégea surtout la noblesse , il la dans les livres saints. I , 16, rendit la surveillante des rois , du ANNE de Bretagne,fille et héritière du moins quant à la conservationde ses duc François II et de Marguerite dt [ privilèges. «M quelqu'un de vossouToix, naquit à Nantes en 1/176. » verains veut les enfreindre, dit-il, Fiancée kAlaximilien d'Autriche^ yy il vous sera permis, ainsi qu'à vos l'épousa, même par procureur, elle » descendant, de prendre les armes fut mariée à Charles V lll, roi fie » pour les défendre, sans pouvoir France, puis à Louis XIX, son suc. | î> être traité de rebelles. » Cette cessenr , dont elle avait été aimée [ clause, inutile sous un bon roi.pouavant son premierengagenient.Cette [ voit être bien dangereuse sous un alliance acquit la possession de la prince foibie ou méchant- André Bretagne à la couronne. Anne étoit consulta plus son cœur que sa prula' pius belle femme de son siècle, et dence en l'insérant dans la charte elle tut une de nos plus vertueuses ! des privilèges des gentilshommes .reines. Elle mourut au château de hongrois. Il mourut regretté de Blois , le 9 janvier i5i4, pleurée tous les ordres de l'état , et mérides pauvres dont elle étoit la mère, tant de l'être, en 1235. I 475. et de tous les Français qu'elle avoit 'AtiDRÉ{Boulanger, connu sous le nom édifiés par ses exemples. II, 266. de petit pere) augustin réformé, se AwnT.d*Autriche>1ri\\e -dinéedePhtlippt rit un nom par les trivialités et les XII, roi d'Espagne, femme de Louis tur'upinades dont il remplissoit ses XIII, etmère de Louis XZK,eutla serinons. On l'alloit entendre moins régence du royaume pendant la mipour s'instruire que pour s'amuser; norité de son fils. En rendant le caret Ton rit même encore aujourd'hui, dinal Mayxrin l'organe et l'instruen se rappelant ses platitudes orament de sa puissance , elle révolu toires. Il mourut à Paris , sa patrie, les grands de la cour. Elle fut obli. en 1657. Il j 263. gée de s'enfuir de Paris, et le peuple ANDROCLUS , esclave d'un proconsul toujours extrême, chantoitdes vaud'Afrique,sous le règne de Caligula. devilles injurieux à sa vertu.Ellevint 111 , i3o. à bout de pacifier ces troubles, et ANGADRESME, ( Sainte ) vierge et donna tout son temps aux exercices abbesse près de la ville de Beauvais, de piété. Elle rit bâtir lamagnifique égliseduVal-de-Grâce,en reconnoisdont elle est une des patrones , et où ses reliques sont honorées. Elle sance de ce que Dieu lui avoit donne mourut en 608. III , 3o5. Louis Xly.EUe, empêcha ce prince ANGELI (L') , s'immortalisa en faisant d'épouser la nièce deMayzrin; et ce rire quelquefois Louis XIV. Il faut ministre feignant de craindre les des bouffons aux grands hommes , suites de la passion du monarque: et V Angeli se crut un personnage , « Si le roi étoit capable de cette inparce qu'il fut celui d'un grand roi. » dignité, lui dit-elle , je me metD'autres que lui eurent la même per■ » trois, avec mon second fils, à la suasion, et on lui adressa plus d'une » tête de toute la nation, contre le yy roi et contre vous.wCetteréponse requête , parce qu'on espéroit qu'à Ja faveur d'un bon mot il la feroit étoit l'image de son caractère plein appointer par son maître. III, 73. de îîoblesseetde hauteur. Elle mouANICET, affranchi de Néron , que cet rut en 1666 , âgée de 64 ans. 1) empereur inhumain chargea de poiZl2. \\ 3 263.
�■ ANNE,
077 D E « PERSO N S'A CE S. ce général sanguinaire chargea de fille de Jacques II , roi de la tuer l'orateur MOT&Antoine, aïeul Grande-Bretagne,futmariée à Geordu triumvir. II , i3y. [ ges, prince de Danemarck, qu'elle tint en tutèle. Après ia mort du roi ANUON,ricbeetpuissautC.;'thaginois, du temps du philosophc^4nacAarsis. Guillaume, époux de sa sœur aînée, 11,88. les Anglais l'appelèrent au trône. Le ANTALCIDAS, général lacédémonien , duc de Marlborough, son favori et florissoit environ 400 ans avant J. son général, illustra son règne par C. 11 fut guerrier et philosophe , et, ses victoires; et la paix d'Utrecht, ce qui est moins ordinaire , avec un ! dont elle dicta les conditions,mitle grand mérite, il fut modeste. Etant comble à sa gloire- Elie assura à la dans ia Samothrace , il se présenta ' maison d'Hanovre la succession de aux ministres des divinités du pays, la couronne d'Angleterre,et mourut pour être initié à leurs sacrifices. en 1714 à l'âge de 5o ans , dont « Qu'avez-vous fait de louable, lui elle avoit régné 12.L'usage trop fré» demanda le plus ancien des prêquent des liqueurs fortes abrégea » très? — Les Dieux ne l'ignorent ses jours. II , 175. » pas, répondit-il, et ce n'est pas à I ANNE IWANOWNA , fille de Jean, em» moi à le dire. » H, 61 , 433. III, pereur de Russie,frère du czar Pier145. re-le-Gi'and, épousa le duc de CourANTHIME , patriarche eutychien de taude//ï'edf rie-GuiMaame, et succéda Constantinople , sous l'empire de I en 1730 a Pierreïl son cousin, sur Justinien. III , 208. le trône de Russie. Elie favorisa le commerce de ses sujets,se lit crain- ANTIGENIDAS, célèbre joueur de flûte thébain, disciple de Philoxène. 111, dre' ou rechercher tour à tour de 145. l'empereur, des Polonois, desTurcs, des Pèrsans et des Chinois, et fit la ANTiGONEouy^nfi^-onns,d'abord capitaine d' Alcxandre-le-Grand, fut un guerre au grand-seigneur durant près des généraux qui se partagèrent (esde 4 ans, avec un succès qui ajouta vastes états de ce conquérant après à la gloire de son règne.Elle mourut sa mort. Il eut la Pamphylie, la Syen 1740, laissant le trône à Jean de rie, et la Haute-Phrygie , provinces Brunswick , petit-fils de sa .'■ceur , qui forrnoient la majeure partie de sous la régence du duc de Courl'Asie inférieure.11 défit plusieursde lande, Jean Ernest de Biron ,sou fases rivaux, bâtit la ville d'Antigovori. II , 3o , 209. nie, et fut tué dans une bataille conI ANNIBAI, fils à'Amilcar, le plus imtre trois de ses compétiteurs , l'an placable ennemi des Romains,jura à 3oi de J. C. , à i'àge de 80 ans. son père une haine éternelle contre Etant sur le trône , il montra plus Rome. Dès l'âge de neul ans il fut de douceur dans sa conduite qu'il guerrier,et son applicatienau métier n'en avoit dans le caractère. Queldes héros anuonçoitdcslorsqu'il méqu'un , qui le connoissoit , en fut riterbit un jour d'être à leur tête. Il surpris. «Je veux, dit-il, conserver joignoit la prudence au courage , et » par la douceur, ce que j'ai acquis son activité fut toujours dirigée par » par la force.» 1, 32, 39, 109, 147, une présence d'esprit peu commune. 3o5, 489.Il , 207.383, 456.111,68,69. 11 mit Rome à deux doigts de sa ruine.Vaincu parScipion,il se retira ANTIGONE ou Antigonusl, surnommé Gonaras,fils de Vémétrius Poliorcèdans Carthage sa patrie , que la jates , monta sur Je trône de Macélousie des Romains lui fit bientôt doine l'an 277 avant J. C. , et l'ocabandonner. Partout il leur suscita cupa 33 ans. I, 148. II, 6 , 406. III, des ennemis. Il se réfugia d'abord 161. chez Antlbchus, roi de Syrie,auquel il donna des conseils dont ce prince AuTiGONEou./1/iirgoHns.ZT, suruommé I?070n,c. à d. qui donnera,parce que I ne sut pas profiter ; puis chez Prupromettant toujours , il ne donnoit s£as,roi deBythinie,oùne se croyant rien, gouverna ia Macédoine, moins pas en sûreté , il avala un poison comme roi , que comme tuteur de subtil qu'il portoit depuis long-temps Philippe,père AcPersée son neveu.il dans le chaton de sa bague, l'an 183 exerça l'autorité souveraine durant avant J. C.,âgé de 64 ans. I, 7, 22, 12 ans, et la laissa à son neveu, l'an 23, 26, 3o6\ 11, 1 , 6, io5, 137, 242, 220 avant J. C. 1,117. II, 22, 285a 244, 24B, 284, 357. III , 259. 409. Amus, officier du grand Marius, que
�TABLE H ISTORIQTJE (duc d')> surintendant des bâdre lui ôta son gouvernement pour timens, et courtisan très-adroit sous complaire à Olympias sa mère;et on JZouis XIV. I , 267 , 269. dit qu'Antipater s'en vengea en emANTIOCHUS I, surnommé Soter.c. à d. poisonnant son sonverain.il mourut sauveur,succéda à Sélcucus-Nicanor l'an 331 avant J. C. I, Ii3, 144. II, son père, sur le trône de Syrie , 281 90 , 201, 403. 111, 174. ansavant J C.,et régna 20 ansavec ANTI STHËNE commença par donner gloire. Il avoit aimé Stratonice sa des leçons de réthorique; mais ayant belle-mère, qui lui fut donnée pour entendu Socrate, il congédia ses auépouse, et qui partagea avec lui les diteurs : « Allez , leur dit il , cherhonneurs divins qu'on leur décerna xt cher un autre maître ; pour moi, après leur mort. I , 140. » j'en ai trouvé un.» Il s'attacha 3 ANTIOCHUS HI, dit/e Grand, fut roi ce philosophe,et fut l'un de ses plus de Syrie l'an 224avant J.C., et gouzélés disciples. Il vendit tous ses verna durant 37 ans. II prit Sardes, biens , pour se livrer avec moins subjugua les Mèdes et les Parthes, d'inquiétude à l'étude de la sagesse, conquit la Judée, la Pliénicie et la et ne garda qu'un manteau, encore Coelésyrie,et projettoitde se rendre étoit-il déchiré. Socrate devina lej maître de la Grèce, lorsque les Romotifs de ce choix. « Je vois ta vamains se déclarèreut contre lui ; il » uité, lui dit-il, à travers les trous . étoit alors aidé des conseils à'An. » de ton manteau. » Ainsi Antis. nibal , qui s'étoit réfugié à sa cour, thène, malgré ce détachement géné. et,avecce grand homme,ilsecroyoit ral,étoit moins simple que son maîinvincible. Il fut battu par Scipion tre : il portoit une longue barbe, et l'Asiatique , et contraint, pour obmarchoit un gros bâton à la main,et tenir la paix, de renoncer à tout ce le clos chargé d'une besace; et cette qu'il possédoit en Europe,et à tout fastueuse pauvreté lui rit des discice quiétoiten-deçà du montTaurus ples. 11 fut le père de la secte qu'on en Asie. Quelque temps après, il fut appela Cynique, parce que , comme tué dans l'EIymaïde , en pillant un les chiens, ceux qui la composoient temple de Jupiter-Bélus , l'an 187 ne craignoient pas de fouler aui avant J. C.I,23, 3o6. H, 242, 247. pieds le respect que l'on doit à ses III , 127, 527. ; semblables, et de se livrer en public ANTIOCHUS IV,surnomme Eprphanes à des actes que la pudeur oblige de ou l'illustre,succéda à Sélcucus-Phidérober aux regards des témoins. A lopator, 176 ans avant J. C.et tint ses folies prèsAntisthène avoit delà le sceptre de Syrie durant 12 ans. 11 précision et de la solidité dans sa fut le plus cruel ennemi des Juifs, doctrine. A quoi vous sert cette ausdont il vouloit détruire la religion. tère philosophie qui faitvos délices? Il mourut , frappé de la main de lui demandoit-on un jour. «A vivre Dieu,l'an 164 avant J.C. Jjes cour» avec moi,»répondit-il. Quelqu'un tisanes !e gouvernèrent,et il se livra lui disant que la guerre étoit utile, tour â tour à la fureur ou â la dépuisqu'elle délivroitles villes d'une bauche. II, 145 , 146 , 201. multitude de misérables : « Vous 'ANTIOCHUS V, surnommé Eupator , » vous trompez, répondit-il; elle en iiis et successeur du précédent, fut » fait plus qu'elle n'en emporte.» Il tué par Démétrius Soter son cousin, enseigna clairement l'unité de Dieu; germain, l'an 162 avant J.C. 1, 342. mais il joignit à ce dogme la docANTIOCHUS, sophiste grec: on ignore trine erronée du suicide. Il disoit le temps où il florissoit II, 172. souvent:c( il vautmieux tomber enANTIOCHUS, eunuque, précepteur de » tre les griffes des corbeaux, qu'enThéodose II, nuePulchérie, sœur et » tre les mains des flatteurs : les tutrice de cet empereur , lui ôta , » premiers ne font de mal qu'aux parce qu'il s'occupoit moins de l'é» morts; les autres dévorent les viducation du prince que des intri» vans. » Il florissoit vers l'an 334 gues de la cour. II , 111. avant J. C. I , 241. ANTiPATER,discipled'Aristote,et l'un ANTOINE (Marc-), surnommé VOradesgenérauxd7/îi;xancii'c-/£-Gi<z/îri teur, à cause de son éloquence , qui gouverna la Macédoine et joignit rendit l'Italie rivale de la Grèce , les talens de la guerre à l'amour des selon l'expression de Cicèron , fut belles-lettres.11 réduisit les Thraces, questeur en Asie, préteur en Sicile, et défit les Lacédémoniens..4£e*#raproconsul en Silicie, consul 99 ans ANTIN
Sj3
�DES
P E R S O N W A C E S.
avant T. C., enfin censeur , et se distingua 'par J'intégrité qu'il fit paroitre dans tous ces emplois. Il fut égorgé par l'ordre de Marias, et regretté de tous les bons citoyens. Il, i3o , m. . AxTOWt'Marc-), petit-fils du précédent , se rendit célèbre d'abord par son courage,puis par ses désordres s enfin par son affection pour JulesCésar.Aprê3 l'assassinat de ce général , il s'empara de sa puissance , qu'il partagea avec Auguste et Lipide , et prit avec eux le nom de Triumvir.Ils ciment èrent leur autorité par le meurtre des meilleurs citoyens , et bientôt ils tournèrent leurs armes contre eux-mêmes. Auguste ne voulant point de collègue , déclara la guerre à Antoine, le vainquit à Actium,et le réduisit à la nécessité de se donner la mort,l'an 3o avant J. C. I, 106, 109 , 126 , 482 , II. 20 , 285 . 327 , 3y2. III , 123. ANTOINE ( Marc- ), fils du précédent, ne succéda point à la puissance de son père , et en fut probablement la victime. II, 3o2. ANTOINE (saint), instituteur delà vie monastique , né au vil'.age de Corne en Egypte, l'an 251, quitta le monde à l'âge de 17 ans, aprèsavoir distribué ses biens aux pauvres , et se retira dans une solitude, où il fit bâtir plusieurs monastères- En 335, il fit un voyage à Alexandrie, pour défendre la foi contre les Ariens qui publioient qu'il avoit la même doctrine qu'eux. De retour parmi ses frères , il continua de les édifier par ses leçons et par ses vertus , et mourut âgé de 105 ans, en356 , laissant sa tunique à saint Anathase,quiécnv\t sa vie. Quoique saint Antoine n'eût point d'études, il laissa sept lettres, avec une règle et des sermons , que l'on trouve dans la Bibliothèque des Pères. 1, 5. 111 , 263 , 269. ANTOINE , grand bâtard de Bourgogne sous Louis XI. II , 219. ANTONIA , fille de Marc-Antoine et d'Octavie,épousa Drusus,fils de LiW et frère de Tibère,qui lui laissa 2 fils, Germanicus, père de Caligula, et Claude, successeur de ce dernier. Après la mort de son mari , elle voulut rester veuve. Caligula étant devenu empereur, lui causa tant de chagrin, qu'elle s'empoisonna, diton , l'an 38 de J. C. I, 365. ANTONIN , surnommé le Pieux et le Débonnaire, empereur romain, suc-
céda à Adrien , qui l'avoit adopté, après avoir passé par toutes les dignités de l'empire.11 fit régner avec lui toutes les vertus, et mourut l'an 161 , regretté de ses suiets dont il étoit père plutôt que le maîtiC. 1,285, 388, 492, 493- U> 4°, io7, 4i4AÎCHON (M. d') , archevêque d'Auch, prélat célèbre par son humanité pour son troupeau , qu'il éclaira par sa doctrine,et qu'il édifia par ses vertus. I II, 184. APELLE , né dans l'île de Cos , fut le plus célèbre peintre de l'antiquité. Alcxandre-lc-Grand ne voulut être peint que par lui , et le combla de bienfaits,dont l'artiste n'abusapoint. 11 inventa le profil pour ntigone , qui n'avoit qu'un œil, et possédoit un vernis pour pouvoir suppiéer à l'huile des modernes.Ilflorissoitvers l'an 33o avant J. C. I , 106. II, 66, 1 "98 , 252. APELLEOU Appelle, comédien que Caligula fit déchirer à coups de fouets. 1 , 365. APURA ATE- pieux solitaire sous l'empereur Valcns , protecteur de l'arianisme. 111 , 35o. APOLLODORE , disciple et ami du sage Socrate. II, 3o5 APOLLCNÏUS, surnommé Pcrgceus , parce qu'il naquit à Perge en Pampliylie, géomètre célèbre, vivoit sous Ptolémée-Evergète, roi d'Egypte , vers l'an 244 avant J. C. Il composa plusieurs traités de mathématiques, dont il ne nous reste que celui de Sections coniques.La meilleure édition de cet excellent ouvrage est celle d'Oxford, corrigée par Hallei en 1710, in-fol. 111, 23o. APOLLONIUS de Tyane, bourg deCappadoce , né quelques années avant J. C. , philosophe pythagoricien , à qui les païens attribuèrent des miracles , pour les comparer à ceux du Sauveur; mais qu'on doit regarder, avec saint Jérôme , comme les effets de la magie , ou plutôt, avec saint Augustin, comme les prestiges d'un imposteur fort habile. Il mena une vie très-austère , afin de se rendre plus recommaudable; fit le prophète et le réformateur, et mourutl'an 97 de J. C. sous l'empire de Nerva. On lui dressa des autels après sa mort. 1, 84. II, 186, 405 , 45o. APOLLONIUS , sophiste, né à Chalcis en Syrie, auquel Antonin-le-Pieux, confia l'éducation de Marc-AurèU, son fils adoptif. I, 493.
�38o
APPA
TABLE
ALP
HAïKTipi
,
bête, se'on l'expression d'un ancien; , fille de Rorrilde , duchesse de Le monarque indoient etvoluptueux Frioul, avec Géla,sa sœur. I, 478. se reposa de tout sur cet indigne fa. APPIUS -CLAUDIUS-CRASSINUS , fut vori , et après lui sur Eudoxie , SJ choisi l'an 451 avant J. C , pour femme , à laquelle il sacrifia saint rédiger les lois de Solon, apportées Jean-Chrysostùme.V>ès l'âge le plus de Grèce à Rome,et les adapter aux tendre, Arcadius avoit développé la mœurs et aux besoins de la républiférocité de son caractère, en ordon. que. On lui donna y collègues , et liant de tuer Arsène, son précepteur. ces 10 magistrats furent revêtus du Il ne changea point de mœurs en pouvoir souverain , sous le nom de montant sur le trône des Césars, et Vécemvirs. Ils ne tardèrent point à sa mort , arrivée en 408 , rie causa en abuser, surtout Appius, qui, vouaucuns regrets. Il n'avoit que 3t lant s'emparer de la jeune Virginie, ans , et il mourut encore trop tard pour satisfaire ses passions brutales, pour le bonheur et la gloire de l'em. fut obligé d'abdiquer son autorité pire. I, 16, 404. II, 40. III, 3, 160. usurpée , et fut mis à mort en pri•ARCÉSILAS ou Arcésilaus, né à Pitant son, l'an 449 avant J. C. 1,471. en Eolie , succéda à Crantor son APOLLOCRATE, lils aîné de Denys-lemaître , dans l'école platonique. Il jcune, tyran de Syracuse. I , 173. forma la secte appelée la seconii I ARABLAI , ( Pierre d') chancelier de A:adémie, et se fit de nombreux dis. l'université de Paris, fut décoré du ciples, autant par sou caractère aichapeau de cardinal , sous le règne mable et généreux , que par les prinet à la recommandation àePhilippecipes de sa philosophie.Un despria, le-Long, dont il mérita l'estime par cipaux points de sa doctrine étoit son savoir. 1, 434qu'il faut douter de tout , et rester ARASPE , jeune seigneur mède, favori dans une incertitude continuelle sur [ du grand Cyrus, roi de Perse, et gartoutes choses. H aimoit tellement I dien imprudent de Panthée , reine Homère, que quand il l'alloit lire,il de la Suzianne. 1, 115, 464. s'écrioit: «Je vais à mes amours.» j ARATUS, fils de Clinias, naquit à Si11 mourut, dit-on, d'un excès de vin, j cione , ville capitale de la républià l'âge de 75 ans,vers l'an 3oo avant que des Achéens , et dès sa plus J. C. I, 264. II, 119, 394, 408. tendre jeunesse , conçut le dessein de chasser les tyrans qui asservis- ARCHAMB iUD, officier de confiance a i la cour de Charlcmagne.X, 421. soieut sa patrie.H s'associa quelques citoyens, zélés comme lui pour la li- ARCHAMBAULT DE BOURBON , confident de Louis VIII, roi de France, berté publique, et vint à bout d'exé1,5. cuter son noble projet. Sicione deARCHÉLAUS I,usurpa le trônedeMacevenue libre, acquit, parles services doine , 4i3 ans avant J.C, et régna et les talens de son libérateur, l'asen grand prince , quoique peut-èlri cendant sur toute la Grèce , et fut avec trop de sévérité. 11 disciplina recherchée des Tois de Macédoine. ses armées, fortifia ses places, proPhilippe II, l'un de ces princes, qui tégea les lettres et les arts. Un da rodoutoit Aratus,\e rit empoisonner, ses favoris le tua dans la quatorl'an 214 avant J. C. On lui éleva des zième année de son règne. 1 , io3, statues avec le titre de Sauveur de la i3o , 3o6 , 324. II, 89. patrie. I, 180. II, i85, 208. III, 127. ARCHÉLAUS,fut fait roide Cappadoce ARC , (Jeanne dS ) connue sous le nom* par Marc-Antoine,et se maintint sur de la Pucelle d'Orléans. III, 3i<5. le trônesousl'empired'^uyus'e.Pour ARCADE , ( saint) martyr. III, 249. se venger , le sombre Tibère l'invita ARCADIUS, fils AeThéodose -le-Grand, à venir à Rome , et le fit mourir de n'hérita pas des vertus de son père chagrin après l'avoir emprisonnera en régnant après lui sur l'Orient,qui seizième année de J. C. Après sa lui fut donne pour partage. Il avoit mort, son royaume fus réduit en été revêtu de la pourpre à l'âge de 7 provincé de l'empire romain. 1.36-< ans , en 384 , et il fut empereur en ARCHIAS,I'UII des gouverneurs Spartia395. Ruffin , préfet du prétoire , le tes, quelesLacédémoniens établirent gouverua d'abord , et après la mort à Thèbes dont ils s'étoient rendus tragique de ce ministre , qui , pour maîtres en s'emparantdelaforteresse se venger, avoit trahi l'empire, Ardelà Cadmée, 382 ans av. J CI, 17Scadius se rendit l'esclave d'un eunuARCHIDAMEII, fils et successeur A'A* que, qui le conduisit comme une
�DES
PERSOWNNÀGES.
38l
être sa marraine. Louis XIV ie rit lieutenant-général de police, magistrature qu'il honora parla manièet l'occupa 23 ans. Quelqu'un lui re sage et grande dontil la remplitdemandant jusqu'où s'étenJoit le Ses importans services furent récomdomaine desLacédémoniens : «Juspensés de la dignité de garde-desyy qu'où leurs lances peuvent atteinsceaux , qui lui imposoit l'obligation dre,» répondit-ii. U fut tué en Itad'en rendre de plus grands encore. lie , où il étoit abordé avec une Il mourut en 1721 , à 60. ans, memflotte pour secourir les Tarentins. bre des académies françoise et des II, 135.1 FI ? pi , QS. sciences. 1, 94, II, 285. ARCHILÉONIDE , dame lacédémonienARGOLI ( Jean ), né dans le royauma ne , distinguée par son dévouement de Naples, se distingua par ses poépatriotique. 1, iu5. sies latines et italiennes. Son EndyARCHIMIIDE , né à Syracuse d'une famionaété imprimé in-12eu l626.il mille illustre , et parent d'Hiéron , mourut vers 1660. II, 184. Toi de cette ville , préféra l'étude ARGOUGES (M. d'), intendant de des mathématiques à l'élévation que Bourgogne , ennemi des longues ha-, sa naissance lui promettoit.il ritdes rangues, en rencontra une telle qu'il découvertes si surprenantes dans la la désiroit. 11X , p2. mécanique, qu'on le prendroit pour ARIMAZE, souverain d'une partie de la l'inventeur de cette science utile, si Sogdiane, osa braver Alexandre-le* son siècle étoit plus reculé.Il fut tué Grand sur un rocher fortiiié. Il fut à la prise de sa patrie par les Ro. pris et mis à mort, environ 328 an» mains , l'an 212 avant J. C II nous avant J. C. 111, 3i3. reste de lui quelques traités, dont ARIOBARZANE, roi de Cappadoce du la meilleure édition est celle de temps du grand Pumpée. 111, 265. i6i5, in-fol. Paris, I , 365. ARISTAGORAS , chef ou prince des haARCHITAS, né à Tarente, fut un grand bitans de Milet, gendre du tyran mathématicien , et s'attacha égaleJListiée , rendit la liberté à ses conment à l'étude de la mécanique et à citoyens, 3o5 ans avant J. C. Il fut celle de la philosophiemorale.il emtué 6 ans après , dans un combat brassa la doctrine de Pythagore.Vn contre les Perses. Il , 47S. naufrage le rit périr sur les côtes de la fouille. Il florissoit vers Tau ARISTANDRÏ, fameux devin , ou qui feignoit de l'être, se rit aimer 33i avant J. C. 1U , 238. d'Alexandre-le-Grand, par des préARËTHUS , citoyen de Corinthe, cédictions qui flattoient la vanité do lèbre par sa sincère amitié pour ce conquérant, ou qui excusoient Eudamidas. I , 06. ses vices. III , i3y. ARETIN ( Pitrre ), ainsi nommé parce ARISTARQUE , de Samothrace, précepqu'il naquit à Arezzo, étoit fils nateur de Ptolomée-Philométor 3 roi turel d'ungentilhomme appeléLouis d'Egypte , vers l'an lôy avant J. C. Bacci.Il fut le plus impudentdesSa11 se rendit célèbre par la sévérité tiriques. Charles-Quint lui envoya de sa critique: aussi donne-t-on son une chaîne d'or de ceut ducats,pour nom aux censeurs dont l'indu.genc© l'engagera modérer ses saillies cyn'est pasla principale vertu. I; mouniques. « Voilà, dit le poète effréné, rut à 72 ans,d'une hydropisie. 111,44. » voilà un bien petit donpour de si AHISTÉE , savant géomètre ancien , )) grandes sottiseslD'autres princes autérieur à Euclide , et dont les train'employèrent que le bâton, et s'en tés sont perdus. 1!I , 23o. trouvèrent mieux. Il n'épargna ni ARISTIDE, surnommé/e Juste, rival de le sacré ni le profane, et c'est avec Thémistocle, se distingua par sacanraison qu'on a dit dans une épitadeur et son désintéressement,contre phe épigrammatique , son adversaire par ses artifices et ft son ambition. Quoiqu'il eût passé Que s'il n'a pas contre Dieu même ï( par toutes les charges de la magisVomi quelque horrible blasphème, trature d'Athènes , sa patrie ; quoi-» K C'est qu'il ne le connoissoit pas. >y qu'il eût plusieurs fois commandé Il mourut à Venise, vers i556,âgé des armées , remporté des vie toi r es , de 66 ans. III , 287. et en le maniementdnsdeniers de la ARGENSON ( Marc-René de Voyer de *^rèce, ii mourut dans une si grande Paulmy, marquis d' ) naquit à Veindigence j qu'il fallut l'enterrer aux nise en 1653, La république voulut
gêsilas-le-Grand,roide Sparre,monta sur le trône 338 ans avant J. C,
�\
382
TABLE
HI
STORÏQTJE applaudissemens prodigués à sej pièces. Mais , malgré ses talens et les succès glorieux,dont ils furent couronnés, la postérité ne lui a p,is pardonné d'avoir profané la religion et la sagesse, en jouant la Divinité et 5ocrate.Il avoit composé pins de 5o comédies, dont il ne reste que 11, remplies de cet esprit lin et délicat qui caractérise le sel attique. Kuster en a donné une magnifique édition en 1710, in-j'ol. II, 123. III, 113, ARISTOPHANE, l'un des gardes i'A. lexandre-le.Grand. III, 135. ARISTOPHON , capitaine athénien, contemporain du célèbre îphicrate, et qui a sauvé son nom de l'obscurité pour laquelle il étoit fait, en accusant ce grand homme. II, ARISTOTE , surnommé le prince des philosophes, naquit àStagyre, ville de Macédoine , 384 ans avant J.C. On dit qu'il étoit de la famille d'Esculape , dieu de la Médecine. Il fut disciple de Platon, qu'il égala bientôt. Philippe lui confia l'éducation 'à' Alexandre-le.grandson fils, lldonnoit ordinairement ses leçons en sa promenant , ce qui a fait appeler son école la secte desPéripatèticiens, Il mourut âgé de 63 ans , 322 ans avant J. C. Ses concitoyens lui dressèrent des autels ; et jusqu'au siècle dernier , si on ne l'adora pas , on regarda au moins tout ce qu'il avoit dit comme autant d'oracles, dontil n'étoit pas permis de douter. La meilleure édition des ouvragesdece philosophe célèbre et digne de toute sa réputation , est celle de Duval, in-Jol. 2 vol. Paris , 1619. I, 273. II , 7 , 110 , 433 , 333. III, 86, 296, 229. ABNOLDE DE WJNKELRIED , gentilhomme suisse , du pays d'Underwald,au quinzième siècle. I, 23o. ARRIA , épouse de Cècina-Pètus, noble Romain sous l'empire de Claude. I.127. ARSACEOU ArtabanlV, roi des Parthes , du temps de Vespasien, monta sur le trône l'an 5o de J. C. et régna 40 ans. 1, 38o. ARSÈNE(S.), diacrede l'Eglise romaine , fut choisi pour être le précepteur à'Arcadius, fils'ainé de l'empereur Théodose-le-Grand. Mécontent de l'indocilitéde son élève , il se déroba à la cour, et se confina dans une solitude , où il mourut en 445 jàge de 95 ans.Il, 134 , 160.
dépens du public, qui dota ses filles. Son petit-fils Lysimaciius gagnoit sa vie à interpréter des songes dans un carrefour. I , 19, 197 , 199. II, 104 , 173 , 223 , 3i6 , 34S , 3z,6 , 440, 444- III, 3i , 37. ARISTIPPE, fameux philosophe de Cyrène , se rendit dicipie de Socrate , et, devenu maître à son tour , il fouda la secte appelée Cyrcnaique , qui faisoit consister dans la volupté le souverain bien de l'homme sur la terre. Ce prétendu sage, bien différent de celui dont il avoit pris des leçons , vécut d'une manière conforme à sa doctrine. Il fut un des courtisans les plus assidus de Denys le tyran, qui l'aimoit, parce qu'il savoir bien juger des ragoûts. Il vivoitvers l'an 396 avant J.C. 1, 22 , 107 , 241. II , 23 , 109 ,429 , 111, «9 , 17t. ARISTOBULE , historien d'Alexandrele-Grand , et flatteur de ce prince , mais dont les adulations ne furent pas heureuses. III , 327. ARISTODÈME, courtisan d Antigonus, roi d'une partie de l'Asie, et que l'on croyoit fils d'un cuisinier. I , 3o5. ARISTODICUS , citoyen de la ville de Cames. II , 319. ARISTOGITON , citoyen d'Athènes , qui, secondé d'Jfarmodius, rendit la liberté à sa patrie, en faisant mourir Hipparque, fils de Pishtrate , tyran de l'Attique, l'an 516 avant J.C. On lui érigea des statues , ainsi qu'à son collègue , dans la place publique, il, 121 , 175. ARISTOMAQUE, banni de Sicione, aida le célèbre^rafKS à chasser les tyrans de sa patrie. 1, 187. ARISTOMENE , prince ou roi des Messéniens, de ia noble famille des Epytides, sacrifia sa tille, pour sauver sa patrie. 1, 200. ARISTOMENE , roi des Messéniens et successeur à'Euphaès, ne dut le trône qu'à sa rare valeur , et soutint , quand il lut le maître, la réputation guerrière qu'il s'étoit acquise n'étant que simple officier. Il mit Lacédémone à deux doigts de sa perte ; mais, abandonné de ses alliés , il se réfugia dans une place forte , sur le mont Ira , où il se défendit durant li années. 11 se retira ensuite à Rhodes, où il fut tué , l'an 668 avant J. C. II, i55. ARISTOPHANE, poète comique grec, fit reteutirle théâtre d'Athènes des
�DES
PERSONAGES.
383
BRTABA"S TIT,roi desParthes du temps m de Tibère, monta sur le trône Pan 18 de J. Ç-., futdépossédépar Tiridate en 35 ; rétabli l'année suivante , dépossédé de nouveau en 41, et rétabli encore la même anuée. Il mourut deux ans après cette dernière révolution. I , 3Ô3. II , 440. JRLAUD ( Jacques-Antoine ) , né à Genève en 1668 , fut peintre dès l'enfance , et n'eut d'autre maître que la natureetson génie. Ilexcella dans la miniature , et en donna des leçons au duc d'Orléans régent , qui se l'attacha. Il mourut dans sa I patrie , l'an 1747.1 , 91. IHLOTTO , curé italien , dont on ne (garantit pas l'existence. III , 102. IRMAGNAC (M. le prince d') , sous [Louis XLV. II, 135. ■RNAULD ( Antoine ) , né en 1612, |prit le bonnet de docteur de Sorbonne en 1641 , se fit un nom immortel par sa vaste érudition , sa mâle éloquence, sa saine dialectique, sa profonde doctrine ; éclaira son siècle , mérita le surnom de Grand, et mourutàBruxelles, où une faction puissante l'avoit confiné, en 1694, ■ laissant environ 140 voiumes in-j'ol. Ion en différens formats , fruits de sa plume féconde. 1. 199. III , 340. RNAUiD(//enn), frère duprécédent, fut élu et nommé évêque de Toul , en 1637 , et renonça à cet évêche par amour pour ia paix : il eut celui d'Angers en 1649 , et Ie gouverna avec unesollicitude digne des temps apostoliques. Il vécut et mou rut en saint, et fut pleuré de son peuple , en 1692 , âgé de 95 ans.
succéda à son père Xerxès I, l'an 465 avant J.C. , après avoir soumis les compétiteurs qui lui disputoient le trône de Perse. Il l'occupa durant 41 ans avec gloire, protégea Thêmistecle et les Juifs , et mourut l'an 424 avant J. C. I, 202 , Il, 181 , 314, 38o. ARTAXERXES II, surnommé Mnémon, à cause de sa grande mémoire , fils de Dai 'ius-Ochus , roi de Perse , lui succéda l'an 4o5 avant J. C. , occupa le trône près de 46 ans , et mourut l'an 360 avant J. C. I , 325. II 7 , 65 , 383, 400. ARTAXERXES III , dit Ochus , fils du précédent , lui succéda , et s'affermit en répandant tout le sang royal et celui de ses plus ridelles sujets. Son règne crueifutde2i ans, et il fut empoisonné par l'eunuque Bagoas , l'an 333 avant J.C. Le perfide esclave mit la couronne sur la tête i'Arsès, le plus jeune des fils du roi. II , 17. ARTÉMISE I , reine de Carie et d'Halieama'se , étoit au nombre des alliés de Xerxès I, roide Perse, et se distingua par son adroite valeur , à la bataille de Salamine , l'an 43o avant J. C. 111 , 302. ARTÉMISE II , reine de Carie , et femme de Mausole. Elle régna 2 ans après son mari, et mourut du^ chagrin de l'avoir perdu , l'un 35l avant J.C. 1 , 132. ARTEMIUS le Colophonien , officier et l'un des courtisans à1 Alexandrele-Grand. III, i38. ARUNS , fils de Porsenna , roi des litrusques. Il fut tué au siéga d'Aricie dont son père lui avoit 111,339. donné la conduire. II , 3o2. B>TABAKE , frère de Darius , fils à'JIystaspe , roi des Perses , et ASCLÉPIODORE , peintre contemporain d'Apelle , dont il étoit estimé. oncle de Xerxès 1 , parvint à une grande vieillesse , et ne donna que 11, 442. de sages avis à son frère et à son ASDRUBAL-BARCA , fils d'Amilcar, et frère du grand Annibal, fut comme neveu. I, Si i- Il , 452. lui , mis à la tète des troupes carRTABASE , l'un des officiers de thaginoises , et chargé de l'aller ICyras I, roi de Perse. I , 116. secourir en Italie. Il fut vaincu à IRTABAZANE , fils de Darius , fils la journée du Métaure , par le Xà'Hystaspe , roi des Perses , et consul Neion , l'an 208 avant J. C. Ifrère de Xerxès. I , dit le Grand. Il ne voulut point survivre à sa délu, 452. faite,et il mourut les armes àla main. WRTAPHERÎJE , satrape ou gouverCette bataille , où les Carthaginois Ineur de Lydie ponr le roi de Perse , perdirent 55 mille hommes , servit voulut s'emparer de l'île de Naxe , comme de représailles pour celle de a la tête d'une armée nombreuse ; Cannes; elle consterna Annibal, et mais i! échoua dans cette entreprireleva le couragedes Romains. 1 , 7. se , et fut battu ensuite par Miltiade, ASSAS (M.d'), capitaine au régiment vers l'an 5o5 avant J. C. II , 16. RTAXERXES 1, dit à la longue main ; d'Auvergne, célèbre par son dévoua-
(
�384
TABLE
H I STORIQUE
ment patriotique. 11 se sacrifia pour sauver l'armée, au combat de Clostercamp , dans l'avant-dernière guerre I , 231. ASSUÉRUS , roi de Perse , épousa Esther , nièce ou cousine de Mardochce, après avoir répudié Vasthi. On croit que ce prince est le même
qn'Artaxerxes à la longue main.
D'autres auteurs pensent que c'est Astyage , roi des Mèdes. II, 265. ASTERMAN , favori de Pierre II, empereur de Russie, et qui régna durant quelques instans sous le nom de ce prince. Il fut un des agens de la disgrâce de Men\ikeff. II, Zy. ASTORG (M. d') , enseigne des vaisseaux du roi, né à Poligny en Franche-Comté , et qui signala son patriotisme à l'occasion de la naissance du dauphin , quoiqu'il n'eût alors que 12 ans. 1, 85. ASTYAGE, ou Atia^s , dernier roi des Mèdes , aïeul maternel du grand Cyrus, qui hérita de ses domaines. I, 13, 487- 11 , 42?ASYCHIS , roi d'Egypte ; on ignore le tempsprécis où il a vécu H, 413. ATHALIE, fille d'Achab et de Jc\abel, épousa Joram, roi de Juda. Après la mort de ce prince, elle fit massacrer tous les enfans que son fiis Ochosias avoit laissés. Jocabed sauva Jo is , que le grand-prêtre Joiada rit reconnoître pour roi par les soldats et par le peuple. Racine a mis cet événement sur le théâtre; et sa pièce est le chef-d'œuvre de la tragédie. ATHEIUS-CARITO , vil adulateur de
Tibère.
ATHÉNAÏS
il donna souvent de bon avis , I' corrigèrent ce prince. ïl fut précep. 1 teur de Tibère après l'avoir é|; | d'Auguste , et mourut âgé de Si | ans. II, Si , 457. ATOSSE , tille de Cyrus, fut mis I au nombre des femmes de Smeriu L le mage , après la mort de Cumijg I son irère , et épousa D'irius b|| I d'Hystaspe, quand ce dernier eutéli | choisi pour roi. Elle fut mère 1 Xerxès I, dit le Grand. IT419 ,45a, ATTALE , surnommé Philadelphe, fut roi de Pcrgamme l'an i58 avanti.C,: et gourverna durant 21 ahs.1,16/,1 ATTILA , roi des Huns-, Scythe il idolâtre , monta sur le trône es 434, désola la Thrace et l'Orient, ravagea les Gaules, dévasta l'Italie, menaça Pvome , répandit par-toutb terreur et la mort , et termina sei jours en 453 , la nuit de ses noce!, par une hémorragie qui l'étouffa.ll avoit coutume de dire ce qu'il étoit « le fléau de Dieu, et le martea w avec lequel il vouloitécraserl'uni( f vers. » Si cela est , il fut trèsridelle à sa vocation. II , 1S2. ATTILIUS CALATINUSI^U/HS), consul Romain 258 avant J. C. III, 3o$, ATYS , fils de Crésus , roi de Lydie.
I , 153. AUBIGNÉ (Jean
1
d') , père du suivant.
II,
5i.
(
AUBIGNÉ
Théodore-Agrippa démérita la faveur de Henri /f^.quilî
, Athénienne , fille du sophiste Léonce, devint, par sa beauté, par son esprit et par ses vertus , épouse de l'empereur Théodose II, sous le nom d'Eudoxie. III , 20. ATHÉNÉE, célèbre grammairien grec , né àNaucratis en Egypte , florissoit vers l'an ip3 de J. C. De tous les ouvrages qu'il composa , il ne nous reste que les Dipnosophiste. , ou les Sophistes à table, en i5 livres , dans lesquels on trouve une variété surprenante de faits et de citations , qui en rendent la lecture intéressante aux amateurs de l'antiquité. Casaubon les a publiés en grec , Lyon , 1612 ; 2 vol. in-j'ol. et l'abbé de Jvfarolles les a traduits en français. Cette version , quoique très-infidelle, est rare. I, 65. III 5i. ATHÉNODORE , philosophe stoïcien , maître, puis ami d'Auguste, auque l
fit gouverneur d'Oleron et de Mail, lezais , amiral de Bretagne , nu réchal-de-camp, etKentilgommeJi sa chambre. Il se distingua par si valeur et par ses écrits. Son principal ouvrage est une histoire nniverselle depuis t55o jusqu'en II fut opiniâtre huguenot, courtisai inflexibleettrop sincère, ets'altin la disgracede son maître. Ilmonni! à Genève , où on le combla d'honneurs , en i63o , âgé de 3o ans li 110 , 3o2 , 33o. II , 8, 20 , Si, 3» AUBIGNÉ (Constant d') , fils du précédent, fut père de madame de Mustenon. II , 335. AUBRI DE MONDIDIER, gentilhomirn français , assassiné dans la forêtdî Bondi, sous le règne de Charles V, roi de France. 111 , 214. AUGURE (S.) , diacre et compagnon du martyr S. Fructueux , en îjiI, 13. AUGUSTE ou Octavien (Cdius-M'W Cesar-Octavianus) , premier eme* reurde Rome,et petit-neveude.'«!«■
�DES
PERSONNAGES.
385
naquit 63 ans avant J. C. César Pour parvenir à la souveraine puis^ sance , il fut cruel , avare , injuste. Dès qu'il fut maître paisible , il oublia ses vices , pour faire régner avec lui la paix , l'abondance , les vertus et les arts. Il mourut l'an 14 de J. C., à 7'5 ans , avec la gloire d'avoir rendu son siècle l'un de ceux qui font le plus d'honneur à l'esprit humain. I , 5o , 106 , 109 , 126 , 134 , i5i , 166 , 248 , 307 , 326 , 356 , 36i , 368 , 37i , 464 , 481. II , 17, 5i , 192 , 229 , 285 , 383 , 3g2 , 401 , 405 ,475. 111 , 70 , 122, 123 , 146, 212 , 298 , 3l2. AUGUSTE I (Frédéric), né à Dresde en 1670 , fut électeur de Saxe en 1694. S'étant fait catholique , il fut élu roi de Pologne en 1697. Il attira contre lui les armes de Charles XII, roi de Suède , qui l'obligea de renoncer à sa couronne en faveur de Staiiïslas ; mais il la reprit après la bataille de Pultawa , et lu conserva avec honneur jusqu'à sa mort, en x733. I, 67. II , 408. AUGUSTIN ( St. ) , né à Tagaste en Afrique , en 354 , mena une vie très-déréglée dans sa jeunesse, et se fit manichéen. Mais sainte Monique sa mère , obtint par ses prières la conversion de son fils. Il abjura l'erreur et le libertinage entre les mains de S. Ambroise , reçut la prêtrise , fut sacré évêque d'Hippone , édifia son troupeau , défendit la pureté de la foi , mérita le titre de docteur de la grâce , dont il étoit la conquête , et mourut consumé de travaux et d'austérités , en 43o , à l'âge de 76 ans. La meilleure édition de ses nombreux écrits , est celle des Bénédictins , en 11 vol. in-fôl. I, 3og. Il , 263 , 293 , 488. III, 328. AULU GELLE ('Juins-Gellins ) , grammairien latin , s'est rendu célèbre par ses Nuits jttiques , compilation qu'il forma à Athènes durant les longues soirées de l'hiver. Cet ouvrage est recherché , parce qu'on y trouve une multitude de fragmens des anciens que lui seul nous a conservés. On en a fait plusieurs bonnes éditions, parmi lesquelles on distingue celle à'iïlzevier , in-12. , I65I. Cet auteur florissoit vers l'an i3o de J. C. I , i33 , i36. AUMALE ( le comte d') , seigneur français sous le règne de Henri II, roi de France. III, 140. AUMONT ( Jean d') , se distingua dès
sa jeunesse par sa bravoure. Henri II le lit maréchal de France en 1579. Il se signala à la bataille d'Ivry , et mourut à 73 ans en 1595. III , i85. AURÉLIEN ( Lucius - DonUlius ). Sorti d'une famille obscure , ses qualités guerrières , ses vertus et ses exploits le placèrent à la tète des armées. Les empereurs qu'il servit le comblèrent de faveurs , et le suffrage public l'éleva sur le trône des Césars. Il soutint sa fortune par ses victoires et par ses mœurs : mais il fut trop sévère. Aussi disoit-011 de lui : « C'est , un bon médecin ; c'est dommage » qu'il tire trop de sang. » Il vouloit que ses soldats s'enrichissent des dépouilles des ennemis , non des larmes des citoyens. Il embellit et réforma Rome , diminua tous les impôts , soulagea les pauvres et mourut pourtant sans être regretté. Il fut assassiné par Mnestée, , l'un de ses affranchis, en 275 , .après un règne de près_de 5 ans. I ,\88. II, 79. AuHENG-ZEB , détrôna son père , et fit mourir ses frères , pour être seul possesseur de l'empire du Mogol. Il crut expier ses crimes en se bornant au pain d'orge , aux légumes et à l'eau. Il étendit ses vastes états par d'immenses conquêtes , et mourut en 1707 , âgé de près de 100 ans. II, 9?. AUTRICOURT ( le comte d'), d'une ancienne maison de Lorraine. III t 225. AUVERGNE C Guillaume d') , évêque de Paris en 1228 , avoit été d'abord médecin de Philippe II , roi de France. II sfudonna ensuite à la théologie , et se fit un nom par sa doctrine et par les services qu'il rendît à l'Eglise. Placé sur le siège de la capitale, il l'édifia par sou zèle et par ses vertus, et mourut en 1248. Biaise ( le Feron. a donné la meilleure édition, de ses ouvrages , en 2 vol. in-fol. I , 260. AUVERGNE ( cardinal d' ) , archevêque de Vienne en Dauphiné. II , 332.AuxENCE t évêque arien de Milan , qui fut placé sur le siège de cette église par l'empereur Constante. Un concile de Rome , composé de 93 éveques , le condamna en 371 ; mais il brava leurs anathèmes, et conserva son. évèché jusqu'à sa mort , en 374.. 5. Ambroise fut élu après lui. II, 71. AviDIOS - CASSIUS , ou Crassus , sur une fausse nouvelle de la. moi t de
Tome III.
Bb
�386
TABLE
HI STORIQUÊ AYALA (Alhanase d') , page de l'empereur Charles-Quint. III, 267.
AZAR1E
l'empereur Marc-Aurèle , se fit proclamer en Syrie dont il étoit gouverneur, en 175, et fut tué 3 mois après. I, 39o. AviENUS ( Hufiis- Festns) , poète , ou plutôt versilicateur latin du 4.e siècle , a mis en vers les Phénomènes d'Aratus , poète grec qui vivoit du temps de Ptolèntèe-Philadelphe , ainsi que les fables d'Esope , et plusieurs autres ouvrages anciens. I, 185.
ou Azarins , appelé encore Abdenago , l'un des trois jeunes Hi>
breux captifs , que JSrabuchodonosov lit jeter dans une fournaise ardente , et qui furent miraculeusement conservés par un ange. II , i5o.
Aziz-BiLLAH j calife , de la race dos Fathimites d'Egypte. 1, 4.91.
B.
BABICHON
B
(mamie), nom de théâtre d'une actrice de l'opéra-comique de Paris. II, 324.. CKTISHUA , médecin du calife Mu-
Bàleen 1541. C'est le plus important de ses ouvrages. Il mourut en 15^5, II , 122.
A
BAIGNES ( l'abbé de) , surintendant de
la musique de Louis XI , roi de France , pour complaire à ce prince, fit chanter des cochons. I } 56.
tevekkel , qui régnoit en 84.7- I , 315. BACON ( François ), baron de Verulam , naquit à Londres en 1561 , annonça dès sa première jeunesse qu'il auroit de bonne heure le génie le plus étendu de son siècle ; mais il n'appliqua d'abord ses rares talens qu'à l'intrigue , et ses bassesses l'élevèrent à la dignité de chancelier d'Angleterre. En abusant de son pouvoir , il révolta les gens de bien : on l'accusa ; il ne put se justifier. II fut condamné à une amende de 40 mille livres slerlings , et renfermé à la tour de Londres. Il en sortit quelque temps après , réduit à la plus extrême indigence. Il se confina alors dans la solitude , où la philosophie vint le cousoler. C'est à cette retraite forcée que nous devons les excellons écrits qui sont sortis de sa plume , et que les Anglais ont publiés avec tout le luxe typographique, en 4 vol. in-J'oL Londres ,
B
BAJAZET I, appelé le foudre de çuerre ,
à cause de la rapidité de ses conquêtes , monta sur le trône ottoman en 138g. En moins de trois ans , il enleva aux chrétiens la Bulgarie , la Macédoine , la Thessalie , et subjugua presque toutes les provinces des princes asiatiques. Il mit le siège devant Constantinople, et cette ville fameuse eut subi le joug, si le célèbre Tamerlan n'eût point forcé Bw jazet de s'opposer à ses incursions. Ces deux conquérans se rencontrèrent près d'Angora en Phrygie, à la tête chacun d'une armée innombrable. On dit que celle de Tamerlan montoit à 800 mille hommes. L'empereur des Turcs fut vaincu et fait prisonnier en 1402. On rapporte que Tamerlan , qui étoit boiteux , ne put s'empêcher de rire en voyant Bajazet qui étoit borgne : Il faut , s'écria-1-il , que Dieu » fasse bien peu de ,cas des royau» mes et des empires , puisqu'il » les confie à des hommes tels que >■ nous , et que ce qu'il ôte à un » borgne , il le donne a un boiteux.1' Ensuite il demanda à son auguste prisonnier , comment il l'auroit traité s'il fût tombé eu son pouvoir? «• Je t'aurais enfermé dans une cage 1» de fer , comme une bête féroce , » répondit Bajazet. — Eh bien , rc» prit Tamerlan , je vais te faire ce » que tu m'aurois fait ; » et aussitôt il lui donna une cage de fer pour prison. On ajoute qu'il l'obligeoit à lui servir de marche-pied lorsqu'il montoit à cheval t et qu'il le nouirissoit de ce qui tombait de sa table
1740.
Bacon
mourut
en
A
1626 , a 66 ans. I, g5. DIUS , fanfaron campanien , du temps de la seconde guerre Punique. II, 453.
B
AHALUL,
Musulman facétieux , de la cour du calife Haroun-al-Haschild , qui régnoit en 786. II, 375.
BAHAnAM-Gu*R , roi de Perse, monta
sur le trône en 4.21, et régna 20 ans.
BAÏF
353. Baïjîus ( Lazare ) abbé de Charroux et de Grenetière , conseiller au parlement de Paris , et
OU
II,
maître des requêtes , fut envoyé en ambassade à Venise par François I, en i53o , et se signala par son érudition. On peut juger si elle étoit étendue et solide , par son traité sur les habillemens des anciens et sur imprimé à l'art de la navigation ,
�DES
PERS ONNAOES.
387
mats des auteurs , qui ont écrit BAREARO ( Hermolaïts ) , nobîe Vénid'après les historiens arabes, regartien , fut un des plus savans écrident toutes ces particularités eoimne vains du quinzième siècle. Il unit les des fables, et veulent que Tamerlan talens de l'homme d'état aux éludes ait comblé d'honneurs son illustre de l'homme de lettres ; et les négocaptif. Leur opinion est plus conciations importantes dont il fui. forme aux lois de l'humanité\ mais charge par sa république dans ses dielle l'est moins au caractère de Taverses ambassades , ne ralentirent merlan , qui, selon ces mêmes histopoint les profondes recherches 'qu'il riens , faisoit réparer les murs des lit sur Pline le Nalardlish- et sur pluvilles conquises avec les crânes des sieurs autres auteurs de l'antiquité. vaincus , et lit même construire pluLe pape Innocent VIII l'ayant nommé sieurs forteresses avec les seules tètes patriarche d'Aquilée , ses compatriodes peuples qui ne vouloient point se tes l'empêchèrent de prendre possessoumettre à sa puissance. Quoi qu'il sion , - et il mourut a Rome , dans en soit, Bajazét mourut dans sa pri- ' une espèce d'exil, en 1493. II, 182. son , déplorable jouet de la fortune , BARBEROUSSE II ( Çheredin) • succéda qui, du faite de la grandeur, l'avoit à Aruch-Barberousse /, son frère , qui fait passer en un instant au comble s'étoit emparé du royaume d'Alger . de l'ignominie. I , 140. et , comme lui , se rendit redouBALAAM , prophète de la ville de Pétable par ses pirateries et par sa thor , sur l'Ëuphrate. Au lieu de valeur. Il mourut de débauche , ea maudire le peuple de Dieu , comme 1547 , âgé de 80 ans. I , 262. le vouloit Jialac , roi des Moabiles , BARBEZIEUX ( Le Telliej-, marquis de), il le bénit,suivant l'ordre de l'ange , 'fils du fameux Loufois , auquel il qui avoit fait parler son anesse , succéda dans la charge de ministre III, 14a. de la guerre t mais qu'il ne remplaça BALAZZO (Melchior) propriétaire de pas. II , 45. la ville de Zathmar en Hongrie , qui BARBOT , vaillant soldat huguenot fc se laissa surprendre , en i564 , par en i573 , qui se distingua lorsque le Sigismond-Auguste , roi de Pologne. duc d'Anjou ( depuis Henri III ) fai-> I, 43. '■ soit le siège de la Rochelle, à la tètft BALZAC ( Jean-Louis-Guez ) , seigneur des catholiques. III , 201. de ) , passa pour l'homme de France BARpI ( Jérôme ) , savant médecin de le plus éloquent , et fut regardé Ripallo , dans l'état de Gènes , en comme le père de la langue fran1577. II 185. çaise. Le cardinal de Richelieu l'es- BARON t Michel ), né à Issoudun , se tima et le protégea , et cette proteclit comédien , et entra dans la troupe tion ne fut poinl.stérile pour Balzac , de Molière. II quitta le théâtre eu puisque le tout-puissant ministre lui 1691 , et y 'remonta en 1720 , âgé donna une pension de 2,000 livres, de 68 ans. II fut aussi applaudi , le brevet de conseiller d'état , le malgré son grand âge , que dans sa titre d'historiographe du roi, et plupremière- jeunesse , et on jugea qu'il : sieurs autres , que cet écrivain , ami étoit pour son siècle ce que le fade l'antithèse , appeloit de magnifimeux comédien Bascius avoit été ques bagatelles. Il mourut en 1 G54.^ à puur Rome , l'homme le plus parfait Angoulème où il étoit né, après avoir en son genre. Ses talens pour ia défondé, par son testament, un prix à clamation éloient autant les fruit* l'académie française , dont il étoit de son travail , que de la libéralité membre. Ses écrits forment 2 vol. de la nature.1 Il fut à-la-fois auteur in-J'ol. , à la tète desquels l'abbé Caset acteur ; niais toutes les pièces sagne a mis une savante préface. II, données sous son nom ne soilt pas de 43a , 489. lui. Il regardoit les applaudissement BANEBAN , palatin de Hongrie , et que le public lui prodiguoit , comme régent du voynume en l'abs'éiice un tribut qui lui étoit dû ; et plein à'André II , qui s'étoit croisé pour de son mérite t il s'écrioit , dans la Terre-Sainte. I , 475. ses enthousiasmes d'amour-propre : BAR ( le cardinal de ) , célèbre prélat, «•'H faut cent ans pour produire un né à Naples. 1, 53. » César ; il eu faut deux mille pour, BARATTER {Jean-Philippe) , savant pré» produire un Baron. » Un jour . coce , mort en 1740. M. Forwej a son cocher et son laquais furcut batécrit sa vie. II , 188. tus par ceux du marquis de Birvn, 5
BL
2
�388
TABLE
iii:
TORIQUE
dont il étoit aimé : il vint tout courroucé trouver ce seigneur: <■ M. le » marquis , lui dit-il , je vous de» mande justice : vos gens ont battu » les miens. >• Le marquis se mit à rire pour toute réponse. Baron insista , ■ se servant toujours des termes de vos gens et les miens. M. de Biron , choqué du parallèle , lui dit enfin : « Mon pauvre Baron , que diable veux - tu que je te dise? » Pourquoi as-tu des gens? » Il mourut en 1729 t âgé de 77 ans. I , 6 J . II, 171. III, 207 , 237. BARRI-DE-SAINT-AUNEZ (du), gouverneur de Leucate , pour Henri IV, en i5go. II , 218. BARSABAS , garde de Louis XIV^ puis major de Valenciennes. I , "65. BARTHELEMI (S.) , l'un des douze apôtres de J. C. , prêcha , dit-on , l'Evangile dans les Indes , dans l'Ethiopie et dans la Lyeaonie , et souffrit le martyre en Arménie , où il fut écorché vif, le 24. Août , l'an 71 de,J. C. On a donné le nom de la S. Barthelemi au massacre que l'on fit des protestans , par ordre de Charles IX, à Paris et; dans quelques autres villes du royaume , en 1572 , parce que cette horrible boucherie, qui lit périr plus de 70 mille hommes , com.mença la nuit de la, fête de ce. saint apôtre. III , 95. BARTHELEMI-DES-MARTYRS , ( dom ) Dominicain , mérita , par ses vertus , l'archevêché de Brague , seconda le zèle de S. Charles Borromce, fut son imitateur , et mourut saintement , après s'être démis de son archevêché , en 1590, Ses ouvrages forment a vol. in-jol. Le meilleur est .son 67/mulus Pastvrum , imprimé in - 12.
et de lumières , dont la meilleure édition est celle du P. Garnier, 3 vol. inrJoï. I,, 782. Il , 3n. BASILE;,, empereur d'Orient , monta sur le trône de Constantinople en 975 , et régna 5o ans. Il partagea U souveraine puissance avec Constantin son frère. Tous deux étoient fils de l'empereur Romain II. Basile fut coutraiirt de défendre continuellement ses états contre les incursions des Sarrasins et des Bulgares. Après avoir vaincu plusieurs fois les premiers , il entra dans le pays des seconds , les défit dans un combat général , en 1014 en arrêta i5 mille prisouniers , qu'il traita avec une inhumanité singulière. Les ayant divisés par bandes de cent, il Ut crever les yeux à 99 de chacune , et n'en laissa qu'un au centième pour les conduire à leur roi, qui expira lieux jours après avoir vu ces malheureux, Ces peuples intimidés se soumirent. Basile mourut en 1025 , âgé de ;o ans. Son frère régna encore deux ans après lui. III , 286. BASSET ( le sire de ) , gentilhomme anglais qui servoitsous Edouard III, au siège de Calais, eu 1356, I, 222, BASSODIPIEHIVE ( François de ) , ne en Lorraine en 1579 » d'une famille noble et ancienne , s'attacha à U France , se distingua par sa valeur, fut colonel-général des Suisses , et mérita le bâton de maréchal de France en 1C22. Le cardinal de JIJchelieu , qui ne l'aimoit point, etqui craiguoit la causticité de ses bons mots , le fit mettre à la Bastille, d'où il ne sortit qu'après 12 ans de captivité , à la mort de ce ministre. Il employa le lugubre loisir de sa prison à composer les différens mémoires historiques que nous avons de lui. li BARUCH , prophète , d'une famille mourut le 12 Octobre 1646. Il parloit noble des Juifs , se fit secrétaire de toutes les langues de l'Europe aussi Jérémie, dontil s'étoitrendu disciple. facilement que celle de son pays. Il Son style a de l'élévation, et ressemaimoit le jeu et les femmes , et se pible assez à celui de son maître. Il quoit sur-tout d'être le plus intrépide prophétîsoit vers l'an 607 avant J. C. buveur de son siècle. On raconte II , 486. qu'étant en ambassade auprès des BASILE (S.), surnommé le Grand , l'un Treize-Cantons, il fut régalé dani des plus savans et des plus éloqueus un repas que lui donnèrent les re* docteurs de l'Eglise , après avoir présentans du Corps Helvétique; et quitté le barreau pour la solitude , fut placé sur le siégé de Césarée eu . qu'après qu'on eut bu à la santé du roi , Bassompierre , pour répon369. L'empereur Valens , partisan dre à l'honnêteté de ses hôtes , voufanatique des Ariens, voulut l'enlut boire à celle des Suisses d'une gager dans sa secte ; mais ce génémanière digne d'eux : il ôta une de reux pontife lui résista en véritable ses bottes , la fit remplir du meilleur disciple de J. C. , et mourut en 3?g, vin , et la portant à sa boucbe> paissant des écrits pleins d'éloquence
�DES
'm
PEU IONN ÂGES.
38g
Allons , Messieurs , dit-il, à la santé des Treize-Cantons ; - et il avala cette copieuse rasade , au grand étonnement des spectateurs , qui s'avouèrent vaincus par un Fi ançais. I, 258 , 3i2. II j 336. BATHÈS , Scythe , s'est fait connoitre dans l'histoire par son amitié pour Bèlitas. I , 108. BAUDOUIN , l'un de ces preux chevaliers dont nos anciens romans font mention. II , 24. BAUDOUIN II , dernier empereur latin de Constantinoplo , de la maison de Courtenai , fut obligé d'abandonner sa capitale , qui lui restoit seule, à Paléohgue son concurrent en 1261. II se retira en Occident, où il mourut en 1273 , laissant ses droits aux rois de Sicile. II , 100. BACTRU , comte de Serrant, l'un des premiers membres de l'académie française, naquit en i588 , et fut le plaisant de la.rour de Louis XIII. Ses pointes ne furent pas toujours douées de cette finesse qui leur est nécessaire pour qu'elles soient agréables ou piquantes , et plus d'une fois on le fit rougir en rétorquant ses prétendus bons mots, C'est lui qui conseilla au roi d'Espagne de mettre son bibliothécaire, qui étoit fort ignorant , à la tète de ses finances, parce qu'il paroissoit bien , quand on parloit à cet honnête homme , qu'il ne touchait point aux dépôts qu'on lui confioit. Il mourut en 1665. III i H5. BAUDRICOURT , gouverneur de Vaucouleurs du temps de la Pucelle d'Orléans , sous le règne de Charles VII. III , .3i8. BAVARD ( Pierre du Terrait de ) , surnommé le chevalier Sans-peur et Sansreproche , d'abord page du duc de Savoie, puis chevalier et capitaine des rois Charles VIII, Louis XII et François I. On doit le regarder comme le héros de la France , pour laquelle il sacrifia sa vie , à la déroute de RéLee , en 1524, à l'âge de 5o ans, et comme le guerrier .le plus accompli, le plus intrépide et le plus vertueux dont parle l'histoire. I, 44 , 63, 292 j
241. U, 24, 95 , 248 , 280 , 443. III , 3i5 , 33o. 317
Saint-Aignan , dé l'académie française , et de plusieurs autres, se distingua par ses poésies légères , qui annoncent dans leur auteur , tous les a gré mens de l'esprit. Elles sont répandues dans divers recueils , et elles méritoient, pour la plupart, ■ d'être rassemblées. Il mourut en 1687 , âgé de 80 ans. Son épouse étoit tres-liée avec madame de Maintenon , et possédoit à la cour ces charges émincutes dont les dames de son rang peuvent seules être pourvues. I, 280. BEDFORT {Jean duc de) , troisième fils de Henri IV, roi d'Angleterre , fit proclamer Henri FI son neveu , roi de France et d'Angle teri*e, après la mort de Henri V son frère , et combattit vigoureusement Charles VII., Il étoit régent des deux royaumes pour son pupille ; mais il fut obligé de céder à la fortune du légitime souverain , et mourut à Rouen en 1435.
m, 317.
BAZVALEN {Jean de) , officier de Jean V, duc de Bretagne , en 13 8 7. III,, io3. . BEAUCHATEAU , ancien comédien, de l'hôtel de Bourgogne. III , 183. BEAUVILLIERS ( François de ) , duc de
EÉJART, comédien de la troupe de Molière. III, 80. BÉLISAIRE , général des armées de l'empereur Justinien, vainquit Cabades, roi des Perses, dompta Gèlimery usurpateur du trône des Vandales eu Afrique, détruisit tes Goths en Italie , refusa la couronne ; fut maltraité, pour prix de ses services -, par un maître ingrat , et mourut comblé de gloire , mais victime de la jalousie, en 565. II, 415. III, 309. BELITAS , Scythe célèbre par son amitié pour Bathès. I , 108. BÉNÉDICITÉ ( Jean ) , théologien fanatique , l'un des juges de la Pucelle d'Orléans. III , 323. BENEVOLE , secrétaire des brevets sous l'empereur Valentinien II, au quatrième siècle. II, 416. BENJAMIN , surnommé de Tudè/e , du lieu de sa naissance, dans la Navarre , rabbin célèbre , mourut en 1173, après avoir visité presque toutes les synagogues du monde, pour oonnoître à fond les mœurs et les coutumes des Juifs. Il en donna une relation , qui fut imprimée à Constantinople en 1343 , m-8°. J. Phil. Baratier l'a traduite en français. II , 188. BENOISE ( Charles) , trésorier du cabinet , et maître des comptes , sous Henri III, roi de France. II, 394. BENOÎT ( S. ) , né en 480, quitta- le monde à l'âge de 16 ou 17 ans , se retira dans une vaste solitude,, et
Bb 3
�TABLE HI (TORIQUE devint bientôt le père de cet ordre en Toscane en 1596, et fermifia ses illustre qui porte son-nom, et qui a jours eu 1669 , estimé de ses contem'rendu tant de services à l'Eglise et à porains , chéri des grands , aimé de l'état. H mourut en 5*3. Sa vie a été ses rivaux mêmes. Ses grands taécrite par S. Grégoire , et ses ouvrableaux valent mieux que ses petits. ges se trouvent dans la Bibliothèque Son génie vaste demandoit de grands des Pères. 111 , 270. sujets à traiter. III , 240. BENOÎT XIV ( Prospèr Liimbertini ), naEERNIG ( le capitaine ) , chargé par quit en 1675 , et après s'être distinPierre-le-Grand de voyager dans k's gué dans ses études , devint succescontrées limitrophes des vastes prosivement chnnoine de la basilique vinces de bi Russie. II, 85. de S. Pierre , consulteur du Saint- BERNIS ( M. de ) , archevêque d'Albi, Office, promoteur de la foi , archecardinal , ministre du roi à Rome, vêque titulaire de Théodosie en prélat qui égale , par son esprit et vV~>t , cardinal en 1728 , archevêque par ses talens , toutes les éminentes de Bologne en 1731 , et pape en dignités dont il a été revêtu , et qu'il 1740 , après la mort de Clément XII. exerce encore avec tant de gloire, 1 Chaque année de son pontificat a clé , 94marquée par quelque bulle , puur BERNOUILLI ( Nicolas ) , fils de Jean réformer des abus , • ou pour introBernouilli , fut, comme son père , et duire des usages utiles. La modéraJacques son oncle , ainsi que Danid tion , l'équité , l'esprit de pais ont et Jean ses frères , un des plus savans été l'ame de son gouvernement. Il mathématiciens de son siècle. Il protégea les lettres qu'il cultivoit mourut en 1726 , et la czarine lit lui-même , et les arts , qui font les frais de ses funérailles. II, 223. fleurir les états. Il mourut en 1758, BERRAY ( M. le chevalier de ) , ancien estimé des protestans même. Ses capitaine d'infanterie , retiré à Hinombreux écrits , qui forment déjà cey-le-haut , bourg de Bourgogne , 16 vol. in-fol. , offrent la plus vaste avec le grade de lieutenant-colonel, érudition, et la conuoissance la plus s'y distingua par son humanité et profonde du droit civil et canonison patriotisme lors de la naissance que , de l'histoire sacrée et profane. du dauphin. I , 84. H. 53. BERTANVILLE , gouverneur du châBENTLEY ( Richard ) , l'un des plus sateau de Boutteville en Saintonge, du vans littérateurs que l'Angleterre ait temps de la Ligue. I , 316. produits, né en 16(12 , devint biblio- EERTHAUT , gentilhomme français, thécaire du roi de la Grande-Brequi eut la tête tranchée par arrêt tagne en 1693 , et sept ans après , du parlement , sous Henri IF , qui on lui donna la direction du collège ■ révoqua la grâce qu'il lui avoit acde la Trinité a Cambridge , emploi cordée. II, 378. qui rapporte, dit-on, mille livres BERTHIER , libraire de Paris , sous la slerliugs par an.. II mourut en 1 742 , minorité de Louis XIV. C'est lui laissant un grand nombre de savans qui , le premier , mit au jour les écrits , parmi lesquels on distingue mémoires qui concernent l'histoire sur - tout ses huit sermons contre du cardinal Je Richelieu. III , 331. l'athéisme , qui ont été traduits en BERTHOLBE , ou Herlholde , seigneur plusieurs langues. I, 618. de Mirebeau , sous le règne de S. Bt>" - ZlAD , docteur musulman , céLouis. II, 7. lèbre dans son siècle. I , 274. BESEMEAtIX ( M. de ) , dé l'ancienne BERCHEURE OU Beschoire (Pierre) , bémaison de Monlezun, favori du carnédictin français , fut prieur de dinal Mazarin. I , 58. S. Eloi a Paris , et mourut en 1362. BESME , assassin de l'amiral de ColiIl y a dans la bibliothèque de Soigni , sous Charles IX , roi de France. boune un beau manuscrit de sa traI, 3i6. ... [Sa duction de Titè-Life , faite par ordre BETHSABÉE , épouse d'Urie , l'un des du roi Jean de P'alois. I , 43 6. plus braves guerriers des troupes tic BERCLEY ( Guillaume ) , vice - amiral David , éblouit Ce prince par sa anglais , tué le 11 Juin 1666 , dans beauté ; et le roi de Juda , n'ayant un combat naval entre les, flottes de pu cacher les suites du commerce Hollande et d'Angleterre. III, 246. adultère qu'il avoit eu avec elle , lit BERETIN ( Pierre) , s'immortalisa par exposer Urie à uire action périlleuse la beauté de son pinceau.' Il naquit où ce valeureux Israélite fut tué t u
3cjÔ
�DES
PERS ONNAGES.
39Ï
» vous de ces gens qui craignent tant combattant. Ce double crime coûta » la justice ? Je vous casse : quand Lieu des larmes au pieux David, qui, » on tremble pour une plume , on pour achever de l'expier, épousa » tremble bien plus devant une Belhsabèe, et en eut Salomon , qui lui » épéc. ■■ I, 3oi. 11,75,237,407. succéda, i i, 68. III, 96, 3o3, 344[BlAS , l'un de sept sages de la Grèce , et, suivant quelques anciens, le BlRON ( Charles de Gontault, duc de ). t pair, amiral et maréchal de France, plus sage , florissoit l'an 608 avant îils du précédent, fut comblé de bienJ. C. Il naquit a Pricnne , et parvint faits par Henri IF, et les mer i toit à une extrême vieillesse. Malgré son par sa bravoure ; mais il osa conspigrand âge , il plaidoit un jour pour rer contre ce prince qui l'aimoit ; et la défense d'un de ses amis : une se laissant séduire par les promesses foiblesse le piit tout-à-coup , et il du roi d'Espagne et du duc de Samourut, la tète appuyée sur son voie , qui le flattoient de la souvepetit-fils. Ses concitoyens lui consaraineté d*; la Bourgogne et de la crèrent une chapelle. I, 113» 3o4. Franche - Comté , il lit, avec ces II, 125 , 377t 455. deux puissances, un traité secret [BlAS , général lacédémonien , vivoit dont le but étoit de renouveler les vers l'an 368 avant J. C. et fut battu malheurs récens du royaume. Son par ffjhicrafe. III , g3. projet fut découvert : après l'avoir |BLBAUTlu*S, prédicateur, du seizième nié , il l'avoua , et il fut décapité siècle. Il, 260. le 31 Juillet 1602 , dans la cour de la | BlGNON C Jérôme ), né à Paris en i58g, Bastille , à l'âge de 40 ans. I, 3n , très-érudit à dix ans , fut fait biblio336. II, 335. thécaire du roi eu 1642 , et mourut, comblé d'honneurs mérités, en i656 , BlRON , ou plutôt Bircn ( Jean-Ernest de ) , qui , parce qu'il avoit l'habirevêtu depuis long-temps de la charge tude de mâcher du parchemin , de d'avocat-général au parlement de simple fils d'un orfèvre, devint duc Paris. M. l'abbé Perrault a publié la de Courlande en 1737, après la vie de ce savant et illustre magistrat, mort de Frédéric-Guillaume f par le et tous les bons citoyens l'ont lue crédit de la czarine jînne , veuve de avec intérêt. II, 186. ce prince , et dont Biren étoit le fa[ BlLLETTES ( Cilles Filleau des ) , né à vori. A sa mort, elle le déclara réPoitiers en 1634 , d'une famille gent de Russie ; mais , en 1741 -, il noble , fut reçu de l'académie des fut dégradé et condamné à être décasciences en 169g, et mourut en 1720 , pité : on adoucit cet arrêt rigoureux âgé de 86 ans. III, 222. en lui donnant la Sibérie pour exil. [BlRON {Armand de Gontault, seigneur Il fut rappelé en 1762 , par le czar et baron de ) , maréchal de France , Pierre III. L'année suivante, la mérita, par «a valeur et par ses nomRussie le remit en possession de son breux exploits , la dignité de grandduché, dont son fils aiué reçut , en niaitre de l'artillerie. Après la mort I 765 , l'investi ture du roi de Pologne. funeste de Henri 111, il fut un des II mourut le 28 Décembre 1773, âgé premiers qui reconnut Henri IV, et de 82 ans. II, 295. de tous les généraux de ce grand roi, il fut celui qui contribua le plus à BlTHIS, parasite grec de la cour de Lysimaque , roi de Macédoine, l'an ses victoires. Il fut tué d'un coup de 286 avant J. C. III , 67. canon , au siège de la ville d'Epernai en Champagne, en i5(j2. Cet illustre BITON , citoyen d'Argos , dont la statue fut consacrée dans le temple de guerrier se gloriûoit d'avoir passé Delphes. III , 47. par tous les grades , depuis celui de soldat jusqu'à celui de général : » Et ELACKE ( le lord ) , amiral anglais. I, » c'est ainsi, disoit-il, qu'on a quel232. " que droit au bâton. » Sévère pour BLAI.SEL ( le baron de ) , gouverneur' de Giessen pour la France en 1760. tout ce qui concernoit la discipline militaire , il étoit indulgent pour I, 256. tout le reste. Durant les guéries de BLANCHE DE CASTILLE, fille à'Jlphonse IX, roi de Castille, épousa religion , il voulut faire brûler une Louis FUI, roi de France, et en maison : l'ouicier qu'il en chargeoit , eut neuf fils et deux filles. Elle craignant d'être un jour recherché , inspira a. S. Louis , son Iils aîné , la lui en demanda l'ordre par écrit ; piété la plus solide , et fut régente « Corbleu, lui répondit liiron , ètes-
Bb 4
�092
TABLE HT -TORIQUE » trente mille hommes. » Condè embrassa l'orateur , et le lit dîner avec lui. 1, 3i5. BOILEAU (IMcofas), sieur Desprêaux, frère du précédent, naquit au village de Crône , à quelques lieues de Paris, en 1636. Après avoir terminé ses études , il fut avocat, puis théologien ; mais dégoûté du barreau et de la théologie, il s'adonna tout entier à la poésie , pour laqticlle il étoit né. Ses premières satires parurent en 1666 , et furent recherchées avec empressement par les littérateurs éclairés et par les malins ; mais elles soulevèrent les auteurs que le jeune poète avoit critiqués ; il se vit même sur le point d'être attaqué en justice. Il répondit à tous les reproches dans sa neuvième satire, qui est son chef-d'œuvre. Son art poétique suivit de près les satires ; et cet excellent poème est devenu le manuel de tous les versificateurs, et le code des gens de goût. Le Lutrin fut publié en 1674. Sa traduction du traité du sublime de Longin lui fit autant d'honneur que ses vers harmonieux , et pleins de force. Il fut aimé et recherché de tous les hommes célèbres de son temps. Louis XIV se plaisoit à l'entendre, et le combla de bienfaits. Il conserva à la cour une franchise qui sembloit n'être permise qu'à lui seul. La religion avoit toujours anime sa conduite depuis sa jeunesse; elle le consola au moment de sa mort, et il expira avec toute la résignation d'uu chrétien fidèle, le 11 Mars Ï7Ï1, âgé de 75 ans. On a fait plusieurs éditions de ses ouvrages : les meilleures et les plus belles sont celles d'Amsterdam 1 722 , de Paris , 174° t /n-4.0, et 1747, /n-8.°, avec les figures de Cochin. I , 5 , 91 , 107, 121 , 249 , ' 314. , 407. II, i3 , 137, 193, 228 , 23g , 344 > 459, 487 i 489. HI, 1 • 75' BOIS-DAUPHIN ( Urbain de Laval de ) , maréchal de France sous Henri IV) mort ena,i62g. II, 378. Bois-RosÉ , gcuLilhomme français du parti des Ligueurs , sous Henri IV* Il reprit la citadelle de Fescamp , dont le maréchal de Biron s'étoit rendu maître. I , 336. BOISSI ( le bâtard de ), gentilhomme français , qui fut aussi brave que téméraire au siège de'Vigual, par le maréchal de Brissac, sur la fin du seizième siècle. III, 205.
du royaume durant la minorité de ce prince , et pendant sa première croisade. Elle se conduisit avec une politique pleine de prudence t et mérita d'être placée au nombre de nos reines les plus vertueuses et les plus habiles. Elle mourut en 1252, après avoir fondé plusieurs monastères. I, 137, 260, 428. III, 140, 298. BLONDEL ( David ) , ministre protestant, professeur d'histoire à Amsterdam , mort en i655 , à 64 ans. Peu de savans ont été plus profonds dans la connoissance des langues , de la théologie , de l'histoire civile et ecclésiastique. Mais s'il étoit excellent critique , il fut un écrivain très-plat et très-lourd. Il a laissé de nombreux ouvrages. II, 43g. BOETIE ( Etienne de la) , né à Sarlat , conseiller au parlement de Bordeaux, fut ami de Montaigne , et se montra digne de l'être par son savoir. Il a laissé quelques écrits en prose et en vers , qui font regretter qu'il n'ait pas vécu plus long-temps. II mourut en 1563 , à 33 ans. II , 183. BOILEAU { Jacques ), savant docteur de la maison de Sorbonne , fut doyen et grand-vicaire de Sens , puis chanoine de la Sainte - Chapelle , et mourut doyen de la faculté de théologie en 1716 , à 8i ans. Il a laissé beaucoup d'écrits sur des matières singulières, quoique toutes relatives à la théologie , et il les a rendus intéressans pour la malignité, par un style mordant et par mille traits curieux. Il étoit, comme Despréauoc, porté à la satire et à la plaisanterie : aussi ce poète disoit - il que si l'abbé Boileau n'avoit pas été docteur de Sorbonne , il l'auroit été de la comédie italienne. On a recueilli ses bons mots et ses singularités. Choqué des éloges que le P. Lecomte donne aux peuples de la Chine dans ses mémoires , il les dénonça à la Sorbonne , et commença par dire « que l'éloge des Chinois avoit » ébranlé son cerveau chrétien. » C'étoit 'son style ordinaire. Chargé de haranguer le grand Coudé , qui passoit par Sens , le prince affecta de le regarder en face, pour le faire manquer. Le docteur feignit d'être interdit : •■ Monseigneur , dit-il en» suite, vous ne devez pas être » surpris de me voir troublé a. la » tète d'une comp ignie d'ecclésiastiques ; je tremblerois bien davan» tage à la tète d'une armée de
�BES
PERSONNAGES.
Z$Z
BoNDIUS , citoyen de la ville de Noie au temps de la seconde guerre punique , se distingua à la bataille de Cannes , dans l'armée des Romains , et s'attacha au consul Marcellus, vers l'an 209 avant J. C. II, io5. BONTEMPS , premier valet-de-chambre de Louis XIV, auprès duquel il avoit du crédit. I , 331. II , 490,491. BORELLI ( Jean-Âlfanse ) , Napolitain, célèbre professeur de mathématiques et de philosophie à Florence et à Pise, mourut en 1679. Il a laissé un excellent traité sur le mouvement des animaux, etun autre sur la force de la percussion, tous deux latins. III, 23J. BOTHEIUC ou Bolericus , commandant des troupes de Thèodose-le-Grand, à Thessalouique, capitale de l'IHyrie , eu 3go. III, 35. BûTTA t le marquis de ), commandant des troupes autrichiennes , s'empara de Gènes , le 6 Septembre 1746 , et en fut chassé par les habitans , dont ses exactions avoîent réveillé le courage , au mois de Décembre suivant. I, 220. BoiTCHERAT {Louis de), chancelier de France et garde des sceaux en ï685, mourut 14 ansïiprès , âgé de 83 ans , comblé de tous les honneurs qu'il méritoit pour ses vertus patriotiques. 1, 90. BOUCHETIÈRE ( M. de la ) capitaine de vaisseauen 1781. I, 227. BOUCICAUT {Jean le Meingre ) , maréchal de France , mort à Dijon , le i5 Mars 1367. II, 95. BOUCICAUT ( Jean le Meingre ) , fils du précédent, comte de Beaufort et vicomte de Tureime , porta les armes dès l'âge de 10 ans. Il combattit à côté de Char/es VI, dont il étoit enfant d'honneur , à la bataille de Rosebec eu i382, et fut envoyé à Gènes pour conteuir la ville qui s'étoit soumise au roi. Ses services lui méritèrent le bâton de maréchal de France. lise signala contrôles Turcs, les Vénitiens et les Anglais , fut fait prisonnier à la journée d'Azincourt, en 1415 , et conduit à Londres , où il mourut 6 ans après. I, 480. H, 61. BOUFFLERS ( Joseph-Marie , duc de ) , fils du célèbre maréchal de BouJ/lers , l'illustre défenseur de Lille, hérita des vertus de son père, et lui succéda dans le gouvernement de Flandres , quoiqu'il n'eut que 5 ans. Il fut envoyé à Gènes, en 1747 , avec le titre de maréchal de France , pour soutenir les habitans de cette ville, qui.ve-
noient de seeouer le joug de la maison d'Autriche , et il y mourut le 2 Juillet de la même année, le jour même où il avoit forcé les Autrichiens à lever le blocus de Gènes. I , 221, BOUFFLERS ( le comte de ) , de la branche de Jiemianrourt , tué à l'âge de 10 ans et demi à la bataille de Detlingue , en 1743. Il mourut avec le sang froid d'un héros. III, 169. BOUILLON ( Godejroi de ), créé roi de Jésusaiem en 1099 , par les croisés , ne régna qu'un an. III , Ï 57. BOURBON ( Charles duc dé ) , fils de Gilbert de Bourbon , prince du sang , descendant du sixième fils de S. Louist fut créé connétable de France par François I en 1515 , et se montra digne de cette charge éminente par ses exploits. Dans la suite,s'étant brouillé avee la mère du roi , il trahit sa patrie , traita avec Charles-Quint , et commanda les armées de cet ennemi de la Fiance, il fut tué au siège de Rome , en montant des premiers à l'assaut , le 6 Mai 1527. II, 31 7. BOURBON ( Jeanne de ) , abbesse de , Fontevrault , fille naturelle deHenri IV, roi de France. 1, 33o. BOURBON {Nicolas), fils d'un maître de forges , se distingua par ses poésies latines. 11 fut précepteur de Jeanne d'Albret, reine de Navarre , mère de Henri 1V. Il mourut vers l'an i55o , laissant entre autres poésies 8 livres d'épigrammes dont Erasme fait l'éloge. H, 183. BOURBON {Nicolas), petit-neveu du précédent, fut un des plus grands poètes latins que la France ait produits. Il étoit de l'académie française , professeur d'éloquence au collège royal, chauoine de Langres. Il quitta tout pour se retirera l'Oratoire, où il mourut en 1644. II, 438. BOURDALOUE ( Louis ), se fit Jésuite en 1648 , et se distingua par son talent pour l'éloquence de la chaire. 11 prêcha 5 carêmes et 5 avents devant Louis XI Vt qui voulut l'entendre tous les deux ans, •> aimant » mieux ses redites , que les choses » nouvelles d'un autre. » Tous ses sermons présentent un admirable enchaînement de preuves et de raisonnemens solides qui convainquent l'esprit , ravissent le consentement, et rendent la religion respectable aux impies mêmes et aiix libertins. On les a plusieurs fois réimprimés. La meilleure édition est celle de Ri~ '■ gaud, Bourdaloue fut le Chrjsostome,
�3g 4
TABLE
HI STORIQUE
de son siècle ; il se fit aimer de tout le monde , et termina pieusement sa carrière apostolique en 1704. II , i3 , 265, 267- III, 116. BOURNAZEL , assassin sous le règne de Charles IX , roi de France. I, i33. BOURSAULT ( Edme ) , poète et littérateur français, ne fit point d'études, et ne sut jamais le latin. La lecture des bons livres écrits en notre langue, et plus encore son génie naturel, suppléa à ce qui lui manquoit. Il a laissé plusieurs pièces de théâtre, dont quelques-unes sont encore applaudies , et méritent de l'être. Il mourut en 1701 , âgé de 63 ans , à JVIontluçon , où il étoit receveur des gabelles. I , 92. BOUTIERES (Guignes-Guiffray sieur de), élève du chevalier Bayar.d , et digne de ce grand homme. 1, 341.
BOUTTEVILLE,
en i63g , et défit la flotte d'Espagne à la vue de Cadix , le 22 Juillet 1640, II devint grand-maître de la navigation et du commerce , amiral de France , et fut tué d'un coup de canon en 1646 , à l'âge de 27 ans , sans avoir été marié. II, 237. BRiçoNNET {Robert), archevêque de Reims et chancelier de France , mort en 1497. III, 3o6.
BRIENNE (
Henri-Auguste de Lomênie ,
voy.
LUXEMBOURG.
ou Bitzurgemihir, visir de Kosrou ou Chosroès I, dit le Grand , roi de Perse en 531, et qui fut chargé par ce prince de l'éducation d'Hormus OU fformisdas ///son fils et son successeur. III , 106 , 171, 33g. BOZE ( Jérôme ) , ambassadeur de la reine d'Angleterre Elisabeth, auprès d'Ivan IF , grand-duo de Moscovie. II, 351. BRAMBLB (M.), Anglais. III, 189. BRANTÔME (plus connu sous le nom de Pierre de Bourdeille ), pri t le nom de son abbaye. Il se distingua par son esprit et ses talens, et mourut le 5 Juillet 1614 , âgé de 87 ans. Il nous a laissé des mémoires curieux et agréables parleur naïveté, dont la dernière édition est en i5 vol. in-iz. et qui sont nécessaires pour connoitre l'histoire secrète de Charles IX, de Henri III et de Henri-le-Grand. II, 235 , 418 , 44i. BREHANT ( le marquis de ), officier du régiment de Picardie , et ami de M. de Cheve.rt , se signala avec, ce capitaine a la bataille d'Hastembeck., le 29 Juillet 1757. BniiNNUS, général des Gaulois, battit les Romains, s'empara de Rome , assiégea le Capitole, et fut chassé par Camille , environ 388 ans avant J. C. I, 2i3. III, 64. B£ZÉ ( Pierre de ) , grand sénéchal de Normandie sous Louis XI, et courtisan de ce prince. I, 439. BREZÉ (Armand de Maillé, marquis de), duc de Fronsac, etc. commanda les galères du roi, puis l'armée navale
EOUZOURGEJVIIHIR
comte de ) fut utilement employé par les rois Louis XIII et Louis XlV, et mourut en 1666 , à 71 ans. On a de lui des mémoires très-curieux , en 3 vol. in-12. I , Ï 10. BRIENNE ( le marquis de ), tué au combat d'Exilés , en 1747. III, 169. BR1NON , gouverneur du comte de Grammont. II, 292. BR1SSAC ( Charles de Cossè , comte de ), maréchal de France sous les rois François I et Henri II, montra tant de valeur et une si profonde connoissancedes principes de la guerre, que les premiers gentilshommes du royaume et les princes mêmes, vouloient apprendre cet art terrible a son école. Il futfait grand-maître de l'artillerie; on lui donna le gouvernement de Piémont , avec le bâton de maréchal, en i55o. Après s'être signalé en Italie, comme il avoit fait en France , par ses exploits et par ses vertus patriotiques , il vint mourir à Paris t le 3i Décembre i563 , à l'âge de 57 ans. I, 78. II, 3i7, 183. III, 2o5. BR1TANNICUS, fils de l'empereur Claude et de Messaline , fut éloigné de l'empire lorsque son père eut épousé Agrijipine. Cette princesse mit JSêron sur le trône , et peu après , Brilannni' eus fut empoisonné , i'an 55 de J. C. Racine a fait de cet événement le sujet d'une de ses plus belles tragédies. I, 371. II, 70. BROUAI ( le comte de ) , gouverneur de Lille lorsque LouisXIF en fit le siège en 1667. I, 90. BROUSSEL ( M. ) conseiller au parlement de Paris , arrêté par ordre de la reine régente, mère de Louis XIV, en 1648. Son emprisonnement, ainsi que celui du président Potier de Blancmènil, fut le signa! de la guerre de la Fronde, ou du parti opposé au cardinal Mazarin. II , 236. BROWN (Ulysse-Maximilien de) , d'une des plus nobles et des plus anciennes maisons d'Irlande , comte du SaintEmpire , feld - maréchal de LL. MM. II., et chevalier de l'ordre d«^
�DES
PERS ONN ÂGES-
3g5
courage , devint un des plus grands guerriers de ce siècle, remporta de glorieuses victoires > fut blessé à la bataille de Prague, et mourut peu de temps après , couvert de lauriers, le 26 Juin 1757 , âgé de 52 ans. I, 458. BROWN ( James) , fils d'un fermier de la province de Wiitshire en Angleterre. III, 95. BROWE ( Guillaume ou William) , soldat et protégé du lord Clive, qui le fit capitaine dans les troupes de la compagnie des Indes. III, 189. BRUEYS ( David-Augustin ) , écrivit d'abord contveBossuet, qui , pour toute réfutation, lui fit abjurer le calvinisme. Il fit plusieurs ouvrages en faveur de la foi catholique qu'il venoit d'embrasser ; puis laissant la théologie polémique, il composa, tantôt seul, tantôt avec Palaprat, des pièces de théâtre , dont plusieurs sont encore justement applaudies, et qui sont recueillies en 3 vol. in-12. Sur la lin de sa vie, il redevintcontroversiste , imitant ainsi tour-à-tour Molière et Bellarmin , et se mettant quelquefois à côté de ses modèles. Il mourut en 1723, à 83 ans.II, 486. BRUN ( Charles le ), fi Is d'un sculpteur, naquit à Paris en 1618. Dès l'âge de 3 ans, il s'exercoit à dessiner avec des charbons ; à 12 , il fit le portrait de son aïeul, qui n'est pas un dé ses moindres tableaux ; et ces premiers succès le portèrent jusqu'à ces chefsd'œuvre qui enrichissent la France, et qui font l'admiration desconnoisseurs. Louis XIV le nomma son premier peintre, lui donna des lettres de noblesse , et le fit directeur de la manufacture des Gobelins, etc. Il mourut comblé d'honneurs, en 1690, à7^ ans. II, 5o3. BftUNEHAULT ou Brunichihle, fille à'Alhanagilde, roi des Yisigoths en Espagne, épousa Sigeberl 1 , roi d'Austrasie , en 568 } et fut mère de Childebert II. Plusieurs écrivains respectables ont loué cette princesse comme le plus parfait modèle de toutes les vertus royales : d'autres l'ont représentée comme un monstre capable de tous les excès. Clotaire IIy qui usurpa les étals de ses petits-fils , la fit attacher à la queue d'une cavale indomptée , l'an 613. I, 416. BRUTUS t Lucius-Junius), fils de Marcus^Junius , et d'une sœnr de Tar-
la Toison-d'Or, naquit à Baie le 24 Octobre i7o5t se signala par son
quin -le-Superbe , contrefit l'insensé
pour se soustraire à la cruauté de ce despote , et y réussit si parfaitement, qu'on lui donna le nom de Brutus, qui revient assez à celui de stupide. Il profita de la mort de Lucrèce pour faire briller la haute sagesse qu'il cachoit depuis si long-temps. Il harangua le peuple avec tant d'éloquence , qu'il l'arma cuntre Tarquin» Ce prince fut chassé de Rome, et la, monarchie lit place à la démocratie* La nouvelle république se donna pour chefs deux magistrats qu'elle appela consuls , et Brutus fut le premier revêtu de cette suprême magistrature : mais il n'en jouit pas longtemps , et avant l'expiration de son consulat, il périt dans une bataille contre Tarquin et ses fils , l'an 5ogf avant J. CI, 209, 210, 384. II, 402 , 440. III, 199. BRUTUS ( Marcus - Junius ) , fameux Romain , qui fit d'inutiles eil'orls pour soutenir la liberté expirante de sa patrie. Il conspira contre César, que l'on disoit être son père, et se mit au nombre de ceux qui l'assassinèrent en plein sénat. Ensuite il prit les armes, et se mit à la tète des républicains jusqu'à la ba* taille de Philippes en Macédoine , où, il fut vaincu par Antoine et Auguste, 42 ans avant J. C. Las de ses disgrâces , il se donna la mort. 1,109 , 128, 327 ,35o. III , 166. BRUYÈRE ( Jean de la ) , écrivain célèbre et philosophe ingénieux , s'est immortalisé par son ouvrage intitulé les Mœurs de ce siècle. Ce sont des peintures hardies et vigoureuses , qui représentent avec fidélité les travers du cœur, et les bizarreries de l'esprit de l'homme. II fit voir , par le style nerveux , les expressions vives , les tours lins et singuliers de ses portraits, que la langue française avoit plus de force et de souplesse qu'on n'avoit eru jusqu'alors. LaBruj ère fut reçu de l'académie française en i6g3 , et mourut 3 ans après , à 57 ans. II, 33o. BUCKINGHAM ( le comte de ), général et prince anglais. II, 424. BuCQUOl ( le comte de ) , général espagnol , se distingua dans la guerre contre la Hollande en 1C00. I, i33. BUDE ( Guillaume ) ne se livra que fort tard à l'étude des langues et des sciences ; mais ses progrès furent si rapides , qu'il devint bientôt
�Bg6
TABLE
HI STORIQUE
l'oracle des savans, et qu'il fut, comme l'appeloit Érasme , le prodige de la France. François I le combla de grâces , le nomma maître des requêtes, le chargea d'une ambassade auprès du pape Léon X, lui confia sa bibliothèque, et fonda , à sa persuasion , le collège royal , où se sont rassemblés et qui a produit tantde savans. i?wrfe mourut en i54o, à 73 ans. II, 486. BURIS et SrARTIS , Lacédémoniens qui se livrèrent à Xerxès, roi de Perse, pour expier l'injurefaite aux ambassadeurs de ce prince. I, io5. BURRHUS ( Ajrnnius ), commandant
des gardes prétoriennes sous l'empereur Claude y et gouverneur de JSèron, devint odieux à son élève par la rigidité de ses mœurs et la sévérité de ses maximes. Le tyran , fatigué de ses censures, hâta ses jours par le poison , l'an 62 de J. C. I, 371. Bussi D'AMBOISE, gentilhomme français sous le règne de Henri II, qui l'admettoit à ses fêtes. III, 200. BUSSI , voyez R ABU TIN. BUZÊS, général romain, commandant d'Edesse, du temps de l'empereur Justin II, vers l'an 56g. 1, 460.
C
CAI
Caïus-Ccsar , fils puîné d'Agrippa et de Julie , fille d'Auguste , fut adopté avec sou frère par cet empereur , et le peuple les désigna tous deux consuls à l'âge de 14 ans ; mais ils moururent avant d'occuper cette magistrature.! I, 358. II, 401. CAÏ'US (S.), compagnon du martyre de S. Alexandre, sous l'empereur Sévère. II, 73. CAJETAN ( Thomas de Vio , plus connu sous le nom de cardinal ) , célèbre prélat, entra dans l'ordre de S. Dominique, dont il devint général en i5o8. Il rendit de grands services aux papes Jules II et Léon X; ce dernier le créa cardinal , et le chargea de plusieurs légations importantes. Il devint évêque de Gaète , sa patrie , et mourut en 1534 , à 67 ans1. C'étoit l'un des plus habiles théologiens de son temps, et il a laissé plusieurs ouvrages, parmi lesquels on distingue ses commentaires., quelquefois trop hardis , sur l'Ecriture-Sainte. II, 328. CALEB , un des Israélites que Moïse envoya découvrir la terre de Chunaan , et, de tous ceux qui étoient sortis d'Egypte le seul, qui avec Josué entra dans le pays de promission. Il mourut à l'âge de 114 ans. II, i5o. CALENUS , Romain , ami du philosophe f arron. I , 106. CALJGULA ( Caïus - César), succéda à Tibère à l'âge de 25 ans. Il ne fut vertueux qu'un instant, pour devenir le plus farouche de tous les monstres , et mérita d'être assassiné 4 ans apKs , l'an 41 de l'ère chrétienne. I, 322 , 363. III, 125 , i3o. CALLIAS , très - proehe parent d'ArisUS-A RIPPA
G
OU
tide-le-Justey aussi riche que l'autre étoit pauvre. III, 3i. CALLIAS , ami fidelle du célèbre Alcibiade. 1, 106. CALLICRATIDAS, général Iacédémonien, remporta plusieurs victoires contre les Athéniens , et périt dans un combat naval, l'an 405 avant J. CI, 196 , 346. II, 86. III, i54CALLISTHÈNE, disciple et petit-neveu d'Aristote , suivit Alexandre-le-Grani . dans ses expéditions. III, 13g. CALLlSTRATE , célèbre orateur athénien , du temps de Dèmoslhène. II, 15g. CALLOT ( Jacques ) fameux dessinateur et graveur, né à Nancy, en i5g3, d'un héraut d'armes de Lorraine, mort en 1635 , laissant plus de seize cents gravures , qui sont autant de chefs-d'œuvre dans leur genre. IIj 220. CALPURNIUS FLAMMA , Romain , tribun légionnaire, qui , avec 3oo hommes seulement, dégagea l'armée du consul Attilius Calatinus, 258 ans avant J. C. III, 004. CALVONIUS (Bernard ), abbé de SainteCroix , Ordre de Citeaux, puis évêque de Vicenze. 1, 467. CAMBYSES , roi des Perses , père du grand Cyrus , I , i3. CAMBYSES, fils et successeur de Cyrusle-Grand sur le trône de Perse, fut indigne, par sa cruauté , de régner après un si respectablemonarque.il mourut d'une blessure que lui fit son épée , en montant à cheval , l'an 522 avant J. C I , 5i. II, 379. Mi .1*3. : . : 5] CAMILLE ( Marcus - Furius ) , le plus grand homme de son siècle , et l'an des plus vertueux Romains des beau*
�DES
PERS 3KHAGE8.
Zqf
poète latin assez médiocre , dont on temps de la république , après avoir a un poème , mêlé de prose , sur sauvé Home , étendit les bornes de son empire , et mourut couvert de . les sept arts libéraux. L'édition- de Grolius , en i5gg , in-8.° est la meillauriers et plein de mérites j 365 ans leure , quoiqu'il n'eût que 14 ans avant J. C. Il emporta dans le tomlorsqu'il la publia. Capella viyoit beau les glorieux titres de second vers l'an 452 , et étoit né à Madaure Romulus, de second fondateur de en Afrique. II, 185. Rome et de père de la patrie. I, CAPHÉSIAS , citoyen de Sicyone , qui 212. II ,281. se joignit au célèbre Aratus , pour CAMILLE , noble Romain , qui conschasser Nicoclès qui tyrannisoit cette pira , avec plusieurs autres citoyens ville. I , 188. contre l'empereur Claude. Il paraît CARACALLA ( Marc-Aurèle-Anlonin ) qu'il prétendoit à l'empire. II , 46. fut empereur après Sévère son père, CAMMA, dame galate , prêtresse de Diane, épouse de Sinatus. I, i3o. se montra semblable à Néron , et fut assassiné par ordre de Macrin, qui CAMFÈGE ( Jean ), né à Bologne , fut lui succéda, en 217 , après 6 ans choisi par les magistrats et les de règne. 1, 394. citoyens de Padoue , pour rétablir CARBON ( Cneius-Papirius ) , consul les études dans leur ville. II , 167. romain , l'an 113 avant J. C. II, 201. CAMUS ( Etienpe le ) , né à Paris en i632 , d'une ancienne famille de CARDAN ( Jérôme ) , fut médecin et robe, docteur de Sorbonne en i65o, astrologue , et professa de bonne foi le second de ces arts , puisqu'il évêque de Grenoble eu .1671 , revêtu se laissa mourir de faim pour accomde la pourpre romaine par Innocent XI, ne dut cette élévation qu'à ses plir sou horoscope , en 1576 , à 7S vertus. Les pauvres furent les enfans ans. Il a laissé dix vol. in-fol., où. l'on remarque beaucoup d'esprit, de de ce pieux cardinal pendant sa vie , et ses héritiers à sa mort, arrivée science et d'érudition , mais peu de en 1707. C'est lui qui a fait comjugement , une présomption folle„ beaucoup de crédulité et de pyrruoposer par François Gcnet , depuis nisme. II , 33». évêque de Vaison , la Théologie morale , qui porte le nom de Grenoble ; CARIBERT , fils de Clotaire I, fut roi de Paris, après la mort de son père 8 vol. i'n-12. II , 265 , 326. en 561 , et tint le sceptre durant CAMUS ( mademoiselle le ) , n'ayant près de 9 ans. I, 412 , 414. qu'environ ï3 ans, s'est distinguée par un trait d'humanité , en 1782 , CARIXÈNE, citoyen de Corintlie , qui caractérise la bonté de son cœur, célèbre par son atlachemeut pour Eudamidas son ami. I , 96. et annonce ce qu'on doit attendre d'elle dans un âge plus avancé. III, CARLIÈRE ( M. de la ) , premier médecin du duc de Berry , sous Louis177- J le Grand. II, 92. CANGE ( Charles du Fresne , seigneur du), trésorier de France , naquit CARLOMAN , fils de Louis-le-Règue, à Amiens en 1610, et s'acquit une régna sur la France avec Louis III réputation immortelle par sa vaste son frère , en 879 , et mourut en érudition et sa saine critique. Il mou884. I , 422. rut en 1688, laissant une multi- CARLOS ( Dom ) , fils de Philippe II, tude de savans ouvrages sur la roi d'Espagne, et pelit-fils de Charlangue grecque et la latine, l'histoire les-Quint , mourut , cb*-en , par les et les médailles. II, 326. ordres de son père , prince sévère et CANINIUS-REBULUS OU Rebilus , conombrageux , qui redoutoit son amsul romain , substitué par César à bition , ou qui ne lui pardonnoit Q. Fabius - Maximus mort subitepoint d'aimer la reine Elisabeth de ment , 45 ans avant J. C. Rebilus France , et d'en être aimé. Cette ne jouit qu'un jour de cette dignité. princesse étoit destinée à l'infant; III, 69. mais le vieux monarque l'avoit prise CANUT I, roi de Danemarck , en 863. pour lui : de là le désespoir du II, 164. jeune prince , et la première cause CAPEL ( le baron à'Arthur ), gouverdes malheurs dont il fut la victime neur de Glocester , du temps de le 24 juillet i568. II , 349. Charles I, roi d'Angleterre, auquel il CARRE ( Louis ) , habile mathémaétoit resté fidelle. II, 218. ticien , formé à l'école et par les CAPÏLLA ( Marciunw Mineus-Felix ), leçons du.. P. Malebranche . mérita
�ogS
TABLE HI STOKIQUE
d'être admis au nombre des memqui fut depuis roi sous le nom de bres de l'académie des sciences de Henri II. Elle eut la plus grande Paris, en 1697 , et mourut en 1711. part aux affaires sous les règnes de II, 291. ses fils François II, Charles IX, CASAUBON ( Isaac ) , né à Genève en et Henri 111 ; mais elle ne se servit 1559 , fut nommé garde des livres de son autorité que pour mettre le de Henri IV, en i6o3 ; passa en trouble dans le royaume. Elle sacriAngleterre après l'assassinat de ce fia tout à la fureur de dominer ; et prince ; y mourut en Ï fi 14 , et fut enquand elle se vit sans crédit sous terré à l'abbaye de Westminster. Il Henri III, elle mourut de chagrin fut l'un des hommes les plus savans en 1589. Elle eut tous les vices que et les plus modestes de son siècle. l'on attribue aux Italiens , et n'eut II, 180. de leurs qualités que leur amour CASIMIR II, roi de Pologne, en 1178. pour les beaux-arts, qu'elle protégea, II , 332 , 401. et c'est le seul bien qu'elle ait fait CASSANDRE , tuteur du célèbre Phià la France. I , 445. II , 60, îopèmen restaurateur de la répu- CATILINA (Lucùts), né d'une famille noble ' eût fait la gloire de Rome, bliqne des Achéens. H, 119. CASSIUS - LONGINUS ( Cu'ùts ) , que s'il eût employé pour la servir les Brutus appeloit le dernier des Rorares talens qu'il avoit reçus de la mains , et qui se joignit à lui pour nature. S'étant ruiné par les débauconjurer contre la vie de César. Il ches les plus effrénées , il forma le se mit à la tête des républicains dessein d'opprimer sa patrie , de après la mort de cet illustre capidétruire le sénat, d'enlever le trésor taine , et vaincu à la bataille de public , de mettre le feu aux quatre Philippes , il se fit tuer par Pindare coins de Rome , et de régner sur son affranchi, 42 ans avant J. C. ses débris. Sa conjuration fut découI , 352. verte par la vigilance de Cicèron, Convaincu en plein sénat, et déjà CASTELMORANT , chevalier français. instruit de ce qu'il deyoi-t attendre, H, 424. par le supplice de quelques-uns des CASTILLANUS , savant du seizième conjurés ,' Catilina sortit de Rome , siècle , qui fut attaché à la cour par la vengeance dans le cœur, ramassa François /,père des lettres en France. des troupes , se mit à leur tête , et II, 122. combattit avec, une valeur héroïque CASTRICIUS ( Marcus ) , magistrat de contre Petrèïus, lieutenant du consul Plaisance, n3 ans avant J. C. II, Antoine collègue de Cicèron. II fut sèi. vaincu et tué l'an 62 avant J. C. CASTRO , professeur célèbre de Bologne en Italie , sur la fin du seizième Salluste a écrit l'histoire de cette conjuration , et c'est un des chefssiècle. II, 186. d'œuvre de l'antiquité. I , 2i3 , CATHERINE (Sainte ) f vierge et martyre d'Alexandrie , sous le règne de II, 327. l'empereur Maximin , et dont la C A T IN A T ( Nicolas ), l'un des plus grands hommes que la France ait 'fête Se célèbre le 25 Novembre. Elle produits, naquit en î637 , quitta étoit , dit-on , si savante , qu'à le barreau pour les armes , s'avança Page de 18 ans elle disputa contre 5o ' philosophes , et les réduisit au rapidement dans le seivice , fit des actions de héros, et mérita le silence. Mais l'existence de cette sainte est très-problématique , et ce bâton de maréchal en i6g3. Ce fut un sage dans tous les temps de sa n'est que vers la fin du huitième vie ; et il mourut en philosophe, siècle que l'on a commencé à en comme il avoit vécu , le 25 Février parler. Son culte a passé des Grecs 1712 , à 74 ans. n'ayant jamais aux Latins. III , 317. CATHERINE DE FRANCE , sœur de voulu se marier. IJ , 260 , 448. {II, 216. I Charles VII, épouse du roi d'Angleterre Henri V , qui fut déclaré CATON ( Marcus Portins ) , surnommé le Censeur , encore appelé l'Ancien , héritier de la couronne. III, 317. pour le distinguer du suivant , se CATHERINE DE MÉDICIS, fille signala d'abord par ses vertus milide Laurent de Médicis , duc d'Urbin , taires , et exerça les premiers naquit à Florence en 1519. Le pape emplois de la république romaine. Clément VU son parent , réussit à Devenu censeur , il déclara une la marier au dauphin de France ,
�DES ÎEHS( N NAGES.
guerre mortelle au luxe et aux médians, et sou intégrité redoutée des citoyens corrompus , fut toujours à l'abri de leurs calomnies. Il mourut l'an 148 avant J. C. à l'âge de 86 ans. Il avoit été consul 47 ans auparavant avec L. Valerius- Plaçais. I , 3,100, 114 , i37 , 283 , 346.II, 104,
288 , 327, 423, 445 , 476. ig5 , 206 , 295.
CATÛM
399
m,
28 ,
( Marcus - Por/ius ) , nommé ordinairement Caion d'Utique , du lieu de sa mort, étoit arrière-petitlits du précédent. Il s'attacha de bonne heure à la secte des Stoïciens, et c'est à leur école qu'il puisa cet enthousiasme de courage , cette orgueilleuse fermeté d'ame qu'il affectait au milieu du bouleversement de la république , et à la vue des plus grands dangers. Il se déclara contre Jules-César, suivit le parti du grand Pompée , et , après la triste lin de ce général, il s'enferma dans Utique , où il se donna la mort d'un coupd'épée , 46 ans avant J. C. à l'âge de 48 ans. 1,2, 128 , 164 , 282 ,355. II, 26 , 56 3 125 , 191, ?ou, 251. m , 207. CATULLE ( Caïus - Valerius ) , poète latin , dont les vers sont pleins de délicatesse et de goût , et qui mériteroit de tenir le même rang que Virgile et Horace dans les études , si ses pensées étoient aussi pures que son style. C'est lui qui a donné lieu à ce mot : « Qui écrit comme « Catulle , rarement vit comme Ca» ton. » Quoique aimé de tous les hommes célèbres ou puissans qui furent ses contemporains , il mourut pauvre , 57 ans avant J. C. II, 183. CATULUS ( Quintus - Lui al lus ) , fut consul avec Marius , 102 ans avant J. C. partagea l'honneur de la célèbre victoire qu'il remporta sur les Cimbres , et périt misérablement pendant les guerres civiles de Sylla. II , 181 , 448. CATULUS , sénateur romain , et beaupère de l'orateur Hortensius. II, 146. CATUXUS , fameux délateur sous le règne de l'empereur Vomilien. II,
en 1443. Le pape Calixte IV l'excommunia ; ses ossemens furent déterrés et jetés à la voirie. III , 322. CAVANIGLIA ( Dom César ) , castellan de Livourne , pour le grand-duc de Toscane. II , 72. CAY01E ( Louis d'Oger , marquis de ) , grand - maréchal -dfs - logis de la maison du roi, né en 1640, se distingua par sa valeur , et mérita le nom de Braue. II mourut en 1716, à 75 ans , ne s'étant servi du crédit qu'il avoit auprès de Louis XIV\ que pour obliger tout le monde. I , 107. III, 75. CENis, concubine de l'empereur Ves~ pasien. I , 382. CEPHiSODORE , Thébain , ami de Pèlopidas , et l'un de ceux qui l'aidèrent à délivrer sa patrie du joug des Lacédémoniens. Cèphisodore fut tué dans cette occasion. I , 182. CÉPION , frère de Caion d'Utique , et tendrement aimé de ce Romain philosophe. I , 164. CERC1LLIDE , sénateur Spartiate , du temps de Pyrrhus , roi d'Epire. II i 6. CERIZE , aubergiste dont parle le comte de Grammont , dans ses mémoires. II , 291. CÉSAIRE, maître des offices sous l'empereur Thèodose-le-Grand. III , 9. CÉSAR ( Caius-Julius ) , né à Rome , 98 ans avant J. C. , d'une famille très-illustre qui remontoit, dit-on , jusqu'à Enée , se fraya , par sou éloquence et par ses talens militaires , le chemin à la souveraine autorité. Il subjugua les Gaules , vainquit le grand Pompée dans les plaines de Pharsale , et foula aux pieds la liberté romaine , pour régner sur ses débris. Il étoit parvenu au comble de la puissance , lorsqu'il fut assassiné dans le sénat par Brutus, qui passoit pour être sou hls naturel ; par Cassius et plusieurs autres , l'an 43 avant J. C. , dans la cinquante-sixième année de son âge.
1,6, 128 , 243 , 251 , 282 , 307 . 342 , 347 , 356. II , 26 , 3.8 , 423 , 439. III , 69 , 1 î6 , 166 , 3oo.
H5.
CAUCHON
(Pierre) , fils d'un vigneron, évêque de Bcauvais , puis de Lisicux. Il fut un des plus zélés partisans du roi d'Angleterre contre Charles VU , son légitime souverain , ^et prouva son zèle en livrant la Pucelle d'Orléans au bras séculier. Il mourut peu de temps après ce jugemeut inique,
, femme de l'empereur Caligu/a. I , 565. CEZELLI t Constance de ) , femme de Barri de Saint-Aunez , gouverueur de Leucate pour Henri-le-Grand , en i5go. II , 218. CHABOT ( Philippe ) , seigneur de Brion , amiral de France , et méritant de l'être par sa valeur, fut
CESONUA
�4ûO
TABLE III
TORIQUE boire ; et souvent à force d'égayor sa raison par le jus de la treille, il la rendoït vaciiîante. Boileau, plus sobre que lui t voulut un jour le guérir de ce défaut , et le rencontrant dans une rue le lendemain d'un repas où CJiapelle avoit scandalisé tous les convives par l'excès de son ivresse , il le prêcha avec tant d'énergie , qu'il s'écria : « Par» bleu , mon ami , je veux suivie » tes conseils ; je sens, comme toi, combien je me déshonore ; entrons » ici ( ajouta-t-il , en lui montrant » un cabaret qu'il venoit d'aper» cevoir ) ; et pendant le loisir du " déjeuner , tu m'affermiras dans » la résolution que tu m'inspires.» En disant ces mots , ils entrent dans la taverne , et font apporter du vin, Boileau prêche , Chapelle écoute et verse ; tous deux boivent : la bouteille se vide, puis une autre, puis uneautie encore , et elles se succédèrent avec tant de rapidité , que bientôt le convertisseur et sou prosélyte ne purent plus ni parler, ni entendre , et qu'il fallut les porter dans leurs lits. Chapelle mourut en 1686, âgé de > ans. I , 60 , 27S. II , 5o4. III, 20S. CHARÈS , orateur athénien , du temps du célèbre Pliocion. Il, 225. CHARICLES , athénien , gendre de Phocion. III , 104.. CHARILAUS OU Charilas , neveu du sage Ljcurgue , législateur de Sparte, fut roi de Lacédémone , 873 ans avant J. C. et régna 64 ans. 1, 3ij. II , 285. CHARLES-MARTEL , fils de Pépin de Héristel , fut reconnu duc par Austrasiens , après la mort de son père , en 714 , et sous le titre de maire du palais , s'empara de toute l'autorité des rois de France. Il la conserva paisiblement jusqu'en 7411 année de sa mort. 1,417. III, 3n. CHARLEMAGNE OU Charles I, fils de Pépin y roi de France et d'Allemagne, naquit en 742 , à Strasbourg, château de la Haute-Iiavièie. Dïs qu'il fut sur le trône , iL lit la guerre aux Saxons , qu'il dompta plusieurs fuis; à Didier , roi des Lombards, qu'il dépouilla de ses états ; fut déclare empereur d'Occident par le pape Léon III, en 800 ; soutint la gloire de ce titre par la grandeur de ses actions , et mourut regretté des Français en 814 , dans la soixanteonzième année de son âge, la qua" rante-septième
comblé de grâces par François 1 , dont il étoit favori , et avec lequel il fut fait prisonnier à la bataille de Pavie. Il mourut en 15 43 , avec la réputation d'être meilleur cuurtisan que politique. II , i63. CHÀBIUER C M. de ) , officier d'artillerie dans l'armée française , à la • bataille de Fontcnoi, en 174-5. III ,
169.
CHAISE (
François de la ) , jésuite , se distingua dans son ordre par ses talens ; et il sut si bien cacher son goût pour le luxe et les plaisirs , que Louis XIV, qui de jour en jour vouloit se réformer , le choisit pour son confesseur. Il eut toute la confiance de son pénitent ; il en profita pour faire du Lien à sa famille et à quelques favoris, car il en avoit , et du mal à plusieurs hommes paisibles et vertueux. Il eut la feuille des bénéfices, et il ne la remplit pas toujours comme l'exigeoient les besoins de l'Eglise. Il mourut âgé de 85 ans , en 1709. I , 3,14. CHALON (. Philibert de ) , prince d'Orange , l'un des généraux de Charles-Quint. II, 333. CHAM , le deuxième des trois fils de Noé , et celui qui , l'ayant aperçu pendant son ivresse, dans une posture immodeste , voulut l'exposer à la risée de ses frères. Noé, pour l'en punir, maudit Chanaan son fils. II , 495. CHAMILLY ( le père de ) , prêtre de l'Oratoire , sous le règne de Louis. le-Grand. I , 280. CHAKVALLON ( M. l'abbé de ) , parent du premierprësidentiT/oAî. Il parvint aux premières diguités de l'Eglise. II , 349CHAPELLE (
Claude-Emmanuel Luillier, surnommé ), ûls naturel de François Lui/lier , maître des comptes , eut Gassendi pour maître dans la philosophie , et la nature dans l'art des vers. La délicatesse et la légèreté de son esprit , l'enjouement de son caractère , la bonté de son cœur , le firent rechercher des personnes du premier rang , auxquelles cependant il ne sacrifia jamais sa liberté , et des gens de lettres les plus célèbres. Racine , Boileau , Molière , La Fontaine , l'eurent pour ami et pour conseil. Il avoit une habitude qui, de son temps , étoit moins remarquée qu'aujourd'hui parce qu'elle étoit plus à la mode ; il aimoit à
�DES
PERS ONNAGES.
A
rantc - septième de son règne , et la quatorzième de son empire. 1, 264 , 272 , 3o8, 419- II, 47 » 19"- *If > 86|CHARLES II , dit le Chauve , fils de Judith , seconde femme de Louis-le.Débonnaire , né en 822, roi de France en 85o , élu empereur par le pape et le peuple romain eu 8 7 5 , mourut deux ans après , empoisonné , diton , par un Juif appelé Sêdécias. Il avoit régné 37 ans. I, 421. ICHÀBLES III , dit le Gros , fut empereur en 881 , et devint roi de France en 884. Il vit sous ses lois presque autant de provinces que Charlemagne ; mais il fut trop foible pour gouverner tant d'étals. Il fut déposé en 888. I , 422. |CHARLES IV, dit le Simple, fils posthume de Louis-le-B'egutt t fut placé en 89G sur le troue français , par une faction puissante qui en chassa Eudes qui l'avoit usurpé. Mais il fut déposé , et renfermé à ChâteauThierri , où il mourut en 929. I ,
422., |CHARLES
V, ou IV, si l'on ne compte point Charlemagne , fut surnommé le Bel , à cause de la beauté de sa titille et de sa figure, et devint roi de France en 1322 , après PhilippeIr.-Long sou frère. Il étoit aussi roi de Navarre, par les droits de Jeanne sa mère. Il refusa l'empire que le pape lui oflroit, peut-être parce que ce pontife donuoit ce qui ne lui appartenoit pas, et qu'un tel présent d'ailleurs n'étoit qu'une source de guerres. Il fut le premier de nos rois qui accorda des décimes au pape, qui lui promit de les partager avec lui. Il mourut à Vincennes , le 1 de Février 1328. I , 484. | CH ARLES V , dit le Sage , fils aîné du roi Jean , et le premier des lils de France qui ait pris le litre de Dauphin , fut couronné à Reims en i36'4. II remédia aux malheurs qui aceabloient la patrie ; il fit voir , par toutes ses actions , qu'il méritoit le surnom que lui avoit donné son peuple , et que la postérité lui a confirmé. 11 mourut , comblé de gloire , en i38o , et fut d'autant plus regretté , qu'il n'avoit encore que 43 ans. 1, 286 , 34o , 436 , 479- H , 234, 33o , 440. III, 265 , 479 , 5o5. CHARLES VI , dit le Bien - Aimé * fils du précédent, parvint à la couronne en i38o , âgé seulement de 12 ans et neuf mois. Sa jeunesse livra la France à l'avarice et à l'ambition
de ses oncles. Pour comble/tie^r heurs , quand il fut majcuy'il l'esprit, cl fut gouverné, de Bavière son épouse naturée, qui déshérita Charles son fils. Les Angftàis tèrent de ces dissensions inN^imes^ pour conquérir le royamne/S(L3frt leur roi se lit déclarer héritier , eu épousant Catherine de France , lille de Charles FI. Cet infortuné prince mourut , sans avoir régné , le 2» d'Octobre 1422. C'est sous lui que le parlement devint continuel. I 9 225 , 437 , 480. II 57 , 227 . 5oo. III , 5i6. CHARLES VII, fils du précédent . surnommé le Victorieux , parce qu'il reconquit presque tout son royaume sur les Anglais , fut couronné à Poitiers l'année même de la mort de son père. Il le fut ensuite à Reims , par la valeur de la fameuse Pucelle d'Orléans , et des habiles capitaines qui lui étoient restés fidclles : aussi l'a-t-on encore nommé le Bien-Servi. Jamais aucun roi ne le fut mieux , et n'eut çlus besoin de l'être ; car, s'il n'eut eu que ses propres talens pour recouvrer sa couronne , les Anglais , peut-être , seroient encore nos maîtres. Louis XI son fils , s'étant révolté contre lui , au lieu de punir ce jeune prince , il se laissa mourir de faim à Meun en Berri , dans la crainte d'être empoisonné , en 1461 , à l'âge de 58 ans. 1, 63 , 3og , 437. II 25. III, 3i7CHARLES VIII, dit VJfable et le Courtois , lils de Louis XI, roi de France , monta sur le trône de son pere , à l'âge de treize ans el deux mois, en 1483 , sous la régence d'Anne de France, dame de Beaujeu f sa sœur aînée. II fit heureusement la guerre en Italie , conquit plusieurs élaLs en une seule campagne , et perdit, l'année suivante, le fruit de toutes ses victoires. Il mourut an château d'Amboise , âgé de 27 ans, le 7 Avril 1498. I, 441, 466. CHARLES IX, roi de France, né Sainl-Germain-en-Laye en i55o t moulu sur le trône à l'âge de dix ans, après la mort deson frère François IIt fils de Henri II. Catherine de Médicis sa mère , qui eut l'administration du royaume pendant sa minorité, corrompit son heureux naturel pour mieux le gouverner ; et c'est à cetta priucsgiie ambitieuse et dissimulée,
Tome HL
Cc
�£02
TABLE
HI
■ TORIQUE
1G49, ot régna lui-même sous ie titre modeste de IJrotecteur. II, 21;, CHARLES II , fils du précédent, naquit en i63o. Après avoir longtemps promené ses dUgrac.es dans différentes contrés de l'Europe oit le crédit de Cromwel lui enlcvoït tous ses protecteurs , il profita de la mort de ce tyran pour remonter sur le trône de ses pères. Secondé du général Mtmk , il rentra en Angleterre en 1660 , et fut couronné l'année suivante. Il s'appliqua i éteindre les factions , à faire fleurir le commerce , les arts et les lettres, et mourut en >685 , laissant le sceptre à Jacques II, sou frère. II, 198.
- EDOUARD , fils aîné de Jacques Stuarl , prétendant au trône d'Angleterre , né à Rome en 1720. II, 233. CHARLES XI , roi de Suède , succéda à son père Charles-Gustave en 1660, sous la régence do sa mère qui le fit élever avec soin , et fut couronné en Ï674. Il se seroit fait admirer par sa sagesse et par sa prudence, s'il eût été moins despotique. Il se moqua des lois fondamentales de son pays , gouverna ses sujets avec un sceptre de fer, et mourut sans être regretté, en 1697 , à 42 ans. On a imprimé un petit livre trèscurieux des anecdotes de son règne, III , 90. CHARLES XII , fils du précédent, lui succéda après sa mort. Intrépide dis son enfance , ce prince fut VAlexan* tire de son siècle , et fit trembler tout le Nord au bruit de ses triomphes. Il eût été entièrement semblable au conquérant macédonien, s'il eût eu ses vices , plus de prit' dence et plus de fortune. Il fut tui au siège de Frédériksalh , en 1718, à 3? ans. I , 10 , 25i, 261. II , 59» 40S. III, i54, 170. CHARLES II , roi de Navarre , comte d'Evreux , dit le Mauvais , et digne de ce surnom , fut roi en >34y , et régna 38 aus. III , 265. CHARLES, duc de Bourgogne, dît /tf Hardi , le Guerrier et le Téméraire, succéda à Philippe-le-Bon son père, en 1467 , exerça beaucoup la politique de Louis XI , et fut tué dans une bataille en 1477. II, 370. III, 3o5. CHARLES-EMMANUEL I, duc de Savoie , dit le Grand , naquit en 1562. Il attaqua Genève en 1602 , et mourut en i63o, à ;8 ans , passant pflW CHARLES
qu'il faut attribuer (es excès qui souillèrent le règne de ce monarque. Une terrible maladie l'enleva à l'âge de 24 ans , en j574. I t 121 , i33. II , 60 , , 5oo. ClIARXES-QlTlNT , fils aîné de Philippe /, archiduc d'Autriche , et de Jeanne , reine de Castille , naquit à Gand le 24 Février i5oo. II fut roi d'Espagne en 1517 , empereur en 1519 , et se montra digne de commander à ses vastes états. Il fit prisonnier François I y son rival, en 153 5 ; abdiqua la couronne d'Espagne en faveur de son lils, en i555 , et l'empire en faveur de Ferdinand son frère , en 1556. Alors , dépouillé volontairement de toutes les grandeurs de ce monde , et voulant mériter , par la pénitence , le bonheur de l'autre, il se retira dans le monastère de Saint - Just , sur les frontières de Castille et dePortugal , où il mourut en i558 , après avoir fait célébrer lui-même la cérémonie de ses obsèques. 1, 44 , 246 , 257. II, 14 , 28g , 333 , 349 , 366, 424, 429 , 490. III, 87 , 1 55 , 210 , 240 , 267 ,
3i5,
CHAULES
348.
II , roi d'Espagne , fils et * successeur de Philippe III, en 1665 , épousa en premières noces MarieMouise d'Orléans , et en secondes , Marie-Anne de Bavière, princesse de Neubourg. Il n'eut point d'enfans ni de l'une ni de l'autre ; et déclara pour son héritier , d'abord le prince de Bavière , neveu de sa femme , puis Philippe de France , duc d'Anjou. Ce testament occasiona un embrasement général entre les puissances de l'Europe. II mourut en 1700 , âgé de 39 ans. En lui finit la branche aînée de la maison d'Autriche , régnante en Espagne. Charles ZI étoit aussi foible d'esprit que de corps-, et ignoroit le nom même des pays auxquels il commandoit, I, 274. CHAKIESI, roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, né en 1600, succéda à Jacques I son père en 1625, et épousa , la même année , Henriette de France , fille de Henrirletirand. Les murmures que la nation se permit au commencement de son règne, la conduisirent à un forfait, dont ses annales ne lui ofl'roient point d'exemple. L'hypocrite Cromwel , s'étant rendu maître de l'autorité souveraine , fit trancher la •fête ii sou roi, le 9 de Février ,
�DES PEU S OWNAGES. 4o3 sieurs écrits sur la science qu'il enseignoit. II, 438. siècle, et pour un prince dont ie cœur étoit plus impénétrable que son pays. C HE RI L E , poète grec , aux gages d'Alexandre-le-Grand. Il ne faut pas I, ]29. II, 391. le confondre avec un autre Chèrile , CHARLES V , duc de Lorraine, sucami d'Hérodote , dont les Athéniens céda à son oncle Charles IV', s'attarécompensèrent la verve en lui doncha au service de l'empereur , et fut nant une pièce d'or pour chaque vers un des plus grands guerriers de son d'un de ses poèmes en leur honneur. temps. Il mourut le 18 Avril 1690 , Il nous reste de très-beaux fragmens à 47 ans. 1,76, 286. de ce dei-nier. I, 245. CHARMES - MARON ( M. de ), avocat au parlement, résidant à Rieey-lo- CHEVERT ( François de ) , né en 169 5 v et mort en 1769 , s' leva . de simple Haut, bourg de Bourgogne , lors de soldat, au grade de lieutenant-géla naissance du dauphin. I , 84. néral. Son éloge et l'histoire de sa CHARON , citoyen de Thèbes , ami de fortune méritée , sont renfermés Pélopidas , et l'un de ceux qui pardans cette épitaphe placée sur son tagèrent avec lui la gloire de mettre tombeau dans l'église de Saint-Eusleur patrie en liberté. I, 178. tache à Paris : CHARONDAS , disciple de Pylhagore , et législateur de Thurium , se tua , « Sans aïeux, sans fortune , sans pour satisfaire à l'une de ses lois , " appui, orphelin dès l'enfance , il 440 ans avant J. C. II , 412. •' entra au service à l'âge de onze CHAROST ( duc de ) , capitaine des » ans. Il s'éleva , malgré l'envie , à gardes de Louis XIV , l'accompagna '• force de mérite , et chaque grade au siège de Lille , en 1667. I 1 9°« fut le prix d'une action d'éclat. CHATEAU-NEUF ( Charles de l'AubesLe seul titre de maréchal de pine, marquis de ) conseiller - clerc » France a manqué , non pas à sa au parlement de Paris , fut chargé " gloire , mais à l'exemple de ceux de plusieurs ambassades , et devint qui le prendront pour modèle. garde-des-seeaux en j638. Il s'attira Ce fut dans les guerres de 1741 et la disgrâce du cardinal de Richelieu 1757 , qu'il signala le plus son couen i633 , recouvra ses bonnes grâces rage et la profonde connoissance qu'il en i65o , et les perdit encore un an après. Il mourut en i653 , avec la avoit de la tactique. I , 257. réputation d'un homme intrigant, CHILDEBERT I , lils de Clovis et de sainte Clolilde , régna à Paris en mais maladroit à cacher la trame de 511, tint le sceptre durant 47 ans , ses projets. I, 111. lit perpétuellement la guerre , et CHATELET ( Paul Hay , seigneur du ), d'une ancienne maison de Bretagne , mourut en 558. I, 410 , 412. fut conseiller d'état sous Louis XIII', CHILUERIC III , dit VIdiot et le Faiet mourut en 1636 , à 43 ans. I, toi. néant , est ie dernier roi de la preCHATILLON. Voyez GAUCHER DE CHAmière race de nos souverains. Pépin TILLON. le lit descendre du troue pour y monter lui-même , et l'enferma dans CHAULIEU ( Guillaume Amjrye de ) , abbé d'Aumale , fut élève de .Chaun cloître , en 75o. I, 418. pelle , et digne de l'être. Il se rendit CHILON , l'un des sept sages de la Grèce , éphore de Sparte, vers l'an. célèbre par la délicatesse de son goût, et par l'épicuréisme de ses 556 avant J. C. I , 521. II, 3.27, 37 7. mœurs. A sa morale près , qui est CHIEPÉR1C I, fut roi de Soissons , celle à'Epicure , nous n'avons guère après la mort de Clolaire I, son de poésies dans notre langue plus père, en 561 , et gouverna durant faciles et plus originales que les 23 ans. Il fut assassiné en revenant siennes. Il fut appelé \'Auacréon du de la chasse, par des émissaires enTemple , parce que', demeurant chez voyés par Frvdégonde sa femme , eja le grand-prieur de France, il y 584. I , 412 , 414. vécut, comme le poète grec , au CH1LPÉRIC II , lils de Childéric II , milieu des plaisirs ■ des muses. Il succéda à .Dagobert III , en 715. mourut en 1720 , ,à 81 ans. II , 504. Vaincu par Charles - Martel, il fut CHEMNITIUS ou Chemniti ( Chrétien ) , obligé de le reconnoïtre pour sonné à Koningsfeld en 1615 , fut nommé maire du palais , et lui laissa son professeur en théologie à Jène , où autorité, ne conservant que le titre il mourut en 1666 , laissant pluet honneurs de la royauté, H
nn des plus grands capitaines de son
Ce a
�4<>4
TABLE
HI STORIQUE et de zèle , en découvrant et en déconcertant la conjuration de CalUina t qu'il mérita le surnom de Père de la Patrie. II céda à la cabale de Çlodtus , et fut exilé ; mais on le rappela bientôt après , et ce rappel fut un triomphe et (jpmme une fête publique. Bans les commenceraens de la guerre civile entre César et Pompée , il parut foible , timide , flottant, irrésolu, se repentant de ne point suivre Pompée , et n'osant se déclarer pour son rival , dont il tâcha de gagner l'amitié par les plus basses adulations. Il favorisa Octave contre Antoine ; mais ces deux Romains ayant réuni leurs intérêts, et s'étant promis de sacrifier les victimes qu'ils se demanderoient réciproquement ; Cicêron fut de ce nombre ,, et fut tué par un infâme , nommé Popilius-Léna, à qui ce grand orateur avoit sauvé la vie , dans une cause où il étoit accusé d'avoir tué son père. Cicérori' avoit 63 ans lorsqu'il expira , l'an 43 avant Jésus:Christ. .Nous avons la plus grande partie de ses ouvrages ,. dont l'abbé à'Olivel a donné une très - belle édition en 9 volumes /«-4.0 On ne peut être véritablement orateur sans les posséder à fond; et quiconque se plait à leur lecture , peut se flatter , selon la pensée d&Quintil/en , d'avoir déjà fait du chemin dans la carrière de l'éloquence. 1 , n3 , 307 , 35o. II. 181, 182 , 183 , i85 , 191 , 32j , 347- HI » 69 , 244. ClEUTAT ( Charles de ) , oflicier français , commandant dans "Ville-NeuvecCAgénois, sous le règne de121, roi de France. II, 217. ClLlCON , citoyen de MHet, dont il ouvrit les portes aux ennemis. I. 200. € I M O N , général athénien -, fils de Mihiade, plus célèbre encore par ses vertus civiles, que par ses qualités guerrières. Il remporta un grand nombre de victoires, tomba malade au siège de Citium , et mourut l'un 449 avant J. C. 1, 117 , i5i , 192 t 335. II, 104 , 397. III , io3. CI N N A ( Lucius - Cornélius ) , consul romain , 87 ans avant J. C. soutint le grand Marius contre la faction de Sj-l/a. Ses cruautés révoltèrent son. armée, et il fut assommé à coups de pierres par ses propres soldats, ù Ancône , 84 ans avant Jésus-Christ. I 299. II , 32 , 358. CrN.NA { Cnétus-Cornélius ) , petit- fil*
mourut à Noyon , en 720. III , 31 J . officier français , esclave CHOISEUL , à Alger en iG83. III, ia5. CHORSAMANTE , cavalier massagète , sous Bélisaire , et l'un des gardes de ce célèbre général. III , 309. CHQSROES, ou Chôsm et Khosrottï, dit le Grand , appelé encore Noùschirvan , fils et successeur de Cabadesr , roi de Perse en 53» , fut un pi-rnce fier et cruel , mais courageux. Il mourut en 579 , après un règne de 48 ans. I, 459. II , loi t 107 , 112. III , io5. CïlRÉMONlDE , amiral d'une flotte de Ptotéméc-Philadelphe , roi d'Egypte. I , 40. CHRISTIAN VII , roi de Danemàrck , né le 29 de Janvier 1749 , monta sur le trône le i3 de Janvier 1766 , et ne put trop long-temps l'occuper pour le bonheur de ses sujets. I , 290. CHRISTINE de France , seconde &Ue ■ de Henri IV , épousa le prince de Piémont, en 161$. III, 280. CHRISTINE , reiiie de Suède , fille de Gustave - Ad.olphe , lui succéda en i632. Les Suédois se fatigant de sou gouvernement , elle prévint les troubles, eu abdiquant en faveur de Charles-Gustave son cousin-germain , le 16 Juin 1654. Elle voyagea ensuite dans les différons états de l'Europe , s'entretenant avec les savans , dont elle se Ut admirer. Elle se rendit à Rome , où elle embrassa ïa religion catholique ; et après plusieurs autres courses , elle revint s'y fixer jusqu'à sa mort arrivée le 19 Avril 1689. II , 438. CHRVSIPPE , philosophe stoïcien, né à Solos en Culcie , se distingua , parmi les disciples de Zéno/i , par HII esprit délié. Il étoit dialecticien si subtil , qu'on disoit que , si les dieux avoicut besoin de faire usage de la logique, ifs ne pourroient se servir que de celle de Chrjsippe, Il mourut vers l'an 207 avant J. C. âgé de plus de 80 ans. III, 216. €HUNDUN , cliambellan de Contran , roi d'Orléans , lils de Clotaire I, roi de France. 1, 4i3. ClGLRoN ( Marcus - Tullius ) , naquit a Arpino en Toscane, 11-6 ans avant J. C., d'une famille de chevaliers romains , ancienne , mars peu illustrée ; il fut à Rome ce que Dêmosthène avoit été à Athènes. Son éloquence Péleva , par degrés , jusqu'au consulat ( qu'il géra avec tant de gloire
�DES
PERSONNAGES.
4o5
•d'à grand Pompée , et sénateur romain, conjura contre la vie à'Auguste , l'an 4 de J. C. Sa conspiration fut découverte , et l'empereur , non «onteut de lui pardonner, le créa consul l'année suivante , avecZ. Va~ lerius-Messala. I, 481. ON HA ME , couronné roi des Parthcs , l'an. 4-1 de J. C, n'accepta le sceptre que pour le conserver à Artnban r à qui il appartenoit , et auquel il le remit peu de jours après. II , 449GlNQ-MARS { Ilenri-Coiffier , dit Rufê , marquis de ) , par la faveur du cardinal de, Richelieu , devint maître de la garde^i-obe de Louis XIII. Mais le fovori ne répondit pas constamment à l'attente du ministre. Il entra dans les intrigues formées contre son protecteur ; ses projets furent découverts ; il fut arrêté et condamné à perdre la tête, en 1643, à l'âge de 22 ans. 1, 113. II , 206. CLAUDE , empereur romain succesr seur do Caligula son neveu , prince imbécille , proclamé par hasard , l'an 41 de J. C. , fut empoisonné pavAgrippine sa nièce et son épouse, en 54 , après avoir vécu sans gloire. Malgré sa stupidité , Claude inventa et tit adopter trois lettres ; mais ce u*est pas une preuve qu'il connut à fond son alphabet. I, 127, 368. 11,46. CLAUDE II ( M. Aurètius ) , dit le Gothique , parce qu'il défit , en une seule journée, une armée de 3oo,ooo Goths , fut proclamé empereur, après Gallien et ses lils , en 268. Il devoit le trône à ses vertus guerrières ; il se montra digne de l'occuper par ses vertus civiles ; il régna en juge équitable, en bon père , et mourut de la peste à l'âge de 32 ans, en 270. On a dit de lui qu'il avoit la modération d'Auguste , la solide vertu de Trajan , et la piété d'An/ouin. Si cela est vrai, lui seul valoit mieux que chacun de ces trois princes , et même que tous les trois ensemble; mais il légua si peu , et durant lu brièveté de son règne , il fut si occupé , que la souveraine puissance n'eut pas le temps d'éprouver ses vertus. II, i63. CLAUD1US ( Marcus ) , client du décemvir Appius-Claudius , et le digne instrument dont il vouloit se servir pour déshonorer la jeune Virginie, l'au 4+9 avant J. C. I, 472. CiÉANIS , capitaine snartiate ■, ami
du célèbre CalHcratidcts, et que ce général choisit pour son successeur, l'an 4°5 avant J. C. II, 86. III, i55. CLÉANDRE, Phrygien d'origine, esclave de naissance, dont l'empereur Commode fit choix pour diriger ses débauches , et qui bientôt gouverna l'empire en administrant les plaisirs du prince. I , 3g 1. CLÉANTHE , né à.Asson dans l'Eolide , d'abord athlète , quitta le gymnase ,. pour se mettre au nombre des disciples de Xénon , père des stoïciens. Il tiroit de l'eau et pétrissoit du pain pendant la nuit, pour pouvoir étudier le jour. Les magistrats de l'aréopage le voyant sans fortune , le citèrent devant leur tribunal, pour savoir de lui par quels moyens îl se procuroit de quoi subsister sans rien faire ; car ils ignorèrent qu'il consacrât au travail les heures que tous les autres citoyens donnoient au repos. Pour toute réponse , le philosophe fit venir à l'audience un jardinier qu'il servoit , et une vieille femme dont il faisoit la pâté-. Les' juges étonnés d'une telle ardeur pour ta philosophie , voulurent l'encourager par Une gratification : mais Clèanthe , riche de son travail-, et par la modération de ses désirs, réfusa leurs présens. Il succéda à Zènon , et eut pour principaux disciples le roi Anfigonus , et Chrysippe, qui enseigna après lui. Quelqu'un lui dit un jour : Pauvre philoso>• phe , tu n'es qu'un àne. - Tu as » raison , répondit-il, je suis celui » de Zènon; je porte son paquet. Il se laissa mourir de faim à 99 ans , environ 240 ans ,avant J. C. II, 176/ 44 a , 461. III ,44» 160,207 ,279. CLÉARQUE , Lacédemouieu , envoyé à Byzaucc pour calmer les troubles de cette ville , la remplit de car ■ nage , et s'en rendit le tyran. Les Spartiates , indignés de cet abus du pouvoir , le rappelèrent ; et refusant d'obéir , on marcha contre lui. Il fut défait , et contraint de se réfugier enlonie. Cjrus-le-Jeune faisoit alors la guerre à Artax-erjcès son frère, pour lui enlever le trône de Perse. Il accueillit Cléarque , et lui donna le commandement des troupes grecques qu'il -avoit à sa solde. L'an 403 avant J. C., Cj-rus perdit la bataille et la vie dans les plaines de Cunaxa. Les Grecs, sous la. conduite de Cléarque et de quelques autres chefs , regagnèrezU en bon
C
�TABLE HI STORIQUE ordre leur patrie au nombre de dix suivie de son amant, et causa sa mille , et tirent cette retraite qui perle. Elle espéroit enchaîner Auporte leur nom, si célèbre dans guste comme elle avoit fait de César l'antiquité. Elle coûta la vie à et d'Antoine ; mais ses charmes fuCtéarque , qui payant été surpris et rent sans pouvoir. Alors pour éviter arrêté dans une rencontre par les l'humiliation d'être conduite à Rome troupes du roi de Perse, qui le à la suite du vainqueur, elle se liareeloient sans cesse , fut mis à donna la mort, l'an 3o avant J. C. mort par le commandement exprès à 39 ans. II , 20. d'Ariaxerxès. II, 418. CLERC ( David le ) , professeur en héCLÉBIENT YI (. Pierre-Roger ) , Limoubreu , et ministre a Genève , mort sin , docteur de Paris , monta sur en 1655 , à 64 ans. II, 43g. le siège de S. Pierre en i342. Il CLERC (Jean le) l'un des plus savans avoit été Bénédictin de la Chaiseet des plus laborieux critiques de son Dieu en Auvergne , puis abbé de siècle , lixa son séjour à Amsterdam Fecamp , et successivement évèque en 1683 , et s'y maria à la fille du d'Arras, archevêque de Rouen , arcélèbre Grégorio Leli. Il fut profeschevêque de Sens, et cardinal. Il seur de belles-lettres , d'hébreu et de siégea à Avignon , comme ses préphilosophie. En 1728, il perdit toutdécesseurs depuis Clément V , porta à-coup la parole en donnant ses letrop loin les prétentions de la cour çons ; sa mémoire s'ailbiblit, et cet de Rome , abusa de son pouvoir en homme fameux ne fut plus qu'un ause croyant le maître des souverains , tomate. De toutes ses habitudes, il et en excommuniant l'empereur ne conserva que celle du cabinet : on Louis de Bavière, et mourut en i352. le voyoit sans cesse écrire, et les II, 43g. délires de sa plume rapide étoient CLÉOBIS et BIT ON , deux frères , portés chaque jour à son imprimeur, citoyens d'Argos, célèbres dans l'antiqui les jetoit au feu. Il mourut en quité par leur piété filiale. III, 47. 1 736 , à 76 ans, laissant un grand CLEOBULE , lils d'Evagoras , naquit à nombred'ouvrages polémiques, d'hisLinde , et par la solidité de sa toires , de traductions et d'éditions philosophie , mérita d'être compté estimées. II, 43g. au nombre des sept sages de la CLISSON ( Olivier de ) , élève de BerGrèce. Il voyagea en Egj'pte pour trand du Guesclin , et son compaconverser avec les savans de ce triote , moins vertueux péut-être , royaume ; et après avoir augmenté mais aussi brave , aussi guerrier, ses lumières, il revint parmi ses aussi héros que ce grand homme, lui compatriotes, et mourut vers l'an 56o succéda dans la dignité de connétable avant J. C. II , 70. deFrance, en i38o. Le roi Charles i11 CLÉOMBROTTE , frère de Léonidas , roi ayant été attaqué de ses accès de fréde Lacédémone. II, 35o. nésie , les ducs de Bourgogne et de CLÉOMÈNE III , roi de Sparte , Berri, régens du royaume, oublièrent l'an 23o avant J. C, remporta de les grands services de CUsson, pour le grandes victoires sur les republiques dépouiller de ses charges , et le banvoisines 5 humilia les éphores , renir comme un criminel. L'illustre caleva l'autorité royale , rétablit les pitaine se retira dans la Bretagne sa lois de sa patrie, et se tua en patrie, et y mourut dans son château Egypte, 219 ans avant l'ère chréde Jossalcn , aimé et honoré de tout tienne. Il , 45n , 478, le monde, en 1407. I, 226. 111, CLÉON , homme distrait et naïf. II , i85. 43g. III, 146. CLISTHENES , magistrat athénien , CLÉONIS , brave Mcssénien. II, j55. aïeul de Périclès, fut l'auteur delà CLÏ.OPATRE , reine d'Egypte , faloi de l'ostracisme, par laquelle on meuse par sa beauté , et plus encondamnoit un citoyen au banniscure par le criminel u.'iage qu'elle sement quand il avoit des qualités en lit , se livra d'abord à César dont l'éclat pouvoit faire craindre pour le captiver, et en eut un lils qu'il ne devint le tyran de sa patrie. nommé Çèsarion. S'étant ensuite Ce fut par le moyen de cette loi que attachée au triumvir Marc-Antoine, Clislhènes lit chasser le tyranUippias, elle eu partagea la fortune à la baet qu'il rendit la liberté à Athènes , taille d'Actium , dans laquelle cette 5io ans avant J. C. III ,33?. princesse enrayée prit la fuite, fut CLITUS , frère d'Hellunice , nourrice
f
4°6
�DES TERSONANGES.
4°7
la capitale de son royaume , et y r'Alexandre-fa-Grand , s'attacha à ce mourut en 511 , à 45 ans, dont il prince , et en fut tendrement aime. avoit régné 3o. 1, 409. III, 57. II le suivit dans ses conquêtes , etlui sauva la vie , en coupant la main à COCAULT (Arnoul}, notaire de la Ferté-Milon, en 1611.1 , 325. Rosacés ou Spitridate , qui avoit la hache levée pour le tuer au passage COCHIN ( Henri ), l'un des avocats des plus éloquens du parlement de Paris, du G ra nique. Clilus, quelque temps mort en 1747 , à 60 ans. Ses œuvres après, ayant irrité Alexandre à la lin forment 6 vol. /'«-4.0 III , 345. d'un repas, fut perce d'un javelot par la propre main de ce prince, 329 ans COCTIER ( Jacques ), médecin de Louis XIy roi de France. 1, 440. avant J. C. III, 136. LIVE (le lord), capitaine anglais, COURUS , roi d'Athènes , vers l'an 1116 r ou 1071 avant J. C. , régna 21 ans. cnvo3 é deux fois aux Indes orienI, 196. tales , la seconde en 1765 , pour gouverner les possessions anglaises de CŒREPHON , disciple zélé de Socrale. III, i65. ces vastes contrées. Il s'y conduisit avec autant de sagesse que de bra- COIGNEUX ( M. le ), président au parlement de Paris. I , 314. voure, et son système d'administration devroit être étudié par tous les COLBERT ( Jean-Bapfisle.) , marquis de Seignefai /succéda dans le ministère gouverneurs anglais chargés des inau cardinal Mazarin son protecteur. térêts de leur nation dans ces pays Il se distingua par la grandeur qu'il éloignés. III, 190. imprimoila toutes ses opérations, et LODOM1R , second tils de Glôvis et de Clolilde , fut roi d'Orléans en 5i1,et - sur-tout |>ar la protection qu'il acco»> doit aux gens de lettres, dont il fut le I périt dans un combat contre GondoMècène.W mérita la confiance de Louis I mar , roi de Bourgogne en 524. I , XIV par son zèle, ses talens et sa 410. probité ; et la France le pleura lors^LODOALDE ou Cloud ( S. ), troisième qu'il mourut, en 1683 , à 64 ans. I, fils du précédent , échappa à la bar93 , 24g , 345. II , 42 , 75 , 324, 3gg, j barie de ses oncles après la mort de 444. III ,193, 244 , 248. sou pére , et se sanctifia dans la soliCOLBERT ( Jacques-Nicolas > , fils du tude. 1, 411. précédent, embrassa l'état ecclésiaspLOTAIRE I, troisième fils de Clovis , tique , devint abbé du Bec , et arche-' eut en partage le royaume de Soisvèque de Rouen. Il mourut en J 707, sons, en 511. II deviut roi de toute à 53 ans. II , 136. la France, après la mort de ses deux frères , en 558, et il mourut en 56i. CoUGN'Y ( Gaspard de y, amiral de France, né en i5 16 , porta les armes à 64 ans. 1, 410. dès sa plus tendre jeunesse ; signala CLOTAIRE II , fils et successeur de sa valeur, et mérita, par ses exploits, Chilpéric I, dans le royaume de la fortune à laquelle il futélcvé. DeSoissons , à l'âge de quatre mois, en venu l'un des chefs des huguenots , 584 , fut soutenu par Frèdegonde sa il soutint son parti en héros; contraimère , durant son enfance , régna gnit la cour de Charles IX à faire la ensuite par lui-même , mérita lesurpaix ; mais elle lui fut très-funeste. nom de Grand , devint roi de toute Séduit par les perfides caresses de la la Frangé) en 613, et mourut en 628 reine-mère , il se rendit à Paris, où il à 45 ans. I , 415. II , 73. fut enveloppé dans le massacre de la [CLOTILDE (Sainte), fille du roi de Saint-Barlhelemi, en 1574. Son corps Bourgogne, fut mariée à Clovis S , fut jeté par la fenêtre de son apparqu'elle convertit à la foi. Elle moutement, livré , pendant trois jours , rut en 543. I, 410. à la fureur de la populace , et mis [ CLOVIS I succéda à Chilpéric son père, enfin au gibet de Montfaucon , d'où vers l'an 481. Il étendit les conquêtes le connétable de Montmorcnci le fît des Français , affermit leur puistirer et inhumera Chantilli. I ,3i6. sance, éteignit celle des Romains III, 140* dans les Gaules. L'heureux succès de la bataille de Tolbiac, qu'il devoit à COLIN ( les bourgeoises ), femmes qui ont bien des copistes. 1, 53. la protection de Jesus-Christ qu'il ànjaeloit le Dieu de Clolilde son COLLATIN ( Lucius-Tarquinius ), époux de la célèbre Lucrèce , et proche paépouse , lui fit embrasser le christiarent de Tai-qnin-le-Superbe ; après nisme , auquel cette sainte l'avoit avoir chassé de Rome ce prince et ses déjà préparé, en 496- U fit de Paris
C
c
4
�'4o8
TABLE
HI STORIQUE
il remporta, à vingt-deux ans, \\ fameuse bataille de Rocroi sur Icn Espagnols. Ce premier triomphe fut le prélude , et comme le premier anneau de cette longue chaîne de succès qui formèrent sa réputation, et luiméritèrent le surnomdc Grand, La cour qu'il servoit le maltraita ; il voulut s'en venger, en se mettant du côté des ennemis du royaume, maisil rentrabientôtdansson devoir, et répara ce moment d'oubli , en se rendant le sauveur de la France. Il mourut à Fontainebleau en 1G8G, âgé de 65 ans , avec les sentimem d'un chrétien qui quitte les grandeurs sans les regretter , et qui attend une vie plus heureuse. II, i5j(
237 , 338 , 418 , 426. Ht; 344CONDÉ ( Henri i Jules de Bourbon, princede ) , lils du précédent , mort en 1 709. Il, 338. lit , 11 5. CONDÉ ( Louis - Henri de Bourbon,
enfans , pour venger l'outrage fait à son épouse et la mort de cette vertueuse dame , partagea avec Brutus les premiers honneurs du consulat, et la gloire d'avoir rendu la liberté à sa patrie. Bientôt après , son nommême lit ombrage; et , malgré tout ce qu'il avoit fait pour les Romains , il fut contraint de sortir de Rome, 5oo ans avant J. CI, 210, 469. COLONNE (Philippe) , prince-italien , de l'illustre maison qui porte son nom, et qui a produit une multitude de personnages célèbres dans l'église et dans i'éUt politique. Celui dont il est question ici, vivoit au milieu du dix-septième siècle. II,
CQMINES ou Cornmines ( Philippe de ),
historien français , chambellan de Louis XI , et sénéchal de Poitiers , naquit en Flandres , et fut mis d'abord au service de Charles-leIlardi son souverain, il s'attacha ensuite au roi de France, qui lui donna toute sa faveur. Il mourut en ï5og , à 64 ans. Ses mémoires nous apprennent ce qui s'est passé sous Jes règnes de Louis XI et de Charles VIII, pendant 34 ans. On en a fait un grand nombre d'éditions , parmi lesquelles on distingue celles à'.Flzevier et de l'abbé Lenglet. I 440. COMMERCY ( le prince de ), colonel du régiment de son nom , au service de l'empereur , se distingua à la bataille de Hersan , gagnée sur les
m.
prince de ), petil-lils du précédent, et fils de Louis de .Bourbon mort en 1710 , s'appela duc de Bourbon, plutôt que prince de Condé , né en 1692, fut nommé chef du corifcii royal de la régence , pendant la minorité de Louis XV , et premier ministre d'état après la mort du régent. Il en remplit les fonctions durant trois ans , et mourut à Chantilly , en 1740 , à 48 ans. Il est père de Louis-Joseph , actuellement prince
de Condé. II , 4g3. III, 115. CONRAD II, dit le Salique, empereur d'Allemagne en 1024 , couronné a Turcs en 1687.1, 343. Rome et à Milan , comme roi des COMMODE , lils de Marc-Aurèle , proRomains , et à Mayenoe , comme clamé empereur l'an 180 , régna empereur , fit presque toujours la comme Néron , et mourut empoiguerre a ses vassaux , et mourut en sonné l'an 192 de J. C. 1, 67 , 3gi. CoNAXA , vieillard qui a laissé une io3g. II, 337 , 3g2. excellente leçon aux pères de famille. CONRAD III , duc de Franconie , fut proclamé empereur en 1138 , se Ï,i43. croisa pour la Terre-Sainte , assiégea CONDÉ ( Louis de Bourbon I, prince \ inutilement Damas, et mourut à sou de ) , septième lils de Charles de Bourbon duc de Vendôme , naquit retour en Allemagne , en
II52
S
1,
en 153o : il se signala par sa valeur , devint chef des protestans en France, et fut assassiné par Monfesquiou , capitaine des gardes du duc d'Anjou, depuis Henri III, à la bataille de Jarnac, en 1369. III, 288. CONDÉ ( Henri de Bourbon II du nom , prince de ) , fils de Henri I, et petit-fils du précédent* mourut en, 1646. I , 335. CONDÉ ( Louis de Bourbon II du nom , prince de ) , fils du précédent , et duc d'Enguien , naquit à Paris en iffai. Héros dès l'âge le plus tendre,
'122..,. 1
CONSTANCE-CHLORE
!-.
vertueux ou Constance I, et plein de bra-
prince voure ,
père du grand Constantin. Il
fut déclaré César par Dioclètien , t'a 292 , soumit la Grande-Bretagne et les peuples de Germanie, en fut proclamé empereur avec Galère' Maxime, en 3o5 , et mourut l'année suivante à ïorck , laissant la pourCONSTANCE
pre impériale à son fils. I, 24, 77. II ( Flavius-Julius ), tils du grand Constantin , et proclamé
second
fut créé César en
324 ,
�DES
empereur en 337- Il fut cruel envers ses proches et ses sujets , qu'il persécuta pour favoriser J'arianisme ; rampant envers les soldats, auxquels il sembloit demander la loi ; inconséquent dans ses démarches , vindicatif, jaloux, méfiant, indigne , en un mot d'être Je fils d'un des plus grands monarques dont parle l'histoire. Il mourut en 36i f à 45 ans. I , 400. (CONSTANT II , empereur d'Orient , en 642, fut assassiné à Syracuse, par André , l'un de ses domestiques , en 668 , après un règne de 27 ans. III , 3io. [CONSTANTIN ( Ftavius-Valérius), fils de Constance-Chlore et à'Hélène, naquit à Naisse en Dardanie , eu 274 , et fut proclamé empereur en 3o6. Il triompha de tous ses compétiteurs , embrassa le christianisme, qu'il fit asseoir avec lui sur le trône des Césars , et qui devint dès-lors la religion dominante de l'empire ; il fit de sages lois , mérita le nom de Grand , reçut le baptême en 337 » e^ mourut peu de temps après, à 63 ans , dont il avoit régné 3i. 1, 24 , 104, 3o8 , 400. II , 53 , 144 , 274. III , 16 , 57 , 164. | CONTI ( Armand de Bourbon , prince de ) , fils de Henri II , prince de Condé , et chef de la branche de Conti , naquit à Paris en 1629 , et y mourut en 1666 , dans de grands sentimens de religion. I , 1 , 8g. CORAX j l'un des premiers maîtres d'éloquence à Syracuse. III, 118. CORBINELLI (M.), fils de Raphaël Corbinyf/i , secrétaire de la reine Marie de Médicis , à laquelle il étoit allié , reçut une éducation qui uéveloppa de bonne heure l'esprit et les talcns qu'il avoit reçus de la nature. Il fut recherché des meilleures compagnies , dont il faïsoit les délices par ses saillies pleines de gaieté. On apprit que , dans un de ces soupers libres, que les princes et princesses ennemis de madame de Maintenon se donnoient quelquefois , plusieurs personnes de la cour avoient été chansonnées. On crut pouvoir s'en instruire avec plus de précision , par le moyen de JYI. Corbinelli , l'un des convives. M. d'Argenson , lieutenant de police , se transporta chez lui : Où avez-vous soupé un tel jour, lui " demanda-t-il ? -- Il me semble » que je ne m'en souviens pas , » lui répond , en baillant, Corbinelli. --
PERS ON NAGE S. « Ne connoissez - vous pas tels et " tels princes ? — Je l'ai oublié. — » N'avez-vous pas soupe avec eux ? » --Je n'en sais rien. — Cependant , » un homme comme vous devroit » se ressouvenir de ces choscs-là. — " Oui , Monsieur ; mais , devant un » homme comme vous , je ne suis » pas un homme comme moi. » Le magistrat, piqué de la plaisanterie» cessa son interrogatoire , et ne crutpas devoir pousser plus loin l'inquisition. Corbinelli mourut en 1716 , laissant quelques ouvrages qui intéressent médiocrement. I , 276. CORÉE ( M. de la ) , intendant de Franche-Comté , magistrat qui s'illustra par son patriotisme et l'intégrité de son administration. I , 82. CORIOLAN ( Caïus-Marcius ) , Romain célèbre, qui fut tour-à-tour la gloire et la terreur de sa patrie , mort vers l'an 4gu avant J.C. 1, 144• II , 402. CORNÉEIE , dame romaine de la famille des Scipions , et mère des Gracques ; elle épousa le consul Sempronius-Gracchus , vers l'an 7 7 avant J. C. II , 110. CORNÉLIE ( Max-imille) , chaste et vertueuse vestale , que l'empereur Domitien fit enterrer toutevive. 1 , 384. CORNELIUS-COSSUS-ARYINA ( Aulus ) , consul romain , 343 aixs avant J. C. II, 61. CORNEILLE ( Pierre ), né à Rouen en 1606 , se livra à la poésie, Ut naître parmi nous le goût de la bonne tragédie , réforma les turlupinades qui amusoient nos pères , et , par ses chefs-d'œuvre , mérita le surnom de Grand. Il mourut doyen de l'académie française en 1 684. On a fait plusieurs éditions de ses œuvres , parmi lesquelles on distingue celle de 1 738 , et les autres qui ont été faites sur celle-là , en 7 ou 10 vol. in-iz. , et l'édition qu'a donnée Voltaire , avec des notes qu'il ne faut pas toujours, croire aveuglément. I , 122 , 168. II, 43 , 23g , 255 , 486. CORNEILLE ( Thomas) , frère du précédent , se montra digne de l'être et de ie remplacer à l'académie. Il fit des pièces de théâtre et beaucoup d'autres ouvrages , et mourut en 1709, à 84 ans. I , 168. COSME , esclave d'Auguste, f, 357. COSTAR (Pierre) , fils d'un chapelier de Paris, né en i6o3 , mort en 1G60, s'attacha à Voiture , dont il prit la défense contre les écrivains qui le
4°9
�4'0
TAULE
III
TOIYIQUE
critiquoient f fut protégé par M. du habitans de Rome , permettant \ Reuil , cvèque d'Angers , qui lui chacun des convives d'emporter en- donna plusieurs bénéliccs , et laissa suite autant de blé qu'il en pouvoit quelques ouvrages écrits d'un style consommer pendant trois mois. Il fut guindé , qui furent peu lus de son plusieurs fois revêtu des honneurs du temps , et qui ne le sont plus du consulat , et il forma , avec Pompée nôtre. I , 97. et César , le premier triumvirat. Il COTTN (Charles) , étoit Parisien , poète entreprit de subjuguer les Parthes et prédicateur. Il fut reçu de l'acal'an 64 avant J. C. , pour envahir démie française, et méritoit le fauleurs richesses. Il marcha contre teuil , malgré le ridicule dont Boieux , fut vaincu et tué l'année suileau et Molière s'ellbreèren t de le vante. On raconte que sa tète ayant couvrir. Ses écrits ne sont pas sans été portée à Orode, roi des Parthes, mérite , quoique inférieurs à ceux ce prince lui fit couler de l'or fondu des auteurs les plus célèbres du siècle dans la bouche , en disant: n Rassasie de Louis-le-Grand. Il mourut en 1682. " toi de ce métal, dont ton cœur a été i3. » insatiable. » I, 253. II, 6 , 5?. COTIS , roi de Thrace vers l'an t5o CRASSUS , fils du précédent, suivit son avant J. C. I, 326. père dans son expédition contre les COTTA ( Marcus-Aurelius ) , consul roParthes, et y périt. II, 57. main , 74 ans avant J. C. I , 698. CRATERUS , favori d'Archclails roi de COTTA ,censeur romain, contemporain Macédoine , environ 400 ans avant de Cicèron. III , 70. J. C. I , Ï3O. CoTHBEDDix-lBEK , roi de Delhi aux CRATÈS, philosophe cynique, disciIndes. 1 , 34.3. ple de Diogène , et le lidèle imitaCOUCY l Engucrrand de ) , baron franteur de cet homme original , naquit çais sous ie règne de saint Louis. à Thèbes en Béotie , et florissoit vers III j 202. l'an 328 avant J. C. Habillé fort COUPLET ( Ciaiulc-Antoine ) , né à Paris chaudement en été , et très-légèreen 1642 ; s'appliqua aux mathémament en hiver , il cousoit à soir tiques et aux mécaniques , y lit de manteau des peaux de brebis non grands progrès , fut reçu de l'acadépréparées ; singularité qui jointe à mie des sciences en 1666 , et mourut l'extrême laideur du personnage, en le 25 Juillet 1722 , âgé de 81 ans. faisoit une espèce de monstre. Tout ' II , 36i. cela ne rebuta pas la célèbre Hif COURTIN (l'abbé), bel esprit de la cour parchie. Elle entendit Cratès , et fut du prince de Vendôme, grand-prieur tellement charmée de ses discours, de France. II, 504. qu'elle voulut l'épouser. Elle étoit COXINGA , capitaine chinois en 1662.recherchée par un grand nombre de I i 3o3. jeunes gens qui réunissoïent les avanCRAMOISI (Sébastien ) , célèbre impritages de la fortune et ceux de la meur et libraire deParis, futéchevin figure : elle méprisa leurs richesses de cette ville , et directeur de l'imet leur beauté , pour prostituer la primerie royale établie au Louvre. sienne au hideux philosophe. En II mourut eu 1669. II, 187. vain sa famille voulut s'opposer à CRASSUS ( Publius - Lioinius ), célèbre son dessein : » Je me poignarderai, jurisconsulte romain , et grand pon»• s*écria-t-elle , si vous m'empêchez tife , fut élevé au consulat I3I ans » d'être l'épouse de Cratès. '» On eut avant J. C. Etant passé en Asie à la recours à ce cynique pour la détourtête de l'armée romaine , pour comner de son projet. Il vint la trouver: battre Aristonicus , il fut vaincu et « Tu veux donc être ma femme? tué d'un coup de poignard. Il avoit » lui dit-il. Tiens , voilà les richesquitté sa dignité de grand - pontife » ses que je t'apporterai pour dot,u pour commander les légions , ce continua-t-il , en étalant par terre qui étoit sans exemple. II5 181. son bâton , sa besace et son manCRASSUS ( Lucius - Licinius ) , de la teau. Puis découvrant une énorme même famille que le précédent , fut bosse qui ombrageoit son dos , et élevé au consulat g5 ans avant J. C. deux jambes dillbrmes : « Voilà 1 II , 3i8. » ajouta-t-il , le bel époux que lu CRASSUS ( Marcus-Licinins) , parent du » auras , et encore tu ne peux précédent , étoit si riche qu'il donna » l'avoir qu'en suivant le genre de un festin général et public à tous les » vie qu'il mène. — Je le veux bien ,
n,
�RÏ PERSO NNAGES. 4 colonel-général de l'infanterie franreprit Hipparchie. » Aussitôt elle çaise. C'étoit un second chevalier IHeta ses beaux vè ionien s , se couvrit Bayard : on l'appeloit l'homme sans H| la manière des cyniques , et s'attapeur t le brave des braves. Etant incha tellement à Craies , qu'elle rôvesti dans Quillebeuf, en i5g2 , on iJfoit par-tout avec lui, suivant littéle somma de se rendre : « Répondez ralement les dogmes de la secte im» à l'ennemi , dit-il aux envoyés , •Ittudeiite qu'elle avoit embrassée avec » que Grillon est dedans , et lui de|Bou époux. Elle en eut plusieurs en» hors ; ■■ et fa ville ne fut pas prise. Bans. Il y a un livre fort rare ; imA la bataille de Montcontour , en Ijlu-imé en Sorbonne , m-4.0 , sans 1569 , un huguenot voulut le tuer ; Hlate, qui contient les lettres des cyil lui tire un coup d'arquebuse, et le Bricmcs , Epislohe cynicœ , parmi lesblesse. Grillon court à lui, l'atteint , Bpielles on en voit quelques-unes de et alloit le percer , lorsque l'ennemi Wbratès. I , n5 , 3o5. II , 445. tombant à ses pieds , lui demande la Sll , 56 , 114. vie. « Je te la donne , dit-il ; et si |BÉSUS , dernier roi de Lydie , après » l'on pouvoit ajouter quelque foi à j&m règne de 14 ans , durant lequel un homme qui est rebelle à son Si avoit amassé , par ses victoires , « roi et infidelle à sa religion , je te i3es richesses immenses , voulut faire » demanderois parole de ne jamais ■a guerre à Cj~rus-le-Grnnd ; mais il » porter les armes que pour ton sou■ut vaincu 548 ans avant J. C. Ses » verain. » Le huguenot • confondu ■pilles furent prises , et lui-même de tant de magnanimité, jura qu'il Bomba entre les mains de Cjrus , qui se sépareroit pour toujours des reHe condamna à être brillé. Lorsque belles , et qu'il retourneroit à la D'infortuné prince mon toit sur le religion catholique. Le jeune duc ■bûcher , en présence de son vainde Guise , auprès duquel Henri IV Iqueur, il s'écria , Salon '. Salon ! Le Pavoit envoyé à Marseille , voulut ■roi de Perse étonné , rappela Crésus, éprouver jusqu'à quel point pouvoit ■et lui demanda ce qu'il vouioit dire : aller l'intrépidité si vantée de ce ca;«> Hélas ! lui répondit-il, je reconnois pitaine. Pour cela , il fit sonner • en ce moment la vérité des maxil'alarme devant le logis du brave ,» mes du sage dont je profère le Crillon , et mener deux chevaux à la » nom. ~- Et que vous a dit ce sage ? porte ; puis montant chez lui, il lui » -- Qu'on ne doit regarder aucun annonce tout effraye* que les enne» homme comme véritablement heumis sont maîtres du port et de la » reux avant sa mort. » Ces paroles ville , et lui propose de se retirer , firent naître dans le cœur de Cyrus pour ne point augmenter la gloire des sentimens plus humains. Il révodu vainqueur. •< Non , non , répond qua l'arrêt porté contre le roi de » Crillon à moitié endormi , il faut Lydie , l'admit dans ses conseils ; et t » combattre ; et je préfère une mort pour ie dédommager en quelque ma» glorieuse à une fuite ignoble. » nière des états qu'il lui enlevoit , il lui donna le gouvernement d'une Guise insiste pour la retraite , Crilprovince considérable. I , 131 , i52. lon pour le combat. Il s'habille , II , i5, 38g. III , 46. prend ses armes , sort avec le jeune ÉQtri (François , marquis de ) , fut duc, qui, laissant échapper un grand créé général des galères eu 1661 , et éclat de rire , découvrit le but de maréchal de France sept ans après. sa plaisanterie. » Arnibieu , jeune Il fut un des bons généraux du siècle » homme , lui dit alors Crillon qui de Louis XIF, et mourut en 1687. » le serroit au collet, ne te joue ja1 , 496. » mais à sonder le cœur d'un homme RILLON ( Louis de Berlhon de ) , sur» de bien. Par la mort! si lum'avois nommé le Brave , fut l'un des plus » trouvé foible , je t'aurais poigrands capitaines de son siècle j il » gnardé. » Après avoir dit ces signala son courage dès l'âge de mots, il regagna son lit, et reprit quinze ans , en contribuant , plus sou sommeil. La paix de Vervins qu'aucun autre officier , à la prise ayant terminé les guerres qui agide Calais sur les Anglais. Il contitoient l'Europe , Crillon, se retira à nua de servir utilement sous les rois Avignon , et y mourut dans les exerCharles IX, Henri III et Henri IV, cices de la piété et de la pénitence , qui le fit conseiller d'état , et le en 1615 , à 74 ans. Mademoiselle de revêtit ie premier de la charge de Lussan a donné la vie de ce héros t
I>ES
W»
�TABLE HI STOB.IQUE en 2 vol. rn-Sa. II , i36 , 35i. III, battre contre les ZZoraces leurs cij. 57 , 343. sins'gcrmains , l'an 669 avant J t CnisPlNUS ( Tilus-Quintius ), l'un des I, 2u5 , 332. braves de l'armée romaine qui assiéCURIUS-DENTATUS ( Marcus-Annhti)gea Capoue , l'an 211 avant J. C. illustre Romain , fut trois fois cot II, 453. sul, et jouit deux fois des honmn» CRITIAS , l'un des trente magistrats du triomphe. Il vainquit les Sac que Lysandre , général de Lacédénites , les Sabins , les Lucaniens.f; mone , établit à Athènes , après avoir battit Pyrrhus , roi d'Epire , |1; pris cette ville , l'an 404 avant J. C. 275 avant Jésus - Christ. Il gtr« 1, 1 85. II , 27. alors son troisième consulat. II,} CRiTON, ami du sage Socrafe. II, 3ofï. III , 294. CROMWEL ( Olivier ) se distingua d'aCuRTIUS t les ). II y a eu plusieurs h bord dans les armées , et mérita les mains célèbres de ce nom. L'une premiers grades militaires. Il s'atQuinfus-Curiius, qui se dévoua poa: tacha ensuite au parlement, qu'il sa patrie , en se précipitant lo? servit contre le roi Charles I, son armé dans un gouffre qui s'clci; souverain. Ses exploits le mirent à la formé dans Rome , vers l'an l\: tète des Anglais rebelles , et il se les avant J. C. La terre , dit-on , sere-' attacha par son hypocrisie. L'alfecferma aussitôt. Tous ceux de cetn tion des soldats , dont il avoit fait famille montrèrent le plus grandZf!:! autant d'enthousiastes , l'éleva bienpour la prospérité de la républiqu; tôt à la souveraine puissance , sous II i 143. le nom de Protecteur. Il lit faire le CYANE , fille de Syracuse. III, 112. | procès au roi Charles , qui fut déca- CYAXARE , roi des Mèdes , oncle otl pité par son ordre. Délivré de son plutôt bisaïeul du grand Cyms,m-\: souverain , Cromwel régna en descéda à Phraorfès son père , l'an fin! pote , se fit respecter des puissances avant Jésus-Christ, lit de granda1 voisines , et couvrit des qualités d'un conquêtes , et mourut après 40 ml grand roi tous les crimes d'un usurde règne. Ce prince est le încrc: pateur. Mais son bonheur ne put qu'Assuérus dont il est parlé dans\'étouffer ses terreurs secrètes : tourlivre d'ZSslher. II , 498. menté sans cesse par la crainte d'être CYNÉAS OU Cincas, philosophe et miassassiné pendaut la nuit, il fit faire nistre de Pyrrhts , roi d'Epire , fut une multitude de chambres dans son également célèbr e par sa sagesse et palais. Chaque chambre avoit une par son éloquence. Il accompagm ■ trape par laquelle on pouvoit descence prince dans ses expéditions,etj dre à une petite porte qui donnoit lui donna de prudens avis , dont le sur la Tamise. II ne couchoit jamais monarque ne protitoit pas toujours. deux fois de suite dans la même II, 21 , 137. chambre, et quand il se retiroit les CYBUS, fils de Camhyse roi des Perse),] soirs , jamais il ne mcuoit personne et de Mandane, fille d'Aslyage ni avec lui pour le déshabiller. II n'eut des Mèdes , réunit ces deux monarque la peur pour bourreau ; car il chies , qu'il gouverna avec sagesse, mourut paisiblement, en 1658 , à Il fit de vastes conquêtes , qui lui 55 ans. 1, 254. méritèrent le surnom de Grand. Il CRGY ( M. le prince de), seigneur cédevint le père deses nouveaux sujets, lèbre par sou savoir et son urbanité. comme il l'étoit déjà des anciens; 1, 290. et après avoir honoré le trône par CTÉàlRlUS , ami du philosophe Arcèsises vertus, il mourut dans un âge laiis , vers l'an 224 avant J. C, Il très-avancé , l'an 525 ou 529 avant étoit d'Alexandrie , et s'adonna à Jésus-Christ. I, i3 , n5, I3I , I5I, l'architecture et à la mécanique. Il 464, 487. II, 249 , 379, 389,41g. inventa des orgues que l'on faisoit 429 , 437 , 498. III , 87. jouer en comprimant l'air par le CYR US-LE-JEU NE , fils de Darius-nomoyen de l'eau. I , 264. tlutSi jaloux de ce qa'Arlaxerxès sou CUMBERLAND ( le duc de ), prince anfrère héritoit du sceptre , lui déclara glais , qui commanda avec le roi la guerre pour le lui ravir ; mais u George ZZ son père , dans la guerre perdit la bataille de Cunaxa , et fui de 1740. II , 320. tué en combattant en héros, l'an 4pi CuRlACES ( les ), trois frères de la ville avant Jésus - Christ, II s 85, Mi d'Albe, qui furent choisis pour com418.
4ï2
�DES
ÎEHSOKKAOES.
4i3
D.
GHICOURT (
Nicolas ) , né à Bou-
gnc-sui^mer , matelot français , ie sur la frégate du roi la Magif^kenne, en Novembre 1781. I, 227.
TOyiER
(Anne leFèvre, épouse de M.),
jBlle de Tanneguy le Fèvi'e , profita des Jtçons de son père, et devint la femme |p plus savante de son siècle. Elle Hpousa M. Dacieren 1683 : c'étoil un Jffiomme aussi savant qu'elle , et tous iffleux s'immortalisèrent par leur érujBilion,par leur profonde connoissance |Bcs langues grecque et latine, par les ^Editions excellentes qu'ils donnèrent ■Iffl'un grand nombre d'auteurs anjjBicns , et par des traductions très|ffidel!es des meilleurs écrits de l'an|ffliquité. Madame Dacier mourut en
^■720, à 6g ans. Elle laissa des re-
Wtnarques sur l'écriture-sainte , qu'on ■tavoit inutilement sollicitée de donBpier au publie : « Une femme , répon|»> dit-elle , doit lire et méditer l'écriWÊP ture, pour régler sa conduite sur S> ce qu'elle enseigne ; mais elle doit H> garder le silence , conformément JB> au précepte de S. Paul. » M. Dar mourut deux ans après elle, âgé (ie 71 aus. III , 25g. »GOBERT , fils de Clotaire II, fut roi d'Austrasie en 622 , de Neus[ti*ie , de Bourgogne et d'Aquitaine en 628, après la mort de son père , et mourut à Epinay en 638. Il fut enterré à S. Denis , qu'il avoit fondé six ans auparavant. I . 417 , 455. III ,100. LE t le docteur) , ministre d'Elisabeth , reine d'Angleterre. II , 374. .MAS1THYMUS , roi de Calynde du temps de Xerxès I, roi des Perses. III , 302. AMOCLÈS , courtisan de Denys l'ancien tyran de Syracuse. II , 48}
AMis
, officier messénien , distingué par sa bravoure , et qui disputa le tronc a Arisfo/nène , après la mort d'EupJtaès , vers l'an 680 avant J. C. II, 107. A MON , célèbre musicien, précepteur du fameux Périclès. III , 238. AMON , citoyen de Syracuse, florissoit sous le règne de Denys l'ancien , et suivoit la secte de Pythagore. I,95. ANÉSIUS ou Dunes (Pierre) , disciple de Budèe et de Jean-Lasearis } profita si bien des leçons de ses maîtres,
192.'? , -
qu'il devint un des plus savans hommes de son siècle. Il fut le premier professeur du collège royal, puis curé de S. Josse , à Paris. François II, dont il avoit été précepteur , le choisit pour confesseur, et l'envoya au concile de Trente eu 1546. Il fut nommé évèquede Lavaur en i556 , et mourut en 1577 , à 80 ans. II, 122. DANGEAU ( Philippe Courcillon , marquis de ) , né en 1G 3 8 , s'avança par son esprit à la cour de Louis XIVy. et mérita , par son amour pour les lettres et les arts , plus que par ses écrits j une place à l'académie française et à celle des sciences. Il mourut à Paris en 1720. II , 323 f 338. in, 283. DANIEL , le quatrième des grands prophètes de l'Ancien-Testament, étoit de la tribu de Juda , et fut emmené captif à Babylone après la prise de Jérusalem, 606 ans avant J. C. Ses prophéties ont paru si conformes à l'histoire , que les ennemis de la foi ont cru qu'il n'avoit annoncé les faits qu'après leur existence. Ce saint homme fut fidelle à la loi de Dieu au milieu d'une cour idolâtre , et il sut se faire honorer et estimer par les adversaires même de sa religion. II, i5a. DAPHNOMÈLE , gouverneur d'Acre pour l'empereur Basile en 1017. III , 286. DARIUS I, fils à'Mysfaspes , se ligua avec six autres seigneurs persans , pour détrôner le mage Smerdis ; et apres qu'ils eurent poignardé cet usurpateur, ils convinrent de choisir pour roi celui d'entre eux dont le cheval henniroit le premier. L'écuyer de Darius attacha la nuit une cavale dans l'endroit où les compétiteurs dévoient se rendre. Le cheval de Darius plus avancé que les autres , sentant l'odeur de la cavale, se mit à hennir , et son maître aussitôt fut proclamé , 522 ans avant J. C. Durant un règne de 3-6 ans, ce prince fit de grandes conquêtes et essuya quelques défaites ; montra quelques vertus et beaucoup de vices ; mais malgré son ambition et son fasLe , il ne rendit pas son peuple malheureux. I , 112 , 166 , 2o3. II, i5 , ag 3 38o, 451. III, 8$, 120 1 1 34.
�4^4 TABLE HI STORIQUÉ DARIUS II , surnommé Ochus ou à l'âge de 5o ans. Bien n'étoit pls^ JSu/hus , c'est-à-dire , bâtard , parce commun , long-temps avant la rnoiilf qu'il l'étoit à' Arlaxerxès à la longue de ce prince , que ce proverbe (ja \. main , s'empara du trône de Perse coui'oit sur lui : ' Fils de roi, m i après la mort de Xerxès II , l'an de roi t sans être roi. Lui - niéuï p 424 avant J. C. Il lit quelques avoit déclaré, lorsque le duc d'Anjn I guerres par ses généraux et par fut roi d'Espagne , qu'il n'aspirai; Cjrus le jeune son fils, et mourut qu'à dire toute sa vie : << Le roi mil* après 19 aus de règne. I , 64. » père , et le roi mon fils ; •> parolar DARIUS III, surnomme Codoman , qui peignent sa modération , et pnjf i3.e et dernier roi de Perse, monta être aussi son indolence. I, 67, So.f sur le trône l'an 336 avant J. C. 496. Voulant arrêter les conquêtes A'A- DAUPHIN ( Louis ) , fils de Louis Xf\ lexandre-le-Grand , il lui livra trois né à Versailles en 172g , mourut batailles générales , qu'il perdit. le 20 Décembre 1765. Il joignoiljI Après la dernière il prit la fuite ; des talens naturels des corinoissaneci poursuivi par le vainqueur , il fut étendues , cultivées par une appU assassiné par liessus , gouverneur de cation constante. Sa douceur , la Bactriane , qu'il avoit comblé de affabilité , sa sensibilité pour la biens. Ce prince expirant demanda malheureux , ont rendu sa mémoiti ! un peu d'eau, qu'un Macédonien lui . précieuse à la nation. II eut fait soi apporta dans son casque : .1 Le bonheur s'il eût régné sur elle ; maà n comble de mes malheurs , lui ditses vœux sont réalisés par LouisXyit I " il en lui serrant la main , est de son auguste lils , qui a hérité da : " ne pouvoir récompenser le service vertus de son père eu succédant i » que vous me rendez. Témoignez à ses droits. III , 331. •■ Alexandre ma reconnoissanee pour DAUPHIN ( Louis-Joscph-Xavier-Fra » ses bontés envers nia famille inçois ) , fils de Louis XFI , et dit » fortunée , et dites aux miens que Marie-Anloinelle d'Autriche , ne . " je suis plus malheureux qu'eux , 22 Octobre 1781 , a comblé par si puisque je péris de la main de naissance les vœux de la nation " ceux à qui j'ai prodigué mes fafrançaise. Cet heureux événementi » veurs. » C'est ainsi que mourut été signalé par les actes d'iiunianili ce monarque , digne d'un meilleur les . -plus louchans ; toutes les vcrttii sort. En lui finit l'empire des Perses, patriotiques et chrétiennes se sont 23o ans après que Cjrus en eut réveillées , en quelque manière, jeté les fondemens. I, 102 , 245 , pour entourer et embellir le berceii 252 , a55 , 465. II , 7 , i3o. III , de ce jeune prince , et lui appreudtf, 45 , 154. par ce qu'il a fait faire à son peuple, DATIS , satrape et général de Darius ce qu'il doit faire un jour lui-mêint fils d'ffjsfaspes , roi de Perse. II, 16. pour ce même peuple. I , 81. DAVID , (ils û'Isaï , d'abord berger , DAUVELT ( Paul ) , marchand de li puis général , enfin choisi de Dieu capitale de la Gueldre, sous le règne pour succéder à Haïti sur le trône de Char/es-le-Nardi , duc de Bourd'Israël. Il mourut à Jérusalem , l'an gogne. II, 370. I»I4 avant J. C. dans la soixanteDAUZAT , savant professeur du comdixième année de son âge , et la mencement du seizième siècle. H, quarantième de son règne. 1,2, 122. 264 , 341. II, 68 , i.îo , 3*9. D'ÉANS (Jean), marchand d'Anvers 1 DAUPHIN ( Louis) , fils de Louis XIF, créancier de l'cmpei-eur Clwte' appelé Monseigneur ou le GrandQuint , qu'il tint quitte de quclq»» liuuphin né à Fontainebleau en millions d'or qu'il lui avoit prête 1661 , reçut une éducation digne II , 429. de son rang augtiste. Il fut mis de DÉCE ( Cneius-Melius QuitHus-Tra'f boune heure à la tète des armées , nus ), se révolta contre l'empeiwii et sa bravoure , sa douceur , sa Philippe son bienfaiteur , et se lit libéralité , lui gagnèrent le cœur et proclamer César. Il persécuta cruell'affection des Français. En 1700 , lement les chrétiens , et périt " il vit le duc d'Anjou , son second 251 , eu poursuivant les Goths f (ils , appelé à la monarchie d'Es«voient tué son lils. I , 465. pagne. Eu 1711 , il fut attaqué de la DÉCiUS-MUS ( Publias ) , cous»! petite-vérole, et mourut à Meudon , romain , qui se dévoua pour «
�DES J? E R S ONNAGES. patrie à la bataille de Véseris , l'an DÉMOCHARÈS , ambassadeur athénien 340 avant J. C. I , 211, 638. H, auprès de Philippe, père d'Alexandre196. le-Crand. II , 406. 3E0IBS-MUS ( Publias ), tribun de DÉMOCRAITE , fameux philosophe de l'armée romaine, qui délivra le la ville d'Abdère. Il fut sage dès sa consul Cornélius - Cossus , 343 ans plus tendre jeunesse , et se distinavant J. C. II, 61. gua dans toutes les sciences. Il se 3EJOCE , premier roi des Mèdes , rioit des actions humaines , qu'il vers l'an 710 avant J. C, régna 53 regardoit comme les scènes d'une ans. III , 8g. plaisante comédie , et enseignoit la 3ÉMADES, orateur athénien , joua pluralité des mondes. Il mourut âgé un grand rôle du temps de Philippe de 109 ans , 362 ans avant J. CI, et d'' Alexandre-le-Grand , rois de 240 , 25i. III , 63. Macédoine. Il fut mis à mort comme DÉMONAX , philosophe de l'île de suspect de trahison , 322 ans avant Crète , d'une maison illustre et J. C. I, 3o5. II, 406. III, 145. opulente , méprisa les avantages de DÉMARATE , roi de Lacédémone , la naissance et de la fortune , pour contemporain de Xerxès-le-Grand, se livrer à la philosophie , ne preroi de Perse , qui le reçutà sa cour, nant dans toutes les sectes que ce lorsque les Spartiates l'exilèrent. qu'elles avoient de bon , ressemII, 404 , 409. blant à Socrale du côté de l'esprit, DÉMÉNETE , citoyen de Syracuse , et a Biogène du côté des mœurs. Il qui osa accuser de malversation le mourut vers l'an 120 de J. C. Sur célèbre Timoléon , libérateur de cette le point d'expirer , il s'écria : « 11 ville. II, 451. » est temps de partir ; la farce est DÉMÉTRIUS , surnommé Poliorcète* , jouée. Il, 446 , 476. III, 68, 298. ou le preneur de villes , (ils d'An- DÉMON1DES , philosophe grec , né à ligonus , l'un des généraux qui sucLacédémone, et dont parle Plularque, cédèrent à la puissance d'AlexandreU, 444le-Grand, devint roi de Macédoine DÉMOPHANE , citoyen de Mégalopolis , par droit de conquête , l'an 294 disciple du philosophe Arcêsilas, et avant J. C. Il fut l'un des plus maître du célèbre PhilopérnenAl, 119. habiles guerriers de son siècle; mais DEMOPHON , capitaine athénien lequel il ne maîtrisa point la fortune , puisvint au secours des bannis qui renqu'il mourut vaincu et prisonnier , dirent la liberté à Thèbes , leur l'an 286 avant J.C. 1,109 , 147 , 148, patrie, sous la conduite de Pèlo~ 245 , 489. II, 193. III, 172. fjidas. I , 1 84. 3ÉMETRIUS DE PHALÈRE , fameux DEMOSTHENES , prince des orateurs , disciple de Thèuphraste, gouverna naquit à Athènes d un citoyen assez Athènes durant dix ans avec tant riche, qui faisoit valoir des forges. de sagesse, qu'on lui érigea autant Sa mâle éloquence réveilla le courade statues qu'il y a de jours dans rage abattu des Grecs, et déconl'année ; mais bientôt, victime de certa Philippe , roi de Macédoine. la jalousie d'un peuple ingrat et Mais autant il étoit redoutable danssoupçonneux, il fut exilé , ses stala tribune , autant il étoit timide tues furent renversées , et i 1 chercha dans une année. Il prit la fuite à un asile à la cour de Ptolèmée Lagns, la bataille de Chéronée , livrée roi d'Egypte. Le fds de ce prince ne par ses conseils. Exilé d'Athènes , le traita pas moins favorablement. et près de tomber entre les mains Ce philosophe mourut vers l'an 284 de ses ennemis, qui le faisoient avant J. C. I. io5, 108. III, 33o. poursuivre , il s'empoisonna, l'an ÛÉMÊTRIUS, lils de Philippe , roi de 322 avant J. C. La meilleure édition Macédoine , étant devenu suspect à de ses harangues est celle de Francson père , fut étranglé par l'ordre de fort, 1604, in-Jol. I, 17. II, 123, ce prince, l'an 180 avant J. C. Il i37, i38 , i5g, 178, 262 , 3i3 , 4o3 , n'avoit que 25 ans , et s'étoit acquis 406. III , 104 , 206 , 421. la bienveillance des Romains. I, DÊMOSTHENE , capitaine athénien , >47envoyé avec A iiias , contre les SyDÉMÉTRIPS, philosophe cynique sous racusains , qui les vainquirent, les l'empire de Fespasien. 1, 319. iirent prisonniers, et leur donnèrent DEMÉTIUUS , évéque d'Alexandrie du la mort, l'an 4i3 avant J. C. U, temps d'Origine, II, 182. 23o.
4*^
�4*6
DENYS,
TABLE HISTORIQUE
contrôleur-général des finances. Il mourut en 1721 , laissant sur son administration un mémoire très' curieux , qui a été plusieurs fo« réimprimé. I , 314. DESQUERDES , maréchal de France sous Louis XI , dont il accrut la conquêtes. II , 407. DESROULEAUX ( Louis ) , nègre de Saint-Domingue, digne de vivre dans l'histoire par les marques d'affection qu'il a données à son maître I , 86. DEUCËTIUS , chef des peuples d'une partie de la Sicile. III , 65. DL&US , citoyen de Cprinthe l'an Gjfi m, us. ( avant J. C. II , 86. DERAR , général musulman , collègue DlAGORE , philosophe de l'île de flfèh', de Khaled , contribua beaucoup au disciple de Dèmocrite , fut condamné gain de la bataille à'Ainadin , camà mort par les Athéniens , l'an 41S pagne voisine de Damas , où les avant J. G., pour ses impiétés ; maïs troupes de l'empereur IJéracfius fuil évita par la fuite l'exécution de rent taillées en pièces par les Sarracet arrêt. III , 63. sins , le 25 Juillet 633. III , g3. DESCARTES t Mené ) , né à la Haye DIANE DE POITIERS , duchesse de Yalentïnois , maîtresse de Henri II vo{ en Touraine , d'une famille noble , de Fiance. 1, 444. III , 140. en 1596, fut d'abord militaire , puis quitta les armes pour la philo- DIDIER-JULIEN , usurpa l'empire aprîs la mort de Ptrtinax ; mais il ne sophie. Il la créa , pour ainsi dire. monta sur le tronc que pour en être Il fit pour les modernes , ce que précipité presque aussitôt pariViw, Socraie avoit fait pour les anciens : qui le vainquit et le Ut tuer, l'an igî il leur apprit à penser. Il réforma , de J. C. I , 393. en quelque sorte , toutes les tètes , DIDIER, évoque de Verdun, sous le et désigna aux mortels les routes règne de Théodebert roi de Mclz. qui conduisent au vrai. Il leur 412. donna le flambeau ; et c'est à sa lueur que l'on a fait depuis tant DÎNA , fille du patriarche Jacob et de Lia. II , 68. de progrès dans la théorie de la sagesse , sans que la pratique y ait DlNOCRATE , chefs des Messénicns, et ennemi du célèbre Philopèmtn. beaucoup gagné. Ce grand homme II, 126. mourut en Suède, où la reine ChrisDIOCLÈS , citoyen de Syracuse , l'an line l'avoit appelé, le 11 Février 413 avant J. C. II , a3r. i65o. L'édition française de ses ouvrages , est composée de i3 vol. DIOCLÉTIÊN ( Calas - Valirius ), fili d'un greffier , et, selon d'autres, irt-12. II, 175, 340. III, 207, d'un esclave. D'abord soldat, il par449 » 452. vint , par degrés , jusqu'au trône des DESHAYES DE COURMENIN, gentilCésars , où il fut élevé l'an 284, homme français , haï du cardinal de après la mort de Nuniérien. Il partaJlîchelieu, qui le Ht arrêter par ordre gea l'empire entre plusieurs collède Louis XIII, sous le nom duquel gues qu'il se donna 3 persécuta 1''* il gouvernoit la France. I , 110. chrétiens , et abdiqua l'autorité suDESMARETS, avocat-général au parprême , en 3o5 , pour vivre eu philement de Paris , sous le règne de losophe dans la retraite. I , 11 i Charles VI', à qui il rendit de grands io3 , 398. services , dont il fut récompensé en périssant sur un échafaud , à l'âge DlOGÈNE , surnommé le Cynique ou le Chien , à cause de la liberté de de 70 ans. II, 57. sa langue et de la licence de ses DESMARETS ( Jean ) , qui fut assassiné mœurs , ayant été banni de Sinope par le seigneur de Ta/art , sous le pour avoir fait de la fausse monnaie', règne de François I. Il , 377. se réfugia à Athènes , où il se mit ' DESMARETS ( Nicolas ) , neveu * du étudier la philosophie sous AnlHsgrand Colbert, devint ministre d'état' line. Il s'enferma dans un tonueau, SQlts le lègue de Louis XIV , puis surnommé VAncien , s'empara de la souveraine puissance à Syracuse , régna en grand, politique , et mourut après 38 ans de tyrannie, L'an 3o*8 avant J. C. 1, 3i , g5, 123 , \ 3o5 , 32i. H , 48 , 192 , 222 , 38g, frag , 463. III , 69 , 155. DENIS-LE-JEUNE , {ils du précédent, lui succéda dans sa tyrannie. Ses cruautés le rendirent odieux : Dion et Tintolèon le chassèrent l'on 3^.3 avant J. C. Il se retira à Corinthe , où réduit, dit - on, à la plus extrême misère , il se Ht maître d'école pour subsister. I , 168. II, 26, 40.
t,
�1*» ES PKR S 1527 , mort en Allemagne en i5gi , & réduisit ù rien , se détacha de tout, laissant des commentaires latins sur excepté la vanité, qui fut le mobile le droit civil, et quelques œuvres de toutes ses actions. La singularité posthumes. II, 437* qu'a liée toit ce gueux orgueilleux , lui tit des disciples qui marchèrent DORFLING , célèbre officier prussien 4 qui , de simple garçon tailleur , desur ses traces et recueillirent ses vint général, et se signala sur-tout: maximes. Il mourut vers Pan 3 20 en 1665. III, 229. avant J. C., s'étant étouffé lui-même en retenant son haleine. 1,241, 3o5 , DORIA {'Lûcfan) , général génois , tué dans une bataille navale qu'il gagna 584. II, 123 , 376. III, 67, 161. près de Poli, sur les Vénitiens , ea DlOMÈDÉ , intendant de la maison I379! 78. d'sttfgtiste. 1, 357. DlOMKDON, général athénien, que ses DORIA ( André ), l'un des plus célèbres capitaines du seizième siècle, servit r.cnipalriotos condamnèrent à mort, tour à tour le pape Innocent FUT, le avec cinq autres de ses collègues , roi François /, et l'empereur Charles-' l'an 406 avant J. C. II, 4-25. Quint, qui le combla de tous les honDION, capitaine syracusain , et beauneurs dus à son mérite êt à ses nomfrère de Dejys-le-jeune , qu'il débreuses victoires. II refusa généreupouilla de la tyrannie, pour rendre sement la souveraineté de Gènes sa la liberté à sa patrie , l'an 343 avant patrie, aimant mieux enctre le proJ. C. Il fut assassiné par Cullippe tecteur que le maître. Il mourut dans quelque temps après. 1, 16g ,521. II, cette ville, pleuré de ses concitoyensa 162 , 35i , 415, 451. III, i36. en i56o , âgé de 94 ans. II, 337Do DARD ( Denys ) , conseiller médecin du roi , et premier médecin du DORIA ( le prince), de la famille des précédens, l'une des plus illustres de prince et de la princesse de Conti , Gènes , chassa de cette ville le marpuis du roi Louis XIV, membre de quis de Botta , général autrichien t l'académie des sciences, naquit à qui s'en étoit emparé en 1746.1, 220, Paris en 1634 1 et y mourut en 1707 , DORIPHORE , affranchi de Néron , et universellement regretté. 1, 113. III, que cet empereur, aussi insensé que 250. féroce , prit pour mari, s'étant luiDoLGOROUSKI, ministre de Pierre //, même déclaré femme , parce qu'il ea empereur de Russie, mais dont la avoit pris les habits. 1 , 373. faveur dura peu. Il fut exilé en SiDOUZA {Janus). Voy. YANDERDOES. bérie. II, 37. DRACILIEN , vicaire des préfets sous1 Do MAT ( Jeun ) , célèbre jurisconsulte l'empire du grand Constantin. III, français , mort à Paris en 1696 . à 70 58. ans. Il a beaucoup travaillé sur les lois ; et son ouvrage sur cette matière DRACON , archonte athénien , vers l'an 624 avant J. C. , donna des lois si sx été réimprime plusieurs fois. On ne rigoureuses à Athènes , que Dèmades peut trop en recommander la lecture disoit qu'elles avoient été écrites a eeux qui veulent acquérir de soavec du sang et non avec de l'encre, lides lumières sur la jurisprudence que le sage So/on abolit les unes, civile et canonique. III, 25. et tempéra les autres , à cause de DOMINIQUE, fameux arlequin de la leur extrême sévérité. Cependant les comédie italienne , sous le règne de Athéniens regardèrent l'opération de Louis XlVy qui l'honora de-ses bonce rigide législateur , comme un tés. II, 172, III, 67, 100. bienfait qui leur étoit nécessaire; et DOMITIA , femme de l'empereur Domipour lui témoigner leur reconnois. tien, aussi dissolue qu'il étoit cruel. sance, ils l'accueillirent, un jour I, 385. qu'il se montra sur le théâtre , avec DOMITIEN ( Titrts-F/m'ius ), empereur des acclamations réitérées» et lui romain , lils de Vespasien , succéda à jetèrent tant de manteaux, tant de la puissance, mais non aux vertus robes et de bonnets , suivant la coude Tite son frère , Tan 81 de J. C. Il tume de ce temps-là , qu'il étouffa imita Néron , et mourut assassiné par sous le poids de ces preuves accuun de ses affranchis , dans la quinmulées de leur estime. II, 371. zième année de son règne , et la quarante-cinquième de son âge. 1, 3o8 , DRUSILLE , l'aînée des sœurs de Caligula , que cet empereur mit au ran^ . 384. III, 36*. des déesses , après l'avoir soumise a Do NE AU ( Hugues ), jurisconsulte césa lubricité; 1, 367. lèbre , né a Chàlons-sui-Saône, en
1
Tome IIL
Dd
�4l8
TABLE
HI STOB.IQUE
DRUSUS , onde de Coton d'Utique. II, Qui de ses vains écrits lecteur harma. 200. nieux , DRUSUS ( Marcus-Livius ) , tribun du Aborde en récitant quiconque le salue, peuple romain , environ l'an 90 Et poursuit de ses vers les passans dam avant J. C. II, 347. la l ue : DRUSUS , fils de Gernuinicus et à'Agrip- Il n'est temple si saint, des anges respine, fut d'abord élevé aux premières pecté , magistratures de l'empire ; mais en- Qui soit contre sa muse un lieu de sûsuite il devint la victime des artifices reté. de Si/an , favori de Tibère ; et cet empereur l'ayant fait emprisonner , Duperrier mourut en 1692, Ses pièces le laissa mourir de faim l'an 33 de sont éparses en différons recueils, J. C. I, 363. I, 121. Duc ( le ), médecin français à la cour DUPERRON ( Jacques Daiy ) , célèbre de Constantinople , en 1710. I, 57. cardinal , contribua beaucoup à la DUCHATEL (M.), lieutenant-général, conversion de Henri IF. Il futnommé et commandant dans la ville de Lin ta évêque d'Evreux , puis archevêque en 1751. II, 209. de Sens , et rendit par ses savons DucXER, général suédois , et gouverécrits d'importans services à l'Eglise, neur de Stralsund pour Charles XII, Ils forment 3 volumes in-folio. Le roi de Suède , en 1714. 1, 11. pape Paul V avoit tant de déférence DUFRESNY ( Charles Rivière ) , né à pour les sentimens de ce prélat, qu'il Paris en 1G48, passoit pour petit-lils avoit coutume de dire : « Prions de Henri IV, et lui ressembloit. Il » Dieu qu'il inspire le cardinal Dujoignoit à un goût général pour tous >* perron , car il nous persuadera les arts, des talens particuliers pour '• tout ce qu'il voudra. " Il mourut la musique et le dessin. Sans crayon, à Paris le 5 Septembre 1618, à 63 sans pinceau, sans plume , il faisoit ans. I, 25o. des tableaux charmans. Il preuoit DUPIN ( Louis-Elie ), docteur de Sordans différentes estampes des parties bonne , savant et laborieux écrivain, d'hommes , d'animaux, de plantes , qui a laissé un grand nombre d'oudont il formoit un sujet dessiné seuvrages sur l'histoire et la bibliogralement dans son imagination. Il exphie ecclésiastique , et sur la théocelloit sur-tout dans l'art de former logie. Il mourut en 1719 , à 62 ans. les jardins ; et c'est à lui qu'on doit II, 488. les premières idées de ceux que l'on DUPLEIX ( M. ), intendant de Picardie appelle anglais ou anglo-chinois , si en 1768. I, 288. agréables par leur variété , et dont DUPLESSIS-BOUNÉ , intendant des finanle goût s'introduit chez toutes les ces sous Louis XI, roi de France. nations de l'Europe. Il s'adonna aussi III, 335. à la littérature, et sur-tout à la DUPONT , capitaine français sous le poésie. Il a fait des comédies , dont règne de Henri III. Il fut la victime quelques-unes sont encore vues avec de ses brigandages. I, 478. plaisir. 11 mourut en 1724 , à 76 ans. DUPRAT ( Antoine ) , chancelier de Ses ouvrages , fruits d'une imaginaFrance t eut de grands tal us , et fut tion enjouée , badine, et quelquefois un des plus profonds politiques (le originale , ont été recueillis en 6 vol. son siècle. Ayant perdu sa femme, in-12. II, 172. il embrassa l'état ecclésiastique. Il DUGXS ( M. ), prévôt des marchands de fut successivement évèque de Meaiix, la ville de Lyon. II, 346. d'Albi, de Valence , de Die, de Gap , DUNOIS. Voy. JEAN D'ORLÉANS. archevêque de Sens , et enfin cardiDuPERRIER ( Charles ) , poète latin et nal en 1527. Il mourut 8 ans après, français, fut le rival et néanmoins à 72 ans , et fut enterré dans son l'ami du célèbre Santeuil. Il remporta église de Sens , où il n'avoit pas mis plusieurs fois le prix de l'académie le pied de son vivant. A tous ses française. Il avoit la manie de lire titres il joignoit celui de légat du ses vers à tous ceux qu'il renconpape en France. 1, 309. trait ; et c'est pour peindre son ridi- DUQUESNE ( Abraham ), se distingua cule , que Boileau dit dans son Art dans la marine dès l'âge de 17 ans. poétique : L'Asie, l'Afrique et l'Europe furent Gardez-vous d'imiter cerimeur furieux, témoins de sa valeur, et parlent encors de ses exploits, Louis XIV,
�DES
J? E lt S
()NH
AGES,
4Tf)
pour récompenser ses nombreux services , lui donna , pour lui et sa postérité , la terre du Bouclier , l'une des plus belles du royaume , située près d'Etampes , et l'érigea en marquisat , à condition qu'elle s'appelleroit la terre de Buquesne, afin d'immortaliser le nom de ce héros. Il mourut en 1688 , à 78 ans , avec le titre de général des armées navales
de France. Il ne Pavoit point ambitionné , car sa modestie égaloit son mérite. III, 125. DUSAULX ( M. ), de l'académie des inscriptions et belles-lettres de Paris t écrivain estimable , et qui consacra son érudition à la gloire de la vertu. II, 328 , 336. DYÉTENTUS , fils aîné d'Andiatorigès * sous le règne à?Auguste. I, 166,
E
EBBA ,
abbesse du monastère de Collingham en Angleterre , en 870. I, 467. . . , EBUSE , dame romaine , veuve du consul Menenius-Agrippa. I, 14.7. ECCHELLENSIS ( Abraham), savant Maronite , fut professeur des langues syriaque et arabe, au collège royal à Paris. Il fut rappelé à Rome pour y être professeur des langues orientales. Il mourut dans cette capitale du monde chrétien en 1664, laissant beaucoup d'écrits sur les sciences qu'il professoit. I , 446. ECDÉLUQUE , banni de Mégalopolis , aida le fameux Aralus à détruire la tyrannie dans Sicionne. I, 187. ECDEMUS , citoyen de Mégalopolis , disciple d'Arcèsilas , et maître du célèbre Philopèmen. II, 119. EDGAR ou Edgard , roi d'Angleterre , surnommé le Pacifique , gouverna avec sagesse , et mourut en 975, après 16 ans de règne. C'est lui qui imposa à la province de Galles un tribut annuel de tètes de loups, pour dépeupler l'Angleterre de ces animaux. II, 416. EDOUARD III ( S. ) , roi d'Angleterre , laissa sa couronne à Guillaume-leConquérant , duc de Normandie , et mourut en 1066. III, g3. EDOUARD I, roi d'Angleterre, succéda à Henri III son père, en 1272. Il se croisa deux fois pour la Terre-Sainte, montra un courage héroïque , fit la guerre à la France, agrandit ses états , donna à son parlement une forme et une constitution à, peu près semblables à celles qu'il a encore aujourd'hui, et mourut en i3o7 , à 68 ans, dont il avoit régné 34.1, 433. EDOUARD III, roi d'Angleterre , après avoir fait la guerre contre l'Ecosse, la déclara à la France ; publia dans un manifeste ses droits chimériques à la couronne de France , et fit des conquêtes pour les soutenir. Il prit Calais , et secondé par son fils, il gagna d'importantes victoires. Mais ce lustre fut terni dans sa vieillesse.; la fortune cessa de le favoriser ; et ce prince , qui avoit vu deux rois; prisonniers à sa cour , Jean , roi da France , et David de Brus , roî d'Ecos«e, comme eux mourut malheureux en 13y 7 , à 65 ans , dont il avoit régné 5o. 1, 221. EDOUARD, prince de Galles , fils du. précédent, se signala par sa bravoure , par ses triomphes , et surtout par ses vertus ; mais il ne monta point sur le trône, et mourut avant son père. 1, 266. ELÉAZAR , vénérable vieillard , qui sous le règne d'Anliockus-Epiphane ^ aima mieux perdre la vie que de manger des viandes défendues par la loi de Moyse. II, 147. ELÉAZAR , surnommé Auran , digne frère de Judas-Machabée, sous le règue à.'Antiochus-Eupator. 1 , 343. EEEON , orateur grec , contemporain, de Lysandre , général de Sparte. II w 102. ELIE , Pun des plus célèbres prophètes de l'Ancien Testament, vrvoit sous les règnes d'Achab et de Josaphat. Il fut enlevé au commencement du règne de Joran , dans un tourbillon de feu en forme de char, vers Pan 8g5 avant J. C. 1, 277. II, i5o. ELISABETH ( sainte ) , fille d'André II ; roi de Hongrie, née en 1207 , mariée au landgrave de Hesse, perdit son époux en 1227 , et mourut en 1234 t à 24 ans. Le pape Grégoire IX l'a canonisée 4 ans après. I, 455. ELISABETH , reine d'Angleterre , fille de Henri VIII et d'Anne de Boulen , naquit le 8 de Septembre 1533 j monta sur le trône en 1559 ; étala, aux regards de l'Europe étonnée.^ toutes les qualités des plus habites monarques ; et, quoique ses défauts fussent grands , mérita d'être proposée à la postérité comme le modèle le plus parfait des souveraines. Soc.
Dd
2
�1 TABLE HI règne esl le plus beau spectacle qu'ait eu l'Angleterre. Elle le termina glorieusement, comme elle l'àvoit commencé , en 16o3 , à ;o ans. II, 129, 229 , 35à , 374ELISÉE, disciple d*EUe , hérita de son manteau et de son double esprit prophétique. Il lit plusieurs miracles plus éclatans encore que ceux de son. maître , et mourut à Samarie vers l'an 83o avant J. C. , à l'âge d'environ 100 ans. III, 274. ELME ( S. ) Voy. GONÇALÈS. ELOI ( S. ), né à Cadillac dans le Limousin , en 588 , devint trésorier de Dagobert I, roi de France. Il excelioit dans l'orfèvrerie. Ses vertus le placèrent sur le siège de Noyon , en 640 ; et il remplit avec un zèle apostolique tous les devoirs de l'épiscopat. Il mourut en 658 , après avoir fondé un grand nombre d'églises et de monastères. I, 455. II, 73. EMILIE , aïeule de Scipion-Emilien. I,
73/.
4^0
STORIQUE vrée du joug de Lacédémone , la g/m? verna sagement , et mourut en combattant pour sa grandeur et pour sa gloire , l'an 363 avant J. C. I, i47 1 183 , 202 , 252, 341. H, 88 , 212, 283 , 3i4 , 35g. JII, 3o , 205,327,
542. EPAPHRODITE, affranchi de Néron , et
maître d'Epivlhle. Il fut mis à mort par ordre de Domitien. II, 381 EPERNON ( le duc d') , favori de Henri III et de Henri IV, rois de France, III,2H. EPERNON ( le duc d') , sous le règne de Louis XIII, roi de France. I,
258. EPHESTION , ami et confident d'Aleocandre-le-Grand s qui Pappeloit son frère. Il mourut à Ecbatane , 3i5 ans
, gouverneur de Tarragone en Espagne , en 259 , sous l'empire de Valêrien. I , i3l. EMILIUS OU JEmilius PAULUS ( Lucius ) , fut deux fois consul : la première , Pan 219 avant J. C. , avec M. LiviusSalînalov ; et la seconde, l'an 216 avaut J. C. , avec l'imprudent ÇaïusTcrenlius-Varron , qu'il accompagna à la bataille de Cannes, et dans laquelle il périt. III, 157. EMILIUS ou 'JEmilius PAPUS ( Qubtlus >, Romain célèbre , fut deux fois consul ; et chaque fois il eut pour collègue le fameux Fabricius : tous deux marchèrent contre Pyrrhus , l'an 2;8 avant J. C. I, 778. EMILIUS OU sEmdius SCAURUS ( 3'Iurcus ), fut deux fois consul ; la première , 115 ans , et la seconde , j o 7 avant J. C. II, 283. ENNIUS ( Quintus ), tira la poésie latine du fond des forêts , pour la transporter dans les villes ; mais il lui laissa encore beaucoup de rusticité. L'élégant, le doux Virgile avoit souvent dans les mains le dur et grossier Eruùus} il s'en approprioit même des vers entiers , et se contentoit de dire , pour justilier son larcin , que c'étaient des perles qu'il tiroit du fumier de ce poète. Ennius mourut de la goutte vers l'an 169 avant J. C., et fut inhumé dans le tombeau de Scipion son ami. III, 2i3. EPAM1N0NDAS , célèbre Thébain , qui illustra sa patrie après Pavgir déliEMILLEN
avant J. C. Le monarque pleura vivement sa perte , et fit mettre en croix le médecin qui l'avoit soigné sans pouvoir le guérir. 1, 102 , 114 , 256 , 465. II, 174. m, 334. EPICHARME , poète comique de Sicile , sous le règne d'Hiéron , tyran de Syracuse , c'est-à-dire, vers l'an 473 avant J. C. II, 70. EPICTÈTE , philosophe stoïcien d'Hiérapolis en Phrygie , fut esclave d'Epaphrodi/e , affranchi de Néron, Le philosophe parut libre dans sa servitude , et son maître se montra indigne d'avoir cessé d'être esclave, Evictète supporta avec une patience héroïque les mauvais traitemens accumulés , et les bizarreries féroces de cet homme brutal, et ne se plaignant de rien : » Je suis , disoit-il, " dans la place où la Providence vou» loit que je fusse: en murmurer, « c'est l'offenser. » Il avoit coutume de dire que toute la philosophie étoit renfermée dans la pratique de cette courte maxime : « Supportez et abs» tenez-vous. » Epictète mourut dans un âge fort avancé, sous le règne de l'empereur Marc-Aurèle. La lampe de terre dont il se servoit pour éclairer ses veilles philosophiques, fut vendue, quelque temps après sa mort, trois mille drachmes. C'est de tous les sages du paganisme celui dont les principes et la doctrine approchent le plus des maximes de l'Evangile : il est même probable qu'il avoit puisé des lumières dans cette source féconde. Arrien , son disciple , a publié quatre livres des discours qu'il avoit entendu prononcer à son maître : c'est ce que nous avons sous le .nom. d'Enchiridion ou Manuel d'Epiç*
�DES FERS 'tète, souvent réimprimé et traduit, et dont on a fait le plus grand cas dans tous les temps. III, 166. EpiCURE, l'un des plus grands philosophes de l'antiquité, se fixa à Athènes à l'âge d'environ 36 ans , et y érigea une école dans un beau jardin qu'il acheta. Il y philosophoit tranquillement avec ses amis , et y forma un grand nombre de disciples avec lesquels il vivoit en commun. La frugalité étoit l'ame de leurs repas , puisqu'ils ne mangeoient que du pain et des légumes , et ne buvoient que de l'eau. Epicure faisoit consister la félicité de l'homme dans le plaisir et la volupté , non pas comme ses ennemis l'ont publié , dans les voluptés sensuelles , mais dans celles qui sont inséparables de l'amour et de la pratique de la vertu. On interpréta mal sa doctrine ; et quelques-uns de ses disciples croyant devoir la suivre à la lettre, se livrèrent à la débauche. Dès-lors il y eut deux classes d'Epicuriens , les uns austères , les autres relâchés : et ces derniers ayant formé le plus grand nombre , donnèrent lieu à la mauvaise opinion que l'on a conçue des principes de leur maître. Epicure mourut à l'âge de 72ans, l'an 271 avant J. C. Gassendi, l'un de ses plus grands admirateurs , a recueilli tout ce qui concerne la vie , la doctrine et les écrits de cet homme célèbre , et en a formé un vol. in-4. I, 114. III, 207. EPICYDE , citoyen d'Athènes , contemporain de Thèmistocle. I, 198. EPONINE , épouse de Sabinus , prince gaulois sous l'empire de Vespasien. I, 124. ERARD t Guillaume ) , docteur en théologie , l'un des fanatiques qui jugèrent la Pucelle d'Orléans. III, 323. ERASISTRATE , petit-fils i'Arislole , cultiva la médecine avec le plus grand succès , et s'attacha au service de Seleucus-Nicanor, roi de Syrie. C'est lui qui découvrit la cause de la maladie du fils de ce monarque , et la guérison qu'il procura au jeune prince lui valut cent talons. 1, 140. ERIXONE , épouse d'Archélaiis, roi de Macédoine. 1, 13o. ERPENEAU ( M. d'), officier , que M. de Turenne fit gouverneur de Philisbourg. III, 338. ESCHINE , célèbre orateur grec , né à Athènes, 397 ans avant J. C. Il fut le rival de Démoslhènes , et le seul de ses contemporains qui pût lutter
2 1 5 N N A G E S. contre lui. Les Athéniens admirèrent Dé/uosthènes , et furent charmés d'entendre Eschine : telle étoit l'estime qu'ils faisoient de ses écrits , qu'ils donnèrent le nom des trois grâces aux trois harangues qui nous restent de lui, et celui des neuf muscs à neuf de ses épîtres. On les trouve dans les orateurs grecs des Aida , in-fol. 8 vol. Venise, I5I3. Il est moins véhément , moins rapide, mais plus fleuri et plus abondant que son rival. II, 3i3. ESCHINE , philosophe , disciple de Sacrale , ami d'Aristipe , a laissé des* dialogues , dont Jean Leclerc a donné une bonne édition en 1711. I, 107. II, 172. III, 118. ESCHYLE , célèbre poète grec, né dans l'Attique vers l'an 525 avant J. C. , est regardé par les anciens comme le pi-incipal auteur de la tragédie. C'est lui qui introduisit sur la scène les interlocuteurs , l'usage du masque et le cothurne. Il nous reste sep^ de ses pièces , admirables par la grandeur , la sublimité, la véhémence du style. On dit que la première fois qu'il fit représenter ses Eumcnides, plusieurs enfans moururent de frayeur au théâtre , et que quelques femmes enceintes avortèrent. Les meilleures éditions de ces tragédies sont celles de Henri Etienne ; de Stanley-^ Londres , 1663 , in-fol. ; et celle de Glascow , 1746 , 2 vol. in-8 , précieuse pour la beauté de l'exécution. II, 174, ESCLAINVILLIERS ( M. d'), gentilhomme picard sous la minorité de JLouis XIV, et qui parvint au grade de lieutenantgénéral. II, 210. ESOPE , le plus ancien auteur des apo* logues, après Hésiode qui en fut l'inventeur , naquit eu Phrygie , et fut d'abord esclave. Il obtint sa liberté , et s'étant rendu célèbre par ses allégories morales , Crésus , roi de Lydie, le fit venir à sa cour. Les Dclphiens irrités contre lui , le précipitèrent du haut d'un rocher. Il llorissoit vers l'an 582 avant J. C. II, 14, 256,
4
3o6. ESPINET ( Guillaume ), promoteur du
diocèse de Beauvais , l'un des juges de la Pucelle d'Orléans. Les Anglais , dont il servit aveuglément la ven-1 geance , le chassèrent de Rouen quand il ne leur fut plus nécessaire, et il mourut dans un colombier. III,
321. ESTHER , nièce de Mardochce, Juif de
Dd 3
�belles-lettres. Pour rendre ses éditions plus correctes, il en faisoit exposer les feuilles dans les places publiques , et paydit libéralement ceux qui y trouvoient quelques fautes. Tout parloit lalin chez lui , depuis le grenier jusqu'à la cave. Les docteurs de Paris lui suscitèrent quelques affaires ; et pour éviter les suites de leur animadversion , il se retira à Genève , où il finit ses jours à 56 ans, en 155g. 1, 247. EUCLIDE, né à Mégare , s'attacha à Socrate , et profita de ses leçons , non pour développer comme son maître les principes de la morale , la seule science nécessaire à l'homme, mais pour forger une dialectique captieuse , par laquelle il soutenoit le pour et le contre , et étoit toujours en état de disputer. Il se fit des disciples qui disputoient sans cesse , et sa secte fut nommée Mègarique ou Querelleuse. I, 168, 242. EUCLIDE , célèbre mathématicien, né à Alexandrie, enseigna dans celte ville vers l'an 3oo avant J. C. , sous le règne de Ptolomèe-Lagus. Son meilleur ouvrage est celui qu'il a donné sur les élémens de géométrie. On en a fait une multitude d'édi541. tions , dont la plus estimée est celle ESTURMEL ( M. d'), gentilhomme frande David Grègory. Oxford , 1703 , inçais des environs de Péronne, défenfolio. II, Si , 188. dît vaillamment cette ville en 1536. EUDAMIDAS, roi de Sparte , vers l'an III, 46. 326 avant J. C. II, 341. ETÉOCLES , éphore ou magistrat de EUDAMIDAS, citoyen de Corinthe, ami Lacédémone du temps â'Alexandreà'Arethus et de Carixène. 1, 96. le-Grand et d'Anlipater , qui gouver- EUDES , comte de Paris , duc de noit la Macédoine pour ce prince. France , l'un des plus vaillans prinII, 201. ces de son siècle , soutint le siège de esclave romain , ETESINUS ( Furius ) , Paris contre les .Normands , en 88/, devenu libre et célèbre par son inet fut proclamé roi de la France dustrie. II, 371. occidentale l'année suivante. II mouETIENNE (Saint), disciple de Gamarut en 898, à la Fère en Picardie. liei , fut un des sept diacres choisis I, 4". par l'assemblée des premiers chré- EUDOCIE. Voyez ATHÉNAÏS. tiens , et eut le premier PhonneUr de EUGÈNE ( François de Savoie, connu remporter la couronne du martyre sous le nom de Prince ), généralisen défendant la foi de Jésus-Christ. sime des armées et sauveur de l'EmIII, IV pire , naquit à Paris en r663 , prit ETIENNE , affranchi de Domiiia , d'abord le petit collet, puis le quitta femme de l'empereur Domitien ; ce pour les armes , s'immortalisa \m fut lui qui assassina ce prince cruel, une foule de triomphes , fit trembler Pan 96 de J. C. 1, 385. tour à tour les puissances de l'EuETIENNE ( Henri ), célèbre imprirope ; fut peut-être le premier capimeur de Paris , mort en 1520. II, taine dans un siècle qui en produisit i85. tant ; et mourut subitement à ETIENNE ( Robert ) , fils du précédent, Vienne en iy36. H, 127, 216, embrassa la profession de 6on père , 449. et ennoblit son art par une connois- EULOGE( Saint), diacre et compagnon sance parfaite des langues et des du martyr sain,t Fructueux , durant
TABLE H I la tribu de Benjamin , mérita par ses vertus d'épouser Assuêrus , roi de Perse , après que ce prince eut répudié l'orgueilleuse Vas/ni sa première femme. Racine a mis cet événement sur le théâtre ; et cette tragédie fut faite pour les demoiselles de Saint-Cyr. I, 279. ESTRADE C Godejroi, comte d') , maréchal de France , ambassadeur en Hollande en 1662 , mourut après avoir été chargé de diverses autres négociations aussi importantes , en 1686 , à 79 ans. 1, 248. ESTRÉE ( François-Annibal d* ) , duc , pair et maréchal de France , né en i573 , embrassa d'abord l'état ecclésiastique , et fut nommé évèque de Laon par Henri IV; mais il renonça à cette dignité pour prendre le parti des armes. Il signala sa valeur à la tète des troupes , et mérita les honneurs dont il fut comblé. Il mourut à Paris en 1670, à 98 ans. Il étoit frère de la célèbre Gabrielle d^Estrèe , celle des maîtresses de Henri IV que ce monarque aima le plus, et qu'il auroit vraisemblablement épousée , si une mort inopinée et terrible n'eût tout à coup mis fin aux projets ambitieux de cette belle favorite. I,
422
.TORIQUE
�I la persécution allumée par l'édit de l'empereur Valerien , en 256. I , i3. I KuMENE , fils d'un simple voiturier,
DES FERS ONNAGES. 423 i6g4 , in-fol. : cette dernière a éclipsé toutes les autres. L'Andromaque d'Euripide fit une impression si vive mérita , par sa valeur , l'estime sur les habitans de la ville d'Abdère, d'Alexandre -le - Grand , qui lui fit qu'ils furent tous atteints d'une esépouser la sœur de Barsine , l'une de pèce de folie , causée par le trouble ses femmes. Après la mort de ce conque la représentation de cette pièce quérant, il se montra digne de lui sucavoit jeté dans leur imagination. céder , et régna sur la Cappadoce et Pour caractériser Sophocle et Eurila Paphlagonie. Ces provinces lui fupide , les deux plus grands tragiques rent contestées par Anligonus ; et il de l'anti<iuité , on dit que le prefut obligé de lui déclarer la guerre. mierrepresente les hommes tels qu'ils Il la soutint vaillamment ; mais endevroient être , et que le second les fin ses soldats le trahirent et le livrèpeint tels qu'ils sont. Euripide mourent à son adversaire , qni le fit rut à 79 ans, vers l'an 407 avant mourir 315 ans avant J. C. I , 3a , J. C. II, 123 , 272. 3g. II, 207. EURYBIADE , Lacédémonien , général EtlMÈNE II , roi de Pergame , succéda des troupes grecques confédérées à Eurnène I son oncle , et fit alliance contre Xerxès I , roi de Perse. I , avec les Romains. Il avoit trois frè223 , 35o , 446. N res , Attale , Philelerre et Athénée , EUSÊBE , gouverneur du Pont et de la qui lui étoient si attachés , qu'ils Cappadoce , du temps de S. Basile , voulurent être du nombre de ses garévèque de Césarée. II, 287. des. Il mourut l'an 258 avant J. C. , EusÈBE, célèbre évèque de Césarée en après 38 ans de règne. I, 38, 167. Palestine , fut l'un des plus savansEUPHAÈS , roi de Mcssénie , prédéhommes de son siècle. Il mourut cesseur d'Aristomène , 7 siècles avant vers l'an 338. On a de lui plusieurs J. C. II, i55. ouvrages , parmi lesquels on distinEuPHRASIE ( Sainte ) , vierge , sous gue son Histoire Ecclésiastique eu le règne de Tliéodose-lc-Grand. III , dix livres , estimée des savans , et 340. digne do l'être de tout le monde. EUPHRASIE ( sainte ) , religieuse d'un III , 58. des monastères de la Thébaïde. II, EUSTACHE DE SAINT-PlERRE , citoyen 196. de Calais, qui se dévoua pour sauver EUPOLIS , poète comique , naquit à sa patrie, en 1356. I, 223. Athènes , et florissoit vers l'an 440 EUTHIDÈME , ami de Socrale. III, 26. avant J. C. On dit qu'Alcibiade le lit EuTYCHE , guerrier Spartiate , tué aux mourir pour le punir de quelques défilés des Thermopyles. III , 60. vers malins par lesquels il avoit voulu ElTTYCHÈS , abbé d'un monastère de le ridiculiser. Si cela est, Alcibiade Constantinople , voulant combattre n'imita pas le sage Sacrale ; et les l'erreur de Nestorins , tomba luileçons , comme les exemples de ce même dans l'hérésie. H enseigna philosophe , furent perdues pour son que Jesus-Clu-isl avoit un corps cédisciple. II, 181. leste , qui avoit passé par celui de EURIPIDE , poète tragique grec , disla sainte 'Vierge comme par un caciple de Prodicus pour l'éloquence , nal ; et qu'après l'union du Verbe de Socraie pour la morale, d'Anaéternel à ce corps , il n'y avoit xagore pour la physique , fut digne qu'une seule nature en Jesus-Chrisl, de ces trois maîtres fameux. Il s'enla nature divine ayant absorbé , sefermoit dans une caverne , pour enlon lui , la nature humaine. Eulyfanter ses tragédies , et n'en sortoit chès , fut condamué «1448, dans un qu'avec des chefs - d'œuvre. On synode , par Flam'en son évèque : les vit , on les applaudit , on les mais opiniâtre dans ses opinions, apprit dans toute la Grèce , quoiil en appela au pape ; il eut même qu'elles fussent au nombre de quale crédit de faire approuver comme tre - vingt - douze. Il ne nous articles de foi les points de sa docen reste que dix-neuf, dont les éditrine , dans un concile qui se tint tions les plus estimées sont celles à Ephèse, et que , pour cette raison , à'Albe, en 15o3 , i'n-8.° ; de Planlin, on appela le Brigandage d'Ephèse : en 1571 , m-iG ; de Commelin , en mais cet hérésiarque fut anathéma■597 , in-8.0 de Paul Etienne , en tisé par le concile général de Chafe ; 1604 » in-tf.o ; et de Josué Barnès,en cédoine, en 451. III , 104 , 4.
Dd 4
�4^4
EVANGELUS
TABLE
HI5 TORIQUE
, mathématicien grec , avoit écritsur la tactique, des traités que le célèbre Philupémen lisoit souvent pour s'instruire des principes de l'art militaire. II , 119. EVE ( la vénérable ) , recluse à Liège en 1247. II , 100. EviLtiûN {Jacques ), chanoine et grandvicaire d'Angers. I, 458. . EZZELIN , originaire d'Allemagne , niais né en Italie , se montra si pervers dans son enfance , qu'on disoit de son temps qu'il avoit été engendré par le démon. Il s'empara de Vérone , de Padone et de quelques autres villes d'Italie , et y exerça une tyrannie cruelle. Il méprisa. les anathemes des papes Grégoire IX ,
Innocent IV et. Alexandre IV. Ayant! appris que les habitans de Fadoue^ s'étoient révoltés contre les salelliinf' qui les gouvernoient en san nom,il en lit mourir douze mille qu'il avoil dans ses troupes ou à son servicc.1 Malgré son audace , cet homme ban bare étoit superstitieux , et jamais il n'entreprenoit rien sans avoir con-j suite quatre astrologues qu'il avoitI toujours avec lui. Enfin, après quarante ans de despotisme , les prince)! de la Lombardie se liguèrent contiï lui , et le prirent, lorsqu'il se dispo soit à attaquer la ville de Milan. OD le conduisit à Soncino , où il niomul désespéré , en 1259. I, 129.
X ABERT (Abraham) , fils d'un libraire de Metz , destiné à l'église ou au barreau , ne répondit point aux vues de son père , et voulut se faire soldat. A peine eut-il pris l'habit militaire, qu'il fut un héros. Il se fit rc. marquer du duc d'Epernon en plusieurs occasions importantes , et se signala sur-tout en 1635. Ce fut alors qu'il fut mis au nombre des officiers supérieurs , et qu'on publia mille particularités fabuleuses sur la cause de ses succès : on les attribuoitau diable , quoiqu'il ne lesdùt qu'à son courage ; mais lui-même , sans y songer, dounoit lieu à ces bruits , par son foible extrême pour l'astrologie judiciaire. Il sauva l'armée française à la retraite de Mayence , comparée par quelques écrivains à celle des dix mille de Xénophon. En 1658 , ses services furent récompensés par le gouvernement de Sedan , et par le bâton de maréchal de France. Louis XIV t qui conuoissoit tout son mérite , voulut lui .donner encore des marques plus bril* lantes de son estime ; et Fabert acquit une nouvelle gloire en les refusant. Çc grand homme mourut en J662 , à 63 ans. II , 96 , 460. III. i54 , 168 3 332. FABIA-DOLABELLA , vieille coquette romaine du temps de Cicéron. IIJL,
, 7Û.
(
, officier allemand qui servoit sous Gaston de Foix , duc de Nemours , à la bataille de Ravcnne , en 1512. III, 310. FABIUS-DORSO ( Caïus ) , jeune et l>ra,vc Romain } se distingua par un
FABIEN
acte de piété , et en même temps de hardiesse , pendant que les Gauku assiégeoient le Capitole. III. 65. FABIUS - MAXIMUS -RULUANUS , d'ibord général de la cavalerie romaine, l'an 354 avant J. C. , sous la dictature de Papirius-Cursor , pensa perdre la vie pour avoir triomphe dti . ennemis de sa patrie , en transgressant les ordres de son dictateur: mais l'armée et le peuple roiaaiïj obtinrent sa grâce. Ensuite, il fui cinq fois consul, une fois censeur^ dictateur , et triompha des Apu*j liens , des Lucérieris , des Samniles, des Gaulois , des timbrions , deij Marses et des Toscans. C'est le près mier de l'illustre famille des Fabuii\ qui fut surnommé Maximus , crithète qu'il méritoit par la grandi'urj de ses exploits. I, 140. III , 297. FABIUS - MAXIMUS t Quintus ) , surnommé^ Verrucosus t à cause deli| verrue qu'il avoit sur les lèvres, d Ovicula , pour sa grande douceur, fui l'un des plus grands capitaines à son siècle. Par une sage lenteur, (p lui fit donner le nom de Ctmçtator M temporiscur, il arrêta la fougue victorieuse d'Aunibat 3 et sa prudent; rappela la fortune sous les drapeau des Romains. II lassa tellement lo Carthaginois, qu'ils se consumerait d'eux-mêmes , cl ne purent plus le* nir tète aux armées de la république. Fabius fut cinq fois consul , li première 233 ans avant J. C, et une fois dictateur ; et les services qu'il rendit à sa patrie dans ses digniteSi le firent appeler le Bouclier de Rome1, 37. II , io3 , 244 3 4ao. III, i8»*
�DES
PERS ONNAGES,
425
J FABIUS-MAXIMUS
|
(Quinlus), fils du précédent , fut consul l'an 2i3 avant J. C., et marcha sur les traces de son père. I, 739. III , 180. FABIUS - MAXIMUS - JEMIMANUS (Quinlus ), fils de Paul-Emile , fut consul l'an H5 avant J. C. , et commanda les années suivantes , avec le titre de proconsul , les armées romaines en Espagne, défit Viriathus , et l'obligea de chercher un asile dans le fond de la Lusitanie. ï , gg. II , 243. FABIUS-MAXIMUS (Quinlus), fut consul 45 ans avant J. C. ; il mourut subitement la surVeille du jour où son consulat devoit expirer , et César lui lit substituer Caniuius- ftebilus. I, 284. FABIUS-MAXIMUS < Çuintus ), fut consul sous l'empire à.'Auguste , 10 ans avant J. C, avec Jules-Antoine l'Africain. I, 483. FABRICE , chapelain du grand GustaveAdolphe , roi de Suède. II , 460. FABMCIUS-LUSCINUS ( Caïus ), Romain célèbre par sa rare intégrité et la sage austérité de ses mœurs , fut deux fois consul : la première 282 , et la seconde 278 ans avant J. C. Il vainquit les Samnites , les Brutiens et les Lucaniens , et mérita les honneurs du triomphe. Envoyé contre Pyrrhus , roi d'Epirc , il le mit en fuite , et l'obligea de demander la paix. Ce grand homme mourut si pauvre , que le sénat fut obligé de marier ses filles aux dépens du public. II, 79 , 282. FAEHEL-BEN-IAHIA , favori et premier ministre du calife Haroun-al-Raschild , en 790. 1, 291. II , 239. FAGON ( Gui-Crescent ), né à Paris en 1638 , docteur en médecine en 1664 , premier médecin de Louis XIV en 1698, digne de ces places et de l'académie des sciences qui lui ouvrit son sein , mourut en 1718 , laissant quelques écrits sur quelques points de son art. II, 91. III , 233. FAIRFAX , gënéi'al anglais , chef de l'armée parlementaire , et compagnon de Cromwel. II, 217. FALUÉRE ( M. de la ) , premier président du parlement de Bretagne. II , 382. FARNÈSE ( Alexandre ) , cardinal, l'un des plus vertueux prélats du seizième siècle , mourut en 1589. Il avoit coutume de dire qu'il ne trouvoit rien de plus insupportable qu'un soldat lâche et un ecclésiastique ignorant. II , 394.
FAVORIN , voyez PHAVOMN. FAUSTUS SYLLA , 'fils du célèbre Sylla, dissipa tous les biens que lui avoit laissés son père. 1, 307. FELICE ( Conslanzo ) savant précoce , né à Durance , bourg de la Marche d'Ancône. II, i83. FELLETON , aventurier anglais du temps de du GuèseUn. III, 3o7FÉNÈLON (François-de-Salignac de la Mothe ), né en 1651 , présagea dès sa plus tendre jeunesse ses vertus et ses talens. Les études les plus difficiles ne furent pour lui que des amusemens. Dès l'âge de 19 ans il prêcha , et enleva tous les suffrages. Mais le marquis de Fénélon , son oncle , qui avoit pour lui la vigilance d'un maître , le zèle d'un ami et la tendresse d'un père , l'arracha aux applaudissemens , et voulut qu'il se fortifiât dans le silence et dans la retraite. Ordonné prêtre à 24 ans , il fut chargé , 3 ans après , de la direction des Nouvelles-Catholiques ; et ce fut dans cette place qu'il fit les premiers essais du talent d'instruire et de persuader. Bientôt sa réputation le fit connoitre à la cour , et le roi le nomma chef d'une mission sur les côtes de Saintonge et du pays d'Aunis. Simple à la fois et profond , joignant à des manières douces une éloquence forte , il eut le bonheur de ramener à la vérité une fonle d'hérétiques , et de faire admirer la religion en faisant aimer le prédicateur. Charmé de ses succès , Louis. XIV lui confia , en 1689 , l'éducation de ses petits-fils les ducs de Bourgogne , d'Anjou et de Berry ; et ce choix donna de telles espérances , que l'académie d'Angers le proposa pour sujet du prix qu'elle distribue toutes les années. Sous un tel maître, les jeunes princes devinrent tout ce qu'il voulut. En 16 g 5 , le roi le nomma à l'archevêché de Cambrai , et il ne l'accepta qu'à condition qu'il donneroit g mois à ses diocésains , et le reste de l'année à ses augustes élèves. Il se démit en même temps de son abbaye deSaiut-Valery, persuadé qu'il ne pouvoit posséder aucun bénéfice avéc son archevêché. Au milieu de la ^îaute faveur dont il jouissoit , il se; formoit un orage contre lui. Né av^c un cœur tendre , et une forte envie d'aimer Dieu pour luimême ^11 se lia avec madame Guyont dans laquelle il ne vit qu'une ame pure , éprise du même goût que lui,t
�TABLE HI STORIQUE Les idées de spiritualité de cette FERDINAND V , dit le Catholique , fils do femme excitèrent le zèle des théoloJean II, roi d'Aragon , épousa Isagiens , et sur-tout celui du célèbre belle de Castille en 1469 ; et par ce Bossue!, évèque de Meaux. Fènèlon mariage , il réunit les états de CasVoulut défendre son amie , et crut tille à ceux d'Aragon , en 1479. Ce rectifier ce qu'on lui reprochoit en prince chassa les Maures d'Espagne, publiant son livre de l'Explication s'empara du royaume de JSaples, et des Maximes des Saints. Le style en usurpa celui de Navarre , en vertu est pur , vif, élégant et affectueux ; d'une bulle qui en excommunioit le les principes y sont présentés avec roi, et donnoit sa couronne au preart , et les contradictions sauvées mier occupant. Il mourut en 151G , avec adresse ; mais on y voit un après avoir montré dans- son admihomme qui donne trop à la charité , nistration de grandes qualités et de et pas assez à l'espérance. Les beaugrands vices , et s'être joué de tous tés de cet ouvrage n'en purent voiles princes de l'Europe et de ses miler les défauts aux yeux de Bossuet. nistres même. C'est sous son règne Ce prélat l'attaqua avec force : Fèque Christophe Colomb découvrit le nèlon se défendit avec douceur. L'afNouveau - Monde , et soumit à la faire fut portée devant le saint-siége ; Castille tant de riches provinces. et entin , après 9 mois d'examen , le II , 317. iape Innorenl XIIcondamna en 1699 FERDINAND II fut grand'duc de Tos. e livre des Maximes , et notamment cane en 1621, et régna 49 ans. Comme a3 propositions qui en étoient extous ses prédécesseurs , il protégea traites. L'archevêque de Cambrai se les hommes de génie ; et les lettres soumit sans restriction et sans réainsi que les arts doivent le compter serve. Lui-même fit un mandement au nombre de leurs bienfaiteurs. contre son livre, et monta en chaire III , 240. pour annoncer sa condamnation ; et FjÉRIGOUSE ( le chevalier de ) , officier pour laisser à sou troupeau un mofrançais , sous le ministère du cardinument durable de sa rétractation , nal de Fleury. lit, 67. il fit faire , pour exposer le SaintFERRERS ( la comtesse de ) , au comSacrement , un soleil porté par deux mencement de ce siècle. II, 124. anges , dont l'un fouloit aux pieds FERTÉ ( Henri de Senedère ) dit le madivers livres hérétiques, sur un desréchal de la ), se distingua dans le quels étoit le titre du sien. Après grade de colonel sous Louis XIII, et cette défaite, qui fut pour lui comme devint maréchal de France en I65I. une espèce de triomphe , il vécut Il se montra digne 'de cette faveur, dans son diocèse en digne archevêet mourut en 1681 , âgé de 82 ans. que , en homme de lettres , et en Ce général n'étoit pas sans lalens ; philosophe chrétien. Il fut le père mais l'amour-propi e gâtoit tout son de sou peuple et le modèle de son mérite. II, 416. III, 216. clergé. Il fut enlevé à l'Eglise , aux lettres et à la patrie en 1715, à 63 FEUILLADE ( François d'Aubusson , duc de la ) , se signala à la bataille de ans. Plusieurs écrits de philosophie, Rhétcl, en 165o , aux sièges de Moude théologie, de belles-lettres , sortis zon, de Valenciennes et de Landrede sa plume féconde, douce et riante, cies , et au fameux combat de Saintlui ont fait un nom immortel. On Gothard , contre les Turcs. Ses serdistingue sur-tout ses Aventures de vices lui méritèrent le bâton de maTélèmaque , ouvrage qui tient à la réchal de France. Il mourut subitefois du roman et du poëme épique , ment en 1691. C'estlui qui fitériger et dans lequel on admire toute la en 1686 la statue de Louis XIV sur la pompe d'Homère unie à l'élégance de place des Victoires à Paris. II , 344 , Virgile , et les agrémens de la fable , 43o , 563. III, 79 , 2i5 , 348. animés par l'énergie de la vérité , et FEUQUIÈRES ( l'abbé de ) , neveu du les leçons les plus utiles de la modue Antoine de Grainmont. 1, 58. rale. Ou en a fait plusieurs éditions FEVRE ( Tanneguy le ), né à Caen en magnifiques. I, g3 , 233. 1615 , se fit de bonne heure un nom FERDINAND , dit le Juste, monta sur le par ses succès dans l'élude du grec trône d'Aragon en 1412 , et ne régna et du latin. Il fut père de madame que 4 ans , laissant la couronne au Vacier , et d'un grand nombre de sacélèbre Aljonse V , son fils. I, 148. vans ouvrages sur les auteurs anciens. FERDINAND II , roi de Léon vers l'an Il mourut en 1672. II, 187. III, a58i 1157 ou 1158. I , 149.
4 6
2
Ï
�DES
PERSC) N N A G E S.
4 7
2
FlLLASSlER (Marin) , vertueux prêtre du diocèse de Paris , mort en 1733 , à 56 ans. 1, 288. FIRMUS , évèque de Tagaste en Afrique. III, 327. FlTS-WILLIAMS , protégé du cardinal Wolsey favori et premier ministre de Henri VIII, roi d'Angleterre. III, 126. FLACCILLE, épouse de l'empereur Tliéodose-le-Grand. III , 3. FLAMARENS (madame la marquise de), l'une des admiratrices du célèbre Fonlenelle. III , 226. FLAMINIUS NEPOS ( Caïus ) , consul romain , géroit son second consulat l'an 217 avant J. C. , lorsqu'il fut tué à la bataille de Trasimène , qu'il engagea témérairement. Ânnibal remporta la victoire , après avoir laissé i5,ooo Romains sur la place. I, 3?. FLATTES ( le seigneur de ) , commandant de Duren, au duché de Clèves, sous l'empeveuvCharles-Quint. 111,314. FLAVIEN , évèque d'Antioche en 381. chassa de son église les hérétiques Messaliens , apaisa le courroux de Théodose-le-Grand, etniourut en 404. III, 3. FLÈCHE (le comte de la ), qui assiégea la ville du Mans , du temps de Cuillaume-le-Boux , roi d'Angleterre, I, 258. FLEURANGES , ancien chevalier français. I, u5. FLEURI ( André-Hercule de ) né à Lodève en 1653 , fît ses études à Paris avec quelques succès , et entra dans l'état ecclésiastique. Introduit à la cour, une figure agréable , un esprit délicat et souple , une conversation assaisonnée d'anecdotes, une plaisanterie fine , lui gagnèrent le cœur des hommes , et sur-tout celui des femmes. On sollicita vivement pour lui. Enfin Louis XIV le nomma , en 3 698, à l'évèché de Fréjus. Je vous " ai fait attendre long-temps , » lui dit ce prince ; ■■ mais vous avez tant >' d'amis , que j'ai voulu avoir seul » ce mérite auprès de vous. » A sa mort , il le nomma précepteur de Louis XV. Il n'avoit pas les talens des Bossuet, ni des Fénélon ; mais il se distingua par un attachement sans bornes pour son auguste élève. Il fut fait cardinal, et bientôt après Louis XV le mit à la tête du ministère. Il avoit alors plus de 70 ans. le fardeau du gouvernement ne l'effraya point, et il montra jusqu'à sa mort, en 1743 , à 89 ans , une tète libre et
saine , toujours capable d'affaires. Il négligea la marine , parce qu'elle lui parut trop coûteuse ; et ce fut une des sources des humiliations que la France éprouva durant et après son ministère. L'économie sévère qu'il mettoit dans sa maison , il vouloit l'introduire dans l'administration publique ; et la crainte d'être prodigue , le rendit souvent mesquin. I , 94- HI , 67. FONTAINE (Jean de la) , ne connut qu'à 22 ans son talent pour la poésie , que la lecture d'une ode de Malherbe fit éclore. Il puisa dans les auteurs , qui furent alors l'objet de ses études , le style analogue à la simplicité qui le caractérisoit. Aussi naïf que les héros de ses fables , ce fut un enfant véritable , mais un enfant sans malice. L'espèce de stupidité que cet homme de génie avoit dans son air , dans son maintien et dans sa conversation , fit dire à madame de la Sablière , un jour qu'elle avoit congédié tous ses domestiques : «■ Je n'ai gardé que mes trois bètes : " mon chien , mon chat et mon la « Fontaine. » Indifférent pour la religion tant qu'il suivit les muses , une maladie le rendit chrétien ; et sa dévotion fut si vive , qu'il prit un. cilice. Cet homme immortel , le désespoir de ceux qui voudront îéussir après lui dans l'apologue, termina sa carrière en 1695, à 74 ans. II , 344 , 486 , 504. FONTENELLE ( Bernard de Bovier de ) , neveu du grand Corneille par sa mère, naquit à Rouen , en 1657. Destiné à vivre plus d'un siècle, il pensa mourir de foiblesse le jour même de sa naissance. Dès son enfance , il se distingua par les saillies faciles et légères de son esprit. Il n'avoit pas fini ses études , qu'il étoit déjà auteur. Après sa physique , il fit son droit, fut reçu avocat, plaida une seule «use , la perdit, et promit de ne plus se montrer au barreau. Il partagea sa vie entre la philosophie et les belles-lettres , se familiarisa avec toutes les sciences , et prouva qu'il les connoissoit bien. Ses Dialogues des Morts , publiés en i633 , commencèrent sa grande réputation. La morale y est par-tout gracieuse t et, pour ainsi dire, un peu coquette: le bel-espri t s'y montre beaucoup plus encore que le philosophe. Ses Entretiens sur la Pluralité des Mondes , soutinrent sa gloire et l'accrurent. Il
�4^8
ÏABLE
HI
ÎTORIQUE
y fit connottre , pour la première cienne de France , et que le père fois , l'art difficile de répandre des Brower a publiés en 1616 , iH-4.1 grâces jusque sur les matières les I , 412. plus abstraites : il y est tout à la fois clair , profond , fin , enjoué , ga- FOULQUES II , comte d'Anjou , dit k Bon , fit cultiver et défricher avec lant. Ses Pastorales sont de mausoin les terres de son comté. Il s'apvaises églogues j mais des poésies pliqua à faire lleurir les sciences et k très-délicates. Ses bergers n'en ont piété parmi son peuple. Lui-même que Phabit, jamais le style; il faut alloit chanter au chœur ; ce qui lui pourtant avouer^qu'ils disent de trèsattira les railleries de Louis d'Outrejolies choses ; et peut-être Fonlenelle mer , qui pensoit qu'un prince lie a-t-il voulu créer un nouveau genre. devoit ni chanter, ni étudier : .1 SaToutes les compagnies savantes se » chez , sire , lui répondit le comte, firent une gloire de le compter au » qu'un prince non lettré , est un nombre de leurs membres : il étoit » ane couronne. » II mourut en g58. fait pour les illustrer. Il fut, durant I , 142. 42 ans , secrétaire de l'académie des sciences , dont il fit l'histoire. Les FOUQUET ( Jeanne) , une des héroïnes qui défendirent la ville de BeauEloges des Académiciens font partie vais , dans l'assaut que Charles-kde cet ouvrage , qui seul eût suffi Hardi , duc de Bourgogne , donna à pour immortaliser un auteur. Peu cette place en 1472. II , 520. de savans ont eu plus de gloire , et en ont joui plus long-temps. Avec FOUQUET ou Foucquet (Nicolas), marquis de Belle-Isle, sur-intendant des un tempérament délicat en appafinances , en 1653 , fut disgracié en rence , il fut cependant préservé de 1661 , condamné à un bannissement toutes ces maladies qui attristent , perpétuel, et renfermé dans la citapar intervalles , notre frêle exisdelle de Pignerol. Il mourut en 1686, tence. Les facultés de son ame se à 65 ans. III, 3o5. soutinrent encore mieux que celles de son corps. Il mourut le 9 janvier FOUQUET ou Foucquet ( Charles-Jr* mand ) , fils du précédent , naquit 1757 , avec cette sérénité d'ame en 1657 , entra dans l'Oratoire en qu'il avoit montrée durant tout le 1681 , mérita la confiance du cardicours de sa vie. Peu de temps avant nal de Noailles , et mourut à Paris, de rendre le dernier soupir : « Voilà, dans la maison de S. Magloire , »• dit-il t la première mort que je dont il étoit supérieur, en 1734. Mf vois. » Son médecin lui ayant de279. mandé s'il soufl'roit : « Je ne sens, » répondit-il , qu'une difficulté d'è- FOURCROY ( M. ) , avocat célèbre au parlement de Paris. III, 265. « tre, » On a imprimé le recueil de ses œuvres en 1757 , en 10 vol. in- FRANÇOIS I , surnommé le Grand et le Père des lettres , qu'il rappela dans J2 - I » 94 j 3i5 , 3ig. II, 228 , 56o. ses États , et qu'il dota richement, III , 222 , 345. naquit à Cognac en 1494 , de CharFORCE ( Jacques-Nompar de Caumonl , les d'Orléans, comte d'Angoulêmc, duc de la ) d'une famille noble et et de Louise de Savoie. Il succéda à ancienne , échappa comme par miLouis XII son beau-père , en 1515 ; racle an massacre de la Saint-Barjoignit au titre de roi de France celui thélemi , et servit utilement Henri de duc de Milan , et se mit à la tête IV et Louis XIII. Ce dernier prince de ses troupes pour faire valoir ses le fit maréchal de France, et érigea prétentions sur ce duché. Les Suissa terre en duché-pairie. Il prouva ses furent vaincus à Marignan , et le sa reconnoissance par de nouveaux Milancz reçut la loi du vainqueur. exploits , et mourut plein de jours et François voulut devenir empereur, de gloire ( en 1652 , à 97 ans. 1, 33o. mais Charles-Quint fut élu en 1519 ; III, 95. et telle fut l'origine de cette rivalité FORMUS , sénateur romain sous 2'kéofuneste , qui arma ces deux puisdoric , roi des Goths. II , 385. sans monarques , et qui fut fatale à FORT UN AT ( Venaniius-Honorius- Cletoute l'Europe. La fortune se rannientianus) , prêtre , et , selon quelgea tout-à-tour sous les étendards ques-uns , évèque de Poitiers , nades deux princes ; mais enGn elle se quit en Italie , s'attacha à Grégoirefixa pour toujours du coté de Char' de-l'ours , et composa quelques poèles-Quint. A la bataille de Pavie , en mes latins , utiles pour l'histoire au1525 t malgré toute sa valeur et
�DES
PER iONNAGES.
42Ç>
celle de ses troupes , François fut ses , qu'il en fit rentrer dans l'Eglise fait prisonnier , et contraint d'accorplus de 70,000 clans l'espace de 10 der \ son rival le prix excessif qu'il ans. Le cardinal du Perron disoit mettoità sa liberté. Le traité qu'il fit qu'il n'y avoit pas d'hérétiques qu'il alors fut la source d'une nouvelle ne pût convaincre ; mais qu'il failoit guerre. Enfin , le calme fut rendu à s'adresser à François de Sales pour l'empire et à la France , par la paix les convertir. L'évèque de Genève le de Crespy en 1544 ! mais François choisit pour son coadjuteur , titre n'en jouit pas long-temps ; il mouqu'il accepta malgré lui. Il succéda rut à Rambouillet , le dernier de à ce prélat en 1602 , et entreprit la Mars i547 , » 53 ans. 1, 44 , 246, réforme de son diocèse. Il visitoit 259 , 260, 309 , 443 , 479. II , 24 , les malades , donnoit tout aux paui63 , 164 , 37 7 , 391 , 407 y 424 , 441. vres, instruisoit son peuple, établisIII, 87, 99 , 210 , 2i3, 282. soit des monastères ; et il vint à bout ^FRANÇOIS II, fils de Henri II et de Cade rétablir l'antique vigueur de la tlierine de Mèdicis , naquit en i544 , discipline ecclésiastique. Il mourut I et devint roi de France en i55g. Il d'apoplexie en 1622 , et fut canonisé I mourut le 5 Décembre i56o , à près en i665. 1 , 2 , 282. III , 281. I de 17 ans. C'est sous son règne que FRÉDEGONDE, d'abord maîtresse, i les protestans furent appelés Huguepuis épouse de Chilpéric I, roi de I nols. 1, 444. France , déshonora son sexe et le «FRANÇOIS de Lorraine, né en 1708 , trône par mille horreurs, et mourut I devint grand-duc de Toscane en en 5g6 , couverte de gloire par ses I 1737 , jpar l'échange qu'il fit de la succès , et d'opprobre par ses crimes, I Lorraine pour cëtte souveraineté. I , 414 , 4i5. S L'année précédente , il avoit épousé FREDERIC I , dit Barberousse , fils de I l'illustre Marie-Thérèse d'Autriche , Frédéric , duc de Souabe, succéda à S fille aînée de l'empereur Charles VI, son père en 1147 , et obtint la coui et reine de Hongrie. Cette princesse ronne impériale en n52. H eut de I le fit élire empereur en 1745 , et il grands démêlés avec les papes , se I mourut en 1769 , laissant une nomcroisa pour la Terre-Sainte , suivant I breuse famille , qui semble n'être la manie du siècle , en 11 89 , et se I appelée au gouvernement des plus noya l'année suivante , en se baiS belles monarchies de l'Europe , que gnant dans le Cydne qui passe par la | pour faire le bonheur des peuples , ville de Tarse en Cilicie. Il avoit | et être l'exemple des souverains. Ce régné 38 ans. C'étoit un prince couI prince est le père de Marie-Antoirageux , libéral, constant dans l'adI nette , archiduchesse d'Autriche , diversité , protecteur des sciences , et I gne épouse de Louis XVI, et la mère doué de la plus grande mémoire. II, ■ des Français. II, 209. 212. ■FRANÇOIS ( Saint ) , né à Assise en FRÉDÉRIC , roi de Naples , monta sur | Ombrie , l'an 1182 , renonça au néle trône en 1496 , et cessa de régner I goce pour suivre la pauvreté évangéen i5oG. 1, 3o8. I Tique, institua l'ordre des frères mi- FRÉDÉRIC-GUILLAUME , dit le Grand, | neurs , fonda un grand nombre de électeur de Brandebourg , né en. i monastères , mourut en 1226, et fut 1620, prince magnanime, débon■ canonisé deux ans après sa mort naire , généreux , humain , qui de I par le pape Grégoire IX. II, 264. lui-même , sans ministres ni géné|FRANÇOIS (Saint) , né à Paule, ville raux , donna naissance à la puis-, de Calabre , en 1416 , fondateur de sauce de Brandebourg , et rendit l'ordre des Minimes , donna à ses llorissant un état qu'il avoit trouvé disciples l'exemple des vertus qui enseveli sous ses ruines. Il mourut l'ont mis au nombre des saints. Il en 1688. III, 229. | mourut en 1507 , à 91 ans , et fut FREIND ( Jean ), né en 1675 , et mort canonisé par le pape Léon X en i5ig. en 1728 , premier médecin de la I, 44o. princesse de Galles , depuis reine FRANÇOIS DE SALES ( Saint ), naquit d'Angleterre , se montra digne de j au château de Sales au diocèse de sa réputation et des places qu'il oct Genève , en 1567. H se livra avec un cupa , par ses cures nombreuses , et zèle plein de douceur et de persévéplus encore par les savans et utiles rance à la conversion des hérétiques; écrits qu'il a laissés sur son art. Ils et ses prédications furent si heureuont été recueillis à Londres en 1-J3,
I
�43
(3
TABIE
HI! 5TORIQUÉ (Saint) évêque de Tarn, gone en Espagne , souffrit le martvit par ordre û'Emilien , gouverneur d? cette vilie, durant la huitième persecutiou excitée contre les chrétiens, en vertu d'un édit donné par l'en., pereur Valérien , eu 256 ou 25;. I 5 , 13. FULVIUS-FLACCUS ( Qitintus ) , fut lit des plus grands généraux de la république romaine , et fut quatre foii consul : la première 245 , et la dernière 209 ans avans J. C. II, 157. FULVIUS , noble Romain du temps di Cicéron et de Catîlina. I, 2r3. FURNIUS , partisan d'Antoine , obtinl sa grâce d'Auguste, le servit, et soumit les Cantabres l'an 22 de J, C. III, 123.
FRUCTUEUX
in-fol. , et réimprimés à Paris en i?35 , i'n-4.0 1, 98. FRONTIN ( Sextus-Jidius ), brave guerrier et savant jurisconsulte, fut préteur', l'an 70 de J. C. Ou dit même qu'il fut élevé au consulat sous l'empire de Vespasien ; niais son nom ne se trouve pas dans les fastes consulaires. Quoi qu'il en soit , il fut utile à ses contemporains , par ses succès militaires , et il l'est aujourd'hui à tous les guerriers , par ses quatre livres de Stratagèmes, plusieurs fois réimprimés, et qui ont été traduits en français avec Poljen , en 1770 , 3 vol. m-12. II, 458. FRONTo ( Marcus-Julius ) fut élevé au . consulat l'an 100 de J. C. et eut 2'mjmn pour collègue. 1 , 386.
G
de la tribu de Nephtali, avoit trompées , l'assassinèrent l'an ami de Tobie et son débiteur, durant 69 de J. C. , à l'âge de 73 ans, li sa captivité à Ninive. I , 270. septième mois de son règne. 1,3;!. GADITANUS , admirateur de Tile-Lwe , III, i95. vint des extrémités du monde pour GALERE ( Calerius-Valei'ius-Maximk. voir à Rome ce célèbre historien. nus ), naquit de parens si pauvres, I, 355. qu'il commença sa fortune par garGAÏNAS , chef de quelques hordes de der les troupeaux. Las de cette vie Goths , mérita par sa valeur d'être précaire , il se fit soldat, montra di mis à la tête des armées de l'empela bravoure , mérita les premien reur Arcadius. A peine se vit-il négrades militaires , et bientôt le comcessaire , qu'il voulut profiter de la mandement des armées. L'empereur foiblesse du souverain, pour exercer, Dioclétien son souverain , homme di sous son nom , le plus odieux desfortune comme lui, charmé de soi potisme. Il eut l'ambition d'être le mérite , le créa César , en 292, et seul favori à!Arcadius , et bientôt il lui donna Valeria sa fille. Le nouse crut digne de l'empire. Son auveau prince voulut prouver sa redace réveilla enfin le léthargique connoissance par de nouveaux exmonarque. Excité par les ennemis ploits. Vaincu d'abord par les Persecrets de Gainas , il le déclara reses , il les vainquit à son tour,el belle ; et le Goth , déchu de ses esles obligea d'abandonner cinq glanpérances , s'en vengea en ravageant des provinces au delà du Tigre. Déla Thrace. Uldain , roi des Huns, claré Auguste apiès l'abdication de fut chargé de mai*eher contre lui en Dioclétien et de 'fflaximien-Hercitle, 400. Les deux armées en vinrent aux Galère devint le bourreau de l'emmains Hé combat fut rude, et Gainas pire , et gouverna comme JYercn. . y perdit la vie. II, 40. Cet homme, dont l'ame étoit aussi GALBA , jurisconsulte romain , conbasse que sa naissance , ne se croyoit temporain de Jules-César. II , 224. maître de tant do Vastes contrées, III, 116. que pour les inonder du saiig »t> GALBA {Servius-Sulpitius), de l'illustre nations. Il versa celui des chrétiens, famille des Sulpitius , féconde en persécuta son peuple , et finit parle grands hommes , exerça avec honrévolter. Il mourut d'un ulcère alneur les charges les plus éminentes freux en 3ir- 1, 24. de l'empire romain , et fut proclamé GALÉSUS , affranchi de Camille , séempereur après l'infamè Néron. Il nateur romain , qui conspira conen fit oublier les excès par quelques tre la vie de l'empereur Clauit. Vertus : mais il se laissa gouverner II, 46par des hommes vils et sanguinai- GALETES , favori de Ploloinie, roi d'Eres. Ses troupes , que son avarice gypte. III, i83.
GABELUS ,
�DESPERS N NAGE S. GALILÉE-GALILÉI , fils naturel de VicenntGflfrVci, noble Florentin , eut GAILUS , fils de Jules-Constance , et neveu du grand Constantin , étoit dès son enfance une passion si forte frère de Julien-VApostat, avec lequel pour les mathématiques , qu'on peut il entra dans l'état ecclésiastique. dire qu'il naquit géomètre. Il fit, L'empereur Constance le fit mettre à dans l'étude de la philosophie , des mort en 35*. , 39g. progrès qui étonnèrent l'Europe ; mais ayant avancé que c'est la terre GASCOIGNE ( Sir Villiam ) , chef de la justice à Londres , sous le règne qui circule autour du soleil, et que de Henri IV, roi d'Angleterre. II cet astre est fixé au centre du sys386. tème planétaire , soumis seulement à une simple circonvolution sur Jui- GASSENDI (.Pierre) , né en 1592 . embrassa l'état ecclésiastique , et devint mème , il fut mis à l'inquisition, chanoine et prévôt de l'église cathéet obligé de rétracrer cette hypodrale de Digne. Il joignit à l'étude thèse comme une erreur. Quelque de la philosophie et des mathématiternes après , il défendit de nouveau ques , la counoissance des langues ces principes : il fut arrêté une seet une érudiction profonde ; il 1» conde fois , et condamné par une prouva , en adoptant le système sentence , signée de sept cardinaux, d'Epicure , qu'il réforma et rendit à, être emprisonné , et à réciter les respectable. Il devint professeur au sept psaumes pénitentiaux une fois collège royal, et tous les protecteurs chaque semaine, pendant trois ans, des lettres se firent un honneur d'être comme relaps , et coupable d'avoir de ses amis. Il osa lutter contre le enseigné un système absurde et faux grand Descartes, se montra digne en bonne philosophie et erroné dans t d'un tel adversaire , et comme lui la foi, en tant qu'il est expressément eut des disciples zélés , qui precontraire h la Sainte-Ecriture. A l'âge noient le nom de Gassendistes. Il de 70 ans , Galilée demanda pardon mourut en 1656 , à 64 ans. Tous ses à genoux d'avoir soutenu une vérité. écrits ont été recueillis à Lyon a Cependant en se relevant , agité ans après sa mort , et forment 6 par le remords d'avoir fait un faux vol. in-fol. On peut y puiser bien des serment , les yeux baissés vers la lumières. Héritier a donné en français terre, il dit, en la frappant du pied : un abrégé de la philosophie de Gas-> « Elle remue pourtant. » Ce grand sendi. III , 207. homme , qui éclaira son siècle et la postérité , mourut huit ans après GASSION ( Jean de) , né en 1607 , signala sa valeur et apprit le métier cette seconde persécution , en 164.2. des héros sous le grand Gustave Le recueil de ses œuvres, en italien, 5 roi de Suède. Après la mort de cet a été donné à Bologne en 1656 , 2 vol i'H-40. illustre conquérant , il revint en ) 12lt t 230> France avec son régiment, et parrALIOT (Jacques de Gourdon de Genouiltagea avec le grand Condé l'honlac , dit ), officier d'artillerie , sous neur de la victoire de Rocroi. Le le règne de François I, qui réconiroi récompensa ses services du bâton n pensa généreusement ses services. ■ il, 441. de maréchal de France en 1643 , et l'année suivante il fut déclaré lieutepALLIEN ( Publius-Licim'us ) , fils de nant-général de l'armée de Flandres, Valérien , fut associé à l'empire par commandée par Gaston , duc d'Orson père en 253. Heureux au comléans. Il mourut à Arras en 1647 , mencement de son règne , il paya d'une blessure qu'il avoit reçue au ces premiers instans de félicité par siège de Lens. III , 281. une longue suite de disgrâces , qu'il n'eut ni la prudence de prévoir , ni GASTON DE FOIX , duc de Nemours , fils de Jean , comte d'Etampes , et le courage d'écarter. Il fut toujours de Marie d'Orléans , sœur de Louis en guerre contre les usurpateurs qui XII , fut fait, par le roi son oncle profitoient de sa faiblesse , et de son gouverneur de Milan , et général de amour pour les plaisirs. Enfin il sucson armée en Italie. Il y ht briller comba sous leurs coups , et fut tous les talens d'un grand capitaine assassiné par Cècropius, à la solliciet gagua la bataille de Iîuvenne tation d'auréole qui venoit de prenle 11 Avril , jour de Pâques I5I ' dre le titre d'empereur, en 268. Gal2 e mais en poursuivant un gros de 4 00» lîen étoit alors dans sa 50 - année. Espagnols qui faisoient retraite il "1,194. (ut enveloppé et tué , à l'âge de' 24
43l
1
m
�4^2
TABLE HI STORIQUE ans. Ton le la France fut sensible à GENGIS-KHAN , né en 1 Ï54 , rtigri sur les Mogols à l'âge de i3 ans la perte de ce jeune héros , dont les mais détrôné presque aussitôt , i Tertus , l'intelligence et la valeur mérita l'asile que lui ouvrit un donnoient les plus grandes espéranprince voisin , qu'il protégea par sa ces. III, 310. valeur. Ayant repris son sceplr GAUCHER DE CHATILLON fut connéarmes à la main , il devint conquétable de France sous le roi Phitipperant, et soumit à son empire plus Je le-Bel ,eut la principale direction des 18 cents lieues d'Orient en Occident affaires sous son successeur Louis et plus de mille du Septentrional /lutin , et mourut comblé d'honneurs Midi. Une maladie l'enleva au milieu . et de g}oire , en i32g , à 8o ans , de ses triomphes, en 1226, au commencement du règne de Phians. Coblai-Knn , son petit-fils , fut lippe de Valois. II , i)o3. reconnu empereur de la Chine, en GAUCELME , valet-de-chambre de S. 1280 ; et c'est de lui que descendant Louis, le suivit à la Terre-Sainte, et les empereurs qui régnent encore auy mourut de la peste, I , 70. jourd'hui sur ce vaste pays. I, z[\. GAUTIKRS DE NEMOURS, l'un des principaux seigneurs français qui suiviH, 77rent S. Louis dans sa première croi- GÉNUCIUS-CIPPUS , ou Genicius , picteur romain dont l'existence ir'«t sade. II , 329. pas parfaitement certaine. ValhtGAUTIER DE MAUNI , gentilhomme Maxime en parle au chapitre 6 de anglais , l'un des officiers d'Edouard son cinquième livre. I, 216. III, au siège de Calais. 1, 222. GOERGES , marmiton de M. de Turenm. GAUVILLE , capitaine des gardes du I , 326. maréchal de Guébriant , au siège de GEORGES ( Louis de Brunswick ), dut Rotwil , en 1643. III, agi. et électeur d'Har.over , étoit Ëls GAUZLIN , évèque de Paris au neuà'Ernest-Auguste de Brunswick. 1! vième siècle. III, 3o8. fut proclamé roi d'Angleterre le i: GAYE , un des chanteurs de la musiAoût 1714, après la mort de la reine que de Louis XIV , estimé de ce Anne. U nronrut le 22 Juin 172/J, prince pour la beauté de sa voix. 175. m, 343. GÉRADE , Lacédémonien , sévère 0» GAZALI , savant docteur muzulman. servateur des lois de Lj-gur°ne. I, III, 17.1. 464. GÉFROI , fils de Foulques II, succéda GÉMASIME (S. ), né en Lyeie , se Irai à son père dans le comté d'Anjou, dès sa première jeunesse à la vie Eau milieu du dixième siècle. I, litairc. Après avoir quitté son payf,| Ha. il vint en Palestine , et y bâtit u GÉLA , fille de Bomilde et duchesse de vaste monastère, où il rassembla W I Frioul avec Appa sa sœur. 1, 478. grand nombre d'anachorètes , qu'il GÉLON , fils d'IJipparque , roi de Géla, éclaira par ses avis, et qu'il éilfil s'empara de l'autorité à Syracuse par ses vertus. Il mourut le 5 Mars I l'an 492 avant J. C. Il avoit les 475. III, 260. qualités d'un héros et les vertus d'un roi. Il en mérita le titre, que GERBAUT , guer rier plein de cotiraf qui défendit Paris contre les iw| les Syi acusains lui conférèrent, et il mands , eu 885. UI , 3o8. mourut regretté comme un père , l'an 478 , ou même 472 avant J. C. GERMAIN (S.) , évèque d'Auxcne, dans cette ville en 38o , se livn 1, 3oo. II, 417. d'abord à la jurisprudence, et eut le GEMINïUS, Romain, partisan du triumgouvernement de la ville d'Auxerie. vir Marc-Antoine. I , 5i5. avec Je commandement des troiip8 GÉNÉSIUS , second fils du sophiste du pays. Son intégrité et sa sa;e<< Léonce, et frère d'Athènais ou Eudole lireut aimer du peuple , qui V» cie , épouse de l'empereur Thèodose lutl avoir pour eveque api ■ès la mal II: Cette princesse le fit créer préfet de S. Amateur. Il eut peine h sert» du prétoire d'Illyrie. III, 20. dre aux instances de ses compatit GENEVIEVE (Sainte), née à Nanterre, tes , et dès qu'il eut reçu l'onctiK près de Paris , vers l'an 422, mouépiscopale , il donna tous ses bte* rut dans cette capitale le 3 Janvier aux pauvres , se consacra tout en* 512 , et fut inhumée dans l'église à l'instruction de son troupeau, c'-1 qui porte aujourdhui son nom. I , la pratique des vertus les plot M* 2-t,-.
�DES
PERSONNAGES.
433
tires. Ce saint prélat mourut le 3i juillet 448 , âgé de 68 ans. III , 340. ERMANICUS ( César ) , fils de Drusus et à'Antonia , nièce d'Auguste , fut adopté par Tibère , son oncle paternel , et déclaré consul l'an 12 de J. G. Après la mort d'Auguste , il refusa l'empire , lit triompher les armées romaines , et acquit tant de gloire , que 'l'ibère en devint jaloux. Ne pouvant l'égaler , ni même l'imiter , iL le lit empoisonner à 34 ans. I I, 363. HGESLER OU Grisler , gouverneur de la Suisse , pour l'empereur Albert d'Autriche , en 1307. Sa cruauté et ses exactions soulevèrent les peuples de son gouvernement , et il fut tué par Guillaume Tell, l'un des libérateurs de la Suisse. 1, 68. jGETA ( Septimius ) , fils de l'empereur Sévère , fut déclaré César avec Ctiracailtt son frère. Ses heureuses qualités et sa douce affabilité le rendirent cher au peuple , et le firent détester de Caracalla, qui lui-même l'assassina entre les bras de Julie sa mère , en 212, à 23 ans. 1, 394. GlRARDEAU , mousquetaire français , blessé a la bataille de Dettingue en 1743. II , 320. GIRARD (Gabriel) , l'un des 40 de l'académie française , fut aumônier de madame la duchesse de Berry , fille du régent, et mourut eu 1748. Il s'est rendu célèbre par quelques écrits sur la langue française. Son meilleur ouvrage est celui qu'il a intitulé Synonjmes français , livre plein de goût, de finesse ét de précision , ét dont la lecture est indispensable. La nouvelle édition qu'eu a donnée M. Beauzée , avec des aug' «tentations , pr ouve que l'abbé Girard [ut , dans son genre , ininritable. 1 . 94OiSBERT DE COREGIO , élu souverain de Parme avec Roland de Bossi , en 1404. I , 123. GLAUCON, jeûne athénien , disciple de Socrale. I , 117. GLAUXUS, médecin d'Epbestion , fut mis en croix par l'ordr e d'Alexandre-leGrand , pour avoir quitté son malade. I, 114. GOERIAS , seigneur persan , l'un des 7 conjurés qui tuèrent le mage Smerdis , et qui placèrent sur le trône Darius fils û'Hystaspes , l'an 521 avant J. C. Il étoit beau-père de ce prince , qu'il accompagna dans ses
Tome III,
expéditions , et qu'il éclaira de ses conseils. II, 21 , 420. GoBRYAS , seigneur de la Babylonie , du temps du grand Cjrus , roi de Pei-se. 1, 744. GoDEEROY , frère de Baudouin , l'un de ces preux chevaliers dont nos anciens romans font mention. II, 524. GODIKA , duchesse de Mercie en -Angleterre. I, 23o. GoERTZ (Georges-Hem-i , baron de), né dans Je Holstein , d'une famille de Françonie , fut d'abord conseiller privé du duc de Holstein , et rendit ensuite de grands services à Cluirlcs XII, roi de Suède , lors du séjour de ce monarque à Bender. Il devint bientôt sou favori et son premier ministre. Génie à la fois souple et audacieux , vaste dans ses desseins, actif dans ses démarches , il fut dans le cabinet ce que son maître étoit à la tète des armées. Il avoit conçu le dessein d'ébranler toute l'Europe , pour relever la fortune abattue de Charles XII. Ane té en Hollande sur les soupçons qu'on avait de ses projets , il fut mis en prison , et interrogé par le comte de i'alderen : y Me connoissez-vous, demanda« t-il au comte ? — Oui, Monsieur , répondit le Hollandais. ~ Eh bien, " reprit le baron , si vous me con» noissez , vous devez savoir que je " ne dis que ce que je veux. « Cette détention ne fut pas longue , mais elle fit avorter l'entreprise de Goè'rtz. Ses lettres furent imprimées et portées au roi de Suède : « N'a-t-on pas aussi imprimé les miennes ? » demanda ce prince en souriant. Il n'avoua ni ne désavoua sou ministre . trop lier pour nier un projet qu'il avoit approuvé , et trop sage pour convenird'un dessein éventé presque dans sa naissance. Charles se livrant de plus eu plus au génie de son ministre , le chargea de conclure la paix et une ligue redoutable avec le czar Pierre-le-Grand , et d'administrer l'intérieur de son royaume. Goê'rtz se fit alors haïr de la nation , en substituant aux espèces d'or et d'argent qui manquoient, une monnaie de cuivre à laquelle il donna la même valeur qu'a l'argent, et en, forçant le clergé a payer des impôts. A peine Charles Xli fut-il mort, en 1718 , que son ministre fut arrêté, et condamné par le sénat de Stbckolm à avoir la tète tranchée au
Ee
�434
TABLE HI «TORIQUE
clamé empereur en 238 , à l'ùjc | d'environ 16 ans. Quoique jeune , i! ne manqua ni de prudence , ni de conduite. Il étoulfa la révolte de Sabinien , changea la face de l'empire , lit espérer aux peuples une administration douce et salutaire ; mais il fut assassiné par les intrigués de Philippe , préfet du prétoire, 1, dans la sixième année de son règne, GONÇAEÈS ( S. Pierre ) , plus connu en 244 , tandis qu'il chassoit les sous le nom de S. Elme. III , 270. Perses de la Syrie, après avoir vaincu GoNDI {Pierre de), évèque de Langrcs, Sapor leur roi. III , 42. puis de Paris , fut élevé au cardiGORGIAS , né à Léontium , ville de nalat par le pape Sixte V, en 1387. Sicile j et pour cette raison surnomIl mourut en 1616 , à 84 ans. I , mé le Léontin , se distingua par sou 29.7. éloquence , et fut un des plus subtils GONSALVE-FERNANDEZ DE CORDOUE , sophistes de son siècle. Il fut envoyé surnommé le Grand-Capitaine , méà Athènes l'an 417 avant J. C., rita cette glorieuse dénomination par pour demander du secours contre son intrépide valeur, et l'éclat de les Syracusains , obtint tout ce qu'il ses victoires. Il fut un des plus havoulut , et mourut âgé de 108 ans. biles généraux que l'Espagne ait I , 662. II , 397. produits , et mourut en i5i2 , à 72 GORGIDAS , thébain , ami de Pélopidns ans. III, gg , 285. et à'Epaminondas , qu'il aida à déGONTRAN , iils de Clotaire I, fut roi livrer sa patrie du joug de Lacédéd'Orléans et de Bourgogne en 562 , mone. I , 183. après la mort de son père. Il mourut GORGO , fille de Cléom'ene , roi de en 5Q3 , à 60 ans , dont il avoit réSparte. II , 478. gné 33. Son zèle pour la religion et GOURGUES ( Dominique de ) , gentilla justice , et ses libéralités envers homme gascon , mort à Tours en les malheureux , l'ont fait mettre au 1583. I , 225. nombre des saints. I , 412, Ai3, 468. GOZON t Dieu-Donné de ) , né en Prcv m , 3o9. vence , entra dans l'ordre de SaintGOOELS (IVilliam) chevalier anglais , 3 Jean de Jérusalem , et en devint le gouverneur de la Virginie. III , 86. vingt - septième grand - maître^ U GORDIENS ( les ) : c'est ainsi que l'on mourut en i353 , regretté pour désigne quelquefois trois empereurs ses- vertus et pour son courage. romains qui ont porté ce nom. Le III, 200. premier , que l'on appelle MarcnsGRAAE OU Graef ( Rainier de ) , médeAnlonius Gordien l'Ancien , étoit Iils cin hollandais , cultiva son art avec de Mètius - Marcellus , et , par sa succès , y fit même des découvertes, mère , descendoit de l'empereur et mourut en 1673 , à 32 ans. Ses Trajan. Sa magnanimité , son éloécrits , qui contiennent des choses quence , sa probité , sa modération très-curieuses , ont été recueillis cl et ses autres belles qualités, lui firent imprimés à Leyde eu 1705 , in-&* tant d'amis , qu'étant proconsul en III , 224. Afrique , il fut salué empereur , GRACCHUS ( Tibérius - Sempranins ), malgré sa vieillesse et sa résistance , fut deux fois consul et une fois cenen 237 , par les troupes soulevées seur. Il mérita deux fois les honcontre Maximin. Il associa son fils neurs du triomphe, prit et ruina un Marc-Antoine Gordien le Jeune à l'emgrand nombre de villes des Ccllibcpire ; mais , peu de temps après , riens en Espagne , vers l'an >y Capellien , gouverneur de la Mnuriavant J. C. ; et quelque temps après, tamie, leur livra un sanglant combat soumit la Sardaigne. Il épousa Cordans lequel le jeune Gordien perdit nélie , fille de Scipion , et en eut 1D vie à 46 ans. Sou père n'eut pas entre autres enfans , Tibérius et le courage de supporter cette perte ; Caïas - Gracchus , que l'on désigne et succombant à son désespoir , il se quelquefois simplement par celte tua à l'âge de plus de 80 ans. G'orseule dénomination : les Gracques. dien III , fils , ou selon d'autres , Ils se distinguèrent par leur éloneveu du jeune Gordien , fut proquence et par leurs talens , et furent
pied de la potence de la ville. II, ag5. GOLIATH , fameux géant philistin , que David , n'étant encore que berger , tua d'un coup de pierre , vers l'an io63 avt.nt J. C. U avoit, dit-on, près de neuf pieds six pouces de hauteur , et Jacques Jlorstius a calculé que ses armes dévoient peser au moins G72. livres de notre poids.
�DES
FEB.SONNAG ES.
4^5
ftssHssines en défendant avec trop de zèle les intérêts du peuple romain. II , 110 , 24.2 t 243 , 401. |GRAMMONT (Antoine de) , l'un des hommes les plus aimables de la cour de Louis XIV , qui récompensa sa valeur en lui donnant le bâton de maréchal de France. Il avoit élé créé duc. et pair en 1648 , et ne fut reçu que le i5 décembre 1663. Il mourut en 1678', à 74 ans. III, 100 , 283. | GRATIIMONT ( Philibert , comte de ), frère du précédent, se distingua à la cour de Louis XIV , par l'agrément de son esprit et son adresse à tous les jeux. Il mourut en 1687 , à 86 ans. Les mémoires de sa vie ont été publiés par le comte Hamilton son beau-frère r en 2 vol. in-iz. I , 57. II, 222 , 290. GRAMMONT ( Armand , marquis de ), iils du duc , fut aussi un des plus agréables seigneurs de la cour de Louis-le-Grand. Il avoit la manie des bons mots , et ceux qui lui échappèrent ne furent pas toujours heureux. U mourut en 1673 , à 34 ans. III , 144. GHANA ( M. le marquis de ), gouverneur des Pays-Bas pour Charles II, roi d'Espagne. I , 19g , 3i3, GRANCÉ ou Grancey ( Jacques de Rouxel de Médavj-, comte de ), servit longtemps ; mais il dut à ses amis , plus qu'à ses exploits , le grade de maréchal de France , qui lui fut donné en J65I. Il mourut en 1680, à 78 ans. III , 170. GRAND-FERRÉ , paysan valeureux, sous le règne et durant la prison du roi Jean. III ; 3oi. GRAND-PRÉ. Voyez JOYEUSE. GRANIUS , plaisant de Rome. 1, 3o8. GRANICS , romain , beau-lils du grand Marius , à la fortune duquel il s'attacha en s'alliant à cet homme célèbre. II , 3i. GRATIEN (Flavius}, fils de l'empereur Valentinien I , fut déclaré Auguste par son père en 367 , et lui succéda en 3?5. Il avoit de l'esprit, de l'éloquence j de la modestie , une chasteté sévère , et un grand zèle contre les hérétiques et les payens. Il associa Théodose à l'empire , et lui donna l'Orient en partage. La fin du règne de. ee prince ne fut point heureuse , car il fut défait par Maxime , commandant de la Grande-Bretagne, et qui s'étoit fait proclamer empereur. Le légitime souverain prit la fuite
devant le rebelle , et fut assassiné à Lyon par Andragathius, en 383 , à 24 ans. II , 204. III, 16. GRÉGOIRE ( S. ) , surnommé le Thaumaiurge, à cause du don des miracles que Dieu accorda à sa foi et à ses vertus , étudia sous Origène , se montra digne d'un tel maître , et fut élevé sur le siège de Néocésarée sa patrie , vers l'an 240 , quoiqu'il fut absent de cette ville. Il mourut en 265 avec la consolation de ne plus laisser que 17 idolâtres dans son diocèse , où il n'avoit trouvé que 17 chrétiens lors de son ordination. II, 221. GRÉGOIRE DE NAZIANZE (S.), l'un des plus célèbres et des plus savans docteurs de l'Eglise grecque , fut d'abord ordonné évèque de Sazimespar S. Basile , évèque de Césarée „ compagnon de ses études , et sou ami. Ensuite il devint coadjuteur de Grégoire son père , dans l'évèché de Nazianze , et ne voulut accepter cette charge , qu'à condition qu'il ne lui suceéderoit point. Enfin , il fut reconnu patriarche de Constantinople par une assemblée d'évêques et par l'empereur Théodose en S80. Mais , en butte aux traits des Ariens qui redoutoient sa doctrine , et des catholiques jaloux de ses vertus , il renonça au siège de la capitale d'Orient, se confina dans la solitude après laquelle il avoit toujours soupiré , et mourut en 3g 1. La meilleure édition des ouvrages de ce père, est celle de Paris, 1609 et 161 ia 2 vol. in-fol. II , 92. GREGOIRE DE TOURS ( S. ) , ainsi surnommé parce qu'il fut évèque de cette ville en 573 , se distingua par ses écrits et par ses vertus. On le regarde comme le père de notre histoire , mais non comme le modèle des historiens. Simple et crédule 3 il n'a mis du choix ni dans les faits , ni dans le style : le sien est aussi, rude et aussi grossier que le siècle où il vivoit. Cependant, malgré ses défauts , son ouvrage est important pour acquérir la connoissance des premiers temps de notre monarchie. La meilleure édition est celle qu'en a donnée dom Ruinart en 1699 , in-Jol. Grégoire mourut en 5o5 , à! 52 ans. 1, 415 , 416. GRÉGOIRE ( S. ) , surnommé le Grand , futd'abord préfet de Rome. Il quitta, cette dignité pour s'ensevelir dans la retraite. Il en fut tiré pour ètr<;
�TABLÉ HI STORIQUE mis nu nombre des sepl diacres de suivante , d'une blessure qu'il reçut l'Eglise romaine , dont il devint le au siège de Rotwil. III, 291. pasteur en 590 , après la mort du GUESCLIN ( Benauld du ), père du suipape Pelage. Son zèle alors s'étendit vant , épousa Jeanne de Malleà tout : il soulagea les pauvres t mains , dame de Sacé. I , 338. réforma les mœurs , envoya des III , 3o7. apôtres chez les infidèles et surGUESCLIN ( Bertrand àa) , connétable tout eu Angleterre , réprima les préde France , l'un des plus grands tentions fastueuses des prélats , inshommes dont parle notre histoire, titua le chant de l'office divin , prit donna dès sa plus tendre jeunesse le titre modeste de serviteur des servides preuves du plus intr épide couteurs de .Dieu , et quitta la vie, après rage. Sa vie ne fut qu'une chaîne de l'avoir semée des plus sublimes vervictoires , d'actions de justice , de tus , en 604. Ce saint pape a mérité , bienfaisance et de patriotisme. Il par ses écrits solides et lumineux, mourut en i38o , en assiégeant Chàd'être mis au nombre des docteurs de teauneuf-de-Randon , dans le Gcl'Eglise latine. U n'a lien de bien vaudan. Il fut enterré à Saint-Denis, élevé dans son style et dans sa maauprès du tombeau de Charles Trt et nière , mais i! est facile et suivi, et à ses pieds. Son corps y fut porté ce qu'il dit touche et persuade. Nous avec les mêmes cérémonies que devons à dom de Sainte-Marthe la ceux des souverains. I , 10, 226, meilleure édition des ouvrages de 338. II, 63 , 333 , 399 , 460. III ce savant pasteur ; elle est en 4 vol. 185 , 3o2. in-fol. I, 416. H , 74 , 263. GUESCLIN ( Julienne du ) , religieuse , GREVIN ( Jacques ) , né en i538 , tante du précédent : "elle ressemait s'adonna de bonne heure à la poésie la race dont elle étoit. II , 722. française et à la médecine, et fut GUET ( le chevalier du ) , qui assista ainsi tout à la fois chantre et sacrifià l'exécution du maréchal de Macateur d'Apollon. On ne lit plus ses rillac. II , 206. poésies , mais elles eurent du succès GUICHE ( comtesse de ) , favorite de dans son siècle ; et Marguerite de Henri IV que ce prince vouloit épou} France , duchesse de Savoie , le fit ser. II , 19. son médecin et son conseiller. Il GUIDE (le) , peintre célèbre , qui s'est mourut à la cour de cette princesse , immortalisé par son pinceau léger en i5/o. Ses poésies et son théâtre et coulant , sa touche gracieuse et ont été imprimés a Paris en J56I , spirituelle , son dessin correct , la a | ,83. fraîcheur de ses carnations , et surGniLLUS , fils de l'historien Xénophon. tout par les perfections inimitables H , 26. de ses têtes. Il amassa de grands GRIMOALD , duc de Benevent en 647 , biens, les dépensa au jeu , et mouusurpa le trône des Lombards en rut pauvre en 1641 , à 67 ans. III, 662 , et mourut cinq ans après. I , 5o3. 708. III , 309. GUILLAUME I , dit le Bâtard , parce GROTHUSEN , trésorier et favori de qu'il l'étoit de Robert , duc de NorCharles XII , roi de Suède, durant mandie , auquel il succéda , et le le séjour de ce prince à Bender. Conquérant , parce qu'il fit la conI , 10. quête de l'Angleterre en 1066 , mouGROTIUS ( Hugues ) , fameux politique rut en 1087 , à 61 ans. 1, 134 , 10";. et littérateur hollandais , mourut en III, 93. 1645 , à 62 ans, après avoir rendu GUILLAUME II, dit le Roux , fils du son nom à jamais célèbre par ses néprécédent , succéda à son père sur le gociations et ses savans écrits. On trône anglais , en 1087. II régna eu en peut voir l'histoire dans celle de despote , et frappé à la chasse par sa vie qu'a donnée M. de Burignj , un de ses courtisans qui vouloit tuer en 2 volumes in - 12. I , 26. II , un cerf , il mourut de sa blessure i85 , 438. en 1100, à l'âge de 44 ans. I, i34 , GUEDRIANT ( Jean ■ Baptiste Budes , 167 , 258. II, 91. comte de ), un des plus grands guerGUILLAUME III de Nassau , prince riers de son siècle , naquit en 1602 , d'Orange, né à la Haye en i65o, inciita le bâton de maréchal de élu stathouder de Hollande en 1672 ■ France en 1642 , et mourut l'année fit la guerre à Louis XIV ; passa en
436
�_DES PEBS
Angleterre en 1688 , chassa Jacques II, son beau-p'ere, de son palais et de son trône, et s'y mit à sa place. Au reste , il se montra fort digne de l'occuper par l'éclat de ses entreprises ; mais il ne gagna pas l'affection dé ses peuples ; et peutêtre eussent-ils fini par le haïr , si son aniuiosité contre la France n'eût suppléé à ce qui lui manquoit du coté des talens. Il mourut en 1702, à 52 ans. I, 228. III, 127, 175,
254.
UISE (
HNAGES.
43?
François de Lorraine , duc de ) , né en 1519 , se signala par une bravoure héroïque , et fut regardé comme le plus habile capitaine de son temps. Favori de Henri II, il régna presque sous le nom de ce prince. Il fut plus puissant encore 287. sous le règne de François 11. On le déclara lieutenant-général du royau- GUISE ( Henri de Lorraine , duc de ) , iils aîné du précédent, naquit en me , et le parlement lui donna le i55o. Dès 156g , il prouva, à la batitre de Conservateur de la patrie. Son taille de Jarnac , qu'il avoit hérité autorité étoit telle t qu'il recevoit du courage de son père , et bientôt assis et couvert Antoine , roi de Nail fit connoître qu'il en avoit aussi varre et prince du sang , qui ne lui l'ambition. Idole du peuple et des parloit que debout et tète nue. Sous soldats , il se lit une armée nomCharles IX , cette autorité baissa , breuse , à la tête de laquelle il ne mais ne fut pas totalement anéantie. se mettoit, disoit-il, comme son père, Il l'avoit acquise par la faiblesse des que pour défendre la foi catholique monarques précédons : pour la et les vrais enfans de l'Eglise. Tel fut maintenir contre les cabales qui se le commencement de ce brigandage abîmèrent alors , il lui fallut user qu'on appela la Ligue sainte, parce Jd'une vigoureuse politique , et déveque la religion en étoit le prétexte. lopper toute l'énergie des ressources La première proposition de cette as■qu'il pouvoit trouver dans son génie. sociation fut faite dans Paris. On fit ^Le prince de Condé , en se mettant circuler chez les bourgeois les plus ijp la tète des huguenots, ne s'étoit zélés un projet d'union pour la dé«proposé que de supplanter le duc fense de la religion , du roi et de la ■de Guise. Afin de résister à cette facliberté de l'Etat. Les fanatiques se Biou devenue redoutable , le duc feirangèrent en foule sous lès draKnit un zèle ardent pour l'antique peaux du due de Guise. Les calvi■ cligion du royaume; et se déclarant nistes furent attaqués et battus par■chef des catholiques , il publia que tout , et Henri III lui - même fut ■on dessein unique étoit de défendre obligé de se soumettre à toutes les Ba foi de ses pères contre les entrefantaisies des vainqueurs. Guise, Su'ises des novateurs. Il ne manquoit enflé par ses succès , et enhardi par ■[U'un prétexte aux deux partis pour la timidité du monarque, voulut lui en venir aux mains , et il ne tarda faire la loi. Ses prétentions audacieuwas à se présenter. Le hasard voulut ses tirèrent enfin Henri III de sa ftue le due passât près de Vassi, léthargie : il défendit au duc de paSur les frontières de Champagne , raître dans la capitale ; niais ce coup lorsqu'une troupe de calvinistes , asd'autorité, frappé trop tard , ne ser■emblésdans une grange, chantoient vit qu'à faire éclater davantage la §es psaumes que Marot avoit mis en puissance du sujet, et la foiblesse du ffeis français pour leur usage. Les souverain: Guise méprisa la défense mens du duc les insultèrent ; ils se du roi, et vint orgueilleusement défendirent : mais ils furent les plus triompher dans Paris. Henri fut jioiblcs soixante d'entre eux per; contraint de fuir et de demander la mirent la vie , et deux cents furent paix. Le duc , parvenu au but qu'il ,|angcreu6ément blessés. Cet acte désiroit, voulut bien traiter avec son
d'hostilité, que les huguenots appelèrent le massacre de Vassi , fut le signal de la guerre civile. Guise prit Rouen , Bourges , gagna la bataille de Dreux en i562 ; et vainqueur par-tout, il se vit au comble de la gloire. Pour achever d'accabler ses ennemis , il entreprit Je siège d'Orléans. Cette ville étoit le centre et comme la place d'ormes de la faction prolestante. Les travaux furent poussés avec ardeur , et elle alloit tomber au pouvoir du duc , lorsque Jean Pollrol de Méré , gentilhomme calviniste, lui tira un coup de pistolet , pour délivrer ses frères de cet adversaire invincible. Guise eut l'épaule fracassée , et mourut six jours après , le 24 Février 1563. II, ig3 ,
Ëe 3
�'438
TABtE
ÏÎI STORIQUE commencement i5o.
G
maître. Il osa même se rendre aux états qui se tenoient à Blois en i588, et auxquels le roi l'avoit invité. A peine se fut-il présenté devant Henri 3 que des assassins apostés se jetèrent sur lui, et le percèrent de plusieurs coups de poignard. Ainsi périt, à l'âge de 38 ans , ce rebelle devenu trop redoutable pour que son souverain lui donnât des juges. Il étoit surnommé le Balafré, à cause d'une blessure qu'il avoit reçue à la joue dans un combat près de. ChâteauThierry , en i575. II , 58, 211. GUISE ( Charles de Lorraine , duc de) , fils aîné du précédent, né en 1571 , fut arrêté le jour même de la mort tragique de son père, et renfermé au château de Tours. Il se sauva de sa prison en 15 91 , et se rendit à Paris , où les ligueurs le reçurent comme un libérateur. lis l'auroicnt même proclamé roi , sans la jalousie du duc de Mayenne , son oncle. Il se soumit à Henri IV en 1594 , et mourut en 1640, laissant plusieurs en-r fans qu'il avoit eus de Catherine de Joyeuse, son épouse. II, 342, 3gi. GuiTON ( Jean ), maire et gouverneur de la Rochelle, dans le temps que le cardinal de Richelieu en lit le siège , en 1628. III, i53. GUNTER-FiELD ( M. ) , gentilhomme suédois, qui eut les deux mains emportées d'un coup de canon au
de ce
siècle,
Itî,
USTAVE
II, dit te Grand, roi de Suède, né à Stockholm CG 15g4 , succéda à Charles son père, en 6* , remplit l'univers du bruit
- A
DOLPHE
J II
de ses triomphes et de l'éclat de ses vertus, et fut tué en 1632 , à li bataille de Lutzen. III, i3a, 282.
G
USTAVE
III , roi de Suède, actuellement régnant, né en 1746 > monU sur le trône en 17 71. Par ses actei d'humanité, par la sagesse de son administration , que toute l'Europe admire, ce prince est lui-nmuî son propre historien. 1, 70,83
GYLIPPE
nïy
180. , capitaine lacédémoiiicn fut envoyé par les Spartiates zi secours de Syracuse, assiégée par les Athéniens , 416 ans avant J. i Il battit les ennemis de cette ville, et la délivra. Il accompagna ensuite Ly sandre à la prise d'Athènes, e! fut chargé de tout l'argent que l'on trouva dans cette ville opulente. Ebloui par la grandeur de son dépôt , il succomba à la tentation d'en profiter, et détourna trois centi talens. Son larcin fut découvert il fut son propre juge, et se puni! lui - même en s'exilant volontaire-
1
ment. II , 230.
H.
HA ACH
une des héroïL ETTE (Jeanne) nes qui défendirent la ville de Beauvais contre les assauts de Charlesle-Hardi, duc de Bourgogne , en 1472. III, 3o6. également du nôtre. Il mourut saintement , comme il avoit vécu , en 1706 , 245, à 83 ans. III, 156 , 243,
HAMMAD -
, homme obscur, favori et ministre tout-puissant de Charles-leSimple, roi de France. 1, 422. HAMBROECK , ministre hollandais à
HAGANON
- SOLIMAJI ( Àbou ■ /<• , maë'l ), célèbre docteur musulman, qui n'usoit de ses richesses que pont
BEN
HANNYS,
l'île Formose , en 1662. I, 3o3. H ( Jean - Baptiste du ) , né en 1624, se distingua, dès l'âge de
AMEL
3
soulager les pauvres. I , 274. précepteur de l'empere™ Héliogabale, qui ne lui téinoijp» sa reconnoissance qu'en le tuante sa propre main. 1, 396. homme naïf et distrait, dont l'existence n'est pas bien
8 ans , par de bons ouvrages de mathématiques. Il entra chez les pères de l'Oratoire , et n'en sortit que pour, être curé de Nenilli-surMarne. Après ayoir édifié , soulagé et instruit son troupeau, il quitta ça cure pour se livrer tout entier à la philosophie. Il devint secrétaire de l'académie des sciences en 1666 , et mit le comble à sa réputation par une multitude d'écrits estimés de son temps, et qui méritent de l'être
HARCANE,
taine. II, 4g3. HARCOURT (Henri de Lorraine , comte d') iils de Charles 1 , duc d'Etto» se distingua à la bataille de Prague, en 1620. De retour en France," servit dans les armées AeLouis Jl"> !i reprit les îles , de Saint-flonorat de Sainte-Marguerite, et fit quant* de grands exploits qui lui mériter*' le gouvernement de Guiennc, et u
�DES
FEES ONNAGES.
charge de grand êcuyer de France. Il mourut en 16G6 , à 66 ans. Sa postérité suhsiste dans M. le prince de Lambcsc et son frère. 1, 262. ARLAI ( Adultes dé ) , premier président du parlement de Paris , magistrat intègre , tidèle à son prince , ami du peuple, mort en 1616 , à 80 ans. II, 211. ARLAI ( Aclùlles de ) , conseiller , puis procureur - général , et enfin premier président du parlement de Paris, de la même famille que le précédent , mourut en 1712 , à 73 ans. 1, 547. ARLAY DE CHANVALLON ( François de ) , archevêque de Rouen dès l'âge de 26 ans, succéda à M. de Pèrefixe dans l'archevêché de Paris, en 1671 , mérita l'estime du roi Louis XIV, qui le nomma au cardinalat ; mais il mourut avant de recevoir le chapeau , en 1695 , à 70 ans. II, 42. ARMODIUS , citoyen d'Athènes , qui se joignit à Arislogiton , pour rendre la liberté à sa patrie , l'an 5i6 avant J. C. III , 121 , 173. ARMONIE , fille de Thrasibtde , tyran de Syracuse , l'an 466 avant J. C. H, 234. IAROUN-AL-B.ASCHILD , cinquième calife de la race des Abassides , fut proclamé en 786 , et mourut après 22 ans et demi d'un règne illustre. I , 291 , 323. II, a3g , 375 , 397ART-SOEKER ( A'icolus ), né à Goude en Hollande, en 1656 , s'appliqua aux belles-lettres , aux langues , et s'attacha sur-tout à la physique et aux mathématiques. Il fut l'Archimède de son siècle. L'académie des sciences de Paris, et celle de Berlin , se l'associèrent. Il mourut en 1725 , à 69 ans. II , 341. ASCEN, eunuque musulman , gouverneur d'Alger , en 1541. II , 14ATEM-TAY , le plus généreux des Arabes de son siècle. II , 274. AY. Voyez CHATELET. fc'BERT , curé de Versailles , sous le règne de Louis XIV, se distingua à la cour par la sage sévérité de sa morale. I , 279. HEGÉSIAS , philosophe grec , sous le règne de l'un des Ptolémées, roi d'Egypte. II, 138. HI;GÉT0RIDÈS , citoyen de la ville de Thare , dans la mer Egée , l'an 469 avant J. CI, 197. HÉGIAGE , calife , ou plutôt vice-roi
4^9
d'un calife-musulman qu'il tenoit en tutelle. II , 192. HE11HON , évèque allemand , sous l'empire de Henri II , au onzième siècle. I , 49. HÉLÈNE ( Sainte ) , d'une famille obscure , d*abord hôtellière , s'éleva par les charmes de son esprit et de sa figure, et plut à l'empereur Constance Chlore qui l'épousa. Elle fut mère du grand Constantin , se sanctifia par la piété la plus active , et mourut en 327 , âgée de 80 ans. III ,
57.. ' HÉLÈNE ( Flavia- Mavima) , fille du grand Constantin , qui la donna en mariage à Julien-l'Apostat , à la sollicitation de l'impératrice Eusébic. Elle mourut peu de temps après que son époux eut été proclamé empereur par l'année, des Gaules. I ,
469.
fut élevé à l'empire à la place de Macrin , en 21.8. La dissolution de ses mœurs le .fit surnommer le Sardanapale de Rome. Il porta tous les vices à leur comble , et fut tué par ses soldats en 222 , à l'âge de 18 ans. I , 3g5. HELLÉBIQUE , général des armées de l'empereur l'héodose-le-Grand. III , 9HENAUT (Jean) , poète français, se rendit célèbre par ses poésies , et sur-toutpar son sonnet de l'Avorton , qui n'a au fond d'autre mérite que celui de renfermer deux ou trois antithèses assez bonnes. Elles furent imprimées en 1670 , /n-12. Peu scrupuleux sur la religion pendant le cours de sa vie , il devint chrétien en moulant , en 1682. II , 444. HENRI II , dit le Boiteux , l'apolre des Hongrois , et le saint , élu empereur de Germanie en 1002 , régna avec gloire , et mourut saintement en 1024 , à 57 ans. I , 4g. HENRI I , Iils aîné du roi Robert r fut saci'é roi de France du vivant de son père, en 1027 , et commença à régner seul en ro3i. Ce fut un prince guerrier, vertucuxetsage. Il mourut en 1060. 1, 424. HENRI II, fils de François I, naquit à Saint-Germain-en-Layc en i5i8 , devint roi de France en 1547, fut mortellement blessé dans un tournois , par le comte de Montgommèri , et expira le 10 Juillet 1.H9 , à l'âge de 41 ans, dont il avoit régné 12. I , 444. II, 237 , 335. III, 140 , 20g»
HÉLIOGABALE
Ee 4
�TABLE HI STOE.IQUE HENRI III , troisième fils du précémourut en paix à Londres en ujtj dent , naquit à Fontainebleau en à 65 ans, après en avoir régné S5 i55i , et eut le titre de duc d'Anjou. dans les orages. II , 8 , 135. L'éclat de ses premières années et HENRI IV fut proclamé roi d'Angle, J'intrigue le placèrent sur le trône terre en i3gg , et mourut de la de Pologne en 1573. Il l'abandonna lèpre en 1413 ; à 46 ans. Il fui le bientôt furtivement , pour venir chef de la maison de Lancastrc, ceindre le diadème français que la rivale de celle d'York. Durant ur, mort venoit d'enlever à Charles IX règne de 14 ans , il ne fut occupé son frère. Il fit la guerre aux huguequ'à réprimer les révoltes , et à nots en faveur de la Ligue ; mais, faire la guerre aux Ecossais ; et, s'étant ensuite réconcilié avec Henri pendant sa maladie, qui fut longue, roi de Havane , héritier présomptif il voulut toujours avoir sa couronne du trône , il se déclara contre elle , auprès du chevet de son lit, de et s'efi'orçant de l'abattre , il en fut crainte qu'on ne la lui enlevât. 1,9;, la victime. Lorsqu'il assiégeoit Paris, HENRI V , fils du précédent, lui sucun moine fanatique, nommé Jacques céda en 1413. Il forma le projet de Clément, l'assassina à Saint-Cloud , conquérir la France,et l'exécuta.Li le premier Août i58g. Il avoit 39 guerre s'apaisa pour un instant, ans , et en avoit régné i5. I, 70 , par un traité honteux conclu i '322 , 446 , 478. II, 64 , su , 212 , Troyes en 1420 , qui déclaroit le 314 , 394. III , 3oi. monarque anglais héritier de Cliarlti HENRI IV , dit le Grand , fils VI, au préjudice du dauphin , ded'Antoine de Bourbon et de Jeanne puis nommé Charles VII, à condid'Albrel , héritière du royaume de tion qu'il épouseroit . Catherine de Navarre , naquit à Pau , capitale France. Ce prince sans doute eût été du Béarn , en 1553. Il fut déclaré placé sur le trône de son beau-père, chef du parti protestant en 356g. Il si une fistule ne l'eût emporté en 14:1, épousa la sœur de Charles IX, et dans la trente-sixième année de son succéda à Henri III sur le trône âge. I, 225. II, 386. III, 3i6. français en 158g ; Il vainquit ses HENRI VI , fils du précédent, et de sujets , et en devint le père. H Catherine de France , fille de Çhmltl rétablit l'abondance et la paix dans VIy succéda à son père en 1422,et ses états , et après avoir travaillé régna en Angleterre sous la tutelle pour le bonheur de son peuple , il du comte de Glocester , et en France se préparoit à augmenter sa gloire sous celle du duc de Betlford se» en humiliant les ennemis du dehors, oncles. Il fut couronné à Paris en lorsqu'un monstre furieux et imbéI43i ; mais , malgré tous les effort! cille , nommé Bauaillac, le poides Anglais , Charles VII, le légignarda , le 14 Mai 1610 , dans la time roi , chassa l'usurpateur. Benri rue de la Ferronnerie , Il avoit 57 fut rappelé en Angleterre par la ans , et en avoit régné 21. I , 27 , révoltés; et, après une longue suite 4g , 76 , 88 , 104 , 110 , 139 , 234 , de disgrâces , entremêlées de quel2g7 , 3og j 33o , 447 , 481 , 488. ques prospérités passagères , il fat II , 19 , 25 , 42 , 78 , 97 , j36 , renfermé dans la tour de Londres, 162 , 194 , 211 , 217 , 218 , 2.10 , par l'ordre du duc d'York , qui se288 , 335 , 342 , 378 , 414. III , toit fait proclamer roi sous le nom 57> !■ , 94,n5,i43,i59,i85, d'Edouard IV, et égorgé par le duc 217 , 224 , 281 , 343. de Glocester , en 1471. III, 317. HENRI D'ALBRET , aïeul maternel du HENRI VIII, roi d'Angleterre, mono précédent, devint roi de Navarre en sur le tronc en i5og , après la mort I5I6 , et régna 3g ans. I , 139. de Henri VII son père. Par son rilc HENRI I , surnommé Beau-Clerc à pour la doctrine catholique , il m'-* cause de sa science , l'un des trois ri ta d'abord le titre de Défenseur à fils de Gnillaume-le-Conquérant , dela foi ; mais , démentant bientôt vint duc. de Normandie après la cette dénomination glorieuse, il se mort de son père, et roi d'Anglelaissa emporter à la fougue de ses terre après celle de Guillaume-tepassions ; devint tyran et libertin, Boux son frère, tué en 1100. Il et abolit le catholicisme en Anglemourut en 1135, à 68 ans. I, 134 , terre. Il arma les bourreaux pour 167. dompter les consciences , et mourut HENRI III, rot d'Angleterre en 1216 , en 1647 , à 57 ans, dont U avoit
44°
�DES ÏEBS OBNAGfES.
régné 38. I, 25g. III, 12S, 171 ,
283 , 2go.
HENRI
44l
I , comte de Champagne , surnommé le Magnifique , mérita ce glorieux titre par sa libéralité , plutôt que par son luxe. II, 3g5. HnrnESTioN. Voyez EPHESTION. IIÉRACLIDE , surnommé le Ponlique , parce qu'il étoit d'Héraclée, ville du Pont, philosophe grec , disciple de Spensippe et à'Arislote , vers l'an 336 avant J. C. II, 408. HERACLIDE , citoyen de Syracuse , capitaine habile; le rival et l'ennemi de Pion , qui permit à ses partisans de le tuer. I, 172. III, i36. HERACLITE , philosophe célèbre , natif d'Ephèse , llorissoit environ 5oo ans avant J. C. Il étoit mélancolique, pour ne pas dire sauvage, et pleurait sans cesse sur les sottises humaines, qui cependant , bien considérées , sont plus capables d'exciter le rire que la pitié. Cette triste habitude , jointe à son style énigmatique , le fit appeler le Philosophe ténébreux. Fatigué de vivre avec les hommes , il se confina sur uirc montagne ; où ayant été attaqué d'hydropisie , il se laissa mourir de faim à 60 ans. II, 433. III, 206. HÉRAÇLIUS arracha l'empire d'Orient et la vie au tyran Phocas, et se fit couronner lui-même en 610. Il régna avec gloire , vainquit Chosro'es , roi de Perse , mais déshonora sa vieillesse , en adoptant les erreurs des monothélites , et en voulant les faire dominer dans son empire. U mourut d'hydropisie en 641 , à 66 ans , dont il avoit régné trente.
m, 93 .
HÉRENNIUS, HERENNIUS
sage vieillard samnite , l'an 321 avant J. C. II, 14. , jeune homme débauché , qu'Auguste chassa pour cette raison du nombre de ses gardes. HÉRIUS , fils de Pollion , orateur célèbre sous le r ègne d'Auguste. II ,
401.
HERMAN ( Catherine ), femme d'un matelot hollandais , obtint la grâce et la liberté de son mari en signalant sa bravoure au siège d'Ostende , en
1601.
IlERair.NFRoy , roi de Thuringe , au sixième siècle. I , 411. HERMOCRATE , citoyen de Syracuse, l'an 413 avant J. C. II, »3f. HERMODON , poète grec , courtisan d'Antigone , roi d'Asie , II, 466. HÉRODE- LE-GRAND , né 68 ans avant
J. C., fut fait roi des Juifs par MarcAntoine. Il régna en tyran,n'épargna pas plus ses proches que ses sujets ; lit mourir Mariamne , sa femme, qu'il adorait, et trois de ses fils ; ce qui fit dire à Auguste , dont U avoit gagné la protection par les adulations les plus bosses , qu'il vaIoit mieux être le pourceau d'Jièrodc que son Iils. Il voulut envelopper Jésus - Christ naissant dans le massacre qu'il fît faire de tous les enfans mâles dans le territoire de Bethléem et de ses environs. Ce prince cruel mourut rongé de vers à 71 ans. 1, 340. HERODE-ANTIPAS , fils et successeur du précédent , mourut l'an 40 de l'ère chrétienne. Ce fut lui qui renvoya Jesus-Chrisl à Pilate. II, 261. HÉRODE-AGRIPPA, petit-fils à'Hérodele-Grand, fut déclaré roi des Juifs par l'empereur Caligula , l'an 3 7 de J. C. Il mourut sept ans après , rongé de vers , comme son aïeul. I , 490. III , 125. HÉRODE-ATTICUS ( Tibèrius-Claudius\ surnommé le Sophiste, orateur athénien , maître d'éloquence de l'empereur Marc-Aurele , ce qui le conduisit aux premiers honneurs. Il fut consul en 143, et mourut à 76 ans, I, 241. III, n5. HÉRODOTE , le père de l'histoire profane , naquit à Halycarnasse , dans la Carie , 484 ans avant J. C. Ses neuf livres d'histoire portent chacun le nom d'une Muse, et ils ont été publiés par TJtomas Gales , Londres, 167g , in-fol. , et par Wesselingius , Amsterdam , 1763 , in-Jol. On estime encore l'édition de Glascou , 1761 , m-8.°, g vol. I , 334. M . i3«HEROPHILE , célèbre médecin athénien , obtint la liberté de disséquer les corps vivans des criminels condamnés à mort. Il poussa fort loin les découvertes anatomiques , et mourut vers l'an 570 avant J. C. II, 378. HERTHOLDE. Voyez BERTHOLDE. HlDRIÉE , magistrat carien , contemporain à'Agésilas-le-Grand , roi de Sparte. II, 378. HlÈRON I, roi de Syracuse, succéda à Gilon , son frère , l'an 476 avant J. C. , et mourut onze ans après. Cruel et avare au commencement de son règne , le commerce des philosophes le rendit humain et généreux. Il fut plusieurs fois vainqueur aux jeux publics de la Grèce
�TABLE HI STORIQUË et Pindare chanta ses triomphes., I, HOEMS ( le major ) , officier de CVom3«o , 464. III, 45. wel. I 3 254. HlERoN II , roi de Syracuse, des- HoniEBON ( Saint ) , marchand de cendoit de Gèîon , et en avoit les Crémone , en Lombardie , mort eu vertus. Élu général par les Syra1197. II ,98. cusains , l'an 275 avant J. C. , il HOMERE , le père de la poésie grecque, prit le titre de roi , dont il se florissoit environ gou ans avant J. C. montra digne par ses services. Il se et 3oo ans après la prise de Troie. déclara pour les Romains contre Sept villes se disputèrent l'honneur les Carthaginois , s'immortalisa par de lui avoir donné le jour : Smyrne, la lidélité avec laquelle il seconda Rhodes , Colophon , Salamine , toutes les entreprises de ces vainChio, Argos et Athènes. Il s'imqueurs du monde; et durant un mortalisa par ses deux poèmes de règne de 54 ans , il ne causa qu'une l'Iliade et de l'Odyssée. On dit qu'il seule atllietion à ses sujets , ce fut étoit aveugle , et que pour avoir celle qu'ils éprouvèrent en le perdu pain , il alloit réciter de porte dant a l'âge de 94 ans. Il étoit en porte quelques lambeaux de ses leur père , et l'avoit prouvé en les ouvrages. Cet homme, qui manquoit rendant heureux et florissans. I , de tout pendant sa vie , reçut pres565. III, 5o. que des honneurs divins après sa HlPPIAS , fils de Pisistrate , tyran mort. Les meilleures éditions de ses d'Athènes , succéda à son père et admirables poèmes sont celles de à Hipparque son frère ; mais il ne Florence , 1488 , 2 vol. in-fol. ; de conserva son autorité que quatre Rome , 1542 et i55o , avec les ans , et fut chassé en vertu de la commentaires d'Euslache , 4 vol. loi de l'ostracisme , dont on fit in-fol. ; de Glascou , 17 56 , 2 vol. contre lui le premier usage, l'an in -fol. Elles sont toutes grecques. 5io avant J. C. III, 175. Les plus belles des éditions grecques BlPFOCRATE, le plus célèbre méde-» et latines , sont celles de Schrevelius, cin de l'antiquité, et l'oracle de i656, 2 vol /«-4.0; de Bornes, 1711, ceux qui l'ont été et qui le sont 2 vol. m-4.0 , et de Clarke , 1729 , encore , naquit dans l'ile de Cos , 2 vol. Hi-4.0 I, 244, 245, 367. l'une des Cyclades , vers l'an 460 437-. • • / . avant J. C. Il opéra des prodiges , HoNGER , chevalier breton , ami et fut bienfaisant et généreux , et contemporain de Bertrand du Guesrecueillit les fruits de son savoir en clin. II , 63. prolongeant sa vie jusqu'à l'âge de HONORÉ ( le pore ) , capucin , prédi104 ans. Les Grecs , auxquels il cateur du siècle dernier. II, 266. avoit dévoué ses talens, lui défé- HONORIUS , empereur d'Occident, rèrent les mêmes honneurs qu'ils second fils de Thèodose - le - Grand , avoient rendus à Hercule. Sa mémoire auquel il succéda conjointement est encore en vénération à Cos , et avec Ârcadius son frère, en 3g5. Il l'on y montre une petite maison où ne donna que son nom aux affaires ; l'on dit qu'il a habité. Les meilleures l'autorité fut toute entière entre les éditions de ses doctes ouvrages sont mains de ses ministres. Il mourut celles de Foesius , in - fol. 2 vol. sans gloire , comme il avoit vécu , Genève, 1657 , grec et latin; de en 423 , à 3g ans. II, 22. III, Vanderlinden , in-8.° 2 vol. Leyde, 160. 1665 ; et de Chartier , jointe au HÔPITAL ( Michel de 1' ) , fils d'un Galien , i3 tomes en 9 vol. in-fol. médecin , naquit en i5o5. Il montra 1639. On ne peut être médecin sans de bonne heure ce qu'il seroit un connoître à fond les écrits de ce jour. Après avoir étudié dans les grand maître. I, 202. II, 400. plus célèbres universités de France HlPPOGRATIDE , philosophe grec. II , et d'Italie , il s'appliqua à la juris14. III , 162. prudence , et son mérite le fit passer HlpPOMAQUE , joueur de flûte, célèbre par toutes les charges honorables de de son temps chez les Grecs. II , la robe. Il devint chancelier de i36. France sous le règne de François II HlRE. Voyez LA HIRE. en i56o. II opposa un zèle éclairé a HOCLOD-KHAN. Voyez OCTAï-KHAN. la multitude de ceux que le fanaHOGARTH {Guilloiune), peintre anglais, tisme armoit alors , empêcha l'étamort à Londres en 1765. III, 242. blissementdc l'inquisition enFi-ancc,
442
�DES
PERSONNAGES.
443
Fouille , 63 ans avant J. C. Il fit de vains efforts pour éteindre la étoit petit-fils d'un affranchi. Son guerre civile: et s'il ne put empêpère lui donna une éducation qui cher les malheurs de l'état, il cherdéveloppa les heureuses dispositions cha du moins à les adoucir par qu'il avoit reçues de la nature. Le plusieurs édits sages ; mais qu'on célèbre Brutus le créa tribun des admira saris les suivre. Après l'afsoldats dans l'armée qu'il avoit levée faire de Vassi , voyant que les cacontre les Triumvirs. Horace se tholiques et les protestans alloient trouva à la bataille de Philippe ; prendre les armes , il résista formais meilleur poète que guerrier 9 tement au conseil de Charles IX, il prit la fuite , jeta ses armes . dont presque tous les membres s'évint à Rome , où la pauvreté le toient déclarés pour la guerre. Le porta à la composition. Mécène le connétable , irrité des contradicprotégea , le fit connoître à Auguste 9 tions du chancelier, lui dit que et tous deux le comblèrent de bience n'étoit à gens de robe longue faits. Il mourut dans l'opulence, » d'opiner sur le fait des armes. — 7 ans avant l'ère chrétienne , à .« Bien que tels gens , lui répondit 57 ans. Ses poésies sont des chefs» l'Hôpital , ne sachent conduire les d'œuvre; elles ont été souvent im>• armes, si ne laissent-ils de conprimées , et ont excité l'émulation >• noître quand il en faut user. » Il des hommes les plus célèbres dans eut part à toutes les grandes affaires l'art typographique. 1, 248; jusqu'en 1568. Alors , devenu suspect à Catherine de Médicis , parce HORATIUS-COCLES ( Publias ) , Romain intrépide, qui signala sou qu'il ne servait pas la violence de courage l'an 507 avant J. C. I , sun caractère et la duplicité de sa 332. politique , il se retira de lui-même dans sa terre de Vignai près cPË- HORMIDAS , seigneur persan , sous le règne du grand Constantin. 1, 3o8. tampes. A peine eut-il quitté la cour , qu'on lui redemanda les HORMUS ou Hormisdas III, fils de Chosroes - le • Grand, roi de Per^se , sceaux. Il les rendit sans regret, succéda ace prince en 579 , devint disant que les affaires du monde odieux à ses peuples par sa tyrannie , étoient trop corrompues pour qu'il et fut tué en 5go , après avoir été pût encore s'en mêler. Il mourut en déposé. III , 33g. ï573 , laissant quelques écrits et des poésies latines , qui n'ont pas HORN (le général), capitaine suédois , gouverneur de l\erva pour fait sa réputation , quoique pluCharles XII, en 1704, I, 489. sieurs auteurs, trop indulgens sans HORTENSIUS ( Quintus ) , orateur rodoute, ou peu difficiles , les aient main , émnle de Ciccron. Il fut beaucoup louées. I , 446. consul l'an 70 avant J. C. A sa mort HÔPITAL ( Guillaume-François-Antoine , on trouva dans ses caves dix mille marquis de I' ) , issu d'une maison muids de vin qu'il avoit reçus des ancienne , différente de celle du parties pour lesquelles il avoit chancelier, naquit en 1661 , se displaidé. II , 181 , 437. tingua d'abord par sa valeur , puis se fit un nom immortel dans la HOSTAL ( le sieur de I' ) , vice-chancelier du royaume de Navarre sous géométrie. Il fut reçu de l'académie Henri IFfit, en l'honneur de ce des sciences en 1693 , et mourut en prince, un livre extravagant qu'il 1704 , a 43 ans. On a de lui deux intitula VAvant-Victorieux, et qui excellcns traités : l'un contient l'anaparut en 1610. II, 25o. lyse des infiniment petits , et l'autre expose la doctrine des sections co- HOUGH ( le docteur ) , mérita , par ses vertus, Pévèehé de Worcester niques. II, 341. en Angleterre, et mourut très-âgé HOQUINCOURT ( Charles de Mo'uchi d') , au commencement de ce siècle. I, maréchal de France , mort en i658. 291. II , 230. II, 461. Ho RACES ( les ) , trois frères romains HUGUES - LE - GRAND , appelé aussi Hugues-V Abbé , parce que , suivant qui lurent choisis pour combattre l'abus introduit dans son siècle, il contre les Curiaces leurs cousinspossédoit plusieurs abbayes , quoigermains , afin de décider de l'emqu'il fût marié; il étoit fils de Robert, pire entre Rome et Albc , l'an 66g que des factieux avoient couronné avant J. C. I, 205 , 332. roi de France , après avoir déposé HORACE naquit à Veuuse dans' la
�2J44
TABLE HI STORIQUE
, l'un des gouverneurs que les Lacédémoniens établirent à Thèbes , après s'être rendus maîtres de cette ville , l'an 33a avant J. C. 1,182, HYPERIDE , célèbre orateur grec, disciple de Platon et d'Isocrate , parvint aux premières magistratures d'Athènes ,'et défendit avec courage la liberté de la Grèce contre les entreprises des Macédoniens. Il fut mis à mort par ordre d'Antipater, gouverneur de Macédoine. II, 4o3. HYRCAN , Juif , fils du receveurgénéral de Syrie sous le règne de Plolémée-Philométar. II , 427. HYSTIEE , tyran de Milet , sous le règne de Darius , fils d'Hyslaspes, 1, 511.
HYPATAS
Charles - le - Simple Succédant à la puissance de son père , il ne prit pas le titre de roi , mais il en conserva toute l'autorité. Il mourut en g56 , regardé comme l'un des plus grands capitaines de son siècle. I,
423.
HUGITES-CAPET
, chef de la troisième race des rois de France, fils du précédent, ne se lit proclamer qu'après la mort de Louis V', dit le Fainéant. Son courage l'avoit placé sur le trône; ses vertus l'y maintinrent, et il mourut regretté de ses sujets en 997 , à 57 ans , doirt il avoit régné
10. 1, 423.
HUSSEIN,
fils d'Ali IV, calife des Sarrasins. UI, 22.
Arabe, consacra son fils les expulsa de tous les pays de sa Ahmed au service de la Mecque. III, domination en 1767. Le roi de Na56. ples , le duc de Parme et le grandÏBATZÈS, prince bulgare , se révolta maître de Malte , imitèrent ce prince contre l'empereur Basile , en 1017 , en 1768. Enfin, le pape Clément et fut tué peu de temps après sa XIV, pour le bien de la paix , les rébellion. III, 285. supprima tout-à-fait en 1773. II, ÏCILIUS fut tribun du peuple romain 497avant l'élection des décemvirs , et ILDIBAD , roi des Goths du temps de devoit épouser la jeune Virginie, Bèlisaire. II, 416. qu'Appius-C/audius voulut lui ravir, INDIBILIS , prince espagnol , que l'an 449 avant J. C. 1, 472. Scipion l'Africain soumit à la puisIGNACE-DE-LOYOLA ( St. ), fondateur sance de Rome. III, 108. des Jésuites, mort en 1556 , à 65 INNOCENT IV , appelé auparavant ans , vit sa société, ou plutôt sa Sinibalde de Fiesque , né à Gênes , compagnie , comme il l'appeloit , arvint aux premières dignités de établie dans presque toutes les conEglise, et fut élu pape en 1243. trées de la terre, quoiqu'elle eût C'est lui qui donna le chapeau rouge été d'abord mal accueillie par-tout. aux cardinaux, pour les avertir, par Ses progrès furent bien plus étendus cette couleur , qu'ils doivent touet plus rapides encore après la jours être prêts à répandre leur sang mort du saint fondateur. Elle acpour la défense de la foi. Il tint en quit , durant deux siècles, un crédit 1245 le premier concile général de immense dans toutes les cours , et Lyon, où il excommunia l'empesur l'esprit de tous les peuples ; mais reur Frédéric II , avec lequel il enfin on s'aperçut qu'elle coms'étoit brouillé. Il mourut en 1254. mençoit à en abuser , et qu'elle Il fut regardé comme le plus grand pouvoit en abuser davantage ; et jurisconsulte de son siècle , et ses cet ordre de religieux, devenu trop contemporains le nommèrent le Père puissant, fut la victime de sa propre du droit. 1, 3og. ambition. Le roi de Portugal, perINNOCENT XI ( Benoit Odescalchi ) , suadé que les assassins qui attenné en 16 r 1 , succéda au pape Clétèrentàsa vie en 1758, ne l'avoient ment X en 1676 , et mourut en 1689. fait qu'à l'instigation des Jésuites , III, 266. les chassa de ses états en I75g. Le roi de France , jugeant que leur ins- INTAPHERNES, seigneur de la cour de Darius, fils d'Hyslaspes, roi de titut étoit incompatible avec les Perse , se révolta contre ce prince , lois de son royaume, les supprima fut pi is et condamné à mort avec en 1763. Le roi d'Espagne, pour sa famille. I, 166. des raisons qu'il lait, de peur d'exIPHICRATE , général athénien, fils citer le trouble parmi ses peuples , d'un cordonnier, remporta de gratv
J.AHIA,
f
�Ï>ES PERSONNAGES. 445 des victoires , et rendit sa patrie tude t et fut ordonné prêtre par redoutable. II épousa la fille de saint Athanase. Il mourut en 4o3 „ Colys, roi de Thrace , et vivoit à 85 ans. III , 274. encore l'an 3 80 avant J. C. II, 191 , ISMAEL I , sophi de Perse , monta sur 254. III, 93, 98 , 1II , 166. le trône eu i5oi , et régna 25 ans. ÏSAAC, iils du patriarche stbraham et Il fit des conquêtes sur les Sarrasins. de Sara , fidèle imitateur des vertus II, 428. de son père , mourut l'an 1716 ISMÉNIAS , député des Thébains à la avant J. C., à 180 ans. 1, 233. II, cour du roi de Perse. 1, 5i. 497ISMÉNIAS , célèbre joueur de flûte, ISAAC ( St. ) , pieux solitaire sous le disciple à'Antigènidas , tous deux règne de l'empereur Valens , rassemTbébains. III, 142. bla plusieurs disciples , et mourut ISOCRATE , célèbre orateur athénien , vers la fin du quatrième siècle. le premier, suivant Cicèron , qui II, 348. ait introduit dans la langue grecque SABELLE DE BAVIÈRE , épouse de ce nombre , cette cadence , cette Charles VI', roi de France , fut mariée harmonie qui en fait la première en i385. Cette reine , haïe des des langues. Il mourut, de chagrin , Français , auxquels elle avoit voulu après avoir appris que ses compaôter leur légitime souverain, et triotes avoient perdu la bataille de méprisée des Anglais qu'elle protéChéronée t l'an 338 avant J. C. , geoit, mais qu'elle n'avoit pu souà 98 ans. Il nous reste 21 de ses tenir , mourut de chagrin en 1435. harangues , qui ont été traduites du II, 227, III, 3i6. grec en latin , par Wolfius. On esSADAS, jeune et brave Spartiate du time les éditions qu'en ont données temps A'Epaminondas. 1, 341. les Aides en 1515 et i534 , in-fol. , SAÏE , le premier des quatre grands et Etienne en i5g3. I, 199. II , i32. | prophètes , étoit fils A'dmos, de la ISOMACHUS , disciple de Socrate. I , famille royale de David. Il prophé241. tisa depuis l'an 735 jusqu'à l'an C81 IY A N IV ou Jean Jiasilowitz , emy avant J. C. Ce fut alors que le roi pereur de Russie, prit le premier Manassès le fit mourir dans un âge le titre de Czar, qui veut dire roi. très-avancé. Il parle si clairement Il monta sur le trône en i534j après de Jésus - Christ et de son Eglise , la mort de Basile V son père , à qui qu'on le prendroit plutôt pour un Maximilien avoit donné le titre d'emévangéliste et un historien , que pereur. Il régna 5o ans. 1, 153. II, pour un prophète. 1, 264. 319, 351. |SDEGERDES I, roi de Perse , monta IVAN , prince de Russie , fils du présur le trône en 400 , et l'occupa cédent , fut tué par son père , qui 21 ans. II, 353. le soupçonnoit de trahison, quoipIDOBE ( St. ) , né à Alexandrie , qu'il fut innocent. I, z53. I passa plusieurs années dans la solij. , célèbre patriarche , fils A'isaac. et de Rêbecca , naquit vers l'an 1836 avant J. C., et vécut 147 3 ans. Il donna le jour à douze fils , I qui furent pères des douze tribus ;S dont le peuple de Dieu étoit com■ posé. I, 233 , 461 , 563. JACQUES DE TROÏES. Voyez 1 URBAIN IV. JACQUES II, roi d'Angleterre, fils |§ de Charles I et à'Henriette de France, M succéda à son frère Char/es II en S i685. Son attachement à la religion I catholique , qu'il voulut rétablir S dans ses états , lui attira la haine îj des Anglais. Ils se soulevèrent eonI tre ses édita , et appelèrent au trône
ACOB
Guillaume de Nassau 3 prince d'Orange , son gendre , qui lui ravit le sceptre , et l'obligea de chercher un asile eu France en 1589. Il fit de vains Torts pour recouvrer sa couronne , et revint â Saint Germainen-Laye, où il subsista des bienfaits de Louis XIV, et d'une pension de 70,000 livres, que la reine Marie sa fille lui faisoit chaque année. Il mourut en 1701 , à 68 ans. I ,
228. JACQUES
III, fils du précédent, prit le litre de roi, et voulut le réaliser. Il descendît en Angleterre ; mais ses efforts et ceux de ses partisans échouèrent, et il se rendit à Rome ,
�446
TABLE
HIS
TORIQUE naquit à Antioche vers Pan 3(7. Fla\>ien , éveque de cette ^ille, Pcleva au sacerdoce en 385 , et lui confia la prédication de la parole de Dieu , réservée jusque-là aux seuls évèques. Jean s'en acquitta avec tant d'éloquence et de fruit, qu'on le surnomma Chysostôme, c'est-à-dire, bouche d'or. Son nom devint célèbre dans tout l'empire, et ses vertus le placèrent sur le siège de Constantinople en 398. I! se conduisit en apôtre , réprima les abus, tit fleurir la piété , mais révolta Ici méchans. L'impératrice Eudnxie, dont il repi-enoil les excès , lui jura une haine mortelle. Cette princesse le tit exiler , et par son ordre on l'accabla de tant de mauvais traitemens , qu'il tomba dangereusement malade , au milieu de su route. Il passa lu nuit dans les bàlimens de l'église du martyr St. Basilique , qui lui apparut eu songe, et lui dit: «Courage, mon frère Jemi » demain nous serons tous ensem» hle. » Le lendemain on le fit partir malgré lui ; mais à peine avoit-il fait une lieue , qu'il se trouva si mal , qu'on fut obligé de le ramener dans la chambre qu'il venoit de quitter. Alors il prit un habit blanc, distribua aux assistans le peu qui lui restoit, reçut l'eucharistie , et s'écria: « Dieu soit loué de tout!» Il fit ensuite le signe de la croix, et rendit l'esprit en 407 , à 60 ans. Les meilleures éditions de ses œuvre sont celles de Henri-Savil, entière* ment grecque, en 1613 , in-Jo!., 8 tomes ; de Gommelin et de Fronton-du-Duc , grecque et latine, 10 vol. in-fol. ; et du Vhvcde Monlfatiah depuis 1718 jusqu'en 1734 , i3 vol. in-fol. enrichis de savantes noies. I, 5. II, 74 , 140. III, 140. JEAN-L'AUMÔNIER ( St. ), mérita ce surnom par son cxtraordinaûe charité. Après la mort de sa femme et de ses enfans , il fut élevé malçrt lui sur le siège patriarcal d'Alexandrie en 610. Quoique les revenus k son église fussent immenses , ■( vivoit pauvrement , n'ayant pour reposer qu'un petit lit, avec une mauvaise couverture de laine. &n homme riche d'Alexandrie l'ayas! su , lui en envoya une qu'il avoit achetée fort cher , le conjurant dt s'en servir pour l'amour de lui. U saint s'en servit en effet la nnii suivante ; mais il ne put dormir >
où il fixa son séjour, et y mourut eu 1766. 1, 125. JACQUES-ROMAIN , jacobin , célèbre architecte. C'est lui qui a fait lû pont des Tuileries , que l'on appelle le Pont-Royal , l'un des plus beaux de Paris. III, 7. JAPHET , fils de JYoé , naquit 2448 ans avant J. C. Il eut sept fils, dont la postérité peupla une partie de l'Asie , et toute l'Europe. 1, 206. JARS ( le chevalier du ) , seigneur français , sous le règne de Louis XIIï. I, m. JASON-ÎVÏAGNUS , célèbre professeur sous le règne de Louis XII, qui le combla d'honneurs , après l'avoir appelé d'Italie. I , 442. III, 141. J A X A T , roi des Adiabènes , l'an 41 de J. C. III, 162. JEAN - BAPTISTE ( St. ) , précurseur du fils de Dieu , étoit fils de Zacharie et d'Elisabeth. Sa naissance fut annoncée par l'ange Gabriel. Dès son enfance , il se retira dans le désert , et n'en sortit que l'an 29 de J. C. pour prêcher sur les rives du Jourdain le baptême de la pénitence, et la venue du Messie. Jésus-Christ Youlut recevoir son baptême , afin de le sanctifier et de l'élever à la dignité de sacrement. Hérode-Amipas fit mettre ce saint homme en prison, parce qu'il le reprenoit de ses crimes ; et bientôt après il lui tit couper la tète , pour satisfaire la vengeance à'Hùrodiade, qui la fit demander par Salomi sa fille. I , 263. JEAN L'EVANGÉLISTE ( St. ), apôtre , fut le disciple bien-aimé de JèsusChrisf. Il fut témoin de toutes les actions de son divin maître , et en fit l'histoire sous le nom d'Evangile. Domitien le fit jeter à Rome dans l'huile bouillante , l'an g5 de l'ère chrétienne , et le saint apôtre n'en reçut aucun mal. Il fut relégué dans Pile de Pathmos , où il écrivit son Apocalypse , et mourut l'an loi à 94 ans. I , 45o. JEAN-CALYBITE ( St. ), pénitent illustre , dont l'histoire paroît être la même que celle du saint qu'on appelle Alexis. Il fut surnommé Caljbite , parce qu'il demeura longtemps inconnu dans la cabane qu'il s'étoït faite sous les yeux et dans la propre maison de son père. III , 277. ' JEAN-CHRYSOSTÔME (St. ) , célèbre docteur de l'Eglise et le plus éloquent de tous les saints Pères ,
�DES
PEB.S
OH NAGES.
se reprochant d'être à son aise, gnon en i334 , âgé de 90 ans. tandis qu'il y avoit des pauvres qui I , 434. mouraient peut-être en ce moment JEAN, dit le Bon , fils de Philippede froid et de misère. Le lendemain, de-Valois , roi de France , lui sucil envoya vendre la couverture. Le céda en i35o. Son règne fut troublé riche la racheta , et la lui rendit. par les séditions et les cabales , qu'il Jean la vendit une seconde fois, ne sut ni prévenir , ni apaiser. puis une troisième, et lui dit agréaPour comble de malheur , il fit la blement : « Nous verrons qui se lasguerre aux Anglais, qui l'arrêtèrent » sera plutôt de nous deux. » Un prisonnier à la bataille de Poitiers , jour, ayant attendu jusqu'à onze et qui le conduisirent « Londres , heures du matin dans le lieu de son où il mourut eu i364 , à 54 ans, audience , sans que personne se prédont il avoit régné près de quatorze. sentât à lui, il se retira versant des I, 266, 299, 324 , 435. II, 95. larmes, ■> Pourquoi donc pleurezIII , 3oi. » vous, ■> lui demanda Sophrune , son JEAN BASIIOWITZ. Voyez IVAN IV. ami ? — » Hélas ! répondit le saint JEAN-SANS-TERRE , roi d'Angleterre , patriarche , c'est que je n'ai rien prince que ses inquiétudes , ses " aujourd'hui à offrir à J. C. pour crimes et ses malheurs ont rendu •' mes péchés. •> Il mourut le 11 célèbre, et qui manquant égaleNovembre 616 , à 57 ans. Son tesment des vertus qui honorent le tament étoit conçu en ces termes : diadème et les conditions privées , «■ Je vous rends grâces , ô mon réunissoil. les vices de tous les états. Dieu ! de ce qu'il ne me reste Après s'être emparé de la couronne » qu'un tiers de son , quoiqu'à mon en 1199, il se rendit méprisable " ordination j'aye trouvé dans les à ses sujets , qui le chassèrent, et » trésors de mon église environ il niourut errant de ville en ville » quatre mille livres d'or , outre les en 1216. III , i55. » sommes innombrables que j'ai JEAN II , roi de Portugal , dit, le » reçues des amis de Jesus-Christ : Grand et le Sévère , né en 1455 , ■I c'est pourquoi j'ordonne que ce roi en 1481 , et mort en I4g5 , à » peu qui reste soit donné à vos 41 ans , avec la réputation d'un serviteurs... I, i5, 45a. II, 41. sage monarque. 1, 5C , 232. III ,216. III, 1 , 358. JEAN II , roi d'Aragon, monta sur JEAN , pieux solitaire , célèbre dans le trône en 1458 , et l'occupa dules annales de l'Eglise par son aveurant 21 ans. I , 148. gle obéissance. II, 498. JEAN , neveu de l'empereur AlexisJEAN-DE-LYCOPLE , ou plutôt de Comnène. I , 487. A'icople ( St. ) , se retira dans un JEAN D'ORLÉANS , comte de Danois monastère avec dix compagnons, et de Longueville , étoit fils naturel pour y pratiquer toutes les austéde Louis de France , duc d'Orléans , rités de la pénitence. Ordonné évêfrère de Charles VI. C'est lui surque de Coloui, il quitta son évêché tout qui rétablit et maintint Charles pour se cacher dans le monastère VII sur le trône. Ce prince , pour de St. Sabas j dont il devint écorécompenser ses services et ses vicnome , et mourut vers l'an 558. toires , le légitima, lui donna le III , a65. titre de Restaurateur de la Patrie , et JEAN-LE-NAIN (St.), ainsi nommé le fit grand-chambellan de France. à cause de la petitesse de sa taille , Louis XI , ne lui témoigna pas se retira au désert de Scété , avec moins de reconnoissance , et ce un fiêre plus âgé que lui , et s'y héros mourut comblé d'honneurs et consacra au travail , au jeûne, à de gloire en 14C8. III, 317. la prière , et à tous les exercices JEAN II , duc de Bourbon , sous le dû la charité et de la piété. III , règne du roi Jean , fut envoyé en 280 , 294. otage à Londres pour représenter ce jEAN-L'ÉGYrriEN , solitaire célèbre prince , qui avoit obtenu la liberté; dans l'hstoire des Pères du désert. de revenir dans ses états. 1, 324. III , 326. JEAN V, duc de Bretagne, mourut JEAN XXII , fils d'un cordonnier en 1399 , laissant sa puissance à de Cahors , de dignité en dignité , Jean VI, son fils , sous la tutelle parvint à la pourpre , et enlin à la du célèbre Olivier deClisson. III, 102. papauté çn 1316. Il mourut à AviJEAN DE YlENNE , fameux gouver;
447
�44§
TABLE
HI STORIQUE.
diateur entre Dieu et les hommes, neur de Calais, en 1346. I, 221. prit un corps et une ame semblables JEAN D'AIRE , bourgeois de Calais , aux nôtres, dans le sein de la Vierge l'une des six victimes exigées par Marie , qui l'enfanta sans cesser Edouard III, roi d'Angleterre en d'être vierge , l'an du monde 4000. 1346. 1, 224. Venu sur la tërre pour nous racheJEAN, chanoine de St. Martin de ter, il commença par nous instruire; Liège en i23o. II , 99. et, api-ès nous avoir donné l'exemJEAN JOURDAIN , citoyen de Rouen. ple et le précepte , il mourut pour I, 225. nous sur une croix , l'an 33 de l'ère JEAN DE SALISBURY , évoque de Glovulgaire , que l'on appelle Chrécester. II, 2g. tienne , et la trente-sixième de s» JEAN HOS , fameux hérésiarque , vie. I , 263 , 45i. III, 1 , 268. • fut comme le précurseur de Luther , qui puisa sa doctrine dans ses écrits, JûAS , roi de Juda , lils d'Oc/iosius, échappa à la barbarie dMtf»//t, suu comme il nous l'apprend lui-même. aïeule , par les soins de Josaheih, Il fut obligé de comparoitre au sa tante , femme du grand-prêtre concile de Constance , qui , après Joïada. Ce pontife initie jeune prince un mûr examen , anathématisa ses sur le trône, à l'âge de 7 ans,.et erreurs. Il ne voulut pas les rétracter, lit mourir Athalie. Le nouveau roi et les Pères du concile le condamrégna sagement tant qu'il suivit les nèrent à être brûlé vif avec ses conseils de Joïada ; mais après li livres , en 1415. II, 328. mort de ce saint personnage, il se JEANNE D'ALBRET , reine de Navarre, laissa corrompre par les flotteurs, mère de Bemri IV, mourut en 1572, lit mourir le grand-pretre Zaclmrie, à 44 ans. I , 13g. fils de son bienfaiteur , adora les JEANNE D'ARC. Voyez ARC. idoles, et attira sur sa personne JÉRÔME , ( St. ), né vers l'an 340 , se et sur son peuple toute la colère livra , après son baptême , aux de Dieu. Il fut assassiné dans son exercices de la vertu, vécut en cénolit par ses propres sujets , l'an iij bite au milieu du tumulte de Home , avant J. C. II, 102. et en saint dans le centre des débauJob, célèbre patriarche , que l'Eglise ches et de la corruption , ne conpropose à ses enfaiis comme le plus noissant d'autre plaisir que celui de parfait modèle de patience et de l'étude des livres sacrés. Le désir de soumission aux ordres de la Prola perfection évangélique le porta à vidence. Il mourut vers l'an i5on s'enfoncer dans les déserts brûlans avant J. C. à 211 ans. I , 12 j de la Chaleide, en Syrie. Il y tra664.III, 269. duisit la bible ; puis , retournant dans les cités , il y dirigea des per- JOINVILLE ( Jean , sire de ), sénéchal de Champagne, ami de Snint-Luni^ sonnes pieuses , qu'il iustruisoit par et digne de l'être , se distingua par ses conseils , qu'il animoit par ses sa bravoure et par ses écrits. J! exemples. Il avoit été ordonné prêmourut vers l'an F 318, âgé de près lie tre par Paulin , évèque d'Antioche, 90. ans. Témoin de toutes les acmais à condition qu'il ne seroit attions de Sainl-Lauis', il nous a laisse taché à aucune église. Il se rel'histoire intéressante' de ce piem prochoit lui-même sa trop grande et grand monarque. On a le vrai vivacité ; mais il réparoit ce défaut texte de cet ouvrage curieux dans par une humilité sans bornes, et l'édition que les savans qui ont h par la plus éminente vertu. Il tergarde de la bibliothèque du roi 1 mina sa céleste carrière en 420 , à en ont donnée en 1761 , in-fol I. l'âge de 80 ans. Parmi les éditions 2g6 , 42g. II, g, m, 32ij.nldes œuvres de ce saint docteur , on 63, 71 , 299 , 354. estime celle de dom Martiani , 5 vol. in-fol. publiée depuis i6g3 jusqu'en JOINVILLE ( le prince de ) lils ài duo de Guise , sous le règne de 1706 , et celle de MM. Vallardi ,VéHenri IF, roi de France. III, ik"; ronue , 1734, 11. vol. in-fol. I, 5, JONAS , le cinquième des douze petits j3g , H , 74 > 182 , 263 , 476. III , prophètes , étoit de là tribu dt 161 , 270: Zahulon. Envoyé de Dieu pour anJESDS-CHR1ST, le Sauveur du monde, noncer à Ninive qu'elle alloit Être Fils de Dien , Dieu lui-même, le détruite à cause de ses crimes, lt Messie prédit par les prophètes, timide prophète , au lieu d'obéir. figuré par l'ancienne loi, et le Mcs'embaiq"1
�DES ÏËE.S 5 N N A G E S» s'embarqua pour aller se cacher à Thàrsis. Une tempête s'éleva toutà-coup; les mariniers l'attribuèrent à la colère du Ciel, et tirèrent au sort, pour savoir quel étoit le coupable. Il tomba sur Jouas. Il fut jeté dans la mer, et englouti par un grand poisson , qu'on a mal-apropos nommé baleine, puisqu'il n'y en a point dans la Méditerranée ; mais , comme le croient les savans , qu'il falloit appeler rekin ou /amie. Trois jours après, ce poisson le rejeta sur la terre, et Jouas ayant reçu une seconde fois l'ordre d'aller à Ninive , obéit. Les rîinivites obtinrent miséricorde en faisant pénitence ; et cette indulgence contrista le prophète , qui craignit de passer pour un imposteur. Il se retira sur une haute montagne , où la main de Dieu lit croître , en une seule nuit, une espèce de lierre, dont l'ombrage le préserva des ardeurs du soleil ; mais , la nuit suivante , un ver piqua la racine de cette plante et la lit dessécher. Le prophète alors se livra à de nouveaux murmures , et souhaitant de mourir , le Seigneur lui dit : « Si vous " témoignez tant de douleur pour » la perte d'un lierre , à la crois» sance duquel vous n'avez pas con" tribué , pourquoi ne voulez-vous " pas que je me laisse fléchir par * les larmes d'une si grande ville , " dans laquelle ily a plus de six-vingt » mille personnes qui ne sont pas « encore en âge de discerner te » bien et le mal ?» II , g3. JONATHAS , fameux voleur du temps de S. Siméon-Slylile. II , 2, JOSEPH, l'un des 12 fils du patriarche Jacob , mort l'an 1635 avant J. C. , à Ï12 ans , après avoir gouverné l'Egypte pendant 80 ans. 1,461. JOSEPH OU Josèphe , Juif, receveurgénéral de Syrie pour Ptolémèe-Philomélor, roi d'Egypte. II, 427. JOSEPH (Flavius), célèbre historien juif, né l'an 37 de J. C. , vivoit encore sous l'empire de Domilien. Il nous a laissé 7 livres de la guerre des Juifs , et 20 livres sur les antiquités judaïques. Ils sout si bien écrits en grec, que ses contemporains l'ont appelé le Tile-Live des Grecs. La meilleure édition est celle d'IIavercamp , Amsterdam , 2 vol. infol. 1726.1 , 65. JOSEPH II, de Lorraine , né en 1741 , fut élu empereur en 1765 , après la
449
Tome III.
mort de François / de Lorraine son. père , et succéda à l'illustre Marie* Thérèse sa mère , dans les états de la maison d'Autriche. Ce prince , par une administration pleine de sagesse et d'humanité, a fait le bonheur de ses peuples , et a acquis chaque joui? de nouveaux droits sur l'admiration, de la postérité. 1, 71.III, 180 , 216, 345. JOSUÉ , de la tribu A'Ephi •aïm , fut choisi de Dieu pour gouverner sou peuple après Moyse. Il fit la conquête d'une grande partie de la TerrePromise , et mourut à l'âge de 110 ans , l'an 1438 , selon le texte hébreu , et selon le texte samaritain , 1541 avant J. C. II, i5n. JOVE ( Paul ) , célèbre historien , quitta la médecine pour l'épiscopat. ïl fut évèque de Nocéra , et mourut en i552 , à 69 ans. Tous ses ouvrages historiques et autres , ont été recueillis à Bâte en 1578, en 6 vol. in-fol. Sa plume étoit vénale , et la haine ou la faveur la conduisoifc tour-à-tour. II, 439. JOYEUSE ( Anne de ) , duc et pair , et amiral de France , fut un des principaux favoris de Henri III. Il fut tué: par les Huguenots en 1687 , après avoir perdu la bataille de t'outras I, 70. JOYEUSE ( Henri de) , duc et pair , et maréchal de France , prit, quitta , reprit l'habit de capucin sous les rè« gnes de Henri III et de Henri IV. Il lit sa paix avec ce dernier en i5g6 , rentra chez les capucins , sous le nom de père Ange , et s'y sanctifia par la pénitence. Il mourut en 1608 # à 41 ans. 1, 31 J . JOYEUSE ( Jean-Armand marquis de ) , d'abord comte de Grand-Pré , se signala en divers sièges et combats . depuis 16^.8 jusqu'en 1697 , et mérita le bâton de maréchal de France. U mourut en 1710, à 79 ans. II , 49. JUAN D'AUTRICHE ( dom ), fils natu-» rel de l'empereur Charles-Quint, fut un des plus grands capitaines de son S siècle. Philippe II, roi d'Éspagne , le nomma gouverneur des Pays-Bas en 1576. Il remporta de glorieuses victoires sur les alliés , et mourut en 1576 dans son camp près de Na—. mur, à l'âge de 32 ans. 1, 468. JUBA , roi de Mauritanie, fut vaincu, par César, l'an 46 avant J. C. I, 351. III, 3oo. JUBELLIUS-TAUBEA, illustre citoyen de Capoue. l'an 212 av. J. G. I. 68.
Ff
�TABLE HI STORIQUE JUDAS-MACHABÉE , fils de Mathatias , d'assassiner. Elle se laissa mourir Je prince du peuple juif, succéda à son faim eu 218. I , 3g4. père dans le commandement de sa JULIEN (Flaviiis-Ç/audius), surnommé nation , triompha des généraux des V Apostat, parce qu'il abjura le chrisrois de Syrie ; rendit la liberté à ses tianisme , lorsqu'il parvint à l'emcompatriotes ; rétablit le culte divin, pire en 361. Il lit de vains efforls et fut tué dans une bataille, l'an 161 pour rétablir le paganisme. Il fitpaavant J. C. 1, 343. II, i5i. roitre sur le trône un tel mélange de JUDITH , célèbre héroïne juive de la bonnes et de mauvaises qualités , tribu de Siméon,jeune et belle, ayant qu'on peut dire que tous les éloges perdu Mariasses son mari , passoit qu'on lui adonnés, et les satires qu'il les années de sou veuvage à Béthus'est attirées , n'ont point blessé la lie , \orsc(u'/fo/opherne vint assiéger vérité. Ayant livré bataille aux Percette ville vers l'an 636 avant J. C. ses , il s'engaga le premier sans cuiJudith se transporta dans la tente de rasse dans la mêlée , et fut frappé ce général , lui plut , et profitant d'un dard qui lui donna la mort la de son ivresse, lui coupa la tète , et nuit suivante , en 363 , à l'âge de 32 délivra Béthulie. I , 468. ans. I, 282, 321, 399, 460. Il, 141, JUGURTHA , roi de Numidic, détrôna 142 , 162 , 199 , 234 , 382 , 5oi, ses cousins , et les fit périr pour réIII, 171. gner en leur j>lace ; fit long-temps la JULIENNE ( la bienheureuse ) , religuerre aux Bomains avec son or , gieuse de Liège , en 1210. 1, 594. plutôt qu'avec les armes. Après un JUNIUS-BLASUS , Romain que l'empegrand nombre de succès, il fut vaincu reur Vitellius fit mourir. 1, 378. d'abord par Mêlellus , puis par Ma- JUNIUS , Romain sous l'empire de rins , et livré enfin à Sylla par BocNerva. III , 169. . chus , roi de Mauritanie son beau- JUSTIN , historien latin , vivoit sous le père, l'an 106 avant J. C. Il fut conrègne de l'empereur Antonin-le-Pieux', duit à Rome en triomphe, puis renIl nous a laissé un abrégé de l'hisfermé dans une prison où il mourut toire de Trogue-Pompèe , dont il y a de faim et de maladie au bout de six plusieurs bonnes éditions. II, 453. jours. 1, 216. JUSTIN II , neveu et successeur de JusJULIE , sœur de Jules-César , et aïeule tinien , en 565 , fut cruel, inhumain, d'Auguste. I , 356. frénétique, et mourut en 57 8, après JULIE ( Livia - Julia ) , fille unique avoir ensanglanté, comme tant d'aud'Auguste , épousa Marcellus , puis tres empereurs , le trône des Césars, Agrippa, donL elleeut trois filsetdeux par le meurtre d'une foule d'innofilles. Tibère , son troisième mari , cens sacrifiés a sa rage. II , 385. en eut un enfant qui ne vécut point. JUSTINE , femme impérieuse , mère et Elle eut des mœurs si dissolues , tutrice de l'empereur Vàlenlinien II, qu'Auguste , las d'être trop indulauquel elle lit commettre bien des gent, l'envoya en exil. Elle mourut injustices.I, 402 , 699 , 770.II, 4'6de faim l'an 14 avant J. C. I , 363. JuSTINiKN I , naquit d'une famille II, 383. HI , 212. > obscure en 483. L'élévation de Justin JULIE , fille de la précédente, et pe- ^ son oncle , fît la sienne. Il lui suctite-fille d'Auguste , épeusa Lépid? , .' céda sur le trône impérial en 627. dont elle eut deux enfuis. Eil-j mouL'empire grec , foible reste de h rut en exil comme sa mère , et pour puissance romaine , ne faisoit que la même raison. 1, 358. languir. Justinien le soutint avec asJULIE (Julia-Domna), fille d'un prêtre sez d'éclat, par sa politique , par les du soleil 3 épousa l'empereur Septinie* lois sages qu'il fit rédiger , mais surSévère , s'abandonna a la débauche ; tout par les brillantes victoires des et, après la mort de son époux , eut grands généraux qu'il sut employer. la douleur de voir périr dans ses bras Il mourut en 565 , à 84 ans. II, 202, Oéta son fils que Caracalla veuoit 328 , 335 , 4i5.
45o
K
K.E.MAT-BEN-MÉDIN ,
chef d'une des principales tribus arabes établies eu Afrique , assiégea Zéiri dans la ville d'Aschir,en 935 , et fut tué dans une
KENNET
sortie par Kétab , fils de son ennemi. III , 3i3. III, roi d'Ecosse .monta sur le trône eu 978, et régnai 7 ans, II,
�DES
PERS ON NAGES.
monta sur le trône en 166.1 61 ans. II , 5o. Ktur-ERLI-NUUMAN , gran! 1710. I , 57. \ KOLLIKOFFER , l'un des an\basà suisses auprès de Henri II. II, 214. KoNARSKI , gentilhomme pôlon"! qui n'est connu que pour avoir donné un soulilet à Casimir II, roi de Pologne. II, 33a.
KOSROU,
KENT ( le comte de ) , chargé par la reine Elisabeth de faire exécuter la sentence qui condamnoit Marie Stuart. y reine d'Ecosse , à perdre la tète sur un échafaud. II , i3o. KESRA , seigneur persan, qui fut placé sur le tronc après la mort d'Isdegerdès I, roi de Perse en 4.21 ; mais qui , peu de temps après , fut obligé de rendre le sceptre à Baharam-Gttr, légitime héritier du dernier monarque. II , 353.
.KÉTAB,
,UJ
fils de Zéiri , prince musulman d'Afrique, en g35. III, 3i2.
f
grand-visïr dAmurat IV, em« pereur des Turcs. C'est lui qui vain* quit le rebelle Abaza. III, 23,
KHAN-HI
empereur de
la
Chine,
J_-iABIÉNU"S ,
lieutenant de Scipion ,
l'un des adversaires de Jules-César. I, 342.
LACHAU
, généreux Français , dont M. de Saint - Foix parle dans ses Essais sur Paris. I , 235. roi'de Pologne, en 1174. II , 112.
LADISLAS,
LAFITEAU ( Joseph-François) , jésuite , se lit connoître dans la république des lettres par plusieurs ouvrages sur les sauvages d'Amérique, et sur l'histoire des colonies européennes dans cette partie du globe. Il mourut vers l'an 1740. II , 333.
président à mortier au parlement de Paris. Il se fit admirer par ses talons et par sa probité. Il fut le protecteur des gens de bien et de mérite f qui le perdirent en 1709. Il étoit âgé de 65 ans. III , 283. LANCASTRE ( le duc de ), prince eC général anglais , assiégea Hennés en i357. I , 10.
LANNOI ( liaoul de ) , officier français sous le règne de Louis XI, qui donna des récompenses à sa valeur. II , 1. LASCARIS ( André-Jean ) , descendant
des empereurs de ce nom , qui ont régné à Constantinople , passa en' Italie après la prise de cette viLle par les Turcs , fut honorablement reçu de Laurent de Mèdicis , l'un des plus grands protecteurs des gens de lettres. Louis XII l'attira dans l'université de Paris , et le chargea de plusieurs ambassades. Le pape Léon X son ami le rappela auprès de lui, et le combla de faveurs. Il mourut à Rome en i535 , âgé d'environ 9» ans. 1, 442. I.ASCY (le général ) > président du conseil de guerre , et l'un des ministres de l'empereur Joseph II, à Vienne en Autriche. I , 73.
LAUNOI (
lAGUS , homme de la plus basse extraction , dut sa fortune à la complaisance avec laquelle il épousa , par ordre de Philippe , roi de Macédoine , Arsinoè , l'une des concubines de ce prince , qui étoit alors enceinte de Plolémée-Soter , lequel fut dans la su iteroi d'Egypte.Lagus devin t un des gardes à'Alexandre-le-Grand. II, 107. HlRE. Voyez VlGNOLES. l'A HIRE ( Philippe de ) , né en 1640 , d'un peintre célèbre , quitta l'art de son père , dans lequel il avoit fait
LA
des progrès , pour embrasser la géométrie , où il excella davantage. Il fut reçu de l'académie des sciences , et mourut en 1718. II i 168 , 178.
lALOUETTE t Guillaume ) , paysan valeureux sous le règne de Jean , roi de France. II , 3oo. LAMBINUS OU Lambin ( Denis ) professeur en langue grecque au collège royal à Paris. Ayant appris la triste fin de Ramus son ami , tué au massacre de la Saint-Barthelemi , il en eut tant de douleur , qu'il mourut de chagrin en i5?2. II, 123. LAMGTGNÛN ( Chrétien-François de) , né en 1644 > devint avocat général, puis
Jean ), docteur en théologie, s'est rendu célèbre par sa profonde érudition dans les matières qui concernent l'histoire ecclésiastique. M.
l'abbé Granet a recueilli ses ouvrages qui forment 10 vol. in-jol. II mourut en 1678 , à 76 ans. I, 3i5. LAURENT ( Saint ) l'un des plus illus3 tres martyrs de J C. , fut élevé à la dignité de premier diacre de Rome par le pape saint Sixte II, et obtint la couronne du martyre trois jours après ce saint pontife j en 258. III.
Ff
2
�4^2
TABLE
HI
STOR1ÇUE
LAUrUÈIiE ( le père de ) , franciscain portugais, et missionnaire aux Indes. I , 3oa. LAUZUN ( Antoine Nompar de Ctiumont ) duc de) , devint favori de Louis XI et en obtint la permission d'épouser mademoiselle de Montpensier. Cette princesse croyoit trouver son bonheur dans cette alliance si peu proportionnée à son âge et à son rang. La vanité de Lauzun lui fut fatale : au lieu de se marier aussitôt , il voulut faire de fastueux préparatifs , et durant cet intervalle , le roi révoqua la permission. La princesse l'épousa secrètement, et pour la punir, le roi fit enfermer le nouveau mari dans la citadelle de Pignerol. Mademoiselle obtint son élargissement, en instituant le duc du Maine son héritier ; mais elle n'eut pas lieu de se louer de la reconnoissance de son époux : il la traita avec ignominie, et porta l'insolence au point qu'elle fut obligée de lui défendre de se montrer jamais devant elle. Lauzun passa en Angleterre , et favorisa l'évasion du î'oi Jacques , qui le fit créer duc de Lauzun en 1692. Après la mort de mademoiselle de Montpensier , il se remaria avec la fille du maréchal de Zorges , et devint veuf une seconde fois. Alors dégoûté du monde , il se retira au couvent des Petits-Augustins à Paris , et y mourut en 1723 , âgé de 91 ans. III, 344. jVffiTUS , préfet du prétoire sous l'empereur Commode. I , 3g2. LÉARQUE , favori d'Archélaiis , roi de Macédoine , environ 400 ans avant J. C. I , i3o. LÉIBNITZ C Guillanme-Godefroi , baron de ) , né à Léipsick en 1646 , associé à toutes les savantes compagnies de l'Europe , dont il étoit une des plus éclatantes lumières, mourut en 1716. II étoit pour l'Allemagne ce que Descaries et l'Hôpital étoieut pour la France , et Newton pour l'Angleterre. Ce sont ces 4 grands génies que la postérité regardera toujours comme les pères de la philosophie moderne. Lèibnilz a laissé de nombreux écrits sur presque toutes les sciences humaines. III , 256. LÉLIUS , lieutenant de Scipion l'Africain. III, 220. LÉLIUS , fameux jurisconsulte romain. I , 719. IdSNTULUS ( Cornélius ) , guerrier romain échappéà la poursuited'^nn/'ia/, après la bataille de Cannes. III, 14;.
LÉON DE BYSANCE , fameux philo, sophe , disciple de Platon , s'acquit une grande réputation par son esprit et par sa capacité dans les af. faircs. Philips , roi de Macédoine, voyant qu'il lui seroit impossible de se rendre maitre de Byzance tant que Léon auroit part au gouverne, ment de cette ville , fit courir parmi les citoyens une lettre supposée, par laquelle le philosophe promettoit de livrer sa patrie. Le peuple trop crédule se mit en fureur , et courut i la maison de Léon , qui prit la fuite d'abord , et s'étrangla ensuite. II, 3, LÉON , fils de Romain Diogines, empereur de Constantinople , ne succéda point à la puissance de son père, et vécut sous le règne d'Alexis Coinnène. 1, 484. LÉONARD DEL VINCI, né de parens nobles près de Florence, en 1444 , excella dans la peinture , dans les aru et dans les sciences , et mourut en France âgé de 75 ans , entre les bras de François I. 1, 246. LÉONCE , célèbre sophiste athénien, père d'Alhénaïs ou Eudocie , épouse de l'empereur Thèodose - le - Jeune, II, 20. LEONIDAS I, roi de Sparte , se sacrifia pour sa patrie au défilé des Thermopyles, l'an 480 avant J. C. 1 , 333, II , 59 , 173 , 3i8. III, 93. LÉONIDE , père du célèbre Origim, II, 57LÉONT1DE , l'un des gouverneurs que les Lacédémoniens établirent i Thèbes, après s'être rendus maîtres de cette ville. I, 182. LÉONTIUS , officier de Philippe , père de Persèe , roi de Macédoine. I5 7o3. LÉOPOLD , fils de Charles V, duc de Lorraine , auquel il succéda , en 1690 , régna 39 ans, et rendit son peuple heureux. I , 286. LEPIDUS (. Marais - Emilius ), Romain fameux plutôt par sa fortune , que par ses vertus ou ses vices. Il fut collègue d'Antoine et d'Auguste dons le triumvirat. Auguste l'obligea de le reconnoître pour maître , et le relégua à Circéies , petite vill» d'Italie , l'an 36 avant J. C. I, 126. LESDIGUIÈR.ES ( Fi 'ancois de Bonne , duc de), naquit en 1543 , servit de bonne heure et utilement Henri IV, mérita le bâton de maréchal de France en 1608, et le titre de duc et pair ; abjura le calvinisme , dont il avoit été long-temps le protecteur, et fut, déclaré connétable par Lsmji
�DES PEB.S ONNAGES. XIII, « pour avoir toujours été efforts étaient inutiles , lorsque vainqueur , et n'avoir jamais été Tubéron se déclara dans les formes , vaincu. » Il mourut en 1626 , à accusateur de Ligarius. Aussitôt I 84 ans. I, 258 , 261 , 3if. III, 289. Cicéron prit sa défense , et prononça |ÉVE (Antoine de) l'un des plus habice plaidoyer fameux , chef-d'œuvre les généraux de l'empereur Charlesde l'art oratoire , par lequel il Quint , s'éleva du rang de simple triompha de la résolution que César soldat aux plus grands honneurs nvoit prise de ne point pardonner à militaires. Il devint prince d'Ascoli, son ennemi. Ligarius revint donc à duc de Terre-Neuve , .et mourut en Rome ; mais , après la mort de Céi536. III, i55. sar , il se rangea sous les drapeaux IA , fille aînée de Lahan , et l'une de Brutus et de Cassius , fut mis au des femmes du patriarche Jacob. II , nombre des proscrits , et devint la G8. victime de son zèle pour la liberté de BANIUS , célèbre rétheur grec., enRome. I, 126. seigna avec réputation à Antioche LlGNEVILLE ( le comte de ), d'une et à Constantinople. Il eut d'illusancienne famille de Lorraine. III, tres disciples , parmi lesquels on 325. compte S. Basile et S. Jean ChrysosLlGNl ( Jean de Luxembourg , comte tôme. Il étoit payen , et fut aimé de de) , partisan du duc de Bourgogne , l'empereur Julien l'Apostat, auquel se déclara contre Charles VII, et fail survécut. Il a laissé des lettres et vorisa la faction anglaise. Ce fut lui des harangues dont l'édition la plus qui vendit la Pucelle d'Orléans aux recherchée est celle de Paris , 160G Anglais , qui le payèrent généreuseet 1627 , 2 volumes in-fol. II, 486. ment de cette basse complaisance. III, 8. III , 321. CETI ou Licelo ( Forlunio ) , célèbre LlGNI ( Louis de Luxembourg, comte médecin italien , né en 1377 , mort de ), lils de Louis , comte de Sainten 1656 à 79 ans , est auteur d'un Pol, connétable de France , qui eut grand nombre de traités sur divers la tête tranchée à Paris en I47'5 sujets. II , 185. pour cause de félonie. Le fils , par CINIUS MURÉNA , avocat romain sous ses services , fit oublier le crime de le règne à'Auguste. 1 , 326. son père. Il fut favori de Charles CDÏIUS ou Licinianus ( Caïus ValeVII, et très-attaché au chevalier fius ) , fds d'un paysan de Dacie , Boyard , qui fit sous lui ses premièparvint , du rang de simple soldat, res armes. II , 95. aux premiers emplois militaires. LILLE ( le baron de) , fils de Jean TaU Galère Maximien , qui avoit été son bol, capitaine anglais. Il fut tué avec Compagnon de fortune , voulut qu'il son père en 1453. I. 229. |e fut de sa grandeur , et l'associa LIONNE, courtisanes athénienne, l'empire en 307. Constantin lui fit vivoit l'an 516 avant J. C. II , 389. fepouser sa sœur ; mais s'étant enLlPSE ( Juste) , s'immortalisa dès sa suite brouillé avec lui, il lui fit la première jeunesse par l'heureuse féguérie, le vainquit , l'obligea de se condité et les productions précoces fendre , feignit de lui pardonner, et de son génie. Ce qu'il fit dans les tte relégua à Thessalonique , où il le commencemens de sa carrière littélit étrangler, sur quelques soupçons raire vaut mieux que les ouvrages tissez peu fondés , en 3a5. II, H4qu'il donna dans un âge plus mûr j 42. car, par une fatalité bizarre , il jiassa GARIUS ( Quinlus ) se déclara pour du bon goût au mauvais. Il consacra Pompée , et se trouva en Afrique une plume d'argent à Notre-Dame dans le temps de la défaite de Scide Halle , pour la remercier de la m'on et des autres chefs qui avoient vaste réputation qu'il avoit acquise, renouvelé la guerre. César lui acet il crut mettre le comble à sa rerorda la vie ; mais avec défense de connoissance en lui léguant à sa retourner à Rome. Ligarius fut oblimort sa robe fourrée. Il mourut en de végéter hors de l'Italie; et 1606 , à 58 ans. II , 437. ^ette espèce d'exil toucha tous ses LISIAS , disciple de Corax , rhéteur syamis , et particulièrement Cicéron , racusain. III, 118. ■qui mettoient tout en œuvre pour LlTTRE ( Alexis ) savant anatomistc ■engager César à révoquer ce nouveau de l'académie des sciences , mort en •genre de proscription. Tous leurs j?25 , à 67 ans. II, 441.
453
F>
Ff 3
�4^4
TABLE
HI
TOHIQUE » Iosophes. II fut chargé de plusieurs emplois honorables et lucratil'î dans sa patrie , prouva qu'il étoit bon politique, fut inculpé mal-à-propoï dans quelques conspirations , essuji quelques orages , et mourut enfin tranquille en 1704 , a>73 ans, 11 , 330, LONGUEVILLE , ( Anne - Geneviève di Bourbon , duchesse de ) , sœur du grand Condè j née en 1619 , épousa Jlenri Jl d'Orléans , duc de Longue* ville. Elle engagea son mari à entrer dans le parti opposé à la cour. Quand l'épidémie des guerres civilci eut cessé , cette princesse tourna toutes ses pensées vers Dieu , s'unit de sentimens avec la célèbre maison dt Port-Royal-dcs-Champs , et partage, sa retraite entre ce respectable monastère et celui des carmélites du faubourg S. Jacques , où elle mourut en 167g. II , 141. LORGES. Voyez MONGOMIVIERI. LOTHAIRE , fils de Louis d'Outremer, roi de France, fut associé au iréaf en g52 , succéda à son père eu g5$, et mourut à Compiègne en 986 , agi de 45 ans. I , 423. LOTTIN (M.), curé de Hamellès-Corbie , dans l'élection d'Amiens, eu 1768 , pasteur respectable par sou humanité et ses autres vertus. I, ' 288. LOUIS ï , dit le Débonnaire , fils dt Chartemagne , parvint à la couromi: de France et à l'empire en 814. Son règue neyfut point heureux à caun de sa foilHcsse. Il le termina en 840. I , 421. LOUIS II , dit le Bègue , à cause à défaut de sa langue, devint roi di France en 877 , après la mort d( Charles-le-Chauve son père. Il ne régna qu'un an et demi, et mourut i Compiègne à l'âge de 35 ans. I, 422. LOUIS III, fils du précédent, parti' gea l'autorité souveraine avec Cmb man son frère, et vécut avec lui dMIli la plus grande union. 11 mourutsa» laisser d'enfans, en 882 , après trou ans de règne. 1, 422. Louis IV , dit d'Outremer , parce tin» resta long-temps en Angleterre , M de Charles-le-Sîmple, ne monta s» le trône fr ançais en 936 , qu'après!' mort de Raoul, qui l'avoit usurpe. II eut de grandes guerres à soutenir , essuya toutes les vicissitude, de la fortune ; et à peine eut-il * tenu la paix , qu'en poursuivant 1» loup , il fut renversé de son cheval-
I.IUTPRAND, roi des Lombards , monta sur le trône en 712, et l'occupa durant 3^ ans.,II, 417. IlVIE ( DrusiÙa ) , fille de Livius Drusus , épousa lybêrius Ciaudius JSèro , dont elle eut Tibère , depuis empereur , et Drusus , surnommé GerTitanicus. Auguste ayant répudié Scri' bonie , son épouse , enleva Liuie à Tibérius JVéro ; et quoiqu'elle fut enceinte, il ne laissa pas de l'épouser. II n'en eut point d'enfans , mais il adopta ceux qu'elle avoit eus de son premier mari. Cette princesse eut un grand empire sur l'esprit d'Auguste , et mourut l'an 29 de J. C. , à 86 ans. I t i34, 328 , 361, 482. XlVIE. V. JULIE (Lifia Julia). JJIVIUS-SALINATOR ( Marcus ) , consul romain , l'an 207 avant J. C., et collègue de Ciaudius JSêron , avec lequel il vainquit Asdrubal, qui venpit au secours des Carthaginois en Italie. 1, 7. LOCKE ( Jean) devint philosophe en lisant Descartes. Il se livra des - lors tout entier à la méditation, et conçut le plan de son célèbre traité de VEntendement humain , ouvrage de la métaphysique la plus profonde et la plus hardie. Pour connoître notre ame , ses idées , ses affections , il ne consulta point les livres des anciens philosophes , qui l'auroient mal instruit , ni ceux des modernes ? qui l'auroient égaré : il se renferma dans lui-même ; et après s'être , pour ainsi dire , contemplé long-temps , il présenta aux hommes le miroir dans lequel il s'étoit vu. Heureux s'il eût moins consulté la physique dans une matière que son tlambeau ne peut éclairer ! En voulant développer la raison comme un anatomiste explique les ressorts du corps humain, il fut plus favorable aux matérialistes qu'il ne pensoit. À ces défauts près, son Traité mérite la plus grande estime, pour la clarté, la méthode 3 la profondeur et l'esprit d'analyse qui le caractérisent. Parmi les autres écrits de ce philosophe, on distingue encore ses pensées sur l'éducation des enfans. Lc/ake avoit une grande connoissance du monde , des mœurs et des arts. Il avoit coutume » des »• de » les de dire que « la connoissance arts mécauiques renferme plus vrais philosophes , que tous systèmes , toutes les hypo-
n thèses et les spéculations des phi-
�DES
PEHS 0 N N A G E S.
reine Blanche sa mère. Devenu majeur en 1236, il commença par se faire craindre de ses vassaux : en 1244 , il tomba dangereusement malade, et fit vœu de se croiser pour la Terre-Sainte. Il s'embarqua quatre ans après , attaqua et prit I)amiette en 1249 , fit des prodiges de valeur à la bataille de Massourc, en ïa5o ; mais son armée , ruinée par les maladies et la disette la plus extrême, ne put sauver le pieux héros, qui tomba entre les mains des Sarrasins. Il racheta sa liberté et celle de ses sujets prisonniers comme lui ; passa dans la Palestine , où il resta quatre ans , et ne revint en France qu'en 1254. Alors il s'appliqua déplus en plus à faire fleurir la religion et la justice dans ses états, et fit quantité d'établissemens utiles. Il pouvoit faire encore long-temps le bonheur de son peuple ; mais il voulut se croiser de nouveau, et il s'embarqua en 1270 , dirigeant sa navigation vers Tunis qu'il assiégea , et dont il se rendit maître. Alors la maladie se mitdans son armée ; il en fut attaqué lui-même : bientôt il vit sa fin approcher , et il mourut le 25 Août , la même année de son départ. Avant d'expirer , il se fit étendre sur la cendre , et rendit son amc avec la ferveur d'un anachorète , et le courage d'un héros. Il fut canonisé par le papeBonijace VIII, 27 ans après sa mort. I, 70 , 137 , 260 , 272 , 296 , 3oi , 324 , 427. II , 7 , 9, 47 , 100 , 11S , 277 , 325 , 32g , 388. III , 62, 71 , 202 , 2g8 , 356. LOUIS X, roi de France et de Navarre , surnommé Hulin , c'est-à-dire , mutin et querellew , succéda à Philippele-Bel son père, le 2 g Novembre 1314 , mourut à Vincenucs le 8 Juin 1316 , âgé de 26 ans. Il eut de Clémence , fille du roi de Hongrie , son épouse, un fils posthume nommé Jean I, qui ne régna que huit jours. I, 434LOUIS XI, fils de Charles VII, roi de France , naquit à Bourges en 1423 , se révolta contre son père , et lui succéda en 1461. Il occupa le trône durant 22 ans, et mourut le 21 Août 1483 , regardé comme le Tibère et le Néron de la France ; mais il ne commit pas tous les crimes du dernier , et eut des vertus que n'avoit pas Tibère. I , 56 , 8g , 246 , 25g , 3og , 439. II, 1 , 24 , 69, 219 ,. 407. III, 24.
I! mourut de cette chute en 954 , à 38 ans. I, 423. lOUIS V , fils de Lolkaire , fut proclamé roi de France , après la mort de son père , en 986 , et se montra digne du trône. A peine eut-il ceint le diadème , qu'il se rendit maître de Reims , et se disposoit à de nouvelles conquêtes, lorsqu'il fut empoisonné par la reine Blanche son épouse , a l'âge de 20 ans. XI n'y avoit pas deux ans qu'il régnoit ; il n'avoit cessé d'agir durant ce court intervalle , et toutefois on lui a donné le surnom de Fainéant. Pourquoi ? seroit-ce parce qu'il mourut sans enfans , et qu'avec lui finit la race des Carlot'ingiens ? I , 433. LOUIS VI , dit le Gros, parce qu'il l'étoit en elfet, né en 1081 , succéda à son père Philippe I, sur le trône français , en 1108 , et mourut en J 13 7 , à 60 ans. Son règne est la première époque de cette longue rivalité qui divise la France etl'Angleterre. 1, 425. III, 109. louis VII, fils du précédent , fut surnommé le Jeune , pour le distinguer de son père , avec lequel il régna quelque temps. Il gouverna seul eu 113 7. Il se croisa pour la Terre-Sainte , par les conseils de S. Bernard , et malgré le sage Suger son ministre ; il fut battu et pris par les Infidèles, délivré par le général du roi de Sicile , et rentré enfin dans ses états , il fit casser son mariage avec Eléonore, princesse trop galante , mais riche héritière , qui , portant sa dot au comte d'Anjou, depuis roi dAngleterre , augmenta les sujets de division qui armoient sans cesse les deux royaumes. Il mourut en 1180, à 60 ans, dont il avoit régné 43. 1, 425 , 429. LOUIS VIII, dit Cœur-de-L ion , a cause de sa fermeté et de sa bravoure, fils de Philippe-Auguste , roi de France, succéda à son père en 1223. Il fit de grandes conquêtes sur les Anglais ; leur enleva toutes leurs possessions en France , excepté la Gascogne et Bordeaux , qu'il ne put attaquer , parce qu'il se laissa engager dans la guerre contre les Albigeois. La maladie se mit dans son armée , la contagion l'attaqua lui - même , et il mourut en 1226 , à 3g ans. 1,4, 427. m, 141. Louis IX , dit le Saint, fils du précédent , né en 1215 , succéda à son père en J226 , sous la tutelle delà
Ff 4
�456
LOUIS
TABLE
HISTORIQUE
XII roi de France surnommé à Marie Leczinsha , fille de Stimishi le. Juste et le Père du Peuple , naquit roi de Pologne. Il eut à soutenir, es à Blois en 1462, de Charles, duc 1740 , une guerre qui ne fut terni, née qu'en 1748 : elle procura plud'Orléans , et parvint au trône en sieurs triomphes à la France , epii J^g8 , après la mort de Charles furent entremêlés de quelques déVIII. Il régna près de 17 ans , et mourut en 1515 , justement regretté faites ; mais elle servit sur-tout! faire éclater la modération du roi, de son peuple qui s'écrioit : » Le bon qui aimoit mieux être le pacificateur " roi Louis notre père est mort. que le conquérant de l'Europe, h Quelle oraison funèbre est comparaguerre de 1756 ne fut pas si heuble à ce peu de mots? I , 257 , 441, reuse ; elle humilia et ruina ïa 491. II, 59 , 78 , 166, 275 , 3i7, France , et ne fut terminée qu'ei 343. 1763 , par le traité de Versailles, LOUIS XIII , dit le Juste , fils de Henri Louis XV profita de la paix pour uIV, roi de France et de Navarre , nimer les arts , les sciences et h naquit à Fontainebleau en 1601 , et commerce dans ses états. Il nefi succéda à son père en 1610 , sous la pas à son peuple tout le bien qu'il tutelle de la reine Marie de Mêdicis désiroit , mais il ne cessa pas de lut sa mère , et sous le ministère du être cher ; et si la nation eut à M cardinal de Richelieu. Il régna 33 ans , et mourut le 14 Mai 1643, âgé de plaindre , ce ne fut pas du bon cari 42 ans. 1,97, 101 , 110 , in , 258 , de son roi. Ce prince mourut deit 265 , 3i2 , 448. II, 220 , 289 , 33o , petite-vérole , 1er 10 Mai 1774, après 431 , 43C. III, 145 , i52 , 1G6 , 281 , un règne de 59 ans sept mois et dis 292. jours. I , 268. II, 320 , 481. III, LOUIS XIV , roi de France et de Na170, 237. varre , que les brillantes actions , LOUIS XVI, roi de France et de Hale faste et les habiles personnages varie , né à Versailles le s3 Aek 1754 , marié le 16 Mai 1 770 , à Sten tous genres qui illustrèrent son rie-Antoinette , archiduchesse d'Aurègne, ont fait surnommer le Grand , naquit à Saint-Germain-cn-Laye le triche , et fille de l'empereur Français 1" , succéda en 17 74 , à Louis If 5 Septembre i638 , et fut appelé son aïeul , et fut sacré à Rëm Dieu-Vonnè , parce qu'il ne vint au l'année suivante. La bienfaisance s! monde que la vingt-troisième année du mariage de sa mère. II succéda à montée avec lui sur le trône, et nom retraçant les vertus de nos plu Louis XIII son père en 1643 , sous la régence d'Anne d'Autriche sa mère. grands monarques , il promet à soi peuple une longue et durable félieitfc Son règne , l'un de plus longs dont parle l'histoire , fut de 72 ans , et il I , 76 , 81. III , 180. mourut le premier Septembre 1715, LOUIS, comte de Flandre , en !?:!. sous le règne de Philippe de Faltit à 77 ans. 1, 21 , 57 , 58 , 5g , 65 , 76, III, 502. 80, 90, 91 , n3 , 120 , 248, 268 , 269 , 287 , 3i2 , 3i3 , 314 , 33i , Louis , jeune ecclésiastique de la ps» 345 , 448, 496.II , 1 , 45 , 46 , 70, vince de Galles en Angleterre , qui, par ses talens pour la prédication, 75,91, 132 , i35, i36, IÎ7 , 166, mérita la protection et les fcienfaîS 170, 171, 193, 197, 210, 222, 227 , 237 , 267 , 274 , 289 1 321 , du docteur IJough , évêque de Wffl323 , 338 , 343, 344 , 3g5 , 399 . cester. 1, 291. 432 , 436, 448 , 459 460 , 46l , LOUP (S.), fut élu évêque de Trop! 490, 49' . 499 504. 4S6, en 427 , à l'âge de 35 ans, en: 5o3 , distingua tellement par ses vertus ni , 67 , 73 , 74 , 75 , 100 , épiscopales , qu'il fut regardé COEUIMÎ 134 , 125 , 14> , 167 r 234 , 236 , 282 292 le plus saint prélat de son siècle. 1 355 , 367 3-44 , préserva son peuple de la fuit» 349Ï.0U1S XV , dit le Bien-Aimé , roi de d'Attila , et mourut le 29 JmM France et de Navarre , naquit à 479 , âgé de 77 ans. II, 555. Versailles le i5 Février 1710. II étoit loup ( S. ), évêque de Sens , sons I« arrière-petit-fils du précédent , et règne de Clotaire II, roi de Frau« lui succéda eu 171a , sous la réIII, 341. gence de Philippe , duc d'Orléans. Il LOUPIAN ( le seigneur de ), ligne» fut sacré et couronné à Reims le sous le règne de Henri IV, roi » a5 Octobre 1722 , et marié eu 1725 France. II , 219.
�I InUVOïS
DES PEUS ( François-Michel le Tellier , marquis de ) , ministre de la guerre sous Louis XIV, rendit de grands services à ce prince. Génie vaste -, il fut toujours de niveau avec la multitude des emplois dout il fut chargé. Le succès de ses plus hardies entreprises lui acquit un ascendant extrême sur l'esprit de son maître , et à la fin , il le traita avec xme hauteur qui le rendit odieux. Au sortir d'un conseil où le loi l'avoit trèsmal reçu, il rentra sans rien dire dans son appartement , et expira , consumé par l'ambition , la douleur, le chagrin , en 1691 , à l'âge de 5i ans. I, 62 , 34S. II , 45. LUCAIN ( iïfareus-Annœus ) , neveu de Sènèquc le philosophe , naquit l'an 3g de J. C. vet des Page de 14 ans, étoit l'émule de Perse , satirique déjà fameux à cette époque. Charmé de son esprit, îfiêron le Lit augure et questeur ; mais bientôt l'empereur devint jaloux de la gloire du poète. Lucain maltraité par ce prince , entra dans la conjuration de Pison , fut découvert et condamné à mort. Il eut les veines coupées l'an 65 de J. C. De ses nombreux ouvrages , tant en prose qu'en vers , il ne nous reste que sa Pkarsale, ou la guerre de César et de Pompée. C'est moins nn poème épique qu'une histoire versifiée. Moins brillant qu'Homère , moins harmonieux que Virgile , il offre des traits qu'on chercheroit vainement dans l'Iliade et dans l'Enéïde. On y admire une multitude de pensées mâles et hardies. Peintre énergique , souvent une seule ligne est un tableau plein de force ; mais lorsqu'il narre , il est bien moins heureux , et ne paroît plus qu'un gazetier boursoutilé. En général , il manque de goût et de justesse , et tombe presque toujours dans l'enflure , dans le faux sublime et dans le gigantesque. Malgré ses nombreux défauts y ce poème a été souvent réimprimé. La plus belle édition est celle de Slrawberri-Hill , 1760 , m-40, : Brèbeuj l'a traduit en vers français ; et il ne falloit pas moins que l'imagination vive et fougueuse de ce poète , pour rendre les beautés et les défauts de l'original. I , 373. ï-UClEîï , né sous Pempire de Trajan , fut destiné par ses parens à la sculpture y mais son génie lui avoit donné une autre vocation. Placé à l'école
ONN AGES. 4S7 d'un oncle maternel, son coup d'essai fut un coup de mal-adresse : il cassa une table de marbre , et fut vigoureusement puni. L'art lui déplaisoit ; celte correction le lui rendit haïssable. Il s'évada de chez son oncle , et se réfugia dans l'étude d'un avocat. Il crut d'abord être dans le sanctuaire des lettres : il s'imaginoit trouver dans les amas de titres qu'il voyoit chez son patron, une source inépuisable de lumières : il n'y aperçut bientôt que la vaine dialectique de la cupidité ; et se jugeant aussi peu propre à la chicane qu'au ciseau , il se consacra tout entier à l'éloquence et à la philosophie. Il y fit des progrès rapides , et Antioche , l'Ionie , la Grèce , les Gaules , l'Italie même , le comptèrent au nombre de leurs plus habiles maîtres. Athènes fut le théâtre où il brilla le plus long-temps. L'empereur Marc-Aurèle , instruit de son mérite, lui donna une sorte d'inspection sur l'Egypte. On croit qu'il mourut sous le règne de ce prince, on sous celui de Commode , à go ans. Il a laissé plusieurs ouvrages ; mais il est principalement connu par ses Dialogues des Morts. La satire y est instructive , et l'érudition n'y nuit point à l'éloquence. Son style vif, naturel , enjoué 3 nous offre toute la finesse de la plaisanterie attique , et il ne met nos vices en action , que pour nous en montrer le ridicule , et nous apprendre à les haïr. La meilleure édition de Lucien est de Paris , in-fol. 1615 , en grec et en latin. I , 3g. LuciLlus , noble Romain , ami et partisan du célèbre 2?r«/«s. I, 109. LuciUS , sophiste romain sous l'empire de Marc- Aurèle. I , 243. III, n5. Lucius , saint abbé , célèbre dans l'histoire des Pères du désert. III f
293.
LUCIUS-VERUS t frère de Marc-Aurele , fut associé à ce prince sur le trône des Césars par l'empereur Antonin. I , 38g. LUCRATIDAS, président des éphores , du temps ^Agèsilas-le-Grand , roi de Sparte. I , 38g. LUCRÈCE , dame romaine , épouse de Collatin, succomba par la crainte d'un plus grand déshonneur , aux violences que lui fit Sextus-Tarquin , fils de Tarquin - le - Superbe , roi de Rome , et s'en punit ensuite en se donuant la mort en présence de son
�4^8
LUCULLUS
TABLE
HI STOHIQUK
mari et de quelques amis , avant J. C. 1, 46g.
l'an 509
( Lucius-Licinius ) , fameux général romain , et l'un des hommes les plus opiilens de son siècle , fut consul l'an 74 avant J. C. Il vain-
édition à Oxford, en 1697 , in-fol, qui a été réimprimée en 1702 , dam le même format. II, 184.
LYCURGUE ,
quit Mithridale et Tigrane , et soutint la gloire de Rome. Ce fut lui qui apporta du royaume de Pont les premiers cerisiers que l'on ait vus en Europe. Il fut le rival de Pompée, qui le supplanta. 1,4, 246 , 256 , 3?o II , 4a. chancelier de l'université de Halle en 1734. II, 188. LUNEBOURG ( le baron de ), chef des Reitres , sous le règne de François II, roi de France. III , 288.
LUXEMBOURG {François-Benri-MonlmoLUDWIG (M.) ,
législateur des Laeédémoniens , étoit fils d'Eunome , roi de Sparte , et frère de Polydeete , qui régna après son père. Il gouverna !Î royaume en qualité de tuteur de sou neveu Charilaiis. Il voyagea longtemps en philosophe , pour étudia les mœurs des ditf'érens peuples , et
après avoir donné de sages lois à sa patrie, il s'exila , pour ainsi dire, et mourut volontairement vers l'an 870 avant J. C. 1, 194,195,320, 46;. H, 109, 284, 462. III, 8g. LYONNEL , bâtard de Vendôme , officier des aimées du duc de Bourgogne, fit la Pucelle d'Orléans prisonnière au siège de Compiègne. III ,321.
LYS (du) , voyez LYSANDRE ARC ( Jeanne d'). , général lacédémonien, donna pendant sa vie le branle à toutes les affaires de la Grèce ; remporta de grandes victoires sur les ennemis de la puissance spartaine ; humilia , subjugua la superbe Athènes ; puis se laissant enivrer des fumées de l'orgueil , il osa former le projet de monter sur le trône de La-
renci , duc de ) , (ils de l'infortuné Bouiteville , qui eut la tète tranchée sous Louis XIII, pour s'être battu en duel, naquit après la mort de son père , en 1628. A peine fut-il en état de porter les armes , qu'il choisit le grand Condè pour maître dans l'art des héros. Il sut profiter des leçons de cet illustre capitaine ; et jamais peut-être aucun général n'a suivi de plus près ses glorieuses traces. Il remporta tant de victoires , qu'en une année l'église cathédrale de Paris se trouva tendue d'un bout à l'autre des drapeaux qu'il avoit pris aux ennemis. Ce fut alors que le prince de Conii, le conduisant au Te Ueum qu'on alloit chanter en actions de grac.es , dit à la foule : .. Place , » place , messieurs , laissez passer « le tapissier de Notre-Dame. » II mourut en 169S , regretté comme le plus habile capitaine que la France eut alors. Sa mort fut le terme des victoires de Louis-le-Grand. 1, 226 , 756. II , 426.
LYCIDAS ,
cédémone , quoiqu'il ne fut pas du sang royal ; et pour parvenir à ses fins , il n'épargna ni la religion,ni les sermens, ni la patrie : mais la mort prévint l'exécution de ses desseins ambitieux, l'an 3g5 avant J.C. I, 4, i85. II, 27, 85 , 356. III , 194. 86 , 102,
LYSIAS , célèbre orateur athénien , ami
et disciple de Socratc , fut exilé à Syracuse par les trente tyrans , et aida Thrasibule à délivrer sa patrie de l'odieuse domination de ces despotes. I, i85. II , 3oo.
LYSIMAQUE ,
Athénien qui fut mis en pièces pour avoir proposé une alliance avec Xerxès-le-Grand , roi de Perse. I , ig8. , poète et grammairien grec , vers l'an 3o4 avant J. C., avoit
fils d'Aristide , Athénien célèbre par son intégrité et ses vertus civiles , n'hérita que de la pauvreté de son père. IH , 32. l'un des capitaines à'Alexandre-le-Grand , se rendit maître d'une partie de la Thrace , après la
LYSIMAQUE ,
LYCOPHRON
composé 20 tragédies , et plusieurs autres ouvrages ; mais il ne nous reste de lui qu'un poème intitulé Alexandre , surnom de Cassandre , fille de Pri.im , roi de Troie. C'est une longue suite de prédictions qu'il prête à cette princesse, et elles sont si peu intelligibles , qu'on a donné à l'auteur le surnom de poète ténébreux. Jean Potlerus en a donné une bonne
mort de ce conquérant. Il s'empara de la Macédoine, l'an 285 avant J.C, et régna 5 ans. Ses cruautés le firent détester , et ses sujets l'abandonnèrent. Sèleucus , roi de Syrie , lessouteuoit : il marcha contre ce prince, lui livra bataille , et fut tué l'an 28a avant J. C., à soixante-quatorze ans. III, 67, i75.
�DES
PERSONNAGES.
45g
M.
Jean ) , né en Champagne Îe23 Novembre i632,pritl'habit de Bénédictin en i654- Sessupérieurs l'en voyèren t à Sa i n t-Dcn is en France, et te chargèrent de montrer aux étrangers le trésor et les antiques monuniens de cette abbaye célèbre ; mais ayant cassé un miroir qui avoit appartenu , d;soit-on , à Virgile , il se démit de cet emploi, qui demandoit un homme moins vrai que lui. Rendu tout entier à ses études , il s'illustra bientôt par la plus -vaste érudition. ho monde savant le combla d'honneurs, que sa modestie vouloit en vain rejeter : le roi le chargea de voyager en Allemagne et en Italie pour découvrir dans les bibliothèques nombreuses de ces pays, tout ce qui pourroit concourir a jeter du jour sur l'histoire de France. Par-tout i! fut reçu comme un des hommes les plus éclairés de son siècle , et il apporta dans sa patrie la plus riche moisson. Quand M. le Tcllier , archevêque de Reims, l'introduisit devant Louis XIV: « Sire, lui dit-il, j'ai l'hon« neur de présenter à votre majesté « le religieux le plus savant et le >' plus humble de votre royaume. » Il mourut à Paris , dans l'abbaye de St.-Germain-des-Prés, en 1707, à 75 ans. On formeroit une bibliothèque de tous les ouvrages sortis de sa plume judicieuse et savante , et des éditions qu'il a données. II, 3a6. MABUSE ( Jean ), peintre hongrois , mourut en i56"2. III , 240. MACAIRE-LE-JEUNE ( St. ) , célèbre solitaire d'Alexandrie , qui avoit près de cinq mille moines sous sa direction. Il mourut en 3y4 ou 3g5. On l'a surnommé lejeune, pour ledistinguer d'un autre St. Macaire , solitaire comme lui, et son ami. 1, 1 , 16. III, 273, 34o. MACAIRE, évèq-ue de Jérusalem , sous le règne du grand Cons/an/in. III, 58. MACAIRE ( le chevalier ), assassin sous le règne de Char/es V, roi de France, fut convaincu par un chien. II ,214. .MACÉDONE , solitaire des niontagnesdc Syrie , sous l'empire de Thêodose le-Grand. III , 12. MACHAEÈES (les) , sont les cinq fils de Mathathias prêtre juif, chef de la maison des Asmonéens , qui rétablit le culte du vrai Dieu , et qui gouverna la nation juive jusqu'à Hérode.
IÀBIIXON (
M,
Ces cinq frères étoient : Jeany Simon, Judas - Machabêe , Eléazar et Jona~ /lias. II , 148. MACLESFIELD (le comte de), pair d'Angleterre , assista aux funérailles de Newton , et tint un coin du poêle qui couvroit le corps de ce grand nomme. II , 176. MACRIN { Marcns-Opilius-Sêvérus) y fut élu empereur romain à la place de Caracalla , en 217 , et fut tué l'année suivante. I , 3g5. MAGAS se Ut roi de Cyrène , l'an 264 avant J. C. , et régna huit ans. Un jour Philèmon , poète comique , se permitenplein théàtrequclques plaisanteries sur ce prince. Magas etoit présent; il le laissa dire ; et quand il eut fini , un garde vint l'épée nue à la main , comme pour lui trancher la tète. Le poète se crut au dernier moment de sa vie : quelle fut sa surprise lorsqu'il vit le soldat lui offrir, de la part du roi , une balle et des osselets ? Magas croyoit s'être assez vengé en traitant le satirique comme un enfant qui n'a point encore de raison. II , 256. MAGDELEINE OU Magdelène , ( SainteMarie ) , étoit une femme de qualité deGalilée, queJésus-Christ délivra de sept démons. Depuis ce moment, elle suivit constamment le divin Sauveur. Elle assista à sa passion , le vit mettre dans le tombeau , y porta des parfums pour l'embaumer , et fut la première personne à qui le fils de Dieu se montra après sa résurrection, qu'elle alla , par son ordre , annoncer aux apôtres et aux disciples consternés. On croit qu'elle mourut et fut enterrée à Ephèse. Ce n'est que depuis le dixième siècle qu'on a imaginé qu'elle étoit venue en Provence avec Marthe et Lazare t qu'on suppose avoir été son frère et sa sœur. Cette supposition est dénuée de vraisemblance ,puisque l'Evangile la distingue toujours de Marie sœur de Marthe, qui d'ailleurs étoit de Béthanie, et non deGalilée.C'est avec aussi peu de raison qu'on l'a confondue avec la pécheresse qui oignit les pieds de Jésus-, et que ce divin libérateur renvoya en lui disant : » Allez en paix , et ne péchez plus. » Ou ignore le nom de cette pécheresse ; il est dit simplement qu'elle étoit de Naïm, ville de la tribu d'Is-
�46o
TABLE
H I
TORIQUE pilepsie , il leur persuada que le» convulsions fréquentes dans lesquclles il tomboit, étoient l'effet dei vives impressions de la gloire du ministre que la Divinité luienvoyoit pour l'instruire de ses volontés suprêmes. Ces absurdités furent accueillies avec enthousiasme ; et Mahomet, sûr désormais de l'aveugle confiance de ses prosélytes , n'hésita plus de leur laisser entrevoir le vrai but de ses impostures. Cependant les magistrats de la Mecque , alarmés des progrès du novateur, voulurent l'arrêter en secret; il les prévint par une fuite précipitée , et se réfugia à Médine. Cette retraite fut l'époque de sa gloire et de la fondation de son empire et de sa religion. C'est ce que l'on nomma Hégire , c'est-à-dire, fuite ou persécution, dont le premier jour répond au vendredi 16 Juillet de l'an 622 de l'ère vulgaire. Le prophète fugitif devint conquérant. A la tète de ses sectateurs , qui venoieut le trouver en foule , il commença par attaquer les earavanes. La victoire accompagna constamment ses étendards. Bientôt sa petite troupe fut une armée d'autant plus formida« Lie , que le fanatisme aveugloit son courage. Ils croyoient ne combattre que pour propager la doctrine envoyée du ciel, et tous se regardoient comme agrégés à l'apostolat de leur chef. Mahomet leur défendit toute espèce de controverse avec les profanes , et voulut que tous leurs argumens fussent au bout de leur* épées. » Chaque prophète , disoit-il, a son caractère : celui de Jésus a » été la douceur ; la violence est le » mien : il faut me croire ou mou» rir. » Ses conquêtes prouvèrent sa mission. La Mecque fut soumise, et son temple choisi pour être le centre de la religion nouvelle. Après avoir subjugué l'Arahie , il se crut assez fort pour attaquer les .Grecs et I« Perses. II prit quelques villes de Syrie, tandis que ses généraux, non moins heureux que lui , étendoient son empire j usqu'à quatre cents lieues de Médine, tant au Levant qu'au Midi. C'est ainsi que de simple conducteur de chameaux , Mahomet devint un de plus puissans monarques de l'Asie , et qu'avec le seul glaive , il jeta les fondemens d'une religion qui s'étend aujourd'hui depuis le détroit de Gibraltar jusqu'aux Indes. Il ne jouit pas long-temps du fruit de ses
sachnr ; ce qui seul suffirait pour la distinguer des deux autres. II , 260. MAGON , noble Gnrthaginois , gouverneur de Carthagène , du temps du premier Scipion l'africain. III, 21g. ÎUAHADI , troisième calife de la race desAbbassides, l'un dcspluspuissans princes de son siècle , fut proclamé en 775 , et mourut dix ans après. I, 55. MAHMOUD fut proclamé sultan en 173o, et gouverna durant quatorze ans le vaste empire des Turcs. III, 33o. MAHOMET , né à la Mecque vers l'an 568 , deJ-C, d'une famille pauvre , mais illustre parmi les Arabes, fut mis de bonne heure au service des caravanes qui négocioient de la Mecque à Damas. Ses voyages ne l'enrichirent pas , mais développèrent son génie et augmentèrent ses lumières. Ayant remarqué dans tous les pays où il avoit suivi ses maîtres une multitude de sectes qui se déchiraient impitoyablement , et qui, par leurs éternelles disputes , rendoient la croyance des peuples flottante et problématique , il conçut le projet de former un nouveau système de religion, et crut qu'en simplifiant les dogmes , il pourrait concilier tous les partis , et faire cesser leurs divisions. De retour à la Mecque , il devint commis de la veuve d'un marchand , s'en fit aimer , et l'épousa. Cadigey ainsi s'appeloit cette femme , donna tous ses biens à son nouvel époux , beaucoup plus jeune qu'elle. Maître d'une fortune considérable , n'étant plus distrait par la nécessité de trouver une pénible subsistance, Mahomet, se livra tout entier à l'exécution de ses desseins. A l'âge de 40 ans , il commença à se donner pour prophïte. Il feignit des révélations ; il parla en inspiré, et persuada d'abord sa femme et huit autres personnes. Ces disciples en firent d'autres ; et en moins de trois ans , il en eut près de cinquante , disposés à mourir pour sa doctrine. Avant de se livrer à leur zèle , il voulut éprouver jusqu'à quel point il pouvoit compter sur leur crédulité. Il leur apprit que l'ange Gabriel l'avoit mené sur un âne de la Mecque à Jérusalem , où il lui avoit fait voir tous les saints et tous les patriarches depuis Adam ; qu'il en avoit été salué comme l'apôtre et le prophète de Dieu , et qu'ensuite le céleste conducteur l'avoit ramené la même nuit au lieu d'où il étoit parti. Sujet à des attaques d'é-
�DES ÏERSONNAG ES. impostures. Il y avoit déjà quelques ris, i5ia), son second Carême années qu'une Juive, voulant éprou( Paris , 1515 ) , ses Dominicales ver s'il étoit réellement prophète , ( Paris, 1515 ), et ses Panégyriques avoitempoisomié une épauledemou( Paris, 1513 ), comment une reliton qu'on alloit lui servir. Mahomet gion aussi sainte , aussi sublime quene s'en aperçut qu'après en avoir la nôtre, a pu être prèchée aussi mangé un morceau. Depuis ce moplatement et avec autant d'indément , il n'eut plus qu'une santé cence , même dans un siècle barchancelante ; le poison le mina peu bare, Tous ces ouvrages sont en à peu , et enfin une fièvre violente mauvais latin , et les jurisconsulte^ termina ses jours en 632 , dans la y sont plus cités que les évangélissoixante-deuxième année de son âge, tes. II , 260. 11 fut enterré à Médine ; mais c'est MAILLARD , huissier audiencier, étoit une erreur populaire de croire que le Stentor du parlement de Paris ; son corps est déposé dans un coffre car si l'on juge de l'énergie de ses de fer qu'une ou plusieurs pierres poumons , d'après la réprimande d'aimant tiennent suspendu au haut du président le Coigneua:, il faisoit à de la grande mosquée de cette ville. lui seul plus de bruit que cinquante Son tombeau est une urne de pierre avocats ensemble. 1, 314. placée dans une chapelle de ce temMAINE ( Anne- Louise - Bénédictine de ple : l'entrée en est défendue par de Bourbon-Condè , duchesse du ) , pegros barreaux de fer. Le livre qui tite-fille du grand Condé , en avoit contient les dogmes et les préceptes la grandeur d'ame , et peut-être du mahométisme , s'appelle Alcoran l'ambition , mais tempérée par les ou le livre par excellence. Les points autres vertus qui décorent son sexe. principaux de la doctrine qu'il enEn 1692 , elle fut mariée à Louis-Aw seigne , sont, de croire en un seul guste de Bourbon , duc du Maine , fils Dieu, créateur universel, tout-puisnaturel de Louis XIF et de madame sant , qui connoît toutes choses , réde Montespan. Elle sut se faire aicompense la vertu , punit le vice, et mer de son époux , et le gouverner qui a envoyé son prophète Mahomet sans lui déplaire. Elle employa sou pour retirer les peuples de l'idolâtrie. esprit et son crédit à lui procurer La circoncision , les oblations , l'absun rang égal au sien ; et après lui tinence du vin , des liqueurs fortes, avoir fait donner les plus hautes du sang, de la chair de porc, le jeûne dignités du royaume , elle obtint un du ramadan , la prière cinq fois le édit de Louis-le-Grand, qui déclajour, et la sanctification du vendreroit son fils légitime, habile , ainsi di, sont les pratiques extérieures que ses descendans , à succéder à qu'il prescrit. Il promet pour récomla couronne, après tous les princes pense à ceux qui auront-été fidèles du sang existans. Les bienfaits sans aux préceptes , qu'ils seront placés , bornes de ce monarque tout-puisaprès leur mort, dans un lieu de désant pendant sa vie , furent circonslices , où l'ame sera enivrée de tous crits après sa mort. Madame la dules plaisirs spirituels , et où , après chesse du Maine fit de vains efforts la résurrection générale , le corps , pour soutenir son ouvrage. Elle fut rendu à une vie éternelle avec tous retenue durant deux ans au château ses sens , goûtera , par ses sens mêde Dijon, et n'en sortit qu'avec la mes , toutes les voluptés qui leur résolution de se contenter des honsont propres. La meilleure édition de neurs qu'on lui laissoit. Elle se conVAlcoran est celle de Maracci , en sola de ses petites disgrâces en proarabe et en latin, in-fol. z vol. 1698, tégeant les sciences et les arts , qui Padoue. I, 55. la pleurèrent comme leur mère lors■AHOMET , roi du Kouiïslan , dans la qu'ils la perdirent en 1753 , dans la, Perse. I , 59. soixante-seizième année de son âge. AIUARD ( Olivier ) , Parisien , prit Les mémoires de madame de Staal l'habit de cordelier au quinzième feront bien connoitre cette princesse, siècle , et se fit une réputation brilII , 228. lante par ses sermons. Il est impossible de lire de plus pitoyables plati- MAINTENON ( Françoise d'Aubigné , marquise de ) , naquit en 1635, tudes ; et l'on ne oonçoit pas , en dans une prison de Niort où son jetant les yeux sur son Avent ( Paf père et sa mère étoient enfermés. ris, i5u ), son premier Carême (PaConduite, à l'âge de 3 ans eu Améri-
46l
�462
TABLE
H I
TORIQUE » Madame , lui disoît souvent le i-or, ■■ vous n'avez rien à vous. —Sire, » répondoit-ellc , il 11e vous est pas » permis de me rien donner ; » voulant lui faire entendre qu'elle ne croyoit pouvoir accepter ses bienfaits, qu'a condition de les répandre dans le sein des malheureux , et d'en soulager le mente indigent, Son élévation ne fut pour elle qu'une retraite. Elle influa dans les affaira de l'état, mais elle ne les gouvernoit pas. Plus occupée de coinplahî à celui qui commandoit, que jalouse de commander elle-même, cils ne cherchoit qu'a délasser le roi do fatigues du gouvernement , parla douceurs innocentes de la vie pr> vée; mais le succès ne répondoitpa toujours à ses efforts. » Quel sup» plice , disoit-èlle à sa nièce , qm » d'amuser un homme qui n'est plw >■ amusable ! » Cette espèce de soivitude , dans un âge avancé , Il rendit, plus malheureuse encore que l'état d'indigence qu'elle avoit éprouvé dans sa jeunesse. « Je n'j » puis plus tenir , s'écria-t-ellc na » jour , en apercevant le coict; » d'Aubigné son frère ; je voudrai! » être morte. — Vous avez dont: pi* » rôle d'épouser Dieu le père , » lu répondit froidement le comte. Apjb la mort de Louis XIV, elle se retin à Saint-Cyr , qu'elle avoit fbiufiè pour y élever gratuitement 3uo & moiselles nobles et indigentes. Eli édifia cette communauté par ses vif tus, et mourut en 1719, à8iaa I, 238 , 27g. II, i33 , ^32. III, nji
MALEBRAîîCHE (
que , laissée, par la négligence d'un domestique , sur le rivage , sur le point d'y être dévorée par un serpent, l'amenée orpheline à l'âge de 12 ans , élevée avec la plus grande dureté chez madame de JSeuillanl sa parente , elle fut trop heureuse d'épouser Scarron , poète enjoué et burlesque , gueux comme l'étoient jadis presque tous ceux de son état, et perclus de tous ses membres. Elle fut moins sa femme que sa compagne et son amie , et malgré sa jeunesse , (elle n'avoit encore que 16 ans), elle se fit aimer et estimer par son esprit sa modestie et sa vertu. Après la mort de Scarron , elle fit solliciter long-temps et vainement auprès de Louis XIV une pension dont son mari avoit joui. Ne pouvant l'obtenir, elle résolut de s'expatrier. Une princesse de Portugal voulut l'avoir pour élever ses enfans. Avant de partir elle se ût présenter à madame de Monlespan , maîtresse du roi , et lui dit qu'elle ne vouloit pas quitter la France sans en avoir vu la merveille. La favorite, flattée du compliment, lui défendit de partir, se Ht donner un autre placet, et le présenta à son amant : » Quoi ! s'écria le mo» narque , encore la veuve Scarron! » N'entendrai-je jamais parler d'au» tre chose? En vérité, sire , reprit » madame de Monlespan , il y a long" temps que vous ne devriez plus en » entendre parler. » La pension fut accordée. Elle devint gouvernante des enfans que le roi eut de madame de Monlespan , et ce fut dans cet emploi qu'elle effaça peu à peu les impressions désavantageuses que Louis XIV avoit prises sur elle. Ce prince passa bientôt de l'aversion à la confiance, et de la confiance à l'amour. Il lui donna des places d'honneur ; et, par le conseil du père de la Chaise son confesseur , il voulut légitimer sa passion pour elle par les liens indissolubles d'un mariage secret , mais revêtu de toutes les formalités de l'Eglise. La bénédiction nuptiale leur fut donnée par M. de Hurlai , archevêque de Paris , en présence du confesseur et de deux témoins , en 1686. Louis XIV étoit alors dans sa quarante-huitième année , et la personne qu'il épousoit , dans sa cinquantième. Madame de Maintenon ne regarda sa faveur que comme un fardeau que la bienfaisance seule pouvoit rendre léger.
Nicolas ) , né à h ris en 1638 , fils d'un secrétaire il roi, entra dans la congrégation* l'Oratoire en 1 660 ; devint touî-îcoup disciple de Descartes, et peut-être plus loin que son maîK L'académie des sciences lui ouït* ses portes en 1699 ; et il mouruio 1713, regardé comme l'un des pfl grands génies qui aient existé. » principal ouvrage est celui qwjj pour titre : De la Recherche de Inf* rite , dont on a une bonne édition* Paris , 1712 , in-k°. , ou 4 vol. in-ih C'est le chef-d'œuvre de la plus pt fonde métaphysique; et, quoique* systèmes qu'il y expose ne soieffi presque plus regardés aujoui-dl^ ii que comme des illusions sublim ; on aime encore à le lire , parce qt' les présente d'une manière bril»"
292*
�NNAGES. 463 ou six fois en lisant une stance de quatre vers ; ce qui fit dire au cavalier Marin : » Je n'ai jamais vu » d'homme plus humide , ni de poète » plus sec. " Un enfant de Thémis , qui vouloit aussi l'être d'Apollon 7 fait en ce beau jour , le plus beau le pi'ia de lui dire son avis sur queljour du monde , ques vers que sa verve venoitde proour aller à cheval sur la terre et sur duire : « Avcz-vous eu l'alternative l'onde. » de faire ces vers , ou d'être pendu ? » lui répondit le dur censeur : à » On ne va pas à cheval sur l'onde , » moins de cela , vous ne devez pas ■ lui représentoit - on. — J'en coni' exposer votre réputation en mçt» viens, répondit-il ; mais passez-le » tant au jour une pièce si ridi» moi en faveur de la rime. Son •> cule. " Il estimoit peu son art, et livre essuya de nombreuses critiques ; traitoit la rime de puérilité. Il préil en laissa plusieurs sans réponse. tendoit qu'un bon poète n'est pas Celles des journalistes de Trévoux plus utile à un état, qu'un bon joueur furent de ce nombre. <■ Je ne veux de quilles ; et quand ou se plaignoit » pas me battre, disoit-il, avec des que [es versificateurs n'avoient rien f » gens qui font un livre tous les tandis que les financiers , les mili■• quinze jours. » I, 536. III , 252. taires et les courtisans avoient tout : ALHKRSE (François de ), né en 1555 Rien de plus juste , répondoit-il ; à Caen , d'une famille noble , créa, la poésie n'est point un métier ; pour ainsi dire , la poésie française , » elle n'est faite que pour nous proeu lui prêtant des grâces et une éner■> curer de l'amusement, et ne mégie qu'elle n'avoit pas connues jus» rite aucune récompense. » A ses qu'à lui. Il est le premier qui ait fait défauts il joignit une sordide avasentir que notre langue pouvoit s'érice. Logé dans un galetas , à peine lever à la majesté de l'ode. Moins s'étoit-il donné les meubles les plus "ublime que Pindare , moins agréanécessaires. Faute de chaises , il ne le qu'Horace , il plait cependant par recevoit les personnes qui venoient a netteté de ses idées , le tour heule voir que les unes après les autres ; eux de ses phrases, la variété de ses il crioit à ceux qui heurtoient à sa escriptions et de ses ligures , la jusporte: Attendez à votre tour ; il esse, le choix de ses comparaisons , » n'y a plus de sièges. » La fougue t l'ingénieux emploi de la fable, de son caractère ne l'abandonna pas outes ses poésies forment un vol. dans la plus grande vieillesse. Un de *H-8°. , dont la meilleure édition est ses fils ayant été tué en duel par de "ue à M. de Saint-Marc. En les liPiles , gentilhomme provençal , U ant , on ne peut s'empêcher de révoulut se battre contre l'assassin , éter ce demi-vers de Boileau, qui quoiqu'il eût alors 73 ans. On lui reeul vaut un panégyrique : présenta que la partie n'étoit pas égale entre un vieillard et un jeuue f nfin , Malherbe vint. homme : .. C'est puur cela que je veux me battre , répondit-il ; je e poète célèbre eut tous les travers " ne hasarde qu'un denier contre es enfans des Muses , et quelques- une pistole. Une somme que lui ns des vices qu'ils n'ont pas toudonna de Piles calma l'eifervescence ours : brusque , violent , emporté, de son courage , et il s'en servit t sur-tout vindicatif quand on ne pour faire élever un mausolée à son attoit pas son amour-propre. Racan fils. Il aima beaucoup moins ses auon élevé , et presque son égal, tres parens. Il plaida toute sa vie yant osé lui représenter que la foicontre eux. Un de ses amis le lui lesse de sa voix et l'embarras de sa a ayant reproché. Avec qui donc ngue , I'empèchoient d'entendre >■ voulez-vous que je plaide , lui réuelques pièces qu'il lui lisoit, Mapondit-il ? avec les Turcs et les '«•4e le quitta tout-à-coup,et fut plu.. Moscovites , qui ne me disputent icuis années sans le voir. Personne rien ? Une heure avant de moue lisoit plus mal que lui , et cfipenrir , il reprit sa garde d'un mot qui ant il avoit la manie de réciter ses n'étoit pas bien français ; et son conoésies. Il falloit qu'il crachât cinq fesseur lui représentant Je bonheui;
DES PER S et, pour ainsi dire , avec tout le feu d'un poète. Cependant , cet ingénieux écrivain n'aimoit pas les vers : « Je n'en ai fait que deux en ma vie, .' disoit-il ; les voici :
�TABLE HISTORIQUE Phamuhaze , et gouverna l'EoIic am de l'autre vie avec des expressions sagesse après la mort de son mari nasses et triviales , le moribond l'inIII, 110. terrompit en disant : Ne m'en par» lez plus; votre mauvais style m'en MAXILIUS , patricien romain , que Ci. ton-le-Censeur chassa du sénat, peur » dégoûterait. » Il mourut en 1628, avoir embrassé sa femme en présence peu de temps après sa querelle avec de sa fille. II, 170. III , 394. de Piies. Il avoit vécu sous six de nos MANLIUS ( Marais ) , surnommé rois. I , 121 , 315. II , 255. toiinus , parce qu'il sauva le Capitol»J MALUDUN ( Jean ) , Limousin, disciple de l'invasion nocturne des Gaulois de Dauzat) fut précepteur de Henri qui l'assiégeoient. Il fut regardé de Mesnies , au seizième siècle. II , comme le conservateur de Rome 122. la reconnoissunce du peuple se œr MANDANE , fille à'Jsfyagû , roi des nifestant chaque jour par de nouvf Mèdes et mère du grand Cyrus. II , les faveurs , il crut être assez nui 429. sant pour se rendre niaitre de la réMANDONIUS t prince espagnol qui fut publique. Ses projets furent décoc-! vaincu par Scipion l'Africain. II, verts. Il fut cité devant l'assembla 108. des comices , et condamné à ètn MANES , né en Perse , dans l'esclaprécipité du haut du roc Tarpéieo, vage, fut adopté par une veuve qui l'an 384 avant J. C. II, 4<>3. III,M le fit instruire. Il trouva chez sa HANLIUS - iRïPiRIOSUS - TORyUAïïi) bienfaitrice les livres de l'hérétique ( Titus) , célèbre général romain, Tèrèbinthus , et il résolut d'en répanfut plusieurs fois consul ; la premi dre les dogmes. D'abord il se qualil'an 347 avant J. C. Il se si^mi fia d'apôtre de Jésus-Christ . et enpar ses victoires , et plus encore ft'l hardi par la crédulité de ses proséla rigidité de ses moeurs , et l'inflq lytes , il se donna bientôt pour le ble sévérité de son caractère. I Saint-Esprit, que le Sauveur devoit 212. III , 196 , 199 , 2û3. envoyer sur la terre. La doctrine de MANLIUS , fils du précédent, avn| cet hérésiarque routai t principalecombattu l'an 340 avant J. C., o*[ ment sur la distinction de deux printre l'ordre de son père, alors a: cipes , l'un bon , l'autre mauvais , sul , fut condamné à mort parc tous deux souverains , tous deux inmagistrat sévère, afin de maintes: dépendans. Le corps, selon lui, étoit la subordination militaire. III, iu| l'ouvrage de la divinité malfaisante ; MANSARD ( Jules-IIardouin ) , CeW d'où il concluoit que c'étoit un architecte français , mort en 1/0I crime de donner la vie à son sem69 ans, fut chargé de la couaY blable. Il ajouta à cette erreur fonde presque tous les bâtiment damentale une multitude d'autres Louis XIV. Ses talons furent ré» absurdités , que ses disciples regarpensés de la croix de Saint-Miel* doient, malgré leur extravagance , et de la charge de surintendant eî, comme autant de dogmes figuratifs donnateur-générnl des bàtiineiis,t et mystérieux , dont les chefs seuls et manufactures du roi. II, 46i|P de la secte avoient le secret. S. AuIII j 461. gustin , qui suivit d'abord cette doctrine , est celui de tous les pères qui MANSERA ( le marquis de ), dent du conseil de Castille , <* Pa le plus victorieusement combatâgé de près de cent ans en i': tue. On croit que Manès commença II i 210. à débiter ses rêveries sous l'empire de Probus , vers l'an 280. M. Beau- ÏVlANSFELD {Charles, prince de ),'■ des plus grands capitaines de1 sobre a publié une histoire du Mani. iècle, se signala dans les guem1 chéisme , pleine de recherches et de Flandres et de Hongrie , et mon' philosophie , en 2 vol. 171-4°. 11 -96. sans postérité en 159S. IH 1 W' MANFRÉDI (Ettstachio), célèbre mathéMANSFELD ( Henri - François , C maticien , naquit à Bologne en 1674. de ), de la même famille que lcfj Il cultiva avec un succès égal l'ascèdent, joua un rôle brill^tda^ tronomie et la poésie , et fut associé guerres pour la succession A* aux plus célèbres compagnies de gne , et mourut en \ 715 , à Jk* l'Europe savante. Il mourut en i73g, II, 3i3. à 65 ans. II , 177. MARC-AURELE-ANTONIN , dit h fj MANIA , veuve de Zènis , Dardanien , sophe , et digne de ce suwioui, * mérita la protection du satrape
�DES
PERS ON NAGES.
465
, d'une famille ancienne , fut adopté par Anlonin-le-Pieux , qui l'associa à l'empire. La sagesse et la justice siégèrent avec lui sur le trône, et il mourut regretté de ses peuples , estimé , redouté de ses ennemis , en 180 , âgé de 5 g ans , dont il avoit régné 19. Il nous reste de ce prince 12 livres de réflexions morales, 1/1-4.°. Londres 1707 , dont M. Dacier a donné une traduction française en C'est de toute l'antiquité 1691. payenne , le livre qui approche le plus de la morale de l'Evangile. I, 67, 243, 38g, 492, 493.11,475.111, 167lARCEL ( Saint ) , célèbre évèque de Paris , au commencement du cinquième siècle. II , 265. ARCELIN ou Marcellus , frère du tyan Maxime. II , 204. III, 332. ARCELLUS { Marcas-Claudius) , célèbre général romain , vainquit les Gaulois , tua leur roi , prit Syracuse , triompha plusieurs fois d'Annihal , mérita le surnom d'Fpce de la République ; mais s'étant exposé dans une occasion avec plus de bravoure que de prudence , il fut tué l'an 207 avant J. C. I , 24. II, 104.
Î2T
m,
53.
Marcus-Pomponius ) , sénateur romain , du temps de l'empereur l'ibère. I , 362. ARCET ( le sieur ) , homme habile dans les langues , et doué d'une prodigieuse mémoire. II, 439. ARCIS ( Pierre-Jean le ) , habitant du jbourg de Bol bec , dans la généralité de Rouen , s'est rendu célèbre en i/65 , par son patriotisme et son humanité. I, ^31. ARCIUS. III, 3o5. Voy, CORIOLAN. ARCK. C h' seigneur de la ) , officier français , contemporain du chevalier Rayard. I , 46. ARDONIUS j gendre de Darius et beaufrère de Xerxès roi de Perse , fut tué à la bataille de Platée , qu'il perdit contre les Grecs, l'an 479 avant
ARCELLUS (
:J. C.
1,
197.
11,
i5.
, précepteur de JulienV Apostat. I , 399. ARGUERITE (Sainte) , vierge chrétienne , qui fut, à ce qu'on croit , martyrisée à Antioche vers l'an 273. II, 36. ARGUERITE , fille aînée de RaimondBeranger , comte de Provence , et •femme île Saint-Louis, roi de Fiance. I , 428.
ARD0NIU3 ARGUERITE
Louis XI ,
D'ECOSSE -, femme de lorsqu'il n'étoit ei*core
Tome UL
que dauphin de France , morte en 1445 , à 26 ans. 1, 246. MARGUERITE DE VALOIS , sœur de Henri III , et femme de Henri IV, roi de France , qui la répudia quand il fut sur le trône. Elle mourut le 27 Mars 1615 à 63 ans. II , 217. } MARIE , sœur de Marthe et de Lazare , étoit de Béthanie, bourgade voisine de Jérusalem. Il ne faut pas la confondre avec Marie-Magdeleiue, ni avec la femme pécheresse. III f 293. MARIE STUART , née en 1541 , reine d'Ecosse 8 jours après sa naissance > fut mariée en 1558 à François , dauphin de France , et successeur de Henri II. Ce monarque étant mort en i56o , elle repassa en Ecosse , s'y remaria , fit tuer son époux, en prit un autre , obligea ses sujets de se révolter, fut vaincue , prit la fuite , chercha un asile en Angleterre auprès de la reine Elisabeth , sa cousine , qui la fit mettre en prison ; et après l'y avoir retenue pendant 18 ans , sous de faux prétextes , elle lui lit trancher la tète en 1587 1 comme si elle eût été sa sujette , et non point son égale. II , 12y. MARIE-THÉRÈSE , archiduchesse d'Autriche , reine de Hongrie et de Bohème, épouse de l'empereur François I, honora le trône par ses vertus , et son sexe par la magnanimité de son courage et la sagesse de son administration. Elle mourut en 1780 r regrettée de son peuple , et admirée de toute l'Europe. I , 71. MARIE-ANNE-"VICTOIRE , princesse de Bavière , fille de Ferdinand, électeur de Bavière, naquit à Munich en Ifi6o, fut mariée en 1680 à Louis , dauphin de France, fils àcLouis XIV, et mourut en 1690 , des suites des couches du duc de Rerry. Sur le point d'expirer , elle embrassa le prince nouveau-né , en lui disant ; » C'est de » bon cœur, quoique tu me coûtes » bien cher. >■ II , 170. MARILLAC ( Louis de ) , mérita par ses exploits le bâton de maréchal de France. Le cardinal de Richelieu , qui le haïssoit, lui trouva ou lui supposa des crimes : des juges vendus au toutpuissant ministre fuient chargés de travailler à l'instruction de son procès , et le condamnèrent à avoir la tète tranchée en place de Grève , à Paris \ en i632. Sa mémoire fut réhabilitée après la mort du cardinal. II , 206, MARIN , solitaire des environs de
Gg
�466
TABLE HIS TORIQUE le royaume d'Aragon ), vint à Rome à l'âge de 20 ans , et y vécut durant 35 ans sous Galba et les empereurs suivans , qui lui donnèrent quelques marques de leur estime, Domitien le créa tribun. Trajan , ennemi des satiriques , ne lui témoignant pas les mêmes bontés , il se retira dans son pays , où il mourut vers l'an 100 de l'ère chrétienne. Il s'est fait connoître à la postérité par ses épigrammes. L'auteur s'est jugé lui-même , en disant de son recueil : Sunt bona ; sunt quœdam niediocria j sunl mala plura. En effet, pour trouver une bonne pointe dans les quatorze livres de ses épigrammes , il en faut lire une multitude de médiocres , et un bien plus grand nombre encore de mauvaises. Il y en a plusieurs éditions estimées ; celle de Venise par Ven* belin de Spire , in-Jol. sans date, est la plus rare. I , 678. II, 447. MARTIN (Saint), né vers l'an 3i6, fut d'abord soldat , malgré son goût pour la solitude ; puis , a} ant reçu le baptême , U quitta la milice séculière , pour entrer dans celle de l'Eglise. Ses vertus l'appelèrent à l'épiseopat ; et, malgré lui, il fut placé sur Je siège de Tours en 374Il mourut après avoir édifié son troupeau durant près de 26 ans , vers l'an 400 de J. C. I , 273 , 4>5. II , 220 , 33i. MARTIN (frère) , vicaire-général Je l'inquisition en France , sous Charla VI, fut celui qui réclama la Pucellt d'Urléans , comme justiciable de son tribunal. III, 321. MASSILLON ( Jean-Baptiste ) , fils d'UD notaire d'Hières-en Provence, naquit en 1663 , entra dans la congrégation de l'Oratoire en 1681 , s'y distingua par son éloquence touchante et pathétique , fut nommé évêque de Clermont en 1717 , reçu de l'académie française en 1719 , et mourut en 1742 , à 79 ans. Le recueil de ses sermons et autres ouvrages , forme 14 vol. in-12. , et cette collection précieuse est un répertoire aussi édifiant pour le chrétien , que fécond pour l'orateur. III , 56 , 235. MATHATIAS , prêtre juif , chef de la famille des Machabees ou Asmonéens, se rendit célèbre pendant la persécution i'Antiachus-Epiphanes. Apres
Venise , et maître de saint Romuald , vers l'an 979, III , 25. MARIS , pieux solitaire dont parle Tlièodorel, II, 98. MARIUS-NEPOS (Caïu's), célèbre général romain , qui , d'une condition obscure, s'éleva 7 fois au consulat. II tut le rival de Sjlla , qu'il supplanta quelquefois. Il remporta d'éclatantes victoires , et fut tour-àtour le défenseur et le fléau de Rome sa patrie , dans laquelle il mourut , après l'avoir pillée , l'an 86 avant J.C. I , 24 , 282 , 299. II , 28 , 58 , i3g, 202 ,234, 418,448,459. III, 167, 33i. MARIUS , dit le Jeune , lils du précédent , soutint ie parti de son père , défendit Préneste contre Sjlla, fut vaincu , et se donna la mort. I , 24. MARIVAUX ( Pierre Cartel de ) , né en 1688 , s'illustra par ses pièces de théâtre et par ses romans , et il fut reçu de l'académie française : cette compagnie l'avoit recherché autant pour ses talens , que pour les qualités de son cœur. Il se proposoit presque toujours un but utile et moral dans tous ses écrits. Je vou» drois rendre mes semblables plus ■ justes et plus humains , disoit-il ; ■ je n'ai que cet objet en vue. " Plein de respect pour nos mystères , il ne concevoit pas comment de certains hommes se montraient si incrédules sur des choses essentielles , et si crédules pour des futilités. Il dit un jour au mi lord Bolinbrock , qui étoit de ce caractère : « Si vous ne croyez pas , » ce n'est pas du moins faute de foi. » Cet écrivain ingénieux et estimable mourut en 1763, à 75 ans. II, 344. MARIVAUX ( le comte de ), lieutenantgénéral des armées sous Louis XIV, roi de France. I , 91. MARQUIS ( Bernard ) , poète provençal, que Philippe-le-Long fit son chambellan. I , 434. MARSYAS, frère d'Anligonus, roi d'une partie de l'Asie , et l'un des successeurs d'' Alexandre-le-Grand. II , 383. MARSILLAC ( le prince de ) , grandmaître de la garde-robe sous Louis XIV, rai de France. III, 345. MARTHE (Sainte), sœur de Marie et de Lazare , avoit le principal soin de leur ménage. II, 260. III, 294. MARTIA , concubine de l'empereur Commode , délivra le monde de ce monstre qui déshonorait le trône et l'humanité. III , 177. MARTIAL ( Marais - Palérius ) , né à Biblis ( aujourd'hui Bubiéra , dans
�DES PERS ONNAGES. 467 ffvoir armé ses cinq fils pour la désoldat, et qu'il imita en abdiquant fense de la religion et de la patrie, la pourpre ; mais l'ayant reprise , et il mourut vers l'an 168 avant J. C. ayant voulu faire assassiner le grand II , 145 , 148. Constantin son gendre , ce prince MATHILDE , comtesse de Dammartiu , le défit, et l'obligea de s'étrangler sous le règne de S. Lpuis. I, 43o. en 310 , à l'âge de 60 ans. I t io3 , MAt7LEVfUF.il t M. de ) , seigneur de 398. la cour de Louis XIV, roi de France. MAXIMILIEN I , élu empereur d'AIle1, 93. II , i36. mague en i4g3 , régna d'une maMAURICE , tils adoptif de Tibère II, nière bizarre, eut le chimérique desqui te choisit poursonsucccsseur sur sein de se faire déclarer coadjuteur le trône de Constantinople. Il l'ocdu pape Jules II , et prenoit quelcupa ao ans , et ternit ses vertus par quefois le titre de Pontijex-Maximus. une avarice sordide. Phocas , qui de ISé avec une aversion invincible pour simple centurion étoit parvenu aux la France , il se ligua contre elle premières dignités de farinée , se avec Henri VIII, roi d'Angleterre ; révolta contre lui , le vainquit, le Ut et l'on vit le chef du corps Germaégorger , et s'empara du diadème en nique servir sous ce prince , en qua602. I , 406. lité de volontaire , aux appointeMAURICE DE NASSAU, prince d'Orange, mens de cent écus par jour pour sa l'un des plus grands généraux qui paie personnelle. Malgré toute son aient existé , et celui auquel l'art industrie , il fut toujours pauvre et militaire moderne doit, eu quelque malheureux, et il mourut pour avoir sorte , la naissance , fut fait gouvermangé trop de melon , en 1519 , à neur des Provinces-Unies, et rem60 ans. I , 341 , 372. porta un grand nombre de victoires MAXIMIN ( Caïus-Julius-Vems), né en sur les Espagnols. Il mourut en 183 , dans un village de Thrace , 1625 , de chagrin , dit-on , de n'avoir étoit fils d'un j^aysan goih : de berpu empêcher la prise de Breda , par ger il devint soldat , et s'éleva jusSpinola. III , 152. qu'aux premières dignités militaires. MAUSOLE , roi de Carie , époux de la Enfin, il se fit proclamer empereur lidelle Artémise, régna 24 ans, et des Romains en 235. IL déshonora la mourut l'an 353 avant J. C. I, i32. pourpre des Césars par des vices qui MAUVOISIN ( Gui de ) , seigneur franlui méritèrent les surnoms de Falaçais qui accompagna S. Louis dans ris , de liusiris , et celui de Cjclope ; sa première croisade. II, g. il en avoit dit-on , la taille prodiMAXENCE ( Marcus-Aurelius-f*' alerius ) , gieuse, et peut-être aussi l'appétit, lils de l'empereur Maxi mi en-Hercule, s'il est vrai qu'il mangeoit par jour et gendre de Galère-Maxiniien , irrite quarante livres de viande , etbuvoit de n'avoir aucune part au gouverhuit grandes mesures de vin. Il avoit nement , après l'abdication de son fait assassiner Alexandre-Sévère pour père, se fit déclarer Auguste en 3u6, usurper le trône ; il fit périr ses meils'empara de l'Afrique, s'y fit détesleurs amis quand il y fut monté. ter par ses cruautés , fut vaincu par Enfin , ses soldats le sacrifièrent à la le grand Constantin , près de Rome , tranquillité publique et à leur venet se noya dans le Tibre eu 3i2 , geance , en 288 , et son corps fut dans la sixième année de son règne. exposé aux bétes féroces , auxquelles 1, 469. il ressembloit. 1,67, 378 , 452. MAXIME ( Maghùs ) se fit proclamer MAYENNE ( Charles de Lorraine , duç empereur en Angleterre en 383 , de ) , dis de François de Lorraine, passa en Italie en 387 ; et vaincu par duc de Guise , après la mort de ses Théodose-le-Grand l'année suivante , frères , tués aux états de Blois en ses propres soldats lui coupèrent la 1588 , se déclara chef de la Ligue , tète qu'ils envoyèrent au prince vicet prit le titre de lieutenant-générai torieux. II , 144 , 2o3. III, 33a. de l'état et couronne de France : titre MAXIME , philosophe adulateur de Judevenu comme héréditaire dans sa, lien-l'Apostat. I , 3gg. famille. Henri IV le délit en plusieurs MAXIMIEN-HERCULE OU Valère-Maxicombats , et le reçut avec bonté lorsmien , naquit de parens très-pauvres, qu'il se soumit a lui en i5gg. Depuis, s'avança par sa valeur , fut associé ce moment, il se montra sujet tïdelle,. à l'empire en 286 , par Dioclétien et mourut-en 1611 , k S] ans. 1. 29^ son ami , avec lequel il avoit été 3II- II , 2M.
Gg
2
�468
TABLE HI 5TORIQUE
MATN ( M. ) , banquier de Cadix. pas longue. Masarin fut presse I , 164. . aussitôt rappelé que banni. Il fut né à Piscina dans JVJAZARIN ( Jules ) , étonné de rentrer dans Paris, toutl'Abruzze , en 1602 , mérita l'amitié puissant et tranquille. Louis XIV h du cardinal de Richelieu et de Louis reçut comme un père , le peuple comme un maître. Les princes, les XIII , par l'adresse avec laquelle il conclut la paix entre.la Savoie et ambassadeurs , le parlement, toute la nation s'empressa de lui faire la la France. Louis le fit nommer à la cour. On lui lit un festin à l'hôtelpourpre romaine , et après la mort de-ville, au milieu des acclamade son ministre , il le créa contions des citoyens , et il fut logé au seiller d'état , et l'un de ses exéLouvre. Son pouvoir fut dès-lors sans cuteurs testamentaires. La reine Anne d'Autriche , régeute absolue , bornes. La reine - mère resta sans le chargea du gouvernement , de ■ crédit, dès qu'il n'eut plus besoin d'elle. Il ne marcha plus qu'avec un l'état. Il affecta d'abord autant de faste royal, ayant, outre ses gardes, simplicité , que Richelieu avoit monune compagnie de mousquetaires. U tré de hauteur. Il mit de l'aft'abilité ' et même de la mollesse où son prélaissa languir la justice , le commerce , la marine , les finances , décesseur avoit fait paroître une qu'il gouvernoit comme l'intendant fierté inflexible. Malgré ces ménagemens , il se forma contre lui un d'un seigneur obéré. Il amassa plus de deux cents millions , par les parti redoutable. Le peuple , excité par plusieurs seigneurs , et plus moyens les plus bas et les plus iniencore par sa propre indigence, ne ques , partageant avec des armateurs voyant que la guerre pour- se déliles prolils de leurs courses , et imvrer des impôts, prit les armes, et posant arbitrairement par des lettres de cachet des sommes exorbitantes tendit les chaînes dans Paris comme du temps de la Ligue. La reinesur les généralités. Souverain despotique , sous le nom modeste de mère et son ministre furent forcés ministre , il ne laissa paroître Louis d'abandonner la capitale. La tranXIV ni comme prince , ni comme quillité parut renaître par l'accomguerrier. Il étoit charmé qu'on lui modement de Ruel en 1649. ^e I*ar" lement conservoit la liberté de s'asdonnât peu de lumières , quoiqu'il fût surintendant de son éducation. sembler , et Mazarin restoit en Non-seulement il l'éleva très-mal, place. Ce calme ne dura pas ; la mais il le laissa souvent manquer guerre se ralluma en 1651 , à l'ocdu nécessaire. Ce joug pesoit au casion de l'emprisonnement des monarque , et il en fut délivré par princes de Condè, de Conti , et du duc de Longueville. Le Parlement la mort du cardinal , arrivée en donna un arrêt qui bannissoit le 1661 , à 59 ans. On doit à sa politique souple et insinuante , l'acquicardinal, et demanda la liberté des illustres prisonniers avec tant de sition de l'Alsace , qu'il négocia dans le temps même où la nation force , que la cour fut contrainte l'avoit obligé de prendre la fuite. Le de rompre leurs fers. Tandis qu'ils rentroient dans Paris comme en mariage de Louis XIV avec l'infante triomphe , Mazarin prenoit la fuite , d'Espagne , est aussi son ouvrage; et il avoit bien prévu que cette et cédoit à l'orage ; mais il rentra alliance mettroit la maison de Bourl'année suivante dans le royaume, bon sur le trône de Chavles-Quïnt. à la tète d'une petite armée de Son ministère ne fut marqué par 7000 hommes levés à ses dépens , aucun établissement glorieux oit moins en ministre qui vient reprenutile ; car Je collège des Quatredre son poste , qu'eu souverain qui se remet en possession de ses états. IVafions ne fut que l'eii'et de son testament. I , 5i , 55 , 58 , 312, II v eut de petites batailles , qui ne furent point décisives. Le cardinal 345. II , 461 , 5*8. III, 117, 334fut contraint de nouveau à quitter MŒSA , aïeule de l'empereur Hélir la cour ; et il fallut que le roi , qui gabale , à qui le sénat donna le le sacrifioit à la haine publique , titre d'Auguste. I , 395. donnât une déclaration par laquelle MŒVIUS , centurion de l'armée à'Âuil reiivoyoit son ministre- en vantant guste. II, 285. ses services , et en se plaignant de MEAD ( Richard ) , célèbre médecin son exil. Cette proscription ne fut anglais , né en 1673 > fut uoinrw
�DES PERS ON NAGES. 4 >9 médecin du roi d'Angleterre en 1727» duc de Toscane par le pape Pie P , et mourut en 1754- H a laissé de en 1.I70 , se déclara contre les Fiantrès-savans ouvrages sur plusieurs çais , régna avec gloire , et mourut parties de son art, et un traité trèsen 1574 , à 55 ans. III , 3o8. curieux des maladies dont il est MEDLEY , amiral anglais , qui separlé dans la Bible. Il étoit lié de conda , avec une escadre , les opél'amitié la plus étroite avec le docrations des troupes autrichiennes teur Freind , un de ses confrères , sur Gènes , en 1747- I, 221. et non moins illustre que lui. I, 98. MÉGABISE , seigneur persan , sous M1: AN DUE , tyran de Samos , vers les règnes de Darius et de Xei'xès. l'an 23o avant J. C. II, 45o. II , 160. MECCANIUS , Romain , contemporain MÉGACLÈS , capitaine syracusain et de Calon d'Utique. II , 191. frère de Dion. I , 171. MÉCÈNE t Caïus-Cilnius ) , descendoit MÉGALÉAS , officier de Philippe , père des anciens rois d'Etrurie. Auguste , de Persce , roi de Macédoine, il, 20S. dont il fut comme le ministre , MEILLEHAIE ( Charles de la Porte , n'eut point d'ami plus zélé ni plus duc de la ) , dut à son courage , fidclle. Il eut pu profiter de la faveur autant qu'à la faveur du cardinal de ce prince pour s'élever aux plus de Richelieu son parent , les titres hautes dignités de l'empire ; mais de maréchal de France , et de il se contenta du simple titre de grand-maître de l'artillerie. Il paschevalier romain , et n'usa de son soit pour le général le plus habile pouvoir que pour mettre les sciences dans l'art de défendre et d'attaquer en honneur. Virgile , Horace , et les les places de guerre. Il mourut en autres écrivains .illustres de son 1664 , .à 62 ans. Louis XIII érigea siècle 9 furent ses protégés et ses son marquisat de la Mcilleraie eji amis. Lui-même eût pu les égaler duché-pairie. II, 481. dans l'éloquence ou dans la poésie , MEINIER. , secrétaire de Charles-Ems'il n'eût préféré les plaisirs à la manuel /, duc de Savoie. II, 3go. gloire. Il mourut l'an 8 avant l'ère MÉLANCHTON (Philippe) , étoit déjà chrétienne. II, 405. savant dans un âge où les autres ÉDICIS ( Conte I de ) , né en i3p9 , commencent à peine à s'instruire. fut pendant 34 ans l'unique arbitre Il s'attacha à Luther , et fut , en de la république de Florence , proquelque manière , le coadjuteur de tégea les sciences , mérita le titre la prétendue réformation que cet de Père du peuple , et mourut en hérésiarque vint à bout d'introduire. 1464 , regretté de ses compatriotes , Il eut part à toutes les disputes de et respecté de toute l'Europe. II, 8. religion , quoiqu'il délestât la conMÈDICIS ( Pierre de ) , fils du prétroverse. Plus paisible, plus traicédent , succéda au rang et au crédit table que son maître , il eut sacride son père , et montra le même fié beaucoup de choses pour la zèle pour sa patrie , et pour l'avanréunion des catholiques et des procement des arts. III, 33. testa us ; mais le fougueux Luther , MÉDicis ( Laurent de ) , fils du prépar son orgueilleuse opiniâtreté 3 cédent, mérita le surnom de Grand , renversoît tous les moyens d'accompar l'éclat et la sagesse de son admimodement que présentoit le monistration , et celui de Père des deste et conciliant Mèlanchlon. Quoilettres , par les. bienfaits dont il qu'il eût embrassé d'abord toutes combla les savans. Sa cour devint les erreurs de Luther , il ne laissa l'asile des Grecs exilés , et c'est lui pas d'être ensuite Zuinglien sur quelqui a mis en quelque sorte la preques points , Calviniste sur d'autres mière main au renouvellement des incrédule sur plusieurs , et fort sciences parmi nous. Il mourut en irrésolu sur tous. On prétend qu'il 1492 ,à 44 ans. 1, 102. III, 33, i44changea quatorze fois de sentiment MÉDICÏS ( Julien de ) , frère du présur la justification* Lorsqu'il se rencédent , en partagea l'autorité , et dôit a Spire , en rifcjg , pour assister comme lui se Ut aimer de ses comaux célèbres conférences qui se tinpatriotes. Il fut assassiné par les rent eu cette ville , il voulut proPuzzi , ennemis de sa famille , en fiter de ce voyage pour rendre mie entendant la messe, en 1478. II s visite à sa mère, alors extrêmement âgée. Cette bonne femme , qui étoit MÉDICIS ( Corne JJ de ), fut fait grand catholique , après avoir récité ses
Gg 3
�TABLE H I STORIQUE un nom parmi les gens de lettres. prières , lui demanda ce qu'il falloit Il a composé des vers grecs assez qu'elle crût au milieu de tant de bons , des vers italiens que l'on disputes. » Continuez , lui réponestime , et des vers français qui » dit-il, de croire et de prier comme sont piuryables. Il a fait quelques » vous avez fait jusqu'à présent, et critiques assez heureuses , donné >■ ne vous laissez point troubler par quelques éditions assez bonnes ; et » le conflit des disputes de religion.» on lui doit deux dictionnaires étyCette modération brille dans tous mologiques : l'un de la Langue ses ouvrages , où l'on remarque française , l'autre de la Langue encore une vaste lecture et beauitalienne. Ces deux ouvrages , utiles coup d'esprit , joint à une surpreà bien des égards, sont souvent nante crédulité pour l'astrologie et ridicules par les origines bizarres pour les songes. L'édition la plus qu'ils présentent de quelques mots. complète que l'on en ait donnée , est Tout ce qui est sorti de la plume de celle de Gaspard Peuver , in - fol. , cet écrivain laborieux décèle b*:î!u4 vol. 1G01 , Wirtemberg. Mélanchton coup de savoir: son stylé, ou plutôt mourut en i56o , à 64 ans. II, 180. l'elfet que co style produit sur les MÊLANEZ ( Pierre ) , gouverneur de lecteurs , est assez heureusement la Floride pour les Espagnols , en indiqué par cette épigramme du i56a. I , 225. célèbre La Monnaye : MÉLANIE ( Sainte ) , dame romaine , illustre par sa naissance et par sa Laissons en paix monsieur Ménage : piété , se sanctifia sur-tout par une C'ctoit un Hop bon personnage. charité sans bornes. Elle mourut Pour n'être pas de ses amis. vers l'an 410 , âgée d'environ 68 Souffrez qu'a son tour il repose , ans. I , 271. ^ Lui, dont les vers et dont fa prose MÉLECHE , vicaire du patriarche d'AnNous ont si souvent endormis. tioehe , du temps de saint SiméonS/ylite. I ,277. Ménage mourut en 1692 , à 79 ans. ME LIT US , orateur et poète athéI , 122. nien , moins connu par ses écrits , que par l'impudence avec laquelle MENANDRE , capitaine macédonien au service d'Antigonus , roi d'Asie. il osa se mettre à la tète des accusateurs de Socrate , et se rendre l'organe de leurs calomnies contre MÉNANDRE , célèbre poète comique, né à Athènes l'an 342 avant J.C., ce grand homme , vers l'an 400 fut disciple de Thèophraste , et comavant J. C. Les Athéniens ne tarposa 108 comédies, dans lesquelles dèrent pas à reconnoitre l'iniquité Tèrence a beaucoup puisé, et dont il de leur jugement , et pour punir ne nous reste que des frngmens , que L'infâme orateur qui les avoit tromAI. le Clerc a recueillis en 17091 pés , ils le condamnèrent a la mort. £>i-8. Ces pièces furent si applaudies, II , 299. qu'on décerna à leur auteur le titre MELIUS ( Spurius) , sénateur romain , de Prince de la nouvelle comédie, Vlar voulut gagner le peuple par ses turque les préféroit à celles à'Arislv libéralités; mais sa munificence dephone , et tous les anciens auteurs vint suspecte ; on vit qu'il vouloit grecs et latins les citent souvent avec se rendre souverain , et il fut puni éloge. Mémindre se noya près du port de mort. Il , 400. de Pyrée , l'an 293 avant J. C. 1, MELUS , évèque de Senlis , sous le 3o6. . règne de Clu'lpêricl , roi de France. MÉNÉCRATE , médecin de Syracuse , I , 4l5. habile dans son art, mais moins céMEMNON , le plus habile des généraux lèbre encore par ses talens que par de D<irius, dernier roi de Perse, défensa ridicule vanité. Il vivoit vers dit courageusement ce prince contre l'an 36o avant J. CI, 543. II, 4J8Ahxandre-le-Grand , dont il auroit MENEDÈME , philosophe grec , de la peut-être arrête les conquêtes , si la ville d'Erythrée , llorissoit vers l'an mort ne l'eût enlevé au milieu de 294 avant J. C. , du temps de Bénir ses expéditions contre la Grèce , Iritis et à'Anligone , rois de Macédans laquelle il étoit entré pour doine. Il défendit vaillamment sa pafaire diversion. III, 155. trie , contre le dernir de ces deux MÉNAGE (Gilles) né en 1613 , se livra princes ; et il prouva plus d'une fois de bonne heure à l'étude 3 et se fît
47°
�DES
P E R S O N NAGES.
47*
que l'étude de la sagesse n'a voit point amolli son courage. Quelqu'un lui dit un jour : <« C'est un grand » bonheur d'avoir ce que l'on dét » sire ! - C'en est un plus grand , ré" pondit-il, de ne point porter ses « désirs au delà de ce qu'on pos» sede. » II , 22. MENEDÈHE , philosophe de l'île de Rhodes , disciple d'Aristote , auquel il se crut digne de succéder. III, 86. MÉNÉNIUS - AGRIPPA , consul romain vers l'an 5oa avant J. CI, 147. III , 3o. MENESTRIER ( Claude-François) , jésuite célèbre par son érudition dans les belles-lettres , l'histoire , le blason , les médailles et les inscriptions, avoit une mémoire prodigieuse , qu'il a prouvée dans les divers écrits sortis de sa plume. II mourut en 1705 , à 74 ans. II , 438. MENILUS , officier d'Antipater , gouverneur de Macédoine pour Alexandrede-Grand. II, go. MENZIKOFF ( Alexandre ) , garçon pâtissier sur la place du palais de Moscou , parvint à plaire au czar Pierrele-Grand, qui l'éleva aux plus éminentes dignités de son empire. Sous le successeur de ce prince , il fut exilé en Sibérie, et y mourut en 1729. II, 33. MER Y ( Jean ) , fameux anatomiste, de l'académie des sciences de Paris , mort en 1722 à 77 ans. II , 442. MESMES (Henri de ) , fut uu des plus célèbres magistrats de son siècle. U mourut en 15g6. II, 122 , 237. MESMES ( Jean-Jacques de), frère puîné du précédent, s'adonna comme lui à la jurisprudence. II , 122. MESSALA (Valerius), sénateur romain , contemporain d'Auguste. I , 356. MESSALINE ( Valeria ) , la plus impudente , la plus dissolue de toutes les prostituées , fut l'épouse de l'empereur Claude , qu'elle gouverna, et dont elle abusa long - temps. Ce prince lui fit donner la mort l'an 48 de J. C. 1, 128 , 370. METELLUS t Quinfus - Cecilius ) , surnommé le Numidique , parce qu'il triompha de Jugurtlta , roi de Numidie, fut consul romain , l'an 109 avant J. C. I , 216. II , 2o3. III , 132 , 33i. METELLUS ( Quinfus - Cecilius ) , surnommé le Macèdonique , parce qu'il fit des conquêtes en Macédoine , et ie Baléarique , parce qu'il soumit les
habitans des îles Baléares , commanda de bonne heure les armées romaines , et fut consul l'an 223 avant J. C. II , 101. METELLUS ( Cecilius) , noble romain , contemporain de Cêsur. 1, 307. METELLUS , romain de l'ordre des patriciens, sectateur de Marc-Antoine , et prisonnier d'Auguste après la bataille d'Aclium , obtint son pardon à la prière du jeune Metetlus son fils , qui avoit suivi les drapeaux du vainqueur. I , i5r. METILIUS, tribun du peuple romain , parent de Mînucius , général de la cavalerie du dictateur Fabius-Maximus. II , 420. METIUS-SUFFETIUS, dictateur d'Albe, sous le règne de rPullus-Hoslilius, roi de Rome. I , 2o5. METIUS-POMPOSIANUS , noble romain , sous le règne de l'empereur Vespasien. On dit que ce prince l'éleva au consulat ; mais son nom ne se trouve point dans les fastes consulaires. I, 319 , 38o. MÉTRONACTE , philosophe , contemporain de Sénèque. III, 57. METZ (Claude-Barbier du) , lieutenantgénéral de l'artillerie , sous Louis XIV, en perfectionna le service , et fut regardé comme un des meilleurs officiers du royaume. Il fut tué à la bataille de Flcurus , en 1690; et sa mort excita les regrets de toute l'armée et du roi même , qui dit au frère de ce capitaine : » Vous ■* perdez beaucoup , mais je perds » davantage par la difficulté que » j'aurai à remplir sa place. » Du Metz n'avoit pas reçu les grâces de la ligure. Se trouvant un jour au dîner de Louis XIV, madamcf la dauphine l'aperçut , et ne put s'pmpècher de dire tout bas au roi : « Voilà un » homme bien laid. — Madame , lui » répondit le monarque , je le trouve " uu des plus beaux hommes de mon >■ r03raume , parce que c'est un des plus braves. » II, 197. SïEULAN ( Raoul de ) , chevalier français , sous le règne de saint Louis, l 1 429r.lFZERAI ( François-Eudes de ) , né à Ry en Basse-Normandie , en 1610 , se fit un nom immortel par son Histoire de France , en 3 vol. in-jol. , et par l'abrégé qu'il en donna luinièuu;, en 3 vol. 1*2-4, » dont la dernière édition est de 1755 , en 14 vol. ï'n-12. Cette Histoire est écrite d'une manière dure, iucorrecte,quelcruefois
Gg 4
�472
TABLE
HI
STORIQUE
triviale ; niais il y règne beaucoup de précision et de netteté , et l'on voit que l'auteur eût été mieux placé dans une république que dans une monarchie. L'enthousiasme de la liberté l'élève souvent au-dessus de lui-même : il se met alors à côté de Tacite , et quoique ses expressions ne soient pas aussi heureuses que celles de l'historien latin ; comme lui il peint d'un seul trait, et fait penser en racontant. Aussi vrai , aussi hardi que Tacite, il dit également le bien et le mal ; mais il croit trop facilement les grands crimes. Il a presque toujours l'air chagrin , et n'a pas assez bonne opinion des hommes. Cet écrivain , de temps en temps original dans ses productions , ï'étoit toujours dans sa conduite. I! négligeoit tellement sa parure , que souvent il fut pris pour un mendiant, et qu'un jour il fut arrêté comme tel par les archers des pauvres. Au lieu de l'irriter , cette bévue lui fit plaisir. Il ne travailloit qu'à la chandelle , même en plein jour ; et quand on venoit le visiter, oubliant que le soleir étoit au milieu de sa course , il ne manquoit pas de reconduire , le ilambeau à la main. Il fut secrétaire de l'académie française , et en cette qualité travailla au Dictionnaire de cette compagnie. Au mot Comp'able il mit cette phrase qui déceloit sa haine invincible pour les financiers : Tout Comptable est pendable. Bien que la chose soit vraie quelquefois , ses confrères ne voulurent pas l'admettre , parce que toute vérité n'est pas bonne à dire. En mourant , Mézeirai rétracta le pyrrhonisme qu'il avoit aifecté pendant sa vie: ■< Souvenez - vous dit-il alors à ses amis , que Mé<• zevai mourant est plus croyable » que Mézerai en santé. » Il cessa de vivre en i683 , à 73 ans. I, 46, II, 69. MlCHA , paysan piémontais 3 qui se sacrifia pour sauver ses camarades au siège de Turin, en 1706. I , 229. MlCHAU ( le capitaine ) , officier espagnol , du temps de Henri IF toi de France. III , i5g. MICHEL ( St. ) , archange , dont il est fait mention dans l'épitre de S. Jude, ir. 9 , étoit le protecteur du peuple juif, comme on le lit au chap. 12 du prophète Daniel. L'Eglise en célèbre la fête le 29 de Septembre. III,
119.
MICHEL , fils ainé de ROMAIN - BioGÈNE, empereur de Constantinople, détrôné en ru71 f maltraita ses frères, et les lit enfermer dans un monastère , pour n'avoir pas de concurrent à l'empire. I , 484. MlCHEL-ANGE (Bonarota ou Buanaroti, dit) , peintre , sculpteur et architecte , excella dans ces trois aits. Son pinceau a négligé les grâces; mais il est fier, terrible , et presque toujours sublime. C'est lui qui traça le dessin de la fameuse basilique de St. Pierre à Rome , et qui l'exécuta , excepté le frontispice , bien inférieur au reste. Ses statues tiennent le premier rang parmi celles qui enrichissent Rome et Florence. Les papes, les rois , les grands , Soliman même, empereur des Turcs, donnèrent u cet il lus t i-e artiste des marques publiques de leur estime. Il mourut a Rome eu J564 j à 89 ans. Le grand-duc, Côme de Médicis , le fit déterrer la nuit pour l'inhumer à Florence, où il lui lit de magnifiques obsèques dans l'église de Sainte-Croix. I , 19. MlsYTHE , oncle et tuteur des enfans d'yJnaarilaus , tyran de Zanèlc ou Zancle , et de Rhegiu en Sicile , vers l'an 475 avant J. C. I , 3oo. MIDI ( Nicolas ), docteur en théologie, un des juges de la Pucelle d'Orléans. III , 226. MlGNARD ( Pierre ) , surnommé le Romain à cause du long séjour qu'il lit à Rome , naquit à Troyes en 1610 , et mourut a Paris en i6g5. On le destiuoit à la médecine , mais il étoit né peintre , et il ne fut point médecin. A l'âge de douze ans il dessinoit des portraits fort ressemblais. Dans le cours des visites qu'jl faisoit avec le médecin qu'on avoit choisi pour l'instruire , au lieu d'écouler les doctes raisonnemens de l'Escuiape , il remarquoil l'attitude du malade cL des personnes qui l'appiochoient , poulies dessiner ensuite.Il peignit adoube ans la famille du médecin ; et ce tableau frappa les connoisscurs : on l'attribuoit à un artiste consommé. Enfin sa vocation étant manifeste , il fallut le mettre chez un peintre ; et alors il ne marcha point, il courut dans cette carrière. Il n'enfanta plus que de chefs-d'œuvre , se lit une réputation universelle, peignit dix fois Louis XIV, qui l'anoblit, et plusieurs fois la famille royale ; honneur que n'avoit pas eu si souvent le Brun son rival, auquel il suc-
�DES
FERS ON NAGE S.
47^
céda en 1690 , dans la charge de premier peintre du roi. II, 5o3. MILION , gentilhomme poitevin , que Phiîippe-le-Long, roi de France , fit son maître-d'hôtel , pour récompenser son talent poétique. 1, 434. MILLET (Jean ), laboureur du village de Bécourt en Picardie , sous le règne de Henri III, roi de France. I, 478. MILLET (Marie), fille du précédent. I, 478. MlLON , fameux athlète de Crotone, qui vivoit vers l'an 512 avant J. C. I , 64. MILTIADE , général athénien , illustra sa patrie par une foule de triomphes, puis devint l'objet de sa haine et de sa jalousie, fut enfermé dans un cachot , et y mourut des blessures qu'il avoit reçues en combattant pour ses ingrats concitoyens , l'an 490 avant J. C. I , i5o , 25o. II, 397. III, 102. MINOS I , roi de Crète , étoit fils de Jupiter et d'Europe, selon la fable. II régnoit l'an 1432 avant J. C. II, 465. MINUCIUS-RUFUS ( Mardis ) , général de la cavalerie du dictateur t'abiusle-Temporiseur , l'an 217 avant J. C. II, 43o. MÎTHRIDATE I, fondateur du royaume de Pont, environ trois siècles avant J. C. I , 109. MITHRIDATE III, roi de Pont, que ses victoires , son courage héroïque , et peut-être aussi ses vices , ont fait surnommer le Grand , n'avoit que 12 à i3 ans lorsqu'il succéda à son père , l'an 123 avant J. C. Dès ce moment, il lit usage du poison, et en contracta peuà peu l'habitude , pour se mettre à l'abri des mauvais desseins de ses tuteurs. Il s'illustra par sa haine implacable contre les Romains , auxquels il fit perpétuellement la guerre. Son fils se révolta contre lui , et lui refusa la permission de sortir des états qu'il venoit de lui ravir : alors l'infortuné monarque , n'écoutant plus que son désespoir , se donna la mort, 64 ans avant J. C. I, 109, 2i5. II , 33 , 284 , 359 , 437. MlTKANE , ministre de Chosraès I, roi de Perse/ II, 112. MIÏAEL , l'un des trois jeunes Hébreux que Nabuclwdonosor fit jeter dans une fournaise ardente vers l'an 538 avant J. c. 11, iip. MNASITHÉE , citoyen de Sicionc , compagnon A'Jratus , dans son expédition contre Nicoclès , tyran de cette ville. I , 183. MODESTE , préfet de la Cappadoce ,
Valens. II , 22. MOHAMMED-DEMESCHKI , poète musulman , en 790. I , 2gi.
MOHAMMED - KHALAGE - BAKTHIAR ,
pour l'empereur
officier et favori de Cothbeddin-lbek , roi de Delhi aux Indes. I , 342. MOÏSE ou Moyse , le plus grand des législateurs , et l'interprète du TrèsHaut auprès du peuple choisi , mourut âgé de 120 ans , l'an 1452 , suivant le texte hébreu , ou, suivant le texte samaritain, i555 avant J. C. I , 233. II , i5o , 493. MoïSE ou Moyse ( Saint ), après avoir été capitaine de voleurs , se fit solitaire, devint supérieur d'un des monastères de Scété , et mourut à 75 ans , au quatrième siècle. III, 274. MOLÉ ( Matthieu ) , premier président au parlement de Paris , fut un des magistrats les plus éclairés elles plus intègres que la France ait produits-. II mourut garde-des-sceaux eu 1656 , à 72 ans. II , 236 , 349. III ,. n5. J MOLIÈRE ( Jean-Baptiste I ocquelin de ) né à Paris en 1620 , fut destiné à faire des meubles et a vendre des habits comme son père ; mais son génie l'appeloit à un autre état, et il quitta celui de fripier pour se livrer aux études. En fréquentant le théâtre., il prit du gout pour la comédie, et bientôt il en devint le restaurateur parmi nous. H forma une troupe , et fit lui-même les pièces qu'elle devoit représenter, hïoHère , à la fois auteur et acteur , enleva tous les suffrages; et Louis XIV fut si satisfait de ses talens et de ceux de ses confrères , qu'il eu lit ses comédiens ordinaires. On peut regarder les ouvrages de ce comique célèbre comme l'histoire des mœurs, des modes et du goût de son siècle. Prompt à remarquer les expressions extérieures des passions, et leurs mouvemens dans les diiférens états , il saisit les hommes tels qu'ils sont ? et expose en habile peintre , les plus secrets replis de leur cœur , le ton , le geste , le langage de leurs senti" mens divers. Louis XIV demandant à Boileau quel étoit le plus grand écrivain de son siècle. « C'est Mo" Hère , sire , répondit-il. » On lui reproche beaucoup de négligence dans le style, une multitude d'expressions forcées et impropres, quelques licences qui n'étoient jetées que pour la populace ; mais , à ces défauts rès , ses pièces respirent par-tout la onue morale et la vertu. Ce poète
�474
TABLE
HI! .TORIQUE
illustre fut suffoque d'un coup de sang en jouant le Malade imaginaire', et mourut quelques heures après, le i 7 Février 1673, à 53 ans. Entre les comédies de Molière, le Misanthrope , le Tartuffe, les Femmes savantes , l'Avare , les Précieuses ridicules sont des chefs-d'œuvre qui ont immortalisé l'auteur. On a fait plusieurs éditions des œuvres de ce poète , parmi lesquelles on distingue celle qu'a donnée M. BHET en 1773 , en 6 vol. i'n-80. , ou 8 vol. i'n-12.1, 60 , 375. II , 79 , 488. III , 207. MONDER. Voyez ALAMONDARE. MONDIR - BEN - MOGHElRAH , auteur persan. II, 397. MONTADE, gentilhomme normand. II, 236. MONTAIGNE ( Michel de ), né en 1533 , fut un des plus célèbres écrivains du seizième siècle. II voulut étudier le cœur de l'homme, et pour le connoitre plus complètement, il alla l'observer dans différentes contrées de l'Europe. Sou mérite reçut partout des distinctions honorables. Le roi Charles IX le décora du collier de l'ordre de St. Michel , alors le plus illustre du roj'aume. Le résultat de ses observations philosophiques , fut l'ouvrage célèbre auquel il donna le titre modeste d'Essais , et que le cardinal du Perron appeloit îe Bréviaire des honnêtes gens. On le lit encore aujourd'hui avec délices. Le style n'en est ni pur, ni correct, ni précis , ni noble ; mais il est naturel , vif, hardi, souvent énergique, et exprime naïvement de grandes choses. Jamais auteur ne s'est moins gêné en écrivant que Montaigne. Sa plume coule quelquefois avec une liberté cynique. Il dit tout ce qui lui vient à l'esprit ; il se permet des écarts continuels ; niais on aime à errer avec lui dans le vaste champ de l'histoire , qu'il expose et interprète a son gré , toujours d'une manière originale et agréable , pensant beaucoup , et donnant plus encore à penser. Les meilleures éditions des Essais sont celles deBruxelles, 1659. 3 vol. I'M-12 ; de Londres ,1724, 3 vol. 1/1-40. ; et de Trévoux , sous le titre de Londres, 1739, 6 vol. in-12. Montaigne mourut en i5g2 , âgé de près de 60 ans. I, 3i7.II, 153 , 328 , 332. MONTANUS, sénateur romain, sous le règne de l'empereur Néron. I, 372. MOU f ÀUSIER ( Charles de Saint Maur , duc de ), pair de France , gouver-
neur du dauphin fils de Louis XIV, s'est rendu cher à la France par sa probité et par son rare mérite ; il mourut en 1690 , à 80 ans. 1, 496. MONTCALM ( Louis-Joseph Gazon de Saint-Veran , marquis de) , lieutenant-général des ai mées du roi, naquit en 1712 , et se distinguâmes ses plus tendres années , par les talens de son esprit, et par ses vertus guerrières. Après avoirpassé par tous les grades militaires, il fut fait en 1756 maréchal-de-camp , et commandant en chef des troupes françaises en Amérique. Il défendit les colonies en héros , et les gouverna en citoyen ; mais surmonté par la fortune des Anglais , il ne put qu'airèter leurs progrès, qui ne trouvèrent plus de barrières après qu'il eut élé tué dans une bataille , le 14 Septembre 1759 , à 48 ans. Il avoit été créé lieutenant - général l'année précédente. I, 228. MONTCHALM DE CANDIAC ( lean-LoukElisabeth de), né à Candiac , au diocèse de Nîmes, en 1719, mort à Paris le 2 Octobre 1726 , à l'âge de sept ans. III, 243. MoNTESPAN ( Françoise jilhénais il Rochechouart, marquise de ), succéda à la duchesse de la Valière dans la faveur de Louis XIV ; mais son humeur impérieuse et bizarre la chassa peu à peu du cœur de ce prince. Il y avoit déjà bien des années qu'elle n'étoit plus favorite, lorsqu'elle mourut en 1707 , à 66 ans. I , 479. II, 2o5, 23g , 491. MONTESQUIEU ( Charles Secondât, baron delà Brède et de), né en 1689, se livra de bonne heure à l'étude des belles-lettres et de la jurisprudence, et devint président à mortier au parlement de Bordeaux , en 1716. Ses Lettres Persanes, qui parurent en 1721 , commencèrent sa réputation; c'est une satire ingénieuse et énergique de nos travers et de nos mœurs; mais son pinceau léger , hardi , rapide , n'est pas toujours assez circonspect. Son ouvrage sur la Came de la grandeur et de la décadence itts Romains , vit le jour en 1 ?34 , ET AÇ" crut sa gloire littéraire. Des réflexions pleines de finesse , et des peintures très-fortes , donnèrent le mérite de la nouveauté à cette matière traitée tant de fois , et par faIlt d'écrivains supérieurs.Enfinson 1 ivre de PEsprit des Lois, imprimé en 17SO» en 2 vol. in-40, porta son nom dans
�DES
PERSONNAGES.
toutes les contrées de l'Europe savante. Cet écrit , plein de philosophie, de profondeur et de hardiesse, étoit le fruit de vingt années d'étude , de reflexions et d'observations. C'est le chef-d'œuvre d'un citoyen éclairé, d'un véritable ami des hommes, qui voudrait voir ses semblables heureux, et qui s'efforce de contribuer à leur bonheur : il est triste d'y trouver quelquefois des principes d'irréligion, des faits inexacts , des paradoxes présentés pour des vérités , un style inégal , de temps en temps bizarre , souvent trop maniéré. On est dédommagé de ces défauts par les maximes lumineuses , les idées neuves et frappantes , les observations ingénieuses, qui feront toujours admirer cette production immortelle. M. de Montesquieu mourut en 1755 , à 66 ans. On a donné une édition complète de ses œuvres à Paris , en 1767 , en 3 vol. m-40. I , 164. MûNTFORT ( Philippe de) , seigneur français , accompagna Saint-Louis dans sa première croisade. I , 3oi. MONT-FORT , gentilhomme savoyard , gouverneur de Nice. III, 15a. JlONTGOMMEHI ( le capitaine* Lorges, sieur de ), officier de la cour de François 1 f père de Gabriel de Lorges , comte de Montgommeri , qui , sans le vouloir, blessa mortellement Henri II, en joutant contre lui, le 3o Juin 1559 , et fut condamné à avoir la tète tranchée en place de Grève , le 26 Juin 1574. I , 480. MoNTLUC ( Biaise de ) , servit dès l'âge de 17 ans, d'abord en qualité de simple soldat , et signala sa bravoure héroïque sous les règnes de François 1, de Henri II et de Henri III, qui le fit maréchal de France en 1574. Il mourut 3 ans après , âgé de 77 ans , il en avoit servi 52. Il a laissé des Mémoires ou Commentaires de sa vie, très-curieux et très-intéressans , et que Henri IF appeloit Mb'iUc Un soldai. I, 260. III, 3o8." MONTMORENCY ( Anne de ) , premier baron , maréchal et connétable de France , sous les rois François I, Henri II, François II et Charles IX. Il fut blessé à'la bataille de SaintDenis , qu'il gagna en 1567 , et mourut deux jours après de sa blessure , à 74 ans. I , 444. II, 60 , 143. MONTMORENCY ( Henri I de ), duc , pair , maréchal et connétable de France, second fils du précédent, fut élevé à ces glorieuses dignités, moins
475
à cause de son nom , que pour son mérite personnel, sous les règnes de Chartes IX, de Henri III et de Henri IF, et mourut en 1614, dans un âge très-avancé. I , 234 , 237 , 298 , 3n. II, 218. MONTMORENCY ( Henri II de), duc , pair et maréchal de France , dis du précédent , fut nommé amiral de France dès l'âge de 18 ans, et se montra capable de remplir, malgré sa jeunesse , cette importante dignité. Mécontent du cardinal de Riche* lieu , il fit soulever une partie du Languedoc , dont il étoit gouverneur, en faveur du duc d'Orléans , frère de Louis XIII ; mais vaincu et blessé dans une rencontre, il fut fait prisonnier ; puis , abandonné du prince qu'il vculoit soutenir , il devint la victime de la haine du toutpuissant ministre , qui, sous le nom du roi , lui lit trancher la tète le 3o Octobre 1632 , à l'âge de 37 ans. I, 101 , 481. II, 85 , 390 , 391. MONTMORT ( Pierre-Rèmond de ), né à Paris en 1678 , se livra à l'étude de la philosophie et des mathématiques, fut reçu de l'Académie des Sciences en 1716 , et avoit prouvé qu'il étoit digne de cette illustre compagnie, par son savant Essai d'analyse sur les jeux de hasard , dont la meilleure édition est de 1713 , m-40. 11 mourut de la petite-vérole en 1719,341 ans. II, 41. III, 223. MONTI'EZAT , lieutenant des gardes de François de Lorraine , duc de Guise , III , 288. MONTROSE ( duc de ) , pair d'Angleterre , un des seigueui-s qui accompagnèrent le cez'cueil de Newton. II, 176. MORIN (. Louis ), né au Mans , en i635, se livra à l'étude de la botanique, y lit de vastes découvertes, qui lui ouvrirent les portes de l'Académie des Sciences , et mourut en I7i5. III , 262. MORIOT ( M. ) , chanoine régulier de Sainte-Geneviève, prieur-recteur de la paroisse de Mohon, diocèse de Saint-Malo , curé que sa bienfaisance rendit cher à son troupeau. 1,83. MORUS ( Thomas ) , ué à Londres en 1480 , se distingua dès sa première jeunesse par ses talens politiques et ses counoissanees littéraires. Il étoit déjà un grand homme , lorsque Henri VIII, roi d'Angleterre , le nomma grand-chancelier de son royaume ; mais sa faveur ne dura pas long-
�47$
TABLE
HI STOHIQUE
temps. N'ayant pas voulu souscrire aux innovations du monarque, il fut condamné à perdre la tète sur un échafaud , en i535. Sa mort fut celle d'uu martyr. Cet homme célèbre a laissé quelques écrits , parmi lesquels on distingue son Utopie , in-i". , Glascou, 1750 , traduite du latin en français par Geuderille, in-12, i73o. Comme Platon , il y veut tracer le plan d'une républiquepai faite ; mais il est bien inférieur à son modèle par son style ; il l'est bien plus encore par ses idées : c'est un système tissu de moyens chimériques , bizarres , impraticables. III , 170 ,
290.
MORVILLIERS ( Pierre de ) , fut chancelier de France sons Louis XI. C'étoit un homme dur, tel qu'il le falloit à ce prince. Il mourut en 1476. I, 89. MOTHE ou Motte ( Ântoine-Houdarl de la ), fils d'un chapelier de Paris , se fit une réputation très-étendue par les grâces de son esprit, et les finesses répandues dans ses productions. 213. II enfanta bien des paradoxes dans MUMMOL ( le duc ), prince qui fut la littérature. Il fut souvent au-desvaincu par Contran , roi de Bourgosous des modèles qu'il vouloit décrier gne. III , 210. ou imiter ; mais il n'en fut pas moins MURET (Marc-Antoine) né en 1526, un écrivain estimable qu'on doit apprit de lui-même le grec et le laplacer entre le premier et le dertin , et professa avec tant de réputanier rang des bons littérateurs. Sa tion à Paris , que le roi et la reine rare modération , la beauté de son voulurent assister à ses leçons. 11 génie, qui brilloit plus dans la conmourut à Rome en i585 , laissant versation que dans ses livres , lui plusieursouvrages en vers eten prose, acquirent une sorte de primatie dont la collection forme, 5 vol. /"-S3dans la république des lettres ; et il Vérone, 1727. On y trouve delà paroissoit être le juge-né de tous les délicatesse et du goût, mais nulle écrivains de son temps. Il mourut en invention. II , 438. 1731 , âgé d'environ 60 ans. La col- MURSIUS ou Meursius ( Jean ) , né à lection de ses œuvres forme 11 vol. Utrecht en i57g, s'illustra par son in-12. On y trouve des tragédies , vaste savoir , et mourut en 1639, a dont une seule, Inès de Castro , offre 60 ans. Parmi les écrits nombreux des situations louchantes , et des qu'il a laissés , on distingue ceux scènes qui firent couler bien des larqui concernent l'état de l'ancienne mes ; des comédies , dont une seule, Grècef Grœvius et Gronovius les ont le Magnifique , a mérité de rester au inséiAlnns leurs recueils ) ; et son théâtre; des opéra, dont plusieurs Histoire Danoise en latin , publiée sont justement estimés , malgré quelen i638 , in-fol. II , 184. ques défauts; des odes plus philoso- MUSSO ( Cornelio), né en i5u , ™tra phiques que lyriques , et bien inféchez les Cordeliers à l'âge de 9 ans, rieures à celles de Rousseau ; des eglodevint évèque de Bertinoro , puis de gues , supérieures à celles de FonteBitonto , et assista au concile de nelle pour la forme et le costume , Trente. Il mourut en i574, à 63 aus. mais moins naturelles , moins vraiII, 438. semblables que celles de Thèocrile et MUTEVEKKEL , dixième calife de a de Virgile ; des fables où il y a de race des Abassides, monta sur K l'invention , mais dépourvues de cette trône des Sarrasins en 847 , et régna naïveté charmante, de cette noble près de i5 ans. 1, 3i5.
et élégante simplicité qui caractérisent l'apologue ; une traduction en vers français de l'Iliade , production pitoyable, indigne du bruit et des rumeurs qu'elle excita , en naissant dans la république des lettres ; enfin, plusieurs écrits en prose , dans lesquels on reconnoît le philosophe et Hiuinme d'esprit. Il y a dans cette foule d'ouvrages quelques beautés, et des traits fort ingénieux ; mais rarement on y remarque cette chaleur, cette élégance , ce beau naturel qui sont l'apanage de l'homme doué d'un vrai génie. H , 504. Mout ( Frédéric ), traducteur de Libanius. II, 486.' MOYSE. Voyez MOÏSE. MuLLERN , chancelier de Charles XII, roi de Suède. 1, 10. MUMMIUS ( Lucius ), consul romain, l'an 146 avant J. C. , mérita le surnom d'Achaïcus , parce qu'il soumit les Achéens. Ce fut lui qui fit brûler Corinthe, l'une des plus superbes villes de la Grèce. III , 126 ,
\
�DES
PERSONNAGES.
MUTIUS
477
MUTHls-ScÉvOLA , jeune et brave Homain qui signala son courage l'an 507 avant J. C. II , 54 , 143.
, beau-père et partisan, du grand Marins. 1, 24.
N.
affranchi et favori de II fut l'horreur de l'humanité, abusa l'empereur Claude. I , 379. II , 46. du plus féroce despotisme , remplit KSES , roi de Perse , succéda à VaRome de sang lit mourir sa mère 7 r runes IIIson père , en 294. Il ne fut ses précepteurs, ses amis , et se poipas heureux dans la guerre qu'il fit gnarda lui-même l'an 68 de J. C. aux Romains , et mourut après 8 ans I, 127» 322,371 , 379 ; ^91. II t de règne. I, 253. i?3. III, 166, 332. NARSES , eunuque persan , l'un des rÎERYA ( Marais-Coceeùts ) , célèbre plus grands généraux de son siècle, jurisconsulte romain , que l'empecommanda les armées romaines, et reur Vespasien combla d'honneurs défît Totila , roi des Goths , en 552. et de bienfaits. II, i52. 1, 42. NERVA ( Cocceïus ) , succéda à l'empeNASSAU (le comte 4c), général des reur Dumilien , l'an gôdej. C. C'est troupes de l'empereur Charles-Quint, le premier César qui ne fut point fit le siège de Mézières en i52o, et Romain ou Italien d'origine. Il régna menaça Péronne en 1536. I, 45. III, sagement , quoique pent-être avec 349. trop de foiblesse ; protégea les lettres NECTAIRE fut choisi pour succéder à et les talens , et mourut après avoir St. Grégoire de Nazianze sur le siège adopté Trajan , dans la douzième de Constantinople , par les pères du année de son règne. 1 , 385. II, 361. concile assemblé dans cette ville NEW M AN , chirurgien de Charles XII t en 381 , et à la recommandation de roi de Suède. II , 59. Thêodose-le-Grand.U mourut en 3g7, NEWTON ( Isaac) , né en 1642 d'une et eut St. Jean-Chrysostôme $ou.r sucfamille noble de la province de Lînces^eur. II , io3. coin en Angleterre , s'adonna de NEMOURS (Philippe de), seigneur franbonne heure à la géométrie et aux çais qui accompagna St. Louis dans mathémathiques. Son nom seul dit sa première croisade. II , 10. avec quel succès il les cultiva. Son NEMOURS ( le duc de ) , commandoit génie créateur se fit des routes dans dans Paris lorsque Henri IV en fit le les sentiers de l'infini; son œil, pressiége en 1588. I , 298. que divin , aperçut le mécanisme NEPOS ( Cornélius ), florissoit du temps de l'univers ; il fut, pour ainsi dire ( de l'empereur Auguste , et fut ami le premier des mortels qui découvrit de Cicé'ron et d'Atticus. De tous les Part de l'Éternel, et les merveilles ouvrages dont il avoit enrichi la litde ses ouvrages. Les productions de terature, il ne nous reste que les vies ce grand homme étonnèrent tous des plus illustres capitaines grecs et ceux qui pensent. On avoit admiré romains ; elles sont présentées avec Descartes : il fallut plus que de l'adcette précision élégante , et cette miration pour Newton. Il est imposdélicate philosophie qui caractérisent sible aujourd'hui d'être profond maies bons auteurs du siècle d'Auguste. thématicien sans posséder ses écrits 9 On en a fait plusieurs éditions estidont les plus répandus sont ses Prinmables , parmi lesquelles on distincipes de la Philosophie naturelle, 0 gue celle Ad usum Delphini ', in-4 . où il développe son système de l'At1674; de Leyde , in-S°. 17 3"4 , et de traction ; son Traité et ses Leçons Paris, iu-Ï2. 1745. I, 35o. d'Optique, et son Analyse per quanNi:RON ( Caïus-Claudius ) , fut consul titatum séries, etc., que M. de Buffbn l'an 207 avant J. C. A la tête des léa traduits en français en 1740. Cet gions romaines il vainquit plusieurs homme , à qui nous devons tant de fois Annibal, et se joignit à son collumières , mourut, comblé d'honlègue Marcus-Livius, pour combattre neurs , en 1727 , à 85 ans. II, 175. Asdmbal, qui venoit au secours de III , 258. son frère. 1, 7; NlBOBET , procureur au parlement de NÉRON < C/audius-Domitius ) , fils de Paris , à qui M. de Harlai fit une Caïus-Domitius-JEnobarbus et d'Aleçon tout-a-la-foi s plaisante et ségrippine, fut adopté par l'empereur vère. II , 52. Claude, et lui succéda l'an 54 de J.C. WlCANDRE , poète et grammairien grec
N
NARCISSE, A
a
�47^
TABLE HI S T O R I
QUE
vers l'an 140 avant J. C. Il ne nous reste de lui que deux poèmes intitulés , Theriacaet Alexipharmaca, que Jacqites Gnérin a traduits en vers français. Cette version , estimée do M. de Thon, parut à Anvers en 1567, Hi-40. II , 184. NlCANOR , officier de Philippe père à? Alexandre-le-Grand , roi de Macédoine. I , 285. NicÉFHORE ( St. ), célèbre martyr d'Antioche , vers l'an 260 de J. C. III , 21. NlCÉMORE-DlOGÈNE, fils de Romain Diogène, empereur de Constantinople , voulut ôter le trône et la vie à Alexis-Comnène , son souverain et son bienfaiteur. I, 484. NlCÉTAS , sénateur d'Alexandrie , du temps de St. Jean l'Aumônier. I, 459. rlICIAS, ami à'Agésilas-le-Grand , roi de Sparte. II, 378. NlCIAS , capitaine athénien , s'éleva par son mérite aux premiers emplois militaires, et lit souvent triompher sa patrie. On le força d'aller faire la guerre à Syracuse ; il s'opiniâtra au siège de cette ville , fut vaincu , fait prisonnier et mis à mort, l'an 413 avant J. C. , avec Démoslhène son collègue. II , 23o. NlCIAS, citoyen de la ville d'Egine en Sicile , et partisan des Romains , dans le temps de la seconde guerre punique. I , 23. NlCOCLES, tyran de Sicione , ville de la Grèce , et capitale des Achéens , fut chassé par Araius , l'an 252 avant J. C.I. 186. NlCOCRÉON , capitaine d'Alexandre-leGrand , devint roi de Chypre après la mort de ce héros. II , 357. NlCODROME , musicien grec , contemporain de Craies. II, 445. NICOLAS (St.) , célèbre evèque de Myre en Lyeie, qui vécut , à ce qu'on croit, au quatrième siècle , et qui fut honoré dès le sixième , par un culte public. II , 262. NlCOLAUS, citoyen de Syracuse, l'an 413 avant J. C. II , 231. NICOLE ( Pierre ) , né à Chartres en 1625 , s'appliqua de bonne heure à l'étude sous les yeux de son père. Doué des dispositions les plus heureuses , il lit de rapides progr-ès. Après ses humanités , il vint à Paris pour son cours de philosophie et de théologie ; et ce fut alors qu'il connut les célèbres solitaires de PortRoyal. Bientôt,, se rendant comme eux, volontaire anachorète , il vou-
lut partager leurs exercices , imiter leurs vertus et profiter de leurs lumières. A leur exemple , il consacra tout son temps à défendre l'Eglise contre deux sortes d'ennemis qui déclviroient son sein , lés calvinistes et les casuistes relâchés. En confondant les adversaires du christianisme, il éclaira les fidèles ; et presque tous ses écrits produisent encore des biens innombrables. JSicole mourut en 1695 , à 70 ans. II, 44. III fameux athlète de file de Thase , ou Thasos. II, 372. NlLHISDALE, lord qui suivit le parti du prétendant à la couronne d'Angleterre , en 1716. I , 125. NoÉ , célèbre patriarche , fils de Lamech , naquit l'an 2978 avant J. C. Pour récompenser ses vertus, Oieu le préserva seul, avec sa famille , du déluge universel, par lequel il fit périr le genre humain, devenu trop criminel. Ce saint homme repeupla la terre avec ses trois fils , et mourut âgé de g5o ans, II, 495. NoNlUS , contemporain de Cicéron. I,
307. NORMAND 280. NICON ,
( le capitaine ) , officier français , du parti des protestons en j.5 7 3 , au siège de la Rochelle,
III, 3oi. NORMAND , ou Normant ( Alexis le ), avocat célèbre au parlement de Pa-
ris , rendit son nom immortel par sa mâle éloquence et sa rare intégrité. Le barreau le perdit en 1745, à 58 ans. III , 346. NORWICH ( Jonnh Lord ) , gouverneur d'Angoulôme , pour les Anglais , en
1345. I , 43. NOSTRE ( André le ) , né en I6I3 , et mort en 1700, s'appliqua dès son enfance à l'agriculture. Ses talens le
firent connoitre du célèbre Fouquel, qui lui donna les moyens de les développer davantage , en le jehargeaiit de former ses magnifiques jardins de Vaux - le - Vicomte. le JSoslre alors inventa un nouvel art daus sa partie, et Louis XIV l'attacha à son service, et le combla de bienfaits. Il le décora du rordon de Saint-Michel , et lui donna la charge de eontroleui--général de ses bàtimens et de dessinateur de ses jardins. II, 461. III, 267. NOUSCHIRVAN. Voyez CHOSROES. NOVION ( M. de ) , premier président au parlement de Paris. III , ç3.
�DES
NUB
PERS
INNAGES.
NUMITORIA
479
, pieux solitaire de la Thébaïde , en Egypte. II, 5. NuMÉRIEN ( Marcus-Aurèlius ), succéda à Carus son père , sur le trône des Césars , en 284 , et fut tué dans l'année même par la perfidie à'Arrins-Aper , sonbeau-pèie. Dioctétien , que l'armée proclama, vengea sa mort , en tuant lui-même Aper.
, dame romaine , mère de la jeune Virginie , que le décemvir Appius vouloit déshonorer. I, 471. NUMITORIUS, frère de la précédente , et oncle maternel de Virginie. I , . 472ISYPSIUS, capitaine de Denys-le-Jeune,. tyran de Syracuse. I, 175.
( François d') par les plus viles adulations , s'éleva sous Henri 111 , roi de France , à l'important emploi de surintendant des linances , qui lui fut conservé par Henri IV. Il abusa du crédit qu'il sut se procurer sur l'esprit de ces deux princes pour accabler le peuple d'impôts arbitraires et multipliés. Il mourut en J 5 M 4 , » ayant l'ame et le corps également » gâtés de toutes sortes de vilenies , " comme le dit un historien de ces temps-là. I, 3io. II , 391. OCTAÏ-KHAN , ou Hoclod-KImn , fils de Gengis-Khan , succéda à son père dans l'empire des Mogols en 1226. II se montra digue du trône par ses vertus civiles et guerrières. 1, 25g , II, 77 , 36?. OCTAVE , ou ôctavim. Voyez AUGUSTE. OCTAVIE, fille de l'empereur Claude, fut donnée pour épouse , à l'âge de seize ans , au barbare Néron , qui la répudia dès qu'il fut maître de l'empire. Il la relégua dans une île , où cette princesse infortunée fut contrainte de se faire ouvrir les veines par ordre du tyran : elle n'avoit encore que 20 ans, et ses vertusméritoient un meilleur sort. I, 373. OCTAVIUS ( Cneïus ), consul romain , l'an 87 avant J. C. , collègue de Cinna , et partisan de Sylla , contre la faction du célèbre Marins. II , 32. OLGIATI,
0
l'un des assassins de GaléasSforce duc de Milan, en 1476. III, 289.
OUVARÈS
( le comte d' ) seigneur espagnol , sous le règne de Philippe IV, qui l'honora de sa confiance. I, 15.
OLIVIER
, un de ces preux chevaliers si célèbres dans nos anciens romans. II , 24.
OLLLER
ou Olier ( Jean-Jacques ) , fut nommé curé de S. Sulpice à Paris , en 1642. Il fonda un séminaire pour lequel il obtint des lettres-patentes en 1645. H se démit de sa cure sept
ans après, employa son loisir à réformer l'abbaye de Pébrac , dont il étoit abbé , refusa deux évèchés, et mourut au milieu des travaux que lui avoit imposés son zèle apostolique, en 1657 , à 49 ans. III , 74. OLYMPIAS, sœur d'Alexandre roi des Epirotes , épousa Philippe, roi de Macédoine, et fut mère d'Alexandre-le-Grand. Elle fut mise à mort l'an 3i6 avant J. C. , par ordre de Cassander, qui voulut punir lee. cruautés sans nombre que cette princesse s'étoit permises après la mort de son fils. I , 144. III, 174. OMULUS , sénateur opulent, sous le règne de l'empereur Antonin-lePieux. II, 108. OPPIUS, romain, contemporainde/u/esCésar. I , 355. ORBILIUS de Benevent, fameux grammairien. Il parvint à un si grand âge , qu'il oublia , dit-oh , tout ce qu'il savoit j et comme il ne savoit que des mots , il n'oublia pas grandchose. III, 116. ORIGÈNE . naquit à Alexandrie , l'an 1 85 de J. C. Les talens de son esprit lui firent par-tout des admirateurs. Sa vertu , ainsi que son génie , fut si précoce , que Lèonide son, père alloit baiser sa poitrine lorsqu'il doi-moit, la regardant comme le sanctuaire de i'Esprit-Saint. Il mourut en 254 , après avoir laissé à l'Eglise une foule de savans et pieux ouvrages, dont la plus ample édition est celle du P. de la Rue, bénédictin , 4 volumes in-folio , grec et latin. II , 56 , 182. ORLÉANS ( Jean - Baptiste - Gaston de France, duc d') fils puîné de Henri IV, et frère de Louis XIII, naquit à Fontainebleau en 1608. Il n'est guère connu dans l'histoire que par ses cabates contre le cardinal de Richelieu. Poussé par ses favoris } il tenta plusieurs fois de le perdre. Sa vie fut un reflux perpétuel de querelles et de raccommodement-
�4^0
TABLE
HI
TORIQUE cours du roi d'Espagne , prit Lérida \ écueil des plus grands capitaines, s'empara de Tortosc ; et apprenant que Philippe V alloit abdiquer la couronne , il songea à l'obtenir pour lui. Son projet fut découvert; ses a gens furent arrêtés : Monseigneur, père de Philippe V, opina dans le conseil, qu'on fit le procès à l'ambitieux prince; m&is Louis XIV cn\t qu'il valoit mieux ensevelir dans le silence cette espèce de conspiration. Après la mort de ce monarque, le duc d'Orléans fut déclaré régent du royaume par le parlement, pendant la minorité du roi Louis XV. Il prouva , pendant son administralion , qu'il possédoit toutes les qualités nécessaires pour rendre le royaume heureux et florissant ; mais l'extrême confiance qu'il donna au cardinal Dubois son favori, son amour pour les plaisirs , son goût trop outré pour les sciences plus curieuses qu'utiles à un homme d'état, privèrent la nation d'une partie des avantages que faisoient espérer ses heureuses qualités. Il mourut subitement en 1723 , âgé de près de 5n ans. I , *g 1 , 267. II , 12 , 172. III, i5i , 333. OROMASE , père de Zoroastre, législateur des Persans. II , 1 Î 3. ORREBOW (Guillaume) . criminel anglais , condamné à mort en i;63t mais digne d'un meilleur sort pour sa bonne foi. 1, 3o3. ORTOGUXE , fils de Bajazet I, empereur des Turcs. I , 140. OSSONE (Don Pierre Giron , dued'), après s'être dîstinguédans les guerres des Pays-Bas, fut nommé vice-roi de Sicile et de Naples. Il mourut en 1624. Gregorio-Leli a publié sa vie, en 3 vol. in-\2.. Elle est assez curieuse, malgré la minutieuse prolixité de l'historien. I, 120. II , 365. OTANES , seigneur persan , un de ceux qui placèrent Darius , fils d'Hjslnspes, sur le trône. II, 419. III, 121. OTHON (MarcusSalvius fit assassiner l'empereur Galba , et se fit proclamer Auguste l'an 69 de J. C. Il ne jouit pas long-temps de son usurpation. Vaincu par Vitellius, il se donna la mort dans le troisième mois de son règne. I, 3/6, 3 7 7 - ^ > 437. OUEN ( S. ), naquit vers l'an 609 , fol fait archevêque de Rouen et chancelier de France , et mourut à pliehi près de Paris , le 14 Août 683. Il auteur
avec le roi et son ministre. Mêlé dans toiiles les entreprises des méeontens , il en sortit toujours en sacrifiant ceux qui l'y avoient fait entrer. Il traîna presque tous ses amis à la prison ou à l'écliafaud , sans les plaindre. Il mourut en 1660 t âgé de 52 ans. I , 265. ORLÉANS ( Philippe de France , duc d' ) , second fils de Louis XIII, né en 1640 , eut le nom de duc d'Anjou jusqu'en 1661 , qu'il prit celui de duc d'Orléans. Il épousa Henriette d'Angleterre , princesse qui réunissoit l'éclat de la beauté à tous les charmes de l'esprit. Il suivit Louis XIV son frère, dans sa campagne de 1667 , danscellede «672, et contribua à ses victoires. En 1677 t il assiégeoit S. Orner, lorsque le prince d'Orange', qui commandoit les armées d'Espagne et de Hollande , s'avança pour l'empêcher de se rendre maître de cette place importante. Le duc d'Orléans , aidé des maréchaux de Luxembourg et A'Humières, sortit de ses lignes, livra la bataille , et remporta la victoire à Mont-Cassel. Dans cette occasion , le prince chargea avec une valeur et une présence d'esprit qu'on 11'attendoit pas d'un homme efféminé. Après cet exploit mémorable , il rentra dans ses lignes , et bientôt se rendit maître de la ville. Il mourut en 1701, à 61 ans. 1, 5. ORLÉANS ( Philippe, petit-fils de France , duc d') fils du précédent, et de Charlotte Elizabeth de Bavière , sa seconde femme, naquit en 1674. Dès sa jeunesse , il montra la valeur des héros , et ses exploits lui firent donner le commandement de l'armée de JLombardie en 1706. Le maréchal de Marsin , qui commandoit sous lui , et qui avoit le secret de la cour , ne voulut point suivre l'avis qu'il donna de sortir des lignes de circonvallation dont il avoit environné Turin , pour aller combattre le duc de Savoie , qui s'approchoit à la tète d'une armée formidable. Ces lignes, trop étendues pour être bien gardées , furent forcées. Leduc d'Orléans , dès les premières attaques , accourut où le danger étoit le plus pressant ; il y montra un courage digne d'un petitfils de Henri IV, et blessé de deux coups de feu , il fut enfin oblige de se retirer. Cette retraite, jointe à la mort de Marsin , qui venoit d'être tué, occasioua l'entière dispersion de l'armée, En 1707 , il alla au se-
/
�DES
P E R S ONNAGES,
48l
auteur de la vie de S. Eloi. 1, 4-55. OVINIUS-CAMILLE, sénateur romain, sous le règne de l'empereur Alexandre-Sévère. II, 49GZANAM (Jacques) , né à Bélignieux en Bresse en 164.0 , se livra tout entier à l'étude des mathématiques, les enseigna avec le plus grand succès , en donna des traités méthodiques et lumineux, mérita une place
à l'Académie des Sciences , et mou* rut en 1717, à 77 ans. Jamais ce savant ne voulut se mêler des affaires de religion, ni des questions qui s'agitent en théologie : ■« C'est » aux docteurs de Sorbonne à les - discuter, disoit-il ; au pape à les » décider: le devoir du mathémati» cien et d'aller au ciel en ligne. ■» perpendiculaire. » I, 472.
p.
ACÔME ( S. ) , fondateur des maisons monastiques de la Thébaïde, compta plus de cinq mille disciples, auxquels il donna une règle pleine de sagesse, et l'exemple des plus hautes vertus. Il mourut le 3 Mai 348, âgé d'environ 56 ans. II , 98. FACONIUS , abbé et chef de quinze ceuts moines dans la Thébaïde. II,
1
196.
romain, fut contemporain d'Auguste, III, 146. PACTYAS , Grec , qui se mit sous la protection des habitans de Cumes. II, 3ig. PALÉMON (S.), solitaire de la Thébaïde au quatrième siècle , fut maître de S. Pacome. II, g8. PAMBON ( S. ) , abbé du désert de la Montagne deNitrie en Egypte , vers l'an 388. I , 271. PANDASIO , célèbre professeur de Bologne au sixième siècle. II, 186. PAN-HYAY , mère de Thjng-Ti , empereur de la Chine. II, 46. PANSOPHIUS , éveque contemporain de S. Jean-Chrysostôme. II , 74 PANTHÉE , épouse d'Abvadate, roi de la Susiane sous Cyrus-le-Grund. I, 115 , I3I , 464. PANTHITES , soldat lacédémonien , servit sous Lêonidas , et périt avec ce prince au délilé des Thermopyles. II, 3i8. PAPISIEN, célèbre jurisconsulte du 3.e siècle , fut mis à mort par l'ordre de l'empereur Caracalla en 212 , à 3? ans. 1, 394. PAPIRIA , mère de Sccpion-Emilien. II ,
FACUVIUS,
240.
PAPIRIUS-
CURSOR ( Lucius ) , célèbre général romain , fut 5 fois consul : la première, l'an 326 avant J. C. Il fut dictateur 1 7 ans après , et ce fut par cette dignité suprême qu'il termina cetteglorieuse carrière durant laquelle il remporta une multitude de victoires sur les Samnites et les a' ,res ennemis de Home. III , 198.
Tome III
jeune sénateur romain , modèle de discrétion. ' III ,173. PARÉ ( Ambroise ) , fut chirurgien des rois Henri II, François II , Charles IX et Henri III. Il auroit été enveloppé dans le massacre de la SaintBarthelemi, si Charles IX lui-même ne l'eût sauvé en l'enfermant dans sa chambre. » Il ne seroit pas raison» nable , dit alors ce prince , qu'un » homme qui peut servir à tout un » petit monde , fût ainsi massacré. " II mourut en i5go, laissant quelques traités de Chirurgie qu'on estime encore , et qu'on lit avec fruit. II, 58. PARIS-DUVERNEI (M.) , citoyen bienfaisant, aux vues patriotiques duquel on doit la fondation que Louis XV a faite de l'Ecole Militaire. 1, 155. PARMÉNION , général des aimées d'Alexandre-le-Grand , eut beaucoup de part à la contiance et aux exploits de ce conquérant, qui , malgré ses services, le fit mourir à l'âge de 70 ans , sous prétexte d'avoir tramé une conspiration. I, 252. II, 131. PARRHASIUS, peintre célèbred'Ephèse, contemporain et rival de Zeuxis, florissoit vers l'an 420 avant J. C. III , 241. PAS ( François de ) gentilhomme français , fut tué à la bataille d'Iviy , sous les yeux de Henri IV, qui regretta ce héros. 1, 310. PASCAL. ( Biaise ), né à Clermont en "Auvergne, en 1623, fut un grand homme dès sa naissance. Son génie, capable d'enfanter les arts , s'il n'eût point été prévenu, atteignit sans guide les plus grands maîtres. L'Europesavante ne put assez admirer ses progrès rapides ; elle le vit avec surprise assujettir le premier l'air à son calcul, et commencer ces merveilleuses découvertes qui fuient achevées par Newton et Leilmiiz. Au milieu de ses succès géométriques , Pascal abandonna les sciences pro-
PAPIRIUS-PR/ETEXTATUS,
Hh
�TABLE HI; ÏTORIQUE fanes pour ne songer qu'à celle du Chrétiens. Après les avoir affermi» salut. C'est à cette étude sacrée que dans les pratiques de la religion , le sont dus ces ouvrages qui ont illustré saint apôtre continua de porter ie le siècle de Louis-le-Grand, et auxflambeau de la foi dans les contrées quels on doit rapporter l'époque de voisines. Il assista au concile de Jéla fixation du langage. 11 mourut en rusalem , et parcourut ensuite la Sychrétien , comme il avoit vécu, en rie-, la Cilicie, la Lycaonie , la Phry. 1662 , à 3g ans. I-, 682 340. gie , la Galatic, la Macédoine, etc. PASCHASÏUS-JUSTUS, médecin flamand, puis étant retourné à Jérusalem, il auteur d'un Traité sur le Jeu, publié y fut arrêté par le tribun Lysias , et en i56o , l'un des plus anciens ouconduit à Félix , qui le retint penvrages sur cette matière. Il le fit dant deux ans prisonnier à Césarée, pour se guérir de sa passion funeste Il comparut devant Feslus , qui vonpour les jeux de hasard ; 'mais il perlut le mener à Jérusalem pour le judit son temps , et le mal triompha ger. Paul en appela à César, et fut du remède. II, 331. conduit à Borne : il y demeurai ans PATH1SITHE , chef des mages , qui plaprisonnier sur sa parole. Ayant ença le faux Smerdis sur le trône de suite obtenu sa liberté , il en profita Perse, après la mort de Cambyse , pour faire de nouveaux prosélytes: fils de Cyrus-le-Grand. II, 418. il parcourut l'Asie et la Grèce , et PATllU ( Olivier ), né à Paris en 1604 , revint à Rome avec saint Pierre, suivit le barreau, et cultiva avec l'an 66 de J. C. On croit que ce fut succès l'éloquence et les lettres. Sa alors qu'il eut la tête tranchée par réputation lui mérita une place à l'ordre de Néron. Il nous reste 14 épil'accadémie française en 1640. Il fit très de cet apôtre, qui portoit le à sa réception un remercinient dont nom de Sanl avant de prendre celui les académiciens furent si charmés , de Paul. II , 262. III, 217. qu'ils ordonnèrent qu'à l'avenir tous PAUL (Saint), le premier des solitaires ceux qui seroient reçus feroient un chrétiens dont l'histoire fasse mendiscours pour remercier la compation. Il se retira dans le désert pour gnie. Patru mouruten 1681. II, 237. fuir la persécution de Dèce, et s'enPAUL-EmiLE {Lucius), célèbre générai ferma dans une caverne, où il vécut romain , fut deux fois consul : la prejusqu'à l'âge de 113 ans. On dit mière, l'an 182 avant J. C., et la qu'un corbeau lui apporta tous les seconde, 14 ans après. C'est pendant jours du pain , et qu'après sa mort son second consulat qu'il délit Persée 2 lions firent la fosse dans laquelle roi de Macédoine , et qu'il réduisit saint Antoine l'enterra, l'an 341 de ce royaume en province romaine. I, J. CI, 478. 87, 99 , ai5. II, 88 , 243 , 454PAULE (Sainte), dame romaine, PAUL ( Saint ) apôtre de J. C., et descendoit par sa mère des Scipions docteur des gentils , naquit à Taise et des Gracques , dont elle eut les en Cilicie , de parens juifs. 11 fut grandes qualités , qu'elle releva par élevé avec soin par son père , qui tontes les vertus du christianisme. étoit pharisien, et envoyé à JérusaElle vécut sous la conduite de S. Jélem , pour étudier la loi sous Gamarôme , qui a écrit sa vie , et elle teriiel. Quelque temps après, se livrant mina toutes ses austérités par une ù tout son zèle pour le judaïsme, il mort sainte, en 407, à 57 ans. I, se montra le plus implacable per5. II, 476. sécuteur des disciples de J. C. Il as- PAULIN , compagnon d'étude de l'emsista au martyre de saint Etienne. Il pereur Théodose II, qui l'élevaaux obtint ensuite la permission d'empremières dignités. I , 606. III, 2°prisonner tous ceux qui suivoient la PAULINE, épouse de Stnèque-le-yhilodoctrine des apôtres ; mais lorsqu'il sophe. 1, 127. prenoit le chemin de Damas, il fut PAUSANIAS, roi de Lacédémone, de tout-à-coup miraculeusement conla race à'Hei cuie , monta snr le trône verti , reçut le baptême, et devint l'an 479 avant J. CI, 186. H, i?3. le prédicateur le pins ardent de l'E- PAUSANIAS, littérateur grec , et courvangile. II annonça J. C. en Arabie , tisan d'Archélaiis , roi de Macédoine. - a Jérusalem , à Césarée et à Tarse, II porta le surnom de Cramine, d'où saint Barnabe' le mena à Antioparce qu'il étoitde cette ville. I, io3. ohe. Ce fut là que les ridelles pri- PAUSANIAS, historien et orateur grec, - rent pour la première fois le nom de florissoit sous le règne de l'empereui
482
/
�DES
PERS< )»5 AGES*
4^3
Antonin-lc-Philosophe. Il nous a laissé
Uneexcellente description de la Grèce en dix livres , dont la meilleure édition est celle de 1696, in-jol. I, 64. PAYS (René le), né en 1636 , s'adonna à la poésie française, eut des admirateurs et des critiques \ et fut appelé le Singe de Voiture. Il mourut en 1690. On ne doit pas le placer parmi les meilleurs écrivains du siècle de Louis XIV; mais il ne faut pas le confondre avec les plus médiocres. Ses Nouvelles Œuvres, 2 vol. imia., Paris, 1672 , ne manquent ni d'esprit ni d'enjouement. 1, 89* PAZZI ( les ) , nom d'une famille autrefois puissante à Florence , et ennemie de celle de Médicis. II, 182. PjEDAItÈTE , Lacédémonien , célèbre par son patriotisme. II. 464. III, 153. PECHON t. Claude ) , pauvre vigneron du village de Mombré-lès-Reims-, en 1770. III , 104. PÈDRE DE TOLÈDE ( Dom ), ambassadeur d'Espagne auprès de Henri IV , roi de France. III, 143. PELAGE , fameux hérésiarque, né dans la Grande-Bretagne au quatrième siècle, se fit moine, et se distingua d'abord par sa piété et par sa science; mais ensuite se livrant aux spéculations d'une philosophie profane, il prétendit que l'on peut opérer son salut par les seules forces du libre-arbitre , et sans le secours de la grâce, que l'homme peut de luimême parvenir à un état de perfection dans lequel il ne soit plus sujet aux passions ni au péché ; que la grâce est donnée à proportion qu'on l'a méritée : qu'il n'y a point de péché originel ; et que les enfans qui meurent sans baptême ne sont poiut damnés. Ces erreurs furent anathématisées dans un grand nombre de conciles. Elles se répandirent néanmoins en Angleterre , et les évèques des Gaules y envoyèrent S. Germain d'Auxerre pour les réfuter. III, 341. PÉLÉE , iils d'JSaque et petit-iils de Jupiter \ épousa Tltétis, dont il eut Achille. II, 107. PELLETIER (Claude le ) , né en i63o , succéda au célèbre Colhert dans la charge de contrôleur-général des fi238. nances , dont il se démit six ans PÉRILMtS , officier d'Alâxandre-leaprès, pour ne plus s'occuper que de Grand, que ce conquérant honora l'étude et de l'a flaire de son salut. de ses bienfaits. II , 3g6. Il mourut en 1711 , à 81 ans. II , 23g. PERRAUT ( Claude), médecin de la faPELLETIER DE Sotrzi ( Michel le ) , culté de Paris, abandonna en quelque frère du précédent, se distingua sorte cette profession pour se livrer comme lui dans le ministère, et à son à l'élude de l'architecture. Il s'ap-
exemple quitta la coui1 à l'âge de 80 ans , pour se livrer , dans l'abbaye de S. Yictor, à tous les exercices de la vie chrétienne. Il mourut six ans après , en 1725. II, 161. PELLETIER DE MORFONTAINE (M. le), intendant de Soissons. 1, 82. PELOPIDAS , fameux Thébain, qui rendit la liberté à sa patrie , et qui l'illustra par ses victoires. Il fut tué en combattant contre Alexandre , tyran de Phère , l'an 364 avant J. C. ï, 178. II, 65 , 357. III , 169. PEMBROKE ( le comte de ) , pair d'Angleterre , l'un des seigneurs qui honorèrent les funérailles de Newton. II, 176. PENTERIEDER ( le baron de), ambassadeur de l'Empire auprès de Louis XIV, roi de France. I, 382. PÉPIN-LE-BREF, ou le Petit, fils de Charles-Martel, et chef de la seconde i-ace de nos rois, fut élu à Soissons en 752, dans l'assemblée des états-généraux de la nation. Il mourut d'hydropisie à S. Denis , eu 768, à 54 ans. I, 418. II, 343PERDICCAS, l'un des généraux d'Alexandre-le-Grand, voulut être roi de Macédoine après la mort de ce conquérant ; mais une ligue qui se forma contre lui le fit périr au milieu de ses troupes que l'on avoit soulevées, l'an 322 avant J. C. II, 7, 16g. PÉREFIXE ( Hardouin de Beaumont de) , fils d'un maître d'hôtel du cardinal de Richelieu , se distingua dans ses éludes , devint précepteur de Louis XIV, puis évèque de Rhodez, enfin archevêque de Paris en 1664. Il mourut six ans après , laissant quelques écrits , parmi lesquels on distingue son excellente histoire de Henri IV, attribuée par quelques auteurs , mais sans preuves, au célèbre Mézerai. II, 335. PlRlCLÈS , citoyen d'Athènes, qu'il gouverna long-temps avec plus d'éclat peut-être que de sagesse. 11 fut grand capitaine , habile politique , excellent orateur, et mourut l'an 429 avant J. CI, 108, 117 , 32o* II, 66, 85 , i38 ,178, 255 ,485. III t
Hh 2
�TABLE HI STORIQUE pliqua aussi à la physique et à l'hisempereur, il fut condamné à mort. toire naturelle , et devint l'un des Il se fit ouvrir, puis refermer les plus illustres membres de l'académie veines de temps en temps, s'entredes sciences. Il mourut en 1688 , à tenant de vers et de poésie avec ses 75 ans. III, 250. amis ; il expira vers l'an 66 de J. C. PERRETI , échanson d'Alphonse V, roi Nous avons de lui un poème sur la d'Aragon. III , i5.g. gxierre civile entre César et Pompée , PERSÉE , dernier roi de Macédoine, supérieur à celui de Lucain dans bien, succéda à Philippe son père, l'an 178 des endroits , mais qui n'est nulleavant J. C. , Ut la guerre aux Roment dans le goût de l'épopée. On mains , fut vaincu par Paul-Emile , lui attribue encore plusieurs autres et conduit en triomphe à Rome , où ouvrages auxquels les bonnes mœurs il mourut dans les fers, l'an 168 ne sauroient applaudir. I , 3?3. avant l'ère chrétienne. I, 87 , 147 , PÉTRONIE , fille du consul Menenius167, 2i5.II,456. Agrippa et d'Ebusse. I , 148. PERTHARIT, roi des Lombards , en PETRONIUS , l'un des officiers de Jules66r , mourut en 686. II, 2i3. César, I,' 354. PERTINAX (AZlius ou Pnblius-Elvius), PÉTUS, noble Romain sous le règne de fils d'un affranchi nommé Ehius , l'empereur Claude. I, 127. simple mercier de profession, ou PHARNABAZE, satrape persan , du qui, selon d'autres, gagnoit sa vie temps d'Agésilas- le - Grand , roi de à cuire des briques , fut élevé avec Sparte. III, 110 , m. soin dans les belles-lettres , et y fit PHARNAGE , fils de Mithridate , roi de tant de progrès qu'il les enseigna Pont, se révolta contre son père , et avec réputation en Ligurie. Dans la l'obligea de se tuer de désespoir t suite il prit le parti des armes, fut l'an 64 avant J. C. Il resta neutre fait consul l'an 17g de J. C., devint entre César et Pompée. Maïs le prepréfet de Rome , et eut le gouvernemier voulant qu'il se déclarât pour mcntde plusieurs provinces considélui, lui lit la guerre et le vainquit, rables. Enfin, après la mort de l'an 47 avant J. C. I , 6. Commode , il fut élu empereur à 70 PHAYORIN, ou Favorin , sophiste céans, par les soldats prétoriens, le 1 lèbre, sous l'empereur Adrien. It Janvier ig3. Mais ces mômes soli36, 3o8 , 387. II, 476. dats l'assassinèrent 87 jours après, PlIÉDIME , fille d'Otanès , seigneur parce qu'il vouloit les contenir dans persan, et femme du faux Smerdis la subordination militaire , qu'ils ne le Mage, usurpateur du trône de Perse. connoissoientplus depuis long-temps. II, 419I , 392. PH1DIAS , célèbre sculpteur grec , PESCENNlUS-NlGER , proclamé empeUorissoit vers l'an 448 avant J. C. reur romain l'an 173, fut assassiné I, 19. un an après, et n'eut pas le temps PHILASTRE (S.) , évêque de Bresse, en de faire tout le bien que prometItalie , vers l'an 374 ; se trouva au toient ses vertus. I, 3g3. II 45g, concile d'Aquilée , avec S. Ambroise, III, ig3. en 38i , fiteonnoissance à Milanavec PE'ÏERBOROUGH , général anglais, qui S. Augustin , et mourut le 18 Juillet prit Barcelone en 1705. I, 3oi. 387. H , 4i6. PETILIUS t les ), Romains , tribuns du PHILÉMON , poète comique grec , dont peuple, accusateurs de Scipion l'APiaule a imité la comédie du Marfricain. II , 242. chand , mourut de rire, dit-on , en PETIT (Guillaume) , confesseur de Louis voyant son àne manger des figues. XII, en i5i4- II, 266. IL avoit alors 97 ans. Il Uorissoit 2 PÉTRARQUE (François), né à Arezzo siècles avant J. CI, 3o6. II, a56. en.i3o4, se distingua par son grand III, 161. talent pour la poésie , fut estimé et PHILÉNES(les frères), deux Cartharecherché de ses contemporains , ginois, qui se sacrifièrent pour l'areçut les plus grands honneurs , et grandissement du territoire de Carmourut dans une agréable retraite tilage. 1, 217. qu'il s'étoit choisie près de \aucluse, PHILIDAS, citoyen de Thèbes , ami de eu 1374 , à 70 ans. L , 247. Pélopidas. I ,178. PETRONE (Arhiter) , fut proconsul de PHILIPPE , Lacédémonien , l'un des Bithynie, et devint favori de Néron. gouverneurs établis à Thèbes par les Accusé d'avoir conspiré contre cet Spartiates. 1, 278.
484
�DES PHILIPPE
PERS
INNAGES.
4^5
II, dit le Grand, fils d'Amin! lias II, succéda à Perdiccas III sur le trône de Macédoine , l'an 35 9 avant J. Cil subjugua lesPéoniens, les Illyriens et les Thessalicns ; et ayant épousé O/ympias, fille de Nèoj)lolème , roi des Molosses, il en eut Alexandre-le-Grand. Ce prince fut le plus grand politique de son siècle ; il eut été capable d'être le conquérant de l'Asie , s'il n'eût pas été assassiné par un de ses gardes , nommé Pausanias, l'an 336 avant J. C , dans la quarante-septième année de son âge. 1, 62, 100 , 19g, - ~> 1 , 285. 3 24,11 ,48, 110, 170, 326, 352, 363 , 383 , 406, 445 , 455. III, 66, 92, 137 , 174 , 329. PHILIPPE , père de Persèe , roi de Macédoine , l'an 220 avant J. C, lit long-temps la guerre aux Romains; mais ayant été vaincu plusieurs fois , il fut enfin contraint de se soumettre à ces conquérans de l'univers. Il mourut 178 ans avant l'ère chrétienne. Ce prince a été * avec raison, comparé au père à'Alexandre. Il avoit ses vertus et ses vices, mais avec cette différence que le premier annonça la grandeur , et le second la décadence de la Macédoine. 1,147. II 208. PHILIPPE , médecin à'Alexandre-leGrand. II , 626. PHILIPPE I, roi de France, n'avoit que huit ans lorsqu'il succéda à son père Henri J, eu 1060, sous la régence de Baudouin V, comte de Flandre. Quand il fut en âge de régner , il laissa affoiblir l'autorité royale, et parut d'autant plus méprisable à ses sujets, que son siècle fut fécond en héros. Il mourut en 1108 , après un règne de 49 ans. I, 425. PHILIPPE II, surnommé Auguste, le Conquérant et Dieu-donné , fils de Louis VII, naquit en 1165. Il succéda à son père en 1180, rendit les Français heiu-eux et redoutables , régna avec gloire, et mourut en I2i3, dans la 58.e année de son âge. I , 426 , 42gPHILIPPE III, dit leHardi, roi de France en 1270, rendit ses états riches et florissans , et mourut d'une fièvre maligne en 1285, à 41 ans. C'est sous son règne que furent données les premières lettres de noblesse , en faveur de Raoul l'Orfèvre. I , 428 , 432. PHILIPPE IV , dît le Bel, roi de France et de rlavarre, fils du précédent,
né à Fontainebleau en 1268 , couronné en 1283 , fit la guerre heureusement , eut de grands démêlés avec le pape, détruisit les Templiers, chassa les Juifs, ruina ses sujets, et mourut en i3i4 , à 46 ans. I , 433. III, 24. PHILIPPE V, dit le Long, fils puîné du précédent, succéda à Louis Ilu/in, son frère, en I3I6, à l'exclusion de Jeanne , fille de ce prince. Il lit la guerre aux Flamands , renouvela l'alliance faite avec les Ecossois , chassa les Juifs de son royaume, dissipa une troupe de brigands qui, sousle nom de Pastoureaux, faisoient de grands ravages, et mourut en i32i, à 28 ans. 1, 434. PHILIPPE VI de Valois, fils de Charles , comte de Valois , qui étoit frère de Philippe-le-Bel, et qui fut chef de la branche des Valois , monta sur le trône de France en 1326, à la mort de son cousin Charles-le-Bel. Il régna sagement dans un temps orageux , soutint ses malheurs avec constance, et mourut en i35o, âgé de 57 ans. 1, 222 , 435 , 5o2. PHILIPPE II, né à Valladolid en 1527, de Charles-Quint et à'Isabelle de Portugal; devint roi de Naples et de Sicile par l'abdication de son père, en 1554, et roi d'Angleterre le même jour, par son mariage avec la reine Marie. Il monta sur le trône d'Espagne en i555 , après la retraite de Charles-Quint. Le dédale de sa poli* tique , par les sombres détours de laquelle il remuoit du fond de son cabinet toutes les puissances de l'Europe , le fit appeler Démon du Midi. Il régna et finit comme Tibère, dont il fut peut-être le plus parfait imitateur. Sa mort arriva le i3 Septembre i5g8, il étoit âgé de 72 ans. Quarante mille hommes périrent sous son règne sur l'échafaud, ou de poison : il croyoit faire ces sacrifices à la religion catholique : il les faisoit à son ambition et à son despotisme. Son fils même fut une de ses victimes. II, 4m. III, 64, i5g , 167, 382. PHILIPPE III, roi d'Espagne, fils du précédent, monta sur le trône en i5g8, se rendit maître d'Ostende, fut forcé de reconnoître la liberté des Provinces-Unies , dépeupla son royaume en chassant les Maures et' les Juifs, et mourut en 1621, à 43 ans. 11 ne montra durant tout son règne que de la foiblcsse et de la superstition. I. i4- II j 388.
\
Hh3
�486
PHILIPPE
TABLE
HI
TORIQUE
IV , fils du précédent, né * J. C., pourvu qu'on y mît cette insen i6o5 , lui succéda en 1621. Son cription ; » Alexandre a détruit Thérègne fut malheureux , parce qu'il >• bes, et Phrinèe l'a rétablie. " I, s'abandonna aux plaisirs et à ses 5o. ministres. 11 mourut en 1665 , à 60 PICARD ( Jean ) capitaine fiançais , ans. I , 14. II, 388. qui servoit dans l'armée de l'empePHILIPPE V, duc d'Anjou, second fils reur Charles-Quint, devant Mézières, de Louis dauphin de Fiance, et de en i52o. I, 46. Marie-Anne de Bavière, né à Versailles PIERRE (S.), prince des apôlres, en 1683, fut appelé à la couronne vicaire de J. C. , le premier des d'Espagne en 1700, par le testament pasteurs et le chef visible de l'Eglise, de Charles II, son grand-oncle, et étoit de Bethzaide en Galilée, et en vertu des droits qu'il tcnoit de s^apeloit Simon ; mais Jesus-Christ Marie-Thérèse à1 Autriche , son aïeule, l'ayant appelé à l'apostolat, changea épouse de Louis XIV. Il se soutint son nom en celui de Cèphas, qui sur le trône par les efforts de la signifie Pierre. L'empereur JSéron le France, et mourut en 1746, à 63 fit mettre en prison avec S. Paul , ans, après en avoir régné près de l'an 66 de l'ère chrétienne, et l'on 45, laissant le trône à Ferdinand VI, croit qu'il fut crucifié par l'ordre son fils. 1, 3oi. II. 211 , 219. de ce prince le 29 Juin de la même PHILIPPE , fils à'Antoine , grand bâtard année. II, 262. de Bourgogne en 1477.11,219. PIERRE I t dit le Grand , né en 1673, PHILIPPIDE , Athénien , poète comine fut pas plutôt sur le trône de que : florissoit vers l'an 286 avant J. Russie qu'il résolut de civiliser sa C. III, 276. nation. Il alla chercher des conPHILOCLES , général athénien , vers noissanecs et des talens chez tous l'an 405 avant J. C. II, 356. les peuples de l'Europe , et les natuPHILOPÉMEN , général des Achéens , ralisa dans son vaste empire. Devese distingua par sa bravoure et par nu guerrier par ses défaites mêmes, sa prudence , et mourut empoisonné il vainquit enfin Charles XII, loi par Dinocraie, général des Messéde Suède. Il épousa la célèbre Catheniens , l'an 183 avant J. C. II, 84 , rine , qui seconda ses vues, et les 119, 126 , 195. III, 127 , 2l3. perfectionna. Ce grand législateur PHILOPHANE , sophiste grec, qui viveit mourut en 1725 , à 53 ans. I, 266 , vers l'an 645 avant J. C. II , 109. 488. II, 33, 296. III, 151 , 248,257. PHILOTAS , médecin de la ville d'AmPIERRE II, petit-lils du précédent, réphise , gouverneur du fils de Marcgna sur la Russie en 1 727 , et tint le Antoine le triumvir. II, 392. sceptre pendant près de trois ans. PHILOXENE , de Cythère , poète et muII, 33. sicien célèbre , plut à Denis-le-Tyran PlNDARE , le prince des poètes lypar les saillies de son esprit, mais riques , naquit à Thèbes, vers l'an l'offensa par la sévérité de sa criti5oo avant J. C. D'un très-grand que. Il mourut l'an 38o avant J. C. nombre dé poésies qu'il avoit comII, 22. III , 3o. posées, il ne nous reste que des PHINEES , fils à'Elèazar et petit-fils odes à la louange de ceux qui , de d'Aaron , fut le troisième grand-prêson temps, nvoient remporté le prix tre , et est célèbre dans l'Ecriture aux jeux olympiques , isthmiques , par son zèle pour la gloire de Dieu. iythiques et néméens , les plus soII, i5o. ennels de la Grèce. On sent , en les PHOCION , capitaine athénien, disciple lisant, cette impétuosité de génie , de Platon et de Xénocrate, s'immorces violens transports , cet enthoutalisa par ses exploits , sa sage politisiasme divin que produit la force des que et ses vertus , et mourut comme pensées. La variété des figures , la Socrate , victime de la jalousie de ses hardiesse des images , la vivacité concitoyens, l'an S18 avant J. C. des expressions , l'audace des méta1,113,199. II, i3, go , 138, 200, phores , la douce mélodie de ses nom225, 3g6 , 4o3. III, 91 , 104 , 166. breuses périodes, la majestueuse préPHRINÉE, fameuse courtisane greccipitation du style , tout concourt a que , fut attachée au célèbre sculple mettre à la tête des poètes lyriteur Praxitèle , qui fit sa statue. Elle ques. La meilleure édition de ses ouoffrit de rebâtir à ses dépens les vrages est celle d'Oxford , 1697, murs de Thèbes , vers l'an 32 8 avant fol. II, 192.
Ï
�/(.S? DES PERSO. N NAGES. latin , elles cmpruutcroient le style PIRON ( Alexis ) , ne en 1689 , se livra de cet auteur. Mais , lorsque le goût à la poésie dès sa première jeunesse. se fut épuré sous Auguste , on aperSes ouvrages lui Grent un nom célèçut dans ce poète une versification bre , et l'élevèrent au rang de nos négligée , des plaisanteries basses , meilleurs écrivains. Il mourut en et quelquefois trop libres ; on lui 1773 , à 83 ans. Le recueil de ses reprocha alors de mauvaises pointes , œuvres forme 7 vol. in-S°. On addes jeux de mots ridicules , des turmire sur- tout ses pièces de théâtre , lupinades grossières. Malgré ces déparmi lesquelles la Mélromanie tient fauts, Piaule entend bien la raillerie, le premier rang. I , 94. ses saillies sont heureuses, il a moins PlSISTRATE , descendant de Codrus , d'art, mais plus d'esprit que Térencej s'empara de la souveraine autorité ses intrigues sont mieux ménagées , à Athènes. On lui donna le nom de les ineidens de ses pièces plus variés , tyran, et cependant son règne fut et leur action plus vive. Les meilcelui d'un père. Il mourut après 33 leures éditions de ce comique célèbre ans d'une administration sage , l'an sont celles de Venise , 1472 , in-Jol.; 528 avant J. C. 1, 69 , 100 , 3 1 9. II , de Gruter et de Taubman ,621, in-+°. ; 35g , 44i. de Gronovius , Amsterdam , 1684 , PlSON (Lucius-Calpurnius), surnommé 2 vol. I'N-80. ; et celle de M. CaperonFrngi , fut tribun du peuple l'an 149 nier , 1759 , 3 vol. in-12. II , 184. avant J. C. et devint ensuite préteur PLAZENELLE ( les frères ) , fils d'un d'Espagne. II, 347. marchand drapier de Villeloin , dans TISON l Lucius-Calpurnius) , illustre séla généralité de Tours. I , i65. nateur romain , fut consul avec l'empereur Néron, l'an 5? de J. C. Quel- PLESSIS-MORNAY {. Philippe du ) , seigneur du Plessis-Marly , né en 1549 , que temps après , ayant conspiré fut un des- plus vertueux et des plus contre ce prince , il fut mis à mort grands hommes que le calvinisme avec ses complices. III , 332. ait produits. Il s'attacha à Henri IV, PlSON fut adopté par l'empereur Galba. et le servit de sa plume et de son I , 377. épée. Sa science , sa valeur et sa PlTHAGORAS , pantomime romain, avec probité le rendirent le chef et l'ame lequel l'empereur Néron se maria en du parti prolestant , et le firent appremières noces. I , 373. peler le pape des Huguenots. Il déPLAC1TE , compagnon d'étude de Théofendit les dogmes de sa secte de vive dose Il, empereur (l'Orient. 1, 606. voix et par écrit. Il mourut en 1623 , Pl.ATEL , domestique de confiance du à 74 ans. I , 110. connétable de Lesdiguières. III, 289. PLINE-L'ANCIEN ( Caïus-Plinius-SecunPLATON , né à Athènes vers l'an 429 dus ) , né à Vérone d'une famille avant J. C., fut disciple de Socrale , illustre , porta les armes avec diset doit être regardé comme l'organe tinction , devint intendant de l'Esde ce grand homme , puisque c'est pagne , mérita la confiance et l'eslui qui nous a transmis sa doctrine. time des empereurs Vespasien et Tilc, II fonda cette classe de philosophes composa une foule d'écrits très-saque les anciens appeloient Académivans , et mourut l'an 79 de J. C. , ciens , parce qu'ils s'instruisoient dans une éruption du mont Vésuve , dans le jardin d'un citoyen d'Athèà laquelle il s'éloit trop exposé pour nes , nommé Académus. Platon leur en découvrir la cause. Des uombreux apprenoit à bien dire et à bien penouvrages de cet écrivain laborieux , ser. Il mourut à l'âge de Si ans, vers il ne nous reste que son histoire nal'an 348 avant J. C. La plus belle turelle en 37 livres , dont la meilédition de ses ouvrages est celle de leure édition est celle du père HarSerramts, 15 7 8 , grec et latin , 3 vol. douin , Paris , 1723 , 3 vol. in-Jol. in-Jol. I, t68, 283,391,416- II ■ 4o, I , 242. II , 255. 113 , 161 , 290 , 433 , 434 , 457, 466 , PLINE-LE-JEUNE , ( Cècilius - Plinius476. III, 118 , 159 , 373. Secundus) , neveu et fils adoptif du PLAUTE ( Marcus- Aclius) , poète coprécédent , né à Corne , étudia sous mique latin , mourut 184 ans avant Quinlilien , et profita des leçons d'un J. C. Il nous reste de lui 20 cométel maître. Il s'éleva par son mérite dies généralement applaudies de son jusqu'aux premières charges de l'emtemps, et dont le dialogue pur, énerpire sous Trajan. Ce prince le nomgique et élégaut faisoit dire à Varrnn ma consul honoraire l'an 100 de que si les Muses vouloient parler Hh 4
�488
J. C. j
TABLE
HI
TORIQUE suite au cardinal de Bouillon , qui lte mena à Rome en 1689 , et l'employa en diverses négociations importantes. De retour à Paris , Louis XIV lui accorda une longue audience , et dit de lui, lorsqu'il fut sorti : Je viens » d'entretenir un homme/, et un » jeune homme , qui m'a toujours » contredit , et qui m'a toujours » plu. » Ce prince le chargea de plusieurs ambassades , et .ses services lui méritèrentlechapeau de cardinal. Il fut nommé archevêque d'Aueh en 1726 , et mourut en 1741 , à 80 ans. On a de ce prélat un poème latin intitulé Anti-Lucrèce , dans lequel il réfute le système et la doctrine d'Epicure , en suivant les principes de la philosophie de Descartes. I, 723. POLITIEN (Ange), né en 1454, se rendit célèbre par son savoir , fut protégé des Mèdicis , et mourut en 1494 , laissantun grand nombre d'ouvrages, dont l'édition la plus estimée est celle de Venise, 1498, in-Jol. ; niais celle de Basle , 1553 , aussi in-Jol. est plus ample. On y trouve des pièces de vers , des histoires et des traductions. II , 182. POLLION ( Caïus - Asinius ) , orateur célèbre , et poète latin , fut consul l'an 411 avant J. C. Ce fut lui qui le premier ouvrit à Rome une bibliothèque à l'usage du public. 11 s'attacha au parti de Marc-Antoine , et ne reconnut que malgré lui l'autorité d'Auguste. Ce prince le traita cependant avec honneur, et parut oublier qu'il avoit été son ennemi. I , 328 , II, 166 , 401.
et quelque temps après il le
fit proconsul deBithynie. Nous avons de cet écrivain un éloquent panégyrique de Trajan , et dix livres de lettres remplies d'esprit et d'urbanité , mais dont le style n'est point aussi naturel que celui des auteurs du siècle d'Auguste. On en a donné plusieurs bonnes éditions , parmi lesquelles on distingue celle d'Elzevier , 1640, in 12. II, 182. PLISSON (mademoiselle) , née à Chartres , a fait un petit ouvrage pour inviter les riches à jouer au profit des pauvres. II , 328. PLISTARQUE , roi de Lacédémone , monta sur le trône l'an 469 avant J.C. et mourut trois ans après. II , 114. PlUTARQUE , célèbre philosophe , historien et orateur grec , florissoit sous le règne de l'empereur Tnijan , et mourut vers l'an 140 de J. C. Nous avons de cet excellent écrivain les vies des hommes illustres grecs , romains , et des traites de morale , remplis de faits très-curieux. Amyol, du temps dellenri III, en donna une traduction , qui malgré son style gaulois , a un air de fraicheur qui la fait rajeunir, ce semble , de jour en jour. I, 147 , 342. III, u3, 128,206. PoEMEN , pieux solitaire de la Thébaïde , abbé de l'un des monastères de ce désert célèbre. II, 5. POIGNAN , ancien capitaine de dragons , ami de La Fontaine. II, 487. POISSON ( Raimond ) , fameux comédien, mort en 1690. Il a plusieurs pièces de théâtre , l'édition la plus complète est de Paris , 1743 , a vol. in-12. laissé dont celle Elles
sont fort réjouissantes , et quelquesunes sont encore applaudies. 1, 92. POLÉMON , jeune Athénien fort débauché , disciple du philosophe Xènocrale. III , 44. POLÉMON , sophiste de Smyrne , du
POI.LION ( Aledius ) , homme riche , sous le règne d'Auguste. I, 328. POLYBE , fameux historien grec , né • à Mégalopolis , environ l'an 204 avant J. C. Il fut très-estimé à Home, et s'attacha à Scipion , fils de FtndEmile. Ilmourutl'an 121 avantJ.C, à 82 ans. De tous ses ouvrages , nous ne possédons qu'une partie de sou histoire , qui s'étendoit depuis le commencement des guerres puniques jusqu'à la fin de celle de Macédoine. Elle étoit renfermée en 40 livres , mais il ne nous en reste que cinq dont les meilleures éditions sont celles de Paris , 1609 , in-Jol. , et d'Amsterdam , 1670 , 3 vol. /«-8°. Dont Vincent Thuilier en a donné une traduction française avec les savans commentaires du chevalier Folard. I , 99. II, 86. III , 127. POUCRATE , tyrau de Samos , vers
temps de l'empereur Fieux. II, 47.
Anlonin-le-
POU ( Martin ) , chimiste romain , né en 1662 , vint en 1702 offrir à Louis XIV une composition plus terrible que celle de la poudre. H fut reçu à l'académie des. sciences , et mourut en 1714. On a de lui un grand ouvrage italien , où il fait l'apologie des acides. II , 321. POLICLETE , célèbre sculpteur de Sicione , porta son art à la perfection. Il vivoit l'an 43o avant J. C. 1, 19. POLIGNAC ( Melchior de ), né en 1661 , lit ses études à Paris ,• s'attacha en-
�DES
PERSONNAGES
!'an 532 avant J. C. , régna d'abord devint l'épouse de cet empereuravec un bonheur extraordinaire, puis après qu'il eut répudié Octavie. Ce fut le plus malheureux des hommes , monstre la fît mourir comme tant et mourut sur une croix , l'an 524 d'autres , et la plaça au nombre des avant l'ère chrétienne. II , 90. III, déesses. I, 373. 4g, 120 , 335. PoilSENNA , roi d'Etrurie , assiégea PoLICRETE , sculpteur célèbre, et graRome l'an 5o7 avant J. C. pour y veur en pierres fines , sous l'empire rétablir Tar<piin-lc-Superbe. Ses efdAugus/e. II , 67. forts furent inutiles. I , 332. II , POLIDAMAS , fameux athlète grec , du 54 ; 5o2. temps de Darius-Nolhus, roi de Perse. PORTK ( Baptiste de la ) , gentilhomme I , 04. italien, de la ville de Padoue. It POLYENUS , sophiste grec , contempo12g. rain du philosophe Arislippe. II, 42g. PORTE (delà). F. MEILLERAIE. POMPÉE ( Cnéïns ) , surnommé le PORTIA , fille de Coton d'Utique , et Grand , né l'an 106 avant J. C. , eut femme du célèbre Brutus , chef des l'éclat des héros dès sa plus tendre réj)ublîcains. I, 128. jeunesse, et ses exploits le rendirent PORTO-CARRERO ( Hernandez Teillo) , en quelque sorte maître de la répuoflicier espagnol, qui surprit Amiens blique romaine ; mais il fut supen i5g7. I , 48. planté par César , qui le vainquit à PORUS , roi d'une partie des Indes , la bataille de Pharsale. Il s'enfuit fut vaincu par Alexandre , l'an 328 en Egypte, où le roi Ptolémée lui lit avant J. C. Conduit devant ce couper la tète , l'an 49 avant l'ère prince , son intrépidité lui lit obchrétienne: 1 , 4, 233 , 254 , 3o7 , tenir tout ce qu'il désiroit. Rétabli 35o , 381. II, 26 , 40 , 142 , 234 , dans son royaume , il suivit son 3i8 , 358. III , 265 , 3go. vainqueur, et accéléra ses conquêtes. PoMPONIUS , soldat romain , dans le II , 4H. temps de la guerre contre Mithri- POSSIDONIUS , philosophe stoïcien , rédale. I , 21 5. sidant à Rhodes , du temps du grand PoNIATOWSKI, général suédois , comPompée. II, 40. pagnon de la retraite de Charles XII POSTEE (Guillaume), né de parens pauà Bender. I , 10. vres , orphelin à l'âge de 8 ans , étuPONTAC (Pierre de), premier présidia seul , et fît de tels progrès dans dent au parlement de Bordeaux. III, la lecture , qu'il fut reçu maître 176. d'école près Pontoise, à l'âge de 14 PONTCHARTRAIN ( Louis - Phé/ippeaux ans. Peu de temps après il se rendit de ), contrôleur - général en 1689 , à Paris , se mit au service de quelministre et secrétaire d'état en 1690 , ques régens , et profita de leurs leet chancelier de France en 1699 , çons. Il devint bientôt un savant unimourut en 1725 , à 85 ans. I , 90. versel , et fut compté parmi les III, 233. plus habiles maîtres de la capitale. POPEDIUS-SILON , adversaire du grand Charles IX prenoit plaisir à l'enMarins. III , 167. tendre , et l'appeloit son philosophe. POPEDIUS , chef des députés latins, On assure qu'enseignant au collège du temps de Caton d'Utique. 1, 695. des Lombards , il avoit tant d'audiPOPILIUS , noble Romain , envoyé teurs 3 que la grande salle de ce col-, vers Antiochus - le - Grand , roi de lége ne pouvant les contenir , il lesSyrie , pour le contraindre à la paix. faisoit descendre dans la cour , et II , 201. Ieurparloit d'une fenêtre. Il mourut POPILIUS ( Marcus ), censeur romain , en i5So ,371 ans , laissant un collègue de Hcipion-Nasica dans cette grand nombre d'écrits remplis d'idées magistrature. III, 194. bizarres et de projets extravagans. POPILIUS ( Caïus ) , Romain ignorant I, 121. et stupide , qui se donnoit pour un POTIEK DE KOVION DE BLANC-MÉNIL habile jurisconsulte du temps de Ci( Nicolas), président à mortier au ciron. III , 70. parlement de Paris , du temps de POPOLI (duchessede), dame espagnole , la Ligue. II , 211. qui se trouva dans Barcelone , lors POTRON DE SAINTRAIIXES ( Jean ) , de la prise de cette ville par les Angentilhomme gascon , sénéchal du glais en 1705. 1, 3oi. Limousin , se signala par sa valeur POPPÉE , d'abord maîtresse de Néron , et ses services , sous les règnes de
489
�490
TABLJE
Hl: TORIQUE , affranchi d'Juriste, quoique cher à ce prince , fut mis à mort par son ordre pour crime d'adultère I , 357. PROPERCE ( Sexlus-Aurelius) , brilla parmi les beaux esprits du siècle d'Auguste, et mourut à Rome l'an 19 avant J. C. Il nous reste de ce poète quatre livres d'élégies , dont le style est très-pur et très-châtié , mais trop licencieux. II , 184. PROTAGORE , philosophe grec , disciple de Démocrite , se rendit célèbre par son athéisme , qui le fit chasser d'Athènes. Il florissoit vers l'an 400 avant J. C. III, 64. PROTEAS , courtisan à'Alexandre-kGrand. II , 3g5PROTOGÈNE , fameux peintre rhodien , contemporain , rival et ami du célèbre Apelle. 1, 106 , 245. II, 442. 1 PRUSIAS , roi de Eithynie , à la coin duquel se retira le grand Annibal. 1, 38 , 3o6. PSAMÉNITE , roi d'Egypte , fut mis à mort par l'ordre de Cambyse, roi de Perse , qui l'avoit vaincu deux fois, et contre lequel il s'étoit révolté. I, 5i , 112. PTOLÉMÉE II, nommé ironiquement Philadelphe , c/csl-à-dire , amateur de ses frères , qu'il fit mourir, régna en Egypte l'an 285 avant J. C. , après Ptolémle-Lagus son père , et tint le sceptre durant 38 ans. 1, 40. II, 6, i3, 107 , i38. III, 53 , i63. PTOLÉMÈE VI , monta sur le trône d'Egypte l'an 280 avant J.C. , après la mort de Plolimie - Epiphanes son père. Il fut surnommé Philométor, ou ami de sa mère , par ironie , parce qu'il détestoit la reine Cléopâlre , a qui il devoit le jour. Il mourut l'an 146 avant l'ère chrétienne , après un règne de 34 ans. II, 201, 427.III, 241. PUBLIE , sainte veuve sous l'empire de Julien l'Apostat. II , 199. PlIJADE ( M. delà ), chevalier de St. Louis , ancien aide-major des gardesdu-corps. I , 84. PULCHÉRIE ( Sainte ) , fille de l'empereur Arcadius , et sœur de Théodose-le-Jeune , fut créée Augusla eu 414 , partagea avec son frère la puissance impériale, régna avec gloire , et après la mort de Théodose , plaça Marcien sur le trône. Elle mourut en 454 , à 56 ans. 1, 4°4- H>110III , 20 , 335. PULFIO , officier romain de l'armée de Jules-César. II, 154PUTIPHAR , ministre de Pharaon , roi
PROCUXUS
Charles VI et de Charles VII, mérita le bâton de maréchal de France en 1454 , et mourut sept ans après. I, 309. POUGET ( François-Amè) , prêtre de l'Oratoire , fut vicaire de S. Roch ; à Paris , en 1692 ; et ce fut en cette qualité qu'il eut part à la conversion du célèbre La Fontaine. II en donna une relation curieuse et détaillée , dans une lettre qui fait partie des mémoires du père Desmolels. Le père Pnuget mourut dans la maison de S. Magloire en 1723 , à 57 ans. C'est lui qui a composé le livre connu sous le nom de Catéchisme de Montpellier. I, 19g. POYET ( Guillaume ), de simple avocat au parlement de Paris , devint chancelier de France en 1538 : dignité qu'il dut autant à son mérite qu'à la faveur de Louise de Savoie, mère de François I. Dans la suite , ayant déplu à la reine de Naples et à la duchesse d'Iitampes , il fut privé de toutes ses charges par arrêt du parlement, et condamné à cent mille livres d'amende , somme excessive pour ce temps-là, et qu'il paya pour obtenir sa liberté. Il mourut dans la pauvreté et dans l'ignominie , en 1548 , à 74 ans. II , 163. PRAXITÈLE , célèbre sculpteur grec , vivoit vers l'an 364 avant J. C. Tous les anciens écrivains ont parlé avec éloge de ses statues , et sur-tout de la Vénus qu'il fit pour la ville de Gnide. I , 5o. PREODOTE , souverain magistrat de Mégare, du temps de Dion de Syracuse. II, 451. PRIMITS , général romain , sous le règne d'Auguste. I , 326. PRIMUS , lieutenant de l'empereur Vespasien. I , 378. PROBE, préfet d'Italie du temps de S. Ambroise. II , 71. PROBUS (Marcus-Aurelius) , originaire de Sirmiek en Pannonie, s'éleva par ses vertus sur le troue des Césars. Il succéda à Tacite en 276 , dompta les Gaulois , les Francs , les Bourguignons , les Vandales , les Sarmates et toutes les nations vagabondes qui troubloient depuis long-temps la paix de l'empire. Il se préparoit à faire la guerre aux Perses , éternels ennemis du nom romain , lorsque ses soldats , lassés des travaux qu'il leur faisoit entreprendre , l'assassinèrent dans la sixième année de son règne, à l'âge de 5o ans. I, a53, 398.
�DES
PERSONNAGES.
4gï
d'Egypte, et maître de Joseph, fils du patriarche Jacob. I, 461." PUÏ - SÉGUR ( Jacques de Chastenet seigneur de ), colonel du régiment de Piémont , et lieutenant-général des armées du roi , sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, signala sa valeur dans un grand nombre de sièges et de combats , où il ne reçut cependant aucune blessure. Il nous a laissé des mémoires curieux sur ce qui s'est passé en France depuis 1617 jusqu'en 1658. Ils ont été imprimés en 1690 , en 2 vol. in-12., parles soins de M. Duchesne, II , 43i. PïIlRHUS , roi d'Epire , célèbre par ses guerres avec les Romains , fut un des plus grands capitaines de son siècle. Il mourut l'an 272 avant J. C. 1, 321 , 496. II, 6, 2i , 79 , 137 j 282. III, 129 , 295. FïTHAGORE , l'un des plus grands philosophes de l'antiquité , naquit à Samos , suivant l'opinion la plus commune , vers l'an 540 avant J. C. Il quitta la profession d'athlète , pour étudier la philosophie sous Phirécide, et après s'être formé par de longs
voyages , il fut maître à son tour. Il exigeoit de ses disciples un silence de deux ans pour les uns , et de cinq ans pour les autres : il enseignoit la métempsycose , c'est-à-dire , la transmigration des âmes d'un corps dans un autre. II défendit l'usage de la viande et le meurtre des animaux. Il forma de fameux législateurs , et s'acquit une autorité si grande , que ses élèves , pour appuyer leurs raisons , se conteutoient d'ajouter : « Le » maître l'a dit. » Il mourut dans un âge fort avancé. Sa maison fut convertie en un temple , et on l'honora comme un dieu. I, 64, g5 , 114. II , 286 , 4i3 , 476. 111,49, 229, 256. PYTHIAS , fille à'Arislote, et digne de ce grand philosophe. III > 112. PYTHIAS , citoyen de Syracuse et disciple de Pylhagbre , sous le règne de Denj-s-l' Ancien. I , g5. PYTHIUS, gouverneur et souverain de Céline , ville de Phrygie , sous le règne de Xerzès-le-Grand , roi de Perse, qu'il reçut avec magnificence. II , 5i , 3g3.
( milord ), mort viceroi de la Jamaïque , au commencement de ce siècle. III, a55. QUET ( M. du) , savant machiniste de notre siècle. III, i5i. QuiN (M.) , acteur anglais. II, 246. QUINTE-CURGE 'Quintus- Curtius-Rufus), historien latin, auteur de l'Histoire d'Alexandre-le-Grand. Son ouvrage est très-connu , et sa vie fort ignorée. On croit qu'il florissoit sous l'empire de Vespasien , ou sous celui rï.e Trajan; On a fait plusieurs éditions de cet excellent auteur : on estime particulièrement celle à'Elzevier, in-12., 1633.1, 2S1. II, 158.
^UADRINGTON
Q
QUINTIIIEN ( Marcus-Fabius ) , célèbre orateur latin , fut disciple de Domilius-Ajer , et mourut l'an 59 de J. C. après avoir enseigné l'éloquence à Rome pendant 20 ans , avec le plus grand applaudissement. Il nous reste de cet écrivain judicieux un excellent traité de Rhétorique , rempli de goût et d'admirables préceptes. On en a donné plusieurs éditions , dont les plus estimées sont celles d'Obreichl , Strasbourg , 1698 , et de Caperonnier , 1725 , in-J'ol. M. l'abbé Gèdoyn l'a traduit en français , II , 328.
R.
R
François ) , fils d'un aubergiste ou d'un apothicaire , se lit cordelier , et fut élevé aux ordres sacrés. Sa réputation commençoit à se former , lorsqu'une aventnre scandaleuse le fit renfermer dans la prison de son monastère. Il vint à bout de briser ses liens , et par le crédit de ses protecteurs , il obtint du pape la permission de passer dans l'ordre de S. Benoit ; mais bientôt, ennemi de toute espèce de règle , il dépouilla
ABELAIS (
tout-à-fait l'habit religieux , et alla étudier en médecine à Montpellier, où il prit le bonnet de docteur. Son mérite lui procura une chaire dans cette faculté en I53I , et il en devint le restaurateur quand le chancelier Dupral en eut fait abolir les privilèges par arrêt du parlement. Rabelais eut l'adresse de faire révoquer cet arrêtet l'université , rétablie dans tous ses droits , le regarda moins comme un confrère que comme
�2 TABLE HI un protecteur. Encore aujourd'hui, sa mémoire y est en si grande vénération, que tous les jeunes médecins qui reçoivent le doctorat sont revêtus de sa robe. Le mérite de Rabelais le Ht appeler à Paris , et le cardinal Jean du Bellay t évèque de cette capitale , le choisit pour son médecin ordinaire. Ce prélat le conduisit à Rome, où ses saillies et ses bouffonneries amusèrent le pape et les cardinaux , et lui méritèrent une bulle d'absolution , qui le transférait dans une abbaye dont on alloit faire un chapitre. De cordelier devenu bénédictin , de bénédictin chanoine , de chanoine il devint curé. Le cardinal son protecteur lui donna la cure de Mcudon en 1545 , et il fut à la fois le pasteur et le médecin de sa paroisse. Ce fut alors qu'il composa son Pantagruel , satire souvent ingénieuse , quelquefois plate , de temps en temps ordurière et licencieuse , où l'érudition est cachée sous le manteau do la folie , et qui a placé l'auteur à côté de Lucien. On l'a souvent réimprimé ; muis l'édition la plus complète est celle d'Amsterdam , 1711 , en 5 vol. 771-8.0 Cet ouvrage , malgré ses nombreux défauts , fit rechercher Rabelais de son temps , et le fait encore admirer du nôtre. Ce pasteur boullbn mourut en plaisantant, en 1553, à 70 ans. II, 488. RABUT1N ( Roger , comte de Bussi ) , servit dès l'âge de douze ans , et fit éclater sa valeur dans plusieurs sièges et dans plusieurs batailles. Il obtint par ses exploits , plus eucore que par sa naissance , le grade de lieutenantgénéral des armées du roi , et celui de mestre-de-camp de la cavalerie légère. Les lauriers de Mars ne l'empêchèrent pas de cultiver ceux d'Apollon. Reçu à l'académie française en 1665 , il y prononça une harangue pleine d'esprit et de fanfaronnades. Il eût pu parvenir à tous les honneurs que l'on accorde au courage et aux talens littéraires , si la manie de la satire ne l'eût arrêté au mil ieu de sa course. Il courut sous son nom un ouvrage manuscrit intitulé Histoire amoureuse des Gaules, où il décrïoit plusieurs personnes alors en faveur a la cour. Le roi en fut instruit. Irrité de l'indiscrétion du frondeur , il le fît enfermer à la Bastille. Quelques mois après , une maladie occasionée par sa prison lui procura la liberté ; mais il ne sortit de la
49
STORIQUE Bastille que pour aller passer dix-sept ans en exil dans un de ses châteaux, Durant tout ce temps , il fatigua Louis XIV par ses lettres , et à force d'importunité, il obtint la permission de revenir à la cour ; mais le roi évitant de le regarder , il se retira de nouveau dans ses terres, partageant son temps entre les plaisirs de li campagne et ceux de la littérature, Il mourut à Autun, en 1693,8 75am, laissant plusieurs enfans , dont l'un fut évèque de Lucon. Parmi les ouvrages que nous avons de ce seigneur^n distingue ses mémoires , 2 vol. rn*40; ses lettres , 7 vol. in-12. ; et quelquesunes de ses poésies , répandues dans diiférens recueils. I, 120. H , 504. RACINE ( Jean ) , né à la FcrtcMilon en i63g , fut placé de bonne heure parmi les élèves de la célèbre maison de Port-Royal-des-Chanips. Après s'être formé dans l'étude des anciens auteurs , il voulut devenir leur rival, et faire avec eux l'admiration de ses contemporains et lej délices de la postérité. En 1660, il débuta dans le monde littéraire par deux odes sur le mariage de Louis XIV. Elles lui valurent une gratitîcation de cent louis , et une pension de six cents livres. Chapelain , pour encourager "ce poète naissant , sollicita l'une et Pautre , et Colbert les accorda au nom du roi. Ce succès détermina Racine à II poésie , et il se jeta dans la carrière du théâtre , d'autant plus difficile à parcourir , que le grand Corneille depuis long-temps étoit seul en possession de tous les suffrages. Eu 1664 , la Thèbnïde parut , et reçut des applaudissemens. On ne l'accueillit, il est vrai , que comme un coup d'essai ; mais ce coup d'essai annonçoit un grand maître. Deux ans après Y Alexandre fut joué. Avant de donner cette tragédie aux acteurs, Racine voulut la lire à Corneille. - Vous avez un grand talent pour » la poésie , lui dit ce poète célèbre « après l'avoir entendue ; vous n'en » avez pas pour la tragédie. » Cependant cette pièce charma tout Paris ; mais les connoisseurs la ju" gèrent plus sévèrement. Ce fut alors que Racine se brouilla avec les pieux solitaires de Port-Royal, et qu'il écrivit contre ses anciens mai" très une lettre piquante , qui fut refutée par Dubois t et par Barbier d'Autour. Le jeune poète fit UDC
/
�DES PERS réplique non moins ingénieuse. Avant de la rendre publique , il la montra a Boileau , qui lui dit, en ami sage : Cette lettre fera honneur à votre >• esprit, mais n'en fera pas à votre » cœur. Vous attaquez des hommes » d'un très-grand mérite, à qui vous » devez une partie de ce que vous » êtes. » Touché de cette remontrance , Racine supprima sa seconde lettre, et retira tous les exemplaires de la première. Andromaque parut en 1667, et cette tragédie eut le plus grand succès, malgré ses défauts; on eu admira sur-tout le style , noble sans enflure , simple sans bassesse. La comédie dès Plaideurs , jouée la même année, tempéra par sa gaieté les pleurs que la tendre Andromaque avoit fait répandre. Racine se surpassa dans son Brilannicus , donné en 1670. Nourri de la lecture de Tacite^ il sut communiquer de la force à sa versification et à ses caractères. 2?erènice , réprésentée l'année d'après , soutint la gloire du poète aux yeux du public ; mais les gens de gout ne la regardèrent que comme une pastorale héroïque. Racine prit un essor plus élevé en 1672 , dans Bajazet ; et dans Mithridate, en 1673, il se plaça tout à côté de Corneille ; on y trouve , avec plus de correction , toute l'énergie de ce grand maître. Jphigénie, représentée deux ans après, laisse dans le cœur cette majestueuse tristesse , l'ame de la tragédie : aussi fit-elle verser des larmes plus qu'aucune pièce de Racine Enfin il donna sa Phèdre en 1677 ; et *a cabale lui préféra celle du plat rimailleur Pradon t représentée deux jours après. L'injustice du public le dégoûta du théâtre ; et les sentimens de religion dont il avoit été rempli dans sa première jeunesse , se réveillant alors , il voulut se faire chartreux ; mais son directeur lui conseilla de rester dans le monde, et de l'édifier par un mariage chrétien. A peine fut-il marié , qu'il voulut se réconcilier avec messieurs de Port-Royak II alla d'abord trouver M. Nicole , qui le reçut à bras ouverts; et peu après Boileau le conduisit chez M. Arnaud. Ce célèbre docteur étoit en nombreuse compagnie lorsque Racine, humble et confus , vint se jeter à ses pieds ; Arnaud se jeta aux siens , et tous deux s'étant embrassés , se jurèrent une amitié éternelle. La religion avoit enlevé Racine à la poé-
NN AGES. 493 sie , la religion Py ramena en quelque manière. Madame de Maintenon le pria de faire une tragédie sainte , qui pût être jouée par les demoiselles de S. Cyr. H fit Esther, sujet qu'il eut l'art de rendre allégorique , en conservant dans leur intégrité les faits tirés de l'histoire sacrée. Elle fut représentée en 1689; et les allusions auxquelles elle donnoit lieu contribuèrent , plus que tout le reste , à la faire applaudir : mais dénuée de l'illusion du spectacle , elle parut froide et foibïe , et l'auteur lui-même n'en dissimula point les défauts. II entreprit donc de traiter un autre sujet tiré de l'Ecriture-Sainte , et de faire une tragédie plus parfaite. Il trouva dans le quatrième livre des rois une action intéressante , et assez de matière pour se passer d'amour, d'épisodes et de confidens. Il suppléa a la simplicité de l'intrigue par l'élégance de la poésie, par la noblesse des caractères , par la vérité des sentimens , par de grandes leçons données aux rois , aux ministres et aux courtisans , par l'heureux emploi des traits sublimes de l'Ecriture. Athatie, c'est le nom de cette pièce , fut jouée en 1691 ; et cette tragédie , ie chef-d'œuvre de la scène française , fut reçue avec froideur à la représentation et à la lecture. Racine luimême crut avoir manqué son but ; il s'en plaignit à Boileau , qui lui soutint au contraire qu?Athalie étoit son chef-d'œuvre. ■< Je m'y connois , lui » disoit-il, et le public y reviendra.» Il y revint en effet, mais ce ne fut que sous la l'égence du duc d'Orléans ; et Racine n'eut pas le. plaisir de voir accomplir la prédiction de son ami. Entièrement dégoûté du théâtre , il ne s'occupa plus que de l'histoire de Louis XI F, que ce prince l'avoit chargé d'écrire avec Boileau. Il jouissoit de tous les agrémens que peut avoir un bel esprit à la cour : le monarque le traitoit en favori. Heureux s'il eût été moins sensible à la misère du peuple 1 11 fit un mémoire solide sur les moyens de le soulager ; il le communiqua à madame de Maintenon , qui le Jtisoit lorsque Louis XIF entra chez elle. Il voulut en connoître l'auteur : Ra~ cîrie fut nommé. « De quoi se mele» t-il ? dit ce prince avec une sorte » d'humeur. Parce qu'il est poète , » veut-il être ministre ? <■ Des idées tristes , une fièvre violente , mne
�494
TABLE
H
II
TORIQUE
grément du roi et la permission du pape. Les religieux de cette abbaye vivoient dans la dissipation la plui scandaleuse. Les prédications énergiques ^ de l'abbé de Rancè y fi mit régner la règle la plus sévère. ConDu Théâtre français l'honneur et la tinuellement consacrés au travail mt'vveille t des mains , à la prière et aux plus Il sut ressusciter Sophocle en ses eJl'rayantes austérités, ces pieux réécrits ; nobites retracèrent l'image des anEt dans l'art d'enchanter les cœurs et ciens solitaires de la Thébaïde. Ram les esprits, leur donna l'exemple ; et, apm Surpasser Euripide , et balanctr Cors'être rendu semblable au dernierdu neille. monastère , en se démettant de son abbaye, il mourut couché sur la On a donné une magnifique édition cendre et sur la paille , en présence des ouvrages de ce poète inimitable de l'évêque de Séez , et de toute sa en 1765 , 3 vol. /rt-4.0 Paris. I, 107, communauté , le 26 Octobre 1700, 122 , 138, 249. II, 43 , ig3 , 486 , à Page de 74 ans. Ce réformateur 489. III, 75 , 333. célèbre a laissé plusieurs ouvrages RADMAN ( M. ) , premier pasteur de de piété , et les relations delaviect l'église suédoise érigée en Pensylvade la mort de quelques-uns de ses nie , au commencement de ce siècle. religieux. I , 458. II , 56. RAPIN ( jRene) , jésuite célèbre, s'est RAFI, capitaine sarrasin , en 633-, du immortalisé par ses poésies latiues, temps de l'empereur Uèraclius. III , dignes du siècle d'Auguste t pour 93. l'élégance et la pureté du langage, RA1MOND ( le lord ) , juge anglais. pour l'esprit et les grâces qui y réII, 363. . gnent. Son poème des Jardins est RAXCÉ ( dom Armand-Jean le Boufhilson chef-d'œuvre , et peut être placé lier de), montra tant de dispositions à côté desGcorgiques. La meilleure pour les belles-lettres , que dès l'âge édition de ces poésies estimables, de douze ans , aidé de son précepest celle de Paris , 1681 , 3 vol. in-u. teur , il publia une nouvelle édition Le père Rapin a composé plusieurs des poésies d'Artacréon , en grec , autres écrits ; et tous les six mois il avec des notes. Il devint chanoine publioit alternativement un ouvrage de Notre-Dame de Paris, obtint de littérature , et un livre de piété; plusieurs abbayes , et fut reçu docce qui fit dire à l'abbé de Lachambrt, leur en théologie , avec des applauque ce jésuite servoit Dieu et le dissemens mérités. Il se jeta dans le monde par semestre ; mais ce ne sont monde , et se livra à tous les plaisirs, point ces productions pieuses qui sans faire attention à la sainteté du porteront son nom à la postérité. Il sacerdoce dont il étoit revêtu. Enfin cessa de vivre en 1687 , à 66 ans. la grâce toucha son cœur ; mais l'on I , 122. raconte diversement l'histoire de sa RAVI5GT0N , célèbre anglais , et litteconversion. Les uns disent que, fraprateur habile , qui brûla ses manu(pé de la mort soudaine d'une dame crits avant de mourir. II, 179qu'il aimoit, et qu'il vit dans le cer- RÉGILE , épouse d'Hérode-le-Sophifr cueil , il résolut de quitter le siècle. III, n5. D'autres prétendent qu'ayant été ga- REGIS ( Pierre-Sylvain ) , philosophe ranti par sa gibecière d'un coup de cartésien ,.né en 1632 , reçu de l'«w fusil qui devoit naturellement le perdémie des sciences en 1699 , et mort cer, il s'écria : <■ Que deviendrois-je, en 1707. Il a fait un cours de phisi Dieu n'eût eu pitié de moi ? » losophie , en 3 vol. IK-4 °, qui Pw" Il est vraisemblable que ces diflerens sente une compilation judicieuse de? motifs concoururent a le faire rentrer différentes idées de Descaries. M> en lui-même. Il quitta la cour , vendit une terre cent mille écus, en REGNIEHS DESMARAIS ( François-àedonna le prix aux pauvres de l'hôtelraphin), se distingua par son esprit, dieu de Paris, se démit de ses bénéentra dans l'état ecclésiastique , eut fices , et ne conserva que son abbaye une abbaye , et mourut secrétaire ne de la Trappe , qu'il réforma avec Pal'académie française en 17j3 > à 81
maladie mortelle, furent la ces paroles. Racine expira temps après, en 1699 , à Boileau mit ces vers au bas portrait Ï
suite de peu de 60 ans. de son
�DES
^PERSONNAGES
ans. Nous avons de lui plusieurs oùétoit archevêque titulaire de cette Tirages, parmi lesquels on distingue ville. On le vit prendre séance au ses poésies françaises , italiennes et parlement avec un poignard dans sa espagnoles , et une grammaire franpoche, et dont on apercevoît la. çaise où l'on trouve le fond de ce poignée. Ce fut alors qu'un plaisant qu'on a dit de mieux sur notre landit : » Voilà le bréviaire de notre gue. I , 31S. » archevêque. » L'ambition lui avoit REGULUS ( Marcus-Attilius ) , célèbre fait souffler le feu delà guerre civile, général romain , fut consul l'an 267 l'ambition l'engagea à se raccomavant Jésus - Christ, remporta de moder avec la cour, qui lui prometgrandes victoires sur Carthage ; mais toit , pour prix de la paix , le chaayant été vaincu et fait prisonnier, peau de cardinal. Il l'obtint en effet et ayant empêché la conclusion d'un en 1651 , et bientôt après il recomtraité avec les Carthaginois , ils le mença ses cabales. On l'arrêta ; il firent expirer dans les plus horrifut mis à Vincennes , et de là dans bles supplices. I , 213 , 3o3. III, le château de Kantes , d'où il eut 2l3. l'adresse de se sauver. Après avoir REIGESBEHG ( Marie de ) , épouse du erré long-temps en Italie , en Holfameux Grolius. I , 26. lande , eu Flandre et en Angleterre, REMI ( S. ) , fut élevé sur le siège de il revint en France , fit sa paix avec Reims vers l'an 460 de J. C. Il conla cour , en se démettant de son vertit et baptisa Clofis , et l'on croit archevêché , et eut en dédommagequ'il mourut vers l'an 533. Il n'avoit ment l'abbaye de Saint-Denis. Il y que 24 ans quand il fut fait évèque vécut dans la retraite , trouva dans malgré lui. 1, 410. III , 57. son économie de quoi payer plus RENAU D'ELISAGARAY ( Bernard ) , né d'onze cent dix mille écus à ses dans le Béarn en 1652 , se distingua créanciers , et se vit en état, à la par ses talens dans les mathématifin de ses jours , de faire des penques , qu'il appliqua à la marine. Il sions à ses amis. Il mourut en 1679, fut sur mer ce que Vauban étoit sur à l'âge de 66 ans. Il nous a laissé terre , mérita la grande-croix de d'agréables mémoires écrits avec l'im. Saint-Louis.de grosses pensions, une partialité d'un philosophe, mais d'un place à l'académie des sciences de philosophe qui ne l'a pas toujours Paris, et mourut pieusement en été : il y règne un air de grandeur , 1719. Il nous a laissé une excellente une impétuosité de génie , et une théorie sur la manœuvre des vaisinégalité, qui sont l'image de sa seaux , qui fut publiée en 1689 , conduite. Ils ont été imprimés en in-8.° II , 42 , 220. 17 31 ,4 vol. Ïwi2 ; et on y joignit RENAUD , comte de Boulogne , tous en 1738 ceux de Joli et de Nemours § Louis VIII, roi de France. I , 43o. 3 vol. ih-l2. II , 332. RENAUD DE TniE , comte dé Dam- RHINSAULT ( Claude ), Allemand, goumartin , sous le règne de S. Louis. verneur de la capitale de la Gueldre 7 I, 429. pour Charles-le-IIardi, duc de BourRENAUD DE BEAUME , savant doué gogne. II, 370. d'une prodigieuse mémoire. II , 437. RICHARD, abbé de S. Vannes , sous le RENNEVILLE , gentilhomme champerègne de Henri J/, empereur d'Allenois , sous la minorité de Louis-lemagne. I , 49Grand. II, 210. RICHELIEU ( Armand du Plessis ) , né RETZ ( Jean-François-Paul de Gondi , en i585 , parut un grand homme cardinal de), né en 1613 , fut élevé dès son enfance. Il fut sacré à Rome par S. Vincent de Paul, se distingua évèque de Luçon , des l'âge de 22 dans ses études particulières et puans , et de retour en France, s'abliques , fut reçu docteur de Sorvança à la cour par la faveur de bonne, et nommé coadjuteur de son la marquise de Guercheville. La reine oncle Jean-François de Gondi, premier Marie de Mèdicis , alors régente du archevêque de Paris. Dès que Mazaroyaume , le fit son grand-aumôrin eut été mis à la tète du minisnier , puis secrétaire d'état en 1616. tère , il se déclara contre ce favori , Cette princesse ayant été exilée à et précipita le parlement dans les Blois, il l'y suivit. Lui-même fut cabales, le peuple dans la sédition. relégué à Avignon ; et ce fut penIl leva un régiment qu'on nommoit dant cette retraite qu'il composa son le Régiment de Corinthe , parce qu'il excellente méthode de controverses
495
�4g6
TABLE HI
TORIQUE
sur les principaux points de la foi , t'n-4.0 Le roi le rappela en 161 g , et par son moyen se raccommoda avec la reine sa mère. Cette réconciliation lui valut le chapeau de cardinal. Après la mort du connétable de Luynes , la reine , mise à la tète du conseil , y Ut entrer Richelieu. Elle comptoit gouverner par lui , et ne cessoit de presser son fils de l'admettre dans le ministère. Louis XIII, dévot et scrupuleux , lui reprochoit la dissolution de ses mœurs, et ce n'étoit pas sans raison. Les galanteries du cardinal étoient publiques. Il s'habilloit en cavalier; et après avoir écrit sur la théologie , il faïsoit l'amour en plumet. On prétend même que Richelieu eut l'audace de porter ses désirs jusqu'à la reine régnante , Anne d'Autriche , et que les railleries qu'il en essuya , furent le motif de son animosité contre elle. Le génie de Richelieu surmonta tous les obstacles , et les répugnances même du roi. Bientôt il supplanta tous les ministres , et fut seul à la tête des affaires , avec les titres de chef des conseils, et de grand-maitre, chef et surintendant de la navigation et du commerce de France. Résolu d'exterminer le parti des prolcstans, il crut devoir commencer par la Rochelle , devenue leur place forte , et qui formoit comme un nouvel état dans l'état même. Le cardinal se mit à la tète des troupes , et commanda durant le siège , en qualité de général. Après un au de résistance , la ville fut prise , comme le disoit Richelieu, en dépit de trois rois : du roi d'Espagne , qui avoit retiré les troupes qu'il avoit fournies d'abord ; du roi d'Angleterre, qui avoit secouru les assiégés ; et du roi de France , que les courtisans dégoùtoient de cette expédition , dans la crainte que le succès ne rendît le cardinal tropabsolu. Ce qu'ilsavoïent prévu arriva. Après avoir soumis les réformés , la récompense de Richelieu fut une patente de premier ministre , que Louis XIII écrivit de sa main , et qu'il surchargea d'éloges les plus flatteurs. Parvenu a son but , le faste du fier ministre effaça la dignité du trône. Il avoit des gardes ; tout l'extérieur royal l'accompagnoit ; et s'arrogeant l'autorité la plus absolue et la plus entière , il ne laissa à soft maître que
le privilège de guérir les écTouelles. Toutes les cabales furent écrasées sous le pouvoir de ce ministre despotique , et tous les intrigans punis. L'époque de sa grandeur fut ceUe des orages qui grondèrent sur sa tête ; mais il brava les tempêtes, et soutint sa puissance au milieu des écueils. Il eut à combattre à la fois la maison d'Autriche , les calvinistes, les grands du royaume, les favoris , la reine-mère sa bienfaitrice , la reine régnante , le frère du roi , le roi lui-même , auquel il fut toujours nécessaire , et souvent odieux : il triompha de tout, fit tout plier sous sa main implacable ; et soutenu seulement par un capucin intrigant ( le père Joseph ) , il fut l'ame de la France , le mobile de toutes les cours de l'Europe, et le seul qui, dans son siècle , put annoncer Louis-le-Grand. Au milieu des éternelles agitations de son ministère , il favorisa les arts et les cultiva lui-même ; il travailloit à des pièces de théâtre , que l'on représente it dans son palais; et on doit le regarder comme le père de la tragédie et de la comédie en France , par la passion qu'il témoigna pour ce genre de poésie , et par les faveurs dont il combloit les poètes qui s'y dislinguoient. Il fonda l'académie française et l'imprimerie loyale ; il rebâtit la Sorbonne avec une magnificence digne des plus grands monarques, et jeta les femdemens du jardin des plantes à Paris, appelé depuis le Jardin du Roi , devenu si utile à l'instruction des botanistes , des chimistes et des médecins. Cet homme célèbre par ses défauts- et par ses qualités , ainsi que par les biens et les maux qu'il fit à la France , mourut en i6"42i à 58 ans. La terre de Richelieu fut érigée, en sa faveur , en duchépairie. Il y joignit les titres de due de Fronsac , de gouverneur de Bretagne , d'amiral de France , d'abbégénéral de Cluny , de Cite aux, de Prémontré , etc. ; il ne lui manqua que celui de roi , mais il en avoit la réalité. Il a laissé un grand nomLre d'écrits , parmi lesquels on distingue son Testament politique , dont la meilleure édition est celle de l'abbe de Suint-Pierre , 1737 * 2 vol. in-} 2 ; son Journal , qui , avec sa Vie par Jean Leclerc , forme 5 vol. in-12. , 1753 v et ses Lettres , dont
�DES
FERS' )& NAGES*
497
*" 18ont la plus ample édition est celle de 1696 , en 2 vol. in-12. 1, 110 , 3 11, n3 , 268 , 448. II , 206. III , 71, 99 » , 331.
RlSPERNON ( le duc de ), personnage distrait, et dont. l'existence n'est peut-être jjas réelle. II , 478. RlVEROLES ( le marquis de ), mort officier-général des armées du roi. III , 161. RIVIÈRE ( te sire de la ) , chambellan et favori de Charles V, roi dcFrance. 1,286. . ROANNÊS ( le duc ) , seigneur français sous le règne de Louis - le - Grand. II , 34o. ROBERT , roi de France , surnommé le Dévot, le Droit et le Sage , parvint à la couronne en 997 , après la mort de H"ugues Capel son père. Il mourut en_io3i , à 60 ans. Nous avons de lui plusieurs hymnes que l'on chante encore dans l'Eglise. I , 423 , 424. III , 22. ROBERT D'ANJOU , dit le Sage et leBon^ roi de Naples et de Sicile, monta . sur le trône en 1309 , protégea les lettres , les cultiva lui-même , et mourut en 1343 , à 64 ans. I , 1247. ROBERT , fils de Guillaume-le-Conquérant , succéda à son père dans le duché de Normandie en 1087, et se fit aimer de ses sujets. I', 134 , 167. ROBERT D'ARBRISSEL , prêcha avec tant de succès à Angers , qu'en peu de temps il fut suivi par une infinité de personnes de l'un et de l'autre sexe. Il leur bâtit des cellules dans ; les bois de Fontevrault, et fut le fondateur de l'ordre de ce nom , vers l'an 1100. Ses disciples dévoient (/appeler pauvres de Jésus-Christ , . et obéir aux femmes , qui enétoient . les servantes. Il mouxuit en 1117, au prieuré d'Orsan. I , 467. ROBERT DE LAYET, citoyen de Rouen , se livra pour sauver cette ville , en n 1419 i à la vengeance de Henri V% loi d'Angleterre, I , 225. ïtOBERT v:jeune marseillais , se distin. gua par sa piété filiale, et mérita les bienfaits de Montesqxïieu. 1, 15g. ROCHE-DU-MAIÎTE.( la ) , officier français, fait prisonnier à la bataille de • Pavie. I , 261.: I ^ R'OCHEEOUCAULT ( le ,comte de la), beau-frère du prince de Condé, chef . des protestans , l'accompagna à la - bataille de Jarnac. III , 289. RODOLPHE de Hapsbourg , empereur d'Allemagne , surnommé le Clément , fut placé sur le trône germanique ,
en 1273. Il fut politique rusé * .un peu double , guerrier heureux: mais il nç conserva pas ses conquêtes » , qu'il céda pour de l'argent. II mourut en 1291 , à 73 ans. II , 366. ROHAUT ( Jacques ) , célèbre partisan de Descaries , dont il enseigna la philosophie à Paris , où il mourut eii i6?5 , à 55 ans. On a de lui un excellent Traité de Physique , un Traité de Mécanique très-curieux^ et plusieurs autres ouvrages. 1, 462. Roi ( Pierre-Charles ) , poète lyrique etchevalier de Saint-Michel, a.laissc plusieurs opéra., et un recueil de poésies , parmi lesquelles se trouve sur la maladie de Louis XF, un poème qui donna lieu à cette épigramme : Notre monarque , après sa maladie , Étoit à Metz , attaqué d'insomnie: . Ah ! que de gens l'auroient guéri d'abord ! Roi le poète à Paris versifie ; La pièce arrive , on la lit , le roi dort. ; De Saint-Michel la Muse soit bénie ! Roi mourut en 1763 , peu regretté des, gens de lettres , qu'il avoit presque toujours satirisés. I , 3i5. ROLAND, un de ces preux chevaliers dont parlent nos, anciens romans. II , Hi ROLLAND DE ROSSI , fut choisi pour souverain en. 1404 , par les habitans de Parme. I , 123. ROLLIN 'Charles), fils d'un coutelier de Paris , fut reçu maître dès son enfance; mais Bientôt il quitta l'antre des Cyclopes pour monter sur le Parnasse ; et ses lalens lui firent . une réputation qui le plaça dans les chaires de seconde et de rhétorique , puis dans celle d'éloquence au collège royal. Il fut, recteur de l'université en 1694 , et ranima l'étude de la langue grecque dans ce^te compagnie si célèbre et si utile. Il fut fait principal du collège de . Beauvais , et montra dans ce nouveau poste la tendre sollicitude d'un père pour l'éducation de la jeunesse qui étoit confiée à son zèle. Non content de 1»'former par ses conseils , il voulut encore l'instruire par ses écrits. C'est à ce , noble motif qu'on doit le Traité des Etudes, 4 vol. in-12. , VHistoire Anciennet i3 vol. ift-12., et l'Histoire Romaine t 16 vol. in'i2. i continuée depuis par
Tome IIL
�4<)8
TABLE
H I
STORIQUE
M. Crevier son disciple. Ces proenvoya. La reine d'Ecosse , Marte ductions utiles lui ouvrirent les Stùari charmée de ses vers, deportes de l'académie des inscripvint Pémule des Toulousains > et lui tions. Il mourut à Paris en 1741 T donna un riche buffet qui contenoit âgé de 80 ans. II, in, 160. III,112. un vase; représentant te Parnasse , ROLLON, chef de ces Danois ou Noravec cette inscription : mands qui firent tant de courses et de ravages en France dans le neuA Ronsard PApollon et la source vième et le dixième siècle. Charles-ledes Muses. Simple fit la paix avec lui en 912 , lui donna Gisèle sa fille en mariage , Tant d'honneurs lui firent croire avec la partie de la Neustrie appelée qu'il en étoit digne ; et plus vain depuis Normandie, à condition qu'il encore que ne le sont ordinairement - en feroit hommage , et qu'il se feroit les poètes , il ne parloit que de son chrétien. Hollon y consentit ( se fit talent, et faisoit observer qu'il étoit baptiser , prit le nom de Robert , né l'année même de la défaite de régna sagement, et mourut en 917 , François I devant Pavie : * Comme après avoir montré sur le trône au»• si le Ciel , ajoutoit-il, avoit voutant d'équité qu'il avoit fait éclater » lu par là dédommager la France de courage dans les combats. III, ig3. » de ses pertes. » Il s'attacha à LaROMAIN - DlOGKNE fut élu empereur tare Baïf , partagea ses travaux litde Constantinople après l'abdication téraires , lisant jusqu'à deux heures de Michel Paraj/inaee , en 1068. II , après minuit ; et en se couchant il fut fait prisonnier par Alp-Arslan , réveilloit BaïJ , qui prenoit sa placo, second sultan des Turcs-Seljoncides, Ainsi ces deux littérateurs entreté"■to ïoji. Délivi-é bientôt après de sa noient les Musas à tour de rôle. Ron~ captivité, il revint à Constantinople, tard xnomut en i585 , à 61 ans. où Michel, qui étkût rémonté sur le I , 250. trône , lui fit crever les yeux. Il sur- ROQITELAURE ( Gaston duc de ) , gagna vécut peu à cette disgrâce. I , 484. l'estime de Louis XIV, par ses serROMAIN , soldat des armées de Julien vices et par ses plaisanteries. Il VApostat. III , 14g. mourut en i683, à 68 ans. On a ROMILDE , duchesse de Frioul, mère imprimé ses bons mots sous le titre à'Appa et deGéla: I , 478. de Momus français. I , 3i3. III , 72. ROMUALD ( St. ), fondateur et premier ROSE ( Guillaume ) , prédicateur de abbé de l'ordre des Camaldules ,■ né Henri III , fut évèque de Senlis , à Ravenne vers Pan 952 , d'une et le ligueur le plus fanatique de famille ducale, moulut en 1027 , son temps. Il se rendit redoutable ' au monastère de Camaldoli en Tosà son souverain même, et fut obligé cane , qu'il avoit'fondé, et qui avoit de faire amende honorable en i5g8t donné son nom à'l'ordre dont il fut à la grand'chambre avec ses habits l'instituteur, III, 25. épiscopaux , n'ayant pas voulu les ROMULUS , fondateur- et premier roi quitter. Il mourut en 1602. I, 322. de Rome , étoit frère de ifemi/j 'et ROSE ( le président ) , de l'académie fils deRhea etSjylvia , fille deAumitor, française. 1, 315. roi d'Aibe. Ce prince fonda Rome Rossi ( Blanche de ) , dame illustre de vers l'an 752 avant J. C. , fit des la ville de Padoue. I , 128. conquêtes , régna en législateur 'et ROTROU ( Jean de ) , né à Dreux en eu guerrier, et mourut vers l'an 1609, se distingua du commun des 715 avant Père chrétienne, il , 43. poètes par ses pièces de théâtre , et III ,196. Corneille Pappeloit son père dans la RONSARD ( Pierre), né en Ï524 , cultragédie. Nous avons de lui trentetiva les Muses françaises avec tant sept pièces , parmi lesquelles VAnd'application et de succès pour son ligone et le Fenceslas tiennent le siècle , qu'on l'appela le Prince des premier rang. Les meilleures se trouPoètes. Ayant mérité le premier prix vent dans le théâtre français , 1737 , des jeux floraux , on regarda la ré52 vol. /H-12. Ce poète est estimable compense comme inférieure au mépar l'élévation de ses sentimens, rite de l'ouvrage et à la réputation par l'heureux contraste des caracde son auteur ; la ville de Toulouse tères , par la force du style : il nfi fit faire une Minerve d'argent massif, lui manquoit que la correction du et d'un prix considérable qu'elle lui
e et la régularité des plans*
�DESPERS ON NAGES*
499
Turin , et enfin cardinal en 1564 , Quoique Corneille fut devenu son rimourut en i5g2 , à 62 ans. I , 6gg. Val , quoique Rotronvit que les talens de cet émule eflaeeroient les siens , RùXBURGH ( le duc de) , pair d'Angleterre , qui assista aux funérailles il ne cessa pas de lui rendre justice, de JSewfon. II , 176. de l'admirer , et d'être son ami. Il fut le seul qui ne se prêta point à RUBRIUS-FLAVIUS , citoyen romain. II , 299. la cabale que le cardinal dé Richelieu avoit formée contre le Cid , et RUFIN (, Flavius ), né dans l'obscurité , mais doué d'un esprit élevé , souple, cependant il étoit pensionne par ce insinuant , poli , se fit connoitre de ministre. Il fut revêtu de toutes les Théoduse-le-Ùrand, et parvint à lui magistratures de la ville de Dreux, et plaire, moins par son mérite que par mourut victime de son patriotisme son adresse. Ce prince le combla de en i65o , âgé de 41 ans. 1 , 324. Il, grâces et d'honneurs, et le créa con33i. sul en 392 , avec Arcadius son fils. ROUE ( la ) , capitaine français, joueur e Il abusa de la confiance de l'empeintrépide dans le 16. siècle. II , 337reur ; mais il eut l'art de cacher ses ROUSSBOURGER ( Xavier et Jean ) , frèdéprédations. Il se lit baptiser avec res de la communauté de HeimersUn faste révoltant , deux ans après dorf. I, i65/ son consulat ; et quand Théodose eut ROUSSEAU ( Jean-Jacques) , citoyen de cessé de vivre , irrité de voir StiliGenève, né dans cette ville en i'/og, cou plus puissant que lui , il résolut montra de bonne heure ce qu'il sede se mettre sur le trône. Les Goths roit un jour. Quoiqu'il eût reçu de et autres barbares furent appelés la nature les talens les plus rares , il dans l'empire ; lui même les invita ne voulut les faire éclater qu'après à désoler les provinces , afin de proles avoir long-temps exercés dans le fiter du trouble que leurs ravages silence; il ne s'est fait voir au puferoient naître. Sa perfidie fut découblic que quand il s'est cru capable verte : on l'arrêta en 3y5. Son corps de l'étonner par ses premiers essais , fut mis en pièces ; et sa tète portée et de nourrir son admiration par de au bout d'une lance, donna au peunouveaux chefs-d'œuvre. Nous n'aple , qui le haïssoit, l'agréaLle specvons point eu jusqu'ici d'auteur plus tacle d'un tyran qui n'est plus. III „ éloquent, plus vigoureux; la mâle énergie de son style l'a placé à côté 36. de Démosihène , et les grâces de sa RUEIN , solitaire d'Egypte. III , 326. plume , la force et la précision de ses RUFUS C Publius-Rutilius ), consul romain , l'an io5 avant J. C, I , H3, raisonnemens l'ont mis au-dessus de 212. Cicéron. Heureux cet écrivain célèbre, si, plus judicieux dans le choix RUFUS, sénateur romain , du temps d'Auguste. I , 326. de ses sujets , il se fut défié de la manie des paradoxes! Il eut de nom- RUYSCH C Frédéric ), né à la Haye' en i638 , se rendit célèbre par .ses probreux ennemis , maïs un plus grand grès dans l'anatomie , dans la médenombre d'admirateurs. En le plaicine, dans l'histoire naturelle , et gnant de ses erreurs , de ses illusions, plus encore par les découvertes nomen riant même de ses singularités, breuses dont il enrichit ces sciences le public a respecté les qualités de utiles. II mourut en 1731 , à 93 ans. son cœur ; et la postérité rendra touII, 245. jours justice à son mérite. Il mourut près de Paris en 1778. I, 119. II, 269. RUY-SOUZA , seigneur de la cour de Jean II, roi de Portugal. 1, 56. ROVERE ( Jérôme de la ) , évèque de Toulon en 15 5 9 , puis archevêque de
SABINUS
, prince gaulois , se fit déclarer ' empereur sous le règne de Vespasion. I , 124. SABÏNUS ( Titus ) , Romain qui fut précipité d'ans le Tibre , et qui n'est connu que pur la fidélité de son chien. III, 129. SABUÈRE ( madame de la ) , vécut
sous le règne de Louis XIV, et s'illustra par l'asile qu'elle donna a la Fontaine pendant près de 20 ans. II, 486. SACAS , échanson d'Aslyage , roi des Mèdes. II, 43o. SADI, philosophe et poète persan , qui vivait après le règne de Chosfoçs I\
H
2
�500
TABLE
H I
TORIQUE
dit le Grand. I , 285 , 45g. H , 43 , 97, na , i35 , 191. SAINT-AlGNAN ( François de Beauvilliersy duc de ) , né en 1607 , mérita par ses succès dans la poésie légère une place à l'académie française. Il mourut en 1687 , regretté comme l'un des seigneurs les plus agréables de la cour de Louis-le-Grand. I, g2. III, 106. SAINT-ANDRÉ ( Jacques d'Albon , seigneur de ) , l'un de plus grands capitaines du seizième siècle , mérita par ses services le bâton de maréchal de France, et fut tué en i56z , d'un coup de pistolet , par Bobigni de Alézières, à la bataille de Dreux. II , i57. SAINT-ANDRÉ ( le marquis de ), seigneur français du siècle de Louis-feGrand, sous le ministère de Louvois. I , 62. SAINT-FAL , lieutenant du duc de Guise en 1554, à la bataille de Renti. II, ig3. SAINT-HILAIRE ( M. de) , lieutenantgénéral de l'artillerie, sous le maréchal de Turenne. I , 2.27. SAINT-LEU , commandant des troupes catholiques en Saintonge , sous le règne de Henri III, roi de France. I , 3o2. SAINT-PHAL , gentilhomme français , sous le règne de Henri-le-Grand. I , 110. SAINT-PIERRE ( Charles-Irênèe-Caslel de ), né en i658, se distingua par la profondeur de ses coimoissances politiques , fut reçu de l'académie française, et mourut en J74.3. Il avoit été premier aumônier de Madame , et possédoit l'abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron. On a recueilli tous ses ouvrages en 1744 , et leur collection forme 18 vol. in-12. III, 223. SAINT - POL ( François de Bourbon , comte de ), fils de François de Bout" bon , comte de Vendôme , signala son courage à la bataille de Mari* gnan , secourut Mézières , vainquit les Anglais , se trouva à la funeste journée de Pavie, etmouruten 1545, à 54 ans. 1, 260. SALISBURY ( le comte de ) , seigneur anglais , l'un des exécuteurs de la sentence qui condamnoit à mort Marie Stuart , reine d'Ecosse. II , i3o. SALLUSTE ( Caùis-Crispus ) , historien latin , fut élevé à Rome , où il parvint aux premières dignités. Ses
mœurs étoient si dépravées, qu'iî fut noté d'infamie et dégradé du rang de sénateur. Milon l'ayant surpris en adultère , il fut fouetté et condamné à une amende. Il dissipa tous ses biens par des débauches accumulées; et, pour rappeler la fortune , il s'engagea dans le parti de César , qui , après l'avoir rétabli dans le sénat, lui donna le gouvernement de Numidie , où il amassa d'immenses richesses par les injustices les plus criantes. Il lit bâtir à Rome une maison magnifique, et forma un jardin délicieux dont on voit encore des débris , et qui porte le nom de son ancien maître. Il faut croire qu'il répudia tous ses vices ; car aucun écrivain n'a parlé plus fortement pour la vertu. En lisant ses ouvrages , on les prendroit pour les chefs-d'œuvre du philosophe le plus austère , et l'on ne peut soupçonner qu'ils sont sortis de la plume de l'épicurien le plus effréné. Il mourut 35 ans avant l'ère chrétienne, haï et méprisé pour ses mœurs , maii estimé pour ses talens. Des histoires qu'il avoit écrites , il ne nous reste que celles de la Conjuration de Catilina et de la Guerre de Jugurtha, Son, style est plein de précision et d'énergie : il pense fortement et noblement, dit Bollin , et écrit comme il pense. On peut le comparer, ajoutet-il, à ces ileuves qui , ayant leur lit plus resserré que les autres, ont aussi leurs eaux plus profondes. On ne sait ce qu'on doit admirer davantage dans cet auteur , ou les descriptions, ou les portraits , ou les harangues ; car il réussit également dans toutes ces parties. On a fait un grand nombre d'éditions de ses œuvres : les plus estimées sont celles de Cambridge , 1710 , /n-4.0 ; à'Elzevier , 1634 . in-iz., etdeBarbou, réimprimée en 1761. II, 121, SALMANAZAR monta sur le trône d'Assyrie l'an 729 avant J. C. Il prit Samarie , emmena les Israélites en captivité, et mourut l'an 714 avant l'ère chrétienne. I, 270. SALO ( Denis de ) , conseiller au parlement de Paris. Il est le premier auteur du Journal des Savans , qu'il commença à publier en 1665 , sous le nom du sieur d'Hédouville. Il mourut en 166g , âgé de 43 ans , de douleur d'avoir perdu 100 mille écus au jeu. 1 , 456. SALOMON, fils de David et <\eBeihsabée %
i
�DES
PERS OKNAGES.
-$urccda à son père sur le trône SANCY (Nicolas de lïut&\ d'Israël, bâtit le fameux temple de de ) , surintendant\ Jérusalem , et reçut le don de sades bâtimens , colon gesse et d'intelligence; mais dans la Suisses , etc., se distfft suite son cœur s'ouvrit à tous les vitalens et par son méri ces , et le plus sage des hommes en grands services aux rois Henri III et devint le plus corrompu. Il est sûr Henri IF', et mourut en 162g , après qu'il péiha, mais il n'est pas sur avoir abjuré le calvinisme. II , 64, qu'il lit pénitence. Il mourut l'an 212. 975 avant J. C. , après 40 ans de rè- SANNAZAR (Jacques), né en 1458, prit gne. I, 3.1, 297. II, 366. III, 41. le surnom d'Actius-Sincerus. Il s'apSALVius , évèque d'Albi, sous le rèpliqua aux belles-lettres, et sur-tout gne de Ckilpéric I, roi de France. I, à la poésie latine et italienne. Il con4i5. çut tant de chagrin de ce que PhiliSAHSON, juge et libérateur des Juifs, bert de Nassau , prince d'Orange , né vers l'an 1155 avant J. C., se dégénéral de l'armée de l'empereur , clara implacable ennemi des Philisavoit ruiné sa maison de campagne , tins. Un jour il en tua une multiqu'il en contracta une maladie dont tude avec une mâchoire d'âne- H il mourut en i53o. On assure ruina leur pays, dévasta leurs camqu'ayant appris, peu de jours avant pagnes ; mais , trompé par les casa mort, que ce prince avoit été tué, resses de Dalila, il lui découvrit que il s'écria : Je mourrai content , la force dont il étoit doué étoit atta» puisque Mais a puni ce barbare chée à l'intégrité de ses cheveux. » ennemi des Muses. » Le recueil Cette femme les lui coupa pendant de ses poésies latines, parmi lesquelson sommeil, et le livra aux Philisles on estime sur-tout son poème de tins qui lui crevèrent les yeux, et le Partu Virgiriis , et ses égloguifs , a condamnèrent à tourner une meule. été imprimé a Venise chez les Aides Durant sa prison , sa chevelure en 1535 , Ï7Ï-8.°( et à Amsterdam , commençant à renaître, ses forces 1728, aussi rn-8.° Ses pièces italienrevinrent avec elle. Ses ennemis vounes , dont la plus célèbre est son Ar* lurent jouir de son humiliation, et radie, ont été recueillies séparément. le mandèrent dans une salle où ils I , 3o8 , 442. faîsoient un festin somptueux. Sam- SANTA-CRUX ( le comte de ), capitaine son s'y laissa conduire , et saisissant espagnol, sous le règne de Philippe les deux colonnes qui soutenoient la roi d'Espagne, II, 219. salle , il les ébranla de telle sorte, SANTEU1L ( /. Bapt. de ) , né en 163o F que tout l'édiûce s'écroula , et le fit après avoir fait ses études à Paris , périr lui-même avec tous ceux qui entra chez les chanoines de S. Victor , y étoient rassemblés, vers l'an 1117 et se livra tout entier à la poésie laavant l'ère chrétienne. II, 111 , 3o2. tine , pour laquelle il avoit une pasSAMUEL , prophète, juge et gouversion extraordinaire. Né avec le vérineur d'Israël , naquit l'an 113g avant table enthousiasme des enfans d'ApolJ. C. et défit les Philistins à l'âge de lon , il en eut aussi les travers. Il 40 ans, sacra Sa'ùl roi d'Israël, par parloit comme un fou , et pensoit l'ordre de Dieu ; et quand ce prince comme un sage. Il n'attendoit pas eut été rejeté pour avoir désobéi qu'on louât ses vers ; il en étoit touau Seigneur , il donna l'onction jours le premier admirateur; il répéroyale à David , jeune berger que toit souvent : >- Je ne suis qu'un Dieu s'étoit choisi pour régner sur ■• atome , je ne suis rien ; mais si je son peuple. Samuel mourut en 1061 » savois avoir fait un mauvais vers , avant J. C. 1, 16. » j'irois tout-à-I'heure me pendre à SANCTORIUS , célèbre professeur de » la Grève. » Ses poésies sacrées et médecine en l'université dePadoue, profanes sont en elfet des chefsau commencement du dix-septième d'œuvre , pour la plupart. On y adsiècle , s'est illustré par ses découmire la noblesse et l'élévation des vertes et par ses écrits. Son meilleur senlimens , la hardiesse et la beauté ouvrage est celui qu'il a intitulé des images, la vivacité des pensées, de Médicind staticâ , dont l'édition la l'énergie et la justesse de l'expresplus estimée est celle qu'a donnée sion , la correction et la pureté du : M. Lorry en 1770 , 1 vol. in-12. II, style. Elles ont toutes été recueillies
ii 3
�502
TABLE
HI STORIQUE ques heures le matin , qu'en lui promettant de le laisser monter a cheval toute l'après-midi. Dès l'âge de 12 ans il se trouva au siège de Lille , et monta plusieurs fois à la tranchée. Il manqua de périr au siège de Tournai en 1709 , et le danger ne ralentit pas son intrépidité. Bientôt après il se trouva à la sanglante bataille de Malplaquet ; et loiu d'être rebuté par l'horrible carnage de ce combat, il dit le loir : « Je suis content de ma journée. La campagne de 1710 acquit à ce héros enfant un nouveau surcroît de gloire. Le prince Eugène et le duc de Malborough firent publiquement son éloge. Sa valeur n'éclata pas moins en 1712 à la journée de Gadelbush t où il eut un cheval tué sous lui , après avoir ramené trois fois à la charge un régiment de cavalerie qu'il commandoit alors. A la fin de cette campagne , sa mère le maria avec la jeune comtesse de Loben , demoiselle riche et fort aimable, qui portoit le nom de Victoire. Le comte de Saxe a dit depuis que ce nom avoit autant contribué à le décider pour cette dame, que sa beauté et ses grands revenus. Il en eut un fils qui mourut jeune. Dans la suite, s'étant brouillé avec elle, il fit dissoudre son mariage. En j 715, s'étant rendu au siège de Stralsund , la plus forte place de la Peméranie, et dans laquelle Charles XII s'étoit renfermé, il eut la satisfaction de voir ce monarque, redoutable encore après ses défaites, au milii'U de ses grenadiers , et vêtu comme eux. Il conçut pour ce prince une vénération qu'il a toujours conservee depuis. Le calme ayant été rendu à l'Europe , le comte de Saxe passa en France en I720 , pour y jouir des douceurs de la société. Le duc d'Orléans , régent, le fixa dous le royaume , par un brevet de maréchal-de-camp. En 1726, les Fiançais furent menacés de perdre ce héros , que les Etats de Courtaude venoient de choisir pour leur souverain. La diète de Pologne traversa cette élection ; et l'année suivante , il fut contraint par les Russes de sortir de ce duché. Le comte , déchargé du fardeau de gouverner les hommes , revint en France ; et entièrement livré aux mathématiques , il y composa en treize nuits , et pendant les accès d'une fièvre, ses
en 3 vol. in-12 , Paris, 1739. Santeuil mourut en 1697. I, 122. SAPERIUs, soldat romain, qui signala sa bravoure eu 58 7 au siège de Béjude. Ilï, 3i3. SAPPHIRA , dame flamande, sous Charles-le-Hardi, duc de Bourgogne. It , 370. SAPRICE , prêtre chrétien , au troisième siècle. III, 21. SARDANAPALE , roi d'Assyrie , dont la mollesse et les infâmes débauches sont passées en proverbe, ne s'occupoit qu'à filer au milieu de ses femmes et de ses concubines , fardé et habillé comme elles. Honteux -d'obéir à un tel prince , les grands de son royaume se révoltèrent, et l'assiégèrent dans Ninive pendant 2 ans. Le volupteux monarque se voyant sur le point de tomber entre les mains de ses sujets rebelles, fit dresser un bûcher magnifique au milieu de son palais , et s'y jeta avec ses maîtresses , ses eunuques et ses trésors , vers l'an 767 avant J. C. I , 3g5. SARPEDON , précepteur de Caton d'Utique. II, 56. SATIBARZANE , favori à' ArtaxerxesMué/non, roi de Perse. I, 94. SATURNINUS ( Lucius-A/mleius ),. Romain y qui , ayant tué son compétiteur , se lit élire tribun du peuple f l'an 101 avant J. C. et périt l'année suivante par ordre de Marias , alors consul. 1, 216. SATURNINUS , ancien préteur romain , sous l'empire de CaJigula. I, 368. SATYRUS, comédien athénien , contemporain de Démoslhène. II , 272. 5AÙL , fils de Çis , homme riche et puissant , de la tribu de Benjamin , fut sacré roi d'Israël par le prophète Samuiil. , l'an 1079 avant J. C. Tant qu'il suivit la volonté divine, il prospéra ; mais ayant plusieurs fois désobéi au Tout-Puissant, il devint le plus infortunédes princes, et fut tué avec presque toute sa famille dans une bataille contre les Philistins , l'an 1059 avant l'ère chrétienne. III, ' IV. n , chambellan de Charles VI ,H roi de France. II, 227. SAXE l Maurice , comte de ) , fils naturel de Frédéric-Auguste II, électeur de Saxe , roi de Pologne et de la comtesse de Konigsinarh, naquit en 1696. Sou enfance annonça un guerrier. Sans guut pour l'étude, on ne parvint à l'y appliquer quelSAVOISI
�DES
PERSONNAGES.
5o3
Mëoeries , ouvrage digne de César et de Condc. -Il refusa en 1733 le commandement de l'armée polonaise , que le roi son frère , qui veuoit de succéder à Auguste , lui offrit ; et aimant mieux combattre contre ce prince , que de quitter le service de la Fiance , il se signala sur le Rhin sous les ordres du duc de Berwick. Quand ce générai le vit arriver : ••Comte, lui dit-il, j'ai lois faire * venir trois mille hommes, mais » vous me valez seul ce renfort.» Ses services toujours heureux lui méritèrent le bâton de maréchal de France en 1744 , et il commanda en chef un corps d'armée en Flandre. Cette campagne, le chef-d'œuvre de l'art militaire , fit placer le nouveau maréchal à coté de Turenne. L'année 1745 fut encore plus glorieuse. Il alla prendre , quoique très-malade , le commandement de l'armée française dans les Pays-Bas. Quelqu'un le voyant dans cet état de foiblcsse avant son départ de Paris , lui demanda comment il ponvoit se charger d'une si grande entreprise. i> Il » ne s'agit pas de vivre, répoudit-il, *• mais de partir. » La victoire de Fontenoy , due principalement à sa vigilance et à sa capacité , fut suivie de la prise de Tournay , de Bruges , d'Ostende ,. de Gand , d'Oudenarde , d'Ath et de Bruxelles. Le roi lui donna des lettres de naturalisation conçues dans les termes les plus flatteurs ; et après la victoire de Raucoux , il lui fit présent de six pièces de canon , et le créa maréchalgénéral de toutes ses armées en 1747. L'année suivante fut marquée par des succès brillans , et sur-tout par la prise de Mastricht. La Hollande épouvantée trembla pour ses Etats , et demanda la paix après l'avoir refusée. Elle fut conclue la même année , et on peut dire que l'Europe dut son repos à la valeur du maréchal de Saxe. La patrie le perdit en 1750 , à 54 ans. Il avoit été élevé et il mourut dans la religion luthérienne. « Il est bien fâcheux , » dit une grande princesse en apprenant sa mort, « qu'on ne puisse pas dire » un De projundis pour un homme » qui a fait chanter tant de Te »' Deurn, » III, 142. SCAMfiER ( Joseph-Juste) , né à Agen en i54o , littérateur aussi érudit que vain et présomptueux. Il mourut en
*6on , âgé de 6g ans. 1, 67g , 680. 11 , 438. SCARRON' C Paul ) , né à Paris en 1610 , se livra à la poésie burlesque. Devenu infirme , et ne pouvant plus marcher , il ne perdit rien de sa gaieté , il demanda à la reine la permission, d'être son malade en titre d'office ; cette princesse sourit , et Scarron regardant ce souris comme un brevet , prit le titre de : Scarron , par la grâce de Dieu , malade indigne de la Reine. II obtint de Mazarin une pension de 5no écus , que ses satires firent bientôt supprimer.Son mariage en I65I avec mademoiselle d'Auhi gné'i depuis madame de Mainlenon ) augmenta ses plaisirs sans accroître sa fortune- Le peu d'économie qu'il observoiL dans sa maison , le réduisit en peu de temps à quelques rentes viagères , et aux revenus de son marquisat de Quinet. C'est ainsi qu'il appeloit le modique produit de ses livres , du nom du libraire qui les vendoit. Dans l'abondance, il dédioit ses livres à la levrette de sa sœur ; et dans le besoin , à quelque Monseigneur , qu'il louoit davantage et qu'il estimoi t moins. Il parle ainsi au roi , dans la dédicace de D. Japhet d'Arménie ; i' Je tâcherai de persuader à » Votre Majesté qu'elle ne se feroit » pas grand tort si elle me faisoit ■» un peu de bien : je serois plus gai >■ que je ne suis. Si j'étois plus :gai » que je ne suis , je ferois des comë•• dies enjouées. Si je faisois des co» medies enjouées , Votre Majesté » en seroit divertie : si elle en étoit divertie , son argent ne çeroit pas » perdu. Tout cela conclut si néces>■ sairumeiit,qu'il me semble que j'en » serois persuadé si j'étois un grand » roi comme je ne suis qu'un pauvre •■ malheureux.-Il porta l'enjouement jusqu'au bord du tombeau. Surpris d'un hoquet violent , on craignit qu'il n'expirât ; cet accident diminua ; «■ Si j'en reviens , dit-il, je ferai une >■ belle satire contre le hoquet. >■ Ses parens , ses domestiques fondoient en larmes au chevet de son lit : « Mes enfans , leur dit-il, je ne vpus » ferai jamais autant pleurer que je » vous ai fait rire. » Et un moment avant que d'expirer, il s'écria ; « Je » n'aurois jamais cru qu'il fût si aisé » de se moquer de la mort. » Il rendit le dernier soupir en 1660. Tousses ouvrages ont été recueillis par
�5o4
TABLE
HI STORIQVE ( Pubtius-sEmilianus) , appelé l'Africain-le-Jeune, lils de Paul-Emile, et adopté par Scipion LUIS du premier Africain , détruisit Carthage et rïumance ; et après avoir été deux fois consul, il mourut dans son lit, assassiné par les Gracques , selon les uns , et suivant d'autres , empoisonné par leur mère Cornélie 3 et par sa propre femme. I , 99. II, 242, ,-i94. SCIPION-NsASICA ( Pnblius-Cornelius ) , célèbre sénateur romain , cousin du premier Scipion I'Africain , fut censeur avec ïflarcus-Papirius , et devint consul avec Caius-Lclius , l'an 190 avant J.,t. II, 241 , 287. III, 194. ScirioN , général des troupes républicaines , du temps de Pompée et de César. I, 342 , 35i. III, 3oo. Sci'DERI ( Magdeleine de ) , demoiselle célèbre par son esprit et ses volumineuses productions, naquit en 1607, et fut auteur par nécessité. Tout concourut à faire parler d'elle : les agrémens de son imagination , son extrême laideur, et sur-tout les romans dont elle inonda le public. C'est elle qui remporta le premier çi'ix d'éloquence que l'académie française ait donné. Elle fut honorée du titre de Sapho de son siècle , et mourut en 1701, âgée de 94 ans. II, 3y5. SCYHJRE , roi des Scythes , donna à ses enfans une excellente leçon poulies porter à la concorde. II , 468. SCYTHES , Lacédémonien qa'Agési/aste-Grand députa vers les habitans de Larisse. II, 455. SÉBASTIEN ( S. ) , martyrisé en 288 , le 20 Janvier. II, 494. SÉBASTIEN ( Jean Truchet , dit le Père ) , né à Lyon en 1657 3 entra dans l'ordre des Carmes , s'adonna tout entier à la mécanique , s'y fit un grand nom , fut membre honoraire de l'académie des sciences de Paris, et mourut en 172g. Sa candeur sa modestie , et son extrême douceur, firent dire de lui par un grand prince , qu'il étoit aussi simple que ses macliines. I , 269. III , l5o. SECOND ( Jean-Evrard ) , poète latin, né à la Haye en 1511 , et mort à Utrecht en ï536 , à 25 ans. II, 183. SEÏFEDDULAT , sultan de Syrie. III , 239 ) 453. SÉJAN ( Mlius ) , favori et ministro de l'empereur Tibère , n'usa de son pouvoir que pour faire périr pur ses artifices les premières personnes de l'empire. Il porta l'audace jusqu'à
SCIPION
Bruzen de la Martinière, en 10 vol. in-12. Excepté le Banian Comique , et quelques morceaux du Virgile travesti , on trouve dans tout le reste trois bonnes plaisanteries pour vingt platitudes. I, 204. II, 432. SCÉVA , Komain , centurion de l'armée de Jules-César. III , 3oo. ScÉVOLA , sénateur romain , du temps de Sylla. II, 129. SCÉVOLA ( Quintus ) , sénateur romain , beau-père du consul Lticius-Licinus Crassus. II, 418. SCHACABAC , musulman. I , 494. SCHAFELAAR ( Jean ) , capitaine hollandais en 1482 , célèbre par son patriotisme. II, 312. SCHAH - CULI , musicien musulman , sous le règne à'Amurat IV, empereur des Turcs. III, 238. SCHAHROCH , un des lils de Tamerlan , III ,119. SCHILEK (le comte de), capitaine des Trabans de la garde de Léopold I, empereur d'Allemagne. II , i34-' SCHOMBERG ( Théodoric ), dit le colonel Tische, chef des Reîtres , sous Henri IVy et tué à la bataille d'Ivry. II J 194. SCHOMBERG ( Frédéric 'Armand de ) , l'un des plus habiles généraux du dix'septième siècle , mérita par sa valeur le bâton de maréchal de France, quoiqu'il fût protestant. La religion qu'il professoit ayant été abolie en France , il passa en Angleterre avec Henri-Guillaume , prince d'Orange, qu: l'envoya commander en Irlande. Il y fut tué en 1690, dans un combat livré à l'armée du roi Jacques II-, qui avoit été détrôné. IIITi 41. SCIPION ( Publias- Cornélius ) , célèbre général romain , étoit à peine âgé de 18 ans lorsqu'il sauva la vie à son père à la bataille du Tesin; et après celle de Cannes, il empêcha la jeune noblesse romaine d'abandonner Rome. A l'âge de 24 ans , il fut envoyé en Espagne , la soumit, prit Carthagène , vainquit Annihal, força Carthage à demander la paix , et mérita le glorieux surnom d'Africain. Il mourut l'an 180 avant J. CI, 14 , 166 , 243 t 247 » 496- II, 6 , 137 , 241 , 244 , 248 , 284 , 4i5 , 459. III, 106 , 158 , 214 , 220. SCIPION ( Lucius-Cornelius ) , frère du précédent, fut surnommé l'Asiatique, pour avoir vaincu AntiochuS'le-Grandy roi de Syrie. Il fut fait consul l'an 189 avant J, C. I , idO. II , 241 , i*8, 437.
jft
�5o5 DES PERSONNAGES. syrie, l'an 714 avant J. C. mourut ridiculiser sur le théâtre les après 4 ans de règne. I, 271. vices de son souverain même. Alors Tibère ouvrit les yeux ; Sèjan fut ar- SEPTIMHJS , courtisan d'Auguste et ami d'Horace. I , 248. rêté ; le sénat reçut l'ordre de lui faire son procès, et il fut étranglé SÉRAPHIN ( le père ) , prédicateur de Louis XIV, roi de France. 1, 496. l'an 3i de J. C. 1 , 363. SÈRAFION , jeune homme de la suite SELEUCUS I , surnommé Nicanor, c'estd'' Alexandre-le-Grand. II, 3 g 6. à-dire , victorieux , l'un des capitaines à?Alexandre - le - Grand , eut SÉHAPION ( Saint ) , solitaire célèbre. II, 325. en partage le royaume de Syrie, quand ce conquérant eut cessé de SERTORIUS, fameux capitaine romain , prit les armes pour renverser la tyvivre. Il lit bâtir 34 villes , pour rannie de Sjlla , gouverna l'Espagne immortaliser sa mémoire , et celle avec sagesse , vainquit Meteilus et des personnes qui lui étoient chères. Pompée , lit fléchir Mithridalet et fut Un assassin lui ôta la vie l'an 281 assassiné dans un festin parPerpenna, avant J. C. dans la trente - unième l'un de ses officiers , l'an 73 avant année de son règne. I, 140, 148. J. C. I, 41 , 299. III, 28 , 97. SEM, l'un des trois fils du patriarche SÉSOSTRIS , le plus célèbre des anciens Noè , mourut âgé de 600 ans , vers rois d'Egypte , commença à régner l'an J84.6 , avant J. C. II , 4g5. vers l'an 1722 avant J. C. Il fit, ditSEMPROMUS - LONGUS ( Titus ) , conon , la conquête de l'Arabie, des Insul romain , qui fut vaincu par le des , de la Verse , de l'Asie mineure, grand Annibal sur les tords de la de la Thrace et de la Colchide , Trébie , Tan 21S avant J. C. I, laissant par-tout des colonnes char36. gées d'inscriptions, pour être les m» SEîîAC( Jean ) , premier médecin du numens éternels de ses victoires. Il roi Louis XV 3 s'illustra par ses tamourut après un règne de 5 g ans. Iens et par plusieurs ouvrages utiles, I , 69. entre lesquels on distingue son Traité de la structure du cœur , 2 vol. /n-40. SÉVÈRE ( Lucius Septimius ) , se fit déclarer empereur romain l'an ig3, Il mourut en 1770 , dans un âge fort sous prétexte de venger la mort de avancé. III , 293. Pertinax. Il triompha de tous ses SÉNÊQUE ( Lucius - Annœus ) t célèbre compétiteurs , et mourut après dixphilosophe , fut précepteur du cruel sept ans de règne. I , 3g3. II , J4-3.JSêron , qui, pour prix de ses services , lui ordonna de mourir en se SÉVÈRE ( Flavius-Valerius ) , fut déclaré César après l'abdication de faisant ouvrir les veines , l'an 65 Dioctétien , l'an 3o5 de J. C. 1, 25. de J. C. Il nous a laissé un grand nombre de traités de morale , dans SÉVÈRE , patriarche eutichien de la ville d'Antioche, auquel l'empereur lesquels on remarque beaucoup d'esJustin fit couper la langue en 518 prit et de génie ; mais l'envie de donpour le punir des blasphèmes qu'il ner le ton à son siècle l'a jeté dans proféroit contre la divinité de J. C. des nouveautés qui corrompirent le III , 11 g. goût. Il substitua à la simplicité noble des anciens , le fard et la pa- SÉVIGNÉ ( Marie de Rabulin , marquise de) , née en 1626 , fut mariée rure de la cour de Néron ; un style à l'âge de 18 ans au marquis da sentencieux , semé de pointes et Sévigné , en eut un fils et une fille , d'antithèses , de peintures brilet mourut en i6g0. Cette dame est lantes , mais tï-op chargées ; des principalement connue par ses Lettours ingénieux , mais peu naturels. tres dont la meilleure édition est Enlin il ne se contenta pas de plaire, celle de 1775, 9 vol. /71-12. Elles il voulut éblouir , et il y réussit. La ont un caractère si original , qu'aumeilleure édition de ses écrits est celle d'Amsterdam , 1672 , 3 vol. m-8°.On . cim ouvrage de cette espèce ne peut leur être comparé. Ce sont des traits attribue à cet auteur des tragédies fins et délicats formés par une imalatines , mais elles ne sont pas de lui. gination vive, qui peint tout, qui Gronovius en a donné une bonne édianime tout. Madame de iéfigné fait tion , Amsterdam , 1672 , et Leyde , passer dans nos cœurs les sentimens 1702 , HI-8°. I , io5 , 127 , 371. II, qu'elle éprouve. Avec une simplicité 149. III, 337 , 55i. pleine d'art , et une négligence heuSENNACHERIB , fils de Salmanazar , reuse , elle nous fait partager sa auquel il succéda sur le trône d'Asfaire
�TABLE HI STORIQUE joie et sa tristesse. On souscrit à avoir passé par les premières charges ses louanges et à ses censures : on de la i^be , fut envoyé en Italie par trouve ridicule ce qu'elle ridiculise Henri IV en 1599 , ponr faire casser avec tant de finesse. Son style rapide son mariage avec la reine Margueet plein de noblesse , présente des rite , et en conclure un autre avec riens embellis par les grâces. I, 120, Marie de Médicis. Ce prince eut tant II , 282. d'impatience de récompenser l'heuSEXTILIA , mère de l'empereur Vitelreux succès des négociations de lius. 1, 3;8. Sillery , que pour lui donner les SEXTILIUS , commandant d'Afrique sceaux en 16o5 , il les ôta au cépour les Romains , du temps de lèbre Pompone de Bellievre. Après la Marins et de Sylla. II , 3l. mort de celui-ci , Sillerr fut chanSEXTUS-EMFIRICUS , philosophe pyrcelier en 1607. Son crédit toujours rhonien t sous l'empire de Marcfort grand sous Henri IV, diminua Aurele , qui suivoit ses leçons. 1, 243. considérablement sous la régence SFORCE ( Galèas-Marie ) , duc de de Marie de Médicis , et tomha Milan , succéda à son père François enfin tout-à*fait. La fortune se joua SJorce, en 1466. Ses débauches et long-temps de ce ministre : tantôt son extrême férocité le firent assaschassé de la cour, tantôt rappelé siner dans une église, le jour de avec honneur, toujours incertain de Saint-Etienne , en 1476 , à l'âge de son sort , il remit, pour la dernière 32 ans. III , 3og. fois , les sceaux en Janvier 1624. On 5ICHEM , fils ù'Hémor , prince des Silui fit dire , peu de temps après , chimites , enleva Dina , fille du de se retirer dans une terre. Cet patriarche Jacob , et l'obtint enordre fut un coup de foudre ; il faisuite en mariage , à condition que soit des lamentations , comme s'il tout son peuple se feroit circoncire. n'eût jamais essuyé de disgrâces , et II , 68. il mourut la même année , âgé de SlCKENGEN , général allemand , que 80 ans. 1, 311. III , 291. l'empereur Charles-Quinl chargea de l'attaque de Mézières en i52o. I , 45. SlLVAIN ( saint ), abbé d'un monastère de la montagne de Sinaï. III, SlGEBERT I , fils de Clolaire I, fut roi 293. d'Auslrasie en 561 , après la mort de son père , et régna près de J 4 SlMEON ( saint ) , surnommé Stylile , parce qu'il vécut long - temps sur ans. I , 412 , 414. une colonne, où il mena une vie SlGISMOND , fils de Charles IV , fut austère jusqu'à sa mort , arrivée élu empereur en 1410 , s'appliqua à l'an 461 , à 69 ans. 1,276. II, 4. rendre la paix à l'Eglise , Ut pour y SIMON îrÏACHABÉE , l'un des cinq fils de réussir plusieurs voyages dans les Maihatias , succéda à Judas son frère, différentes cours de l'Europe , vint dans le gouvernement des Juifs, à bout de faire convoquer les conl'an 143 avant J. C. II, i'ïr. ciles généraux de Constance et de Bâte , soutint de longues guerres SIMON , Juif , citoyen de Jérusalem , du temps û'Hérode-Agrippa. 1, 490. contre les Hussites , et mourut en SlNATUS , prince galate. I, i3o. 1437 , après un règne de 27 ans. I, SlNORIX , prince de Galatie. I, i3o. 2Î9 , 459. SlGISMOND II , surnommé Auguste , SlRMOND ( Jacques ) , né à Riom en 155g , entra chez les Jésuites, et fils de Siginnond I , succéda à son fut pendant 16 ans secrétaire du père sur le trône de Pologne en général Aquaviva. Louis XIII le 1548, et mourut en 1S72 , après un choisit pour confesseur , afin de règne de 24 ans. Ce prince fut le l'attacher pour toujours à sa perdernier roi de la maison de Jagellon. sonne et à la France. Quoique d'un I , 42. caractère doux dans la société , il SILANUS , lieutenant du premier iSctétoit assez vif dans ses écrits polépion-V Africain. III, ïo8. miques. On prétend que lorsqu'il SlMUS , Komain que Messaline eut composott ses ouvrages , il tenoit l'impudence d'épouser publiquement toujours quelque chose en réserve sous les yeux même de l'empereur pour la réplique. On a de lui grand Claude son mari. I , 370. nombre d'écrits qui prouvent une SILLANUS , beau - père de l'empereur vaste connoissance de l'antiquité ecCal igui a. I j 364clésiastique^; le style en est pur et SlLLERY ( A'icolas Brulart de ), après agréable , mais les opinions qu'il
5o6
�DES
PER.S
)NN AGES.
507
soutient dans quelques-uns ne sont pas toujours exactes , et en général , il faut le lire avec précaution. Il mourut en 165? , à 92 ans. ÏI , 187. SISENNA , citoyen romain , contemporain de l'orateur Horiensius. II , 437. SIXTE II, Athénien , fut élu pape en 257 , et souli'rit le martyre à Rome deux ans après, durant la persécution de VaUrien. III, 286. SLEIDAN {Jean) , historien du seizième siècle , embrassa le parti des protestons , et s'y Ut une grande réputation. Il mourut en 1556 , laissant plusieurs histoires écrites rn latin avec clarté , et même avec élégance , mais dans lesquelles il l'ait paroitre trop de partialité pour ceux de sa secte. Charles - Quint appeioit Paul Jove et Sleidan ses menteurs , parce que le premier avoit dit trop de bien de lui, et ie second trop de mal. II ,
440. SWERDIS , fils de Cyms-le-Grand, fut
de ), né en 1604 , et tué à la bataille de la Marfée eti 1641 , poursuivant la victoire qu'il venoit de remporter sur le maréchal de Chdtillon. II , 432. SOLIMAN II, empereur des Turcs en i52o , fut un des plus grands conquérans de son siècle, et mourut au siège de Sigeth , en i566 , à 76 ans. II , 289. III, 307 , 3i6. SOLON , le second des sept sages de la Grèce, naquit vers l'an 63g avant J. C. Il abolit ou tempéra les lois sévères de Dracon , et en publia de plus douces. Dans la suite , Pisistrafe s'étant emparé de l'autorité souveraine , ce philosophe citoyen résista à ses caresses ; et pour ne plus voir sa patrie asservie , il se retira dans l'île de Chypre , où il mourut l'an 559 avant J. C. , à l'âge de 80 ans. I , 32 , 242. II, i5 , 25 , 359 , 408 , 409 , 44i. III , 45 , 208 a
329. SOPHOCLE ,
tué par l'ordre de Cambyse son frère , qui mourut lui-même quelque temps après. Alors un mage prit le nom de S mer dis , auquel il ressembloit beaucoup , et se mit sur le trône de Perse. Les précautions qu'il prit pour cacher sa fourberie la découvrirent , et il fut tué environ sept mois après son usurpation , l'an 522 avant J. C.
SOCIN (, Barthelemi ) , célèbre jurisconH,
419-
sulte de Pise , sous Laurent de Médicis. III, 144. SoCïlATE , fils d'un sculpteur et d'une sage-femme , naquit à Athènes, l'an 469 avant J. C. Après avoir exercé la profession de son père , et fait trois statues représentant les Grâces , dont le travail étoit de la plus grande beauté , il quitta la sculpture pour se livrer à la philosophie. Il s'appliqua sur-tout à la science des mœurs , qu'il rédigea le premier en corps de préceptes. Il enseigna l'unité d'un Dieu , et mérita le surnom unique de plus sage des hommes , que la postérité lui donne avec son siècle. Quelques envieux l'accusèrent d'impiété à l'âge de 70 ans , et eurent le crédit de le faire condamner à boire la ciguë, l'an 400 avant J. C. I, 18, io5 , 117, 119, 168, 241 , 45i , 480. II , 28 ï 89 , 106 , 172 , 225 , 226 , 299 , 437. III , 25 , 29
t
33 , 113 , 120 , i65. SoÉMlE , mère de l'empereur HéliogabaJe, I, 395.
SOISSONS (
Louis de Bourbon
>
comte
célèbre poète tragique grec s surnommé Y Abeille et la Syrène Attique , naquit à Athènes l'an 4g5 avant J. C. Il se distingua également par les productions de son esprit et par ses talens politiques. Elevé à la dignité d'archonte , il commanda l'armée athénienne avec Pèriclès, et signala son courage en diverses occasions. Il porta au plus haut ppint la gloire du théâtre d'Athènes, et partagea avec Euripide les suffrages de ses concitoyens. Ces deux poètes , rivaux l'un de l'autre , traitèrent souvent les mêmes sujets , comme pour essayer leurs forces respectives ; mais leur jalousie se changea bientôt en une noble émulation. Leurs tragédies étoient également admirables , quoique' d'un goût bien différent. Sor phocle grand , élevé , sublime, étonnoit l'esprit : Euripide , tendre et touchant , gagnoit les cœurs. Sophocle avoit composé J20 tragédies dont il ne nous reste que sept, qui sont des chefs-d'œuvre. Les meil*leures éditions sont celles de Rome , i5i8 , m-4.0; dcBàle, i558 , /n-8.° ; de Cambridge, 1673, tn-.8 ; d'Oxfort , 1705 et 1708 , 2 vol. i/i-8.° ; et de Glascou , 1745 , 2 vol. /«-8.° Sophocle remporta le prix aux jeux olympiques à 90 ans , et ce succès lui inspira , dit-on , une si grande joie , qu'il en mourut, l'an 406 avant J. C. I, 618 , 767- m , 338. SoPHRONlE , épouse du préfet deRome ( sous le tyran Maxence.* I, 469.
�5o8
TABLE
HI STORIQUE
Pologne en 1705 , après avoir obligé le roi Auguste à quitter le trône. Il participa aux disgrâces de son protecteur , et céda à la fortune de son rival. Louis XV, en 1725, épou» la fille de ce prince , et cette alliance sembla relever ses espérances. Après la mort d'Auguste , en 1733 il fut t élu de nouveau roi de Pologne ; mais son parti n'ayant pas prévalu , il revint en France , où Louis XV lui SOSITHÉE , poète grec, contemporain assigna la jouissance des duchés de du pholosophc Cléanthe. II, 445. Lorraine et de Bar, qu'il rendit heuSotJVRÉ ( Gilles de) , favori de Henri reux. Il mourut en 1766 , emportant III, devint grand-maitre de sa gardans le tombeau le titre rare et méde-robe , et rendit d'importans serrité de Bienfaisant. ï, 105,284. 11,322. vices à Henri IV, qui le ût gouverneur de Lotus XIII. Il fut fait ma- STASICRATES, fameux sculpteur, qui offrit à Alexandre-le-Grand de faire réchal de France en 1615, et mourut du mont Athos une statue colossale. en 1626, à 84 ans. 11 3i2. II, 25l. SPANUS , paysan espagnol , sous le STÉSICHORE , célèbre poète lyrique gouvernement de Sertorius.I , 41. grec , né à Hymère , ville de Sicile, SPARRE, général suédois, servit sous remporta à Athènes le prix de poéCharles XII au siège de Pultava , en sie , et eomposa un grand nombre 1709. II , 59. d'odes dont les anciens font le plus SPARTIS, voyez BURIS. grand éloge. Il ne nous en reste que SPINOLA ( Amhroise ), l'un des plus quelques fragmens. Ce poète florisgrands généraux du dix - septième soit vers l'an 370 avant J. C. II, siècle , se mit à la tête de 9000 Ita199. . liens , et alla servir le roi d'Espagne STHÉNIUS , chef de la ville de Mesdans les Pays-Bas. Il y fut nommé sine , du temps du grand Pompée. général des armées espagnoles, et 11 , 234. s'y soutint , quoiqu'il eût en tête STILPON , philosophe grec, né à Mcle prince Maurice de Hassan , le plus gare , étoit si éloquent , que tous les habile capitaine de son temps. Il jeunes philosophes quitloient leurs mourut en i63o , après avoir été maîtres pour le venir entendre. Rerappelé des Pays-Bas. I, 27. prochant à la courtisane Glicèri SFIRIDION ( St. ) , évèque de Trémiqu'elle corrompoit la jeunesse : tonte dans l'ile de Chypre , assista " Qu'importe , répondit - elle, par au concile de Nicée en 325 , et s'il" qui elle soit corrompue , par une lustra par ses vertus. I , 451. » courtisane ou par un sophiste, » SP1TRIDATE , nommé par d'autres RoCette réponse fut une leçon pour sacés , servoit dans l'armée du roi de Stilpon ; il bannit de son école les Pei'se , et étoit sur le point de tuer vains sophismes , les frivoles subAlerandre-le-Grand , au passage du tilités , et cette foule d'argumens Granique , lorsque Clilus lui coupa captieux qui substituoient les mots la main III , 137. aux idées. Il donna de sages conSPOLVERINI ( le comte de ) , seigneur seils à Démétrius- Poliorcète , et se italien. II , 3i2. fit respecter des ennemis même de SpoRUS , jeune homme que l'empereur sa patrie. Il vivoit encore vers l'an JVéron épousa après l'avoir fait mu3o6 avant J. C. , et fut regardé tiler , pour lui donner un air de comme un des chefs de la secte femme. I , 378. stoïcienne. III, 172. SPURI-N A , jeune Romain digne de vivre STRABON , célèbre géographe , philodans l'histoire pour sou héroïque sophe , historien grec , entreprit de continence. I , 466. longs voyages pour observer la situaSPURIUS-LuXRETIUS , père de la chaste tion des lieux , et s'instruire des et célèbre Lucrèce , épouse de Tarcoutumes des peuples. Il florissoit qnin-Cotlafin. I, 211. sous Auguste , et mourut sous l'ibère, STANISLAS LECZINSKI , naquit à Léovers l'an 25 de J. C. De tous ses pold en 1677. Charles XII, roi de ouvrages , il ne nous reste que sa Suède , le fit couronner roi de géographie , pleine d'exactitude , de
SoRANOS , archer batave sous l'empire d'Adrien. I , 08. SORBONNE ou Sorbon ( Robert de ) , né en 1201 , d'une famille obscure et pauvre , fit ses études à Paris avec distinction , mérita l'estime de St. Louis , et fonda le collège de Sorbonne , qui devint dans la suite une société de théologiens habiles. Il mourut à Paris en 1274, à 73 ans. I , 296.
�DES PERSi JNNAGES. 5og jugement et d'érudition, tes meilleure partie du bonheur dont elle leures éditions de cet auteur sont jouissoit sous le règne à jamais mécelles de Paris , 1620, in-folio, et morable du plus humain des mod'Amsterdam j 1707, 2 vol. in-fol. narques. Api'ès la moi't de Henri IV, III, 88. il quitta la cour qui n'étoit plus STHATONICE , femme de Sé/eucus-Nica* digne de lui, et termina sa brilnor , roi de Syrie , qui la céda à son lante carrière dans une retraite phifils Anliochus-Soter. I, 140. losophique , en 1641 , à 82 ans. Il STRATONICE , épouse de Milhridate-leétoit protestant et voulut toujours Grand , roi de Pont. II, 359. l'être, quoiqu'il eût conseillé à HenSTRAZELLIUS, savantdu seizième siècle. ri IV d'abjurer l'hérésie , Il est II, 122. » bon, lui disoit-il, que vous soyez STROZZI ( Philippe ) se distingua an » papiste, et que je sois calvinisservice de la France en plusieurs te. " C'est aux loisirs de ce grand sièges et combats. Il fut fait colonelhomme cjue nous devons les excelgénéral de l'infanterie, et eut le leus mémoires qu'il a intitulés : commandement de l'armée navale économies royales, imprimées à Trédestinée pour les îles Açores , afin voux, en 1725 , 12 vol. in-la: I , d'y soutenir les intérêts i!Antoine, 104, 3i2 , 448.11 , 25 , 255 , 288, roi de Portugal. Sa valeur ne fut 35i. III, 255. point heureuse, vaincu le 28 JuilSULLY ( Henri de ), grand-bouteillier let i583 , il tomba entre les mains de France , sous Je règne de Philippe du marquis de Sainte-Croix, général V, dit le Long. I, 434. de l'armée d'Espagne , qui le tua de SULPITIUS-RUFUS ( Servius ) , consul sang froid, et le fit jeter dans la romain , l'an 5i avant J. C., fut le mer. III, 310. contemporain et le rival de Caton STUAR ( le major ) , capitaine suédois d'Utique. II, 125. qui se trouva auprès de Charles XII dans la descente que ce prince SURA, favori de l'empereur Traian. fit à Copenhague . en 1700. III,
154.
SUIDAS
1,287.
, écrivain grec du dixième siècle , est auteur d'un dictionnaire SUSSEX ( le comte de ), pair d'Angleterre , qui assista aux funérailles du ou lexicon grec , dont la meilleure célèbre Newton. II, 176. édition est celle de Cambridge, SWAMMERDAM ( Jean ) , célèbre et 1705, 3 vol. in-fol. C'est une comsavant médecin d'Amsterdam, au pilation historique et géographique dix-septième siècle, a laissé sur quelquefois inexacte,mais qui néanl'anatomie et l'histoire naturelle plumoins est utile, parce qu'elle rensieurs ouvrages estimés. III , 245. ferme quantité d'extraits d'auteurs anciens qu'on ne trouve point ail- SYBILLE , femme de Robert, duc de Normandie , l'un des fils de Guillauleurs. II, 181. me-le-Conquérant.1 > l34SULLY ( Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de ) , pair , grand- SYLLA , Lucius-Cornélius , surnommé l'Heureux , fut le rival de Marius. maître de l'artillerie , et maréchal Sous prétexte de l'abattre et de de France , naquit en 1559. Echapfavoriser la noblesse romaine, il pé au massacre de la Saint - Bars'empara de l'autorité suprême , thelemi, par les soins du principroscrivit tous ceux du parti conpal du collège de Bourgogne où traire, inonda de sang et asservit il étudioit, il s'attacha au service sa patrie, sous le nom de dictateur ,de Henri IV, alors roi de .Navarre. puis, après avoir géré à son gré Il devint le 1 principal ministre de toutes les affaires, il se réduisit ce grand prince , dont il partagea, à l'état de simple particulier , et se pour ainsi dire la puissance et la retira tranquillement dans sa maifortune, comme il en partageoit son de campagne , où une maladie le cœur. Il fut digne du rang qu'il pédiculaire l'enleva, l"an 78 avant tint, rléros comme son maître, plus J. C. , à l'âge de 60 ans. 1, 24 , 254 politique , mais aussi bon que lui, 307 , 348. II , 8 , 56 , 23o , 418. IIl', il lui fut plus utile qu'aucun de 151 , 166. ses sujets , en excitant ses vertus, et en mettant un frein à ses foi- SYLLA ( Faustus ) , fils du précédent, dissipa tous les biens que son père blesses. La France lui dut la meilavoit amassas, 1, 3»?.
SuRIAN ( M. de), é-sêque de Grasse en Provence, en 174C. I, 458.
�5rO TABLE HI STOHIQUB et les qui tta pour suivre les drapeau» SYLOSON , frère de Polycrale, tyran de des Carthaginois. Rome lui déclara San lus , du temps de Darius , fils la guerre ; il fut vaincu , fait prisond'Hystaspes , roi de Perse. 1, 335. nier avec Soplwnisbe sa femme, lille SYLVEIRA , officier portugais , qui fit d'Asdrubal, l'an 2o3 avant J.C., et en 15o8 le siège d'Ola dans les Indes. dépouillé de ses états , qui furent III , 185. donnés à Massinissa. Il mourut de SYMPHOR1EN ( St. ), martyr d'Autun , douleur quelques temps après. 11,54!. l'an 170 de J. G. II, 56. SYNATUS , gouverneur du port de Mi- SYSIGAMBIS, mère de Da.-ius-Codoman, dernier roi de Perse ; elle survécut à noa en Sicile, pour les Carthaginois , la chute de sa famille et à la mort du temps dvDiun de Syracuse. 1,170. de son fils ; elle ne put survivre à SYPHAX , roi d'une partie do la Numila mort d'Alexandre. I , 255. die , s'attacha d'abord aux Romains ,
J. ACITE ( Caïus-Cornelius ) , chevalier
romain , parvint aux premières dignités de i'empiz'e , sous Vespasien , Tite et Domicien. Nerva le fit consul en la place de Virginius-Rujus , 1 au 97 de J. C. Il plaida plusieurs fois à Rome , et fit admirer son éloquence. Il étoit étroitement lié avec Pline-leJeune , et tous deux se corrigeoient mutuellement leurs ouvrages. Ceux qui nous restent de Tacite , sont : un Traité des Mœurs des Germains ; une Histoire des Empereurs ; des Annales depuis la mort d'Auguste jusqu'à Gai4a; et la fie d'Agricola son beau-père. Il est le plus g#and des historiens aux yeux d'un philosophe. Il peint les hommes avec tant d'énergie , de finesse et de vérité , les événemens touchans d'une manière si pathétique , la vertu avec tant de senlimens ■ et de goût ; il possède dans un si haut degré la véritable éloquence le talent de dire simplement de grandes choses , qu"on doit le regarder comme un des meilleurs maîtres de morale , et le modèle le plus parfait peut-être de tous les historiens. M. l'abbé Broltier en a donné une édition en 1771,4 vol. j'n-4.° et 7 vol. iTi-13. avec des supplémens, qui , dans bien des endroits , sont dignes de l'original. I , 127. II, 437. TACITE t Marcus-Claudius ) , fut élu empereur par le sénat, en la place à'Aurélïen , l'an 275. Il ne monta sur le trône que pour rétablir la justice, réformer les mœurs , et rappeler dans Rome les vertus et les talens. Glorieux d'être -de la famille ,de l'historien Tacite , et d'en porter le nom , il voulut que toutes les bibliothèques fussent ornées de sa statue et enrichies de ses ouvrages, et qu'on en fit tous les ans dix copies aux dépens du public, de peur qu'ils ne
se perdissent. L'expérience et les talons de cegrand prince donnoientles plus riantes espérances , lorsque l'empire le perdit à 65 ans, un an après sa proclamation. I , 398. TAI-TSONG ou TAÏ-CD , empereur de la Chine en 1644 , mourut après il ans de règne. III, 46. TALART ( le seigneur de ) , assassin de Jean Desmarets , sous le-règne de François 1 , roi de Franco. II, TALBOT ( Jeun ) , comte de Shrewsbury et de Waterford , d'une illustre maison d'Angleterre , originaire de Normandie , se signala par sa valeur et par l'audace de ses entreprises dans les guerres des Anglais contre les Français. Ses compatriotes l'appeloient leur Achille. Il étoit digne de ce nom par l'impétuosité de son courage. En 1453 , il fut tué avec un de ses fils dans une bataille. I, 229. TALON ( Denis ) , fut pourvu de la charge d'avocat - général au parlement de Paris en 1652. Il s'en mon-1 tra digne par ses talens et par son intégrité , fut fait président à mortier en 1689 , et mourut 9 ans après, III , 333 , 283. TAMERLAN , fils d'un berger, devint formidable, et conquit presque toute l'Asie. En 1401 il vainquit Bajaid , empci-cur des Turcs, le plus puissant potentat de son siècle, et mourut l'an 1415 , à 71 ans. I , 140,291' III , 119. TARDIEU , officier français , ami du chevalier Bayard. II , 249. TARNA , l'un des capitaines barbares qui servoient sous Bêlisaire. III \ 29* TARIIC/IN, surnommé le Superbe, c'est* dire, le Despute , fut roi de Rome l'au 534 avant J. C. Un parricide le' fit monter sur le trône ; un adultèK l'en lit descendre1 après a5 ans uc
�I>ES PEBS ONN AGESOlï règne. La violence faite à la chaste plusieurs belles éditions des écrits Lucrèce par Sextus son fils aîné , pa- . du Tasse. II, 447. rut aux Romains un si révoltant abus TAVANNES (Gaspard de Sanlx de), né de la puissance royale, qu'ils l'aboen 1S09, montra de bonne heure une lirent, et chassèrent pour toujours intrépidité peu commune. Il fut fait les rois de leur ville. Tarquin lit prisonnier avec François I à Pavie t d'inutiles efforts pour y rentrer. parvint aux premiers honneurs miliAprès une guerre de 13 ans , il erra taires sous Ilenri 11, François II et de ville en ville, et mourut à Cumes, Charles IX, se déclara contre les où il s'étoit en tin fixé, à l'âge de 90 protestans, contribua auxvictoires de ans. I > 40, 209 , 332, 46g. II, 3o5 , Jarnac et de Montcontour, et par ses 402. , services multipliés , mérita le bâton TARQUIN ( Sextus ) , fils aîné du précé. de maréchal de France en 1570. Il dent, vint à bout, par ses artifices , empêcha que le roi de Navarre » dede se. rendre maître de la ville de puis Henri IV> ne fût enveloppé (Uns Gabies. Ce fut lui qui déshonora le massacre de la Saint-Barthclemi ; Lucrèce. 1, 40 , 469. et c'est avec raison qu'on a dit que si TASSE {lorquato) > l'un des plus grands la maison de Bourbon est aujourd'hui génies dont s'honore l'Italie , fut le sur le trône , elle en a l'obligation a. plus infortuné des poètes, et peutce général. Il mourut en 157S , à 6S être le plus malheureux des hommes. ans. II, 5oo. III, 291. La plus grande partie de sa vie ne TAUVRY , médecin de l'hôpital de Lafut qu'un tissu de calamités et d'huval , dans le dix-septième siècle. III, miliations. Enveloppé dès l'âge de 8 341. ans dans le bannissement de son TAUYEY {Daniel), né en 1669 , fils du père, sans patrie, sans biens, sans précédent, se rendit célèbre dans famille , persécuté par les ennemis l'anatomie , fut admis par le moyen que lui suscitoient ses talens , plaint, de Fontenelle , au nombre des memmais négligé par ceux qu'il appeloit bres de l'académie des sciences, et ses amis, il soutint l'exil, la prison , mourut en 1701 , dans sa trentela pauvreté , la faim même ; et, ce deuxième année. III, 241, qui devoit ajouter Un poids insup- TAXILE , l'un des premiers rois des Inportable à tant de malheurs , la cades,qui se soumirent à Alexandre-lelomnie l'attaqua et l'opprima. Le Grand. II , 248. nombre de ses envieux éclipsa, pour TELL {Guillaume ), l'un des fondateurs un temps, sa réputation: il fut presde la liberté helvétique , en, 1307, que regardé comme un mauvais I, 68.. ,j ■_, , poète. Enfin après 20 années d'infor- TELLIER ( Michel le ), né eii lfîû3 , tune , son mérite surmonta tout. On s'éleva par* son mérite à la place de lui offrit des honneurs et des risecrétaire d'état,après avoirpassépar chesses. Le pape Clément VIII l'apquelques-uns des degrés de la judipela à Rome pour l'y recevoir en cature. Il signala son 2.èle pour la triomphe. Les cardinaux, les prélats reine régente et pour Mazarin , duet une foule de peuple allèrent à sa rant fa guerre de la Fronde , et ce rencontre , à un mille de la ville , et fut sur-tqut ce qui consolida l'édifice quand il fut conduit devant le pape, de sa fortune. Louis XIV le fit chance pontife, en lui annonçant la coucelier de France en 1677. H avoit.7^ ronne de laurier qu'il vouloit lui ans quand il reçut les patentes qui donner le lendemain au Capitole , le décoroientde cette dignité. ..Yotre lui dit : » Je veux que vous honoriez » majesté, dit-il au roi j veut ho" cette couronne, qui a honoré jus» •» norer*ma famille, et elle couronna » qu'ici tous ceux qui l'ont portée. » mon tombeau. » Malgré son grand La veille du jour qui devoit mettre âge, il se montra digue des bienfaits le comble à la gloire du Tasse , , il de son souverain, et mourut en tomba malade, et, comme si la fori685 , à 83 ans. 11 fut père du martune avoit voulu le tromper jusqu'au quis de Louvois. III , 63. dernier instant, il mourut au mo- TELLIEH { Philippe le ), soldat du rément même le plus beau de sa vie , giment du Perche / au dernier siège le i5 Avril J5g5 , à 5i ans. Les plus de Philisbourg, en 1734. I, 4g3estimés de ses ouvrages sout la Jé- TllLLUS , Athénien , homme de bien rusalem délivrée , poème épique , i et .dont Solon a parlé avec éloge. I, i'Aminte , poème pastoral. On a fait 262.
�5ra
TENCIN (
TABLE
HI STORIQUE
Claudine-Alexandrine) , sœur du cardinal de ce nom ( archevêque de Lyon , mort en i y58 ), acquit une sorte de célébrité par son. esprit, ses intrigues et ses aventures. D'abord religieuse, elle quitta son couvent , et vint demeurer à Paris. Sa maison devint le rendez-vous des beaux-esprits de son temps , et comme le noviciat des académies de la capitale. Elle mourut en i 74.9. Sï les lettres ne l'ont pas pleurée, du moins ceux qui les cultivoient alors durent verser des larmes sur la tombe de cette protectrice, plus animée pour leurs intérêts , qu'ils ne l'étoient souvent eux-mêmes. 1, 94.. TENIERS ( David ) , dit le Jeune , pour le distinguer d'un autre Teniers, • surnommé le Vieux, parce qu'il exista avant lui, naquit à Anvers en 1610 , et mourut en 1694. Il se distingua dans l'art de la peinture, et ses talens furent honorés de son vivant , comme ils le sont encore aujourd'hui. Ses sujets ordinaires étoient des scènes réjouissantes. Ses tableaux sont comme le miroir de la nature , • et l'on peut dire qu'il l'a saisie dans son négligé , mais avec toutes les grâces qui l'embellissent alors. Louis XIV fut peut-être le seul prince de son siècle qui ne goûtât point ses compositions. On avoit un jour orné sa chambre de plusieurs tableaux de ■ ce peintre ; aussitôt qu'il les vit : » Qu'on m'ôte , dit-il , ces magots ■ » de devant les yeux. » I, 5g. TERAIL (Aymond du ), père du cheva' Mer Bayurd, mérita la reconnoissance de son fils , en lui donnant l'exemple des vertus qui nous ont rendu sa mémoire si chère. A la journée de Guinegate , il reçut quatre blessures qui le forcèrent de se retirer , à l'âge de 65 ans , dans sou château de ■ Bayard , où il mourut, en 1496. I,
mérite les brigua pour lui. Il vécut et mourut en philosophe, indifférent pour tout ce qui nous occupe ici-bas. Il s'inquiétoit peu des démêlés des princes et des affaires d'état : » Il ne » faut pas se mêler, disoit-il, du » gouvernement d'un vaisseau où » l'on n'est que passager. Il a fait plusieurs écrits , parmi lesquels on distingue son roman moral de Selhos, 3 vol. iVi-12. 1, 70. II, 485. THALASSUS , citoyen d'Antioche du temps de Julien-V Apostat. I, 491. THALES , né à Milet vers l'an 640 avant J. C., mérita le titre de premier des sept sages de la Grèce. Il voyagea pour se perfectionner dans la philosophie , et conversa avec les prêtres égyrjtiens afin d'étendre sesconnoissances. Sollicité au mariage par sa mère dans sa jeunesse : » Il n'est pas >■ temps encore, •■ répondit-il; et dans un àgeplus avancé, pressé de nouveau sur le même sujet par ses amis : " Il >• n'est plus temps , leur dit-il. Il s'appliqua beaucoup à l'astronomie , et fut le premier chez les Grecs qui prédit les éclipses de soleil. Un jour qu'il s'occlipoit à contempler les cieux , il tomba dans une fosse , et fut secouru pdr une bonne femme ■qui lui dit : » Fou que vous êtes, » pourquoi ne regardez-vous pas à » vos pieds? Comment pouvez-vous » connoitre ce qui est dans le ciel t » tandis que vous n'apercevez pas v ce qui est sur la terre ? » Il eut de nombreux disciples qui recueillirent sa doctrine , et qui formèrent cette secte de philosophes que l'on nomma Ionique , parce que leur chef étoit d'Ionie. Thalès mourut l'an 5^6 avant J. C. , âgé de plus de 90 ans. II, 270, 458 , 475. III , 55. THALLUS, Romain, secrétaire infidèle de l'empereur Auguste. I, 357THAUMASTÈS, esclave de l'empereur Caligula. III ; 125. THÉAGÈNE , officier grec tué à la baTERENTÏUS (Lucius), compagnon d'artaille de Chéronée. II, 352. mes du grand Pompée. II, 368. TERIBAZE , courtisan à'Arlaxerxès- THEAGENES, boucher de Milet. I, 200. THEANO , femme de Pythagore. II, Mnémon , roi de Perse. I , 325. 476. TERRASSON ( Jean ) , né à Lyon en ■ 1670, mort en 1750, embrassa l'état THÉANO , prêtresse athénienne , qui refusa de maudire Alcibiade. II , 42^ecclésiastique , et quitta l'Oratoire où il étoit entré, pour se livrer plus THÉBALDUGCI ( Giacomini ) , citoyen de Florence , qui conspira plusieurs librement aux lettres. L'académie fois contre la vie de Laurent fie Medes sciences et l'académie française dicis. I, Î02. lui ouvrirent leurs portes , et il eut THÉMISÏOCLE , fils de Néôcle , citoyen une chaire de philosophie grecque et d'Athènes , fut l:un des plus illus1 latine au collège royal. Il ne sollicita tras capitaines-de la Grèce. H'*»1 point les grâces littéraires ; son seul
�DES PEU S ONNAGES. 5l3 de grands vices et de grandes verGalatie , du temps - de l'empereur tus. Il gagna sur les Perses la faMaurice. I , 407. meuse bataille de Salamine. Ses THÉODORET , disciple de S. Jeanglorieux services donnèrent de l'omChrysostôma , imita les vertus de ce brage aux Athéniens , et son patriomaître apostolique dans la chaire tisme même le Ht exiler. Il se retira et sur le siège épiscopal de Cyr , chez les Perses , y fut reçu avec où il fut placé malgré lui vers Tan honneur , et mourut à Magnésie , 420. Il termina saintement ses jours, 464 ans avant J. C. I, 19, 28 , 69 , après s'être immortalisé par son 117 , 120 , 191 , 198 , 199, 24+ r zèle et par ses écrits , qui forment 25o. II , 23 , 55 , 87 , 223 , 3i4 , 5 vol. in-fol. , parmi lesquels on dis345 , 35o, 436 , 446. III, 28, 5o , tingue son Histoire ecclésiastique , 101. et celle des Anachorètes. I t 277 , THÉOCRITE , poète grec , naquit à H-, 98, 199. Syracuse , et fut un des courtisans THÉODORIC , dit le Grand , roi des de Ptolènièe-Philadelphe , roi d'EGoths , monta sur le trône en 493. gypte , vers l'an 285 avant J. C. Il Maître de toute l'Italie, il affermit s'est fait une réputation immortelle ses conquêtes, poliça ses états , fut par ses Idylles. On les regarde avec pendant 33 ans le père des Italiens raison comme une des plus riantes et des Goths , bienfaiteur impartial images' de la nature. On y trouve des uns et des autres , également cette beauté simple , ces grâces naïcher aux deux nations ; mais il ves qu'il est plus facile dè sentir que vécut trop pour sa gloire : l'âge et d'exprimer ; et dire qu'elles ont les infirmités le rendirent jaloux * servi de modèle à Virgile , c'est faire avare , inquiet, soupçonneux. Les assez leur éloge. La meilleure édiadulateurs profitèrent de ces dispotion de Théocrite est celle d'Oxford , sitions pour perdre les deux plus 1699 , //i-8.° II , 184. respectables personnages qu'il y eût THÉODAT , roi des Go tus établis en alors dans l'empire , Symmaque , et Italier monta sur le troue l'an 534 l'illustre Boèce son gendre : tous de J. G. Pour avoir le sceptre, il deux périrent par le dernier supépousa Amalusunte , mère <\*Àthala~ plice. Thèodoric ne survécut pas ric., son prédécesseur ; et peu de long-temps à ce double homicide. temps après il empoisonna cette Le hasard voulut qu'on lui servît k princesse. Ge forfait fut le prétexte table une tète de poisson ; il. s'imadont se servit l'empereur Justinien I gina voir celle de Symmaque! qui pour lui déclarer la guerre. Béli~ le meilaçoit. Saisi de frayeur , il se saire entra en Italie , et les plus lève, se met au lit, et meurt défortes places furent emportées par chiré de remords que personne ue ce général. Pour s'opposer"'à ses put calmer. II, 210 , 384. conquêtes , Thèodat. fit marcher une THEODOSE t Flavius ), l'un des plus céarmée nombreuse sous les ordres de lèbres capitaines de son siècle, fut Viiigès. Les Goths, indignés de ce mis à mort en Afrique , l'an 376" f qu'il ne les commandoit pas luipar ordre de l'empereur Falens. même , donnèrent la couronne à III, 3. leur capitaine en 536 t et immolè- THÉODOSE I (Flavius), fils du précérent Theodal A la vengeance publident , s'éleva par ses vertus et par son, que. I , 410. courage aux plus grandes charges utiTHEODEBERT I , fils de Thierrt, roi litaires. L'empereur Gratien , charmé ; des Français à Metz , succéda à son de son mérite , voulut donner un père en 534. $c montra digne appui à l'empire , en le partageant petift-fiis de Clovis par sa valeur, et avec lui , et le déclara Auguste en mourut dans la douzième année de 379. Il mérita le nom de Grand par son règne. I , 411. ses victoires sur les Barbares , par1 THÉODORE , poète grec , contemposon zèle éclairé pour la foi cathorain à'Alexandre , tyran de Phères. lique , par la protection dont il hoII y 12. nora les vrais talens , et plus encore THEODORE , maître de rhétorique de par tout le bien qu'il fit à ses sujets. l'empereur Tibère. 1 , 362. Il eut quelques instans de foiblesse , THÉODORE , dame de Constantinople , mais ils ne servirent qu'à faire éclamère de S. Jean-Calybite. III, 177. ter davantage la bonté de son aine. THÉODORE abbé des solitaires de La réparation de ses fautes devint un. r
Tome I1L
�5l4
TABLE
HI
STORIQUE
exemple utile à son peuple. Sur la fin de son règne , il se trouva seul maître de l'empire , qu'il partagea entre ses deux [ils Arcadius et Honorais. Il mourut d'iiydropisie en 3g5 , âgé de 60 ans. I , 16 , 401 , 4o3. II , 22 , 74\, 92 , 102 , 140 , 144-III, 1 , 35 , 160 , 220 , 341. THÉODOSE II , dit le Jeune , suecéda à son père Arcadius sur le trône impérial d'Orient, en 408. Pulchérie sa sœur gouverna sous son nom. Il mourut en 45o , âgé de 46 ans, sans laisser de postérité. 1, 4°5. H , 110 j 447. III , 20 , 61. THÉODOSE de Tripoli , ancien mathématicien grec , qui nous a laissé des Eléinens sphériqnes , en trois livres, qu'on peut regarder comme un ouvrage classique enastronomie.111,243. THÉODOSE , chef d'une nombreuse communauté de solitaires , sous l'empereur Anuslase. III , 352. THÉODOTE , chef du conseil de la ville d'Hiéraple , sous Julien-VApostat. I, 399. THÉOPHRASTE , philosophe grec de la ville d'Erèse , dans l'ile de Lesbos, étoit lils d'un foulon, et fut successivement disciple de Platon et d'Aristole. Il succéda à ce dernier l'an 322 avant J. C. ; et sa réputation s'étendit si loin , qu'il compta plus de 2000 élèves. Il mourut accablé d'années et de fatigues , et ne cessa de travailler qu'en cessant de vivre. Il disoit d'un orateur sans jugement, que c'étoit un cheval sans frein. Parmi les maximes de ce philosophe , on distingue celles-ci : » N'aimons pas » les gens pour les éprouver , mais éprouvons-les-pour les aimer. ■—De >■ toutes les dépenses , celle du temps >• est la plus forte. » Étant dans un festin , un des convives gardoit le plus profond silence : .. Si tu es ha" bile homme , lui dit Théophraste, » tu as tort ; si tu ne sais rien , tu ' >< es un habile homme. » De tous ses écrits, il ne nous reste que ses Caractères traduits par la Bruyère , un Traité des Plantes , et une Histoire des Pierres. II, 118 , III , 86. THÉOPOMPE , fils de Nicandre, et petitfils de Charilaùs, monta sur le trône de Lacédémone Pan 770 avant J. C. Ce fut lui qui établit les éphores. II, i55. THÉOPOMPE , né dans l'île de Chio , orateur et historien grec, disciple d'/iocra'e,florissoitversi'»n 351 avant I CI, i3i.
, disciple de Socrate, l'util des trente magistrats établis à Athènes par Lysandre général lacédémonien. II, 28. THERSITE , le plus difibrme de tous les Grecs qui allèrent au siège de Troie , ayant osé dire des injures à Achille , fut tué d'un coup,de poing par ce héros. 1, 245. II, 406. THE5CA , sœur de Denis-l'Ancien , tyran de Syz'acuse. I , 123. THESPIS , fut le père de la poésie dramatique à Athènes, vers l'an 53S avant J. C. Un tomberean fut son théâtre , et VAIceste la première tragédie qu'il joua. II ne reste aucune des pièces qu'il composa. III, 329. THIERRII , fils aîné de Clovis I, eut le royaume d'Austrasie pour paVtage après la mort de son père , en I5II , et mourut après 23 ans de règne. I , 410, 411. THOMAS - D'AQDIN ( S. ) naquit en 1227 d'une famille illustre. Il se fit Dominicain en 1243 , reçut à Paris le doctorat en 1257 , et s'en montra digne par ses ouvrages théologiques. On le surnomma Y Ange de l'école, le Docteur angèlique , VAigle des théologiens. Il mourut le 7 Mars 1274 , » 48 ans, fut canonisé en 1313 par Jean XXII, et déclaré docteur de l'Eglise en 156-7 , par le pape Pie V. Le recueil de ses écrits , de l'édition du père Aicolaï, forme 19 vol. in-fol, 1, 296 , 3o6, 466. THOMSOK ( Jacques ) , poète anglais , né en 1700 , commença à se faire connoître dans la république des lettres , par un poème sur ['Hiver , publié en l'an 1726. Après la mort du lord Talbot, chancelier du royaume et son protecteur , il fut réduit à vivre du fruit de son génie. Il travailla pour le théâtre jusqu'à sa mort arrivée en 1748. L'automne étoit sa saison favorite pour composer. En cela il ressembloit à Milton dont il étoit admirateur passionué. Parmi ses poésies , on distingue les Saisons : c'est le tableau de la nature dans les différens temps de l'année. Il est rempli d'images presque toujours riantes , mais quelquefois un peu outrées. Ce poème a été traduit en français parmadame Bontemps .II, 246. THOU ( Jacques-Auguste de ) , après avoir quitté l'état ecclésiastique qu'il avoit embrassé d'abord , fut conseiller au parlement de Paris , et devint président à mortier. Henri IV, nhanné de son savoir et de son intéTHÉRAMÈNE
�DES
PERSONNAGES.
5i5
la Chine, monta sur le trône en 1661, grité , l'appela plusieurs fois dans et régna 61 ans. II , 46. son conseil , et le chargea de diverses négociations importantes. II TIBÈRE ( Claudhis Tiberius JS'ero ) , fils de Tib'ere-Néron et de Livie Drului donna la dignité de grand-maitre sille , qu'Auguste épousa , fut adopté de sa bibliothèque ? place digne de par ce prince , auquel il succéda l'an son érudition. Sous la régence de 14 de J. C. Il fut le modèle de ces Marie de Médicis , il fut un des diprinces dont la fourbe et cruelle polirecteurs-généraux des finances. Il tique fait souvent plus de mal aux. présida à la construction du collège états que la tyrannie la plus ouverte. royal ; et après avoir rempli tous les Il déshonora le trône , se fit détester devoirs de citoyen et de magistrat, il et redouter de tout l'empire Romain, mourut en 1617 , à 64 ans. Nous abusa de la patience servile de ses suavons de cet homme célèbre une exjets , peu de temps auparavant lesr cellente histoire de son temps , demaîtres du monde, et mourut l'an puis i545 jusqu'en 1607 , en latin , 37 de l'ère chrétienne , après un rèécrite avec autant d'impartialité que gne de 22 ans. I, 36o, 36i , 363. de noblesse , trop détaillée quelqueII. 125 , 229. fois , mais toujours agréable par la beauté du style. Get ouvrage coûta TIBERE II, surnommé Constantin , originaire de Thrace , s'éleva par son la vie à son lils François-Auguste de mérite aux premières charges de l'emThou ; car le cardinal de Richelieu , pire d'Oi'ient. Devenu capitaine des choqué de ce que cet historien avoit gardes de l'empereur Justin II, ce parlé en termes trop vrais de la conprince le choisit pour son collègue , duite d'nn de ses grands-oncles, prole créa Auguste , et il lui succéda en fita des liaisons qu'eut son fils avec 578. Le nouvel empereur augmenta le marquis de Cinq-Mars , pour lui la majesté de la pourpre des Césars faire partager, le supplice de ce seipar la dignité de sa personne , et la gneur. » Le. père , dit le ministre fit chérir par ses vertus. Mort en 582, « vindicatif, a mis mon nom dans il ne régna pas assez long-temps pour » son histoire , je mettrai celui du le bonheur de ses peuples. 1, 406. » fils dans la mienne. » II, 184,378. THRASIBULE , capitaine athénien TlEERIUS-GElYIELLUS , frère de l'empereur Caligula. I, 364. chassa les trente tyrans qui opprimoient sa patrie au nom de Lacédé- TlBULLE ( Aulus-Albhts ) , chevalier romain , né l'an 43 avant J. C., fut mone, lui rendit la liberté , rétablit ami d'Horace , d'Ovide , de Macer , sa puissance , et mourut en combatet des autres grands hommes qui vitant pour elle, l'an 3go avant J, C. voientsous l'empire (L'Auguste. Il suiII, i85 , 234. vit Messala-Corvinus dans la guerre THUCYDIDE , Athénien , né l'an 475 de l'ile de Corcyre. Mais la foiblesse avant J. C. , possédoit des mines d'or de son tempérament lui fit quitter le qui lui donnèrent un grand crédit métier des armes , et il revint à parmi ses compatriotes. Il parvint Home vivre dans les brai. de la molaux premières dignités de la répulesse et dans le sein des plaisirs. On blique et s'en montra digne. Mais ses reconnoît ses mœurs dans les Elégies richesses , et plus encore son mérite, qu'il nous a laissées. On y admire excitèrent la jalousie de ses rivaux, l'élégance et la pureté du style; et et ils vinrent à bout de le faire exiler, l'on voit que sa lyre étoit faite pour sous prétextequ'il n'a voit pas secouru chanter la passion dangereuse à laAmphipolis. C'est pendant son exil, quelle il l'avoit consacrée. Ses poéqui dura 20 ans , qu'il composa son sies sont ordinairement jointes à celhistoire de la guerre du Péloponnèse, les de Catulle. II, 184. admirable pour la précision , l'énerTIGRANE , tils d'un roi d'Arménie, et gie et la vivacité du style. Elle seroit ami du grand Cjrus. I, 487. II, parfaite, si dans quelques endroits 429. elle étoit moins obscure , et si la plupart, des harangues qu'elle renferme TlGRANE , roi d'Arménie , soutint la guerre contre les Romains, en faveur étoient moins longues. La meilleure de Milhridate son gendre ; mais il édition de ce précieux ouvrage , est fut vaiucu y)av Lucnllus, l'an 69 avant celle d'Amsterdam, 1731 , în-JoU J. C. ; puis il se rendit à Pompée , et Thucydide mourutl'an4i 1 avant J.G., n'obtint la paix qu'en perdant une à 64 ans: I, 33. II, 139 , 178. partie de ses états. I, 256. THYNGH-Tl, ou Kam-hi, empereur de
Kk
2
�r>l6
TABLE
HI
STORÏQUE
TlMAGÈNE , rhéLeur , courtisan d'Auplus commune opinion , est un dere? gàstei I , 327. auteurs dont la réputation est immorTIMANDIUDES , Lacédémonien, patriote telle , et la vie très-peu connue. Tout austère. II, g5. ce qu'on sait , c'est qu'il florissolt TlMOCLEA , dame thébaine , du temps sous le règne d'Auguste, que ce prince d'Alexandre-le-Grand. II , 35a. se faisoit honneur de le protéger , et TlMOCRATE , agent du roi de Perse en qu'il mourut l'an 17 de J. C. Son Grèce , du temps du grand Agésilas , Histoire Romaine ..qui commence à la roi de Sparte. II, 499. fondation de Rome , et qui finissoit TlMOCRATE , oflicier de Denis-le-Jenm, à la mort de Drusns en Allemagne, tyran de Syracuse. 1, 170. l'an 9 avant 1ère chrétienne, l'a fait TlMOLAUS , citoyen de Sparte , lié au mettre au premier rang des plus célèbre Philopémcn , par les noeuds de grands écrivains. Elle rentermoit 140 Phospitalité. II, 84. livres ; il n'en reste que 35 , encore TlMOLÉON , capitaine corinthien , se ne sont-ils pas suivis. Jean Freinshedistingua dès sa plus tendre jeunesse mins a taché de consoler le public de par son amour pour la liberté. Il imcette perte , et il y a réussi autant mola son frère, qui avoit asservi sa que la chose étoit possible. Il règne patrie ; et l'an 343 avant J. C., endans l'ouvrage de Tite-Live une élévoyé au secours des Syracusains , il gance continue. Il excelle également les délivra de la-tyrannie de Denis-ledans les récits , les descriptions et Jeunc, qui s'étoit emparé une seconde les harangues. Quoique varié à l'infois de la souveraine autorité. Après fini , il se soutient par-tout : simple leur avoit^-rndu la liberté, il mourut sans bassesse, orné sans alFeetation, au milieu d'eux , comblé de gloire grand et sublime sans enflure, touet d'années. I, 200. II, 174. III, 217. jours clair et intelligible. On lui reTlMOPHAXE , citoyen de Corinthe , proche trop de crédulité t d'avoir frère du précédent, qui le fit tuer , omis des faits importans, et d'être vers l'an 346 avant J. C. , parce tombé quelquefois dans de petites qu'il vouloit se rendre tyran de sa contradictions. Parmi les éditions patrie. 1, 200. de cet auteur , on distingue celle TlMOTHÉE , célèbre athénien , fils de d'Elzevier , 1634, 3 vol. ï'n-12, auxCanon , fut, comme l'avoit été son quels on joint les notes de Gronovius, père, l'un des plus habiles généraux un voK ï"n-i2 ; et celle donnée par M. de son temps : il remporta de glorieuCrevier , 1735,6 vol. *>r-4.° 1,36?, ses victoires , mais il ne fut pas cons•436. III, 140. tamment heureux , et la fortune l'aTITIEN ( le ) , dont le nom de famille bandonna tout-à-fait sur la fin de sa étoit Vecelli , né dans l'état de Vevie, III, 266. nise, en 1477 , fut un des peintres les TlMOTHÉE ( Saint) , disciple de l'apôplus célèbres de l'école vénitienne. tre S. Paul, qui le fit évêque d'EphèCharles-Quint honora ses talens , et se , et lui écrivit deux épïtres. 11 fut le créa chevalier et comte palatin. lapidé dans sa ville épiscopale vers Faisant pour la troisième fois le porl'an 97 dé J. C. III , 217. trait de ce prince , un pinceau lui TlMOTHEE, évêque d'Alexandrie , dans échappa de la main ; l'empereur le le quatrième siècle. II, 94. ramassa en disant : <■ Le Titien est TlNTORET ( Jaeques Robusti , dit Je ) t » digne d'être servi par César. » Cet l'un des plus célèbres peintres de l'éillustre artiste mourut de la peste en cole vénitienne, né à Venise en i5ia, 1576 , à 99 ans. 1, 246. III, 288. fut artiste dès l'enfance. III, 288. TlNET , capitaine anglais , qui , en TlTE, OU TlTUS-VESPASIANUS, tils de 1378 , attaqua Alfuro , ville de la Nal'empereur Vespasien , signala sa vavarre. III, 307. leur au siège de Jérusalem dont il se ToBIE , de la tribu de Nephtali , se disrendit maître. Il succéda à son père , tingua dès son enfonce par sa piété et Pan 79 de J. C. Son règne qui , pour sa bienfaisance, dont il redoubla les le malheur de l'empire, ne dura que actes durant sa captivité en Assyrie. 2 ans , fut celui de la bienfaisance , Il mourut à Ninive l'an 245 avant J. de la justice , et de toutes les vertus C. , âgé de 102 ans. 1, 270. II, 169. qui fout donner aux bons princes les TOIRAS (Jean de Saint-Bonnet, seigneur noms de père et d'ami des hommes. de ), l'un des plus grands guerriers I , 334 , 382. II , 405. de son siècle , naquit en i585 , méTlTE-LlVE , né à Padoue . selon la rita le bâton de maréchal de France
�DES PERS( ) N N A G E S. 5l7 en ï63o', et fut tué six ans après decomte de ) , fut élevé avec Louis vant la forteresse de Fontanet dans XIV. C'étoit un homme de beaucoup le Milanez , où il combattoit pour le d'esprit , qui , s'étant retiré de la duc de Savoie , avec l'agrément de cour , s'adonna à la lecture dus pîres son souverain. III, 117. grecs et latins , et se lia avec les plus TOTILA , roi" des Goths en Italie , fut célèbres théologiens de son siècle. Il mis sur le trône en 541 , fit éclater vécut jusqu'en 1708, uniquement ocson courage contre les troupes de cupé de la prière et de l'étude. II, 44. Justinien , sur lesquelles il remporta TRIMOUILLE , ou plutôt 1Wmoi lie ( le deux victoires signalées, régna avec seigneur de la ) , vicomte dé sagesse , et fut tué d'un coup de lance Thouars , sous le règne de Henri IV, qu'il reçut dans un combat en 55s , et que ce prince mettoit au nombre après avoir tenu le sceptre durant 11 de ses ennemis , 1, 110. ans. III ,195. TSCHIRNAUS (Ernj'roi-Waller de) , né TOUR ( le sieur de la ) , assassiné par dans la Lusace en 1651 , se rendit haBuurnazd , sous te règne de Charles bile dans les mathématiques , lit des IX. I , i33. découvertes en optique, fut reçu de TOUR ( le père de la ) , général de la l'académie des sciences , et mourut congrégation de l'Oratoire, sur la tin en 1608, à 47 ans. III , 294. du siècle dernier. III , 335. TUBERO-CARUS ( MU us ) , Romain , TOURVILLE ( Anne-Hilarion de Consgendre du célèbre Paul-Emile.II, 88. tantin et de ), fut reçu chevalier de TuLLUS-HoSTlLlUS , troisième roi de Malte à quatre ans. Il se distingua Home, succéda à Numu-Pompilius, d'abord par des courses sur mer , qui l'an 672 avant J. C. Il fut conquérant lui acquirent une telle réputation> et fut brûlé par le feu du ciel avec qu'en 1677 il fut honoré du titre de toute sa famille , après 32 ans de rèchef d'escadre , combattit sous Dagne , l'an G40 avant J. C. 1, 2o5. quesne , et mérita de remplacer ce TURENNE (Henri de la Tour-d'Auvergne ^ grand homme. Après avoir humilié vicomte de), né en 1611 , fut un hél'Espagne , châtie Alger , vaincu ros dès l'âge de 10 ans. On lemitsous l'Angleteire et la Hollande , ce héros la discipline du prince Maurice de chargé de lauriers , fut créé viceNassau son oncle maternel, l'un des amiral et général des armées navales plus grands capitaines de son siècle. de France. La bataille de la Hogue , Après qu'il se fut formé dans cette qu'il perditen 1092 , ne lit qu'ajouter école , on lui donna un régiment à sa gloire : il fut créé maréchal de français , avec lequel il servit en France , et mourut à Paris en 1701 , 1634 t a*> siège de la Motte en Lorà 5g ans. I , 228. raine. Le jeune guerrier en procura TOULOUSE ( Louis-Alexandre de Bourle succès par des coups de génie qui bon , comte do ), fils naturel de Louis étonnèrent les plus vieux officiers. le-Crand , mort en 1737. III , 168. Sou courage.fut récompensé du titre TRAJAN ( Marcus-Ulpius-Crinitus ) , de maréchal de camp, il prit Saverne adûpté par l'empereur Nerva , pour en 1636 , et l'année suivante, les châses vertus , fut proclamé après la teaux d'Hirson et de Serlet. Ce fut mort de ce prince , et ne régna que alors qu'il imita Scipion , en renpour se faire aimer. Il remporta de voyant une belle femme , sa prisongrandes victoires sur les ennemis de . nière , à son mari. Il reçut le bâton l'empire ; et, après avoir fait le bonde maréchal de France eu 1644 , fut heur de son peuple durant près de 20 battu .au combat de Mariendal l'anans , il mourut en 117. On orna son née suivante; mais , trois mois après, tombeau du titre mérité de Père delà il gagna la bataille de Nortlingue , Pairie. 1, 386, 3g!. 11,142,254,418. rétablit l'électeur de Trêves, et liten TRASSARD , l'un des secrétaires de ./Tiviri 1646 la fameuse jonction de l'armée VI roi d'Angleterre, en 1431, l'ande France avec l'armée de Suède ; née même où. les Anglais firent mouopération qui força le duc de Barir la Piœelle d'Orléans. III, 226. vière à demander la paix. Elle ne TRÉBONIUS , jeune soldat romain sous dura pas; le duc rompit le traité ; et le grand Murius. III , 331. Turenne , après l'avoir vaincu à la ' TRÉBONIUS, tribun du peuple romain , journée de Zurnarshausen, le chassa sous le triumvirat de Pompée , de Céentièrementdeses états en 1648. Pensar et de Crassus. II , 26. dant les guerres civiles , il suivit le TilLYILLE t Henri-Joseph de Peyre , parti des princes , et fut défait à la
Kk 3
�5l8
OHIQUE TABLE HIS bourg , d'Enshein , de Mulhausen et bataille de Réthel en i65o. Il rentra de Turckeim , et fit repasser le Rhin quelque temps après dans les bonnes aux Impériaux qui a voient une armée grâces du roi , qui lui donna le comde 70,000 hommes. Il le passa luimandement de son armée en 1652. Il même pour donner bataille à Montélit admirer sa conduite aux combats cuculli , et le poursuivit jusqu'à Sas■ de Jergeau , de Gien et du faubourg pach , près de la ville d'Achcren ; Saint-Antoine, ainsi qu'à la retraite mais , étant monté sur une hauteur qu'il lit devant les princes à Villepour découvrir le camp des ennemis, Îleuve-Saint-Georges. En 1654 , Tuil fut tué d'un coup de canon le 2j renne fit lever aux Espagnols le siège Juillet 1675 , à 64 ans. Louis XIV\m d'Arras, prit Condé , Saint-Guillain , fit faire un service solennel dansl'éet plusieurs autres places en i65"5, glise cathédrale de Paris, comme au gagna la bataille des Dunes , s'empremier prince du sang , et voulut para de Dunkerque , d'Oudenarde , que son corps fût porté dans l'abbaye de presque.tout le reste de la Flande Saint-Denis , lieu de la sépulture dre , et par tant do victoires accudes rois. On vient d'élever un monumulées , força les Espagnols à faire ment en Alsace , au lieu même où la la paix des Pyrénées en 1660. Louis France perdit ce grand homme. I, XIV le déclara alors maréchal-géné79 , 227 , 265 , 3oo , 326 , 345. II, ral de ses camps et armées. La guerre 49 , 92, 101 , 153 , 15 7 , 343, 4^5, s'étant rallumée avec l'Espagne en 461. III, i5o , 172 , ig3 , 214 , 216, 1667 , Turenne commanda en Flan219, 33g , 346. dre sous les ordres du roi , et fit tant TUilNAI ( Simon ), fameux docteur de de conquêtes , qu'il réduisit encore Paris. I, i5o. les Espagnols à demander la paix. Cette même année il abjura la reli- TURNEBUS ou Turnèbe ( Adrien ), professeur royal en langue grecque , et gion prétendue réformée , dans ladirecteur de l'imprimerie royale, quelle il avoit été élevé. Dans la mourut dans cette ville en 1565 , i guerre contre la Hollande en 1672 , 53 ans, laissant cinq enfans, et pluil fut mis à la tète de l'armée fransieurs écrits remplis de critique et (le çaise , prit quarante villes en 22 savoir. II , 123. jours , chassa jusque dans Berlin l'électeur de Brandebourg , gagna les TUSANUS , savant du seizième siècle. II, 122. batailles de Sintsheim , de Ladem-
u
XJBALD ( S. ), évêque de Gubbio dans
l'Ombrie. III, 349. UNION, officier du régiment d'Hamilton , en 169î. III, 127. UNULFHE , valet-de-chambre de Pertharil, roi des Lombards. II, 213. URBAIN IV (Jacques) , dit de Troyes , sa patrie , fils d'un savetier , s'éleva par son mérite sur la chaire de S. Pierre , après la mort dJAlexandre IV. C'est à ce pape que l'Eglise doit l'institution de la fetedu Saint-Sacrement, en 126;. Il mourut cette même année à Perouse , laissant divers écrits , dont quelques-uns ont été imprimés. II , 99. URBAIN V , succéda au pape Innocent VI, eu i3fii , et mourut 8 ans
URIE
après , en odeur de sainteté. II, 191. , Juif, mari de Belhsabée. Dnvii le fit tuer , pour jouir de sa femme. n, 68. URRAO_UE , fils à'Alphonse I, roi de Portugal , épousa la lilie de Ferdinand II, qui régnoit à Léon , vers l'an 1157. I , 149. UXELLES ( Nicolas Chalon Vultlt , marquis d'), destiné d'abord à l'éut ecclésiastique, le quitta ensuitepoiu prendre le parti des aimes. 11 souliid 56 jours de siège dans Maycnce, cl ne se rendit que par ordre du roi. Il fut nommé maréchal de France en 1703 , membre du conseil de régence en 1718 , et mourut en i?3o , sani avoir été marié. I, 76.
V
VAGAN ( Georges ) , d'Arezzo en Toscane. II , 438. VAHISÈS , ambassadeur du roi des Partîtes , auprès de Crassus, général romain. 1, 254. VAKED, Arabe fort pauvre , mais riche en amis. 1, 96.
VALBELLE
YAXENS
(M. de), officier-général sous Louis-le-Grand. I, 3i3. ( Flavius ), frère de l'empereur Valenlinien I, qui venant d'être proclamé par les troupes romaines, en 364 , l'associa presque aussitôt a l'empire , et lui donna l'Orient en
�SES
PEÏIS
ONNAGES.
5ig
encrai
partagé. VaUns se déclara pour l'hérésie àïArms , persécuta les lidellcs , lit la guerre aux Goths , perdit contre eux la fameuse bataille d'Andrinople , le 9 Août 3 7 8 , y fut blessé , et ayant été porté ensuite dans une cabane de paysans , les vainqueurs y mirent le feu , et le brûlèrent tout vif, à5o ans. II, I44,3n,348.III,35i. VALENTIN , soldat du régiment d'Hamilton , en i6g5. III, 127. VALENTINIEN I ( Flavius ) , fut proclamé empereur par les soldats romains , en 364 , après la mort de Jovien. Il étoit (ils de Gralièn , surnomme le Cordier, parce que cinq soldats , malgré tous leurs efforts , ne purent lui arracher une corde qu'il tenoit entre les mains. / alenttnien donna l'Orient à son frère Valens ; et se réservant l'Occident, il lit trembler les anciens ennemis de l'état, et remporta de glorieuses victoires. Une maladie qu'il essuya en 367 , lui Ut songer à se donner un successeur , et il déclara Auguste Gralien son fils aîné. L'an 375 , les Quades lui ayant envoyé des ambassadeurs mal vêtus , soit par misère, soit pour exciter la compassion , Valentinien se crut insulté par une telle députation , et il leur parla avec tant d'emportement qu'il se rompit une veine, et mourut subitement , âgé de 55 ans. Il en avoit régné près de douze. I , 401. II , 7i , 207. YALENTINIEN II ( Flavius ) , second fils du précédent, fut associé à l'empire d'Occident par Gralien son frère, aussitôt après la mort de leur père , en 375. Ces deux princes ayant hérité de l'empire d'Orient trois alis après t par la mort de Valens leur oncle , et se trouvant trop foibles pour un si grand fardeau , jetèrent les yeux sur Thèodose-le-Grand; et Gralien le nomma Auguste en 379 , et lui donna l'Orient. Après la mort de son frère, l'an 383 , Valenlinien se vit exposé aux attaques du/tyran Maxime, qui s'étoit emparé de la Grande - Bretagne. L'usurpateur voulant étendre sa domination , entra en Italie. Alors Valenlinien eut recours à Tfiéodose, qui vainquit Maxime , en 388 , et rétablit le légitime souverain sur le trône. Il n'y fut pas long-temps paisible. Arbogasle se révolta en 3ga , et le fit étrangler à Vienne en Dauphiné , n'étant âgé que de 26 ans. I , 401. II , 144 , ao3 , 275, 416. VAJLÈRE , fils du sophiste Léonce , et
frère à'Athénaïs ou Eudocie, épouse de Tliéodosc-le-Jeune. Cette princesse lui procura la dignité de maître des offices. III , 20. VALÈRE-MAXIME, historien latin , vécut sous Auguste et sous Tibère. Il nous a laissé un Recueil d'actions et de paroles mémorables des Romains et des autres peuples. Il intéresse lus par le fond des choses que par 1 manière dont il les rend. La meilleure édition est celle de Leyde, 1670, /'n-8°. I , 164. VALÉRIE, dame romaine. I, 122. VALÉRIEN ( Publius-Licinius ), fut proclamé empereur romain l'an 253. Dabord favorable aux chrétiens , il excita ensuite contre eux la huitième persécution qui commença en 257. Trois ans après, il fut fait prisonnier par Safjor, roi de Perse , qui le traita avec la dernière indignité , jusqu'à le faire servir de marche-pied lorsqu'il montoit à cheval. Il mourut en captivité , et la mort ne termina pas son ignominie. Sapor le lit écorcher , fit teindre sa peau en rouge , et la mit dans un temple , pour être un monument éternel de l'opprobre des Romains. III , 24 , 280. VALERIUS-FLAGCUS ( Pubîius ) , sénateur romain , contemporain de Caton-V Ancien , avec lequel il fut censeur. II, 423. III , 295. VALERIUS-PUBLICOLA ( Publias ) , fut un des fondateurs de la liberté romaine. Subrogé au consul Tarqum~ Collatin , il devint le collègue de Brutus , l'an 5og avant J. C. Il fut encore revêtu du consulat les deux années suivantes ; et pour la dernière fois , l'an 504 avant J. C. I , 470. II, 440. VALINCOURT ( le docteur), contemporain de La Fontaine. II , 488. VALLIÉRE ( Louise - Françoise de la. Beaunie-le-Blanc , duchesse de la ) , victime d'un penchant aveugle , ne put voir Louis XIVsans l'aimer; et ce monarque la paya d'un tendre retour. Cette vie scandaleuse , malgré les charmas trompeurs qui en cachoient le crime , ne pouvoit dérober son horreur aux yeux d'une pécheresse élevée dans la vertu. Elle détestoit sa foiblesse ; mais pour rompre les liens funestes qui l'enchainoient il falloit que le Ciel parlât. Il parla \ et l'on vit un spectacle nouveau dans les cours : la maitrcsse d'un grand roi renoncer soiennellement aux doucas voluptés du siècle , pour
E
Kk 4
�I
520
TABLE
HI
STORIQUE
embrasser les rudes travaux de la VARUS (Quintilius), proconsul romain , pénitence. Elle se lit carmélite en. qui fut entièrement défait par Armi1675 , sous le nom de Sœur de la niUSi chef des Germains, sous le règne Miséricorde , répara ses fautes par & Auguste , l'an 9 de J. C. III ^297. des austérités presque incroyables , VASSIGKAC ( le chevalier de ), gouveret mourut saintement en 1710 , à neur du vicomte de Turenkel II, 15îf. 66 ans. II , 491. VAUBAN ( Sébastien le Prestre , seigneur VALLIÛN ( le comte de ) , officier de de ), montra , dès sa plus grande jeul'empereur Gratien , assassiné par les nesse , un goût particulier pour le ordres du tyran Maxime. II , 2.07'. génie , et présagea dcs-lors ce qu'il VALOIS ( Philippe de ) , seigneur de la seroit dans la suite de sa vie. Il fit de cnur de Laurent de Mvdicis grandcette science un art tout nouveau , duc de Toscane. I , 102. travailla à 3oo places anciennes , en YANDER-DOES ( Janus - Dousa , dit ) , construisit 33 nouvelles , se trouva à gouverneur de Leyde en 1574, défen140 actions de vigueur, et conduisit dit cette ville avec autant de courage 53 sièges. Tant de services lui mérique de prudence. Le général des astèrent la dignité de maréchal de siégeans sollicita plusieurs fois , par France. Il mourut en 1707 ,374 ans. lettres , les bourgeois à se rendre : I, 251 , 449 , 496. II, 197. IH , 34g. Vander-Vobs ne répliqua qu'en vers YAUDREY , gentilhomme français , latins au bas de chacune , et força les contemporain du chevalier Bnyard , ennemis à la retraite. 11 mourut en étoit d'une maison illustre, du comté 1604., à 5Q ans, laissant plusieurs de Bourgogne, laquelle portoit pour ouvrages qui lé firent regarder comme devise : J'ai valu , vaux et vaudrai , le larron de la Hollande, etpormilespar allusion aux terres de Vaux, Yalu quels on distingue ses Annales holet Yaudrey, qu'elle possédoit. I, 63. landaises , en vers élégiaques. 1, 67g. YAUGELAS { Claude Favre , seigneur VARÉNUS , officier romain t de l'armée de ) , fut gentilhomme ordinaire , de Jules-César. II, 151. puis chambellan de Gaston de France, VARIGNON {Pierre), né à Caen en iG54. duc d'Orléans , qu'il suivit dans touembrassa l'état ecclésiastique , reçut tes ses retraites hors du royaume. Il l'ordre de prêtrise , et s'ouvrit les mourut en i65o, à g5 ans , et fut un portes de l'académie des scienees par des premiers et des plus illustres ses connoissances profondes dans les membres de l'académie française. II mathématiques. Il mourut en 1722, travailla au Dictionnaire de cette laissant plusieurs écrits estimables compagnie , et fit sur notre langue sur les objets de ses études. II , 177, d'excellentes remarques devenues 340. III j 222. moins utiles aujourd'hui, parce qu'on VARIUS , Romain , accusateur du conen a profité ; mais ce qui a immorsul J&milius-Scaurus. II , 283. talisé son nom parmi nous , c'est sa YAKRON ( Caïus • Terentius ) , consul traduction française de Quinte-Curcc , romain , l'an 216 avant J. C. , perfruit d'un travail de 3o années. III, dit par sa témérité la bataille de 14a. Cannes , qu'il avoit imprudemment VEJENTON , sénateui romain , et délalivrée nAtmibal. II, 40. III, 158. teur secret sous le règne de l'empeVARRûN ( Marcus-lercnfius ) , né l'an reur Domitien , qui , pour récompeni*g avant J. C. , fut lieutenant de ser ses infa-mes services} et peut-être Pompée , dans la guerre contre les aussi pour les cacher, lui donna le piiates , et mérita une couronne natitre de ctrtisul honoraire. III , 146. vale. S'étant engagé dans le parti VENDÔME ( Louis-Joseph duc de ) , arcontraire à César, il fut proscrit : il rière-petit-fils de Henri IV, né en obtint sa grâce , se consacra tout en1654 , prouva qu'il avoit hérité de la valeur de son bisaïeul. Il fut regardé tier à l'étude , fut regardé comme le plus docte des Romains, et mourut comme un héros dans un siècle qui avoit produit Turenne , Condè , TU' âgé de près de 90 aus , laissant , comme il nous l'apprend lui-même , lars. Son nom seul valut des armées plus decinq cents volumes,qu'il avoit au roi d'Espagne Philippe V ; et il affermit le trône encore chancelant de composés sur différentes matières. Il ce prince, par la fameuse bataille de ne nous reste que son ouvrage sur la langue loti ne , qu'il dédia à Cicèron, et Yilla-Viciosa , gagnée en 1710. Il mourut deux ans après , à l'âge de 58 un Traité de la vie rustique, I , 106. ans. Intrépide dans les combats » M, 177-
�DES
FERS ON NAGES.
521
doue d'une présence d'esprit que le péril même rondoit enoore plus active , son coup-d'œil vaste prévoyoit tout avant l'action , dirigeoit tout dans la mêlée, et proHtoit de tout après la victoire. Bans la vie privée , doux, bienfaisant, ennemi du faste , ne connoissant ni haine , ni jalousie , ni vengeance , il n'eut de fierté qu'avec les princes du sang ; par sa bonté , tous les autres hommes devenoient ses égaux, t , 58 , 331. VENDOME ( Philippe de) , frère du précédent, né en 1655 , se montra digne de lui par sa bravoure. Il se signala dans plusieurs sièges et combats , mais il fut disgracié pour ne s'être pas trouvé à la bataille de Cassano , donnée le 16 Août 1706 , et gagnée par son frère. Il étoit grand-prieur de France. Il se démit de cette dignité en 1719 , prit le titre de prieur de Vendôme , et mourut à Paris en 1727 , à 72 ans. Sa cour étoit le rendez-vous des gens de lettres, dont il encourageoit les travaux par ses bontés. II, 504. III, 228. VENTADOUR ( le duc de ) , mari de mademoiselle de la Mothe- Houdancourt, qui fut gouvernante de Louis XV, et qui mourut en 1744 , à 93 ans. III, 116. VENTIDIUS ( Publius ) , Romain de basse naissance , qui de muletier s'éleva par son mérite et par ses victoires aux dignités de tribun du peuple , de préteur , de pontife , et même à celle de consul , l'an 38 avant J. C. Il triompha des Parthcs en trois batailles ; et après sa mort ses funérailles se tirent au-dépens du public. II, 142. VERIN ( Michel), poète précoce , né à Florence , et mort dans la même ville en■ 1487 j à 19 ans. II, 182. VERMANDOIS ( Louis de Bourbon t comte de ) , fils de Louis XIV et de madame de la Vallibre , fut pourvu de la charge de grand-amiral de France en 1669 , et mourut d'une fièvre maligne au siège de Courtrai en i683. III , 143. VERNÈS , ou plutôt Verens, ( le marquis de ) , seigneur de la cour de l'empereur Charles-Quinf, III, 23g. VERUS t Lucius ) , fils de Lucius-Verus , que l'empereur Adrien avoit adopté , fut associé à l'empire par Marc-Aurèle , l'an 161 après J. C. Ce prince lui donna sa fille Lucile en mariage , et l'envoya en Orient contre les Parthcs. Lucim-Verits les défit l'an
ï63 , et se plongea ensuite dans des d éba u ches qui vrai semblablemen t hâtèrent ses jours. Il mourut d'apoplexie l'an 169 de J. C., à 42 ans. II , 142. YESPASIEN {Flavius) , né d'une famille assez obscure , parvint à l'empire l'an 69 de J. C. , régna sagement, et mourut après dix ans d'administration , en 79 , Agé de 70 ans. I , 124, 31.9 , 378 , 379- II,, 4o5 , 45g. VÉTRONltrs - FURINUS , courtisan de l'empereur Alexnndre-Sévère. 1, 3 g 7. YETTHMIUS ( Valcntin ) , théologien de la ville d'Ienne. II , 438.* VETURIE , dame romaine , mère du célèbre Coriolan. I, 145. VIBIUS - CRISPUS , officier de l'empereur Domitien. I , 3o8. VIENNE ( de ) , commis de M. d'O f surintendant des finances. II, 3gi. YlGNOLES { Ktienne des ) „ plus connu sous le nom de la Bire , fut l'un des plus fameux capitaines français du ligne de Charles VII. Il tint un rang distingué parmi les héros qui rétablirent Charles Fil sur le trône. Il mourut à Monlauban en 1447. 1, 309. VlLLA-MÉDIANA , seigneur espagnol à la cour d'Elisabeth , reine d'Angleterre. II , 225. VlIXARS ( Louis-Hector , marquis , puis duc et pair, de ) , né en 1653 , porta les armes fort jeune , et par son courage et sa capacité , il annonça dèslors un défenseur à la France. II se signala d'abord au passage du Rhin , puis au siège de Maeslrich. Louis XIV , charmé de son ardeur naissante , l'honora de ses éloges : « Il » semble , dit ce monarque, que dès » qu'on tire en quelque endroit, ce » petit garçon sorte de terre pour s'y » trouver. » Il fit de si belles choses dans la campagne de 1678 , que le maréchal dé Crêqui son général lui dit devant tout le monde : « Jeune » homme, si Dieu le laisse vivre, » tu auras ma place plutôt que personne. Il accepta l'augure , et Lien tôt, en effet, il fut mis à la tète des armées. En 1701 , on l'envoya en Italie , où , dès son arrivée , il défit un corps qui vouloit l'enlever. De là il passe en Allemagne , traverse le Rhin à la^vue des ennemis , s'empare de Neubourg ; et l'année d'après , par un mouvement habile , remporte à Fridelinghen une victoire complète sur le prince de Bade , ce qui lui mérita le bâton de maréchal. £111702, il gagna la bataille d'Hochs-
�522
TABLE
HI
STORIQTJE
techt , de concert avec l'électeur » répondit le maréchal , mais au de Bavière. Ce prince avoit d'abord » mien , je ne dois pas ménager les refusé de combattre ; il voulut con» occasions de me procurer une mort férer avec ses généraux et ses minis» glorieuse. » Il prit le château de tres ; « C'est moi qui suis votre miMilan le 3u Décembre de la même •• nistre et votre général , lui dit année. Son grand âge ne lui permit » Fillars ; vous faut-il d'autre conde faire qu'une campagne , mais " seil que moi quand il s'agit de doncette campagne fraya le chemin de » ner bataille ? .. Il la donna , et fut la victoire. En revenant en France f vainqueur. De retour en France , il une maladie moi-telle l'arrêta à Tupacifla le Languedoc , puis marcha rin. Son confesseur l'exhortant à la contre Marlborough, déconcerta tous mort , lui dit que Dieu lui avoit fait ses projets, remporta une victoire en de plus grandes grâces qu'au maré1708 à Stolhoilén , et tira de l'empire chal de Lerwick , qui venoit d'être plus de dix-huit millions de contributué d'un boulet de canon , au siège tion. Le Dauphiné fut ensuite le théâde Philisbourg : - Quoi , il a fini de tre de ses exploits , et l'habile gé« cette manière ! répondit le héros néral lit échouer tous les desseins du » mourant. Je l'ai toujours dit, qu'il duc de Savoie. Il faut, dit un jour » étoit plus heureux que moi. » Il » ce prince , que le maréchal de Filexpira peu de temps après , en 1734 , » lars soit sorcier , pour savoir tout à 82 ans. I , 80 , 252 , 267. III, 24 , » ce que je dois foire : jamais homme 101. » ne m'a donné plus de peine ni plus » de chagrin. » II se rendit eu Flan- VILLARS ( Henri de ) , archevêque de Vienne sur la fin du siicle dernier. dres , et battoit les ennemis à MalIII, 335. piaquet , lorsqu'il fut blessé assez VILLARS , charlatan qui , ainsi que dangereusement pour recevoir le viabien d'autres avant et après lui , eut tique. On lui proposoit de l'adminisl'adresse en 1728 de vendre fort cher trer en secret : .. Non , dit le maréun remède peu coûteux. III , 218. - chai, puisque l'armée n'a pu voir VlLLEROY ( Kicolas de Neujuille , sei» mourir Villars en brave , il «st gneur de), fut choisi en 1646 pour » bon qu'elle le voie mourir en chréêtre gouverneur de Louis XïF,quï le » tien. » En 1712 , il tomba inopifit ducet pair, et maréchal de France. nément sur un camp de dix-sept baIl mourut en 1685 , à 88 ans. 1,21. taillons retranchés à Denain. Il vouVlLLEROY (François de iVeu/vil/e , duc loit le forcer : la chose étoit difficile ; de ) , fils du précédent, pair et marémais Villars compta sur son courageet chal de France , commanda en sur celui de ses soldats. « Messieurs t Lombardie, fut fait prisonnier à Cré» dil-il à ceux qui l'environnoient,les mone , en 1702 ; et quatre ans après » ennemis sont plus forts que nous ; perdit la funeste bataille de Rarail» ils sont même retranchés : mais lies , dans le Brabant. Malheureux à » nous sommes Français , tombons la guerre , il fut plus heureux dans >• dessus ; je vais vous donner l'exemle cabinet, il devint ministre d'état, » pie. » Eu disant ces mots , il se et fut fait gouverneur de Louis XV. précipite sur les retranchemens des Il mourut en 173n , à 87 ans. II, i33, ennemis commandés par le prince 2i5 , 449. III , 142. Eugène; et imité par ses guerriers , il VILLENEUVE {Hé/ion de), grand-maître remporte la victoire. Les succès de de l'ordre de S. Jean de Jérusalem , ce héros hâtèrent la paix , elle fut établi à Rhodes, fut élu en 1319 , et conclue à Rastadt en 1714 , et le mourut après 27 ans d'administramaréchal y fut plénipotentiaire. Justion. III , 201. qu'en 1 733 , Villars jouit tranquilleVlLLIERS DE L'ISLE - ADAM ( Pliili/ipe ment de sa gloire. Alors la guerre se de ), fut élu graud-maitre-des chevaralluma , et il fut envoyé en Italie liers de Rhodes en 1521. Il défendit avec le titre de maréchal-général des pendant six mois cette ile assiégée camps et armées du roi. Le 23 Nopar les Turcs en 1522 , et fit éclater vembre il se rendit maitre de Pisile plus héroïque courage. Obligé de ghitone , après douze jours de trancapituler le 24 Décembre de la même chée. Un de ses premiers officiers lui année , il mit son ordre sous la proreprésentant pendant ce siège qu'il tection de l'empereur Charles-Quint, s'exposoit trop : Vous auriez raiqui lui donna l'ile de Malte en i53o. « son, si j'étois à votre âge , lui Il en prit possession , et depuis ce
�DES
FERS ONNAGES.
523
les peuples , et traduit dans toutes temps les chevaliers de Saint-Jean de les langues de l'Europe. La multitude Jérusalem portent le nom de chevades bonnes éditions qu'on a faites de liers de Malte. Villiers mourut en ses œuvres nous dispense d'en citer 1534 , à 70 ans. III , 315. aucune. I, 121 , 367. VlLLIERS , courtisan du duc Louis-JoVinGINlE , jeune romaine, que son seph de Vendôme. I, 331. père tua l'an 449 avant J. C. pour la VlNDEX ( CaïuS'Jnlius) , propreteur de dérober à la passion brutale du déla Gaule, se révolta contre Néron , cemvir Appius. I, 471. l'an 68 de J. C, , et favorisa la proclamation de Galba , qui avoit suivi VIRGINIUS , soldat romain , père de la précédente. I, 384 t 471* son exemple. I, 375. VlNDICItJS , esclave romain qui dé- VlTELLIUS (Aulus), fut proclamé empereur l'an 69 de J.C. dans la Bassecouvrit la conjuration de la jeune noGermanie, presque dans le même blesse en faveur de Tarquin-le-SuOthon venoit temps où M ar eus Suivi perbe. 1, 20g. de l'être en Italie , et triompha de ce YlNER (sir Hubert) t qui fut élu lordcompétiteur. Il se fit détester par son maire de Londres, sous Charles II, intempérance et par ses cruautés» roi d'Angleterre. II, 198. Les troupes se révoltèrent, et le peuVIRGILE, ou Virgilius-Maro^Publius), ple le mit en pièces dans le huitième né dans un village voisin de Mantoue, mois de son règne. Ce prince avoit été l'an 70 avant J. C. , étoit lils d'un consul l'an 48 de J. C. I, 377» 378potier de terre. Il se livra à l'étude de toutes les sciences, niais plus YlVALDO ( Luchino ), citoyen de Gènes. II, 38. particulièrement à la poésie , porta l'art des vers au plus haut point de VIVES (Jean-Louis) , né à Valence en Espagne, en i4g2 , parconrutdivers perfection. Ses talens presque divins pays pour se former dans les lettres, le rendirent cher à Auguste , ainsi enseigna le latin à Marie , reine qu'à tous ses contemporains ; et il a d'Angleterre , fille de Henri VIII, et plus fait peut-être pour la gloire de fut mis en prison par l'ordre de ce Rome par ses poèmes immortels , prince, parce qu'il s'étoit permis des que Rome même par ses victoires. observations trop hardies sur sa conSes Bucoliques ou pastorales , qu'il duite à l'égard de la reine Catherine composa à l'imitation de Théocrife , d'Aragon sa femme , qu'il vouloit mais qui valent mieux que celles de répudier. Vives , ayant recouvré la son modèle , l'occupèrent durant 3 liberté, repassa en Espagne, et mouans , et commencèrent sa réputation. rut en i54o, laissant beaucoup d'éSes Géorgiques ou travaux champêcrits , dans lesquels on trouve des tres, le plus fini de ses ouvrages , et faits assez curieux. I, 134. le chef-d'œuvre de la poésie latine , accrurent sa renommée , et lui con- VlVIANI ( Vincenzio ), né à Florence en 1622 , vécut trois ans avec Galilée , cilièrent tellement l'admiration des qui le regarda comme un disciple Romains , que paroissant un jour au digne de lui ; soutint par ses progrès théâtre, tout le peuple se leva avec dans la géométrie la gloire d'avoir eu des acclamations ; honneur qu'on ne un tel maître ; fut associé de l'acadérendoit alors qu'à l'empereur. Enfin , mie des sciences de Paris, et comblé il ressuscita l'art du poème épique , des bienfaits de Louis XIV. Il mouqui paroissoit enseveli depuis 900 rut en 1703 , à 8i ans. III, 124 , 332. ans dans le tombeau d'Homère. Lui seul sut enlever à la Grèce une gloire VlVONNE (Louis-Victor de Rockechouart,, duc de Mortemar et de ) , prince de qui sembloit lui être exclusivement Tonnais - Charente , maréchal de réservée , et son Enéide mise à côté France , et général des galères, de l'Iliade soutint le parallèle : Virmourut le i5 Septembre 1688. Il dut gile employa près de douze ans à la en partie son élévation à madame de composition de cet admirable ouMontespan sa sœur; mais il en étoit vrage ; et n'ayant pu y mettre la derdigne aussi par son mérite personnel. nière main , il voulut le livrer aux II, 489. III, 168. flammes , étant près de mourir, l'an 19 de J. C. Mais Auguste ne le permit VOISIN (Daniel-François), après avoir rempli avec distinction plusieurs pas ; prévoyant bien que ce seroit charges de la magistrature , devint pour la postérité le plus beau , le ministre d'état en 1709 , chancelier plus précieux monument de son rè' de France en 1714 , et mourut subitegne. Virgile a été imprimé chez tous
ILS
�5a4
TABLE
HISTORIQUE
meutcinq ans après, à 63 ans. 1, 447. il embrassa tous les genres de littéVOITURE ( Vincent), né en 1598, dut le rature. L'épopée , la tragédie , la cojour a uu marchand de vin d'Amiens ; médie, l'opéra, la poésie lyrique et et comme, a la petitesse de rougir de fugitive , exercèrent tour-à-tour sa sa naissance, il joignit celle d'être plume féconde, riante et légère. Non sensible aux plaisanteries que sa vacontent des lauriers qu'il méritoit nité occasionoit, on le badinoit soucomme favori des Muses , il voulut vent. Madame Deslogrs lui dit un être encore historien , romancier jour , eu jouant aux proverbes : ( philosophe, critique, tout enfin, et » Celui-ci ne vaut rien ; percez-nous^ rien ne parut au-dessus de ses forces. » en d'uu autre. » Les agrémens sinHeureux ! si en réprimant les écarts gulière de l'esprit de Voilure lui prod'une imagination vagabonde , et curèrent de nombreux protecteurs , quelquefois cynique , il eût connu le et des amis zélés. Les bienfaits qu'il frein salutaire que la raison doit reçut et du roi et des grands de sa mettre aux productions de l'esprit ; cour, l'auroient mis dans l'opulence ; et si , moins jnloux de se rendre cémais ils ne servirent qu'a alimenter lèbre par un orgueiileux.scepticisme, sa passion pour le jeu et pour les il se fut humilié, avec tous les vrai* femmes. Il fut reçu de l'académie e sages , devant l'étendard sacré de la française en j 634, t mourut en religion ! Cet homme fameux par J648. On a réuni toutes ses ceuvres l'incroyable variété de ses taleus , et €n 2 volumes m-i 2 , dont ses lettres par l'abus qu'il en a presque toujours composent la meilleure partie. Elles fait, mourut à Paris en 1778 , à 84 peignent l'esprit de leur auteur , ans. II étoit de l'académie française , ordinairement lin et enjoué , mais et presque toutes les sociétés littéplus souvent alfecté et froid dans ses raires de l'Europe se firent une gloire plaisanteries. I, 97. II, 432, 489. de le compter au nombre de leurs TOLOMîitE, femme du célèbre Con'omembres. II, 504. ïan. I, 145. VOLTAIRE ( Marie-François Jrouel de) , VOSSIUS ( Isaac ), né à Leyde en 1618, se rendit habile dans l'histoire anné à Paris en 1694, annonça dès l'encienne, et dans la connoissance de fance les agrémens et la facilité de la langue grecque et de la latine. Il son esprit. Dans l'âge où l'on peut à donna de savantes éditions d'anciens peine soupçonner les chefs-d'œuvre auteurs, enrichit la littérature d'une du génie , il développoit déjà toutes multitude d'observations pleines de les richesses du sien. Dès-lors il jeta profondeur et de sagacité, et moules fondemens durables de cette vaste rut en 1689 , à 71 ans. 1, 24g, réputation qui porta son nom et ses Vou-Ti, empereur de la Chine , vers ouvrages chez tous les peuples de l'an 907 de J. C. III, iS3. l'Europe. Se sentant propre à tout,
w.
^V^ALPOLK (Robert), ministre d'état sous&eorges l et Georges II, rois d'Angle terre , se maintint durant 20 ans dans ce poste glissant et difficile , et fut créé pair sous le nom de Comte d'OjcJord , en J 741. II crut qu'il étoit temps alors de céder à l'orage qui l'avoit menacé vainement depuis tant d'années; et après s'être démis de tous ses emplois , il mourut tranquillementdaus sa retraite en 1 744. II, 225. "WALDI (Jean ) , milicien de la communauté deCasparch. I, 165. "WILLIAM , jeune anglais , qui recouvra la vne en 1764, par l'opération de la cataracte. III, 186. WlSANT (Jncfues et Pierre ) , frères , citoyeus de Calais , qui se livrèrent à J'Jdortant III , roi d'Angleterre, en 1346, pour sauver leur patrie. I, 224. "VVOISEY ( Thomas) , fils d'un boucher, devint ministre et favori de Henri VIII , roi d'Angleterre , qui le fit archevêque d'Yorck , et grand chancelier du royaume. Le pape Léon X l'honora de la pourpre, et il devint, en quelque manière, l'arbitre de l'Europe, par la dextérité de sa politique. AnnedeBoulen, devenue fexnma de Henri VIII, le fit disgracier ; il fut dépouillé de tousses bénéfices , excepté l'archevêché d'Yorck ; et le monarque alloit le faire enfermer dans la tour de Londres , lorsque la mort sauva à l'infortuné cardinal cette dernière disgrâce. Il cessa de vivre en 1533 , à 60 ans. Avant d'expirer , il s'écria : « Hélas ! si j'a» vois servi le Roi du ciel comme » celui de la terre , je 11e serois pas » délaissé comme je le suis en oe » moment. » III, 126,
�DES
PERSONNAGES.
5a5
X.
XANTIPPE
) athénien, père du fameux Pêrides f l'an 480 avant J. C. III, 128. XANTIPPE ,
impitoyable épouse du plus sage des hommes , et qu'on pourrait appeler le mauvais génie de Socrate.
qu'Agésilas* le-Graitd , roi de Sparte, députa vers
II , 89 , 3o8. III , 25. XÉNOCLES, Lacédémonien
les habitans de Larisse en Tnessalie, citoyen de Sicyone , qui se joignit à Aratus , pour chasser le [ tyran Micoclès de cette capitale de la république achéenne. I, 187. XÉNOCKATE , l'un des plus célèbres disciples de Platon , l'accompagna dans son voyage de Sicile, et devint, après Speusippe , le chef de l'école platonique , l'an 33g avant J. C. La nature lui avoit tout refusé ; mais il obtint tout par son travail, et ses talens furent le fruit de l'application la plusopiuiàtre. Grave, austère, sauvage même , et ayant besoin , comme le disoit Platon, de sacrifier aux grâces , il se montra également ennemi des plaisirs , des richesses et des éloges. Sa sobriété étoit telle , qu'il fut plus d'une fois obligé de jeter ses provisions, parce qu'elles étoient moisies ou trop vieilles. Il excluoit de son école ceux qui préalablement ne s'étoient pas formés dans les mathématiques , qu'il regardoit comme la clef des esprits. Sa probité étoit ai connue, que de tous les Athéniens il fut seul dispensé par les magistrats de confirmer son témoignage par serment. Alexandre-leGrand lui prouva son estime, et tous ses contemporains honorèrent ses vertus : le généreux philosophe eut mieux aimé qu'ils les imitassent. Il mourut vers l'an 3i4 avant J. C., âgé de go ans. I, 492. II, 91 , 403. Gardien , officier et courtisan d'Alexandre-le-Grand. III, 138. ^ÉJïOTHANE, poète et philosophe grec , naquit vers l'an 620 avant J. G. , et vécut plus d'un siècle. Il réfuta les fictions théologiques à.'Homère et la théogonie d'Hésiode. En se riant des dogmes obscurs du paganisme , il n'en substitua pas de plus solides. On le regarda comme un impie, qui n'est incrédule que pour le plaisir de l'être. Il fut chassé de Colophon , sa patrie , se retira en Sicile, et y mourut après avoir formé des disciples qui propagèrent ses opinions, et don-III, 44, 45 XÉNODOQUE , II , 455. XÉNOCLÈs ,
,ti5g, 207.
nèrent naissance à la secte des phi-1 losophes appelés Flèajiques. II, 32g, XÉNOPHILE , capitaine de bandits , aida le célèbre Aratus dans son expédition contre JVicoclès, tyran de Sicyone, I, >88. XÉNOPHON, athénien, né l'an 45o avant J. C. , eut Socrate pour maître, et devint sage et citoyen à l'école de cet illustre philosophe. Il ne quitta ses leçons que pour les mettre en jn-alique enservantla patrie, et fut un des chefs de l'armée grecque qui alla seconder la révolte de Cyrïts-le-Jeune contre son frère Arlaxerxès - Mnèmon , roi de Perse. Oyrus futvaincu à Cunaxa l'an 401 avant J. C. ; et les Grecs auxiliaires , obligés de fuir devant le vainqueur qui les poursuivoit, firent, sous la conduite deXénopfion, cette marche célèbre à laquelle on a donné le nom de Retraite des dix mille. Après s'être comblé de g loire en ramenant ses compatriotes dans leurs fo\ers, le brave capitaine accompagna J^gcsf7a,s i7, roi de Sparte, dans son expédition d'Asie. A son retour , les intrigues du roi de Perse le firent exiler d'Athènes ; il chercha un asile dans quelques villes de la Gi'èce ; et après s'être fixé à Corinthe , il y passa le reste de ses jours dans un doux repos , qu'il consacra aux lettres , et mourut l'an 35g avant J. C. Il nous reste de Xénophon plusieurs ouvrages historiques et philosophiques , admirés de ses contemporains , et qui le seront dans tous les âges. On en a donné plusieurs éditions estimables, parmi lesquelles se distinguent celles de Paris , 1628 , in-J'ol.,. et d'Oxford, 17.03 ,. 5 vol, in-d.o H s 26 , 433. XERXÉS I, fils de Darius I, roi de Perse , succéda à son père l'an 486 avant J. C. , et mérita le nom de Grand, moins par le succès que par la hardiesse de ses entreprises. Il fit aux Grecs une guerre malheureuse , et fut assassiné par Artabane , capitaine de ses gardes , l'an 465 avant J. C. p dans la vingt-unième année de sou règne. 1, 7 , 191 1 ^5 , 19 7, 198, 2-o3, 333. Il, i5, 55, 173, 223. XlMEN'ES ( François ) , né en 1437, entra dans l'ordre des cordeliers , et devint confesseur d'Isabelle , reine de Castille , qui le nomma archevêque de Tolède, et le fit décorer delà pourpre romaine.- Après la mort de cette princesse , Ferdinand son époux , roi d'Aragon, et administrateur de la
�526
TABLE
HISTO
RiQUE,
etc.
Castille , partagea les soins du gouvernement avec le cardinal, et par son testament le déclara régent de j toute l'Espagne , pendant la minorité " de Charles - Quint. Son despotisme 9 alors devint extrême; mais peut-être étoit-il nécessaire , puisque loin d'en abuser, il ne s'en servit que pour faire du bien. ïl se vantoit de ranger avec son cordon de cordelier tous les grands dans leur devoir, et d'écraser leur fierté sous ses sandales monastiques. Les premiers seigneurs d'Espagne , révoltés d'une conduite qui ne leur laissoit que l'obéissance , se liguèrent contre lui ; et demandant avec hauteur de quel droit il gou-
vernoit le royaume ? <• En vertu du '• pouvoir qui m'a été confié par le " feu roi ; » répondit le cardinal. " Ce prince, lui répliqua- t-on , » n'avoit pas ce droit, puisqu'il 11'é» toit lui-même qu'administrateur. » — Eh bien ! reprit Xinienès , venez " voir mon titre. » Alors les faisant approcher d'un balcon d'où l'on appercevoit une batterie de canons , il lit faire une furieuse décharge , et dit d'un .ton sévère : « Yoilà les titres " de mon pouvoir , et la dernière » raison des rois. » Ce ministre célèbre mourut empoisonné en i5i7,à 81 ans, après avoir gouverné l'Espagne pendant 22 ans. II, 219.
Y.
YoNG - TCHENG
, empereur de la Chine, monta sur le trône en 1722 , et mourut en i?35 , après i3 ans de règne. II, 327.
de l'abbé Silvain , supérieur des solitaires de la montagne de Sinaï. II, 507. ZALEUCUS , législateur des Locriens , environ 5oo ans avant J. C. H , 125. ZEBEIDAH , l'une des femmes du calife Haroun-al-Raschild. I, 323. ZEIRI, prince musulman d'Afrique, en g35 , s'est rendu célèbre entre les souverains de son temps par ses victoires. II, 525. ZÉNIS, Dardanien, gouverneurde l'Eolie pour le roi de Perse, et sous l'autoritédu satrapePhnrnabaze. II, 325. ZÉNON est le fondateur de la secte des Stoïciens. Ce nom fut donné à cette classe de philosophes , parce que leur maître avoit choisi un portique pour y donner ses leçons. Il naquit à Citium dans l'ile de Chypre. Un naufrage l'ayant jeté à Athènes , il y étudia la sagesse , se fit une doctrine et des disciples , et son école fut long-temps célèbre. Zinon ayant fait une chute , se donna lui-même la mort, vers l'an 264 avant J.C. Ceux qui suivirentsesprincipes imitèrentsouventeesuicide, surtout lorsqu'ils étaient malheureux : comme si le véritable héroïsme consistoitplusà se débarrasser de sesmisères, qu'à en supporter courageusement le douloureux fardeau ! Zinon admettoit en tout une destinée inévitable : son valet voulant profiter de cette opinion, s'écria, tandis qu'on le battoit pour un larcin : » J'étois des-
ZACHARIE , disciple
" tiné à dérober.— Oui, lui répondit le philosophe, et à être battu. • I , 4. II, 176, 406, 434. III, 27, ug, 207. ZEUXIS , peintre grec , né à Iléraclée t florissoit vers l'an 400 avant J. C. et s'illustra par ses nombreux chefsd'œuvre. Ayant représenté une vieille avec un air extrêmement ridicule, ce tableau le lit tant rire , qu'il eu mourut. III , 160, 211. ZIAD, musulman, gouverneur de Basra. III, 222. ZOBAIR, chef d'une famille arabe , dont chaque individu devenoit fou , dit-on-, un jour de l'année. II, 193. ZOPIRE, seigneur persan , ami de Darius /, fils à'Hjslaspes , roi de Perse. I, 112. ZOROASTRE , nom de deux législateurs persans. Le premier étoit, dit-on t un philosophe profond. Ne se croyant sage que pour rendre ses semblables heureux, il leur persuada de se soumettre à un code de lois qui, les unissant par les liens d'une fraternité mutuelle , ne fit plus qu'une seule famille de plusieurs provinces étendues et peuplées.Onignore quand il vivoit , mais il est probable qu'il florissoit environ 2000 ans avant l'ère chrétienne. Le second Zoroasfre parut sous Darius l, fils à'Hystaspes , vers l'an 492 avant J. C. On l'appelle encore Zcrdusth , et c'est lui qui a composé le Zende-At>esla , publié pal* AI. Anquetil-du-Perran, eu 1771 , Paris
Fin de la Table des Personnages.
�
PDF Table Of Content
This element set enables storing TOC od PDF files.
Text
TOC extracted from PDF files belonging to this item. One line per element, looking like page|title
InfoValue: I.C.S. v1.4.1.9 Copyright © 2009-2013 ISAKO|InfoKey: Creator|InfoKey: Producer
InfoKey: ModDate|InfoValue: iTextSharp 5.0.5 (c) 1T3XT BVBA|InfoValue: D:20130220115550+01'00'
InfoValue: D:20130208105155+01'00'|InfoKey: CreationDate|PdfID0: 15e971f152e22b618923befc18fd67
-
http://bibnum-bu.univ-artois.fr/files/original/a3f7e7053c35ba9993ec47d0b2758e6a.pdf
9d9f6ed15445600b7c90fd96564d4a35
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Ouvrages remarquables des écoles normales
Description
An account of the resource
Document
A resource containing textual data. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre text.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Dictionnaire historique d'éducation : tome second
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et d'enrichier toutes les facultés de l'ame et de l'esprit, en susbtituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie
Subject
The topic of the resource
Education
Description
An account of the resource
Nouvelle édition, qui a été revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre d'articles, et sur-tout d'une Table historique des Personnages, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagnoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire. La citation "Longum per peaecepta, breve per exemplum iter" figure sur la page de titre. Orthographe d'époque.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Fillassier, Jean-Jacques (1745-1799)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Amable Costes, Libraire
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1818
Date Available
Date (often a range) that the resource became or will become available.
2013-02-22
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/002692171
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 vol. au format PDF (508 p.)
Language
A language of the resource
Français
Type
The nature or genre of the resource
Text
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MAG 37 070
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Ecole normale de Lille
Rights Holder
A person or organization owning or managing rights over the resource.
Université d'Artois
PDF Search
This element set enables searching on PDF files.
Text
Text extracted from PDF files belonging to this item.
�DICTIONNAIRE
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION.
TOME SECOND.
�IMPRIMERIE DE BRU NET.
�DICTIONNAIR
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION,
Où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et cVenrichir toutes les facultés de l'ame et de l'esprit, en substituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie. NOUVELLE ÉDITION,
Qui a été revue, conigée et augmentée d'un grand']/ nombre d'articles, et sûr-tout d'une TABLE HISTORIQUE DES PERSONNAGES, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagaoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire;
Par M. FILLASSIER , des Académies royales d'Arras^ de Toulouse, de Lyon, de Marseille, etc.
Longum per prseeepta, brève per exemplum iter.
AMABLE
B.VS. DE
cJoS T°E%~ ~L"T"fr il
um
ARI .S, C t i
AIRfi./j f{) f |
^
fi<
cg.i»^ ^"»"!'?.!,,,,, ,,■,,,,„!,
.
I
g^,
ARCHIVES
��I) ICTIONNAIIIE
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION.
COMPLIMENT. première fois que le P. Séraphin, fameux orai. teur, prêcha devant Louis XIV, au lieu de lui faire un complimenta l'ordinaire, il lui dit: Sire, je n'ignore pas « ïàcoutume, maisjeprievotre majesté de m'en dispense ser : j'ai cherché un compliment dans l'Ecriture , « et j'ai eu le malheur de n'y en point trouver. » M. deMontausier, geuverneurdugrand-dauphin, n'aimoit pas qu'on flattât ce jeune prince. Il le fit bien sentir un jour, en badinant, au marquis de Créqui. Le dauphin, étant jeune, s'amusoit à tirer au blanc, et tiroit fort loin du but. Son gouverneur se moqua de lui, et dit au marquis de Créqui, qui étoit fort adroit, de tirer; mais ce jeune seigneur tira beaucoup plus loin dubut. que M. le dauphin : « Ah ! petiteorrompu, » s'écria WL.de Montausier, «ilfaudroitvous étrangler. » Le dauphin, devenu plus grand, fut mis à la tête des armées -, et ce prince , digne de son auguste père et de son sage gouverneur , emporta la ville de Philisbourg, qui passoit pour imprenable. Pour l'en féliciter, M. de Montausier lui écrivit en ces termes : « Je ne « vous fais point compliment, monseigneur, surla prise « de Phislisbourg; vous aviez une bonne armée, des « bombes, du canon, et Vauban. Je ne vous en fais « point aussi sur ce que vous êtes brave : c'est une vertu « héréditaire dans votre maison; mais je me réjouis « avec vous de ce que vous êtes libéral, généreux, « humain, et faisant valoir les services de ceux quifont «bien: voilà sur quoi je vous fais mon compliment. » Tome IL A
LA
2.
�2.
COMPLIMENT.
5. Dans une( conférence que le célèbre Annibal eut avec Scipion , général des Romains, on \int à parler des grands capitaines ; et Scipion ayant demandé celui qui1 Annibal croyoit le premier de tous ? Il répondit : « Alexandre-le-Grand. — Et le second ? ■— Pyrrhus, « roid'Epire. — Quel estle troisième, reprit le général romain, impatient peut-être de ne s'entendre pointnommer.«Moi-même,répondit^«nièaZ.—Etsi vous m'aviez « vaincu, lui dit Scipion?—Jemeseroismislepremier,» répliqua-t-il. Cette manière délicate de donner la préférence à Scipion sur tous les autres généraux, fait voir qa'Annibal n'étoit pas moins bel esprit que grand capitaine. 4. Raoul de Lannoi, tout jeune encore, s'étoit fort distingué à un assaut; Louis XI le fit veniraprès l'action et lui dit : « Pasque-Dieu, mon ami, ( c'étoit son ser« ment ordinaire ) vous êtes trop furieux en un combat: « il faut vous enchaîner ; car je ne vous veux point per« dre, désirant me servir de vous plus d'une fois. » En prononçant ces flatteuses paroles, le monarque passoit au cou du guerrier, une chaîne d'or, qui valoitcinq cents écus : ce présent fut suivi de plusieurs autres qui servirent de récompense à une bravoure supérieure. 5. Il étoit un temps que tout le monde disoit gros pour grand ; une grosse chose, une grosse maison, une grosse réputation. Louis XIV étant un jour chez madame deMontespan, où se Xxouvoit Despréaux, lui témoigna qu'il n'aimoit pas cette expression nouvelle. « Il est surprenant, lui dit le satirique, qu'on veuille « par-tout mettre gros pour grand. Par exemple , « ajouta-t-il en fin courtisan, il y a bien de la difTé« rence entre Louis-le-Grand etLouis-le-Gros, etja« mais la postérité ne prendra l'un pour l'autre. » 6. Louis XIV devoit se rendre à l'église de NotreDame de Paris, pour assiter à une bénédiction de drapeaux, etavoit témoigné qu'il souhaitoit qu'on ne lui fit point de harangue. M. de Ilarlay de Chanvallon, qui étoit pour lors archevêque de Paris, se contenta de lui dire, à la porte de l'église, où il le reçut : « Sire, vous me fermez la bouche, pendant que vous l'ou<( ^ vrez à la joie publique. » Voyez ELOGES.
�COMPONCTION.
5
COMPONCTION. i T_JN homme qui , toute sa vie, avoit fait profession de voler , vint dans un monastère pour y embrasser la vie religieuse. Le supérieur, qui étoit consommé dans la conduite des ames, lui commanda de demeurer en repos pendant sept jours, après lesquels il lui fit déclarer tous les péchés qu'il avoit commis dans le monde. Le voleur les lui confessa très-sincèrement. Le supérieur lui dit ensuite pour l'éprouver : « Je « désire que vous les déclariez en présence de tous « les frères du monastère. » Cet homme , qui étoit pénétré de cette divine componction qui brise le cœur, et qui fait détester véritablement les crimes dont ou a souillé son amé, consentit sans peine à subir toute la confusion que méritaient ses désordres passés, et dit qu'il éloit prêt à les déclarer tous, non-seulement devant les frères, mais même, s'il le vouloit, au milieude la ville d'Alexandrie.Alorslesupérieur assembla tous les religieux, qui étoient au nombre de trois cent trente ; et comme c'était un dimanche, après l'Evangile, il fit venir le coupable déjà justifié. Il avoit les mains attachées derrière le dos : il était revêtu d'un cilice ; sa tête étoit couverte de cendres; et des frères le conduisoient en le frappant doucement. Un spectacle si touchant, dont on ignoroit la cause, fit une telle impression sur tous les cénobites, qu'ils se mirent à fondre en larmes. Dans ce moment le saint abbé cria au pénitent : «Demeurez là ; vous n'êpas digne d'entrer ici. » Ces paroles l'épouvantèrent au point qu'il tomba le visage par terre : il croyoit entendre la voix de Dieu même. L'abbé le voyant en cet état, et tout trempé de ses larmes, lui dit de déclarer tous les péchés qu'il avoit. commis. Il obéit avec humilité; après quoi , l'abbé lui coupa les cheveux, et le reçut au nombre des frères, dont il devint l'édification, et le modèle. 2. Un insigne brigand, appelé Jonathas, se voyant A. 2
/
�4 CONCORDE. poursuivi à cause de ses crimes, vint embrasser la colonne de S. Simêon Stylite; et.pénétré d'une véritable douleur à la vue des forfaits qu'il avoit commis, il pleura amèrement. Siméon étonné lui demanda qui il étoit? « Hélas ! mon père, lui répondit-il, je suis « le voleur Jonathas , qui n'ai jamais fait que du « mal, et qui viens pour faire pénitence sous vos « auspices. — C'est à ceux-là, dit le saint, que le « royaume des Cieux sera ouvert; mais, prenez gar« de , ajouta-t-il, de ne me pas tromper, et de retom« ber jamais dans vos crimes. » Les officiers de la justice d'Àntioche arrivèrent aussitôt, et commandèrent à Siméon de leur rendre le scélérat Jonathas, ennemi public. « Mes enfans , leur dit le saint, ce « n'est pas moi qui l'ai fait venir ici : celui qui l'y a « amené est plus puissant que nous , et assiste ceux « qui, comme nous, sont touchés de repentir. Si vous « pouvez , entrez , enlevez-le ; mais pour moi , je ne « saurois le faire , car je crains celui qui me l'a en« voyé. » Ce discours épouvanta ces archers, qui s'en retournèrent à Antioche sans oser toucher au voleur Jonathas. Après donc qu'il eut demeuré sept jours, embrassant toujours la colonne de Siméon, répandant sans cesse des larmes abondantes, il dit au saint : « Mon « père , si vous le trouvez bon, je vais m'en aller.— « Vous êtes bien pressé, lui répondit Siméon, de re« tourner dans vos crimes.—Non, mon père, repartit Jonathas ; mais mon temps est accompli. » En achevant cette parole, ilrenditl'esprit. Voyez CONSCIENCE 3
PÉNITENCE, REMORDS, REPENTIR.
CONCORDE. 1. ILiÉoNdeByzance, sophiste célèbre, voulant exhorter les Athéniens à la paix et à la concorde, monta sur la tribune. A sa vue, le peuple éclata de rire, parce qu'il avoit le ventre extrêmement gros. Mais l'orateur, sans se troubler, dit au peuple : « Athéniens, « pourquoi ces ris ? Que seroit-ce, si vous voyez ma
�CONCORDE.
5
femme qui a le ventre beaucoup plus gros que moi ? Cependant, tels que nous sommes, lorsque l'union règne entre nous, un seul lit nous suffit à tous deux ; mais lorsque nous ne sommes pas d'accord , à peine la maison toute entière peut-elle nous contenir 5 elle est pourtant raisonnablement spacieuse. » 2. Septsolitaires d'Egypte s'étant retirés auprès d'un temple d'idoles abandonné, l'abbé Nub , qui en étoit un, jetoit,tous les matins , des pierres à une idole ,et lui disoit tous les soirs : «Pardonnez-moi. » Au bout de sept jours, l'abbé Poëmen lui en demanda la raison. « Lorsque j'ai jeté des pierres à cette idole, répondit« il, a-t-elle proféré une seule parole de colère ? et « quand je lui ai demandé pardon, en a-t-elle tiré « vanité ? Mes frères , continua l'abbé Nub , nous « sommes sept : si vous voulez que nous demeurions « ensemble, il faut que nul de nous ne se fâche des « reproches , et ne s'enfle de vanité, lorsqu'on lui « demandera pardon. » Tous en convinrent , et ils vécurent long-temps ensemble dans une douce et sainte union. 3. Un solitaire dit un jour à son compagnon : » Je « ne sais ce que c'est qu'un différent.» L'autre lui dit: « Voici une brique que je mets entre nous deux ; je « dirai qu'elle est à moi ; vous soutiendrez qu'elle est « à vous : de cette manière nous aurons un différent.» Le second répondit : « Je crois qu'elle m'appartient. « — Non , dit l'autre , elle est à moi.—Si elle est à « vous , prenez-la donc. » Ainsi , ces deux paisiblesanachorètes ne purent avoir de différent ensemble. 4- Un saint vieillard disoit : « Lorsque quelqu'un « parle en votre présence, soit de la sainte Ecriture , « soit de quelque autre sujet, ne contestez jamais avec « lui ; mais si ce qu'il dit est bon, approuvez-le; et s'il « ne l'est pas , contentez-vous de lui dire : Vous avez , « sans doute, quelque raison que je ne connois pas , « qui vous fait parler ainsi. Par ce moyen, vous de« meurerez toujours dans la paix ; vous ne vous ferez « point d'ennemis : au lieu que , si vous voulez sou« tenir par la dispute votre opinion, vous romprez la A 3
« « « « « «
�6 CONFIANCE. « concorde, et vous oublierez qu'il est dit : Bienheu« reux les pacifiques , parce qu'ils posséderont la « terre ! »
CONFIANCE.
i. A NTIGOTOJS Gonatas , sur le point de livrer un combat naval, près de l'île d'Andros , aux lieutenans du roi Ptolémée, son pilote lui dit que les vaisseaux du monarque égyptien étoient en bien plus grand nombre que les siens : « Et moi, lui répondit-il, qui suis en « personne ici, pour combien de vaisseaux me comp« tes-tu ? » 2. Des espions d'Annibal s'étantintroduits dans le camp de Scipion l'Africain , furent arrêtés et conduits au général. Au lieu de les punir du dernier supplice, selon les droits de la guerre , il les fit condnire dans tous les quartiers, leur ordonna de tout examiner avec soinj et quand on les ramena devant lui, il leur demanda s'ils avoient bien remarqué tout ce qu'on leur avoit dit d'observer. Ensuite, il leur fit donner à manger ainsi qu'à leurs chevaux , et les renvoya , sans même les avoir interrogés sur les desseins et les forces de l'ennemi. Cette héroïque confiance intimida les Carthaginois : ils se crurent vaincus , même avant de combattre. 3. Pjr?-hus,roi d'Epire,conduisoit son armée contre lesLacédémoniens, et leurfaisoit de grandes menaces. Cercillide, un des sénateurs de Sparte , se leva dans l'assemblée , et dit : « Si c'est un Dieu qui nous me« nace , que craignons-nous ? Nous ne faisons rien « que de juste : si c'est un homme, qu'il sache que « ceux qu'il menace sont des hommes. » 4-Lorsqu'^Zea;a«Jre-Ze-(3/-fit«Jpartitlapremièrefois pour la guerre, Aristote, son précepteur, lui dit qu'il feroit mieux d'attendre qu'il eût atteint l'âge viril, qu'alors il combattroit avec plus de prudence : «En atten« dant,répondit-il, jeperdroisl'audace de lajeunesse. » Avant de passer en Asie, il distribua tous ses trésors
�CONFIANCE. 7 et tons ses revenus à ses courtisans et à ses soldats -' « Que gardez-vous donc pour vous, seigneur ? lui dit « Perdicas. L'espérance, » répondit-il. Cette héroïque confiance passa dans le cœur de tous les Macédoniens. Ils dédaignèrent les présens du monarque, et, comme lui, ils se crurent déjà en possession de toutes les richesses des Perses. Comme on lui disoit que Darius, roi des Perses ., armoit contre lui des millions d'hommes « Un loup, ré« pondit-il, ne craint pas un grand nombre de brebis. » Darius ayant disposé son armée innombrable pour engager le combat le lendemain, Alexandre s'endormit d'un si profond sommeil, que l'arrivée du jour ne le réveilla point. Cependant les ennemis approchoient ; les généraux entrent dans sa tente , et le tirent de cet assoupissement,enluitémoignantleursurprise de ce que, dans une pareille circonstance, il avoit pu dormir avec tant de tranquillité. « C'est que Darius, leur dit-il, m'a « bien tranquillisé l'esprit , en rassemblant toutes ses « forces, pour qu'un seul jour décide entre nous. » 5. Sur le bruit qui couroit qu''Artaxerxès, roi de Perse, faisoitarmer une très-puissante flotte, etrassembloitdes troupes innombrables pour faire la guerre aux Grecs, Agésilas,roi de Sparte, encore très-jeune, dit à ses compatriotes : « Citoyens, si vous voulez confier à « mon courage une petite armée, je vous promets non« seulement de mettre la patrie à l'abri des coups des « Barbares, mais de porter la guerre en Asie, de vain« cre les Perses , ou de les engager à faire une paix « honorable. » Les Lacédénioniens , charmés de la noble confiance de leur j eune monarque, lui donnèrent dix mille hommes, avec lesquels il marcha sipromptement en Asie, que son arrivée prévint la nouvelle de son départ, et qu'il commença les hostilités , avant qu'aucun des satrapes fût en état de s'y opposer. 6. Bertholde ou Herlolde , seigneur de Mirebeau, résolu de changer de maître, ou de périr sous les murs de sa place, menacée d'un siège par les troupes de S. Louis, va trouver le roi d'Angleterre, et lui demande ou du secours, en cas d'attaque, ou un ordre de se déA4
�8 CONFIANCE. fendre , sans autre espérance qu'une mort glorieuse, i/erarzeombled'élogescesujetfidelle,le dégage de toute obligation, et l'exhorte à ne point périr en téméraire. Aussitôt Bertholde se rend avec confiance au camp des Français, aborde leroi, et lui dit: «Sire, je suis avons , « moins par un choix volontaire, que par la fatalité des « circonstances. Si mon ancien maître ne m'avoit pas « rendu à moi-même, vous n'auriez obtenu monhom» mage que les armes à la main ; mais, puisque je suis « libre de me donner à vous , je ne cesserai d'y être « que lorsque vous ne voudrez plus de moi. » Louis, charmé de cette franchise , tend la main au généreux Bertholde, et lui répond : « Je vous reçois avee*joie ; « donnez-vous à moi de même : je vous laisse votre « place , gardez-la pour votre nouveau seigneur ; je « m'en croirois moins assuré en d'autres mains.» 7. Le célèbre Agrippa d'Aubigné, ayant appris que le roi , mécontent de lui , vouloit le faire arrêter et conduire à la Bastille, prit un parti où il y avoit beaucoup de témérité, mais qui lui réussit. Le jour même qu'on devpit se saisir de sa personne, il s'en alla de grand matin trouver le monarque ; et, après lui avoir représenté succinctement ses services passés, il lui demanda une pension -, ce qu'il n'avoit jamais voulu faire jusqu'alors. Cette hardiesse , et la singularité de cette demande, dans la circonstance où se trouvoit d'Aubi.gné , firent une telle impression sur l'esprit du roi , qu'il s'adoucit tout-à-coup en sa faveur , l'embrassa avec transport, et lui accorda ce qu'il demandoit. 8. Corne de Médicis, grand-duc de Toscane, n'étoit pas trop des amis àAlphonseV", roi d'Aragon .'cependant , pour ménager ce redoutable monarque , il lui faisoit quelquefois des présens.Comme ilsavoit qu'il aimoit beaucoup l'histoire, il lit tirer de sa bibliothèque un très-beau Tite-Live , et le lui envoya. Aussitôt les médecins delà conx à'Alphonse vinrentlui dire, d'une voix unanime, qu'il se gardât bien d'ouvrir ce livre funeste , ajoutant que sûrement il étoit empoisonné , et que l'on dcvoit toujours tenir pour suspect ce qui vient de la part d'un ennemi. Alphonse, bien loin de suivre
�CONFIDENCE.
9
l'avis de ses doctes Esculapes , fit poser le Tite-live sur satable,etle feuilleta fort à son aise.Quand il l'eut bien parcouru, il dit à ses médecins, qui avoient toujours leur poison dans l'idée : « Rassurez-vous , mes« sieurs , ressurez-vous : Dieu veille sur les jours des rois. •> Voyez ASSURANCE , INTRÉPIDITÉ , RÉSOLUTK>N.
CONFIDENCE.
LOUIS, étant dans la Terre-Sainte , assembla son conseil, et dit:«Madame la reine ma mère me mande « que mon royaume est dans un grand péril, et mon « retour très-nécessaire. Les peuples de l'Orient, au « contraire , me représentent que laPalestine est per« due , si je les quitte ; me conjurent de ne les point « abandonner à lamerci des Infidelles ; protestent enfin « qu'ils me suivront tous,si je les laisse à eux-mêmes. « Ainsi je vous prie de me donner votre avis sur ce « qu'il me convient défaire. » Tout le monde souhaitoit ardemment de retourner enFrance: Gui de Mauvoisin prit la parole , et dit, au nom de tous les seigneurs de l'armée : « Sire, nous sommes tous d'avis que l'in« térêt de votre royaume et la gloire de votre majesté « ne vous permettent pas de demeurer plus long« temps en Palestine. Vous êtes sans troupes , sans « places ; que pouvez-vous désormais entreprendre « qui soit digne d'un grand roi ? Ainsi , tout consi« déré , il paroît plus à propos que vous repassiez la « mer, afin de faire un nouvel armement, pour reve« nir ensuite prendre vengeauce des ennemis de Dieu « et de sa loi. » Joinville., sénéchal de Champagne , s'opposa seul à cet avis unanime. « Quoi ! s'écria-t-il, « nous abandonnerons ainsi nos compagnons captifs, « qu'on met peut-être par milliers à la torture aumo« ment que nous délibérons, et qui se trouvent dans la « nécessité,oudesouffrir mille morts, ou de renoncer « à leur foi ?Non. Le trésor du roi est encore entier. Il « peut, avec cet argent, lever de nouvelles troupes,
S.
�10
CONFIDENCE.
« on viendra s'enrôler à l'envi sous ses étendards , « quand on saura qu'il paie bien les services ; et c'est « le parti qu'il faut prendre,si nous sommes encoresen« sibles à la gloire de notre souverain.» Ce sentiment toucha tout le monde , et ne persuada que le roi ; mais ce prince dissimula ; et craignant de trouver trop d'opposition , s'il se déclaroit dans le moment, il remit l'affaire à la huitaine. Le conseil se retira fort irrité contre Joinville, qui, jeune encore, avoit osé combattre l'avis de tant de fameux personnages vieillis dans les armes, consommés dans la politique. «Ilest inutile « d'opiner davantage , disoit-on ; Joinville veut qu'on « demeure : Joinville, qui en sait plus que tout le con« seil du royaume de France. » Le plus sage lui parut de se taire 5 mais il eut peur d'avoir déplu au souverain. Le roi, qui le faisoit manger avec lui, ne le regarda point pendant tout le diner. Le malheureux sénéchal fut effrayé d'un silence qui, trop souvent, à la cour , annonce une disgrâce prochaine. Dès que les tablesfurent levées, il se retira dans l'embrasure d'une fenêtre qui donnoit sur la mer. Là, tenant ses bi'as passés à travers les grilles, il se mit à rêver à sa mauvaise fortune. Déjà il « disoit en son courage , qu'il laisse« roit partir le monarque , et s'en iroit vers le prince « d'Antioche son parent, lorsque tout-à-conp il sentit « quelqu'un s'appuyer sur ses épaules par derrière, et « lui serrer la tête entre les deux mains. » 11 crut que c'étoit le seigneur àeNemours, qui l'avoitleplus tourmenté cette journée. « De grâce , lui dit-il avec cha« grin, laissez-m'en paix, messire Philippe, en male« aventure. » Aussitôt il tourna le visage 5 mais l'inconnu lui passa la main par-dessus. Alors il sut que c'étoit le roi à une émeraude qu'il avoit au doigt, et voulutseretirer,comme quelqu'un qui avoit malparlé. « Venez eà, sire de Joinville, dit le monarque en l'ar« rêtant. Je vous trouve bien hardi , jeune comme « vous êtes, de me conseiller , sur tout le conseil des « grands personnages de France, que je dois demeu« rer en cette terre. — Si le conseil est bon, répondit * le sénéchal avec un petit reste d'humeur, votre ma-
�C O
N.S C
I E
N
C E.
11
jesté peut le suivre : s'il est mauvais , elle est maîtresse de n'y pas croire.—Mais si je demeure enPal lestine, ajoutale prince,/ofKt>i7Zevotidra-t-ily rester « avec moi?—Oui,sire, reprit celui-ci avec vivacité, « fût-ce à mes propres dépens.» Le roi, charmé de sa laïveté, lui découvrit enfin que son dessein n'étoit pas le repasser sitôt en France : néanmoins il lui recomîanda le secret. Cette confidence , dont le sénéchal |étoit digne , rendit à ce seigneur toute la gaieté qu'il ivoit perdue. «Nul mal ne le grevoit plus. » On l'atta|uoit, il se défendoït ; il rétorquoit par des railleries celles qu'on lançoit sans cesse contre lui.
CONSCIENCE.
'I.UN homme ne pouvant obtenir de son rapporteur
qu'il l'expédiât, s'avisa de lui dire que son procès le egardoit autant que lui-même. «Comment, dit le rap« porteur ? Ai-je quelque intérêt à votre procès ? — « Plus que moi-même, ajouta le client; car il ne s'agit « pour moi que de mon intérêt, et pour Vous de votre « conscience. » Cette réflexion frappa le juge , qui, peu de jours après , termina cette affaire. 2. Un homme condamné , pour vol domestique, à être pendu dans le village de la Marche , du ressort de Bar-sur-Aube, fut remis entre les mains de quatre archers, pour être conduit à Paris , par appel de son jugement. Au village de Guine-la-Putain , le condamné trouva le moyen de se dérober à la vigilance de ses gardes, qui,quelques recherches qu'ils fissent, ne purent découvrir le lieu de sa retraite. Les archers, arrivés à Paris sans leur prisonnier , sont écroués à la requête du procureur-général , qui les en rendoit responsables. On alloit travailler à leur procès, lorsque le criminel , ne pouvant étouffer les remords de sa conscience , se détermine à les délivrer aux dépens de sa vie , et, pour cet effet, à venir se constituer dans les prisons de là capitale. Qand il fut à la porte
�12
CONSCIENCE.
Saint-Antoine , il demande le chemin de la Conciergerie : il se présente enfin au guichetier , qui lui refuse l'entrée , et le traite d'insensé, attendu qu'il n'y avoit pas de jugement rendu contre lui. Alors ce malheureux lui déclare la nature de son crime, et la manière dont il s'est tiré d'entre les mains de ses gardes. Sur cette déposition , et sur la preuve parlante de son évasion , on lui fit la grâce de l'emprisonner ; et les archers lui ayant été confrontés , il avoua tout son délit, et fut reconnu pour l'homme qui leur avoit échappé.Cette action de probité, d'autant plus étonnante qu'elle partait d'un homme qui devoit en paroître incapable , fut rapportée à M. le duc d'Orléans, régent du royaume. Elle toucha ce grand prince, qui donna la grâce du criminel, et une somme d'argent pour lui faire reprendre le chemin de son pays. 3. La conscience est pour les méchans un bourreau sans cesse armé de remords, et qui, dans tous les instans de la vie, fait sentir au scélérat combien ses traits sont poignans. Alexandre, tyran de Phères en Thessalie , peut fournir un terrible exemple de cette vérité. Cet homme féroce , cruel et sanguinaire , assistoit un jour à la représentation d'Erope, tragédie de Théodore. Pendant la scène la plus tendre , il sentit ses yeux se baigner de larmes : il entendit au fond de son cœur ce cri de la nature , qui lui reprochoit sa barbare inhumanité. Livré tout-à-coup, aux plus tristes pensées, il se lève , il se retire, il fuit la compagnie des hommes.Le lendemain , rencontrant Théodore .il le fait approcher ; et se condamnant lui-même, malgré lui : « Excusez-moi, lui dit-il, si j'ai quitté si « brusquement le théâtre ; ce n'est point par mépris, « ni pour vous offenser ; mais je n'ai pu m'empêcher « de rougir de ce qu'un acteur pouvoit m'inspirer de « la pitié, à moi qui n'en ai jamais eu pour mes con« citoyens, pour mes sujets.» Voyez COMPONCTION ,
REMORDS , REPENTIR.
�CONSEIL.
Ï3
^wiwwiwwvwwwwwiwwwwxxwwXvwwwwwwxxw.wwx
CONSEIL.
ÉMÉTRIUS de Phalère , exilé d'Athènes , avoit trouvé auprès du roi d'Egypte, Ptolémée-Philadelphe, un asile glorieux ; et ce prince le mit au nombre de ses amis les plus intimes. Il méritait cette faveur par ses vertus , et les sages avis qu'il donnoit au monarque. Ce qu'il lui recommandoit sans cesse, c'étoit de lire avec soin les livres qui enseignoient le grand art de régner. «Vous y trouverez , lui disoit-il, des cou« seils que vos plus grands amis n'oseraient jamais « vous donner. » 2. Ne jugeons pas toujours de la bonté d'un conseil par l'événement : c'étoit la maxime de Phocion. Cet Athénien avoit donné à ses concitoyens un avis qui n'avoit point été goûté. L'affaire cependant, qui avoit passé contre son opinion , eut un succès favorable. « Eh bien, Phocion, lui dit quelqu'un, es-tu content « que la chose aille si bien?—Je m'en réjouis, répon« dit-il ; mais je ne me repens pas de ce que j'ai dit. » 3. Un jeune abbé , qui avoit du talent pour la chaire, demanda un jour à Despréaux ce qu'il falloit qu'il fît pour apprendre à bien prêcher. Le satirique lui conseilla d'aller entendre le P. Bourdaloue, et l'abbé Cotin, si impitoyablement ridiculisé dans ses vers. Le consultant surpris de voir mettre en parallèle l'abbé Cotin et Bourdaloue , s'écria : « Mais , monsieur , « comment l'entendez-vous ?et que puis-je apprendre « aux sermons de l'abbé Cotin ?— Il faut pourtant que « vous l'entendiez , répliqua Despréaux.heV. Bour« daloue vous apprendra ce qu'il faut faire ; et l'abbé Cotin , ce qu'il faut éviter. » 4- Les Samnites , ces infatigables ennemis de la puissance romaine , avoient enfermé les légions de la république dans un défilé appelé lesFourges caudines; et ils délibéraient entre eux sur la manière dont ils useraient de leur fortune, llérennius , vieillard que
�l/j.
C O N S E I £.
son âge et sa profonde sagesse rendaient vénérable , leur conseilla de laisser aller les Romains en liberté , sans leur faire aucun mal 5 mais cet avis fut aussitôt rejeté Le lendemain on le consulta encore sur lemême sujet : « Il faut les massacrer tous sans exception, » répondit-il. Les Samnites , étonnés de la prodigieuse différence qu'il y avoit entre ces deux avis , lui en demandèrent la raison. « Il faut, dit Hérennius , vous « attacher les Romains par un bienfait insigne et im« portant, ou les affoiblir entièrement par une perte « irréparable. » Les Samnites ne le crurent pas : ils voulurent prendre un milieu, et firent passer les Romais sous le joug ; mais ils s'aperçurent bientôt que cet affront n'avoit fait qu'irriter le courage de ces guerriers redoutables ; et quelque temps après , ils éprouvèrent à leur tour l'ignominie dont ils avoient couvert les troupes ennemies. 5. Charles-Ouint ayant formé le siège d'Alger , en i54-i j s'aperçut bientôt des obstacles .sans nombre qui s'opposoient au succès de ses armes. Incertain de réussir par la force, il a recours à l'artifice : il envoie au vieil eunuque lîascen , gouverneur de la place , un gentilhomme adroit et très-éloquent, qui n'oublie rien pour l'intimider, ou pour le corrompre. Après qu'il a cessé de parler, le brave gouverneur le renvoie, en lui disant: «C'est être fou que de se mêler de conseil« 1er son ennemi 5 mais c'est être encore plus fou que « de s'arrêter aux conseils qu'un ennemi donne. » 6. Un satrape de Carie écrivit au philosophe Ilippocratide, pour lui demander conseil sur une affaire qui le touchoit.de près. « Un homme , lui marquoit-il, sa« chant qu'on me tendoit des embûches, n'a osé me le << découvrir , craignant le ressentiment des conjurés. « Que dois-je lui faire ? » Hippocratide lui répondit : « Si cet homme, a reçu de vous quelques bienfaits , « faites-le mourir, comme coupable d'une noire ingra« titude ; sinon, chassez-le de votre province, comme « un lâche qui n'ose être vertueux. » 7. Le fameux Esope,fâché du mauvais accueil que Crésus, son protecteur, avoit fait à Solon , dit à ce phi-
�CONSEIL.
13
itosophe , par forme d'avis : « Solon, il faut, ou n'apak< procher point du tout des rois, ou ne leur dire que i« des choses agréables.-^Dites plutôt, répondit Soll<< Ion , qu'il faut ou ne les point approcher, ou leur ■« dire des choses qui leur soient utiles. » 8. Xerxès , roi dePerse, étant sur le point d'entreIprendre sa grande expédition contre la Grèce , voulut «prendre l'avis de son conseil. Par son ordre , tous les Igrands du royaume s'assemblèrent , et le monarque fleur proposa son dessein. Ses motifs étoienl le désir fd'imiter ses prédécesseurs , qui tous avoient illustré lleur nom et leur règne par de nobles entreprises ; ^l'obligation où il étoit de punir l'insolence des Athéniens , qui avoient osé attaquer Sardes , et l'avoient réduite en cendres ; l'espérance des grands avantages ■qu'on pourrait retirer de cette guerre , qui entraînejfroit après elle la conquête de l'Europe , le plus riche lét le plus fertile pays qui fût dans l'univers. Il ajoutait |que cette guerre avoit déjà été résolue par son père '^Darius , dont il ne faisoit que suivre et exécuter les |intentions 5 et il finit en promettant de grandes récom|penses à ceux qui s'y distingueraient par leur bravoure. Mardonius, seigneur ambitieux, et qui désirait exStrêmementd'avoir le commandement des tronpes,parla Ile premier. Il commença par élever Xerxès au-dessus "de tous les rois qui l'avoient précédé, et de tous ceux ui dévoient le suivre. Il montra l'indispensable néessité de venger l'injure faite au nom persan. Il décria les Grecs, comme des peuples lâches et timides, ans courage, sans force , sans expérience dans la guerre. Il en apporta pour preuve la conquête que ui-même avoit faite de la Macédoine , qu'il exagéra vec des termes pleins de fastes et de vanité , mourant qu'il n'avoit trouvé aucune résistance. Il ne craisgnoit pas d'assurer qu'aucun peuple de la Grèce n'ose'oit venir à la rencontre de Xerxès, qui marchoit vec toutes les forces de l'Asie , et que , s'ils avoient a témérité de se présenter devant lui, ils apprenroient à leurs dépens que les Perses étoient lepeule de la terre le plus guerrier et le plus courageux.
�l6
CONSEIL.
Ce discours flatteur, bien capable d'aveugler le monarque) pai'ce qu'il étoit conforme à son goût, ferma la bouche à tous ceux qui composoient le conseil. Dans ce silence général, Artabane, oncle de Xerxès, prince recommandable par son âge et par sa prudence, eut le courage de prendre la parole. «Grand roi, dit-il, en « s'adressant au souverain, souffrez que je vous dise ici « mon sentiment avec la liberté qui convient à mon âge « et à vos intérêts. Quand Daidus , votre père et mon •« frère [Voyez ZÈLE), songea à porter la guerre contre « les Scythes, je fis tout mon possible pour l'en détour« ner.Vous savez ce que lui coûta cette entreprise, et « quel en fut le succès. Les peuples qu e vous allez atta« quer sont infiniment,plus à craindre que les Scythes. « Les Grecs passent pour être, et sur terre et sur mer, « les meilleurs guerriers du monde. Si les Athéniens « seuls on pu défaire l'armée nombreuse commandée « parDatis et par Artapherne, que faut-il attendre de « tous les peuples de la Grèce réunis ensemble? Vous « songez à passer d'Asie en Europe, en jetant un pont « sur la mer. Eh ! que deviendrons-nous,si les Athé« niens vainqueurs font avancer leur flotte vers cepont, « et le rompent ? Je tremble encore , quand je pense « que, dans l'expédition de Scythie, on fit dépendre la « vie du roi votre père , et le salut de toute l'armée , « de la bonne foi d'un seul homme, et que, si ilystiée « le Milésien , eût, comme on l'y exhorta fortement, « rompu le pont qu'on avoit jeté sus le Danube, c'en « étoit fait de l'empire persan.Ne vous exposez point, « seigneur, à un pareil danger, d'autant plus que rien « ne vous y oblige. Prenez du temps pour y réfléchir. « Quand on a délibéré mûrement sur un affaire, quel « qu'en soit le succès, on n'a ri en àsereprocher.Lapré« cipitation, outre qu'elle est imprudente, est presque « toujours malheureuse , et suivie de funestes effets. « Sur-tout, grand prince, ne vous laissez point éblouir « ni par le vain éclat d'une gloire imaginaire, ni par le « pompeux appareil de vos troupes. Ce sont les arbres « les plus élevés qui ont le plus à craindre de la foudre. « Comme Dieu seul est grand, il est ennemi de l'or« gueil; é
�17 « e«eil; il se pla&t à abaisser tout ce qui s'élève ; et « souvent les plus nombreuses armées fuient devant « une poignée d'hommes , parce qu'il remplit ceux-ci « de courage , et jette la terreur parmi les autres. » Apres quV/rta&aneeutainsipai'léauroi,ilsereloimia vcYsMarclonius, et lui reprocha le peu de sincérité ou de jugement qu'il avoit fait paraître , en donnant au monarque une idée des Grecs entièrement contraire à. la vérité , et le tort extrême qu'il avoit de vouloir engager témérairement les Perses dans une guerre, qu'il ne souhaitoit que par des vues d'intérêt et d'ambition. « An reste , ajouta-t-il, si l'on conclut pour la « guerre , que le roi, dont la vie nous est chère , de-« meure en Perse ; et, pour vous , puisque vous le « désirez si fortement, marchez à la tête des armées « les plus nombreuses que vous aurez pu amasser. « Cependant, qu'on mette quelque part en dépôt vos « enfans et les miens, pour répondre du succès de la « guerre. S'il est favorable , je consens que mes en« fans soient mis a mort ; mais , s'il est tel que je Le « prévois, je demande que vos enfans, et vous-même, « à votre retour , soyez traités comme le mérite le « téméraire conseil que vous donnez à votre maître. » Xerxès,qui n'étoit pas accoutumé à se voir contredire de la sorte , entra en fureur. « Remerciez les « dieux , dit-il à Artabane , de ce que vous êtes le « frère de mon père, sans quoi vous porteriez dans le « moment même la juste peine de votre audace. Mais « je vous en punirai autrement, en vous laissant ici « parmi les femmes, à qui vous ressemblez par votre « lâche timidité , tandis qu'à la tête de mes troupes , « je marcherai où mon devoir et la gloire m'appellent.» Le discours à'Artabane étoit très-mesuré et trèsrespectueux : cependant Xerxès en fut extrêmement choqué.C'est le malheur des princes gâtés par la flatterie , de trouver sec et austère tout ce qui est sincère et ingénu, et de traiter de hardiesse séditieuse , tout conseil libre et généreux. Ils ne font pas réflexion qu'un homme de bien même n'ose jamais leur dire tout ce qu'il pense , ni leur découvrir la vérité Tome II. B
C
O N S E I Lï
�' l8 CONSEIL. toute entière , sur-tout dans les choses qui peuvent leur cire désagréables : ils oublient que leur plus pressant besoin est de trouver un ami sincère et ridelle qui ne leur cache rien. Un prince doit se croire trop heureux, quand il naît un seul homme, sous son règne , avec cette générosité , qui est le plus précieux trésor de Pétât, et , s'il est permis de s'exprimer ainsi, l'instrument de là royauté le plus nécessaire et 3e plus rare. Xerxès le reconnut dans l'occasion dont il s'agit. Quand son premier emportement de colère fut passé , et que la nuit lui eut laissé le loisir de foire réflexion sur les deux différens avis qu'on lui avoit donnés , il reconnut qu'il avoit eu tort de maltraiter de paroles son oncle ; et il ne rougit pas de réparer sa faute le lendemain en plein conseil, avouant nettement que le feu de la jeunesse et son peu d'expérience , l'avoient fait manquer à ce qu'il devoit à un prince aussi respectable qiv'Artabane , et par son âge , et par sa sagesse ; qu'il lui en demandoit pardon , et qu'il le supplioit de lui continuer ses bonnes grâces. Tous ceux qui composoientle conseil furent ravis d'entendre ce discours ; ils témoignèrent leur joie en se prosternant tous devant le monarque, et relevant à l'envi la gloire de cette démarche. Cet aveu si sincère, loin de leur paraître une foiblesse dans Xerxès , fut regardé comme l'effort d'une grande ame , qui s'élève audessus de ses propres fautes, en les avouant avec courage , pour les réparer. Artabane récompensa cette action de son neveu, en lui donnant en particulier une nouvelle^ preuve de sa sincérité. « Prince , lui dit-il, la première qualité « d'un roi est de bien penser par soi-même , et de se « rendre docile aux bons avis d'un autre. Vous la « possédez, Xerxès ; et si vous suiviez votre heureux « naturel, vous ne vous porteriez qu'à des actes de sa« gesse et de modération. Il n'y a que les discours « empoisonnés des flatteurs qui vous poussent à des « partis violens ; comme la mer, tranquille par elle« même , n'est troublée que par une impression « étrangère. Au reste , ce qui m'a affligé dans ce que
�CONSEIL.
1$
« vous m'avez dit, n'a pas été mon injure personnelle, « mais le tort, que vous vous faisiez à vous-même, par « votre mauvais choix entre les deux conseils qu'on « vous donnoit, rejetant celui qui vous portoit à des « sentim'ens de modération et d'équité, et embrassant « l'autre , qui ne tendoit, au contraire , qu'à nourrir l'orgueil , et à irriter l'ambition. 9. Henri IV, avant que d'être élevé sur le trône de la France , vouloit épouser la comtesse de Guiche sa maîtresse. Il demanda à Théodore-Agrippad'Aubigné son avis sur ce mariage.Il le prévint, en lui marquant la grande envie qu'il avoit de prendre ce parti. Il lui allégua l'exemple de plusieurs princes qui avoient fait leur bonheur en épousant des femmes qu'ils aimoient, quoique au-dessous d'eux par leur condition: il nomma au contraire , plusieurs souverains qui , s'étant mariés par politique, avoient fait des alliances ruineuses à leurs états ; enfin il en dit assez pour déterminer d'Aubigné à lui donner un conseil conformé à son inclination. Mais d'Aubigné prit hardiment lé contre-pied. «Rien,dit-il à ce prince, n'est si mépri« sable que ces courtisans qui s'appuient des histoi« res que votre majesté a rapportées, afin d'autoriser « la passion condamnable de leur maître. Ces exem« pics ne peuvent point vous convenir , sire. Ces « princes jouissoient tranquillement de leurs états : « ils n'a voient point d'ennemis sur les bras ; ils n'é« toient point, sire , errans comme vous, qui ne cori« servez votre vie et ne soutenez votre fortune que « par votre vertu et votre renommée. Vous devez aux « Français de grandes actions , de beaux exemples. « Je ne vous impute point la lecture de ceux que « vous avez cités : ils vous ont été fournis par des « conseillers infidelles , qui ont voulu nourrir votre « passion. Je ne prétends point que vous y renonciez « tout-à-coup. Je sais , par mon expérience, combien « coûtent de pareils sacrifices. Mais enfin conduisez« vous en roi : soyez roi, ou rien. Rendez-vous assidu « dans votre conseil, que vous abhorrez 5 consacrez « plus de temps aux affaires nécessaires , et préférez-
�20
CONSEIL.
<< les à vos plaisirs. Le duc d'Alençon est mort ; vous « n'avez plus qu'un pas à faire pour monter sur le « trône. Si vous devenez l'époux de votre maîtresse , « le mépris que vous ferez rejaillir sur votre personne « vous en fermera le chemin sans ressource. Quand « vous aurez subjugué le coeur des Français par vos « grandes actions , et que vous aurez mis votre vie et « votre fortune à l'abri , vous pourrez alors imiter, « si vous le voulez,les exemples que vous alléguez.» Quelle liberté ! quelle dure sincérité ! Henri remercia cependant d'Aubigné de son conseil , et lui donna plus d'une preuve de sa tendre affection. Quelle générosité dauslc sujet ! Quelle grandeur d'ame dans lemonarque ! 10. Pendant qu'Antoine, épris des charmes dangereux de Cléopâtre , se laissoit amollir par les délices de l'Asie, Auguste, aigri contre ce rival, se préparait à lui faire la guerre. Les amis d'Antoine, qui étoient à Rome , lui députèrent Géminius , pour l'instruire des dispositions de son collègue , et l'engager à se réconcilier avec cet homme jaloux de sa grandeur. Le triumvir reçut très-bien Géminius , et l'invita même à un festin magnifique, où se trouva la reine d'Egypte, armée de ses funestes attraits. Au milieu du repas , Antoine pressa l'ambassadeur de lui dire le sujet de son arrivée. «Seigneur, lui répondit Géminius, ce lieu « n'est pas propre à traiter des affaires sérieuses ; et « vous-même n'êtes pas en état de m'entendre. Ce« pendant je vois qu'il faut vous obéir ; je vais le faire « en deux mots : Mon général, quittez Cléopâtre , « rompez avec cette princesse , et tout ira bien. » 11. Darius , roi de Perse , ayant déclaré la guerre aux Scythes, entra dans leur pays à la tête d'une armée nombreuse , capable d'effrayer tout autre peuple que ces Barbares.fameux. Ils ne répondirent aux vives poursuites du monarque ennemi, que par une fuite plus vive encore. Us vouloient affamer, épuiser, ruiner ses formidables bataillons. Ils en vinrent à bout ; et bientôt cette année si belle , si florissante , n'offrit plus aux regards étonnés que d'ibîbrtuhés restes échappés aux maladies , aux fatigues, à l'hoir-
�CONSEIL.
21
reur de la famine. Dans cette triste circonstance, Je roi des Scythes envoya des ambassadeurs qui présentèrent à Dai'ius, de la part de leur maître, un oiseau , un rat, une grenouille et cinq flèches. L'orgueil interpréta cette offrande à sa manière ; mais Gobriàs , seigneur persan , plus célèbre encore par sa profonde sagesse que par sa haute naissance, en donna une explication bien différente. «Prince, dit-il au monarque , « les Scythes veulent vous faire entendre que si vous « ne vous envolez comme un oiseau , si vous ne vous <i cachez sous la terre comme un rat, si-vous ne sautez « dans les marais comme une grenouille , vous se« rez percé de leurs flèches. Croyez-moi, seigneur, fu« yons une contrée qui pourroit devenir notre tombeau: « retournons dans la Perse. » Darius goûta cet avis et s'empressa de le suivre. 12. Cynéas, ministre de Pyrrhus , roi d'Epire , voyant que ce prince, avide de conquêtes, se préparait, avec beaucoup d'ardeur, à porter la guerre en Italie, et n'ignorant pas les dangers de cette expédition , employa toute la souplesse de son esprit pour le détourner de ce dessein. « Vons connoissez , lui dit-il, le « courage des Romains, leurs exploits, leur puissance. « Si les dieux vous en rendent victorieux, que comptez« vous faire ? — Vainqueur des Romains , je m'empare « de l'Italie , et de là je passe en Sicile. — Après là « conquête de la Sicile , où portez-vous la terreur de « vos armes ? — En Afrique , et, ce pays une fois sou« mis , il n'y a plus rien qui puisse nous résister. — « Mais après tant de victoires , après cette foule de. « conquêtes, que ferez-vous , seigneur ? — Alors, mon « cher Cynéas , nous n'aurons qu'à nous réjouir; Ions « nos jours seront des fêtes.— Eh! grand roi, qui vous « empêche de vous réjouir dès à présent , sans sortir « de i'Epire , sans essuyer de dangers ! N'êtes-vous « pas assez puissant et assez riche ? » Ainsi le philosophe Cynéas faisoit sentir à Pyrrhus la folie de ses projets , et apprenoit en même temps à tous les hommes à se défier de cette inquiétude naturelle , qui les fait chercher bien loin, et au travers de mille dan-
�23
O O S S E I L.
gcrs , un bonheur qu'ils ont sous la main. La manie clu roi d'Epire le précipita dans une foule de disgrâces, et ruina sa puissance. Si les dieux de la terre savoient mieux régler l'aveugle ambition qui les transporte , l'univers seroît plus paisible: il y auroit moins de héros et plus d'heureux. 10. Antigone , roi de Macédoine , consultait le philosophe Mënédème, pour savoir s'il devoit se trouver à certaine partie de débauche. Le sage , pour toute réponse , lui dit : « Seigneur vous êtes roi. » i4- Théodose-le-Grand ayant fait proclamer auguste Honorius son second fils , embrassa le jeune César avec tendresse , et lui donna ces conseils qui peuvent servir à tous ceux qui commandent : « Mon fils , si « vous é tiez destiné à régner sur les Perses, vous n'au« riez besoin que d'être issu d;'Artaxerxès, pour por« ter le diadème. Mais celui dont je viens d'orner votre « tête , exige un titre supérieur à la naissance : c'est « la vertu. Pour bien régner sur les autres , il faut « savoir régner sur soi-même. C'est un devoir com« mun à tous les hommes, il est vrai : mais vous devez « apprendre pour l'univers , ce que les particuliers « n'apprennent que pour eux. Vous serez esclave sous « la pourpre , si les p issions vous tyrannisent. Com« bien il est difficile à un prince de les maîtriser ! La « facilité de les satisfaire, leur prête l'attrait le plus « dangereux. Elles font courir les autres hommes vers « les objets de séduction ; mais elles viennent les offrir « aux princes; elles les amènent au pied de leur trône. « Us peuvent tout, ce qu'ils veulent. Songez donc à « régler tous vos désirs : songez que vous allez être « placé sur un théâtre éclatant de lumière , en vue à « toutes les nations du monde, environné de regards « percans , qui pénétreront jusques dans votre cœur ; « ci ne comptez pas que la renommée vous fasse- au« cune grâce'. Soyez clément comme Dieu même , « prudent sans défiance, vrai et sincère,Faites le bien « que vous souhaitez qu'on dise de vous, sans vous in« quiéter si l'on vous rend justice. L'amour de vos su« jets sera votre garde la plus sûre : méritez d'être aimé..
�CONSEIL.
20-
« Quelque puissance que vous ayez, le cœur de vos « peuples sera toujours libre. Occupez-vous de leur « intérêt plutôt que du vôtre ; ou plutôt ne séparez « pas ce qui est, inséparable : leur félicité seule peut « vous rendre heureux. Si quelqu'un doit trembler , « c'est celui qui fait trembler les autres. Soyez vous« même une loi vivante. Vos exemples donneront à « vos ordres plus de force que ni les menaces, ni les « chàtimens. Vous gouvernerez des Romains : ce n'est«pas l'orgueil et la fierté qui les tiendront soumis : « plus vous vous rapprocherez d'eux parla bonté et par « la douceur, et plus ils vous élèveront au-dessus de « leurs tètes. Apprenez la guerre ; étudiez-en toutes « les parties : endurcissez-vous à tout ce quelle a de « pénible. Laissez aux rois asiatiques ce luxe incom« mode qui accable les armées, et qui met obstacle « aux succès. Partagez avec vos soldats toutes les fâti« gues : ils n'en sentiront que l'honneur. En attendant « que l'âge ait fortifié votre corps, formez-vous l'esprit « et le coeur ; remplissez-vous de grands exemples : « l'histoire de vos prédécesseurs vous montrera ce que « vous devez suivre , et ce qu'il vous faut éviter. » i5.Un homme demandait au philosophe Aristippe , quelle sorte de femme il devoit prendre. « Je n'én « sais rien , répondit-il : belle , elle vous trahira > « laide , elle vous déplaira ; pauvre , elle vous rui« nera ; riche, elle vous dominera. Mon ami, conseil« lcz-vous vous-même.»
CONSIDÉRATION. i.C'ÉTOIT sur-tout au célèbre Thêmistôcle, que la Grèce devoit l'heureux succès de la journée de Salamine : aussi n'oublia-t-elle rien pour lui prouver la grande estime qu'elle faisoit de son rare mérite. Les Lacédémoniens , l'ayant mené à Sparte , pour lui rendre les honneurs qui lui étoient dûs , lui décernèrent une couronne d'olivier , et lui firent présent
�24
CONSIDÉRATION".
du pins beau char qui fût dans la ville. A son départ, ils le firent accompagner jusqu'aux frontières du pays, par trois cents jeunes hommes de la première naissance : honneur que, jusqu'alors, ils n'avoient encore rendu à aucun général.Dès qu'il parut aux jeux olympiques , tout le monde se leva pour lui faire honneur. Personne n'étoit. attentif aux jeux ni aux combats : 'ihémistocle seul faisoit le spectacle. Tous les yeux ctoient tournés vers lui ; et chacun s'empressoit de le montrer de la main aux étrangers qui ne le connoissoient pas. Il avoua depuis à ses amisj qu'il regardoit ce jour comme le plus beau de sa vie ; que jamais il n'avoit ressenti une joie si douce ni si vive, et que cette récompense passoit tous ses désirs. 2. François I, plein d'estime pour la valeur du chevalier Bajard, voulut être armé chevalier de sa main. 11 assembla les principaux capitaines de son armée ; leur proposa son dessein, elTegardantBayard : » Je ne « connois , dit-il, personne dans l'armée plus généra« lement estimé que ce chevalier ; je veux honorer en « lui la voix publique. Oui, Bajard mon ami, je serai « aujourd'hui chevalier de votre main, parce que celui « qui s'est trouvé en tant d'assauts et de batailles, tou« jours en parfait chevalier, est le plus digne d'en faire « d'autres.» Bajard représenta qu'un si grand honneur lie lui appartenoit pas. Mais le roi persista dans sa résolution. Il se mit à genoux ; et Bajard, tirant son épée , l'en frappa du plat sur le cou , en répétant ces mots qui n'étoient point préparés : «Sire, autantvaille « que si c'étoit Roland ou Olivier, Godefroj ou Bau« douin son frère. Certes , vous êtes le premier prince « que oncques fis chevalier : Dieu veuille qu'en guerre « ne preniez fuite ! » Et regardant ensuite son épée avec une joie ingénue : «Tu es bienheureuse, mon « épée , dit-il, d'avoir aujourd'hui à un' si vertueux et « puissant roi, donné l'ordre de chevalerie. Certes, ma « bonne épée , vous serez moult bien comme relique « gardée et sur toutes autres honorée ; et ne vous « porterai jamais , si ce n'est contre Turcs, Sarrasins « ou Maures. »
�CONSOLATION25 5.Louis XI, n'étant encore que dauphin, quitta la cour ; et dans l'espérance de faire la loi à son père Charles VII, ou d'être puissamment secondé dans sa révolte, il se retira auprès du duc de Bourgogne. Mais Tes Lime que ce prince faisoit du monarque étoit trop grande , pour l'engager à suivre aveuglément les impressions -du dauphin rebelle. « Monseigneur , lui « dit-il , mes soldats et mes finances sont à votre ser« vice, excepté contre monseigneur le roi votre père; « et pour ce qui est d'entreprendre de réformer son « conseil , cela ne convient ni à vous ni à moi. Je le « connois si sage et si prudent, que nous ne saurions « mieux faire que de nous en rapporter à lui. » Voyez ESTIME.
CONSOLATION.
i. SOL ON voyant un de ses amis plongé dans la douleur , et ne pouvant le consoler , le conduisit au haut de la citadelle d'Athènes. Quand ils y furent arrivés , il lui dit de jeter les yeux sur toutes les maisons qu'on découvroit à l'cntour. « Songez, ajouta« t-il ensuite , quel soucis dévorans , quelles peines « cruelles, quels chagrins, quels maux habitent sous « ces toits , et supportez des malheurs que vous par« tagez avec tant d'autres. » 2. Henri IV demandoit un jour au duc de Sully son confident, s'il n'éloitpas bien malheureux, après avoir essuyé, pendant sa jeunesse, plus de disgrâces lui seul , que tous les rois de France n'en avoient jamais éprouvées ensemble, de ne pouvoir jouir d'aucun plaisir durant le cours de sa plus brillante fortune , de ne point posséder le creur de sa femme , et de voir au nombre de ses ennemis la plupart de ceux qu'il avoit comblés de bienfaits. « Tous ces mall< heurs , sire , répondit le duc , ne seraient rien , si « vous n'y ajoutiez celui d'y être trop sensible. » Voyez
CONSTANCE.
�26
•C O N S T A N C E.
*ii\uimuuvvvvwuxuvnuUHumuvivUH\\\ivm\u\uvui
CONSTANCE.
i. JLiE philosophe Chilon , l'un de sept Sages de la Grèce, voyant quelqu'un qui se plaignoit de ses maux: « Eh ! mon ami, lui dit-il, considère ceux des autres ; « et les tiens te paroîtront légers. » 2. Peut-on porter plus loin la constance que ne Fa fait Dion , souverain magistrat de Syracuse , après l'expulsion de Denys le jeune ! Ce grand homme , qui, par son courage , avoit rendu la liberté à sa patrie , s'entretenoit avec ses amis : tout-à-coup un bruit terrible se fait entendre. On vient lui apprendre que son fils s'est précipité par la fenêtre de son palais. Il ordonne tranquillement ses funérailles , et reprend ensuite la conversation qu'il avoit commencée , sans donner le moindre signe de douleur. Cependant Dion étoitpère tendre et sensible : la philosophie triomphoit du sentiment. 3. Tandis que l'historien Xénophon étoit occupé à faire un sacrifice , on vint lui apprendre la mort de son fils GrilLus. Cette triste nouvelle ne lui fît point interrompre la cérémonie 5 il ôta seulement son chapeau de fleurs. Mais quand on l'eut assuré que son fils étoit mort en combattant courageusement , il le remit sur sa tête , et rendit grâces aux dieux. 4- Caton d'Utique étoit naturellement ennemi, nonseulement des tyrans déclarés , mais encore de toute puissance suspecte dans un particulier. Un jour, lorsqu'il dcclamôit dans l'assemblée du peuple contre k tyrannie de Pompée , de César et de Crassus , dont la puissance réunie sous le nom de triumvirat, asservissoit la république, le tribun Trêbonius envoya uii licteur pour l'arracher de la tribune.. Caton n'en continua pas moins son discours. Le tribun irrité le fait chasser de la place publique : rien ne peut ébranler la constance de l'intrépide orateur. Trêbonius furieux ordonne enfin qu'on le conduise en prison ; mais ce
�CONSTANCE. ir. Iflemier outrage ne pouvant encore le réduire au si(lence , le peuple accourt en foule , et l'arrache des fmains des licteurs. 5. Lysandre, général lacédémoirien , ayant pris la ville d'Athènes , changea la forme du gouvernement , et y établit un conseil composé de trente magistrats souverains , qui devinrent bientôt autant de tyrans. Sous prétexte de contenir la multitude dans le devoir, et d'arrêter les séditions , ils s'étoient fait donner des gardes , avoient armé trois mille d'entre les ciUryens qui leur servoient de satellites , et en même temps avoient ôté les armes à tous les autres. La ville entière étoit dans l'effroi et la consternation. Quiconque s'opDosoit à leur injustice et à leur violence en devenoit Fa victime. Les richesses étaient un erimë : elles altiSroient à leurs maîtres une condamnation certaine, qui toujours étoit suivie de la mort, et de la confiscation les biens que les trente tyrans pârtageoient entre eux. jes plus considérables d'entre ces magistrats injustes st barbares, étaient Critias et TJiër amené. Ce dernier rvoit de l'honn,eur : il aimoit sa patrie. Quand il vit les iolences et les cruautés où se portaient ses collègues, ïï se déclara ouvertement contre eux, et par là s'attira |eur haine. Critias sur-tout devint son plus mortel ennemi, et n'oublia rien pour le perdre. 11 l'accusa levant le sénat, lui reprochant de troubler l 'état, et de vouloir renverser le gouvernement présent. Comme il "aperçut qu'on écoutait avec silence et approbation [a défense de Théramène, il craignit que les sénateurs le le renvoyassent absous. Aussitôt il fit approcher les barreaux la jeunesse qu'il avoit armée de poignards; mis, élevant la voix : « Il est du devoir d'un souverain # magistrat, dit-il, d'empêcher que la justice ne soit ( |< surprise ^etc'estee que je veux faire en ce jour. Mais p puisque la loi ne permet pas qu'on fasse mourir ceux qui sont du nombre des trois mille, autrement que par l'avis du sénat, j'efface Théramène de ce nom\< bre, et le condamne à mort en vertu de mon autorité et de celle de mes collègues. » A. ces mots, Tkérafiène sautant sur l'autel : « Athéniens, dit-il, j,e
�28
CONSTANCE.
« demande que mon procès ma soit fait conformément
« à Ja loi ; et l'on ne peut me refuser ma prière sans « la dernière injustice. Ce n'est pas que j'ignore que
« mon bon droit ne me servira de rien, non plus que << la franchise des autels ; mais je veux montrer au « moins que mes ennemis ne respectent ni les dieux « ni les hommes. Je m'étonne seulement que des gens « sages comme vous ne voient pas qu'il est aussi facile « de rayer leur nom du rôle des citoyens , que cel ni « de Théramhne. » Alors Critias ordonna aux officiers de la justice de l'arracher de l'autel. Tout étoit dans le silence et dans la crainte, à la vue des soldats armés qui environnoient le sénat. De tous les sénateurs , Socrat.e seul, dont Théramhne avoit été disciple, prit sa défense , et se mit en devoir de s'opposer aux officiers j de la justice ; mais ses foibles efforts ne purent déli- j vrer l'infortunée victime de l'ambition des tyrans ; et, malgré le plus sage des hommes , Théramhne fut | conduit au lieu du supplice , à travers une foule de citoyens qui fondoient en larmes, et qui voyoient dans! le sort d'un homme également considérable par son zèle pour la liberté , et par ses grands services , ce qu'ils dévoient craindre pour eux-mêmes. Thèramhm\ parut seul insensible à sa disgrâce. Il vit approcher | avec indifférence l'instant qui devoit être le dernier de sa vie : il triompha du despotisme par sa constance! héroïque. Quand on lui eut présenté la ciguë , il prit la coupe empoisonnée d'un air intrépide 5 et après l'avoir bue , il en jeta le reste sur la table, comme 011 faisoit du vin dans les repas de réjouissance. « Cette « libation , disoit-il-est pour le beau Critias. » 6. Sylla, s'étant rendu maître de Rome , força lel sénat à déclarer Marias , son rival , ennemi de la ré-jjj publique, et l'on rendit un décret qui ordonnoit à tout le monde de le poursuivre , et de le tuer par-tout où l'on pourroit.le prendre. L'infortuné Marias, sans se laisser abattre par la disgrâce , s'embarqua prompte-1 ment à Ostie; et porté par un vent favorable, il côtoyai l'Italie. Mais .une violente tempête s'éleva tout-à-J coup, et les matelots craignirent que le vaisseau ne
�CONSTANCE.
2g
Bût résister aux efforts des vagues écumarites. D'ail«urs, l'illustre proscrit étoit incommodé de Pair de la plier : ainsi ils gagnèrent, avec beaucoup de peine , le rivage deCircé. La tempête augmentait ; ils n'avoient IBlus de vivres : ils descendirent à terre, et furent errans ■à et là, sans avoir aucun but certain. Sur le soir ils Hencontrèrent quelques bouviers, qui, reconnoissarit Mlarius, l'avertirent de se retirer au plus vite, parce Bu'ils venoient de voir passer des cavaliers qui le cher■hoient. A cette effrayante nouvelle, Marias, sans proHérer un seul mot, s'éloigna du grand chemin, etse jeta dans un bois où il passa la nuit dans l'état le plus triste, f Le lendemain, après avoir conjuré ses compagnons aie soutenir avec courage les malheurs qui le poursui||oient , il marcha avec eùx le long de la côte. En approchant de Minturnes , ils virent une troupe de Bavaliers qui venoient à eux , et découvrirent deux Éiarques qui passoient assez près du rivage. D'abord §ls se mirent à courir de toutes leurs forces vers le ivage de la mer ; et, se jetant dans l'eau , ils gagnèent à la nage ces deux barques. Marins, qui était esant , et ne pouvoit se remuer qu'avec peine , fut outenu dans l'eau par deux de ses esclaves , qui le ùrent sur l'une des barques. Dans ce moment, les avaliers se montrent, et commandent aux mariniers 'amener la barque à terre, ou de jeter Marias dans a mer. Mais Marias les conjurant avec larmes de ne as le trahir, les maîtres de la barque, après avoir bancé pendant quelques instans , refusèrent d'obéir -, t les cavaliers se retirèrent pleins cle dépit. Dès qu'ils irent éloignés , ces mêmes matelots , changeant de ensée , ramèrent vers la terre , et conseillèrent à larius de descendre pour prendre quelque nourriture ur le rivage, et se remettre un peu de ses grandes fagues. Marias les crut : il descendit, et se coucha SUT herbe, bien éloigné de songer à la nouvelle disgrâce ni le menaçoit. A peine fut-il débarqué, que les perdes matelots l'abandonnèrent, et mirent à la voile. Ce oup imprévu l'accabla. Il demeura quelque temps immobile; mais bientôt, reprenant courage, et ramassant
�30 CONSTANCE. le peu qui lui restoit de forces , il se lève, et se met a marcher, sans savoir où il alloit. Après avoir traverse des marais profonds, dés fossés pleins d'eait et de bourbe, il arrive enfui à la cabane d'un pauvre vieillard qui travailloit à ses marais. Il se jette à ses pieds : il le supplie de sauver un malheureux qui, s'iléchappe audanger dont il est menacé, peut le récompenser au delà de ses espérances. « Si vous n'avez besoin que de repos, lui x< dit cet homme , ma cabane peut vous suffire ; mais ' « si vous avez des ennemis qui vous poursuivent, je « vous cacherai dans un lieu plus sûr et plus tran« quille. » Mariusl-ayant prié de lui rendre ce service, il le conduisit au fond du marais, le fit coucher dans un lieu, creux, le couvrit de roseaux et d'autres maliè^res légères, qui pouvoientle cacher sans l'incommoder de leur poids. Un instant après, arrive une troupe de cavaliers qui cherchoient le général fugitif. Us commencent par effrayer le vieillard j en criant qu'il avoit reçu chez lui , et qu'il recéloit un ennemi du peuple romain. Marins, qui les entendoit, et qui ne se crovoit pas en sûreté, se lève aussitôt du lieu où il étoit caché ; et s'jétant dépouillé , il se précipite dans l'endroit du marais où l'eau étoit la plus épaisse et la plus bourbeuse. On l'aperçoit : on court à lui; on le retire tout nu et couvert de fange ; et dans cet état affreux, on le conduit à Minturnes pour lui faire son procès. Après avoir long-temps délibéré , les magistrats résolurent enfin d'obéir au décret fatal. Marias est condamné à mort; mais il ne se trouva pas un seul des citoyens qui voulût terminerles jours d'un homme si célèbre. Enfin, un cavalier cimbre accepta cette triste commission. Il entre, l'épée àlamain, dans la chambre ou.Ma.rius étoit enfermé. Il étoit alors couché, et se préparoit à prendre quelque repos. Comme le lieu étoit fort obscur, on dit qu'il parut au cavalier que les yeux du proscrit jetoient une flamme très-vive , et qu'il crut entendre une voix terrible qui lui cria : « Malheureux! oses-tu « tuer Caïus Marius? » Le Barbare éportvanté prit la fuite; et jetant son épée loin de lui , il se mit à criev .au milieu de la rue : « Je ne puis tuer Marius ! »
�CONSTANCE.
3l
Ce prodige étonne lés magistrats : à la surprise succède la compassion. Ils se reprochent d'avoir voulu faire mourir un homme qui avoit sauvé l'Italie. Ils le font sortir de la maison où il étoit : ils l'accompagnent jusqu'au rivage de la mer; ils lui fournissent un vaisseau et des vivres; et, lorsqu'ils le voient embarqué, ils s'écrient : « Qu'il aille par-tout où il voudra, errant « etfugitif, épuiser ailleurs les maux dont sa destinée « le menace : nous prions seulement les dieux de ne « pas nous punir , si nous jetons hors de notre ville « Marius nu , et dénué de tous secours. » Marius, poussé par un vent favorable, aborde à l'île d'Enaria, où il trouve Granius, son beau-fils et ses autres amis, avec lesquels il continue sa route vers l'Afrique. Mais l'eau leur ayant manqué, ils furent obligés de relâcher en Sicile, vis-à-vis la ville d'Erix. Là, un questeur des Romains , qui gardoit cette côte , pensa prendre Marius, et tua seize de ceux qui étaient descendus avec lui pour faire de l'eau. Marius se rembarque aussitôt; et doublant de rames , il aborde à Carthage. Sextilius commandoit alors en Afrique. Marius, qui ne lui avoit fait ni bien ni mal, espéroit que la compassion seule le porteroit à le secourir. Mais à peine eutil pris terre avec un petit nombre de ses gens , qu'un des officiers du gouverneur vint à sa rencontre, s'arrêta devant lui, et lui adressant la parole : « Ennemi « des Romains, lui dit-il, je viens de la part de Sexti« lius qui te défend de mettre le pied en Afrique, et « qui te déclare que, si tu n'obéis, il obéira lui-même « au décret du sénat. » A ces mots, l'illustre proscrit jeta des regards terribles sur l'officier qui lui portait cet ordre, et garda le silence. L'envoyé fatigué d'attendre, lui demanda enfin quelle réponse il vouloit faire à Sextilius. Alors poussant un grand soupir : « Mon ami, « lui répondit-il, rapportes à ton général que tu as vu « Marius fugitif assis sur les ruines^de Carthage. » Le malheureuxRomain, poursuivi sans cesse parla ortune ennemie , mais toujours supérieur à ses disgraes par son invincible constance, se vit obligé d'abanlonner l'Afrique. Il se remit en mer, fit voile vers ma
�52 CONSTANCE, port de Toscane appelé Talamon, et de là fit publier qu'il donnerait la liberté aux esclaves qui voudraient s'enrôler sous ses auspices. Les laboureurs etles bergers de la contrée, tous gens libres, accoururent sur la côte au nom de Marius. En peu de jours , il rassemble des troupes si considérables, qu'il en remplit quarante vaisseaux. Avec ces forces , il alla joindre le consul Cinna qui avoit été chassé'de Rome par son collègue Octavius, et qui prétendoit y rentrer à main armée. Cinna reçut Marius à bras ouverts, le nomma proconsul, et lui envoya les faisceaux etles autres marquesde cette dignité. 11 les refusa : « Ces ornemens, dit-il, ne conviennent « pas à l'abaissement de ma fortune. » Il continua de porter une méchante robe : il laissa toujours croître ses cheveux ; il affecta de marcher d'un pas tardif et ^pesant, comme un homme accablé par les années et par les travaux. Par cet abattement simulé, il vouloit exciter la commisération ; mais au travers de cette humiliation volontaire, on voyoit éclater cette fierté <l'ame et ce caractère redoutable qui lui étoient naturels. On démêloit dans ses regards , que le changement de sa fortune avoit p>lus aigri son courage , qu'il ne l'avoit abattu. Cinna et Marius réunis, eurent bientôt triomphé des obstacles qui leur fermoient les portes de Rome, Avant qu'ils y entrassent, le sénat leur envoya des députés, pour les prier d'épargner les citoyens. Cinna, comme consul, leur donna audience, assis sur son tribunal, et leur fit une réponse pleine ■de douceur et d'humanité. Marius se tenoit debout derrière le souverain magistrat de la république , et gardoit un profond silence 5 mais la sévérité de son visage , mais les regards farouches qu'il lancoit sur les députés, annoncoient qu'il rempliroit bientôt la ca)itale de l'univers de meurtres et de carnage. Après 'audience, Cinna entra dans Rome, environné de ses gardes. Marius?s'arrêtant sur la porte , dit avec une ironie mêlée de colère, qu'il étoit banni, et que les lois lui défendoient l'entrée de Rome; que, si l'on avoit besoin de sa présence, il falloit casser par une loi nouvelle, celle qui l'avoit-proscrit : comme s'il eût été fort scrupuleux
Î
�CONSTANCES 33 Scrupuleux sur les lois ! comme s'il fut entré" dans1 lune ville libre ! Le peuple s'assembla donc dans là iplace; mais avant que trois ou quatre tribuns eussent donné leurs suffrages , Marius ennuyé leva le màsfque ; et, se moquant de ces vaines formalités, il entra (dans la ville , environné de ses satellites , qui , sur Ile moindre signe , tuoielit tous ceux qui sè présentoient. Fatigué plutôt qu'assouvi de meurtres , il lais' soit respirer les citoyens , et lâchoit de prendre queL que repos , après tant d'infortunes , lorsqu'il apprit que Sylla, ayant terminé la guerre contre Mithridate , revenoit à Rome avec une puissante armée. Cette nouvelle fit renaître ses alarmes. Affaibli par la vieillesse et par les malheurs , il ne se sentoit pas en état de résister à un rival jeune et victorieux. Pour sè distraire de ces pensées désolantes , il se livra aux plaisirs de la table , et ne trouva plus de tranquillité que dans lïvresse : triste ressource de sa constance. Cependant Sylla approchoit, et le bruit couroit qu'il entrerait daiis Rome clans peu de jours. Marius, étant un soir à table avec ses amis, s'é tendit beaucoup sur les malheurs de sa vie^ et sur l'inconstance de sa fortune. Ensuite il embrassa tous les convives, avec un sentiment de tendresse qui ne lui étoit pàs ordinaire , et s'alla coucher. Le lendemain, on le trouva mort dans son lit. y. Le prince Menzikoff, d'abord garçon pâtissier , ensuite favori du czar Pierre-le-Grand, e t le principal instrument des victoires et des réformes de ce prince confident et ami de la czarine , veuve et héritière de ce monarque fameux ; tuteur absolu du czarPierre LÎ ■son petit-fils , près d'en être le beau-père, ayant déjà une de ses filles fiancée avec son maître, jouissant d'un pouvoir sans bornes , d'une opulence excessive , est tout d'un coup écarté de la cour par une cabale adroite qui s'estemparée deFespritdujeune empereur, etrelégué d'abord dans une de ses terres , à deux cent cinquante lieues de la capitale. Bientôtcetéloignementparoit à ses ennemis une proximité redoutable : il vient un ordre de le conduire en Sibérie, à quinze cents lieues de Pétersbourg. On le dépouilla de ses habits, pour lui Tome IL G
�54 CONSTANCE; en donner un semblable à ceux que portent les paysans russes. Safemmeetses enfans essuyèrentlemêmesort: on les couvrit de robes de bure et de bonnets de peaux de mouton. La princesse Menzikoff', née avec un tempérament délicat, et accoutumée aux commodités de l'opulence, ne tarda point à succomber aux fatigues et à la peine : elle mourut dans la roule aux environs de Casàn. Son mari eut le courage et la force de l'exhorter à la mort : elle expira entre ses bras. Cette séparation causa à M.enzïkojJ'la plus vive douleur ; il perdoit clans sa femme sa plus douce consolation. Il fut obligé de lui rendre lui-même les derniers devoirs, et l'enterra dans le lieu où elle étoit morle. A peine lui laissa-t-on le temps de verser des larmes sur son tombeau , on le força de bâter sa route jusqu'à Tobolsk , capitale de la Sibérie. La nouvelle de sa disgrâce et de son arrivée 1'"avoit devancé. On se repaissoit d'avance du splaisir de voir dans les fers un homme qui, peu de temps auparavan t, avoi t fait trembler la Russie sous ses volontés. Les premiers objets qui s'offrirent à ses regards , lorsqu'il arriva dans cette ville, furent deux sei.gneurs russes qui avoient été exilés sous son ministère. ■Ils vinrent à sa rencontré, et l'accablèrent d'injures pendant qu'il traversa la ville. Loin de marquer de l'impatience, il dit à l'un d'eux : « Tes reproches sont justes, « je les ai mérités : satisfais-toi, puisque tune peux tirer d'autre vengeance dans l'état où je suis. Je t'ai sacrifié « à ma politique, parce que ta vertu et la roideur de « ton caractère me faisoiént ombrage. » Se tournant ensuite vers l'autre : « J'ignorois entièrement, lui dit-il, « que tu fusses en ces lieux. Nem'imputepoint ton nial« heur. Tu avais sans doute quelques ennemis auprès « de moi, qui m'ont surpris pour obtenir l'ordre de « ion exil. J'ai souvent demandé pour quelles raisons « je ne te voyois pas; on me faisoit des réponses va« gues , et -j'étois trop occupé pour penser aux affaires « des .particuliers. Si tu crois cependant que les injures « puissent adoucir ton chagrin, tu peux te satisfaire. » Un troisième exilé perça la foule , et, par un raffinement de vengeance, il couvrit de boue le visage du fils
�CONSTANCE.
35
e Menzikoff et de ses filles. « Eli ! c'est à moi, s'écria le : père, pénétré de douleur ; c'est à moi qu'il faut jeter K< de la boue , non à ces malheureux enfans qui ne h t'ont rien fait. » Le vice-roi de Sibérielui envoya, par ordre du Czar, cinq cents roubles pour satisfaire à ses esoins et à ceux de sa famille. Menzïkojf obtint la perission de les employer à acheter ce qui pourroit lui tre nécessaire dans le lieu de son exil, et le mettre à 'abri de l'affreuse misère quil'atlendoit.Enprenantces précautions, il ne songeoit qu'à ses enfans. Pour ce qui |e regardoit lui-même , il s'éloit entièrement soumis aux ordres de Dieu. Mais il ne pouvoit envisager sans frémir, le sort affreux qui attendoit les malheureuses irictimes de ses fautes. Il fit acheter des scies , des cognées , des outils propres à remuer la terre. Il, se mu* |iit de graines de toute espèce et de viandes salées. Il jàeheta des filets pour prendre du poisson. Lorsque toutes ces emplettes furent faites, il pria que l'on distribuât aux pauvres cë qui lui restoit d'argent. Le temps ■u'on lui avoit accordé pour séjourner à Tobolsk étant Sxpiré, on lui ordonna de partir avec sa famille. On les initsur un chariot découvert, et qui n'étoittiré que par im seul cheval, quelquefois par des chiens. 11 employa fcinq mois pour aller de Tobolsk à Yacouska; et fut pendant ce long et pénible trajet, exposé à toutes les injures de l'air, qui est extrêmemen tfroid dans ce clim at. ;©a santé et celle de ses enfans n'en reçurent cependant ^aucune altération. Un jour que ses gardes l'avoient fait esçendre de son chariot, et entrer dans la cabane d'un aysan 4e Sibérie avec sa famille , pour se reposer et rendre leur repas, un officier y entra pour le même otif: il revenoitdeKamchatka, où il avoit été envove lous le règne dePierre-le-Grand pour accompagner le papitaine Bernig dans ses découvertes. Cetofficier avoit Servi sous Menzikoff en qualité d'aide-de-camp ; mais ce fermer étoit tellement défiguré avec sa longue robe et jpn bonnet de paysan, que l'officier ne le reconnut point.' JfrJcnzikoff le remit sur-le-champ, èt l'appela par son1 jjom. L'officier étonné de se voir nommer dans un pays? 'loigné de la capitale, demanda à celui qu'il prcrroi£ G 2
£
�36 CONSTANCE, pouf un malheureux paysan, comment il étoit connu de lui, et qui il étoit. Menzikoffhù répondit : « J'étois « il n'y a pas long-temps le prince Menzikoff : je suis à « présent Alexandre. » En partant pour ses voyages, l'officier avoit laissé cet infortuné exilé dans un état si brillant, qu'il ne luiparoissoitpas vraisemblable que ce fût lui-même qu'il trouvoit dans une position si humiliante. H s'imagina qu'il ayôit affaire à un paysan dont l'esprit étoit. égaré. 11 lui fit des réponses conformes à cette idée. Menzikoff s'en aperçut , et pour le désabuser, le prenant par le bras, il le conduisit auprès d'une fenêtre , et lui dit : « Regarde-moi bien. » L'officier l'ayant considéré avec attention ; s'écria : « Ah ! mon « prince, par quelle suite de malheurs votre altesse est« elle dans un état si déplorable ? — Supprimons, mon 'i ami , ces titres fastueux : je vous ai déjà dit que je « m'appelle Alexandre, et le Ciel m'a remis dans mon '< premier état . » L'officier ne pouvant encore croire ce qu'il voyoi t et ce qu'il entendoit, s'approcha d'un jeune paysan qui étoit retiré dans un coin de la cabane , et qui attachoit avec une corde la semelle de ses souliers : il lui demanda à voix basse qui étoit l'homme auquel il venoit de parler. Le jeune paysan étoit le fils de Menzikoff'. 11 répondit en élevant la voix : « C'est mon père.' « notre malheur vous porte-t-il à nous méconnoître, « vous qui nous avez tant d'obligations ? » Le_prince blâma son fils d'avoir fait cette réponse ; il appela l'officier, et lui dit : « Pardonnez à ce jeune infortuné : « le malheur a aigri son caractère. C'est lui que voué « faisiez jouer dans son enfance. Voilà mesfilles. » Elles étaient couchées par terre, tenant une jatte rempliede lait, dans laquelle elles trempaient des croûtes de pain noir. « Celle-ci, continua-t-il, a eu l'honneur d'être « fiancée avec l'empereur Pierre II, et elle touchoit ail « moment d'être unie à sa majesté par des liensindisso« lubies. » Ce récit jeta l'officier dans la plus grande surprise. Il y avoit près de quatre ans qu'il étoit séparé de la cour de Russie par des espaces immenses : il ignoj roit ce qui s'étoit passé. Menzikofflm fit un tableau des révolutions qui avoient agité cettet eour, et après avojî
�CONSTANCE, 5f gardé quelque temps le silence , comme pour laisser parler rofficier, dont rétonnementparoissoit être à son comble, il reprit t.out-à-coup : « Ami, que te dirai-je « de plus ? Maître absolu et plus redouté que Pierre« le-Grand, je me croyois.au-dessus des revers ; je me « flattois de jouir tranquillement du fruit de mes tra« vaux, lorsque les Dolgorouski et l'étranger Asterman « m'ont précipité dans l'état où tu me vois, La perte « des honneurs , des biens , de ma liberté même , ne « m'arracheroit pas un soupir ; mais ( ajouta-t-il en « versant des larmes et en montrant ses enfans ) voilà « mon supplice , et il durera autant que ma vie. Ces « victimes innocentes ont recule jour dans le sein des « grandeurs et de l'abondance : elles manquent aujour« d'hui de tout ; et sans être complices de ce qu'on me « reproche , elles partagent ma disgrâce et mes mal« heurs. Tu vas à la cour rendre compte de ta commis« sion:tu trouveras lesDolgorouskiel Asterman à la tête « des affaires; dis-leur que je souhaite qu'ils possèdent ç tous les talens nécessaires pour rendre l'empire des « Russes heureux et florissant. Flatte leur vengeance « en leur di&antque tu nous.as trouvés sur ta route, que « les fatigues d'un long et pénible voyage, pendant le« quel nous avons toujours été exposés aux jnjuresde « l'air, n'ontpoint altéré notre santé ; qu'elles'semblenl: « au contraire l'avoir fortifiée; entin, que je jouis, dans « ma captivité, d'une liberté d'esprit et d'une tranquil« litéque je n'avois jamais connues dans le cours de m es » prospérités. » L'officier versa desJarmes; lorsqu'ille vit remonter dans son chariot, il lui lit les plus tendres adieux, et se souvint toujours d'avoir trouvé ce prince plusgrand dans l'humiliation qu'il ne l'avoit été dansle cours de sa plus haute faveur. Arrivé au lieu de son exil., Menzikoff s'occupa du soin de pourvoir au besoin de ses enfans, et prit toutes les précautions nécessaires pour diminuer l'horreurdel'espèce de désertoùilsdevoicnt, ce semble, passer le reste de leurs jours. Il commence» par défricher un assez grand espace de terrain , se lit aider par huit domestiques qui l'avoient accompagné , sema des grains et des légumes.. Il augmenta sa cabane,
�38 CONSTAlît E.'J «battit des bois propres à bâtir : son exemple eneourageoit ses gens. En peu de temps il eut une maison asseï, commode. Elle étoit composée d'un oratoire et de quatre chambres. 11 prit, la première pour lui et, pour son fils; ses filles occupèrent la seconde; il abandonna la troisième à ses domestiques, et la quatrième fut destinée pour les provisions. Sa fille aînée, qui avoit été fiancée avec l'empereur, se chargea du soin de la cuisine, l'antre du linge et de raccommoder les hardes. Elles se faisoient aider par les domestiques, et leur abandonnoient le plus pénible de l'ouvrage. Peu de temps après son arrivée, on lui amena un taureau et quatre vaches pleines , un bélier et plusieurs brebis; on lui apporta en même temps une assez grande quantité de volailles pour former une basse-cour. Menzikoff'ne sut jamais à qui il étoit redevable de cette charité. Sa maison étoit Téglée comme un cloître. Tous les matins on alloit à l'oratoire , où il faisoit la prière : on y alloit encore le soir et à minuit. C'étoit, dans le sein de la religion que ■ces infortunés puisoient toutes les consolations , tous les enconragemens dont ils avoient besoin. Menzïkojf se livra insensiblement à une tranquillité d'esprit qui auroit rendu sa situation parfaitement heureuse, si ce calme n'eût été quelquefois troublé par les remords , parla douleur de voir ses enfans dans la misère, et d'en être la cause. Six mois après son établissement, sa fille aînée fut attaquée de la petite-vérole. Il fit auprès d'elle Jes fonctions de garde et de médecin , mais ses soins furent inutiles : sa fille approchoit de jour en jour de sa fin. Alors il quitta l'office de médecin, pour prendre celui de prêtre. Dès qu'elle fut morte, il colla son visage sur le sien, l'arrosa de ses larmes; mais sentant qu'il <levoit se conserver lui-même pour ses deux autres enfans, il fit un effort pour résister à la douleur, et dit à son fils et à sa fille : « Apprenez de votre sœur « à mourir, » U chanta ensuite, avec ses enfans1 et ses domestiques , les prières que le rit grec a consacrées aux morts ; les recommença plusieurs fois pendant Vingt-quatre heures; fit inhumer sa fille dans l'oratoire qu'il avoit construit, et marqua à ses deux enfans la
�C O N S T A N C I.
i
%
place où ilvouloit qu'on l'enterrât : c'étoit à côté d'elle. ! ïl lui survécut peu , et mourut le a Novembre 172% Après sa mort, ses deux enfans euren t un peu plus de liberté. L'officier qui les snrveilloit leur permit d'aller à l'office à la ville le dimanche, mais pas ensemble : l'un y alloit un dimanche, et l'autre le dimanche suivant. Un jour que la fille revenoit, elle s'entendit appeler par un paysan qui avoit la tête à la lucarne d'mre cabane, et reconnut, avec le plus grand éionncment,. que ce paysan étoit Dolgorouski,1e persécuteur de sa famille. Ce favori momentané, qui s'éteit élevé -aussi haut que Menzikoff, qui avoit aussi voulu fiancer sa fille au jeune czar, venoit d'éprouver précisément les mêmes revers : mais il étoit plus malheureux que son rival, parce qu'abbatu par le désespoir, il n'avoit pu trouver dans son cœur les mêmes ressources que le pâtissier-prince avoit puisées dans le sien. La fille de Menzikoff vint apprendre cette nouvelle à son frère avec une sorte de satisfaction, qu'il partagea d'abord; mais bientôt la réflexion lui fit plaindre son ennemi, et regretter de 11e pouvoir le secourir. Peu de temps après, il fut rappelé avec sa sœur à Pétersbourg, par la czarine Anne. Ils laissèrent à Dolgorouski leur cabane et tout ce qu'ils possédoient, et se rendirent à la CQur--Le jeune Menzikoff y fut capitaine des gardes, et reçut le cinquième des biens de son père. Sa sœur devint dame d'honneur de lïmpéïatrieé, et fut avantageusement mariée, ayant pour dot les sommes, que son père avoit placées sur les banques de Venise et d'Amsterdam. Les ennemis de Menzikoff avoient voulu s'emparer aussi de cette portion de sa fortune j. mais les directeurs de ces banques avoient déclaré qu'ils ne pouvoient les rendre que quand le propriétaire seroit libre. 8. C'étoit un des principes fondamentaux du gouvernement romain, de ne connoître d'autre terme de la guerre que la victoire , et, pour y parvenir ,, de surmonter avec une persévérance infatigable tous, les obstacles et tous les dangers qui la pouvoient re-i. larder. Les plus grands, malheurs, les pertes les plu& C 4. "
�CONSTANCE»
désespérantes, n'étoient point capables d'abattre leuy courage , ni de leur faire admettre aucune condition de paix basse et déshonorante. Dans les conjonctures les plus tristes, les foibles conseils, loin de prévaloir, n'étoient pas même écoutés, Après la sanglante bataille de Cannes, où plus de cinquante mille Romains demeurèrent sur la place, il fut résolu qu'on ne préteroit l'oreille à aucune proposition de paix. Le consul Varron, qui avoit été cause de la défaite, fut reçu à Rome comme s'il eût été victorieux, parce que, dans un si grand malheur , il n'avoit point désespéré des affaires de la république. C'est ainsi qu'au lieu de décourager les citoyens par un exemple de sévérité placé mal-à-propos , le sénat leur apprenoit, par son exemple , à se roidir contre la mauvaise fortune, et à prendre dans les disgrâces la fierté qu'inspire aux autres le succès le plus complet. 9. Denys le jeune ayant été chassé de Syracuse , chercha une retraite à Corinthe, où il menoit une vie pauvre et précaire. Dans les momens où les incommodités de sa nouvelle condition se faisoient le plus vivement sentir : « Heureux , s'écrioit-il , ceux « qui, dès l'enfance, ont fait l'apprentissage du mal« heur ! » On lui demandoit à quoi lui avoient servi les leçons de Platon et l'étude de la philosophie. « A supporter avec courage le changement de ma « fortune , » répondit-il. 10. Le grand Pompéç étant arrivé à Rhodes , alla rendre visite au fameux Possidonius, philosophe stoïcien, alors malade de la goutte. Il lui témoigna le chagrin qu'il avoit de ne pouvoir l'entendre parler sur la philosophie. « Vous le pouvez , dit Possidonius, « et la douleur ne sera pas la cause qu'un si grand « homme soit venu me trouver en vain. ».-Il commença dans le moment à traiter un sujet intéressant ; mais sentant, au milieu de son discours , les aiguillons de la douleur qui le perçoient vivement, il s'écrioit quelquefois 5 « Tu as beau faire , douleur « obstinée, tu ne me forceras jamais d'avouer que tu, « es un mal. » Voyez ÉGALITÉ D'AME , FEÏUHETÉ.,
�CONTEMPLATION.
CONTEMPLATION, i. "UNE fille en réputation de sainte té , passoit les journées entières en oraison. Son évêque l'apprend ; il va la voir, « Quelles sont donc les longues prières « auxquelles vous consacrez vos journées ? — Je récite « monPater. — luePater est sans doute une excellente « prière ; mais enfin un Pater est bientôt dit. — Oh ï « monseigneur, quelles idées de la grandeur , de la « puissance , de la bonté de Dieu , renfermées dans « ces deux seuls mots Pater noster ! en voilà pour « une semaine de méditation. » 2. S. Jean l'Aumônier , voulant se préparer à la mort, par la pensée de la mort même , commanda qu'on travaillât à lui dresser un tombeau ; mais il défendit qu'on l'achevât avant qu'il eût rendu le dernier soupir , afin que cet ouvrage , demeurant ainsi imparfait , ceux qu'il en avoit charges lui vinsent dire tous les ans , au jour d'une fête solennelle , et en présence de tout son clergé : « Votre tombeau, saint « père, demeure imparfait ; commandez donc , s'il « vous plaît , qu'on l'achève , puisque vous ne savez « pas , comme dit Jésus-Christ , à quelle heure les « voleurs doivent venir. » Une grande mortalité régnant dans Alexandrie, le saint patriarche alloit voir passer les enterremens : « H est utile , disoit-il , de contempler les tombeaux et les cercueils des morts. » 3. M. de Monmort passoit la plus grande partie de l'année dans sa maison de campagne , pour s'y livrer tout entier à ses savantes méditations. La vie de Paris lui paroissoit trop distraite pour des études aussi suivies que les siennes. Du reste, il ne craignoit pas les distractions en détail. Dans la même chambre où il trayailloitaux problêmes les plus embarrassans, on jouoit du clavecin, son fils couroit et le lutinoit, et les problêmes ne laissoient pas de se résoudre. Le P. Malebr anche en fut plusieurs fois témoin avec étonnement, U
L
�4-2
CONTENTEMENT.
y a bien de la force dans un esprit qui n'est pas maîtrisé par les impressions du dehors, même les plus légères. 4- Le savant M. Renau, géomètre illustre, ne s'instruisoit pas par une grande lecture , mais par une profonde méditation. Un peu de lecture jetoit dans son esprit des germes de pensées que la contemplation faisoit ensuite éclore, et qui rappor.toient au centuple. Il cherchoit les livres dans sa tête, et les y trouvoit. Ce qu'il y a de plus singulier , c'est qu'il pcnsoit beaucoup , et passoit peu de temps dans son cabinet et dans la retraite. 11 pensoit d'ordinaire au mibeu d'une conversation , dans une chambre pleine de monde , même chez les dames. On se moquoit de sa rêverie et de ses distractions, et on ne laissoit pas, en même temps, de les respecter. Il faisoit naturellement et sans affectation, ce qu'avoit fait pour une épreuve ou pour une ostentation de ses forces, ce philosophe qui se retiroit dans un bain public pour y méditer. 5. Le grand Colbert étant à sa belle maison de Seaux , un de ses amis le surprit à sa fenêtre dans une profonde rêverie , et considérant attentivement les campagnes qui l environnoient. Celui-ci prit la liberté de lui demander quel étoit l'objet de cette sérieuse méditation. « En contemplant, lui répondit « Colbert , ces campagnes fertiles qui sont devant « mes yeux , je me rappelois le souvenir de celles « que j'ai vues ailleurs. Quel riche pays que la France ! « Ah ! si les ennemis du roi vouloient le laisser jouir « de la paix, on pourrait, en peu d'années, procurer « à ses peuples cette aisance que. leur promettait le « grand Henri , son aïeul. »
uumvi>iuuiw\uvvvti\vmH\viuumtvu\uw\u\,v\\\,u
CONTENTEMENT.' pauvres vinrent dans un monastère d'Oxîrinque, ville de la basse Thébaïde, pour y recevoir la charité des mains des solitaires. Il y en avoit un entre autres qui, malgré la rigueur du froid , n'avoit pour
�CONVERSATION.
.
4^
tonte couverture qu'une petite natte de jonc, dont il mit la moitié sous lui, et se couvrit avec l'autre comme il put. Le froid le faisant trembler, il paroissoit toutefois content, et se consoloit lui-même, en disant: « Je vous rends grâces, mon Dieu ! de ce que je suis « réduit en cet état ; car combien y a-t-il de riches , <i qui dans ce moment sont en prison , et qui ont les « fers aux pieds, sans pouvoir jouir de la liberté ! au « lieu que je suis heureux comme un roi, pouvant « aller où bon me semble. » 2. Je rencontrai au bord de la mer , dit le poète Sadi , un religieux qu'un tigre avoit à demi dévoré : il étoit prêt d'expirer , et souffroit des maux inouis. Cependant son visage étoit calme et serein , et l'on voyoit sur son front les traits de la douleur vaincus par ceux de la joie intérieure de son ame : « Grand « Dieu , s'écrioit-il, je te rends grâces de n'être ac^ « câblé que de douleur , et non de remords ! »
CONVERSATION. ï. (QUELQU'UN demandoit au philosophe Anucharsis ce que l'homme avoit de meilleur. <,< La langue , » répondit-il. 2. « On juge d'un homme par les paroles, disoit « Romulus, comme d'un vase de terre par le son qu'il « rend. » 3. Voulons-nous plaire dans la conversation ? efforcons-nous d'y paroître moins occupés de nous-mêmes que du mérite des autres. Faisons taire notre amourpropre , et laissons briller celui de nos voisins. C'est le sens de cette belle instruction que l'illustre Racine donrioit à son fils aîné , qu'il songeoiç à produire dans le. monde. « Ne croyez pas, lui dit-il, que ce soient mes « vers qui m'attirent toutes les caresses de la cour. « Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les « miens, et cependant personne ne le regarde : on ne « l'aime que dans la bouche de ses acteurs ; au lieu que,
�44
« « « « « « « « « « <?
CORRECTION.
sans fatiguer les gens du récitdemes ouvrages, dontjo ne leur parle jamais , je me contente de leur tenir des propos amusans, et de les entretenir de choses qui, leur plaisent. Mon talent, avec eux, n'est pas de leur faire sentir que j'ai de l'esprit, mais de leur apprendre qu'ils en ont. Ainsi, quand vous voyez monsieur le duc passer souvent des heures entières avec moi, vous seriez étonné, si vous étiez présent, de voir que souvent il en sort sans que j'aie dit quatre paroles ; mais peu à peu je le mets en humeur de causer; et il me quitte encore plus satisfait de lui que de moi. » 4- Ce ne sont pas toujours les/plus grands génies qui brillent le plus dans, la conversation. Il faut penser promptement et nettement ,. pour parler sur mille matières souvent différentes. Les têtes contemplatives n'ont pas ce talent. L'ordre de leurs idées est trop géométrique pom- fournir aux dépenses de cette légèreté aimable , qui vole avec rapidité d'objets ea objets , qui les effleure tous , et qui paroît tout connoître. M. Nicole, un des premiers, écrivains du siècledernier, ne parloit presque jamais en compagnie ; et quand il lui arrivoit de vouloir dire quelque chose, il cherchoitses mots,s'exprimoit mal, etfatiguoitmême ceux qui l'écoutoient. Il sentoit lui-même ce défaut,; mais il ne ppuvoit s'en corriger. Aussi disoit-il, au sujet de M. de Tréville , dont la langue secondoit admirablement la promptitude de son imagination : « Il me bat dans la chambre ; mais il n'est pas plutôt « au bas de l'escalier, que je l'ai confondu! »
CORRECTION.
NE dame irritée contre une personne qui l'avoit offensée, jura qu'elle s'en vengeroit. Un homme, qui se croyoit raisonnable , mais qui ne le prouvoit pas alors , entreprit de lui démontrer qu'elle avoit tort de se venger. Cette remontrance mal placée la jeta dans une espèce de fureur, Elle jura qu'elle brûlerait
�ÎÔRRÏCTION.
4^
plutôt là maison, et qu'elle poignarderoit son ennemie. Dans ce moment arrive un de ses pareils qu'elle considérait beaucoup. Il s'informe du Sujet de sa colère , et dit froidement qu'il n'y avoit pas : moyen de souffrir une telle injure. En un mot, il entre dans le ressentiment de la personne offensée. A mesure qu'il parloit, la colère de celle-ci s'appaisoit, et elle parvint à se tranquilliser entièrement. « Cc-jument donc ? « lui dit sou parent, vous voilà toute aupaisée ! Avez« vous oublié qu'il nous reste Une maison à brûler et « une femme à poignarder ? Pour moi, je vous assure « que je n'en rabattrais pas un ïotà.y> La dame , qui avoitété si irritée, se inità rire ; etl'homme raisonnable à contre-temps apprît qu'il ile faut jamais s'opposer à un torrent ; mais, au contraire, lui faciliter un passage, à moins qu'on ne veuille s'exposer à lui voir faire les plus grands ravages. 2. Louis XIVa.Yo'A donné au marquis de Barbezieux la place de secrétaire d'état de la guerre , qu'avoit occupée le marquis dè Louvois son père. Mécontent de la conduite de ce nouveau ministre, il voulut le corriger , sans le mortifier. Dans cette vite , il s'adresse à son oncle, l'archevêque de Reims, et le prie d'avertir son neveu. C'est un maître instruit de tout ; c'est un père qui parle : «Je sais , dit-il, ce que je dois à la mé« moire de M. de Louvois • mais si votre neveu ne" « change de conduite, je serai forcé de prendre un « parti : j'en serai fâché ; mais il en faudra prendre H un. Il a des talens ; mais il n'en fait pas bon usage : « il néglige les affaires pour ses plaisirs 5 il fait atten« dre trop long-tsmps les officiers dans son anticham« bre ; il leur parle avec hauteur, et quelquefois avec « dureté, » Peut-on donner une plus sévère leçon en termes plus doux ? 3. [Jn grand roi demandant à quelques-uns de ses courtisans les plus intimés, à quoi ils s'étoieni occupés dans les prisons où des égàremens de jeunesse les avoient autrefois détenus ; l'un répondit qu'il y avoit appris les mathématiques ; l'autre, le dessin ; un troisième , à jouer du luth : «Et vous ; reprit le monarque,
�46
CORRECTION.
« en s'adressant à l'un d'eux qui ne disoit rien , qu'avez« vous appris dans votre prison? — Sire, répondit le « courtisan , j'ai appris à n'y plus retourner.» 4- Pendant que l'empereur Claude interrogeoit les complices d'une conspiration formée contre lui, et qu'il venoit de découvrir , on voyoit ses affranchis assis h ses côtés prendre eux-mêmes connoissance des affaires. Narcisse reçut en ce moment une bonne leçon d'un certain Galésus,affranchi de Camille, un des chefs de la conjuration : l'impudent, favori le fatiguoit par ses questions continuelles, et lui demandoit, entre autres choses, ce qu'il auroit fait si son patron fût devenu empereur. « Je me serois tenu debout auprès de lui , « répondit Galésus, et j'aurois gardé le silence.» 5. Des courtisans s'entretenoient devant Louis XIV, qui n'avoit que quinze ans , du pouvoir absolu des sultans turcs , et disoient qu'ils disposoient , au gré de leurs caprices , du bien et de la vie de leurs sujets. « Voilàj, dit le roi, ce qui s'appelle régner. » Le maréchal d'Estre'es, qui étoit présent, craignant avec raison les conséquences d'un semblable discours dans un jeune prince, lui repartit : « Sire, deux ou ti'ois de « ces empereurs ont été étranglés de mon temps. » 6. Thyng-Ti, empereur de la Chine , avoit des vertus 5 mais il étoit foible, et plusieurs fois il se seroit déshonoré sans les conseils de sa mère Pan-Hyay. Il devint éperdument amoureux d'une comédienne. Sa passion l'entraîna si loin,qu'il répudia l'impératrice , pour mettre l'histrionne à sa place.-Il voulut que toutes ses reines assistassent à son couronnement. Enchanté de. s^i maîtresse , il demanda à sa mère ce qu'elle en pensoit: «Elle est à merveille , répondit Pan-Hyay : « elle joue avec beaucoup de vérité , et un premier « rôle ne lui messied pas. « L'empereur réfléchit sur cette réponse. On le vit pâlir et rougir successivement; enfin, il prit son parti. «Vous avez raison,s'écria-t-il; « son élévation n'est aussi qu'une comédie ; » et il essaya en effet de persuader que le projet qu'il avoit eu n'étoit qu'un jeu. 7. Lorsque l'empereur Antonin n'éloit encore que
�CORRECTION.
4?
proconsul d'Asie , il prit pour son logement dans Smyrne, la maison du sophiste Polémon, actuellement en voyage. A son retour, cet homme vain et arrogant fut très-indigné de la voir occupée par le souverain magistrat de la province. 11 cria ; il s'emporta ; et, par ses plaintes amères, il obligea le proconsul d'aller en plein minuit chercher ailleurs une autre retraite. Dans la suite, qaandla fortune eut placé le sage Antonin sur le trône des Césars, il.ne se vengea de l'orgueilleux, sophiste que par des railleries aussi douces qu'ingénieuses. Polémon étan tvenu à Rome, l'empereur l'embi'assa, et dit : « Qu'on lui donne un logement, et que « personne ne le déplace. » Un comédien lui ayant porté ses plaintes contre Polémon , qui l'avoit chassé du théâtre : « Quelle heure étoit-il, demanda l'empe« reur , lorsqu'il vous a chassé ?—11 étoit midi , ré« pondit l'acteur.—Eh bien, reprit Antonin, il m'a « chassé de sa maison à minuit, et j'ai pris patience.» C'est ainsi que ce grand homme prétendoit punir et corriger l'insolence d'un sujet. 8. TJn jeune homme, à qui Charlemagne venoit de donner un évêché, s'en retoumoit très-satisfait. S'étant fait amener son cheval, il y monta si légèrement, que peu s'en fallut qu'il ne sautât par-dessus. L'empereur^ qui le vit d'une fenêtre de son palais, l'envoya cher-! cher : «Vous savez, lui dit-il, l'embarras où je suis. « pour avoir de bonne cavalerie; étantaussi bon écuyer « que vous êtes, vous seriez fort en état de me servir. « J'ai envie de vous retenir à ma suite : vous m'avez « tout l'air d'y réussir", et d'être encore meilleur cava« lier que bon prélat. » Il s'en tint à cette leçon , qui dut inspirer au jeune évêque l'esprit de son état. 9. Une femme de qualité , vieille et fort parée, demanda un entretien secret au saint roi Louis IX. Le, monarque la fit entrer dans son cabinet où il n'y avoit que son confesseur, etl'écouta aussi long-tempsqu'elle voulut. « Madame, lui dit-il, -j'aurai soin de votre aft « faire , si, de votre côté , vous voulez avoir soin de « votre salut. On dit que vous avez été belle : ce ;« temps n'est plus , vous le savez.La beauté du corps
�48 CORRECT'lON; « passe comme la fleur des champs : on a beau faire j « on ne la rappelle poim\ Il faut sortger à la beauté dê « l'âme , dont l'éclat est immortel; » Ge discours fit impression : la dame s'habilla plus modestement dans la suite. 10. Le médecin Ménécrate , doiit l'extravagance! àlloit jusqu'à se croire Jupiter, écrivit en ces termes à Philippe, roi de Macédoine : « Ménécrate-Jupiter à <■< Philippe, salut. » Philippe lui répondit ; « Philippe à « Ménécrate, santé et bon sens.» Ce prince n'en demeura pas là ; et, pour guérir son visionnaire, il imagina une plaisante recette. Il le pria d'un grand repas. Ménécrate eut une table à part , sur laquelle On ne servit pour tout mets que de l'encens et des parfums , pendant que les autres conviés goûfoient tous les plaisirs de la bonne chère. Les premiers tramspofts de joie qu'il ressentit en voyant sa divinité reconnue, lui firent oublier qu'il étoit homme : mais quand la faim le força de s'en souvenir, il se dégoûta d'être Jupiter 3 et prit brusquement congé de la compagnie -, bien désabusé de sa divinité. 11. Un courtisan de Denys l'ancien , nommé Z)«-> modes, exaltoit l'opulence de ce prince , le nombre de ses troupes, l'étendue de son pouvoir , la magnifia cence de ses palais , ses richesses en tout genre , et conclnoit que jamais personne n'avoit été si heureux* « Eh bien ! puisque cela vous paroît si beau, lui dit « le despote, seriez-vous d'humeur à en goûter Un peu, « et à voir par vous-même quel est mon sort? — Très^« volontiers , seigneur.» Aussitôt on le place sur un lit d'or, couvert de riches carreaux, et d'un tapis dont l 'ouvrage étoit superbe ; on étale sur plusieurs buffets une magnifique vaisselle d'or et d'argent ; on fait venir de jeunes esclaves , tous d'une rare beauté, et qui , les yeux fixés sur lui, dévoient le servir au moindre signe. On prodigue les essences 3 les guirlandes , les parfums; on couvre la table des mets les plus exquis. Voilà Damocles qui nage dans la joie. Au milieu de cet appareil, le tyran fit suspendre au plancher un glaive étincelant, qui ne tenoit qu'à un crin de cheval, et
�49 qui donuoit précisément sur la tête de cet homme si ; enchanté de son bonheur. A l'instant., ses yeux ne ! virent plus ni ces beaux esclaves qui le servoient, ni [ cette magnifique vaisselle : il perdit l'envie de toucher ' aux ragoûts délicieux : déjà ses guirlandes tomboient d'elles-mêmes. Il demanda enfin au tyran la permise sion de se retirer, et lui dit qu'il ne vouloit plus être heureux. Damoclès quitta la cour, bien convaincu que ce n'est pas sur le trône qu'on trouve le vrai bonheur. 12. Ovinius Camille, seigneur des plus distingués de Rome sous l'empire à'Alexandre-Sévère , méditoit secrètement une révolte , et aspiroit au trône. Il se mêîoit dans toutes les affaires; il se rendoit maître des décisions du sénat : affable , doux , honnête envers tout le monde, il né refusoit son secours à personne; il n'y avoit aucune partie du gouvernement à laquelle ses soins ne s'étendissent. Sa vigilance et son zèle eussent été très-utiles, si le motif en eût été meilleur. L'empereur fut informé de ses desseins ; et pour ne pas perdre un homme estimable d'ailleurs, il le punit d'une manière toute nouvelle. Il le manda ; et après l'avoir remercié des soins qu'il prenoit pour la conduite de i"état, il l'introduisit lui-même au sénat, le déclara publiquement son associe à l'empire; le fit loger dans son palais , et revêtir des ornemens impériaux : enfin, il le pria de l'accompagner dans un voyage qu'il avoit à faire ; et tandis qu'il marchoit lui-même à pied, il voulut qa'Ovius allât à cheval. C'est ainsi qu'après l'avoir comblé d'honneurs, il le renvoya bien corrigé13. M. de Tu-renne , étant dans son camp près de Lens, envoyalecomle deGrand-Pré, depuis maréchal de Joyeuse, à la tête de quelques escadrons , pour escorter un convoi qui venoit d'Arras. Le jeune comte, par attachement pour une femme , laissa partir le convoi sous les ordres du major de son régiment, et se flatta de le rejoindre avant qu'il arrivât au camp. Un parti espagnol qui rôdoit attaqua l'escorte ; mais il futrepoussé etdéfaitparlemajor, qui amenaheureusementle convoiàLens. Tienne apprit la faute du comte de Grand-Pre ; et sachant qu'elle J'auroit perdu à la Tome IL D
CORRECTION.
�5o CORRECTION. cour , il dit aux officiers qui l'environnoient. « Le comte « de Grand-Pré sera fâché contre moi, à cause d'une « commission secrète que je lui ai donnée , et qui l'a « arrêté à Arras , dans un temps où il auroit eu ocea« sion de signaler son courage. » Le comte, de retour , apprit ce qu'avoit dit son général. Il courut à sa tente , se jeta à ses genoux , et lui marqua sa reconnoissance et son repentir par des larmes pleines de tendresse. Le vicomte lui parla alors avec une sévérité paternelle. Ses remontrances firent un tel effet sur l'esprit de ce jeune officier, que, bien loin de tomber dans la même faute, il se signala par les plus grandes actions , pendant le reste de la campagne, et devint un des meilleurs capitaines de son siècle. i4- Khan-Hi, empereur de la Chine, avoit coutume de faire servir sur sa table des vins d'Europe. Un jour, ce prince ordonna à un mandarin , son plus fidelle favori, de boire avec lui. 11 s'enivra. Le mandarin , qui craignoit les suites de cette intempérance, passa dans l'antichambre des eunuques, et leur ditquel empereur étoit ivre ; qu'il étoit à craindre qu'il ne contractât l'habitude de boire avec excès ; que le vin aigriroit encore davantage son humeur déjà trop violente, et que, dans cet état, il n'épargneroit pas même ses plus chers favoris. « Pour éviter un si grand mal', ajouta le sage man« darin , il faut que vous me chargiez de chaînes , et « que vous me fassiez mettre dans un cachot, comme « si l'ordre en étoit venude l'empereur. » Les eunuques approuvèrent cette idée, pour leur propre intérêt. Le prince , surpris de se trouver seul à son réveil, demanda ce qu'étoit devenu son compagnon de table ? On lui répondit qu'ayant eu le malheur de déplaire à sa majesté , on l'avoit conduit, par son ordre , dans une étroite prison , où il devoit recevoir la mort. Le monarque parut quelque temps rêveur, et commanda enfin que le mandarin fût amené. Il parut chargé de chaînes , et se jeta aux pieds de son maître , comme un criminel qui attend l'arrêt, de sa mort. «Qui t'a mis « en cet état ? quel crime as-tu commis ? » lui demanda leprince. « Mon crime ? je l'ignore , » lui répondit le
�CORRECTION.
I
« je sais seulement que votre majesté « fait jeter dans un noir cachot, pour y être livr « la mort. » L'empereur retomba dans une profonde rêverie : il parut surpris et troublé. Enfin , rejetant sur les fumées de l'ivresse une violence dont-il ne conservoit aucun souvenir, il fit ôter les chaînes au mandarin ; et l'on remarqua que , depuis , il évita toujours les excès du vin. 15. Jean d'Aubigné usa d'un moyen bien extraordinaire, pour corriger Théodore d'Aubigné, son fils *qui s'étoit livré à la débauche, et déshonoroit.sa naissance par une vie oisive et criminelle. 11 lui envoya par un dé ses domestiques, un habit de grosse serge; et, dan/cet équipage , il le fit conduire dans toutes les boutiques de la ville , lui disant de choisir quel métier il ypnloit apprendre, puisqu'il menoit une vie indigne d'un gentilhomme. Le jeune d'Aubigné fut si sensible à cet affront public, qu'il en tomba maladé, et pensa mourir, 16. Les mœurs à'Auguste n'étoient pas trop chastes ; et ce prince n'étoit pas fort délicat sur les moyens de satisfaire ses passions aveugles. Mais la philosophie vint à bout de corriger ses penchans dépravés. Epris des charmes de l'épouse d'un ami particulier du phir losophe Athénodore, il l'envoya chercher dans une litière couverte, pendant que le-sage étoit au logis de son ami. Le mari et la femme furent également consternés ; mais ils n'avoient pas le courage de résister à l'empereur. Le philosophe s'offrit à les tirer d'embarras ; et, prenant les habits de la dame , lorsque la litière fut venue , il y entra à sa place , et fut porté dans la chambre de l'empereur. Ce prince ayant levé les rideaux de la litière , fut bien surpris d'en voir sortir, l'épiée à la main, Athénodore, dont il respectoit la'vertu. « Eh quoi ! César, lui dit le sage, « vous ne craignez pas que quelqu'un n'imagine, pour « attenter à votre vie , l'artifice que j'emploie inno« ccmment?» Auguste, surpris des dangers où ses désirs impétueux pouvoient l'entraîner, rectifia son cœur, et l'accoutuma bientôtà n'aimer que ce qui es thonnéte* ly. Pythius, gouverneur d'une ville de Phrygie , D a
1 mandarin ;
�52 CORRECTION. ëtoit un homme riche et avare , qui faisoit creuser dés mines dans tout le pays , dé manière qu'il ne restoit presque plus de terres pour labourer. Sa femme lui fit sentir, par un statdgême adroit, l'extravagance d'une telle conduite. Pendant l'absence de son mari, elle fit faire une table d'or , ainsi que tous les vases qui sèrvent à la table : elle fit même représenter en or la figure des mets que son mari aimoit le plus. Lorsqu'il fut de retour, on mit devant lui, à l'heure du répas , là table et les vases d'or. Ce spectacle lé réjouit d'abord ; mais , la faim commençant à lé presséf , il ordonna qu'on servît. On lui apporta les mets d'or , qu'on avoit fabriqués en son absence. Pythius commença à s'ennuyer de ce jeu , et, tout en colère, demanda quelque chose à manger. « Ne voyez-vous pas, « lui dit alors sa femme , que l'or ne nourrit pas les « hommes ? Vous ne songez qu'à tirer de l'or du sein « de la terre, au lieu d'en tirer les fruits nécessaires à 'l la vie. Vous ruinez l'agriculture ; et tous vos sujets « mourront bientôt de faim, si vous continuez. >> Pythius profita de cette leçon , et changea de conduite. 18. On fît à M. deHarlai une plainte d'une fausseté que Nibobet, procureur, avoit commise ; mais on h?àvoit pas assez de preuves pour le convaincre. Le magistrat le manda, et le reçut avec un visage serein qui charma cet officier subalterne. « Asseyez-vous, M. Ni« hohet. » Le procureur témoigna qu'il recevrait debout lès ordres de Sa Grandeur. «Non,non, je veuxabsolu« ment que vous soyez assis. » M. Nibohet obéit, et alla prendre une chaise pour s'asseoir. « Un fauteuil, « s'il vous plaît, M. Nibobet, un fauteuil.— Ah ! mon« seigneur, vous me remplissez de confusion; » et, en disant ces mots, le procureur conçoit les plus flatteuses espérances. « Cou vrez-vous donc , M. Nibobet, » continua le magistrat. M. Nibobet, qui h'avoit plus la force de résister à ces honnêtetés excessives, se couvrit. M. de Harlai, après s'être arrêté quelque temps, prit tout-à-coup un visage sévère , où régnoient la colère et la terreur. « M. Nibobet, lui dit-il, vous avez commis « une fausseté. » Il lui détailla son crime. « C'est chez
�C O K H E C T I 8 K.
53
i « vous un pcché d'habitude : si l'on achève de m'éclair1 « cir là-dessus , je vous avertis que je vous ferai penI « dre. Serviteur, M. Nibobet. » Cette leçon fut utile Sf riu procureur , qui ne tarda point,à se corriger.
19. L'empereur Constantin donna une belle leçon à
If un courtisan avide , possédé du désir d'accumuler des
,| richesses. Avec une pique qu'il tenoit, par hasard , à la main , il traça sur la poussière à peu près la ligure I et l'étendue du corps humain ; et, s'adressant à ce 1 courtisan « Que vous en semble , lui dit-il ? Quand | « vous auriez amassé toutes les richesses de l'univers , I « et quand vous seriez maître de toute la terre, n'est! « il pas vrai que bientôt vous n'occuperez plus que « ce petit espace que je viens de circonscrire ; enco« re , supposé qu'on vous l'accorde ? » 20. TJn gentilhomme de la maison de Louis XII \ avoit maltraité un paysan- Le monarque ordonne de retrancher le pain à cet officier, et de ne lui servir ! que de la viande pt du vin. Le gentilhomme s'en plaint au roi, qui lui demande si les mets qu'on lui sert ne : suffisent pas ? « Non , sire , puisque ]e pain est essen« tiel à la vie.— Eh ! pourquoi donc, reprit le prince, « êtes-vons assez peu raisonnable pour maltraiter « ceux qui vous le me-tfent à la main ? » 21. Benoît XIV, n'étant encore qu'archevêque de Bologne , apprit, qu'un curé de son diocèse s'étoit rendu coupable d'une faute extrêmement grave. Il vu le trouver : « Mon frère , lui dit-il, je dois à Dieu seul « la grâce de ne point préyariquer : je viens pleurer « avec vous et non vous gronder. Le scandale que « vous avez causé ne peut se réparer qu'en quit« tant votre paroisse. Je vous donne un bénéfice sim« pie, qui vaut au moins votre cure. Allez, ne péchez « plus ; embrassez-moi comme un père qui verse des « larmes sur un fils qui lui sera toujours cher. Vous « viendrez me voir de temps en temps , car il faut « qu'un ministre des autels soit toujours honoré. » On lui dit qu'un malheureux poète avoit fait une satire amère contre lui. II se la procura , la lut, la corrigea de sa propre main , et en l'envoyant à D 5
�5^
COURAGE.
Fauteur , il lui conseilla de suivre ses corrections , parce qu'elle s'en vendroit mieux. ■
COURAGE. , roi des Etrusques, résolu de rétablir sur le trône Tarquin-le-Superbe qui avoit imploré son assistance , vint assiéger Rome avec une armée aussi nombreuse que redoutable. Bientôt la ville futréduile à la plus triste extrémité ; et cette cité fameuse , qui nourrissoit dans son sein les conquérans futurs de l'univers, alloit tomber sous les coups d'un voisin ( trop puissant, lorsqu'un jeune Romain, appelé Mutins Scévola , forme le dessein de délivrer sa patrie , par quelqu'entreprise nouvelle et hardie. Il passe dans le camp des ennemis, après en avoir demandé la permission au sénat, en faisant entendre qu'il méditoit quelque grand projet, mais sans s'expliquer clairement. Il trompe les gardes , qui Je prennent pour un homme de la nation , parce qu'il ne paroissoit porter aucune arme , et qu'il parloit leur langue. Il pénètre jusques dans la tente du roi, qui, accompagné d'un secrétaire vêtu à peu près comme lui, payoit la solde à ses troupes. Mutins , ne voulant pas demander lequel étoit le roi, de peur de se découvrir, et voyant que les soldats s'adressoient plus souvent au secrétaire, se détermine enfin, et perce le ministre d'un coup de poignard. Il est saisi sur le champ malgré toute sa résistance , et traîné devantle tribunal du monarque irrité. Mais alors même , à la vue de mille affreux supplices qui le menacent , il paroît dans une contenance intrépide , plus capable d'inspirer de la terreur que d'en recevoir. «Je « suis Romain, dit-il, mon nom est Mutins : j'ai voulu « tuer l'ennemi de ma patrie ; et je n'ai pas moins de « courage pour souffrir la mort, que j'en ai fait paroître « en voulant te la donner. Agir avec intrépidité, souf« frir avec constance, telles sontlesvertusd'unRomain. « Je ne. suis pas le seul qui ai formé ce dessein contre-
S.PORSEWNA
�COURAGE. 55 « toi : une foule de guerriers , après moi , aspirent à « la même gloire. Prépare-toi donc à de continuelles « alarmes ; à voir, à chaque instant , le glaive suspendu « sur ta tête ; à trouver toujours à Feutrée de ta tente « un ennemi secret qui épie le moment de te poignar« der. Voilà la guerre que te déclare la jeunesse ro« maine. Ne crains point de bataille générale : tu seras « seul attaqu£g et tu n'auras à te défendre que contre. « un seul ennemi. » Le roi, plein de colère, et tout à la fois frappé du danger dont jlîutius le menace, ordonne de l'environner de flammes, pour l'obliger à s'expliquer nettement ; mais le Romain , sans s'étonner : « Vois , dit-il , en mettant la main sur un brasier « ardent , vois combien méprisent leurs corps ceux « qui envisagent une gloire immortelle..» Il la laissoit brûler, comme s'il eût été insensible ; mais Porsenna, hors de lui-même à la vue d'un tel prodige, fait éloigner Mutins : « Retire - toi, jeune homme, encore plus en« nemi de toi-même que du roi des Etrusques. Je t'en« couragerois à ne point dégénérer d'une telle vertu , « si c'étoit pour ma patrie que tu en fisses usage : au « moins je te laisse aller en liberté ,. sans que tu aies. « rien à craindre de ce que les lois de la guerre me don« nentdroit de te faire souffrir.» Alors Mnlius, comme pour reconnoiIre sa générosité, lui déclara qu'ils étoient trois cents qui avoient conspiré contre lui ; qu'il étoitle premier sur qui le sort étoit tombé , et que les autres viendroient chacun à leur rang. Le prince , intimidé par le danger qu'il venoit de courir , et plus encore par la vue de ceux auxquels il s'attendoit d'être exposé tous les jours , songea sérieusement à faire la paix. 2. Après que Xerxès fut entré dans la Grèce avec une armée formidable, un A thénien nommé Agésilas , frère de Thémistocle, se rendit, comme espion, dans le camp des Perses; et, voyant un seigneur vêtu trèsmagnifiquement, il le prit pour le roi, et Je tua. Les, gardes l'arrêtèrent, et le conduisirent au monarque , qui faisoit alors un sacrifice. Agélisas mit sa main dans, le feu de l'autel ; et, sans jeter un cri , sans donner aucunsigne de douleur, il la brûla toute entière. Xçrxhz
D4
�5S COURAGE. s'étonnant de cet excès de courage : « Prince, lui dît « l'intrépide jeune homme, tous mes compatriotes en « ont autant que moi ; et, si vous en doutez , cette « autre main , que je vais punir de la mal-adresse de « la première , vous prouvera la vérité de mes pa« rôles. » Et en même temps , il la porta sur le brasier; mais le prince l'en empêcha, et le renvoya sans lui faire aucun mal. 3. Calon d'Utique, étant encore enfant, fut conduit dans la maison de Sylla. Voyant qu'on apportait au dictateur la tête de plusieurs illustres citoyens, il demanda à Sarpedon, son précepteur, pourquoi personne ne tuoit Sylla ? « Parce que les Romains , ré« pondit le pédagogue , craignent plus Sylla qu'ils « ne le haïssent. — Eh ! que ne me donniez-vous une « épée ! répondit vivement le jeune homme; j'aurois « délivré Rome de ce monstre sanguinaire. » 4- Lorsqu'on menoit S.Symphorien au supplice, sa mère lui cria de dessus les murailles de la ville : « Mon fds , souvenez-vous du Dieu vivant ; armèz« vous de constance et de force : élevez votre cœur « vers le Ciel , et regardez celui qui règne dans ce «? séjour de gloire. On ne vous ôte point la vie; on ne « fait que vous la changer en une meilleure : on vous « conduit au bonheur éternel. Le chemin est étroit « et difficile; mais il est court. » Le courage de cette pieuse mère passa dans l'ame de son fils. Plein d'une sainte ardeur de consommer son sacrifice, et de donner sa vie pour son Dieu, il rit sous le'glaive du bourreau ; il expire avec la gaieté d'un héros qui triomphe. 5. Origène soupiroit avec tant d'ardeur après la gloire du martyre , qu'à peine sorti de l'enfance , il suivoit tous les chrétiens que les magistrats païens faisoient arrêter. Il les accompagnoit au tribunal de leurs juges; il entroit, malgré les gardes, dans les cachots où l'on jetait ces innocentes victimes ; il faisoit , en un mot, tout ce qui dépendoit de lui pour être chargé des mêmes fers , et pour partager leurs tourmens. Mais, soit que les persécuteurs ne fussent plus si sévère s, et qu'ils pardonnassent à la foiblesse cle son âge,
�C O V B A G E.
57
| soit, plutôt que la Providence le réservât à des travaux [ plus utiles à la religion, il n'eut que Je mérite de son généreux héroïsme. Lêonicle son père, qui fut depuis evêqne, ayant été mis en prison avec les autres'Fidè! les, et devant subir le lendemain son interrogatoire, Origène, plus animé que jamais, résolut de s'y trouver; mais, pendant Ja nuit, sa mère profitant de son sommeil, entra doucement dans sa chambre, et enleva ses vêtemens. Se voyant donc frustré de son espérance, et ne pouvant se montrer en public , il écrivit à son père une lettre pleine d'éloquence et de feu , pour l'exhorter à la persévérance. 6. Desmarets, avocat-général, célèbre parsa douceur, par son éloquence, par son intégrité, ayant été condamné, par le crédit de ses ennemis , à perdre Ja tête sur un échafaud, malgré les irnportans services qu'il avoit rendus à Charles VI, exhortait, en allant au supplice, ses concitoyens a Ja fidélité et à l'obéissance qu'ils dévoient à leur souverain, et se montroit extrêmement sensible à la compassion qu'ils lui témoignoien t. II subit, la mort avec un courage et une fermeté audessus de son grand âge : il avoit soixante-dix ans. 7. Le courage d'un jeune Lacédémonien méritç d'autant plus notre admiration, que son âge nous offre peu d'exemples sembJaJjJes. Il était esclave : sou maître avoit toujours loué la promptitude avec laquelle il le servoit ; mais un jour , lui ayant ordonné de lui apporter le bassin destiné aux besoins de la nature , cet office indigne le révolta ; et , se rappelant la liberté qu'il avoit perdue, iJ refusa d'obéir. Voyant son maître irrité de ce refus : « Achetez des esclaves « plus dociles, » lui dit-il; et sur-le-champ il se précipita par la fenêtre. 8. Le fils de Crassus, ce Ptomain si célèljre par ses richesses et parsa puissance, s'étant trop abandonné à l'ardeur de son courage, fut tué dans un combat. Les ennemis mirent la tête du jeune guerrier au bout d'une lance ; et s'approchant du camp des Romains, ils leur montroient avec insulte ce trophée , triste monument de leur défaite. Ce funeste spectacle n'abattit point le
�58
COURAGE.
courage du père. Il couroit de rang en rang pour exhorter les soldats : « Romains , leur disoit-il, la « mort de mon fils est le malheur d'un particulier ; « cette perte me regarde seul, et je m'en console en « pensant que ceux qui lui survivent peuvent, par « leur courage , sauver la république. » 9. Le célèbre Marins avoit des verrues aux jambes : un chirurgien s'offrit de les lui couper. Durant cette cruelle opération , l'intrépide Romain ne souffrit pas qu'on le liât, ni que personne le tînt. Il ne poussa pas même un gémissement ; et il supporta avec tant de patience ces douloureuses incisions , qu'on eût dit qu'elles se faisoient sur un, corps étranger , ou qu'il avoit entièrement perdu le sentiment. Cependant, lorsque l'opération fut achevée sur une jambe, et qu'il fallut donner l'autre, Marins dit au chirurgien: « Pour éviter une légère difformité , ce n'est pas la « peine de souffrir un si cruel tourment ; » paroles qui montrent que Marins n'avoit pas été insensible à la douleur, mais qu'il l'avoitsurmontéeparsoncourage. 10. Dans un combat contre les Anglais, le fameux duc de Guise, surnommé le Balafré, fut frappé , entre le nez et l'œil droit, d'une lance qui, s'étant rompue par la violence du coup, lui laissa dans la plaie tout le fer avec un tronçon du bois. Un coup si violent ne lui fit cependant pas perdre les arçons ; et il eut la force de revenir au camp à cheval. Il y entra dans un état à faire horreur. Ses armes, ses habits, son visage étoient couverts de sang. La profondeur et la largeur delaplaie effrayèrent les chirurgiens : plusieurs d'entre eux ne voulurent point toucher à la plaie , disant qu'il étoit inutile de faire souffrir un homme qui n'avoit pas deux heures à vivre. Ambroise Paré, premier chirurgien du roi, arrive, avec ordre de tout risquer pour sauver la vie du prince. Le chirurgien voyant que le tronçon de la lance était entré de telle sorte dans la tête , qu'on ne pouvoit le saisir avec le mains , prend des tenailles de maréchal; et, en présence d'une foule d'officiers, il demande au'blessé s'il consentoit qu'il risquât l'opération, et qu'on lui mît le pied sur le visage
�COtRACï. 5o, pour arracher le tronçon de la lance ? « Je consens à « tout, dit le prince ; travaillez. » Cette manière de panser une blessure fit frémir tous les spectateurs. Guise seul parut tranquille, jusqu'à ce que les tenailles tirant le bois avec force, il s'écria : « Ah ! mon « Dieu ! » Cette exclamation fut le seul témoignage de douleur qu'il donna pendant toute la durée de cette cruelle opération. 11. Au siège de Pultava, que Charles XII entreprit en 1709, ce monarque , l'Alexandre du Nord , reçut un coup de carabine qui perça sa botte air talon , et le blessa dangereusement. Mais son courage lui faisant surmonter la douleur , il continua de visiter lés travaux , et resta encore à cheval pendant près de six heures , sans donner aucune marque qui pût faire soupçonner qu'il étoit blessé. Un domestique du général Sparre s'étant aperçu qu'il sortoitbeaucoup de sang de la botte du roi, en avertit-son maître. On crut d'abord que c'étoit quelque grand coup d'éperon qui avoit piqué son cheval ; mais le domestique ayant assuré que c'étoit de la botte du roi que le sang sortait, on fit venir des chirurgiens pour le visiter. Sa jambe s'était enflée considérablement ; il fallut le descéndre de cheval. Les chirurgiens , après avoir examiné sa plaie , craignirent que la gangrène ne s'y mît, et jugèrent qu'il falloit lui couper la jambe ; arrêt qui répandit la consternation dans toute l'armée. L'un d'eux , nommé Newman, plus éclairé que les autres, dit qu'il y avoit un moyen de guérir la jambe du roi sans la couper , mais qu'il étoit douloureux, et qu'il n'osoit l'employer. « Comment ! dit le monarque en colère, je ne prétends « pas que vous ayez plus d'égard pour moi que pour « le dernier de mes soldats : je veux que vous Iran« chiez de même; je vous l'ordonne, obéissez. » Newman , rassuré par ce discours , fit de profondes incisions dans la jambe du roi, sans que ce prince donnât le moindre signe de douleur , et le mit, en peu de temps , en état de soutenir le brancard. 12. Lêonidas, roi de Sparte, étant près de livrer aux Persans je fameux cornbut des Thermopyles, donna la
�6o
C 0 U R À G E.
permission de se retirer à Eutiche, très-brave soldat, mais fort incommodé de la vue. Cet homme , en s'en retournant, réfléchit sur la démarche qu'il faisoit ; et, jugeant qu'il seroit houleux pour lui de survivre à ses compagnons , il revint sur ses pas , et se rendit au camp en tâtonnant.La mêlée étoit commencée: il s'y fit conduire par un esclave; et, quoiqu'il pût à peine distinguer l'ennemi d'avec ses compatriotes, il combattit avec valeur, et mit le comble à son courage en périssant glorieusement, comme les autres , pour la liberté de la Grèce et l'honneur de sa patrie. i3.Le plus grand embarras de Catherine de Médieis. mère du roi Charles IX, étoit d'arrêter l'ardeur que ce jeune monarque montroitpour la guerre.«Eh! « pourquoi , i disoit-il en se plaignant , pourquoi me « conserver avec tant de soin ? Veut-on me retenir « toujours enferme dans une boîte , comme les meu« bles de la couronne?—Mais,sire,lui remonfroit-on, « ne peut-il pas arriver quelque accident fâcheux à « votre personne ?— Qu'importe ? répondit-il ; quand « la France me perdroit, n'ai-je pas des frères pour « prendre ma place ? » L'éclat des journées de Jarnac et de Moncontour lui inspira la plus vive jalousie contre le duc d'Anjou son frère. Après la mort d'Anne de Montmorenci, la reine-mère, qui sembloil n'avoir un cœur quo pour le duc d'Anjou , demanda pour lui la dignité de connétable , qui donnoit un pouvoir presque absolu sur les gens de guerre , par l'étendue infinie des droits qui y sont attachés. Le roi qui, tout jeune qu'il étoit, pénétra sans peine le but de sa mère , lui répondit avec fermeté : « Madame , je me « sens assez de force pour porter mon épée ; et quand « cela ne seroit pas , mon frère, plus jeune que moi, « seroit-il plus propre a s'en charger ? » Souvent il se désespérait de ce qu'on ne lui permettoit pas d'être à la têle des troupes. Au siège de Saint-Jean-d'Angely, on le voyoit chaque jour dans la tranchée et dans les postes les plus exposés. Il dit publiquement : « Je « m'accorderois volontiers avec le due d'Anjou mon « frère , pour commander akernativeraont l'armée ^
�COURAGE.
6l
« ét gouvernér le royaume. A. cette condition , je lui « verrois avec plaisir porter la couronne pendant six « mois.» 14. A la bataille de Rosebeequc, Boucicaut, depuis maréchal de France, trèsqeuue encore , et nouvellement armé chevalier , conlbattoit où le péril étoit lé plus grand, ne prenant conseil que de son courage. Il remarqua un chevalier flamand qui, à coups de sabre, àbattoit tout ce qui se trouvoit davant lui : rien ne pouvoit résister aux efforts de son bras victorieux. Boucicaut court à lui, l'attaque , la hache à la main , et le menace d'un ton intrépide. Le Flamand, remarquant sa jeunesse, le méprise , et, d'un coup violent, lui fait tomber sa hache : « Va teter > enfant, » lui dit-il 5 et tournant d'un autre coté , il ne daignoit pas achever sa victoire. Boucicaut, outré de colère , tire son épée , s'élance sur lui , et vient à bout , après quelques momens de combat, de la lui passer au travers du corps. 15. Agis II, roi de Lacédémone, passant auprès de Corinthe, et considérant la hauteur, la force et l'éten* due des murailles de cette ville : «Quelles sont les x< femmes , dit-il, qui font là leur séjour ? » 1.6. Antalcidas , général laeédémonien , disoit qnfc les jeunes gens étoient les murs de Sparte, et que les pointes de leurs javelots étoient les bornes de leurs Etats. 17. La valeur intrépide et le courage intelligent d'un seul homme sont quelquefois le salut d'une armée entière. Les Romains , commandés par le consul Coi-né^K.v,faisoient la guerre auxSamnites. Ce général conduisit imprudemment ses troupes dans une forêt, où l'on ne pouvoit arriver que par une vallée assez profonde, sans avoir pris la précaution d'envoyer devant lui quelque détachement pour reconnoître les lieux. Il ne s'aperçut que les ennemis s'étoient emparés des bauteurs , et qu'ils étoient sur sa tête , que lorsqu'il ne fut plus en état-de reculer. Les Samnites attendoient, pour l'attaquer, que toute l'armée fût engagée dans le vallon. Dans cette extrémité, P. Décius Mus,
�6â
COURAGE.
_
Irjbu'n de l'armée, aperçoit dans la forêt une collincélevée, qui commaudoit le camp des ennemis, et dont l'accès n'étoit pas impraticable à des soldats légère» ment armés. Il s'adresse au consul , lui communique sou projet, et demande un détachement de quatre, mille hommes, promettant de sauver l'armée. Le consul lui donne de grands éloges , et lui accorde tout ce qu'il demande. Le héros traverse la forêt, sans être aperçu de l'ennemi, qui ne le vit que lorsqu'il fut près du lieu vers lequel il marchoit.il s'empare de la colline, tandis que, suivant le plan concerté, le consul fait défiler ses troupes. Les Samnites , étonnés de ce mouvement soudain, n'osent poursuivre le consul, ni s'engager dans le vallon , de peur d'être accablés -par Décius,dont la contenance fièreinspiroit la terreur. Pendant qu'ils délibèrent, l'armée romaine se met en sûreté : la nuit vient, sans qu'ils aient encore fait aucun mouvement. Décius , dont l'oeil pénétrant suivoit toutes leurs démarches, envoie reconnoitre leurs retrânchemens ; et, vers le milieu de la nuit, il y conduisit ses soldats , en grand silence , par les endroits où il n'y avoit point de sentinelles. Tous y passèrent sans exception, et ils étoient déjà arrivés à la moitié du camp , lorsqu'un soldat , ayant heurté le bouclier d'un Samnite qui étoit endormi , l'éveilla : celui-ci en éveilla d'autres , et l'alarme se répandit dans tous les rangs. Aussitôt lesRomainspoussent de grands cris : l'ennemi, saisi de frayeur , et à moitié endormi , ne peut ni prendre les armes, ni s'opposer à leur passage. Décius avance à la faveur de ce désordre , tuant tout ce qui se présente devant lui, et arrive enfin dans un endroit sûr et inexpugnable. Il attendit le jour pour entrer dans le camp du consul, où il fut reçu comme en triomphe ; mais ce brave officier, sans s'arrêter à de vains applaudissemens , s'adresse à Cbr~ nélius : « Mon général, lui dit-il , les momens sont « précieux ; l'ennemi, à peine revenu de sa frayeur « nocturne , erre maintenant sans ordre dans la forêt « et autour, de la colline , occupé à me poursuivre : « profitons de ce tumulte, et courons l'attaquer. » Il
�COURAGE. 63 dit: on applaudit à cet avis courageux. Les légions partent; elles-tombent à l'improvisile sur les Sainnites dispersés ; elles en font un grand carnage , et. s'emparent de leur camp. Tous ceux qui s'y rencontrèrent furent passés au fil de l'épée , et le nombre des morts monta à plus de trente mille. Le consul reconnut devoir à la valeur du généreux Décius le glorieux succès de cette bataille, et combla ce héros des honneurs et des présens militaires qui étoient dûs à son courage. 18. Le célèbre Bertrand du Guesclin pensa périr au siège du château d'Essay, situé dans le Bas-Poitou. La place fut emportée à la première attaque. L'intrépide Bertrand, qui venoit de planter son enseigne sur la muraille , voulant passer d'un endroit à un autre , mit le pied sur un morceau de bois pourri, et tomba dans la cour du château. Il eutla jambe cassée de cette chute. Ce vaillant homme s'étant relevé avec beaucoup de peine , s'appuya le dos contre la muraille ; et, se soutenant seulement sur une jambe, il attendit qu'on vînt le secourir. 11 n'avoit pas abandonné sa hache : il la tenoit d'une main, et de l'autre il soulevoit sa jambe blessée. Il étoit couvert de sang ; ses armes étoient faussées en plusieurs endroits: il étoit accablé de douleur et de foiblesse. Cinq Anglais , l'ayant aperçu en cet état, se hâtèrent de le joindre, dans l'espérance de s'enrichir de ses dépouilles. Ils l'attaquèrent tous cinq à la fois ; mais ils virent bientôt leur nombre diminuer de deux de leurs camarades , que du Guesclin étendit morts à ses pieds : les autres redoublèrent leurs efforts, mais avec précaution. Bertrand, se croyant près de sa fin, vouloit illustrer ses derniers momenspar une résistance vigoureuse.il alongeoit à ses ennemis de terribles coups de hache qui les obligeoientà se tenir éloignés ; mais le sang qui sortoit de sa blessure diminuoit ses forces , à mesure qu'il en avoit le plus besoin ; et sans douté il alloit succomber, malgré son grand courage , si un officier breton , nommé Iïonger, ne fût venu charger les Anglais qui l'entouroient. Il les eut bientôt mis en fuite ; puis , aidé de quelques gentilshommes , il porta du Guesclin dans sa tente.
�64 10.
CREDIT.
Au siège dAgria par les Turcs , en i566, les femmes , animées d'un-, beau zèle , disputèrent aux hommes la gloire de défendre la patrie. Elles portoient aux guerriers de l'huile , de la poix , de l'eau bouillante , que l'on versoit sur les Infidèles qui vouloient escaladerlesremparts.L'unes'avaneantavecunepierre qu'elle alloit jeter sur les Turcs , fut atteinte par un boulot de canon qui lui emporta la tête. Sa fille , la voyant tomber à ses côtés , prit la pierre , la lança contre les ennemis ; courut en fureur au milieu d'eux , à travers la brèche ; en tua plusieurs ; en blessa d'autres, et sacrifia sa vie à la vengeance de celle dont elle l'avoit reçue. Une de ses concitoyennes , combattant sur le parapet , vit son gendre renversé par terre i, d'un coup de feu , et dit à sa femme d'emporter le cadavre pour lui rendre les derniers devoirs. « Il en est un autre plus pressant, répondil« elle -, c'est de défendre la religion et la patrie : » celles-ci doivent passer devant la tendresse ; et je » leur donnerai jusqu'à la dernière goutte de mon « sang. Lés officiers qui commandoient dans la place, n'eurent point de motifs plus puissans pour animer les soldats , que de leur proposer l'exemple de ces femmes courageuses , qu'ils avoient sans cesse devant les yeux. Voyez BRAVOURE , INTRÉPIDITÉ , VALEUR. CREDIT. i. ^NICOLAS de Harlay de Sancy, n'étant encore que maître des requêtes, se trouva dans le conseil de Henri Itl, lorsqu'on délibéroit sur les moyens de soutenir la guerre contre la Ligue. Il proposa de lever une armée de Suisses. Le conseil, qui savoitque le roi n'avoit pas le sou, se moqua de lui. « Messieurs , dit « Ilarlay, puisque de tous ceux que le roi a comblés « de ses bienfaits , il ne s'en trouve pas un qui veuille «le secourir, je vous déclare que ce sera moi qui « lèverai celte armée. » On lui donna sur-le-champ la commission , sans argent ; et il partit pour la Suisse. Jamais
�CREDIT. 65 Jamais négociation ne fut si singulière. D'abord il persuada aux Genevois et aux Suisses de faire la guerre ait duc de Savoie, conjointement avec la France. Il leur promit de la cavalerie , qu'il ne leur donna point, leur fit lever dix mille hommes d'infanterie, et les engagea de plus à donner cent mille écus. Quand il se vit à la tête de cette armée, il prit quelques places au duc de Savoie : ensuite il sut tellement gagner les Suisses , qu'il engagea l'armée à marcher au secours du roi. 2. Pélopidas, général thébain , s'étant transporté à la cour d;' Ar taxer xes, roi de Perse, y reçut tous les honneurs dûs à la grandeur de ses vertus. En l'appercevant, tous les satrapes s'écrioient, pleins d'admiration i « Voilà cethomme qui aôté auxLacédémoniensl'em« pire de la terre et de la mer , et réduit Sparte à se « renfermer entre leTaïgète et l'Euro tas ; Spartéqui* « depuis peu encore, sous la conduite d'Agésilas , ne « tendoit à rien moins qu'à nous venir attaquer dans « Suze et dans Ecbatane. » Le roi, ravi de son arrivée, fit ses efforts pour lui prouver son estime, et bientôt il ne dissimula point l'extrême considération qu'il avoit pour lui, et la préférence qu'il lui donnoit sur tous les autres. Pclopidas usa de son crédit en bon citoyen, en politique habile. Il fit sentir au monarque de quelle importance il étoit, pour les Intérêts de sa couronne t de protéger une puissance naissante, qui n'avait jamais porté les armes contre les Perses ,' et qui, formant une espèce d'équilibre entre Sparte et Athènes , pouvoit faire une utile diversion contre ces deux républiquesj ennemies perpétuelles et irréconciliables de la Perse. Le roi goûta ses raisons , et les ratifia ; puis , voulant récompenser dignement, l'utile avis du capitaine thébain, il lui demanda quelle faveur ilvouloit de lui? « Je souhaiterais, sire, répondit Pélopidas, que Mes« sène demeurât libre et affranchie du joug de Lacédé« mone ; que les Athéniens, qui s'étoient mis en mer « pour infester les côtes de la Béotie, retirassent leurs « galères, ou qu'on leur déclarât la guerre ; que ceux qui ne voudraient pas entrer dans la ligue , ou mar-« cher contre les réfi'actaires , fussent attaqués les Tome IL E
�66 c R i T i Q v E: « premiers. » Tout cela fut ordonné , et les ThéLains furent déclarés amis et alliés du roi. Lorsqu'on fit la lecture de ce décret aux ambassadeurs des autres républiques, Léon dit assez haut pour qu;Artaxerxés pût l'entendre : « Athènes n'a qu'à chercher main« tenant un autre allié que le roi. » Pélopidas, après avoir obtenu tout ce qu'il pouvoit désirer , partit de la cour , sans avoir accepté de tous les présens du roi j que ce qu'il falloit pour porter chez lui une marque de sa faveur et de sa bienveillance. 3. Le célèbre Péricles , étant parvenu à la souveraine autorité , alloit rarement aux assemblées. 11 savoit que le peuple, naturellement léger et inconstant , se dégoûte ordinairement de ceux qui sont toujours sous ses yeux , et qu'un trop grand empressement à lui plaire , le lasse et l'importune. Afin d'éviter cet inconvénient, il ne se montroit eh public que par intervalles, pour se faire désirer , pour conserver auprès de ses concitoyens un crédit toujours nouveau ,' qui ne fût point usé et comme flétri par une grande assiduité ; se réservant avec prudence pour les grandes et importantes occasions. C'est ce qui fit dire qu'il imitoit Jupiter, qui , selon le sentiment de quelques philosophes , ne s'occupoit , dans le gouvernement du monde, que de grands événemens, et laissoit le soin du détail à des divinités subalternes.
CRITIQUE.
i. _iE célèbre Apelle disoit son sentiment avec simplicité , et recevoit de la même manière celui des autres. Un de ses disciples lui montrant un tableau pour savoir ce qu'il en pensoit, et ce disciple lui disant qu'U l'avoit fait très-vîte , et qu'il n'y avoit employé qu'un certain temps : « Je le vois bien, sans que vous me le « disiez , » répondit Apelle ; » et suis étonné que , « dans ce peu de temps-là même , vous n'en ayez pas « fait davantage. » Un autre peintre lui faisant voir le
X
�6/ et * qu'il avoit ornée de beaucoup de pierreries : « Mon « ami, » lui dit-il, « n'ayant pu la faire belle , vous « avez voulu du moins la faire riche. » Sa coutume étoit, quand il avoit achevé un ouvrage, de l'exposer aux yeux des passans , et d'entendre, caché derrière un rideau , ce qu'on en disoit, dans le dessein de corriger les défauts qu'on pourroit'y remarquer. Un cordonnier ayant trouvé qu'il manquoit quelque chose à une sandale, le dit librement; et la critique étoit juste. Repassant le lendemain par le même endroit, il vit que la faute avoit été corrigée. Tout fier de l'heureux succès de sa critique , il s'avisa de censurer aussi une jambe, à laquelle il n'y avoit rien à dire. Le peintre alors, sortant de derrière sa toile , avertit le cordonnier de se renfermer dans son métier, et de ne point porter sa censure au-delà de la chaussure. 2. Polycrète, sculpteur célèbre, fit en même temps deux statues : il conserva l'une dans sa maison, et exposa l'autre au jugement du peuple. Caché près de là , dans un endroit d'où il pouvoit tout entendre , sans être vu , il écoutoit tous les avis ; et quand les critiques étoient partis, il réformoit tout ce que l'on avoit trouvé à reprendre dans sa statue. Lorsqu'il crut l'avoir mise en état de paroître au grand jour, et de contenter tout le monde, il l'exposa tout de nouveau avec celle qu'il avoit gardée chez, lui sans y rien changer. Cette dernière attira tous les suffrages , et l'on se moqua de de l'autre : « Messieurs , » dit alors Polycrète , « apprenez que vous admirez mon ouvrage , et que vous vous moquez du vôtre. » 3. Un peintre de portraits, que l'on accusoitdene pas bien saisir la ressemblance , voulut s'assurer un jour si le reproche qu'on lui faisoit étoit fondé. Il annonce à plusieurs personnes et à ses enfans , qu'il a fait un portrait de quelqu'un qu'ils connoissent tous. On vient voir son tableau ; on le critique ; et la prévention agissant , on trouve qu'il n'a po nt saisi les traits de son original. «Vous vous trompez, Messieurs t dit alors la tête du tableau , car c'est moi-même. E#
CRITIQUE»
I tableau d'une Hélène qu'il avoit peinte avec soin >
I
E 2
�63 CURIOSITÉ. effet , c'étoit un ami qui s'étoit prêté peintre , en plaçant son visage dans Gadre ajusté à cet effet.
au projet du la toile d'un
CURIOSITÉ. i. , fille de Jacob et de lia, étant sortie pour voir les femmes du pays de Chanaan, Sichem, prince du pays des Sichimites , l'aperçut ; et l'ayant enlevée dé force , il la viola. David , au lieu d'accompagner son armée , étoit demeuré à Jérusalem. Se promenant un jour sur la terrasse de son palais , il aperçut une femme qui se baignoit : c'étoit Bethsabée , épouse à'Urie , officier plein de bravoure , et qui servoit actuellement au siège de Rabath. Le monarque , poussé par une curiosité criminelle , jeta des regards impudiques sur cette femme. Le démon de l'impureté empoisonna son ame : David devint adultère , et se prépara , pour le reste de ses jours , une source inépuisable de remords. 2. Un roi du Nord , dont la vivacité faisoit le principal caractère , demanda à un ambassadeur d'Angleterre , s'il harangueroit le peuple en cas qu'on le pendît ou qu'on lui tranchât la tête. Le ministre , sans se déconcerter , répondit qu'il avoit toujours son discours prêt et ses gants blancs dans sa poche. «Je voudrois bien vous entendre , » repartit le monarque. L'ambassadeur s'étant mis alors dans la posture d'usage , s'exprima de la sorte : « Vous me voyez , Messieurs , au moment de perdre le jour. « Je ne regrette point la vie ; mais je vois avec peine « que ceux qu'on ne devroit connoitre que par des « actes d'humanité et de bienfaisance, viennent jouir « avec avidité d'un speç tacle cruel qu'ils ont mendié. Ces « scènes tragiques sont faites pour la barbare popu« Ucej mais les coeurs vertueux et sensibles devroient
DIJVA
�CURIOSITÉ. 69 « rougir d'entendre de sang froid... —En voilà assez, « M. l'ambassadeur, » dit le roi, qui reconnut alors que le but de la harangue étoit de lui reprocher une curiosité qui le dégradoit. 3. Louis XI, toujours curieux et impatient d'apprendre ce qui se passoit dans son royaume et dans les états voisins , établit l'usage des postes , qui étoit inconnu en France. Les courriers n'étoient chargés que des affaires du roi , et couraient à ses dépens. « Mais maintenant, dit Mézerai , ils portent aussi « les paquets des particuliers ; si bien que , par « l'impatience et la curiosité du Français, il s'en est « fait un avantage encore plus grand pour les coffres « du prince , que pour la commodité publique. »
�7o
I) É C ï N C E."
DÉCENCE.
i. JLJES anciens Romains observoient avec sévérité les lois de la décence et des moeurs. Un avocat qui Milloit trop librement devant les censeurs , pensa être condamné à une grosse amende : il ne l'évita qu'en assurant, par serment , que c'étoit une incommodité dont il étoit affligé depuis long-temps. 2. Epicharme , poète comique de Sicile , étoit extrêmement plaisant , et divertissoit, par ses bons mots , Héron II, roi de Syracuse. Mais s'étant un jour hasardé de lâcher quelques plaisanteries un peu libres en présence de la reine, le monarque le chassa de sa cour : tant étoit grand le respect qu'on avoit alors pour les dames !
3. Louis XIV avoit coutume de danser dans les ballets; mais lorsqu'on eut joué devant lui la tragédie de Britannicus , et qu'il eut entendu ces vers où il est dit de Néron :
Pour mérite premier , pour vertu singulière, 11 excelle à conduire un char dans la carrière, A disputer des prix indigues de ses mains , A se donner lui-même en spectacle aux Romains j dès-lors il ne dansa plus en public ; il se rappela les règles de la décence , et le poète réforma le monarque. Voyez PUDEUR.
DÉFIANCE.
i. « ATEUREUX le prince qui ne croit rien de ce « que lui disent les courtisans ! » C'étoit le maxime du philosophe Cléobule, l'un des sept sages delà Grèce :
�DÉFIANCE. 71 maxime sublime, digne d'être gravée dans les palais des monarques, et plus encore dans leurs coeurs ! 2. Après la vnortà'Auxence, évêque arien deMilan, Valentinien écrivit en ces termes aux prélats assemblés dans cette ville : « Choisissez un pasteur qui, par sa « vertu etpar sadoctrine,mcritequenouslerespeetionS, « et qui puisse nous donner de salutaires avis ; car , « étant comme nous le sommes, des foibles mortels, « nous ne pouvons éviter de faire des fautes. » Les évêques prièrent l'empereur de désigner lui-même celui qu'îberoj'oit le plus capable. Il leur répondit que ce choix étoit au-dessus de ses lumières, et qu'il n'apartenoit qu'à des hommes éclairés de la grâce divine. lilan étoit rempli de troubles : la cabale arienne faisoit les derniers efforts pour placer sur le siège d'Auxence un prélat imbu des mêmes erreurs. Ambroise, aussi distingué par la beauté de son génie et par la pureté de ses mœurs , que par sa noblesse et par ses richesses , gouvernoit alors la Ligurie et l'Emilie. Instruit dans les lettres humaines, il avoit d'abord exercé à Rome la profession d'avocat , et étoit devenu assesseur de Probe , préfet d'Italie. Lorsqu'il avoit été chargé du gouvernement de la province dont Milan étoit Ta capitale , ce préfet, en lui faisant ses adieux , lui avoit dit : « Gouvernez , non pas en magistrat, mais en « évêque. » Cette parole devint une prophétie. La contestation sur le choix de Pévêque s'échauffant de plus en plus, faisoit craindre une sédition. Ambroise, obligé par le devoir de sa charge, de maintenir le bon ordre, vint à l'église, et fit usage de son éloquence pour calmer les esprits, et les engager à choisir avec discernement et sans tumulte celui qui devoit être pour eux un ange de lumière et de paix. Il parloit encore , lorsque tous , d'une commune voix , catholiques etariens, s'écrièrent qu'ils demandoient^/nèroi'.ye pour évêque. Ambroise, saisi d'effroi, prit la fuite, et n'oublia rien pour résister au désir du peuple. Les évêques , qui approuvoient ce choix , s'adressèrent à l'empereur, parce que les lois défendoient de rece~ voir dans le clergé ceux qui étoient engagés dans les
R
�^2
DÉFIANCE.
emplois civils. Valentmien îutilutté d'apprendre que les magistrats qu'il choisissent fussent jugés dignes de l'épiscopat ; et, dans le transport de sa joie : « Sei« gneur,» s'écria-t-il, « grâces vous soient rendues de « ce que vous voulez bien commettre le salut des ames ,« àcelui à quijen'avois confié que le soin des corps! » L'autorité du prince, jointe aux instances des prélats et à la persévérance du peuple, força enfin la modestie à'Ambroise. Il fut baptisé ; car il n'étoit encore que catéchumène, quoique âgé d'environ trente-cinq ans. Il reçut l'onction épiscopale, et, par le crédit que lui procura auprès des empereurs l'élévation de son ame, soutenue d'une éminente sainteté , son élection fut un événement aussi avantageux pour l'état que pour l'Eglise. Dès les premiers jours de son épiscopat, on vit un heureux présage de la généreuse liberté dont il feroit usage avec les princes , et des égards que les princes auraient pour ses avis. Il se plaignit à l'empereur de quelques abus qui s'étoientglissés dans la magistrature. Valentinien lui répondit : « Jeconnoissois votre « franchise ; elle ne m'a pas empêché de vous donner « mon suffrage. Continuez, comme la loi divine vous « l'ordonne, de nous avertir de nos erreurs. » 5. Le sophiste Antiochus s,'emportoit facilement ; mais la philosophie lui avoit appris à connoître son défaut. Comme il n'étoit pas assez maître de luimême pour parler tranquillement sur les abus de son siècle , il s'abstenoit de monter à la tribune aux harangues , et de se mêler du gouvernement. Quelqu'un se moquoit de cette sage défiance , et l'accusoit d'être ;\ cet-égard d'une timidité condamnable : « Ce n'est « pas le peuple , » répondit-il, « c'est Antiochus que « je crains. » /(. La défiance , dans un gouverneur de place , est l'effet d'une prudence active et éclairée. Le grand-duc de Toscane , François , avoit fait dire h César Cavaniglia, castelian de Livourne, de rendre les plus grands honneurs à un vice-roi dcNaples, qui eut la curiosité de voir la citadelle où il coumiandoit. Dom César Je prie d'y venir avec peu de suite 5 et , avant de le
�DELICATESSE. f3t recevoir , y fait entrer une compagnie d'infanterie. Comme il s'aperçoit que ces précautions blessent le vice-roi : «Monseigneur, « lui dit-il, « j'ai ouï assurer « à nos pères, qu'anciennemen t on couvrait d'une peau « d'àne ceux à qui l'on confioit des places importantes, « pour les avertir que le devoir de leur charge les « exemptoit de toute cérémonie et de toute civilité , « afin d'éviter toute surprise. » Voyez MÉFIANCE.
DÉLICATESSE. 1. LOT AIRE II, roi de France, manda S. Eloi à sa cour pour lui faire prêter serinent de fidélité. Le monarque lui proposa de jurer sur les saintes reliques. Eloi promettait bien de demeurer toujours lidèle ; mais il ne put se résoudre à mettre la main sur la châsse , moins encore à jurer , parce qu'il savoit que Jésus-Christ a défendu tout jurement, hors le cas d'une indispensable nécessité. Plus le roi le pressoit de se lier à son service par un serment, plus Eloi s'en défendoit avec humilité ; en sorte que, craignant d'offenser Dieu en obéissant aurai, et d'offenser le roi en obéissant à Dieu, il n'opposoit que des larmes aux instances du prince. Clotaire en fut touché ; et jugeant que ces scrupules ne venoient que de la délicatesse de sa conscience , et du respect qu'il avoit pour les choses sacrées, il n'insista pas davantage. «Votre « répugnance, » lui dit-il en le congédiant, «m'assure « beaucoup mieux de votre fidélité, que tous les ser« mens que vous pourriez faire. » 2. Les martyrs Alexandre et Càius, firent voir jusqu'où les chrétiens de leur siècle portoient la délicatesse, et ce religieux scrupule .qui est, pour ainsi dire,, la boussole d'une amc sainte. Ces deux héros de notre religion auguste, ayant été condamnés à mort, et conduits au supplice avec des Marcionites, demandèrent, comme une grâce singulière àJenrsbourreaux, d'être décapités séparément, afin que leur sang, consacré par
C
�74
DÉLICATESSE.
la pureté de leur foi, ne se mêlât et ne se confondit point avec celui de ces hérétiques. 3. « Lorsque j'éprouve quelque mouvement de co« 1ère, » dit St. Jérôme, « quand une mauvaise pensée « m'est entrée dans l'esprit, ou quand j'ai eu quelque « illusion pendant le sommeil, jen'oserois entrer dans « les basiliques des martyrs, tant j'ai le corps et l'esprit « saisis de frayeur et de tremblement ! » 4- St. Jean-Chrysostôme n'ayant pu réconcilier deux évêques, dont l'un accusoit l'autre avec chaleur dans une assemblée composée de vingt- deux prélats, en ressentit quelque émotion : son ame pacifique et amie de la concorde , se troubla. Le sentiment qu'il éprouva ctoit un peu vif, il est vrai ; mais il n'avoit rien que de louable dans son principe , et l'on pouvoit lui donner le nom de sainte indignation. Le religieux prélat n'en jugea pas de la sorte. L'agitation de son esprit alarma sa conscience : il s'abstint d'offrir le saint sacrifice , pria l'évêque Pansophius de le faire en sa place, et sortit de l'église pour aller, suivant le précepte du Sauveur, se réconcilier avec son frère, avant d'approcher de l'autel. 5. Après une victoire remportée sur les ennemis de la religion et de l'état, le grand Théodose s'abstint de communier, à cause de la mort de ses ennemis qui avoient été tués à la bataille ; et il ne s'approcha du sacrement de l'eucharistie , qu'après avoir fait une espèce de pénitence de tant de meurtres involontaires. 6. St. Grégoire-le-Grand, pape, ayant appris qu'on avoit trouvé mort un pauvre habitant d'un village voisin de Rome , s'abstint, pendant quelques jours , de dire la messe : il craignit que ce malheureux ne fût mort de faim et de misère : il se regardoit comme coupable de ne l'avoir pas secouru ; et l'on eût dit, à voir les austérités qu'il s'imposa , qu'il avoit tué cet infortuné de ses propres mains. Que les peuples seroient heureux, si tous ceux qui commandent portoient à ce point la délicatesse !
�DEPENSE.
75
DÉPENSE.
I.VJN faisoit au maréchal de Biron ries représentations sur les dépenses considérables de sa maison, et sur le grand nombre de ses domestiques. «Vouspour« riez économiser beaucoup, » lui disoit-on , « en ren« voyant cette foule de gens inutiles.— Je ne suis pas « riche pour thésauriser, » répondit-il ; « et, si je puis « me passer de mes gens , qui vous a dit qu'ils pour« roient se passer de moi ?» 2. A la fin d'une guerre qui avoit épuisé les finances du royaume, quelques courtisans proposèrent à Louis XIV de donner une fête superbe , qui pût faire concevoir aux étrangers une grande idée des ressources de la France. Ce prince, naturellement magnifique, approuva ce projet 5 mais il n'osa long-temps en parler à Colbert, qui se plaignoit tous les jouis de l'épuisement des finances. Enfin, après avoir bien balancé , il communiqua son dessein au ministre, mais d'une manière détournée et avec des restrictions. Colbert , au seul mot de dépense , fronça le sourcil ; et donnant une nuance de plus à son air froid et sévère ,1e roi se trouva dans une espèce d'embarras ; il chercha à s'excuser, et lui dit que son dessein n'étoit pas de faire une grande dépense, qu'il choisiroit,de tous les plans qu'on lui avoit présentés, celui qui pourrait être rempli à moins de frais. Mais il fut bien étonné, lorsque Colbert, sans entrer dans ses vues d'épargne, lui répondit: «Puisqu'il est question de donner une fête, il faut la « rendre digne du plus grand roi du monde. » Il prit ensuite les plans qu'on avoit présentés au roi pour le carrousel, et s'en retourna. Arrivé chez lui, le ministre fit venir tous les fermiers-généraux , et leur dit que l'intention du roi étoit de compter avec eux de clerc à maître, et que, pour les dédommager de la peine que ce dérangement leur causerait, sa majesté leur accordoit un million de gratification. Co Zèe/Vre tourna ensuite
�yÔ DÉPENSE. vers le monarque , et lui dit que la dépense de la fête monterait à dix-huit, cent mille livres. Louis crut qu'il vouloit l'en dégoûter par cet excessif calcul, et il lui dit d'un ton chagrin : « Je ne donnerai donc point de fête; « je ne veux pas ruiner mon peuple pour divertir les « courtisans.» Colbert insista sur la nécessité de l'exécution , promit au roi de rassembler les fonds nécessaires , et se retira. Aussitôt il fit mettre dans toutes les nouvelles publiques , que le roi étoit dans l'intention de donner un carrousel , qui surpasserait en magnificence tout ce qu'on avoit vu jusques-là dans le même genre. En même temps on s'empressa de travailler aux préparatifs. Ces nouvelles circulèrent dans toutes l'Europe. La paix étoit générale dans cette partie du monde. On vit accourir de tous côtés une foule d'étrangers à Paris. Ils s'attachèrent à faire honneur à leur nation par une grande dépense ; et leur nombre augmentant chaque jour, il se fit, dans la capitale et aux environs, une consommation prodigieuse. Les ouvriers arrivant en foule des provinces et des pays voisins , étoient aussitôt employés. La noblesse, qui d'ordinaire paroissoit le moins qu'elle pouvoit à la cour , quitta cette fois ses retraites , et crut ne pouvoir mieux employer les fruits de son économie , que dans une circonstance si favorable pour se faire remarquer. Les préparatifs s'avancoient, etle jour indiqué pour la fête àlloit arriver. Colbert alors alla trouver le roi , et lui dit que les ouvriers n'avoient pu achever leur ouvrage; qu'il falloit absolument reculer la fête dé quinze jours. Il proposa die donner , en attendant, un bal aux Tuileries : ce qui fut du goût du roi. Le bal fut donné: les courtisans et les étrangers y parurent avec les habits superbes qu'ils avoient fait faire pour le carrousel ; il en fallut d'autres alors. Par ce moyen, Colbert augmenta la dépense , et donna un mouvement plus rapide à la circulation de l'argent. Enfin, le carrousel s'exécuta. Jamais on n'avoit vu de spectacle si brillant ni si bien ordonné. Les étrangers ne pouvoient concevoir comment on avoit, pu amasser tant de richesses , étalées aye'e profusion ; et comme ce qui passe une certaine
�DÉPENSE. 77 valeur est toujours estimé bien au-delà de son prix , on faisoitmonter la dépense à des sommes exorbitantes. Le roi, après avoir Joué hautement la beauté de la fête, ressentit cette inquiétude qui suit ordinairement l'exécution des projets téméraires. Il étoit en peine du compte que Colbert alloit lui rendre des frais du carrousel ; et lorsqu'il se présenta à sa majesté pour ce sujet , le monarque voulut prévenir les détails en demandant avec empressement le total. Quelle fut sa joie et son étonnement, lorsque Colbert lui montra que tous les frais se bornoient à douze cent mille francs , et que le produit des fermes avoit augmenté de plus de deux millions ; en sorte que , tout payé, il en restoit un dans les coffres du roi ! Ce trait d'un génie supérieur à tout ee que l'on avoit vu jusqu'alors dans l'administration pénible des finances , montre en même temps une probité bien rare. 3. Octaï-Khan, fils de GengJiiz-Khan , empereur des Tartares , passant par le marché de Caracorum, sa capitale , vit des jujubes , et commanda à un officier de lui en acheter. L'officier obéit, et revint avec une charge de jujubes. Octài lui dit : « Je juge à la quantï« té que vous en apportez, qu'elles coûtent plus d'une « balische. » L'officier crutfaire sa cour , et dit qu'ellês rie coûtoient que le quart d'une balische, et que c'étoit même plus que le double de ce qu'elles valoient. Octài plein de colère : « Jamais , reprit-il, acheteur de ma « qualité n'a passé devant la boutique de ce mar« chand; je t'ordonne d'aller lui porter dixbalisches.» 4- H y avoit à Milan un médecin qui s'appliquoit à guérir de la folie. Il s'y prenoit de cette manière : on attachoit le malade à un poteau , qu'on plantoit tout droit au milieu d'un étang bourbeux , où l'on enfonçoit plus ou moins le patient , suivant le degré de son mal. On le laissoit dans cet état, jusqu'à ce que la faim ou le froid le fît revenir dans son bon sens. Parmi les malades , il s'en trouva un qui , après avoir demeuré long-temps dans ce bain, commença à donner quelques signes d'amendement, sur quoi le médecin, à sa prière, lui permit de se promener dans la maison
�78
DÏPSN S E.
et dans la cour, à condition de ne pas mettre le pied hors de la porte qui donnoit sur le chemin ; ce qu'il promit de faire, et tint parole. Comme il étoit un jour à la porte, un chasseur à l'oiseau vint à passer à cheval , avec un épervier sur la main, des chiens, et tout l'équipage nécessaire à ce divertissement : « Monsieur, « lui cria le fou, un mot, je vous prie. Qu'est-ce « que ceci ? lui demanda-t-il; à quoi sert ce que vous « portez là?» et d'autres questions pareilles. Le gentilhomme eut la complaisance de répondre en détail. « L'animal sur quoi je suis monté, dit-il, s'appelle un « cheval, que j'entretiens pour servir à mon divertis« sèment. Cet oiseau que vous me voyez sur le poing, « s'appelle un épervier, et sait prendre en volant des « cailles et des perdrix; et ces chiens sont des épa« gneuls , qui font lever le gibier. — Fort bien, dit « le fou ; et à combien peut se monter le prix des oi« seaux que vous prenez dans une année ? — A douze « ou quinze louis d'or. — Que vous coûte l'entretien « de vos oiseaux , de vos chevaux et de vos chiens ? « — Peut-être quinze fois autant? — Retirez-vous au « plus vite, avant que notre docteur ne vous aper« çoive ; car, il m'a saucé jusqu'à la ceinture dans « l'étang, pour des bagatelles ; je puis vous assurer « que vous y seriez jusques par-dessus les oreilles , « s'il venoit à savoir le mauvais emploi que vous faites « de vos richesses. » 5. La découverte des Indes répandoit en France tant d'or et tant d'argent , que les terres affermées jusqu'alors mille livres, furent portées à dix ou douze mille. Mais la noblesse n'en étoit pas plus riche, parce que la dépense , sur-tout en chevaux et en équipages de chasse , l'emportait sur le revenu ; ce qui faisoit dire à Louis XII : « La plupart des gentilshommes « de mon royaume sont, comme Actéon et Diomède, « mangés par leurs chevaux et par leurs chiens. » 6. HenriIVn'aimoit point les dépenses inutiles; et ce grand prince montroit, par son exemple , à retrancher toute espèce de superfluité , sur-sout celle qui a rapport à la magnificence des habits, 11 alloit ordi-
�79 nairement vêtu de drap gris , avec un pourpoint de satin ou de taffetas , sans découpure et sans broderie. Il louoit ceux qui se vêtoient de la sorte, et se moquoit des autres , qui portaient, disoit-il, leurs moulins et leurs bois de haute futaie sur leur dos. 7. L'empereur Aurélien aimoit la simplicité ; et jamais on ne le vit faire d'inutiles dépenses pour les objets purement de luxe. La soie étoit alors fort chère', et coûtait une livre d'or. L'impératrice un jour le pria de lui donner une robe de cette étoffe , et ses désirs étaient très-pressans. « Aux dieux ne plaise , répon« dit Aurélien , que j'achète du fil au poids de l'or ! » Voyez ECONOMIE.
DÉSINTÉRESSEMENT.
'».'^x'v■v\'^x1.x■v\'v^^*vxt'^'\^x^x■t1.^\^xv\•v'^.vxx'v*■vv'vx^•vvx^.tww^.\\vt^ tv\%
,
1
DÉSINTÉRESSEMENT. 1. LES Romains avoient envoyé des embassadeurs à 'yrrhus pour la liberté des prisonniers faits dans les atailles précédentes. Quand le monarque leur eutréondu, il prit en particulier Fabricius, le plus célèbre omain de son siècle , et lui tint ce discours : « Je connois tout votre mérite, illustre Fabricius. J'ap< prends que vous êtes un grand capitaine ; que vous < savez commander et agir en héros ; que la justice i et la tempérance sont votre caractère , et que vous < passez pour un homme accompli dans toutes les < vertus. Mais je sais aussi que vous êtes sans biens , < et qu'en cela seul la fortune vous a mal partagé , en vous réduisant, pour les commodités de la vie , à l'état des plus pauvres sénateurs. Pour suppléer à ce qui vous manque de ce côté-là, je suis prêt à vous < donner autant d'or et d'argent qu'il en faut pour vous mettre au-dessus des plus opulens de Rome , persuadé qu'il n'est point de dépense qui fasse plus d'honneur à un prince , que de soulager les grands hommes qui sont contraints par la pauvreté de mener une vie indigne de leur vertu, et que c'est-là le plus noble emploi qu'un roi puisse faire de ses richesses.
�80 DÉSINTÉRESSEMENT. « Ne cnryez pas que , pour reconnoissance , je pré~ tende exiger de vous aucun service injuste ou'désho(< « norant. Ce que je vous demande ne peut que vous faire « honneur , et augmenter votre pouvoir dans votre « patrie. Je Vous conjure d'abord de m'aider de tout « votre crédit à gagner le sénat des Romains, qui jus« qu'ici s'est rendu trop difficile, qui n'a jamais voulu « donner les mains à un accommodement, et qui n'a « consulté en aucune manière les règles de la modéra« tion. Faites-lui bien comprendre , je vous prie, que » j'ai donné ma parole de secourir les Tarentins et les « autres Grecs qui habitent cette côte de l'Italie, et « qu'à la tête d'une armée puissante et victorieuse, je « ne puis en honneur les abandonner. Cependant il « m'est survenu quelques affaires pressantes qui me « rappellent dans mes états ; et c'est ce qui me fait « désirer encore plus ardemment la paix. Au reste, si « ma qualité de roi me rend suspect au sénat, devenez « vous-même mon garant ; et joignez-vous à moi pour « m'aider de vos conseils dans toutes mes entreprises, « et pour commander mes armées sous moi. J'ai « besoin d'un homme vertueux et d'un ami fidelle : « vous , de votre côté , vous avez besoin d'un prince « qui , par ses libéralités , vous mette en état de « faire plus de bien. Ne refusons point de nous aider « l'un et l'autre, et de nous prêter un mutuel secours.» Pyrrhus ayant parlé de la sorte, Fabricius, après un moment de silence, lui répondit en ces fermes : « Sei« gneur, il est inutile que je dise rien de l'expérience « que je puis avoir dans le gouvernement des affaires « publiques et particulières , puisque vous en êtes in« formé d'ailleurs. A l'égard de ma pauvreté , vous « me paraissez aussi la connoître assez , pour que je » ne sois point obligé de vous dire que je n'ai ni ar« gent que je fasse profiter, ni esclaves qui me produi-j « sent des revenus ; que tout mon bien consiste dans) « une maison de peud'apparence etdansunpetitchamp « qui fournit à mon entretien. Si vous croyez ne'ani « moins que la pauvreté rende ma condition inférieure) '< à celle de tout autre Romain , et que , remplissanll
�DÉSINTÉRESSEMENT. 8l I « les devoirs d'un honnête homme, je sois moins consi-
« déré parce que je ne suis pas du nombre des riches , « permettez-moi de vous dire que l'idée que vous avez se « de moin'estpas juste et vous trompe, soit qu'on vous ■ « ait inspiré ces sentimens, soit que vous en jugiez par « vous-même. Si je ne possède pas de grands biens , « je n'ai jamais cru, et ne crois point encore que mon « indigence m'ait jamais fait aucun tort, soit que je me | « considère comme peronne publique, ou comme sim", « pie particulier. Ma patrie, à cause de ma pauvreté , « m'a t-elle jamais éLoigné de ces glorieux emplois qui « sont le plus noble objet de l'émulation de tous les « grands cœurs ? Je suis revêtu des plus hautes digni«tés.Onmemetàla tête des plus illustres ambassadeurs. « J'assiste aux plus augustes cérémonies. On me confie « les plus saintes fonctions du culte divin. Quand il « s'agit de délibérer sur les affaires les plus importan« tes, je tiens mon rang dans les conseils, et j'y donne « mon avis. Je vais de pair avec les plus riches et les plus « puissans ; et si j'ai à me plaindre , c'est d'être trop i « loué et trop honoré par mes concitoyens. Pour rem« plir tous ces emplois , je ne dépense rien du mien , « non phis que les autres Romains. Rome ne ruine « point ses citoyens en les élevant à la magistrature. « C'est elle qui donne tous les secours nécessaires à « eeux qui sont dans les charges, et qui les leur four« nit avec libéralité et magnificence : car, il n'en est' « pas de notre ville comme de beaucoup d'autres, où « le public est très-pauvre, tandis que les particuliers « possèdent de grandes richesses. Nous sommes tous « riches, dès que la république l'est, parce qu'elle l'est « pour nous. En admettant également aux emplois pu« blics le riche et le pauvre, selon qu'elle les en juge « dignes, elle égale tous ses citoyens, et ne reconnoît « entre eux d'autre différence et d'autre distinction que « celle du mérite et de la vertu. Pour ce qui regarde « mes affaires particulières, loin de plaindre mon sort, « je m'estime le plus heureux de tous les hommes, lors« que je me compare aux riches ; et je sens en moi« même, dans cet état, une sorte de complaisance et Tome IL F
�82
DÉSINTÉRESSEMENT.
« même de fierté. Mon petit champ, quoique très-mé« diocre , me fournit tout ce qui m'est nécessaire , « pourvu que j'aie soin de le bien cultiver , et d'en « conserver les fruits. M'en faut-il davantage ? Tout « aliment m'est agréable , quand il est assaisonné par la « faim : je bois avec les délices quand j'ai grande soif ; je « goûte.les douceursdusommeilquandj'aibienfatigué. « Je me contente d'un habi t qui me m et à couvert des ri« gueurs de l'hiver ; et entre tous les meubles qui peu« vent servir à un même usage, le plus simple est celui « qui m'accommode le mieux. Je serois déraisonnable '<< et injuste si j'accnsois là fortune : elle me fournit « tout ce que demande la nature. Quant âû superflu, c< elle neme l'a point donné-, mais enmême temps ellene « m'en a pas inspiré le désir. De quoi puis-je donc me « plaindre? Il est vrai que, faute de cette abondance, « je me vois hors d'état dé soulager ceux qui sont dans « le besoin : avantage unique qu'on pourroit envier aux -« riches. Mais, du moment que je fais part ?i la répu« blique et à mes amis du peu que je possède , que je « rends à mes concitoyens tous les services dont je suis « capable , et qu'enfin je fais tout ce qui dépend de « moi, que dois-je me reprocher? Jamais la pensée de « m'enrichir ne m'est venu dans l'esprit. Employé de« puis long-temps dans l'administration de la républi« que, j'ai eumilleoccasions d'amasser de grandes som« mes d'argent sans aucunreproche.Enpeut-ondésirer « une plus favorable que celle qui se présenta il y a « quelques années ? Revêtu de la dignité consulaire, je « fus envoyé eontre les Samnites, les Lucaniens, les <i Brutiens, à la tête d'une nombreuse armée. Jerava<i geai une grande étendue de pays ; je vainquis l'en« nemidansplusieurs batailles ; j'emportaid'assautplu« sieurs villes pleines de butin et d'opulence ; j'enrichis « toute l'armée de leurs dépouilles : je dédommageai « chaque citoyen de ce qu'il avoit fourni pour les frais « de la guerre ; et ayant reçu les honneurs du triom'« phe , je mis encore quatre cent mille écris dans Je « trésor public. Après avoir négligé un butin si considérable, dont je pouvois prendre tout ce que j'aurois
�DÉSINTÉRESSEMENT.
83
* % Voulu ; après avoir méprisé des richesses si juste« ment acquises , et. sacrifié à l'amour de la gloire les
dépouilles de l'ennemi , me conviendroit-il d'acceptër l'or et l'argent que vous m'offrez ? Quelle idée auroit-on de moi ? quel exemple donrierois-je à mes concitoyens ? De retour à Rome , comment soutiéndrois-je leurs reproches , et leurs regards mille fois plus terribles encore ? Nos censeurs , ces magistrats préposés à veiller sur la discipline et sur les mœurs , ne m'obligeroient-ils pas de rendre compte devant tout le monde des présens que vous voulez me faire accepter ? Non" , prince ; vous garderez , s'il vous plaît, vos richesses 5 et moi , ma pauvreté et ma réputation. » Le lendemain, le roi d'Epire voulut surprendre l'ambassadeur romain et l'étonner. Jamais il n'avoit vu d'éléphant armé et prêt à combattre. Le prince commanda au capitaine qui conduisoit les exercices de ces animaux guerriers, de placer lé plus grand derrière une tapisserie, dans le lieu où il seroit en conversation avec Fabricius, et de le faire paraître tout-à-coup quand il l'ordonneroit. L'officier obéit. On donne lé signal ; la tapisserie tombe 5 l'énorme animal se prosterne, se retourne, levant sa trompe sur la tête du Romain, et jetant un cri horrible et épouvantable: Fabricius , tranquillement et sans témoigner ni surprise ni crainte, dit kPjrrhus en souriant : «Ni votre orne m'é« muthier, ni votre éléphantnem'étonne aujourd'hui. » Le monarque admirant la grandeur dame de ce héros ; et charmé de sa prudence et de Sa sagesse, désira encore avec plus de passion de faire alliance et amitié avec sa ville , au lieu de lui faire la guerre ; il le prit en particulier , il le conj ura encore une fois de vouloir bien, après qu'il auroit moyenne un accommodemententre les deux états, s'attacher à lui et vivre dans sa cour, où il auroit la première place parmi tous" ses amis et tous ses capitaines. «Je ne vous le conseille« rois pas, repartit Fabricius en lui parlant à l'oreille et « en souriant, et vous entendez peu vos intérêts ; car « ceux qui vous honorent et qui vous admirent présen?-
« << « « « « « « « « « «
�8/}.
DÉSINTÉRESSEMENT.
« tement, s'ils m'avoient une fois connu, m'aimeroient « mieux pour leur roi que vous-même. » 2. Les Lacédémoniens résolurent de faire présent à Philopêmen , l'un des plus grands hommes de son siècle , d'une somme de cent mille écus , en récompense des services qu'il leur avoit rendus. Il parut en cette occasion , que la vertu de ce fameux personnage étoit bien pure et bien désintéressée ; car il ne se trouva pas un seul Spartiate qui osât se charger d'aller lui offrir ce présent ; de sorte qu'ils prirent Je parti de lui en envoyer faire la proposition par un de ses hôtes, nommé Timolaïis. Cet homme étant arrivé à Mégalopolis , logea chez Philopêmen, qui le reçut avec toutes les marques de l'amitié la plus sincère. Là, l'envoyé de Sparte eut le temps de considérer la gravité de sa conversation , la frugalité de sa vie , et la sévérité de ses mœurs qui le rendoient inacessible à l'intérêt et à la passion des richesses. Il fut si étonné de ce qu'il vit, qu'il n'osa jamais lui parler du présent qu'il étoit chargé de lui offrir , et qu'il s'en retourna comme il étoit venu. 11 fut envoyé une seconde fois , et ne fut pas plus hardi. Enfin, au troisième voyage, il se hasarda quoiqu'avec peine, à déclarer à Philopêmen la bonne volonté des Lacédémoniens. Philopêmen, après l'avoir écouté tranquillement , partit aussitôt pour Lacédémone.Dès qu'il y fut arrivé, il fit assembler le peuple, et lui parla de la sorte : « Je vous conseille , Lacé« démoniens , de ne pas dépenser votre argent à « corrompre les gens de bien , qui sont vos amis ; « leurs services vous sont acquis , sans que vous leur « en donniez aucune récompense. Gardez plutôt vos « trésors pour gagner et acheter les méchans , et » pour fermer la bouche à ceux qui troublent l'état <i par leurs discours séditieux. » 3. Le roi de Babylone , voulant témoigner par des effets au philosophe Apollonius de Tyane, la grande considération qu'il avoit pour lui, envoya un eunuque chargé de lui dire qu'il pouvoit faire dix demandes à son gré , qui toutes lui seroient accordées. Apollonius se renditdonc àlacour; et tous les seigneurs
�DÉSINTÉRESSEMENT. 85 assemblés pour le voir et pour l'entendre , Pl éleva la voix et dit au monarque : « Prince , au |« lieu de dix grâces , je ne vous en demanderai qu'une |« qui me tiendra lieu de toutes. Vous avez, non loin [« d'ici, une colonie de Grecs, qui n'ont qu'un petit f « espace de terre qu'ils cultivent avec soin ; mais aux I « approches de la récolte , des Barbares, leurs voisins, | « viennent tout ravager, et les privent du fruit de leurs ! « travaux. Je vous supplie de les mettre à l'ombre de I « votre protection. » Le roi lui répondit : « Les Grecs \ « dont vous me parlez, étoient regardés comme mes ; « ennemis, et les ennemis de mes pères ; mais désorJ « mais ils seront traités comme mes amis. Au reste , « pourquoi refusez-rous neuf dons que je suis disposé « à vous faire ? — C'est que je n'ai point encore « acquis d'amis dans ce pays-ci. — Et vous , n'avez« vous donc besoin de rien ? — Il me faut des fruits « et du pain : avec ces mets je fais bonne chère. » 4- Péricles avoit tant d'éloignement pour les pré" sens , il méprisoit si fort les richesses , il étoit tellement au-dessus de toute cupidité et de toute avarice, que , quoiqu'il eût rendu Athènes l'une des plus opulentes cités de l'univers , et qu'il eût manié longtemps avec un souverain pouvoir les finances de la Grèce , il n'augmenta pas d'une seule dragme le bien que son père lui avoit laissé. Telle fut la source et la cause véritable du crédit suprême de Péricles dans la république , digne fruit de sa droiture et de son parfait désintéressement. Il employoit ses richesses à servir utilement l'état , en s'attachant d'habiles coopérateurs dans son ministère, en aidant de bons officiers dépourvus souvent des biens de la fortune , en faisant du bien à tout le monde. 5. Dans le temps que le célèbre Lysandre commandoit la flotte des Lacédémoniens , il sut, par sa souplesse et par ses manières flatteuses, gagner les bonnes grâces de Cyrus, fils du roi de Perse. « Je veux vous « prouver mon amitié, lui dit un jour ce jeune prince : « demandez, je ne vous refuserai rien. » Lysandre usa. en digne Spartiate de la permission qu'on lui donnoit. F 5
h'étant
�86 DÉSINTÉRESSEMENT. « Seigneur, dit-il à Cyrus, je vous conjure d'ajouter « seulement une obole à la paye des matelots , et de « leur en donner quatre , au lieu de trois qu'ils re« çoivent. » Le prince , plein d'admiration pour un désintéressement si généreux, lui fit compter aussitôt nulle dariques. Lysandre les employa à fournir aux matelots cette obole d'augmentation ; et, par ce moyen, il eut bientôt rendu presque vides toutes les galères des ennemis : la plupart des matelots accouraient où la paye étoit la plus forte. 6. Le même Cyrus , ayant envoyé de l'argent pour payer les troupes lacédémoniennes , avoit destiné en particulier pour Callicratidas, amiral de Sparte , un riche présent qui seroit, disoit-il , un gage de son amitié pour ce grand homme. Callicratidas reçut l'argent quidevoit servir à la paye des soldats; mais il refusa le don magnifique du prince, et ajouta : « J'ho« nore Cyrus comme l'ami public de Lacédémone ; « mais je n'ai avec lui aucune amitié particulière. » Quelques amis de Lysandre lui ofFroient une grosse somme , pour qu'il leur permît de faire mourir un de ■ leurs ennemis. 11 la refusa avec indignation. « J'eusse « reçu cet argent, lui dit Cléandre, si j'eusse été Cal« Ucratidas.— Et moi aussi, si j'eusse été Cléandre. » 7. Après la deslruction de Corinthe , on songea à punir les auteurs de l'insulte faite, aux ambassadeurs romains , et l'on mit leurs biens à l'encan. Lorsqu'on vint à ceux de Diœus, qui y avoit eu le plus de part, les dix commissaires ordonnèrent au questeur qui les mettoit en vente , de laisser prendre au célèbre Polybe tout ce qu'il y trouveroit à sa bienséance , sans rien exiger de lui, et sans en rien recevoir. Il refusa celte offre, quelqu'avantageuse qu'elle parût ; et il auroit cru se rendre complice, en quelque sorte, des crimes de ce scélérat, s'il avoit pris quelque partie de ses biens : outre qu'il regardoit comme honteux de s'enrichir des dépouilles de son concitoyen. Non-seulement il ne voulut rien accepter , il exhorta encore ses amis de ne rien souhaiter de ce qui avoit appartenu à Diœus ; et tous ceux qui suivirent cet exemple généreux furent
�DÉSINTÉRESSEMENT-.
87
comblés de justes louanges. Cette action fit concevoir aux commissaires tant d'estime pour Polybe , qu'en sortant de la Grèce , ils le prièrent de parcourir toutes les villes qui venoient d'être conquises , et d'accommoder leurs différents, jusqu'à ce que l'on s'y fût accoutumé aux changemens qui s'y éloient faits , et aux nouvelles lois qui leur avoient été données. La manière dont ce grand homme s'acquitta de cette honorable commission , mit le comble à sa gloire. 8. Sur le point de partir pour la conquête des Indes , Alexandre remarqua que la grande multitude de bagages et de butin que son armée traînoit après elle , en retarderoit beaucoup la marche. Un matin donc que les chariots étoient déjà chargés , il brida d'abord les siens, puis ceux de ses favoris ; ensuite il ordonna qu'on mît le feu à tous les autres. Il avoit, sur ce sujet, pris le conseil de ses amis , qui avoient trouvé la chose beaucoup plus dangereuse qu'elle ne le fut dans l'exécution. Très-peu de soldats témoignèrent du mécontentement. Le plus grand nombre, animés d'un généreux désintéressemeut, et comme poussés par une inspiration divine , s'entre-donnèrent les uns aux autres, en jetant des cris de joie , les choses dont il étoit impossible de se passer, et brûlèrent tout le reste. 9. En se promenant, le célèbre Thémistocle trouva un collier d'or. Aussitôt il appela le premier homme qu'il aperçut. « Tu peux , lui dit - il , ramasser ce « collier 5 car tu n'es pas Thémistocle. » Jamais peut-être on ne porta le désintéressement plus loin que ne le fit le célèbre M. Annius-CuriusDentatus. Il venoit de triompher desSabins ; et, pour récompenser les exploits de ce grand homme, le sénat lui assignoit une portion de terre plus considérable que celle qu'on aVoit coutume d'accorder aux anciens soldats ; mais le magnanime consul refusa ce tte faveur,, et se contenta du partage commun , ajoutant que celui qui vouloit posséder plus de terre que les autres ,. étoit un mauvais citoyen. Après sa victoire, les députés, des Samnites vinrent le trouver, et lui offrirent
�88 DÉSINTÉRESSEMENT. de riches présens. Curius mangeoit alors des raves auprès de son foyer. Il se tourna vers les ambassadeurs , et leur dit : « Pour faire de pareils repas , je « n'ai pas besoin de tant de richesses ; d'ailleurs, « n'est-il pas plus beau de commander à ceux qui « ont de l'or, que d'en avoir soi-même ? » 11. Epàminondas , l'un des plus grands généraux de la Grèce , ayant appris que le roi de Perse avoit envoyé des ambassadeurs à Thèbes , pour tâcher de le corrompre par des présens, les invita à dîner. Il leur servit un repas des plus simples. Tout dans sa maison annoncoit la pauvreté. « Allez , dit-il ensuite « en souriant aux ambassadeurs 5 allez , et apprenez « à votre maître quelle est la vie à'Epàminondas : il « comprendra qu'un homme qui sait se contenter de « si peu de chose , méprise l'or et les richesses. » 12. Des ambassadeurs que les Etoliens, peuple de la Grèce, avoient envoyés pour complimenter JEliusTubero-Carus, gendre de Paul-Emilie, ayant rapporté chez eux qu'ils n'avoient Vu sur la table de cet illustre Romain que de la vaisselle de terre, revinrent, lorsqu'il étoit consul, lui présenter de la part de leur république , une grande quantité de belle vaisselle d'argent de toute espèce. Le généreux Romain remercia les Etoliens de leur magnificence, leur promit ses services , et refusa leur présent. 13. Annon, riche et puissant Carthaginois, ébloui de la grande réputation du philosophe Anacharsis, lui fit dire qu'il vouloit l'aller voir , et lui faire de magnifiques présens. Cette vaine bienfaisance paroît avoir été le défaut des grands dans tous les siècles ; et, malheureusement pour la gloire des lettres, on a vu peu d'écrivains s'estimer assez pour refuser d'être en quelque sorte aux gages de l'opulence. Anacharsis étoit trop sage , son ame étoit trop élevée pour ne pas refuser des dons qui Pavilissoient, en diminuant son agréable indépendance. Son remerciment fut donc conçu en ces termes : a Mon habillement est « celui dont se servent les Scythes 5 la peau de mes « pieds, qui s'est endurcie à force de marcher, me sert
�8g f« de souliers. Pour me reposer et dormir , il ne me |« faut pas de meilleur lit que la terre ; et la sauce la i« plus friande dont j'use à mes repas, est la faim. Je |« mange ordinairement du lait et du fromage ; et, |« quand cela se trouve, de la viande. C'est pourquoi [« je t'avertis, si tu veux me venir voir et ne me point I « offenser , de donner tes magnifiques présens à tes [« concitoyens, ou bien aux Dieux immortels , et non ; « pas à moi. Bonjour. » i4- Alexandre ayant entendu parler de Diogène ■comme d'un homme singulier , eut la curiosité de le voir. Il le trouva assis au soleil sur son tonneau, avec tout l'équipage cynique. Après avoir causé quelque temps avec lui : « Diogène, lui dit-il, demande-moi « ce que tu voudras , je te l'accorderai. — Eh bien ! « répondit le philosophe , je vous demande que vous « vous retiriez un peu de côté , afin que je puisse « jouir des rayons du soleil. » Le même prince , paraissant avoir pitié de l'extrême pauvreté oùillevoyoit réduit, lui offrit de le secourir dans ses besoins; mais le fier cynique lui répondit : « Quel est, à votre a\is, « le plus pauvre, de vous, qui, non content du royaume « de vos pères , vous exposez tous les jours à mille « dangers pour en conquérir de nouveaux ; ou de « moi, qui vis satisfait de ce que je possède , et dont « les désirs ne s'étendent pas au-delà de ma besace et « de mon manteau ?» i5.Archélaùs, roi de Macédoine , invitoit Socrate à venir à sa cour, lui promettant de l'enrichir. Le philosophe lui répondit : « Le boisseau de farine ne coûte « à Athènes qu'une obole : les fontaines fournissent « abondamment de l'eau : à quoi me serviraient les ri« chesses ? Et d'ailleurs, qu'irois-je faire chez un prince « qui peut me donner plus que je ne puis lui rendre ? » Alcibiade son disciple ayant fait porter chez lui des présens magnifiques, Socrate se disposoit à les renvoyer; mais son épouse Xantippe, qui étoit avare, ne pouvoit y consentir, et lui disoit qu'il serait bien fou de ne pas recevoir ces dons faits de si bonne grâce. Le sage lui répondit ; « Alcibiade met sa gloire à m'enDESINTERESSEMENT.
�go DÉSINTÉRESSEME N.T\ « voyer de riches présens; je fais consister la mienne « à les refuser. » 16. Le poète Anacréon ayant reçu de Polycrate , tyran de Samos , une gratification de cinq talens, ou cinq mille écus , passa deux nuits sans dormir , en proie aux plus vives inquiétudes.
Le repos quitta son logis ; Il eut pour hôtes les soucis, Les soupçons , les alarmes vaines. Tout le jour il avoit l'œil au guet ; et la nuit , Si quelque chat faisoit du bruit , Le chat prenoit l'argent.
Enfin , comme le savetier de la fable , Anacréon résolut de se défaire d'un argent que le Ciel lui avoit envo)ré dans sa colère ; et , préconisant le désintéressement des sages , dont il sentoit en ce moment tout le prix , il renvoya les cinq talens au tyran de Samos. « Cachez-les aveG soin dans votre coffre , lui « dit-il ; car ils pomroient bien vous jouer le même « tour qu'à moi. » 17. Alexand-le-Grand envoya à Phocion , général athénien, un présent de cent mille écus. Ce capitaine demanda aux députés du monarque , « pourquoi , « dans un si grand nombre d'Athéniens , il étoit le « seul que le roi de Macédoine eût jugé digne de ses « bienfaits ? » Les ambassadeurs lui répondirent qu'Alexandre vouloit lui témoigner , par cette distinction , combien il estimoit sa vertu. « Eh bien ! « qu'il me laisse donc cette vertu , reprit Phocion , « et qu'il garde ses trésors. » Une autre fois , Antipater, gouverneur de la Macédoine, lui fitoffrir une grosse somme d'argent par un certain Ménillus. Phocion la refusa. « Permettez du « moins, lui dit le député, qu'on la donne à votre fils. « — Non, répondit Phocion : si mon fils sait régler sa « vie et ses mœurs, l'héritage de son père lui suffira; « mais s'il devient un prodigue et un débauché, quel» « qu'argent qu'on lui donne, il n'en aurajamais assez.» 18. Le même conquérant fit présenter une somme-
�DÉSINTÉRESSEMENT,
Ql
d'argent considérable au philosophe Xénocrate. Ce sage , pour ne pas paroi I re mépriser les dons du prince , en prit une très-petite partie , et dit aux envoyés : « Reportez'le reste à votre maître ; il en « a plus besoin que moi. » 19. Une abbaye étant venue à vaquer, deux moines allèrent offrir à Guillaume-Le-Roux, roi d'Angleterre, une somme considérable pour l'obtenir. Le monarque écouta ïeurs offres , ets'adressa , sans leur répondre, à un troisième moine qui étoit venu avec eux , et qui n'avoit encore rien dit : « Et vous , lui demanda-t-il, ; « combien me voulez-vous donner de cette abbaye ? « — Moi, sire , répondit le religieux , je n'ai rien à « donner ; et je serois bien fâché d'acheter un emploi « qui, obtenu de cette manière, seroit nuisible à mon « salut. « Le roi charmé de ce désintéressement, lui dit: « De tels sentimens vous rendent digne de com« mander aux autres : je vous donne cette abbaye. » 20. Le duc de Montmorenci étant à Montpellier , pour éviter d'être suivi d'une troupe de soldats qui se disposoient à l'accompagner avec leurs acclamations ordinaires , s'avisa de leur jeter des poignées d'argent : mais ces guerriers, sans s'amuser aie ramasser, comme il se l'étoit promis, ne l'abandonnèrent point, et l'escortèrent jusqu'à ce qu'il fût rentré chez lui. 21. Dès que le célèbre M. Fagon fut premier médecin du roi Louis XIV, il donna à la cour un spectacle rare et singulier , un exemple qui non-seulenientn'y a pas été suivi , mais peut-être y a été blâmé. 11 diminua beaucoup les revenus de sa charge. Il se retrancha ce que les autres médecins de la cour , ses subalternes, payoient pour leur serment. Il abolit des tributs qu'il trouvoit établis sur les nominations aux chaires royales de professeur en médecine dans les différentes universités, et sur les intendances des eaux minérales du royaume. Il se frustra lui-même de tout ce que lui avoit préparé, avant qu'il fût en place, une avarice ingénieuse et inventive , dont il pouvoit assez innocemment recueillir le fruit ; et il ne voulut point que ce qui appartenoit au mérite lui pût être disputé
�92 DÉSINTÉRESSEMENT. par l'argent, rivai trop dangereux et trop accoutumé à vaincre. Le roi, en faisant la maison du duc deBerri, donna à M. Fagon la charge de premier médecin de ce prince, pour la vendre à qui il voudrait. Ce n'étoit pas une somme à mépriser 3 mais M. Fagon ne se démentit pas :il représenta qu'une place aussi importante ne devoit pas être vénale ; et la fît tomber à M. de la Carliere, qu'il en jugea le plus digne. 22. Un officier-général vint proposer à M. de Turenne un moyen de gagner quatre cent mille francs dans quinze jours , sans que la cour pût jamais en avoir connoissance. Il lui répondit, avec autant de simpbcité que de noblesse : « Je vous suis fort obligé ; mais « comme j'ai souvent trouvé de semblables occasions , « sans en avoir jamais profité, je ne crois pas devoir « changer da conduite à mon âge. » A peu près dans le même temps , les habitans d'une grande ville lui offrirent cent mille écus , pourvu qu'il voulût bien se détourner de son chemin, et ne point faire passer ses troupes chez eux. Il leur répondit : « Comme votre ville « n'est point sur la route par où j'ai résolu de faire « marcher l'armée , je ne puis prendre l'argent que « vous m'offrez. » 23. S. Grégoire, évêque de Constantinople, que sa haute vertu, ni la faveur de Théodose-le-Grand ne mettaient pas à l'abri de l'insolence des hérétiques , résolut de renoncer à l'épiscopat ; mais les vives instances de son peuple l'obligèrent de différer l'exécution de ce projet. L'empereur, qui vouloit concilier tous les partis , et rendre la paix à l'Eglise , convoqua un concile â Constantinople. Ce fut pour Grégoire l'occasion qu'il désirait depuis si long-temps. Les évêques d'Occident étoient prévenus contre son ordination : ils réclamoient l'autorité des canons contre un prélat qui, déjà évêque de deux sièges, disoieht-ils , étoit venu s'emparer encore de celui de Constantinople. Saint Grégoire n'eût pas été embarrasé de se défendre , s'il eût souhaité de gagner sa cause ; mais , indifférent pour les dignités , après avoir déclaré que pour calmer la tempête, il subissoit avec joie le sort,
�DÉSINTÉRESSEMENT.
g3
de Jonas, il abdiqua l'épiscopat en plein concile. La plupart des prélats acceptèrent, sans délibérer , la démission de cet homme divin , dont l'éloquence excitoit leur jalousie, et dont l'austérité condamnoit leur luxe. Cependant il falloit encore le consentement de TAeWoje;etc'éloitleplusgrandobstacle. Grégoire alla au palais 5 et s'approchant de l'empereur , qu'il trouva environné d'une cour nombreuse et brillante : « Prince, lui dit-il, je viens vous demander une grâce : « vous aimez à en accorder. Ce n'est pas de l'or pour « mon usage, ni des ornemens pour mon église ; ce « ne sont pas non plus des gouvernemens ni des em« plois pour quelqu'un de mes proches. Je laisse ces fa« veurs à ceux qui ne recherchent que ce qui est de « nul prix. Mon ambition s'est toujours élevée audessus « des choses de la terre. Je ne désire de votre bonté « que la permission de céder à l'envie. Je respecte le « trône épiscopal, mais je ne veux le voir que de loin. « Je suis las de me rendre odieux à mes amis mêmes, « parce que je ne cherche qu'à plaire à Dieu. Réta« tablissez entre les évêques cette concorde si pré« cieuse ; qu'ils terminent enfin leurs débats , si ce « n'est parla crainte de la justice divine, du moins par « complaisance pour l'empereur. Vainqueur des Bar« bares, remportez encore cette victoire sur l'ennemi « de l'Eglise. Vous voyez mes cheveux blancs et mes « infirmités. J'ai épuisé au service de Dieu ce qu'il « m'avoit donné de forces. Vous le savez , prince ; « c'est contre mon gré que vous m'avez chargé du « fardeau sous lequel je succombe. Permettez-moi de « le mettre àvos pieds, et d'achever en liberté ce qui « me reste d'une longue et pénible carrière.» Ces paroles affligèrent sensiblement l'empereur : mais la demande étoit aussi juste que sincère. Il consentit à regret ; et le saint prélat, après avoir dit adieu à son peuple , par un discours plein d'une tendresse noble et chétienne, qu'il prononça dans la grande église de Constantinople, en présence des évêques du concile, alla terminer le cours d'une vie pénitente et laborieuse
�94
DÉSINTÉRESSEMENT.
dans sa chère solitude , après laquelle il n'avoit cesse de soupirer. a4- Un saint abbé , nommé Ammonius , joignant là science la plus profonde à la piété la plus éminente ; fut demandé pour évêque par les hahitans d'une ville , qui vinrent trouver le saint évêque Timothée , et Je prièrent de vouloir bien lui conférer l'onction épiscopale. «Amenez-le-moi, leur dit Timôthée , et je l'or« donnerai. » Ils allèrent donc en foule pour le prendre ; mais il s'évada secrètement. On l'atteignit pourtant; et comme on vouloit le saisir, malgré ses prières, il se coupa l'oreille gauche, et leur dit: «Vous voyez « maintenant que je ne puis devenir ce que vous vou» lez que je sois par force , puisque la loi défend que « celui qui a les oreilles coupées soit élevé au sacer« doce. » Etonnés de cette conduite , ils retournèrent aussitôt vers Timothée , lui raconter l'action d'Ammonius , et le prétexte sur lequel il fondoit son refus. « Que cette loi,répondit Timothée, soit en usage chez « les Juifs, à la bonne heure ! mais, pour moi, quand « vous m'amèneriez un hommeqni auroitlenez coupé, « pourvu qu'il fût de bonnes moeurs, je l'ordortnerois.» Ils allèrent donc réitérer leurs instances auprès à" Ammonius ; mais ne pouvant rien gagner sur lui, ils résolurent d'employer la violence. Ce saint abbé , usant alors du serment, leur dit: «Si vous me contrai« gnez davantage, je me couperai la langue. » Cette menace les intimida. Pleins d'admiration pour sa vertu et pour cet héroïque désintéressement, ils se retirèrent en se recommandant à ses prières. 25. Albornos, archevêque de Tolède, donna sa démission de ce riche archevêché aussitôt qu'il fut cardinal. Il dit à ceux qui paroissoient surpris de sa conduite: <i Je serois très-blâmable de garder une épouse que je « ne puis servir. » 26. Agis If^, roi de Lacédémone , auroit pu vivre , comme la plupart des monarques , dans l'opulence et dans les délices ; mais il méprisa l'un et l'autre. Plein d'un noble désintéressement, entièrement détaché des richesses, loin d'augmenter ses biens , il voulut rétablir
�DESINTERESSE M-E-N-T. 95 l'égalité que les lois de Lycurgue avoient mise entre tous les citoyens. Il en donna le premier l'exemple , mit tout ce qu'il possédoit en commun, et descendit au niveau des autres. 27.UnLacédémonien nommé Timandrides, partant pour un voyage, abandonna le gouvernement de sa maison et de ses biens à son fils. De retour, ayant reconnu que, par son économie , il avoit augmenté son héritage, il lui dit fort en colère :« Malheureux ! as-tu « pu commettre une pareille injustice contre les dieux, « tes proches, tes amis, tes hôtes et les pauvres ? Et ne « devois-tu pas te contenter de prendre sur ces biens , «vils objets de ton avarice, ce qu'il te falloit pour « vivre , sans priver les misérables du superflu qui « leur appartient ? » Il le déshérita. 28. Le maréchal de Boucicaut ne laissa qu'un fils , âgé de trois on quatre ans,qui fut depuis maréchal de France et gouverneur de Gènes. Ce grand homme ne s'étoitpassouciéd'accumuler d'immenses richesses sur la tête de cet héritier de son nom et de sa gloire , et n'avoit songé qu'à lui laisser de grands modèles de vertu. Ses amis le blâmèrent de n'avoir point profilé de la faveur du roi Jean son maître. «Je n'ai rien vendu de « l'héritage de mes pères , leur répondit-il, et je n'y « airiennonplus augmenté. Si mon fils est homme de « bien , il aura assez ; mais s'il ne vaut rien , il aura « trop, et ce sera grand dommage. » 29. Les députés d'une ville rebelle , pour calmer la colère du comte de Ligny, qui se disposoit à les traiter avec la dernière sévérité , lui présentèrent un service de vaisselle d'argent du poids de trois cents marcs ; mais le comte ne voulut point le prendre pour lui 5 et se tournant vers le chevalier Bayard, dont la rare valeur avoit fait prospérer toutes ses entreprises en Italie : « Chevalier, lui dit-il, voilà ce que je vous donne. » Bayard remercia très-respectueusemen t le général, et le refusa, en ajoutant: « Je craindrois, monseigneur , « que ce riche don ne me communiquât quelque chose « de l'infidélité de ceux qui vous l'ont offert ; » et j prenant toute cette argenterie, il la distribua à ceux qui se trouvèrent auprès de lui.
�96 DEVOIRS. 3o.Le maréchal de Fabert étoit si peu attaché aux richesses, qu'il sacrifioit généreusement tout son bien au service du roi. Il faisoit, en beaucoup d'occasions , travailler les soldats, et élever des fortifications à ses dépens. Lorsque son épouse et ses plus intimes amis lui représentoient que, par ces dépenses , il ôtoit à sa famille un bien qu'il étoit obligé de lui conserver, il répondoit: «Si pour empêcher qu'une place que le roi ^ m'auroit confiée, ne tombât au pouvoir des ennemis, « il falloit mettre à une brèche que je verrois faite , « ma personne, ma famille, tout ce que je possède, ç je ne balancerois point à le faire.»
DEVOIRS.
N jeune roi de Perse s'abandonnoit à la dissipation et à tous les plaisirs que lui préparoient les courtisans. Un jour il chantoit, dans un festin , ces paroles: » Je jouissois du moment qui est passé ; et je « commence à jouir de celui qui succède. Content et « tranquille,l'espérance d'aucun bien,la crainte d'au« cun mal ne me donne d'inquiétude. « Un pauvre , assis sous la fenêtre de la salle du festin , entendit le monarque, et lui cria: « Si tu es sans inquiétude pour « ton sort,. n'en as-tu jamais pour le nôtre ? » Le roi fut touché de son discours. Il s'approcha delà fenêtre, regarda quelque temps le pauvre avec attention , et, sans lui parler , lui fit donner une somme considérable. Il sortit ensuite de la salle du festin, en faisant des réflexions sur sa vie passée. Elle avoit été opposée à tous ses devoirs. Il en eut honte. Il prit en main les rênes-dn gouvernement, qu'il avoit jusqu'alors abandonnées à ses favoris. On le vit travailler assidûment ; et, en peu de temps il rétablit l'ordre dans l'empire. Depuis qu'il étoit occupé de l'administration de ses états, on lui faisoit souvent des plaintes delà licence et du désordre dans lesquels vivoit le pauvre qu'il avoit enrichi. Enfin , il le vit un jour à la porte du palais.
Il
�DEVOIRS, 97 îl étoit couvert de lambeaux , et il rèvèiioit demander Faumône.Le roi,- le montrant a l'Un des sages dè sa cour , lui dit: «Vois-tu les effets de la bonté ? Tu « m'as' va combler cé thômme dè richesses : vois-tu quel « en est le fruit?Mes bienfaits ont corrompu ce pau« vre ; ils ont été pour lui urie source dé nouveaux vices « et d'une nouvelle misère. — Cela est vrai, répondit « le sage, parce que tu as donné à la! pauvreté ce que « tu ne devois qu'au travail. » i.îtèhrilV'ne faisoit point consister' la grandeur èi la gloire dans l 'étendue dé là puissance d'un souverain, maïs dans le bon usage qu'il en sait faire. On luïrèproch'oit un jour le peu de pouvoir qu'il avoit dàns la' Rochelle. «'Votis' avéz tort, répondît-if ; je fais dans cette « ville tout ce què je veux , parce que je fï'y fais qite «; cè que jé dois. » 3. Aiirêtig-Zeb, inoït êmperéùr désI^Togols' en 1707. Sorjfoït d'une longue maladie, ét travaiîloït plus qu'é sa1 foïMés'sè riè pôûvoit liti permettre, tin -ministre lui représenta cômbï'én cet excèsi d'application, étoit dangereux , ét qùèllés suites iTpoilvôit Avoir. Le monarque lui lança' un regard d'indignation et dé mépris ; puisse tournant vers les autres courtisans : « N'avôuez« vous ^as , leur dit-il, qii'iT y a dés' circonstances où « un rôi doit hasarder s'a vie , ét périr lés armés à Is( « main, s'il le faut, pour la défense de sa pairie ? Et « cé vil' fiatteuihie Veut pas que jé consacre nies veilles (i au bonheur de mes sujets'! Croït-iï donc que j'ignore « que la Divinité ne m'a conduit sur le trône , que « jboùr la félicité de tant dé millions d'hommes qu'elle « m'à| soumis ? Non , nôù', Aûréiig-Zëb n'oubliera " jamais lé vers- dé Sadi :
i
RôiW, cessez d'être rois, o'ti régirez1 par Vous-mêmes.
« « « « «
Hélas ! là grandéur ét là prospérité lie nous tendent déjà que trop de pièges.Malheureux que nous som-' mes ! tout nous entraîne a la mollesse ; tout nous éloigne de nos devoirs. Faudra-t-il que dés ministres élèvent ehCOré leur voix perfide b&iÊ combattre la Tome IL çf
�g8 D É V O T I O N. « vertu toujours foible et chancelante des rois , et les « perdre par de funestes conseils ?»
D É V 0 T I O N.
i. LE divin Maris , dit Théodoret, non content d'avoir passé toute sa vie dans les exercices de la vertu , et de s'être toujours conservé dans la chasteté du corps et de l'ame, fit une petite maison , où , s'étant enfermé , il demeura trente-sept ans reclus. Agé de quatre-vingt-dix ans, il n'avoitpour tout habit qu'une peau de chèvre, et-ne vivoit que d'un peu de pain et de sel. Comme il y avoit fort long-temps qu'il souhaitait de voir célébrer le saint sacrifice de la messe, il me pria de l'offrir dans sa cellule : j'y consentis, et j'envoyai chercher les vases sacrés dans l'église voisine. Au lieu d'autel, je me servis des mains des diaqres , et j'offris de la sorte la mystique , la divine, la salutaire victime. Durant la célébration du sacrifice , cet homme de Dieu fut rempli d'une joie si sainte et si spirituelle , qu'ils'imaginoit être dans le ciel, et que depuis, il disoit qu'il n'avoit jamais eu , en toute sa vie , une telle consolation, ni été comblé d'un semblable coutentement. 2. S. Palémon dit, un jour de Pâques,àS. Pacôme, son disciple, d'apprêter à manger en considération de cette grande fête. Celui-ci, contre son ordinaire, mêla un peu d'huile avec du sel pilé, et y ajouta quelques herbes. Le saint vieillard, après la prière accoutumée, s'approcha de la table : voyant cette huile et ce sel , il dit, en versant une abondance de larmes: «Mon maître « a été crucifié, et jemangerois maintenantde l'huile!» Quelques instances que Pacômehù fit, il n'en voulut jamais goûter, et ne prit que du pain et du sel, selon leur coutume. 3. S. Homehon étoit de Crémone en Lombardie : il se retira de la compagnie des hommes pour s'appliquer aux jeûnes, aux veilles, à la prière, et distribuoit aux
�DÉVOTION. 99 pauvres ce qu'il avoit gagné par son trafic ; car il avoit été marchand. Il avoit sur-tout une singulière dévotion pour le très-saint sacrifice de la messe. Il alloit toutes les nuits à l'église ; et après matines , il dëmeuroit devant le crucifix prosterné en oraison jusqu'à la cé-. lébration des ineffables mystères, auxquels il assistait avec. une. ardeur et un recueillement qui portaient l'édification dans tous les cœurs. Un jour, ayant assisté à matines , et prié jusqu'à la messe à son ordinaire, il se prosterna au Gloria in excelsis ,• les mains étendues en croix. Comme on vit qu'il ne se levoit point à l'évangile , on crut qu'il s'était endormi ; on Voulut l'éveiller , on trouva qu'il étoit mort. 4- La bienheureuse Julienne, religieuse de la maladrerie de Mout-Cornillon , au faubourg de Liège , n'étant encore âgée que de seize ans, vil en songe la lune dans son plein, qui avoit néanmoins une brèche. Cette vision, qui arriva l'an 1210 , s'offrit encore depuis à son imagination, presque toutes les fois qu'elle se mettait en prières. Elle comprit enfin , deux ans après, que la lune était l'Eglise, et que la brèche pouvoit marquer le défaut d'une fête du Saint-Sacrement. Elle avoit une grande dévotion au saint sacrifice de la messe : elle y apportait volontiers toutes ses pensées. Ellegardalesilencedesa vision jusqu'en 1230, qu'ayant été élue prieure de la maison de Mont-Gornilloh; elle s'en ouvrit à un chanoine de S. Martin de Liège, nommé Jean ; et elle lui persuada de communiquer son projet" aux pasteurs et aux théologiens. Le chanoine étant entré dans ses vues, intéressa dans cette affaire une foule de personnes pieuses, et sur-tout l'archidiacre de l'église de Liège , nommé Jacques de Troye, qui fut depuis pape sous le nom d'UrbainIV. La bienheureuse Julienne, assurée de tant d'approbations, fit composerun office du Saint-Sacrement, dont elle-même donna le plan, et elle le fit approuver ensuite par les principaux théologiens du pays. Les chanoines de S. Martin furent les premiers qui s'en servirent, et qui solennisèrent la fête du Saint-Sacrement , dès l'an 1247 f et bientôt, par les soins de l'évêque de Liège , et de & 2
�100
DÉVOTION.
la vénérable Ev'é , recïnsé , confidéiï'te de' Julienne, Urbain lP~l& fit célébrer par totttë laf terre. 5. L'odeur de fâ piété de S. Louis , roi de France , s'étoit répandue jusqnes dans les pays les pîus éloignés. Baudouin , empereur de Constanthioplé, élan t. venu en France pour implorer les secèurs du roi contré ïés Grecs , qui assiégeoient la ville impériale, crut gagner tout d'un coup le coeur de Loids , én hti faisant présent de la sainte couronne d'épines. 11 ne fut pas trompé ; le roi l'assista de troupes é'É d'argent. La sainte couronne fut retirée des mains des Vénitiens , à qui les Grecs l'avoieut engagée, et elle fut apportée en France. S. Louis alla la recevoir à cinq lieues dé Séns , suivi de toute la' côiir et dit clergé. Il l'accompagna jusqu'à Paris, avec des sentimens de componction et d'humilité , dont tôùi son exlériem' dônti'oit des m'arques bien sensibles. 11 porta lui-même la relique , assiste de son frère le comte d'Artois, étant nu-pieds, et ayant, la tête découverte, depuis l'église d'e S. Antoine-des-Champs, dans un des faubourgs de Paris , jusqu'à celle de Notre-Dame ; et elle fut déposée dans la chapelle de S. Nicolas, qui tenoit à son palais. Quelque temps après, il reçut encorê urr morceau de la vraie croix , que les Vénitiens avoierit eu du roi de Jérusalem ; il fit abattre la chapelle de S. Nicolas , et bâtit en la même place l'église de la Sainte-Chapelle : ily mil les divines reliques enchâssées d'ans l'or et les pierreries ; il y fonda1 des chanoines , pour y chanter , joui* et' nuit, l'es louanges de Dieu , en présence de ces précieux monumens de notre rédemption 5 et il eut pour ce lien Une dévotion particulière. Tous les ans, le vendredi saint, il s'y rendbit, revêtu des habits royaux, la couronne sur la tête; et il exposoit' lui-même la vraie croix à la vénération du peuple ; mais il commencoit par donner l'exemple de l'humiliation avec laquelle on doit s'approcher de ces sacrés iristrumens du salut : il' se teiioit la-tête découverte , les pieds nus, Sans épée , et il se prosiernoit d'abord , priant Dieu quelque temps : il se traînoit sur les genoux , et s'arrêtoit dë nouveau pouf prier
�DISCRETION.
i
'
somme auparavant : enfin il s'approchoit devant laquelle ij prioit pour la troisième étant prosterné , il la baisoit avec une hu fonde. Voyez PIKTE.
\\\\\\\\\ WWWWWMWWlXtUUVVWW^VWWIWWWWWWWlMWW
D I S C R É T I ON.
I OUSCHIRVAN, surnommé le Juste, roi de Perse, étant à la chasse , voulut manger du gibier qu'il avoit. tué 5 mais il n'a voit pas de sel. 11 en envoya cherche!* ap. village le plus voisin , en défendant de le prendre sans le payer. « Quel niai arrivcroit-il . dit un des « courtisans , si l'on ne payoit pas un peu de sel ? « — Si un roi, répondit Noitschirvan , cueille une « pomme dans le jardin de ses sujets , le lendemain « ses favoris couperont l'arbre, » 2. Le consul Métellus, à qui la conquête de la Ma-. cédoine fit donner le surnom de Macédoniquc , ne coinmuniquoit jamais ses vues à personne. Un de ses amis lui ayant demandé ce qu'il comptait faire après qu'il auroit soumis les Arbaques , peuples de Macédoine : «Je me dépouillerois de ma tunique, répond} t« il, si je spupeonnois qu'elle sût mon dessein. » 3. Le vicomte de Turenne s'étant emparé du château de Sojza , quelques soldats lui amenèrent une femme d'une grande beauté , qu'ils avoient trouvée dans la place , et la lui présentèrent , comme la part la plus précieuse du butin. Le vicomte n'avoit alors que vingtsix ans ; il n'étoit pas insensible : cependant il feignit de ne pas pénétrer le dessein de ses soldats , et loua beaucoup leur retenue , comme s'ils n'avoient pensé , en lui amenant cette femme , qu'à la dérober à la brutalité de leurs compagnons. Il fit chercher son mari ; et la remettant entre ses mains , il lui dit que c'étoit à la discrétion de ses soldats qu'il devoit l'honneur de sa femme.
,N
G 5
�$.0%
DOCILITE.
DOCILITÉ. i. Ï_ célèbre Lysandre , général de Lacédémone, trop grand pour rester simple sujet, avoit porté ses regards sur le trône ; mais la mort avoit renversé ses projets ambitieux , et la conjuration formée contre les deux souverains qui régnoient à Sparte, étoit restée dans un profond secret. Elle fut enfin découverte par une espèce de hasard. Sur quelques affaires qui regardoient le gouverneur, on eut soin d'aller consulter les mémoires que Lysandre avoit laissés , et Agésïlas se transporta dans sa maison. En parcourant ses papiers, il tomba sur le cahier où l'on avoit transcrit la harangue que l'orateur Eléon avoit préparée sur la nouvelle manière de procéder à l'élection de-s rois. Frappé de cette lecture , le monarque quitta tout , et sortit brusquement pour aller communiquer cette harangue au peuple , et lui faire voir quel homme ç'étoit que Lysandre , et combien on s'étoit trompé à son égard. Mais Lucratidas, homme sage et prudent, et qui étoit le président des éphores , le retint, en lui disant, « qu'il ne falloitpas, déterrer Lysandre , mais enterrer « avec lui sa harangue > comme une pièce très-dan« gereuse par . le grand ait avec Laquelle elle étoit « composée. >> Agésïlas le crut ; et la harangue demeura ensevelie dans le silence et dans l'oubli. 2. Par une conduite que la flatterie avoit introduite, et que toléroit la timide complaisance des prélats, les empereurs , pendant la célébration de l'office, étoient assis dans le sanctuaire , où les prêtres seuls avoient leur place , selon l'ancienne discipline. Un jour que Théodose y étoit resté , après avoir fait son offrande, S. Amhro'ue s'en étant aperçu, lui envoya demander ce qu'il àtténdbit-: « J'attends, répondit l'empereur, le « moment de participer aux saints mystères. » Alors ï'évêque lui fit dire par un de ses diacres, que le sanctuaire étoit réservé aux seuls prêtres ; que la pourpre
JE
�DOUCEUR.
J03
[donnoit droit à l'empire, mais non pas au sacerdoce • [et qu'il devoit prendre place avec les autres laïques[ Théodose reçut cet avis avec, respect , et se retira hors de la balustrade , en disant qu'il n'avoit pas eu dessein de rien entreprendre contre les canons de l'Eglise ; qu'il avoit trouve cet usage établi à Constantinople, et qu'il remercioit l'évêque de l'avoir instruit de son devoir. Il retint si fidellement cette leçon , cru'étant retourné â Constan-tinople , la première fois qu'il vint dans l'église , il sortit du sanctuaire , après avoir porté son offrande à l'autel. L'évêque Nectaire lui ayant envoyé demander pourquoi il ne restoit pas dans l'enceinte sacrée : « Hélas ! dit-il en soupirant, « j'ai appris bien tard la différence d'un évêque et « d'un empereur. Que de temps il m'a fallu pour trou« ver un homme qui osât me dire la vérité ! Je ne « connois qn'Ambroise qui soit digne du nom d'évê« que.» Depuis ce temps, les empereurs prirent leur place dans l'église, à la tête du peuple , hors de l'enceinte destinée aux prêtres ; et cette réforme sub~ sista sous les successeurs de Théodose , jusqu'à ce que les princes usurpèrent une partie des fonctions ecclésiastiques ; et que , par un mélange bizarre , voulant être tout à la fois empereurs et évêques , ils ne furent ni évêques ni empereurs.
ut\iu\iuuu\vvuut>v\\u\m\i,\vmu.\\\v\uv%m\m\\\wvvv
i. VJE n'est pas, disoit le grand Fabius, par les fouets ni par les chaînes , mais par les caresses et les bons traitemens qu'on apprivoise les animaux féroces : il n'y a que la douceur et les bienfaits qui puissent humaniser les caractères durs et farouches. Le laboureur n'arrache pas le figuier et l'olivier sauvage ; mais en y insérant un coin d'un arbre plus doux, il corrige l'âpreté naturelle de leurs fruits. 2. On demandoit à Alexandre-le-Grand comment , en si peu de temps, et dans un âge si peu avancé, iî avoit pu conquérir tant de régions , et fonder une si
c
DOUCEUR.
�ï
©4
° tf C E U R.
vaste monarchie ? g C'est, répondit-il , en traitant si « bien mes ennemis , que j'en ai fait des amis ; et « en caressant si soigneusement'mes amis , qu'ils se « sont attachés inviolablement à mon service. Pour s'al« tacher ses conquêtes , il faut subjuguer les cœurs. » 3. Caton l'ancien rép.étoit sans cesse cette maxime a,ux grands de Ronie : '« Usez avec modération de votre « puissance , si vous voulez en user long-temps. La « douceur entretient l'autorité ; la rigueur la détruit-» 4- Lacédémone commandoit à tou te la .Grèce ; mais la dureté et la hauteur de ses capitaines rendoiçntson autorité odieuse à tous les alliés. Au contraire , les manières douces et honnêtes à'Aristide et de Cimon , chefs des Athéniens ; un éloignement infini de tout air impérieux et fier , qui n'est propre qu'à révolter les esprits ; une bonté et une affabilité qui ne se démentoient en rien , et par laquelle ils savoient tempérer l'autorité du commandement et le rendre aimable ; l'humanité et la justice qui paroissoient dans toutes leurs actions ; l'attention qu'ils ayoient à n'offenser persoime et à faire du bien à tout le monde 5 enfin , toutes les yertus sociales que ces deux grands hommes faisoient éclater dans leur conduite , leur gagnaient tous les cœurs , et faisoient aimer la ville qui avait donné le jour à des héros si estimables. Bientôt le mécontentement contre Lacédémone éclata, ettousles alliés passèrent sous la protection et sous la puissance des Athéniens avec le consentement même de Sparte; ainsi Aristide , en opposant au despotisme beaucoup, de douceur et d'humanité , en inspirant à Çimon sop collègue les mêmes senlimens , détacha des Lacedé momens , insensiblement et sans qu'ils s'en aper eussent, l'esprit des alliés, et leur enleva enfin le commandement, non de vive force, en employant des n niées et des flottes , et encore moins en usant de ruse et de perfidie , mais en rendant aimable, par une conduite sage ef douce , l'administration des Athéniens. 5. PendantJaseconde guerre punique, J^lqrndlus, à qui son intrépide valeur fit donner le glorieux surftdni d'épée de la république , se rendit à Noie, 111c-
�DOUCEUR.
10$
I yliinihuh
I ïiacée depuis quelque temps par lesarmes du redoutable
La discorde régnoit parmi les citoyens de celte ville. Le sépat étoit sans cesse opposé an peuple, qni vouloit abandonner les Romains , pour suivre la fortune de Garthage. On remarquoit sur-tout, parmi les partisans de cette république , un homme que sa naissance et sa valeur élevoient au-dessus de tous ses compatriotes. On l'appeloit Bondius. Il s'étoit singulièrement distingué à la bataille de Cannes, où, après ayoir immolé une foule de Carthaginois, il étoit tombé enfin sur un monceau de morts, le corps percé de mille traits. Annibgl \'ayanttrouvé dans cetétat, avoit admiré sopconrage, l'avoitfaitpanser ; et après avoir contracté avec lui la plus étroite amitié , il l'avoit renvoyé nonr seulement sang rançon , mais encore chargé de riches présçns. Jiondius, de retour à Noie, et voulant marquer sa vive rç.connoissance au général de Carthage , étoit un de? plus ardens pour son parti. II ençourageoit le peuple ô il le portoit perpétuellement à la révolte. Mqrcellusne pouvoit se résoudre à perdre un homme si .courageux, et qui tant de fois avoit exposé sa vie sous les drapeaux de Rome- Il résolut plutôt de le ramener par la douceur, et par des m arques d'estime auxquelles les hommes braves et généreux sont toujours sensibles. Bondius étant donc un jour allé faire sa cour au. général romain ; Marcellus lui demanda qui il étoitII Je connoissojl depuis long-temps; mais il vouloit trouver un prétexte pour entamer avec Jui une conversation particulière- Bondius lui ayant dit son nom , Marcellus, comme rayi d'étqnnement et d'admiration, s'écria : « Eh quoi ! vous êtes ce fameux Bondius qui, « dans les plaines de Cannes, a signalé sa magnanime « bravoure par mille exploits héroïques , et qpi seul « fidelle au consul Baul-Eixùle , a reçu sur son corps « la plupart des traits lancés à ce général? — C'est moi« même , répondit Bondius ; et si vous en douiez , « voyez , s'écria-t-il en découvrant les cicatrices de ses « blessures , ces témpins parleront en ma faveur. — « Mais dites-moi, méchant que vous êtes, reprit Mac« çellus , comment, après avoir donné de si grandes
�J 06 DOUCEUR. « preuves de votre attachement, 11'êtes-vous pas venu d'abord à moi ? Pensez-vous donc que les Romains (< soient assez ingrats pour ne savoir pas récompenser <( la vertu de leurs amis , eux qui savent si bien ho« norer et estimer celle de leurs ennemis même ? » Après ces gracieuses paroles, qui furent accompagnées de beaucoup de caresses, il lui donne un beau cheval de bataille , avec une somme de deux cent cinquante livres. Depuis ce moment, Bondius servit comme de garde à Marcellus, et fut entièrement dévoué à ses intérêts. Comme il avoit été lié avec tous les mécontens qui étoient dans la ville, il les dénonça à Marcellus, et lui apprit que leur dessein étoit de fermer les portes , dès que les Romains seroient sortis pour marcher aux ennemis ; de piller leurs bagages , et de se rendre aux Carthaginois. Marcellus, averti de cette conspiration, range ses troupes en bataille dans la ville même, place le bagage à la queue, et fait publier, à son de trompedéfense aux habitans de paroître sur les murailles. Cette solitude trompa Annibal, qui, voyant les murailles désertes, ne douta point qu'il n'y eût une grande sédition dans la ville ; et, plein de confiance , il s'en approchoit avec moins d'ordre et de précaution. Dans ce moment, Marcellus commande qu'on ouvre la porte qui est devant lui ; et sortant avec sa meilleure cavalerie , il charge de front l'ennemi , et l'enfonce. Un instant après , on ouvre une seconde porte. L'infanterie sort rapidement et avec de grands cris ; et comme Annibal veut partager ses troupes , pour faire tête à ces dernières , on ouvre une troisième porte , et tout le reste des troupes sort en même temps, pour tomber sur l'ennemi déconcerté par cette irruption soudaine. Pour la première fois , Annibal recule devant les Romains ; et ce triomphe de Marcellus est le fruit de sa douceur. 6. Un insolent donna un coup de pied à SocrateLe sage souffrit patiemment cet outrage ; et comme ses amis lui reprochoient son insensibilité : « Que « vouliez-vous donr/que je fisse , leur demanda-t-il ? « — Il falloit citer ce misérable en justice, et deman-
�107 der raison de cette insulte. — Quoi ! reprit Socrate, si un âne en passant , me donnoit un coup de pied, il faudroit donc aussi le traduire devant les tribunaux ? » 7. Nouschirvan, surnommé Kosrou, ou Chosroès, remier du nom , roi de Perse , avoit défendu à un es officiers de sa cour de paroilre devant lui. Le jour lelant venu auquel les rois de Perse avoienteoutume de [tenir leur cour plénière , ce qui arrivoit une fois tous lies ans, cet officier disgracié se présenta pour donner la serviette. Chacun crut alors que cet homme avoit été rétabli en grâce , et aucun des gardes ne se mit en peine de le faire retirer. Il prit si bien son temps pendant que le festin duroit, qu'il mit un plat d'or sous son bras , avec lequel il disparut aussitôt. Nouschirvan seul s'en aperçut, et n'en témoigna rien. Les tables étant levées , celui qui avoit soin de la vaisselle d'or , voyant qu'il lui manquoit un plat , fit un fort grand bruit pour le trouver. Le monarque alors lui imposa silence , et lui dit : « Celui qui a pris « le plat ne le rendra pas , et celui qui le lui a vu « prendre ne le découvrira jamais. » L'année suivante, le même officier vint se présenter au festin royal, qui se faisoit selon la coutume ; et Nouschirvan , qui l'aperçut, le faisant approcher de lui , lui demanda secrètement si l'argent qu'il avoit tiré de son plat étoit fini. L'officier, tout confus de ce que son vol avoit été découvert, se jeta aussitôt à ses pieds, et lui demanda pardon de sa faute. .Alors le prince, usant de sa générosité et de sa douceur ordinaires , non-seulement la lui pardonna , mais le rétablit encore dans sa charge. 8. Ptolémée II du nom, fils de Lagus, surnommé Philadelphe , voulant éprouver un grammairien fort ignorant, lui demanda quel étoit le père de Pélée. Le grammairien, qui peut-être n'ensavoitrien, répondit: « Prince , dites-moi auparavant quel est le père de « Lagus ? » Les courtisans du roi d'Egypte lui conseillèrent de punir l'insolence de cet homme. « Je « serois injuste si je le punissois, répondit le mo« narque 5 c'est moi qui l'ai attaqué le premier. »
DOUCEUR.
�io8
DOUCHER.
g. L'empereur Antonin , surnommé le Pieux et le Débonnaire , montra dans tous les temps de sa vie , une douceur inaltérable et supérieure aux injures. Dans une famine, la populace , qui ne se connoît plus lorsque le pain lui manque , lui jeta des pierres. Antonin , au lieu de venger l'autorité outragée, fit acheter du blé qu?il distribua gratuitement aux pauvres citoyens. Il visitait un jour la maison d'un opulent sénateur qu'on nommoit Omulus. Il y aperçut avec admiration des colonnes de porphyre , et lui demanda d'où lui venoit un ornement si magnifique : « Souvenez-vous « bien , répondit brusquement Omulus, lorsque vous « êtes dans la maison d'autrui , que vous devez être « sourd et muet. » Antonin supporta patiemment cette incartade d'un sénateur si peu respectueux. Voyez
BONTÉ , INDULG-ENCE , PATIENCE.
�ifitCATioir.
Ë D U C A f I Ô N. i. L'Ê législateur dè hàcéâèmôû'è', LyturgUë, prit fdeux petits éhïéns de même race , cnfil éleva chez lui id'uné maniéré bien; différéntë. Il nourrit l'un avëè délicatesse , et forma' l'autre âxài exercices de la chasse. jQnarid l'âgé éut fortifié fé* cérps' él l'éiS habitudes dé 'ses deux élèves, il lés" amena' dans la place publique , pït placer dévant éuxdés mets;fii'aiïds, et lâcha ensuite un lièvfé. Aussitôt l'un de cés Chiens côimrf Vers les mets dont' iï àvoit coutume d'être'nourri5 l'autre se mit cà poursuivre le lievfë avèé ardénr. En vain l'animal timide véutéviter l'ennemi. Lé chïénlë presse, éf l'attrape, 'f'oû'é lé peuplé applaudit! à' s'oli adroite agilité. 'Alôrs Lycufguè, s'adrës~sant à l'as'sémblée : « Ces dèux1 « chiens, dit-if, s'ont de mêmé racé ; voyez cependant « la différëricé que l'éducation a mise entre eux. » a. « Quand vous instruirez votre fils dans les lettres , « disoit-on au' philôsôphê Aristippé, quel profit éW <i rètirëra-t-il? — Du moins, répondit le sage, quand << il sera assis au théâtre , ôh ne pourra pas dire dé « lui, que c'est pièrré sur pierre. » Il demandent cent! drachmes pour élever ré fils d'un itbyéh frés-riçhe. Cét homme avare se récria sur la 'xarideur des honoraires exigés" : « Je pburrois, dit-il, « «à moins' dë frais , aVoir un escla'vë habile dans" îei « lettres , qui ihstrui'roit mon fils. — Eh bien ! fé« pondit Aristippé, achètéz cétësiclave : 3 fera"bientôt « de votre fils un autre lui-mëmé'', par le cœur et par « les sentimens ; voyez quel profit! âu liëu d'un « esclave, vous én aurez deux, iï 3. Quelqu'un dîsoiïh Agâ'siclès, roi de Lacédémone, qu'il s'étbrinoit de ce qu'étant avide de s'instruire, il ne faisait pasveriir auprès de lui Philophàné, sophiste alors très-célèbre. « Je veux, répondit-il, être le disciple « de ceux dont je tiens-'lë jour. >> Il ne pouvoitpasfâirè
�HO
ÉDUCATION".
entendre plus clairement, que la meilleure éducation est celle qui se donne par les parens eux-mêmes. 4- Dès que Philippe, roi de Macédoine, eut reçu la nouvelle de la naissance à' Alexandre-le-Grand , son fils, son premier soin fut dè songer à son éducation ; et pour remplir cet objet avec succès , il lui choisit pour précepteur le célèbre Aristote, l'un des plus fameux philosophes de la Grèce. « Je vous apprends, lui écrivit« il, que le ciel vient de me donner un fils. Je rends gra« ces aux dieux, non pas tant du présent qu'ils me font, « que de me l'avoir fait du temps à'Aristote. J'ai lieu de « me promettre que vous en ferez un successeur digne « de nous, digne de commander aux Macédoniens. » 5. La fameuse Cornélie, mère des Gracqnes, éleva ses enfans avec tant de soin , que , qnoiqu ils eussent reçu les plus heureuses dispositions, on jugeoit qu'ils dévoient encore plus à l'éducation que leur avoit donnée leur mèré, qu'à la nature même. La réponse que fit Cornélie, à leur sujet, à une dame campanienne, prouve combien elle avpit à cœur ce droit maternel. Cette dame qui étoit très-riche , et encore plus fastueuse , après avoir étalé à ses yeux, dans une visite qu'elle lui rendit, ses diamans, ses perles, ses bijoux les plus précieux , la pria avec instance de montrer aussi les siens. Cornélie fit tomber adroitement la conversation sur une autre matière , pour attendre le retour de ses fils qui étoient allés- aux écoles publiques. Quand ils en furent revenus, et qu'ils entrèrent dans la chambre de leur mère : « Voilà , dit-elle a la « dame campanienne , en les lui montrant de la main ; « voilà mes bijoux et ma plus belle parure. » 6. Une femme d'Ionie montroit à une Làcédémonienne un riche morceau de tapisserie qu'elle avoit fait elle-même. La Lacédémonienne, à son tour, lui montra quatre de ses enfans , qui'étoient des mieux élevés de la ville : « Pour moi , ajouta-t-ellc , voilà ce « qui a fait toute mon occupation : ce sont les seuls « ouvrages dont une femme de bien puisse se glorifier.)' 7. La célèbre Pulchérie , chargée de la tutèle de ^Théodose II, son frère, s'appliqua à former le cœur e'
�ÉDUCATION.
111
l'esprit de ce jeune prince. Elle commençapar écarter d'auprès de IniVeunuque Antiochus, qui, ayantétéjusqu'alorsson précepteur, s'oceupoitpl us des intrigues de cour et de ses propres intérêts, que de l'instruction de son souverain. Ensuite, n'osant confier à personne un emploi si important, elle s'en chargea elle-même. E'Ie jeta d'abord dans le cœur de Théodose les fondemens d'une piété solide, en le faisant instruire de la doctrine la plus pure, en l'accoutumant à prier souvent, à fréquenter les églises, à les décorer par de riches offrandes, à respecter les ministres des autels, et à honorer la vertu par-tout où elle se rencontroit. Comme les pratiques de religion ne sont pas incompatibles avec les vices du cœur, elle s'étudioit principalement à régler ses mœurs, à lui inspirer l'amour de la justice, la clémence , l'éloignement des plaisirs. Pour la culture de son esprit, elle se fit seconder par des maîtres vertueux, les plus instruits en chaque genre 5 et, ce qui n'est guère moins utile que d'habiles maîtres, elle lui procura des compagnons d'étude, capables d'exciter son émulation : c'étoientPaa/m etPlacite qui parvinrent ensuite aux premières dignités. Elle n'oublia point le soin de son extérieur. En mêm e temps qu'elle l'appliquoit à tous les exercices convenables de son âge, elleformoit ellemême ses discours, sa démarche, sa contenance : elle lui enseignoit l'art d'ajouter du prix aux bienfaits, et d'ôter aux refus ce qu'ils ont d'amer et de rebutant. Jusqu'à cë qu'il fût en âge de gouverner, ce fut elle qui dressa les ordonnances ; elle les lui faisoit signer, et lui laissoit tout l'honneur du commandement. 8. Un habitant de la province, homme riche, et qui ne connoissoil M. Rollin que de réputation, lui amena son fils pour être pensionnaire au collège deBeauvais, ne croyant pas que cela pût souffrir quelque difficulté. Le célèbre principal se défendit de le recevoir, sur ce qu'il n'a voit pas un pouce de terrain qui ne fût occupé ; et, pour l'en convaincre , il lui fit parcourir tous les logemens. Ce père, au désespoir, ne chercha point à l'exprimer par de vaines exclamations : « Je suis '< venu, lui dit-il, exprès à Paris ; je partirai demain :
�112
ÉDUCATION.
« fë vous enverrai ni oh fils avec un lit. Je n'ai qu'é «lui : vous le mettrez dans la coïïr, à la cave , si « vous voulez ; et de ce moment-fa, je n'aurai aucune « inquiétude. » Il le fit comme il l'avoit dit. M. Rdlliu fut obligé de recueillir le jeûné fiortihie ,' et dé' l'établir dans son cabinet, jusqu'à ce qu'il lui eût ménagé fine place ordinaire. 9. Chbsroès, roi de Perse , dit le philosophé Sdâi, âvoft un ministre dont il étoit côiitéhf , et t^oh't ïï s$ croyoif aimé. Un jour , ce ministre vifrt lui dënïander la permission de se retirer. « Pourquoi veux-tume qùit<< ter, lui dit le monarque ? J'ai fait tomber sur toi la 10« sec de ma bienfaisance ; mes esclaves nè distinguent « point tés ûrdrès dés miens : je t'ài .à^pprô'clîé aè mon « cà'ur, ne t'en éloignes jamais. » Mitràhe,( ainsi's'appeloit le ministre) , le sageMiirdnèrépondit : «Oroi! « je t'ai servi avec zèle, et tu m'enastfop f-écompè'hsé; << niais la riaturè m'impose aujourd'hui des devoirs sa« crés : souffre que je les remplisse. J'ai un1 fils ; iï n'ai << que moi pour lui apprendre à'té servir uft j ouf, comme « je t'ai s'è'rvï, —-J'ycônsèns, dit ChosroèJ, hïaîsà mie « èondïtion. Parmi les hommes debiéh'q^ièltf m'a'sfait H èôhnoitre, il n'en est aucun qui soit aussi digne que toi << d^éclairer et de former l'ame de mon fils : finis ta car« rière par le plus grand sèfvice qu'un homme puisse « rendre' aiïx âùfres hommes ; qu'ils té doivent tin boni « maître. Je cônnois: la corruption de la'cour : il ne faut « pas qu'un jeune prince la respiré ; pfèfids mon fils , et « vas l'instruire avec le tien dans la'fétfaitè, aûsëhrdé « l'innocence et de la vertu. » Mltrané partitavéc les deux ènfans ; et après cinq ou six années , il revinfavec ëux auprès de Chosroès, qui fut charmé dé revoir son fils , mais qui ne le trouva pas égal en mérite au fils de son ministre. Il sentit cette différèncéavec née douleur amèré : et il s'en plaignit à fflitftthë. <i O foi ! lui dit « le ministre, mon (ils af ai t un meilleur usage que le tien I des leçons que j'ai données à l'un et à l'autre : mes «' soins ont été partagés également entré énirmaisnioii « fils savoit qu'il auroil besoin dés hommes ; je n'ai pu « cachërau tienque leshommëVaiu-oientbèsohidëlui. »
10/
�K.BUCATIOTf. 1 15 10. La manière dont les Perses élevoieht le futur maître de l'empire , est admirée de Platon , et proposée aux Grecs comme un modèle parfait en ce genre. Il n'éloit point livré totalement au pouvoir de la nourrice, qui, pour l'ordinaire, étoit une femme d'une Lasse et obscure condition. On choisissoit parmides eunuques , c'est-à-dire , parmi les premiers officiers du palais , ceux qui avoient le plus de mérite et de probité , pour prendre soiu du corps et de la santé du jeune prince , jusqu'à l'âge de sept ans , et pour commencer à former ses mœurs. Alors on le tiroit d'entre leurs mains , et on le confioit à d'autres maîtres , pour continuel* de veiller à son éducation , pour lui apprendre à monter à cheval dès que ses forces pouvoient le permettre, et pour l'exercer à la chasse. A l'âge de quatorze ans, lorsque l'esprit commence à avoir plus de maturité, on lui donnoit pour son instruction quatre hommes des plus vertueux et des plus sages de l'état. Le premier, dit Platon , lui apprenoit la magie , c'est-à-dire, le culte des dieux , selonJes anciennes maximes , et .selon les lois de Zoroastre , fils à'Oromase ; et il lui donnoit en même temps les principes du gouvernement. Le second l'accoutumoit à dire la vérité et à rendre la justice. Le troisième lui enseignoit à ne jamais se laisser vaincre par les voluptés, afin d'être vraiment roi, maître de lui-même et de ses désirs. Le quatrième fortifioit son courage contre la crainte, qui en eut fait unesclav.e, ellui inspiroit cette sage et nobleassurance, si nécessaire pour le commandement. Chacun de ces gouverneurs excelloit éminemment dans la partie de l'éducation qui lui étoit confiée. L'un étoit recommandable sur-tout par la connaissance de la religion et de l'art de régner ; l'autre, par l'amour de la vérité et de la justice ; celui-là , par la tempérance et l'éloignement des plaisirs 5 le dernier enfin, par une force et une intrépidité d'ame non communes. 11. Chez les Perses, l'éducation des enfans étoit regardée comme le devoir le plus important, et la partie la plus essentielle du gouvernement. On ne s'en reposoit pas sur l'attention des pères et des mères, qu'une
Tome II
H
�r> 10 c A T i o N. aveugle et molle tendresse rend souvent incapables de ce soin. L'Etat s'en chargeoit. Ils étoient élevés en commun d'une manière uniforme. Tout y étoit réglé; le lieu, la durée des exercices , le temps des repas , la qualité du boire et du manger, le nombre des maîtres, les différentes sortes de chàtimens. Toute leur nourriture, aussi-bien pour les enfans que pour les jeunes gens, étoit du pain, du cresson et de l'eau; car on vouloit de bonne heure les accoutumer à la tempérance et à la sobriété.D'ailleurs, ces alimens simples et naturels leur fortilioieut le corps , et leur préparaient un fonds de santé capable de soutenir les plus dures fatigues de la guerre, jusques dans l'âge le plus avancé. Us alloient aux écoles pour y apprendre la justice, comme ailleurs pn y va pour apprendre les lettres et les sciences ; et le crime qu'on y punissoit le plus sévèrement , étoit l'ingratitude. . La vue des Perses , dans tous ces sages établissejnens, étoit d'aller au devant du mal , persuadés qu'il vaut bien mieux s'appliquer à prévenir les fautes, qu'à les punir. Us tàchoient de faire en sorte que parmi eux il n'y eût point de méchans. On étoit dans la classe des enfans jusqu'à seize ou dix-sept ans ; et c'est-là qu'ils apprenoient à tirer de l'arc et à lancer le javelot. Après cela, on entroit dans celle des jeunes gens : c'est alors qu'on les veilloit avec plus de soin , parce que cet âge a plus besoin que tout autre, d'une éducation scrupulsuse. Pendant dix années qu'ils restoient dans ce second ordre , ils passoient toutes les nuits aux corps-de-garde , tant pour la sûreté de la ville, que pour les accoutumer à la fatigue. Durant le jour , ils venoient recevoir les ordres de leurs gouverneurs , accompagnoient le roi lorsqu'il alloit à la chasse, ou se perfectionnoient dans les exercices. La troisième classe étoit composée des hommes faits. On y demeuroit vingt-cinq ans. C'est de là qu'on tiroit tous les officiers ■ qui dévoient commander dans les troupes , et remplir les différens postes du royaume,
n4
É
�iiâ les charges , les dignités. On ne les forçoit point à porter les armes hors du pays, quand ils avoient passé cinquante ans. Enfin, ils passoient dans le dernier ordre où l'on choisissoit les plus sages et les plus expérimentés pour former le conseil public , et les compagnies des juges. Par là tous les citoyens pouvoient aspirer aux premières chages de l'Etat ; mais on n'y pouvoit arriver qu'après avoir passé par ces différentes classes, et s'en être rendu capable par tous ces exercices. Ces classes étoient ouvertes à tous ; mais il n'y avoit ordinairement que ceux qui étoient assez riches pour entretenir leurs enfans sans travailler , qui les y envoyassent. 12..A Sparte, sitôt qu'un enfant étoit né, les anciens de chaque tribu le visitoient ; et, s'ils le trouvoient bien formé , fort et vigoureux , ils ordonnoient qu'il fûL nourri, et lui assignoient Un héritage. Si, au contraire , ils le trouvoient mal fait, délicat et foible , et s'ils jugeoient qu'il n'auroit ni assez de force, ni assez de santé pour remplir les devoirs pénibles de la vie spartaine, ils le condamnoient à périr , par une coutume inhumaine , et le faisoient exposer* Dès la pins tendre enfance , on accoutumôit les citoyens à n'être pas difficiles ni délicats pour le manger, à n'avoir point de peur dans les ténèbres, à ne s'épouvanter pas quand on les laissoit seuls ; à ne point se livrer à la mauvaise humeur, aux cris , aux pleurs, aux emportemens ; à marcher nu-pieds pour se faire à la fatigue; à coucher durement, et souvent sur la terre ; à porter le même habit en hiver ét en été , pour s'endurcir contre le froid et le chaud. A l'âge de sept ans , on les distribuoit dans les classes où ils étoient élevés tous ensemble sous la même discipline. Leur éducation n'étoit, à proprement parler , qu'un apprentissage d'obéissance ; le législateur ayant bien compris que le moyen le plus sûr d'avoir des citoyens ^soumis aux lois et aux magistrats , étoit d'apprendre aux enfans , dès leurs premières années, à être parfaitement soumis aux maîtres.Pendant qu'on étoit à table, le maître proposoit àeë H a
ÉDUCATION*
�n6 ÉDUCATION. questions aux jeunes gens.. On leur demandoit, par exemple : «Quel estle plus homme de bien de la ville? « Que dites-vous d'une telle action ? » Il falloit que la réponse fût prompte , et accompagnée d'une raison et d'une preuve conçue en peu de mots ; car on les accoutumoit de bonne heure au style laconique, c'està-dire , à des manières de parler courtes , précises et pleines de sens. Quant aux belles-lettres, ils ne s'y appliquoient que pour le besoin. Toutes les sciences étoient bannies de Leur-pays. Leur étude ne tendoit qu'à savoir obéir, à supporter les travaux, à vaincre dans les combats. Ils avoient pour surintendant de leur éducation un des plus honnêtes hommes de la ville, et des plus qualifiés, qui établissoit sur chaque troupe des maitres d'une sagesse et d'une probité reconnues. Afin d'inspirer aux jeunes gens destinés tous à la guerre, plus de finesse et de hardiesse, et pour leur apprendre à pourvoir eux-mêmes à leur subsistance, un vol d'une certaine espèce seulement, et qui n'en avoit que le nom , étant autorisé par la loi et par le consentement de tous les citoyens, leur étoit permis, et même commandé. Ils se glissoient le plus adroitement et le plus subtilement qu'ils pouvoient dans les jardins et dans les salles à manger, pour y dérober des herbes ou de la viande; et, s'ils étoient découverts , on les punissoit pour avoir manqué d'adresse. On raconte qu'un d'eux, ayant pris un petit renard, le cacha sous sa robe, et souffrit , sans jeter un seul cri , qu'il lui déchirât le ventre avec les ongles et les dents, jusqu'à ce qu'il tombât mort sur la place. La patience et la fermeté des jeunes Lacédémoniens éclataient sur-tout dans une fête qu'on célébroit en l'honneur de Diane, surnommée Orthia , où les enfans , sous les yeux de leurs parens , et en présence de toute la ville, se laissoient fouetter jusqu'au sang sur l'autel de celte inhumaine déesse. Quelquefois ils expiroient sous les coups, sans pousser aucun cri, ni même aucun soupir. . i3. Il est étonnant que Sparte , cette ville si renommée en matière d'éducatioa et de politique , aii, cru
�EDUCATION.
117
devoir relâcher quelque chose de la sévérité de sa discipline en faveur des princes qui dévoient régner, au lieu que c'étoient eux qui avoient plus besoin que les autres d'être soumis de bonne heure au joug de l'obéissance , pour être dans la suite en état de mieux commander : c'est ce qui n'arriva point au fameux Agésilas. Comme, par les lois, le royaume apparlenoit à Agis ; son frère aîné, ce prince qui paroissoit devoir passer sa vie dans l'état de simple particulier, av oit été élevé, comme les autres enfans , dans la discipline de Lacédémone, rude, pénible, laborieuse, mais aussi très>ropre à former les enfans à la docilité, à la soumission a plus aveugle. Ainsi ce prince eut cela de particulier, qu'il ne parvint au commandement qu'après avoir parfaitementappris à obéir. De là vint que de tous les rois de Sparte, il fut celui qui sut le mieux se faire aimer et estimer de ses sujets, parce que ce prince , aux qualités que lui avoit données la nature, avoit ajouté par l'éducation l'avantage d'être humain et populaire. 1.4- Les exercices qui servoient à former , soit le corps , soit l'esprit des jeunes Athéniens , étoient la danse, la musique, la chasse, l'art de faire des armes et de monter à cheval, l'étude des belles-lettres, et celle des sciences. La danse est un des exercices du corps que les Grecs ont cultivé avec le plus de soin. Elle avoit pouiv objet de former aux mouvemens les plus propres à rendre la taille libre et dégagée , à donner au corps une belle proportion , et à toute la personne cet air aisé , noble et gracieux , qui caractérise ceux qui y ont été exercés de bonne heure. Ln musique n'éloit pas cultivée avec moins d'application , ni moins de succès. Les anciens lui attribuoient des effets merveilleux. Ils Ja croyoient très-propre à calmer les passions, à adoucir les mœurs, et même à humaniser les peuples, naturellement sauvages et barbares. '•> On prenoit encore avec assiduité des leçons des maîtres de palestres. On appeloit palestres ou gymnases, les lieux destinés à ces sortes d'exercices 5 ce
Î
�Il8
ÉDUGATIOTf.
qui répondoità peu près à nos académies. Ils rendoient le corps plus léger, plus propre à la course ; plus, ferme, plus robuste, plus souple, pins capable de soutenir de grandes fatigues, et de faire de grands efforts. D'autres maîtres apprenoient à la jeunesse à monter à cheval, à faire des armes , et leur développoient tout ce qu'il faut savoir pour exceller dans l'art militaire, et pour devenir un bon commandant. Afin de joindre , en quelque sorte, les exemples aux préceptes, on accoutumoit de bonne heure les jeunes gens aux exercices de la chasse, qui étoient pour eux une image de la guerre. C'est dans les forêts qu'ils se familiarisoient avec la faim, la soif, le chaud, le froid, la fatigue. Ils contractoient l'heureuse habitude de n'être rebutés ni par la longueur de la course , ni par l'âpre té des lieux difficiles et des broussailles qu'il faut souvent percer , ni par le peu de succès des longs et pénibles travaux qu'on essuie quelquefois inutilement. Après les exercices du corps, venoient ceux de l'esprit. Athènes étoit, à proprement parler, l'école et le domicile des beaux-arts et des sciences. Poésie , éloquence , philosophie, mathématiques, tels étoient les utiles amusemens de la jeunesse athénienne. D'abord on envovoit les enfans chez des maîtres de grammaire, qui leur apprenoient régulièrement, et par principes, leur propre langue, qui leur en faisoient sentir toute la beauté, toute la richesse , l'énergie , le nombre et la caderfce. De là cette finesse de goût répandu généralement dans A thènes, où l'histoire nous apprend qu'une simple vendeuse d'herbes s'aperçut, à la seule affectation d'un mot, que l'héophraste étoit étranger.Ce philosophe contestait avec elle sur le prix d'une salade ; il emploie une expression qui n'était pas attique : «Allez, « monsieur l'étranger , lui dit la marchande, vous né « l'aurez pas à moins, » De là cette crainte qu'avoient les orateurs de blesser , par quelque terme peu concerté , des oreilles si délicates. Il étoit ordinaire parmi les jeunes gens d'apprendre par coeur toutes les tragédies nouvelles , et les meilleurs morceaux de poésie. Quant à l'éloquence, il n'est pas étonnant qu'on en
�ÉDUCATION.
lig
fît une étude particulière à Athènes. Elle ouvroit la porte aux premières charges ; elle dominoit. dans les assemblées ; elle décidoit des plus importantes affaires de l'Etat ; elle donnoit un pouvoir presque souverain à ceux qui avoient le talent de bien manier la parole. C'etoit donc, là la grande occupation des jeunes citoyens d'Athènes, sur-tout de ceux qui aspiroientanx premières places. A l'étude de la rhétorique, ils joignoient celle de la philosophie, c'est-à-dire , de toutes les sciences qui sont comprises sous ce terme générique. i5. Philopémen, l'un des plus grands guerriers qui aient illustré la Grèce, et qui fut appelé le dernier des (?recj,dutauxsoinspaternels de Cassandre,son tuteur,, les grandes qualités qui l'immortalisèrent. An sortir de l'enfance, il fut mis entre les mains d'Ecdémvs et de Démophane, citoyens de Mégalopolis,disciples à'Arcélisas, fondateur de la nouvelle académie. Le but de la philosophie , dans ces temps-là , étoit de porter les hommes à servir leur patrie , de les former , par ses. préceptes, au gouvernement de la république, et au maniement des grandes affaires. Philopémen écoutoit volontiers les discours des philosophes , et lisoit avec plaisir leurs traités , non pas tous indifféremment * mais seulement ceux qui pouvoient l'aider à faire du progrès dans la vertu. 11 aimoit sur-tout à lire les traités A'Evangelus, qu'on appeloit les Tactiques, parce qu'ils enseignent l'art de ranger les troupes eu bataille, et les histoires de la vie d'Alexandre. De toutes les grandes idées d'Homère , 'il ne cherchoit et ne retenoit que celles qui peuvent aiguiser le courage, et porter à dé grandes actions. Aussi, dès son enfance, la guerre futelle son unique passion , et son digne tuteur eut soin de fortifier en lui cette noble et généreuse ardeur. Il alloit sans cesse avec les guerriers : il ne s'appliquoit volontiers qu'aux exercices qui pouvoient le rendre propre à sa profession chérie. Il combattoit armé : il montoit à cheval; illancoitle javelot ; et, comme il paroissoit très-bien formé et très-bien constitué pour la lutte, et que quelques amis particuliers l'exhortoient
H4
�V
îao ÏDBCATI8 9F« à s'y applique!*, il leur demanda si l'exercice des athlètes étoit propre à faire un bon soldat?Us ne purent s'empêcher de lui répondre que la vie des athlètes, obligés de garder un régime fixe et réglé , de prendre de certaines nourritures , et toujours aux mêmes heures, et de donner un certaintemps ausommeil'pourconscrver leur embonpoint qui faisoit la plus grande partie de leurmérite, étoit toute différente de celle des gens de guerre, qui sont souvent dans la nécessité de supporter la faim etlasoif, lefroid etle chaud, et qui n'ont point toujours des heures marquées ni pour la nourriture, ni pour le repos. Depuis cette réponse, il eut un souverain mépris pour les exercices athlétiques, ne les jugeant d'aucune utilité pour le bien pubbe, et les trouvant par cela même peu dignes d'un homme qui a quelqu'éïeyatjon, queîquestalens, quelqu'amour pour sa patrie.. . Dès qu'il fut sorti des mains de ses gouverneurs et de ses maîtres, il se mit dans les troupes que la ville de Mégalopolis enVoyoit faire des courses dans la Laconie, pour piller et pour en emmener des troupeaux et des esclaves ; et , dans toutes ces courses , il étoit toujours le premier quand on sortoit, et le dernier quand on revenoit. Tout ce qu'il gagaott à la guerre, il le dépensoit en chevaux et en armes , ou bien il Femployoit h payer la rançon de ceux de ses concitoyens qui avoient été faits prisonniers. Il tachoit d'augmenter son revenu , en mettant lui-même ses terres en valeur , durant le loisir de la paix , et il ne se contentoit pas de s'y arrêter en passant, et pour son seul plaisir ; mais il y donnoit tous ses soins, persuadé qu'il n'y a rien qui convienne plus à un homme de probité et d'honneur , que de faire profiter son bien, en s'abstenant de celui des autres. Le soir il se jetoit sur une méchante paillasse , comme ses esclaves , et passoit ainsi la nuit. Le lendemain, àla pointe du jour, ilailoit avec ses vignerons travailler à la vigne, ou mener la charrue avec ses laboureurs , ou bien il alloit à la chasse , afin de se rendre plus robuste et plus léger; après quoi il s'en retournoit à la ville , pour vaquer aux affaires publiques, avec ses amis et les magistrats»
�ÉDUCATION.
121
16. Tout conspiroit à inspirer aux Romains une ar-
deur martiale. Les guerres continuelles qu'ils eurent à soutenir contre leursvoisins leur rendirentle métierdes armes nécessaire et familier. Le labour, qui faisoit leur occupation ordinaire, les préparait merveilleusement aux exercices militaires. Le rude travail de la campagne endurcit et fortifie le soldat, au lieu que la ville n'est propre qu'à l'amollir..Nulles fatigues ne rebutent des mains qui passent de la charrue aux armes. On a peine à croire ce que les auteurs nous disent des soldats romains. On les aceoutnmoit à faire , en cinq heures , vingt , et quelquefois vingt-quatre milles de chemin, c'est-à-dire , au moins six ou sept lieues. Pendant ces marches, on leur faisoit porter des poids de soixante livres. On les entretenoit dans l'habitude de courir et de sauter tout armés. Combien les jeunesRomains s'endurcissoient-ils par les exercices du Champ-de-Mars, où, après de longues courses à pied et à cheval, ils se jetoieut, pleins de sueur, dans le Tibre, et lepassoient à la nage ! Voilà de quoi ils se piquoient, et voilà ce qui formoit les soldats et les officiers. La jeunesse romaine , dit Salluste, dès qu'elle étoit en état de porter les armes, apprenoit le métier de la guerre, en s'exerçant dans le camp aux plus rudes travaux. Elle se piquoit, non de donner des repas, ou de se livrer aux plaisirs , mais d'avoir de belles armes et de beaux chevaux. Aussinulles fatiguesnelassoientdetelshommes, nulles difficnltésne lesrebutoient, nulennemineleurinspiroit de la frayeur.Leur courage les rendoitsupérieurs à tout. Nul combat plus vif et plus animé pour eux que celui de l'émulation qui les portoit à se disputer les uns aux autres le prix de la gloire. Frapper l'ennemi, escalader une muraille, sefaire distinguer par quelque action hardie, c'éloit là toute leur ambition 5 c'est par où ils cherchoient à se faire estimer ; c'est en quoi ils croyoient que consistait la véritable noblesse. Les soldats, endurcis de la sorte dès leurs plus tendres années, jouissoient ordinairement d'une santé robuste. On ne remarque pas , dans les auteurs , que les armées romaines , qui faisoient la guerre en tant de climats, périssent beau-
�122
ÉDUCATION.
coup par les maladies ; au lieu qu'il arrive souvent aujourd'hui que les armées , sans avoir combattu , se fondent, pour ainsi dire, dans une seule campagne. 17. Henri de Mesmes, l'un des plus illustres magistrats du seizième siècle, raconte en ces termes la manière dont il fut élevé. « Mon père, dit-il, me donna « pour précepteur JeanMaludun, Limousin, disciple « de Dauzat, homme savant, choisi pour sa vie inno« cente , d'âge convenable à conduire ma jeunesse., « jusqu'à temps que je me susse gouverner moi-même, « comme il fit; car il avança tellement ses études, par « veilles et travaux incroyables, qu'il alla toujours aussi « avant devant moi, comme il étoit requis pour m'en« seigner, et ne sortit de sa charge, sinon lorsque j'en« trai en office. Avec lui et mon puis-né Jean-Jacques « de Mesmes, je fus mis au collège de Bourgogne, dès « l'an 1542, en la troisième classe ; puis je fis un an peu « moins de la première. Mon père disoit qu'en cette « nourriture du collège , il avoit eu deux regards ; l'un, « à la conversation de la jeunesse gaie et innocente ; « l'autre, à la discipline scholastique, pour nous faire « oublier les mignardises de la maison, et comme pour « nous dégorger en eau courante. Je trouve que ces « dix-huit mois de collège me firent assez bien. J'ap« pris à répéter, disputer et haranguer en public ; pris « connoissance d'honnêtes enfans, dont aucuns vivent « aujourd'hui ; appris la vie frugale de la scholarité, et << à régler mes heures : tellement que sortant de là, je << récitai en public plusieurs vers latins, et deux mille « vers grecs, faits selon l'âge; recitaiHomèreparcœur « d'un bout à l'autre. Qui fut cause, après cela, que « j'étois bien vu par les premiers hommes dutemps,et « monprécepteurme menoitquelquefois chezLazarus « Bàifius, Tusanus ,Strazellius,Castillanus etDace« sius, a^ec honneur et progrès aux lettres. L'an i545, « je fus envo3ré à Toulouse , pour étudier en lois , « avec mon précepteur et mon frère , sous la con« duite d'un vieil gentilhomme tout blanc , qui avoit « long-temps voyagé par le monde. Nous fûmes trois
�ÉDUCATION.
123
ns auditeurs , en plus étroites et pénibles études rue ceux de maintenant ne voudraient supporter, fous.étions debout à quatre heures, et, ayant prié _)ieu, allions à cinq heures aux études , nos gros livres sous le bras, nos écritoires et nos chandeliers à la main. Nous oyons toutes les lectures jusqu'à dix heures sonnées, sans intermission; puis venions dîner , après avoir en hâte conféré demi-heure cè ■qu'avions écrit deslectures. Après dîner, nous lisions, par forme de jeu, Sophocles 4 ou Aristophanes , ou Euripides, et quelquefois Démosthènes , Cicero , Virgilius , Horatius. A une heure , aux études 5 à cinq , au logis , à répéter et, voir dans nos livres «les lieux allégués , jusqu'après six ; puis nous sou■pions , et lisions en grec ou en latin. Les fêtes , à 9 la grand'messe et vêpres. Au reste du jour , un peu ■ de musique et de pourmenoir. Quelquefois nous ■allions dîner chez nos amis paternels , qui nous in■ vitoient plus souvent qu'on ne nous y vouloit mener. ■ Le reste du jour , aux livres , et avions ordinaireImeut avec nous Hadrianus Turnebus, et Dionysius mLambynus , et autres savans du temps. » I 18. JDiogene voyant un jeune homme se comporter Byec indécence , se mit à battre son précepteur , en jftii disant : « Est-ce ainsi, misérable , que tu formes B nos citoyens ? » 1 19. Le défaut ordinaire des gouverneurs et de tous ■eux qui travaillent à l'éducation des princes , est de ■s flatter dans leurs caprices. C'est ce que fit trèsBien sentir , un jour , le domestique d'un prince , Bar une expression vive et plaisante. On lui demandoit Be que ce jeune seigneur, qui venoit d'achever ses «tudes et ses exercices , avoit le mieux appris ? B C'est, répondit-il, à monter à cheval, parce que S ses chevaux ne l'ont pas flatté. » I zo. L'éducation anglaise se trouve, pour ainsi dire, ■oyée dans les auteurs classiques : c'est un reproche ■n on lui fait depuis long-temps. Le célèbre Bentley en ■ffre une preuve. Dans un voyage qu'il fit en France,
�124
ÉDUCATION.
il alla voir la comtesse de Ferrers. Il trouva chez cette dame une compagnie très-nombreuse, au milieu de laquelle il fut si embarrassé , qu'il ne savoit quelle contenance tenir. Las de cette situation pénible qui sentoit lui-même , il se retira. Dès qu'il fut sorti, oa ! : demanda à la comtesse ce que c'étoit que cet homme, qu'on trouvoit très-ridicule, et sur lequel chacun| disoit son mot. « C'est un homme si savant, répondit g « la comtesse , qu'il peut vous dire en grec et eni « hébreu ce que c'est qu'une chaise , mais qui m « sait pas s'en servir. » 21. Une dame d'esprit avoit un fils , et craignoitsi fort de le rendre malade en le contredisant, qu'il étoit devenu un petit tyran, et entroit en fureur à la moindre résistance qu'on osoit faire à ses volontés les plus bizarres. Le mari de cette dame, ses parens,ses amis! lui représentoient qu'elle perdoit ce fils chéri ; tontétoit inutile. Un jour qu'elle étoit dans sa chambre, elle en-l tendit son fils qui pleuroit dans la cour : il s'égrat.ignoill le visage de rage, parce qu'un domestique lui refnsoitl une chose qu'il vouloit. « Vous êtes bien impertinent! « dit-elle à ce valet, de ne pas donner à cet enfant cel « qu'il demande : obéissez-lui tout à l'heure—Parniaj « foi, madame, répondit le valet, il pourrait crier jus-l « qu'à demain, qu'il ne l'auroit pas. » A ces mots , lai dame devint furieuse et prête à tomber en convulsion. I Elle court ; et passant dans une salle où étoit son mari, avec quelques-uns de ses amis, elle le prie de la suivre, I et de mettre dehors l'impudent qui lui résiste. Le mari, I qui étoit aussi foible pour sa femme, qu'elle l'étoitpour 1 son fils , la suit en levant les épaules ; et la compagnie g se mit à la fenêtre , pour voir de quoi il étoit question. I « Insolent, dit-il au valet, comment avez-vous la liar« diesse de désobéir à madame, en refusant à l'enfantI « ce qu'il vous demande ? — En vérité, mousieur, dit l « le valet, madame n'a qu'à le lui donner elle-même. « Il y a un quart-d'heure qu'il a vu la lune dans un seau j « d'eau, et il veut que je la lui donne. » A ces paroles, le mari et toute la compagnie ne purent retenir de1 grands éclats de rire, La dame elle-même , malgré sa j
1
�125 colore , ne put s'empêcher de rire aussi ; ensuite elle ieii fui. si houleuse do cette scène , qu'elle se corrigea , et 'Ht parvint à faire un aimable enfant de ce petit être vil maussade et, volontaire. Bien des mères auraient be011 soin d'une pareille aventure. Voyez AMOUR PATEKÏMEL.
ÉGALITÉ
T>'
A M K.
ie.
Mil
k
ÉGALITÉ D'AME.
UI
s
flV T \ des sept sages de la Grèce , Bias, disoit ordii. \J
naii-enieni qu'un homme qui ne pouvoitsupporter l'infortune étoit, véritablement malheureux. Ce philosophe a^issoit d'une manière conforme à sa doctrine, jHvilie de Prienne , sa patrie , étoit en proie aux enneinis. Les citoyens tremblans prenoient la fuite , et chacun emportoit à la hâte ce qu'il avoit de plus prédeux. Au milieu du tumulte , au milieu des cris du désespoir , le seul Bias étoit tranquille : lui seul ne voulut se charger de rien ; et comme on lui demandoit la raison de cette indifférence : « Qu'ai-je à perdre, ré« pondit-il ? n'ai-je pas tou tes mes richesses avec moi ? » 2. Caton le jeune ayant demandé le consulat, fut refusé presque d'une voix unanime ; mais cette disgrâce, loin d'abattre son courage j fit briller avec plus d'éclat sa magnanime fermeté. On trouvoit mauvais que Sulpicius , qui lui avoit de grandes obligations ., se fût déclaré son cpmpétiteur : « Est-il surprenant, « dit-il, qu'on ne veuille pas céder à un autre ce que « l'on regarde comme le plus grand des biens ? » Ordinajrement le jour où le candidat avoit manqué une 1fne qu'il demandoit, étoit un jour de deuil pour 'il ? pour ses proches , pour ses amis ; souvent même la douleur et la honte faisoient que l'on se tenoit long-temps caché. Caton ne changea rien dans sa Wipière de vivre. On le vit, le jour même , jouer à la longue paume dans le Champ-de-Mars , et ensuite se promener avec ses amis , d'un air aussi tranquille 1ue s'*»l »e lui fût rien arrivé de fâcheux. 3, La ville de Messène s'étoit détachée de la ligue
oj| nus is( oit
i).
ut )il ■t,
I,J
ce
iv la n, i i i,, jc n.
;
,
rjt il
c. u
;
le
�126
ÉGALITÉ
D' AME.
des Achéens ; elDinocrate, chef des Messéniens, s>| venca, à main armée , sur les terres de Mégalopolis, patrie du célèbre Philopémen. Ce grand homme étoit alors malade de la fièvre à Argos. Dès qu'il apprit cette nouvelle , il se rendit promptement à Mégalopolis. li prit avec lui une troupe de jeunes cavaliers des plus distingués de la ville, et marcha à leur tête contreMessène. 11 trouvaDinocrate qui venoità sa rencontre : il le chargea et lemit en fuite ; maiscinqcentschevaux, qui gardoient le plat pays de Messène, étant survenus, et les troupes de Dinocrate s'étant ralliées, Philopémen craignit d'être enveloppé. Voulant sauver les jeunes cavaliers qui étoient avec lui, il prit le parti de la rétraite,se tenant toujours à la queue, et tournant souvent tête aux ennemis lorsqu'il en étoit trop près. lis n'osoient l'approcher : mais ils caracoloient autour avecj de grands cris. A près s'être avancé plusieurs fois con-[ tre eux, pour donner le temps à ces jeunes gens de sel retirer, il se trouva , sans y avoir pris garde, seul ; milieu de cette foule d'ennemis. Aucun n'eut pourtant l'audace d'en venir aux mains avec lui; mais en l'accablantde traits, ils ie poussèrent dans des lieux pleins de rochers et de précipices, où il ne pouvoit faire passer son cheval, quoiqu'à grands coups d'éperons il lui déchirât les flancs. Philopémen, affaibli par la maladie ! fatigué du chemin qu'il avoit fait, étoit pesant, et pou-I voit à peine se remuer. Son cheval venant à broncher,! le jeta par terre. Sa chute fut rude : il se fit une si grande plaie à la tête,qu'il demeura long-temps étendu! sur la place , sans voix et sans mouvement. Les enne mis le croyant mort, s'approchèrent , et commencèrent à le tourner pour le dépouiller. Dans ce moment, il leva la tête et ouvrit les yeux. Les ennemis voyant1 qu'il respiroit encore, se jetèrent en foule sur lui, lui lièrent les mains derrière le dos ; et l'accablant df chaînes, ils le menèrent en cet état à Messène, en lui, faisant mille outrages. On l'enferma dans un sombrep cachot, qui ne recevoit aucun air ni aucun jour de dehors, et qui n'avoit point d'autre porte qu'une grossi pierre qu'on rouloit à l 'entrée 5 et l'on toit tout au toi»
�ÉGALITÉ D' A M E. 127 des soldats pour le garder. Dès que la nuit fut venue et que le peuple se fut retiré , Dinocrate fit ouvrir l'affreuse prison de l'infortuné Philopémen , et y fit descendre l'exécuteur pour porter le poison à ce grand homme, avec ordre de ne le quitter que quand il l'auroit avaié. Quand l'exécuteur entra , il étoit couché sur son manteau , sans dormir , occupé des malheurs de sa patrie , indifférent sur ses propres disgrâces. Dès qu'il vit de la lumière , et cet homme près de lui, tenant sa lampe d'une main , et la coupe empoisonnée de l'autre , il se releva avec peine , à cause de sa grande foibl esse 5 et prenant la liqueur mortelle, il demanda à l'exécuteur des nouvelles de ces jeunes cavaliers qui étoient avec lui. L'exécuteur lui répondit qu'il avoit ouï dire qu'ils s'étoient tous sauvés. Philopémen le remercia d'un signe de tête ; et le regardant avec douceur : « Mon ami, lui dit-il , tu me donnes« là une bonne nouvelle ; nous ne sommes donc pas « malheureux en tout. » Ce furent ses dernières paroles. Il avala ensuite tranquillement le funeste breuvage , et se recoucha sur son manteau, sans pousser le moindre soupir. Il étoit si abattu et si foible , que le poison lui donna la mort presque dans le même instant. 4- Le prince Eugène, malgré les ordres exprès de l'empereur , avoit livré la fameuse bataille de Zenta contre les Turcs. Il avoit remporté une victoire complète , et fait un immense butin, sans avoir perdu que quatre cent trente hommes. Cette action si glorieuse pour lui, fut presque la cause de sadisgrace. Ses ennemis représentèrent àl'empereur que le succès du prince Eugène n'excusoit pas sa témérité et sa désobéissance aux ordres de son maître. L'empereur étoit extrêmement jaloux de son autorité. Il n'étoit pas fâché delà victoire qu'Eugène avoit remportée 5 mais il ne pouvoit souffrir qu'on crûtqu'il n'avoit pas assez respecté ses ordres. II auroit voulu qu'Eugène eût pu vaincre, et ne pas désobéir j ou plutôt il auroit voulu n'avoir pas donné luimême un ordre si contraire à ses intérêts. Les envieux du prince , qui connoissoient le foible de l'empereur, parvinrent à l'irriter contre un héros qui venoit de lui
�128
É C
iL
I T É
D'A M E.
rendre un service s; important. Eugène, ignorantee qui se tramoit contre lui, s'avançoitvers Vienne, au milieu des acclamations des peuples. Lorsqu'il arriva, les habitans accoururent en foule pour le voir. Us le nommoieniYange tutélaire, le libérateur de l'empire. Il demanda et obtint audience de .l'empereur ; mais il en fut reçu si froidement, qu'il en fut tout déconcerté. Il se remit cependant bientôt du trouble où l'avoit jeté un accueil si peu attendu. Il déposa entre les mains de sa majesté impériale le sceau de l'empire ottoman , que le grand-visir avoitlaissé avec la vie à la bataille de Zenta; et, avec une fermeté digne de son innocence , il rendit compte à l'empereur de tout ce qu'il avoit fait, et de l'état où il avoit laissé les affaires en Hongrie. Ce monarque l'écouta sans l'interrompre , ni pour le louer, ni pour le blâmer. Si Eugène fut étonné de cette conduite , il eut sujet de l'être bien davantage, lorsqu'un seigneur de ses amis lui donna avis qu'on pensoit à l'arrêter , et que l'on parloit de lui faire son procès dans le conseil aulique de guerre. Quelques momens après, le comte de Schilck, capitaine des trabans de la garde impériale , vint lui demander son épée , et lui défendre de la part de l'empereur, de sortir de Vienne. Eugène reçut avec respect cet ordre, quelque peu équitable qu'il lui parût. « Voilà , dit-il à cet officier, cette « épée que l'empereur demande : elle est encore fu<i mante du sang de ses ennemis ; et je consens à ne la « plus reprendre, si je ne puis continuer à l'employer « pour son service. » Quelque soin qu'on prît pour cacher cette affaire , toute la ville en fut bientôt informée. Les bourgeois s'assembloient et complotoient comment ils feroient pour délivrer le prince Eugène , si l'on vouloit attenter quelque chose contre sa vie ou contre sa liberté. « Quoi ! disoient-ils , voilà donc la « reconnoissance qu'on a pour un héros qui a sauvé « Vienne et l'empire de la fureur des Infidèles ? » Leur affection pour ce prince alla si loin , qu'ils lui députèrent les principaux d'entr'eux pour l'assurer qu'ils le défendroient contre quiconque oseroit attenter sur sa personne : ils' lui offrirent même de veiller à la garde de
son
�É G A LITE
D' A M E.
12g
son palais. « Je vous remercie , Messieurs , . leur ré« pondit le prince , de votre zèle et de votre affection « pour moi ; je ne veux point d'autre garant de ma « sûreté , que la droiture de ma conduite , le bon té« moignage de ma conscience , et le peu que j'ai fait « pour le service de sa majesté impériale. Ce monarque « est trop éclairé pour ne pas discerner la vérité d'avec « la calomnie, et trop équitable pour ne pas me rendre « bientôt justice. » Les députés se retirèrent, en l'assurant que tous les bourgeois étoient résolus de sacrifier leui's biens et leurs vies, plutôt que de souffrir qu'on lui causât le moindre déplaisir. Soit que cette démarche des habitans de Vienne eût fait craindre quelque émeute à l'empereur , soit qu'elle eût réveillé sa bonté naturelle, et qu'il ne voulût pas céder au peuple en reconnoissance, le cœur de ce monarque changea , dès ce jour même , en faveur d'Eugène. Il lui rendit toute sa confiance , et n'oublia rien pour effacer de son'espTit toute idée du chagrin qu'il lui avoit causé; il le nomma encore pour commander son armée de Hongrie; et, pourôter à ses ennemis tout prétexte de blâmer ses actions, il lui donna par écrit une permission secrète, et signée de sa propre main , de faire tout ce qu'il juçeroit de plus à propos pour son service, sans qu'il pût être recherché ni pour les bons ni pour les mauvais succès , sous quelque prétexte que ce pût être. Ce ne fut qu'à cette condition qu'Eugène voulut commander désormaislesarméesdel'empereur. 5. Lareinei?&'aZ>e£/ia3'antfaitarrêtcrMarie Stuard, reine d'Ecosse, sa cousine, qu'elle n'aimoitpas, résolut de lafairemourir, sous prétexte qu'elle avoittrempé dans une conjuration contre l'Angleterre. On lui fit son procès ; et des juges , vendus à la cour de Londres , prononcèrent l'arrêt de mort. Marie, qui étoit renferméeauchàteaudeFrondigua, enrecutlanouvelleavec une héroïque fermeté. Le soir , après avoir partagé le peu qu'elle avoit à ses domestiques, elle se mit à souper. Elle but à la santé de ses amis, qui, fondant en larmes, la remercièrent à genoux. Après souper , elle les fit tous approcher , baisa les filles et les femmes , et perTome IL I
�l3o
ÉGALITÉ
D'A M.
mit aux hommes de lui baiser la main. Ensuite elle se confessa , et se mit à prier , les genoux en terre. S'étant levée , elle se coucha et dormit un peu toute habillée-, et après un léger et court sommeil , elle se remit à prier avec son confesseur. Le lendemain matin, les comtes de Salisbury et de Kent, exécuteurs delà sentence, entrèrent dans sa chambre. Sitôt qu'elle entendit ouvrir la porte , elle alla au-devant de ces seigneurs , et leur dit : « Milords, soyez les bien venus ! « J'ai été cette nuit plus vigilante que vous. » Ensuite elle mit la main sur l'épaule du milord qui la gardoit, parce que sa longue prison lui avoit causé une goutte sciatique qui l'empêehoit de marcher 5 et s'appuyant ainsi sur lui, elle alla au lieu du supplice. Elle avoit la tête couverte d'un voile 3 elle tenoit un crucifix à la main , et sa couronne pendoit à sa ceinture. On la conduisit dans une grande salle du palais , qui étoit tapissée de noir , et s'étant assise sur une chaise, le greffier lutla sentence; après quoi,lareines'étanttournée du côté du peuple qui assistoit à son exécution , elle Jour dit : « Vous voyez un spectacle nouveau : une « reine qui meurt sur un échafaud. Je n'avois pas couc. tume de me déshabiller en présence de tant de gens, « encore moins d'avoir des bourreaux pour valets-de« chambre ; mais il faut vouloir ce que Dieu veut.» Elle se mit à genoux , tendit la tête que l'exécuteur lui abattit en deux coups. Un autre bourreau la prit, et la montrant aux spectateurs : « Ainsi puissent périr, « s'écria-t-il, les ennemis de Dieuetceuxdelareine! » Souhait bien digne de la princesse qui l'avoit dicté ! 6. Alexandre-le-Grand, s'étantbaignédans les eaux du Cydnus, fut tout-à-coup saisi d'un frisson qui le mit aux portes du tombeau. Quand il eut repris connoissance , il lit venir ses confidens et ses médecins. Il les pria de lui faire recouvrer la santé , ou de lui donner une prompte mort. L'impatience du monarque alarma tout le monde. Les médecins , qui savoient qu'on les rendroit responsables de l'événement , n'osoient hasarder un remède violent et extraordinaire , d'autant moins que Darius avoit fait publier qu'il donueroit
�ÉGALITÉ D'AU I3I mille talens à quiconque tueroit le roi de Macédoine. Philippe, un des médecins d'Alexandre, qui, l'ayant toujours servi dès son bas âge , l'aimoit tendrement, non-seulementcomme son souverain, mais comme son nourrisson , s'élevant, par affection pour son maître, au dessus de toutes les considérations d'une prudence timide, offrit de lui donner un remède qui, sans être fort violent, opéreroit un prompt effet. 11 demanda trois jours pour le préparer. Cependant le monarque reçut une lettre de Parmênion , par laquelle cet officier, en qui il avoit beaucoup de confiance, lui mandoitde se garder de Philippe, parce que Darius Favoit corrompu par ses promesses. Cette lettre jeta le prince dans une grande perplexité ; mais enfin la confiance en un médecin dont il avoit connu et éprouvé, dès sa première enfance, le tendre et fidèle attachement, l'emporta bientôt, et dissipa tous ses doutes. S'armant d'une héroïque fermeté, il referma la lettre, et la mit sous son chevet, sans la communiquer à personne. Le jourvenu, Philippe entra avec son remède. Alexandre, tirant la lettre de Parmênion , la donne à lire au médecin: en même temps, il prend la coupe; et, les yeux attachés sur lui, il l'avale sans hésiter, et sans témoigner ni le moindre soupçon , ni la moindre inquiétude. Philippe , en lisant la lettre , avoit montré plus d'indignation que de surprise et de crainte; etla jetant sur le lit du roi : « Seigneur , lui dit-il d'un ton ferme « et assuré , votre guérison me justifiera bientôt du « parricide dont on m'accuse. La seule grâce que je « vous démande est que vous mettiez votre esprit en « repos , et que vous laissiez opérer le remède , sans « songer à cet avis que vous ont donné des serviteurs « pleins de zèle, à la vérité , mais d'un zèle indiscret, » et tout à fait hors de saison. » Ces paroles ne rassurèrent pas seulement le roi, mais remplirent sou ame de joie et d'espérance ; et prenant Philippe par la main : « Soyez vous-même en repos, lui dit-il ; car je « vous crois doublement inquiet, sur ma guérison « d'abord, puis sur votre justification. » La médecine fut heureuse. Le monarque recouvra ses forces et ja I 2
�l52 EGALITE DAME. première vigueur; et bientôt il se fit voir à ses soldats? qui adorèrent presque comme un dieu l'habile homme qui leur avoit rendu ce prince chéri. 7. Louis XIV ne. fut pas toujours heureux; mais sa constance , l'égalité d'ame , l'héroïque fermeté , avec lesquelles il soutnt ses disgrâces , prouvèrent qu'il avoit mérité de l'être. Il perdit son fils unique en 1711; et , quoique très - sensible à cette perte , il sut la supporter en roi. Voyant une princesse qui poussoit des soupirs et des cris , et marquoit une douleur extraordinaire , il lui dit : « Eh ! madame , modérezr< vous ; j'y perds encore plus que vous : à. quoi ser« vent ces cris? « L'année suivante , il vil périr, dans l'espace de moins d'un mois , le duc de Bourgogne son petit-fils , la duchesse de Bourgogne , et le duc de Bretagne, l'aîné de ses arrière-petits-fils. Ce grand monarque , la gloire de son peuple et de son siècle, la gloire de la religion et de l'état, vit passer comme l'ombre sa nombreuse postérité. Seul dans ses immenses palais , il sembloit se survivre à lui-même. A la place de tant de fleurs moissonnées dans leur printemps, ses yeux, prêts à se fermer pour toujours, n'apercevoient plus qu'une Heur à peine éclose , foible , chancelante , presque dévorée par le souffle qui avoit séché , consumé tant de tiges florissantes. A la vue de ce nouveau Joas , unique reste du sang de David , arraché aux débris de son auguste maison , ayant peine à se faire jour à travers les ruines sous lesquelles il avoit paru enseveli , tout ce que Louis XIV dit , pour exprimer tant de pertes accumulées , furent ces paroles remplies tout à lafois de sensibilité et de constance : «Voilà donc M. le dauphin!» Cette magnanime constance , il la fit briller avec plus d'éclat encore dans les maladies cruelles qui consumèrent sa vieillesse. On lui fit, en 1686, l'opération de la fistule. Toutlemonde trembloitpourses jours. Ses amis , ses ministres , sa famille , fondoient en larmes. Le médecin , le chirurgien étoient saisis de frayeur , lors-mème qu'ils arrachoient, dîme main impitoyable, jusqu'aux dernières racines du mal. Louis seul étoit
�I
ÉGALITÉ
D'AME.
IZZ
tranquille. Le calme de soname fut sans nuage : il ne poussa pas la moindre plainte. Le lendemain , il donna audience aux ambassadeurs, et tint conseil avec ses ministres. L'homme souffrait : le roi se portoit bien. Madame de Mai.ntenon\mà\\. : «Avouez, sire, que vous « avez bien souffert. — Oui, répondit le prince , de « vous voir souffrir. » Malgré les douleurs vives dont il fut attaqué le 24 d'Août 1710 , et la foiblesse extrême qui leur avoit succédé , il ne laissa pas de se préparer le lendemain à dîner en public ; mais on. fut obligé de faire sortir tous ceux qui étoient entrés dans sa chambre , et il ne retint que le maréchal de Villeroi, avec lequel il resta seul plus de deux heures« Je vois , lui dit-il , que mon heure approche : il « faut penser sérieusement à mourir. » Pendant qu'on lui faisoit des incisions qu'on avoit jugé à propos de lui faire à la jambe , pour retarder , s'il se pouvoit , les effets de la gangrène dont elle étoit attaquée , son premier médecin lui tenoit le bras , et n'y remarqua aucune émotion considérable. Ces incisions furent inutiles. On délibéra si on lui couperoit la cuisse ; et il païut que c'étoit l'exposer à des douleurs qui ne pouvoient rien produire d'avantageux II se résolut alors à la mort ; et comme quelqu'un vouloit le consoler : « Il a plus de dix ans , dit-il , que je pense « à mourir en roi très-chrétien. » Le 25 d'Août, jour de St. Louis , il demanda pourquoi ses musiciens ne lui avoient pas donné le bouquet ordinaire. On lui répondit qu'on les en avoit empêchés. « Eh ! « non, dit-il ; l'état où je suis ne doit rien empêcher. » Ils vinrent ; ils lui donnèrent le concert préparé ; il témoigna y prendre quelque plaisir. Il fit appeler le lendemain les princes, et les princesses de son sang. Tous fondoient en larmes. 11 parla sans trouble , sans émotion , avec une constance qu'on ne pouvoit trop admirer dans un prince qu'un instant va dépouiller de tout ce que le monde offre de plus brillant. Après avoir dit à chacun de ceux qui étoient présens ce qu'il convenoit , il tint à son successeur un discours proportionné à l'âge de ce prince encore enfant , et le I 3
�1Ô4 ÉGARDS. finit par ces paroles , qui ne devraient jamais s'effacer du souvenir des monarques : «J'ai chargé mon peuple; « les longues guerres m'y ont forcé. Aimez la paix , « et ne vous engagez jamais dans une guerre, qu'au« tant que l'intérêt de l'état et le Lien des peuples « l'exigeront. » Puis , adressant la parole aux princes et à ses premiers officiers : « Vous avez pu voir , leur « dit-il, quelques personnes qui, pendant mon règne, « se sont écartées de leur devoir pour un temps , et « s'en sont repenties toute leur vie ; profitez de leur « exemple, et ne le suivez pas. Voyez CONSTANCE ,
FERMETÉ.
ÉGARDS.
i. ST. ARSÈNE , dans lè long cours de sa pénitence , fut souvent affligé de maladies cruelles ; et comme il étoit aussi docile à faire en cet état ce qu'on lui prescrivoit, qu'il I'avoit toujours été à se corriger des moindres défauts dont on Pavertissoit , cette docilité le fit un jour consentir qu'on mît sous lui un matelas et un oreiller, par ordre du prêtre qui avoit soin de lui. Un solitaire , des plus anciens du désert, l'étant venu visiter alors , en fut scandalisé. Le prêtre qui s'en aperçut, le prit en particulier , et le pria de lui dire ce qu 'il étoit dans le monde, avant qu'il se fit religieux. « J'étois berger , lui dit ce solitaire , et je n'avois pas « de quoi vivre. — Cela étant, reprit le prêtre , vous « avez donc trouvé plus de commodité dans la vie re« ligieuse , que votre premier état ne vous en aurait « donné. Il n'en est pas de même du ^ere Arsène que « vous voyez; il étoit autrefois le père et le maître des « empereurs ; il avoit tout en abondance ; il vivoit « dans les délices ; il couchoit sur de bons lits : pouvez« vous donc trouver mauvais que , pour lui procurer « quelque soulagement dans sa vieillesse, et dans une « si grande maladie , nous lui donnions un oreiller « et un matelas , un peu moins durs que la pierre ? »
�l55 2. Louis XIV faisoit un conte à ses courtisans. I avoit promis qu'il les divertiroit beaucoup : il ne divertit personne , quoiqu'il fût du roi. M. le prince à.'Armagnac , qu'on appeloit M. le Grand , sortit alors de la chambre ; et le roi dit à ceux qui restoient : « Messieurs , vous avez trouvé mon conte « fort insipide , et vous avez raison ; mais en vous le « rapportant, je me suis aperçu qu'il y avoit un trait ;< qui regarde de loin M. le Grand , et qui auroit pu « l'embarrasser. J'ai mieux aimé le supprimer que « de le chagriner : maintenant qu'il est sorti , voici « mon conte. » Il l'acheva , et l'on rit beaucoup. 3. Quelques seigneurs français s'expliquoient d'une façon trop libre sur les malheurs du roi d'Angleterre. « Henri est mon frère , leur dit St. Louis ; c'est un « grand roi : si dans ma cour son nom ne le met pas « à couvert des langues satiriques , je deviens cou« pable de le souffrir. Il est à plaindre d'écouter de « mauvais conseils. Après tout , sa piété et ses au« mônes le rendent estimable , et ne sauraient man« quer d'avoir leur récompense. »
ÉLOGES.
ÉLOGES. i. JE vis , dit le philosophe Sadi, chez un grand seigneur fort riche , plusieurs mollaks qui lui donnoient des louanges fort exagérées : « Vous louez , leur dit-il, « celui qui se connoît, et vous l'affligez 5 vous vantez « les plumes du paon , mais il voit ses pieds et sou« pire. Tenez, ajouta-t-il, en leur donnant une somme « considérable , recevez cet argent ; et je vous en « donnerai davantage , si vous ne me louez plus. » Ils prirent l'argent, et ne louèrent plus le grand seigneur. 2. Archidame, roi de Lacédémonc , entendant, un homme donner les plus grands éloges à un musicien, et porter jusqu'au ciel sa science et ses talens : « Mon « ami j lui dit-il , quels honneurs réservez-vous donc
l 4
�l3o ÏLOftES. « à la vertu, si vous préconisez avec tant de zèle Fart « d'un vil histrion ? » 3. Ilippomaçue, fameux joueur de flûte, entendoit un de ses écoliers qui jouoit assez mal dans un carrefour , mais qui cependant étoit applaudi par la populace qui Fenvironnoit. Il s'approcha de lui ; et lui arrachant sa flùlc : « Ne vois-tu pas , dit-il, que tu «joues mal, puisque de tels ignorans t'applaudissent?» 4- Au lever de Louis XIV, l'archevêque d'Embrun louoit beaucoup la harangue de l'abbé Colhert.l^e. roi, qui vit que le prélat ne songeoit qu'à flatter son ministre , dit à M. de Maulevrier : « Promettez-moi de « ne pas dire un mot à Colbert de tout ce que va dire « l'archevêque d'Embrun; » et ensuite il dit au prélat adulateur : « Continuez tant qu'il vous plaira. » 5. Chez les Grecs , au milieu des jeux publics , les écrivains dans tous les genres exposoient au jugement d'une assemblée nombreuse et solennelle , les productions de leur génie. Hérodote lut son histoire pendant les jeux olympiques ; et cet excellent auteur fut écouté avec tant d'applaudissemens , qu'on donna aux neuf livres qui la composent, le nom des neuf Muses , et qu'on crioit par-tout quand il passoit : « Voilà celui qui a si dignement écrit nos actions , et <:< célébré les glorieux avantages que notis avons rem« portés sur les Barbares ! » Toutes les bouches de ceux qui avoient assisté à ces jeux furent comme autant de trompettes qui firent ensuite retentir toute la Grèce du nom et de la gloire de ce fameux historien. 6. Un jour, le brave Crillon se trouvoit auprès de Henri IV, avec tous les grands de la cour et les mimistres étrangers. La conversation étant tombée sur les guerriers qui se sont le plus distingués : « Mes« sieurs , dit le monarque en mettant la main sur « l'épaule de Crillon , voilà le premier capitaine du « monde. — Vous en avez menti, sire ; c'est vous , » reprit vivement Crillon. 7. HenriIVfut complimenté parles députés du parlement de Paris sur une victoire qu'il avoit remportée. Le maréchal de Biron , qui y avoit eu beaucoup de
�ÉLOQUENCE.
l5j
part se trouva à l'audience : « Messieurs , leur dit le monarque , en leur montrant ce capitaine , voilà « un homme que je présente également à mes amis « et à mes ennemis. » Que cet éloge délicat est digne du grand roi qui Fa fait , et du général qui l'a reçu ! » 4- Boileau fut choisi par Louis XIV , pour écrire l'histoire de son règne. Ayant appris que , dans une affaire , ce monarque s'étoit si fort exposé , qu'un boulet de canon avoit passé à sept pas près de lui , ce poète courut à lui, et lui dit : « Je vous prie , sire , « en qualité de votre historien , de ne me pas faire « finir sitôt mon histoire. » Une autre fois, le roi lui demandant son âge , il répondit : « Je suis venu au monde un an avant votre majesté , pour annoncer les merveilles de son règne. » Voyez COMPLIMENT.
i. A YRRHUS disoit souvent que l'éloquence de Cynéas , son ministre , lui avoit soumis plus de villes que la force de ses armes. Souverain empire de l'éloquence ! Annibal et Scipion ont avoué que Pyrrhus l'emportoit sur eux : Pyrrhus avoue que l'éloquence l'emporte sur lui. 2. On demandoit à Isocrate, célèbre orateur grec, ce que c'étoit que l'éloquence : « C'est, répondit-il, « l'art d'élever les petites choses , et d'abaisser les « grandes. » 3. On demandoit à Démosthène par quels moyens il avoit fait tant de progrès dans l'éloquence : « En « dépensant plus d'huile que de vin , répondit-il. » 4' En présence à'AgésiLas , roi de Lacédémone , on louoit un jour un orateur de ce que, dans ses discours , il faisoit paroître merveilleusement grandes les choses même les plus petites. « Je ne regarde pas « comme fort habile , dit ce prince , un cordonnier « qui fait de grands souliers pour un petit pied. »
P
É L
OQUENCE.
�1Ô3 ÉLOQUENCE. 5. Phocion se distinguent par une éloquence vive et serrée; c'était le rival de Dêmosthène. Toutes les fois qu'il se levoit pour parler : «Voilà, disoit Dêmosthène, « la hache qui va trancher tous mes argumens. » 6. Le philosophe Hégésias parloit avec tant d'éloquence des maux de la vie, que , par le triste tableau qu'il en offrait à l'esprit de ses auditeurs, il leur inspirait le désir et même la volonté de se donner la mort, pour terminer une si pénible carrière. Iltraitoitun jour cette matière devant le roi Ptolémée. Ce prince fut si frappé de toutes les raisons qu'il employoit, que, dans la crainte d'être vaincu comme les autres , il lui défendit de continuer. Heureux ce sage , s'il eût employé à l'enseignement de la vertu son sublime talent! Peut-être eût-il eu la gloire de réformer , sinon l'humanité , du moins les hommes de son siècle. 7. Le talent que le fameux Périclès cultiva avec le plus de soin, fut celui de la parole. Illeregardoitcomme l'instrument le plus nécessaire à quiconqxie veut conduire et manier les caprices du peuple. En effet, c'est parla que, dans une république comme celle d'Athènes, on dominoit dans les assemblées , qu'on enlraînoit les suffrages, qu'on se rendoit maître des affaires, et qu'on exerçoit sur les esprits et sur les cœurs un empire absolu. Ce grand homme n'eut pas lieu de se repentir du temps qu'il donna à cette étude , car le succès passa toutes ses espérances. Les poètes de son temps disoient de lui qu'il foudroyoit, qu'il tonnoit, qu'il mettait toute la Grèce en mouvement ; tant son éloquence étoit mâle et impétueuse ! Il avoit de ces traits vifs et perçans qui touchent et qui pénètrent , et son discours laissoit. toujours dans l'esprit des auditeurs une espèce d'aiguillon. Il savoit joindre l'agrément à la force ; et au moment où. il combattait avec le plus de fermeté le goût et les désirs des Athéniens, il avoit l'art de rendre populaire la sévérité même , et l'espèce de dureté avec laquelle il parloit contre les flatteurs du peuple. On ne pouvoit se défendre de la solidité de ses raisonnemens , ni de la douceur de ses paroles ; ce qui faisoit dire que la déesse de la persuasion, avec toutes ses grâces, résidoit
�ÉLOQUENCE; I 09 sur ses lèvres. On demandoit à Thucydide, son adversaire et son rival, qui de lui ou de Périclès luttoit le mieux : « Quand je l'ai renversé par lerre en luttant, « répondit-il, il assure le contraire avec tant de force, « qu'il persuade en effet à tous les assistans , contre « le témoignage de leurs propres yeux , qu'il n'est « point tombé , et je finis par le croire moi-même. » 8. h'orateur Marc-Antoine, aïeul du triumvir, ayant appris que ilfarzWlefaisoitchereherpourlui ôterlavie, se réfugia chez un plébéien de ses amis, homme pauvre, mais d'une fidélité éprouvée. Ravi d'avoir dans sa maison un des principaux citoyens de Rome , et voulant le Lien traiter, il envoya son valet chez un marchand de vin du voisinage , avec ordre d'acheter du meilleur vin. Ce valet, ayant goûté avec plus d'attention qu'à l'ordinaire le vin qu'on lui donnoit, et ne le trouvant pas assez bon , en demanda du meilleur. « Qu'est-ce « donc qui se passe chez toi ? lui dit alors le marchand « de vin, et pourquoi te faut-il aujourd'hui de si excel« lent vin ? » L'imprudent valet lui répondit que son maître vouloit régaler Marc-Antoine, qui s'étoit caché chez lui. A peine fut-il sorti, que ce marchand, homme scélérat et sans foi, court chez Marias, qui venoit de se mettre à table pour souper. Dès qu'on l'eut fait entrer, il annonce au proseripteur qu'il alloit lui livrer son ennemi. A. cette nouvelle, Marius jette un cri, etfrappe des mains pour marquer la joie qui le transporte. Il fut même sur le point de quitter la table, et d'aller chercher l'orateur dans son asile ; mais ses amis le retinrent : il se contenta d'y envoyer un de ses officiei'S, nommé Annius, avec plusieurs soldats. Le marchand les conduisit. Lorsqu'ils furent arrivés , Annius resta à la porte , et les soldats montèrent à la chambre où étoit Antoine. Il ne les eut pas plutôt aperçus, qu'il se dou ta de leur dessein. Il commença d'abord à leur parler avec tant d'éloquence et d'un ton si pathétique , que leurs... cœurs farouches s'attendrirent. Aucun d'eux n'osa mettre la main sur lui, ni même le regarder en face. Us avoient tous les yeux baissés, et ne ppuvoient s'empêcher de verser des larmes. Cependant Annius, fati-
�I
l4»
ÉLOQUENCE.
gué dattendre, monte dans la chambre. 11 voit tous ses soldats rangés autour de l'infortuné proscrit, l'écoutant en silence. Ce spectacle enflamme sa fureur : il les appelle lâches et traîtres ; et courant sur Antoine , il lui couple la tête qu'il va déposer aux pieds de Marias. 9. Gainas, chef des Goths ariens, homme fier et impérieux , chagrin de n'avoir point d'Eglise dans Constantinople , en demanda une pour lui et pour ceux de sa secte à l'empereur Arcadius. Ce prince timide lui promit de le satisfaire. Ayant fait venir S. Jean-Chrysostâme, qui siégeoit alors sur la chaire de Constantinople, il lui exposa la demande de Gainas, et combien il étoit dangereux d'irriter un Barbare si fort à caindre. Le généreux prélat lui répondit « que le prince n'étoit « pas le maître de disposer à son gré de la maison de « Dieu; que pour lui il ne souffriroit jamais qu'on fer« mâtune église auxFidelles, pour l'ouvrir aux ennemis « de Jésus-Christ. Prince , continua-t-il , si vous crai« gnez ce Barbare , permettez-moi de lui parler en « votre présence, et écoutez-nous sans rien dire. J'es« père lui fermer la bouche, et le réduire à se désister « d'une prétention sur laquelle on ne peut sans crime « lui rien accorder. » L'empereur y consentit avec joie, et les manda tous deux le lendemain. Chrysostâme se rendit au palais, accompagné des prélats qui se trouvoient pour lors à Constantinople. Gainas, avec son audace ordinaire, somma le prince de tenir sa parole. Il représenta que ce seroit une injustice de lui refuser une église, et qu'après ce qu'il avoit fait pour l'honneur et la défense de l'empire, il méritoit bien cette déférence. Alors Chrysostâme, prenant la parole, et tenantenmain la loi de Théodose , qui ôtoit aux sectaires toutes les églises dé Constantinople : « Il est vrai, dit-il à Gainas, « que vous avez servi le père de l'empereur ; mais ju« gez vous-même si les récompenses n'ont pas aumoins « égalé les services. Considérez ce que vous étiez et ce « que vous êtes. Né Barbare , fugitif de votre pays , « réduit à-la plus extrême misère, vous y trouvâtes des « richesses et des honneurs. Vous lui jurâtes alors de « servir, lui et ses enfans, et d'observer fidellement les
�ÉLOQUENCE. I4I « lois de l'empire. Vous êtes maintenant général; vous « portez les ornemcns de la dignité consulaire : com« parez ces habits dont vous êtes revêtu, avec ceux sous * lesquels vous passâtes le Danube. Souvenez-vous de « votre serment. Voici une de ces lois auxquelles vous « avez juré d'obéir. N'oubliez pas les bienfaits du « père, n'oubliez pas ceux que les enfans y ont ajoutés. « Les empereurs sont-ils seuls obligés à la reconnois« sance? et vous est-il permis d'être ingrat? Pour vous, « prince, ajouta-t-il en se tournant vers Arcaàius, c'est « à vous à maintenir les saintes ordonnances de votre « père. \ous perdriez moins en renonçant au nom « d'empereur, qu'à celui de prince catholique ; et vous « ne pouvez conserver ce titre, si vous abandonnez la « maison de Dieu à un culte qui l'outrage. » Ces paroles foudroyèrent l'audace de Gainas ; il se relira confus , renfermant sa honte , et jurant en secret de ne point dévorer impunément la douleur de sa défaite. 10. Julien l'Apostat, ayant promis à ses soldats, pour récompenser leurs travaux , cent pièces d'argent par tête, s'aperçut qu'une gratification si modique n'excitoit que des murmures. Alors, prenant un air majestueux et sévère , et montrant de la main le pays qu'il avoit devant lui : « Voilà , dit-il, le domaine des Per« ses : vous y trouverez des richesses, si vous savez com« battre et m'obéir. L'empire fut opulent autrefois : il « s'est, appauvri par l'avarice de ses ministres, qui ont « partagé les trésors de leurs maîtres avec les Barbares « dont ils achetaient la paix. Les fonds publics sont « dissipés, les villes épuisées, les provinces désolées. « Quelque noble que je sois , je suis le seul de ma, « maison : je n'ai de ressource que dans le cœur. Un « empereur qui ne connoît de trésors que ceux de « l ame, sait soutenir l'honneur d'une vertueuse indi« gence. Les Fabrice, qui firent triompher Rome des « plus redoutables ennemis , n'étaient riches que de « gloire. Cette gloire vous viendra avec la fortune , « si vous suivez sans crainte et sans murmure les ordres « de la Providence , et ceux d'un général qui partage « avec elle le soin de vos jours. Mais, si vous refusez
�1^2
ÉLOQUENCE.
« d'obéir, si vous reprenez cet esprit de désoi'dre et de « mutinerie qui a déshonoré et affoibli l'empire, reti« rez-vous, abandonnez mes drapeaux. Seul, je saurai « mourir au bout de ma carrière, méprisant la vie , « qu'une fièvre me raviroit un jour; sinon, je quitte« rai la pourpre. De la manière dont j'ai vécu empe« reur , je pourrai, sans déchoir et sans rougir, vivre « en particulier. » A ces mots , les soldats touchés et attendris, lui promettent une soumission sans réserve : ils élèvent jusqu'au ciel sa grandeur d'ame , et cette autorité plus attachée à sa personne qu'à son diadème. Us font retentir leurs armes : c'é toit par ce langage que s'expliquoit l'approbation militaire. Remplis de confiance , ils se retirent dans leurs tentes , et prennent leur nourriture , discourant ensemble de leurs espérances , qui les occupent jusques dans le sommeil. J 1. Après avoir passé le fleuve Aboras, le même empereur, avant de s'enfoncer dans la Perse, crut devoir enflammer, par ses paroles, le courage de ses troupes. Il rassembla donc ses bataillons et ses escadrons qu'il fît ranger en cercle autour de lui. Alors, élevé sur un tribunal de gazon, environné des principaux officiers, et montrant sur son visage l'assurance de la victoire, il leur parla en ces termes : « Braves soldats , vous « n'êtes pas les premiers Romains qui soyez entrésdans « la Perse. Pour ne pas remonter jusqu'aux exploils « de Lucullus, de Pompée, de Ventidius, plusieurs de « mes prédécesseurs m'ont prévenu dans cette glo« rieuse carrière. Trajan, Vérits, Sévère, sont reve« nus de ces contrées victorieux et triomphans ; et le « dernier des Gordiens, dont le monument va bientôt « se montrer à nos yeux, ayant vaincu le roi de Perse « auprès de Résène , auroit rapporté ses lauriers sur « les terres de l'empire , si des mains perfides ne lui « eussent arraché la vie au pied même de ses trophées. « Les héros dont je parle, ne furent conduits dans ces « lieux que par le désir de la gloire. Mais nous, des mo« tifs plus puissans nous y appellent : nos villes ruinées , « tant de soldats romains massacrés , dont les ombres « sont errantes autour de nous, implorent notre
�ÉLOQUENCE.
l43
« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « v «
vengeance. L'empire nous montre sa frontière dévastée : il s'attend que nous guérirons ses plaies ; que nous éloignerons le fer et le feu auxquels il est exposé depuis pins d'un siècle. Nous avons à nous plaindre de nos pères ; laissons à la postérité de quoi nous vanter. Protégé par l'Eternel, vous me verrez par-tout à votre tête, vous commander, vous couvrir de mon corps et de mes armes, combattre avec vous. Tout me fait espérer la victoire ; mais la fortune disposera de ma vie : si elle me l'enlève au milieu des combats , quel honneur pour moi de m'être dévoué à la patrie, comme les Mucius, les Curtius; comme la famille des Décius , qui se transmirent, avec la vie , la gloire de mourir pour Rome ! Nos ancêtres s'obstinèrent, pendant des siècles entiers, à soumettre les puissances ennemies de l'empire. Fidènes, Veïes , Faleries, furent rivales de Rome , dans son enfance. Carthage et Numance luttèrent contre elle dans sa vigueur : ces états ne subsistent plus : nous avons peine à croire, sur la foi de nos annales, qu'ils aient jamais osé nous disputer l'empire. Il reste une nation opiniâtre, dont les armes sont encore teintes du sang de nos frères ; c'est à nous à la détruire, achevons l'ouvrage de nos aïeux. Mais, pour réussir dans ce noble projet, il n'y faut chercher que la gloire. L'amour du pillage fut souvent pour le soldat romain un piège dangereux : que chacun de vous marche en bon ordre sous ses enseignes. Si quelqu'un s'écarte , s'il s'arrête , qu'on lui coupe les jarrets , et qu'on le laisse sur la place. Je ne crains que les surprises d'un ennemi, qui n'a de force que dans ses ruses. Maintenant je veux être obéi : après le succès , quand nous n'aurons plus à répondre qu'à nous-mêmes, peu jaloux du privilège des princes , qui mettent leur volonté à la place de la raison et de la justice , je vous permettrai à tous de me demander compte de toutes mes démarches , et je serai prêt àvous satis« faire. Elevez votre courage : partagez m es espérances ; « je partagerai tous vos travaux, tous vos périls. La « justice de notre cause est un garant de la victoire. »
�l
/|4
ÉLOQUENCE.
Ce discours embrasa le cœur des soldats. Les divers sentimens de Julien paroissoient passer dans leur ame, et se peindre sur leurs visages. Dès qu'il eut cessé de parler , ils élèvent leurs boucliers au-dessus de leurs têtes : ils s'écrient qu'ils ne commissent point de périls, point de travaux sous un capitaine qui en prend luimême plus qu'il n'en laisse à ses soldats. Les Gaulois signaloient leur ardeur au-dessus de tous les autres : ils se souvenoient, ils racontaient avec transport, qu'ils l'avoient vu courir entre leurs rangs , se jeter au plus fort de la mêlée 5 qu'ils avoient vu les nations barbares, du tomber sous ses coups, ou se prosterner à ses pieds. Julien , pour mieux assurer l'effet de ses paroles , fit distribuer à chaque soldat cent trente pièces d'argent. 12. Valentinien II, dépouillé par le tyran Maxime , se réfugia auprès de Théodose-le-Grand. Le jeune prince avoit favorisé l'arianisme : son protecteur entreprit de le ramener à la foi de ses pères ; et, après l'avoir tendrement embrassé , il lui tint ce discours : « Mon « fils , ce n'est pas la multitude des soldats , c'est la « protection divine qui donne le succès dans la guerre. « Lisez nos histoires depuis Constantin : vous y verrez « souvent le nombre et la force du côté des Infidelles, « et la victoire du côté des princes religieux. C'est « ainsi que ce pieux empereur a terrassé Licinus, et « que votre père s'est rendu invincible. Valens, votre « oncle, attaquoit Dieu : il avoit proscrit les évêques « orthodoxes : il avoit versé le sang des saints. Dieu a « rassemblé contre lui une nuée de Barbares ; il a « choisi les Goths pour exécuteurs de ses vengeances : « Valens a péri dans les flammes. Votre ennemi a sur « vous l'avantage de suivre la vraie doctrine : c'est « votre infidélité qui le rend heureux. Si nous aban« donnons le Fils de Dieu , quel chef, malheureux « déserteurs , quel défenseur aurons-nous dans les « batailles ? » Dieu parloit au cœur de Valenlinien , en même temps que la voix de Théodose frappoit ses oreilles. Fondant en larmes , le jeune prince abjura son erreur, et protesta qu'il serait toute sa vie attaché à la foi de son père et de son bienfaiteur.
�ÉLOQUENCE.
1^.5
i3. Antiochus , roi de Syrie, vouloit abolir la religion des Juifs : les violences, les supplices, les tortures n'a voient servi qu'à manifester le courage des véritables Israélites. Il prit une autre route : il employa les voies d'insinuation. Une s'agissoit plus , pour leur donner du crédit, que de gagner l'un des principaux citoyens de Jérusalem, dont l'autorité et F exemple pussent servir de puissant motif aux autres. On jeta les yeux sur le célèbre Matathias ; et les envoyés du monarque lui parlèrent en ces termes : « Vous tenez le premier rang « dans cette ville, illustre Matathias : vous y êtes con« sidéré, avec justice, comme le chef de ceux qui Fha« bitent. Vous avez un grand nombre de fds , et vous « êtes à la tête d'une illustre famille, dont la vertu « vous honore encore plus que votre naissance. Vous « voyez que tout le monde a les jreux ouverts sur vos « démarches , et qu'on attend de vous le premier « exemple d'une obéissance légitime aux ordres du « prince. Inutilementessayeriez-vous d'y résister, de« puisque tous les peuples de son royaume, et sur-tout « votre propre nation, ce qui reste encore d'habitans à « Jérusalem, vos prêtres et vos pontifes en ont reconnu , « la justice. On sauroit bien forcer à la soumission des « hommes rebelles, pour qui l'on auroit moins de con« sidération; mais pour vous et pour vos enfans, nous « vous offrons , au nom du roi, son amitié, ses tré« sors, et toutes les faveurs que vous voudrez enobte« nir. Rendez-vous à des promesses si précieuses , et « n'obligez pas le monarque à les changer, contre son « inclination , en menaces terribles et en supplices. » A cet artificieux discours , le généreux Matathias répondit de la sorte : « En vain nous étalez - vous , « pour nous séduire , la condescendance "aveugle des « nations , et la honteuse lâcheté d'une partie de nos « frères. Les exemples sont de mauvaises règles en « matière de religion , quand il s'agit de la défendre « 0| de s'exposer pour elle. Le parti des indifférens « et des foibles devient souvent Je plus nombreux ; « après une longue et violente persécution. La con« duite des Gentils idolâtres ne nous surprend pas , et Tome IL R
�46
ÉLOQUENCE.
« celle des Juifs apostats nous fait rougir- L'univers en« tier auroit souscrit en aveugle aux ordres iniques de « votre maître, qxie ce ne serait pas pour nous un mo« dèle à imiter. Mes frères, mes enfans et moi, nous « ne reconnoissons qu'un souverain qui ait droit dedo« miner sur notre foi. Ce n'est pas, sans doute, votre a Antiochus, qui fait profession de ne rien croire : c'est « le Dieu du ciel et de la terre, le Dieu de nos pères , « et le nôtre. C'est à lui que nous obéissons. 11 entend « la déclaration publique que nous faisons de le servir. « Qu'il nous traite en ennemis, qu'il nous abandonne, « si nous sommes assez lâches pour lui manquer de pa« rôle ! Nous n'avons qu'un mot à répondre aux ordres « de votre maître : qu'il en porte , s'il veut, qu'on « puisse exécuter sans crime, et qui ne donnent point « atteinte à une liberté inséparable de notre nom, ou « qu'il cherche ailleurs de vils esclaves de sa tyrannie. « Qu'on ne nous demande ni encens, ni sacrifices, ni « abandon de nos lois. Il est trop tard de nous montrer « de nouvelles routes : elles nous égareroient avec « vous. Nous sommes résolus de suivre celles que nous « ont tracées nos pères. Au reste, on n'a déjà que trop « immolé de victimes pacifiques, qui se sont laissé tran« quillement égorger. On pourroit porter la violence à « cet excès , que bientôt l'innocence opprimée et la « religion insultée trouveraient des vengeurs en état « de se faire craindre. Je remercie votre maître de ses « offres généreuses : qu'il réserve ses dons : un vérita« ble serviteur de Dieu a toujours rejeté les présens « faits par ceux qui l'outragent. » i4- Les officiers de ce même Antiochus vouloient forcer Eléazar , vénérable vieillard , à sacrifier aux idoles , et à manger des viandes défendues par la loi. Les amis de ce véritable Israélite , alarmés pour ses jours, voulurent l'engager à obéir, au roi. « Pourquoi, « lui dirent-ils , respectable Eléazar ; pourquoi vous « ohstiner à périr, tandis qu'il dépend de vous d'écbap« per à la mort, sans rien faire contre votre conscience? « Souffrez du moins que vos amis vous sauvent, puisât que vous vous abandonnez vous-même. S'il se trouve
�ÉLOQUENCE.
g du crime dans nos conseils, il retombera sur nous , « et vous n'en serez point chargé. Nous ferons appor« ter ici des viandes, dont il vous est permis de man« ger; nous ne vous demandons que d'avoir la cornac plaisance d'y toucher. Vous le pouvez , selon la loi ; « reposez-vous sur nous du succès. S'il faut faire enten« dre aux officiers du roi que vous êtes déterminé à « obéir , c'est notre affaire ; et le soin que notre zèle « nous impose ne doit point vous inquiéter. Voilà, sans « doute, un moyen sûr, et tout-à-la-fois fort innocent, « d'échapper à une mort honteuse, qui déshonore votre « nation. Nous vous conjurons d'accepter ce parti , « que l'humanité seule nous obligeroit de vous sug« gérer , quand nous n'y serions pas engagés par le « devoir de notre ancienne amitié. » Eléazar ne put entendre ces paroles, sans être pénétré d'une sainte indignation. « Quelle humanité bar« bare ! s'écria-t-il, quelle indigne amitié ! Qu'on me « mène au supplice; et, plutôt que de consentir jamais « à une infâme lâcheté, qu'on me jette tout vivant dans « le tombeau. Eh quoi ! on me croit donc capable à « mon âge, de l'odieuse dissimulation qu'on ne rougit « point de me proposer ? Eléazar aiuoit attendu, dans « la pureté et dans l'innocence, qu'il eût atteint quatre« vingt-dix ans , pour donner lieu de croire qu'il seroit « passé de la religion de ses pères aux superstitions des » étrangers ? Et ce seroit le vieux Eléazar que notre « jeunesse pourrait se proposer comme le modèle de « la plus lâche prévarication ! Ce seroit moi qui leur « montrerais l'exemple de se laisser séduire par l'amour « de la vie et par la crainte des supplices ! Car , après « cela, qu'auraient - ils à se reprocher dans les plus « beaux jours de leur vie , et dès l'entrée de la car« rière, si moi, prêt à la fournir, et touchant déjà au « terme, j'imprimois à mon nom cette tache honteuse, « si j'at tachois à ma vieillesse l'exécration de tous les « gens de bien ? Le peu qui me reste de jours ne « mérite pas d'être acheté à ce prix. Mais quand je « pourrais aujourd'hui, en prostituant mon honneur « et ma conscience , me rédimer des tourmens , euR. 2
�1^8
ÉLOQUENC E.
« blei'Ois-je que je sers un Dieu , à la justice duquel il « ne m'est pas possible d'échapper pendant ma vie, et « dont le pouvoir éternel s'étendra sur moi jusqu'au « delà de mon trépas. Mourons avec courage, etmon« trons-nous dignes de nos longues années. Puisque « Dieu daigne nous choisir pour nous donner en specta« cle, apprenons par notre allégresse à tous nos jeunes « gens attentifs sur nos démarches , que la mort la « plus cruelle est aussi douce qu'elle est honorable , « quand c'est à la souveraineté de son Dieu, à la sain« teté de ses lois, à la conservation de son innocence, « qu'on fait le sacrifice de sa vie. » i5. Mathathias , près de terminer sa glorieuse carrière , fit assembler ses cinq fils, connus sous le nom des cinq Machabées, etleur tintce discours : «Je meurs, mes enfans, plein de jours et d'années, après avoir <{ ^ vu, dans le COÛTS d'une si longue vie, le peuple choisi « de Dieu dans des états bien différens.Heureux aussi « long-temps que fidèles, nous n'avions point d'cnnemis; et notre constante prospérité nous faisoit moins <<: de jaloux, qu'elle ne nous attiroitd'admirateurs.Nous ^ avons nous-mêmes enseveli notre bonheur sous les « ruines de notre innocence, et nous avons commencé « à trouver des tyrans dans nos souverains , quand « nous nous sommes fait un ennemi de notre Dieu. « Nous avons lassé sa miséricorde, avant que sa justice ait éclaté. Mille avertissemens charitables nouspres(< « soient de retourner à lui. Endurcis que nous étions, « c'étoittrop peu pour nous gagner, que des caresses « paternelles ; il a fallu nous dompter par des vengean« ces éclatantes. Vous avez vu, mes enfans , jusqu'où <& nos iniquités ont forcé notre Dieu de porter son in« dignation. II nous à livrés à l'orgueilleuse tyrannie « des rois de la terre. Les feux de sa vengeance ne se « sont point éteints dans notre sang. La ville sainte et « le temple ont eu part à la désolation ; mais ce qui « me console en ces derniers momens, dans le so.uve« nir funeste de tant de maux, c'est qu'il paroît qu'enfin « notre Dièu , réconcilié avec nous, veut nous en faire % trouver le remède. C'est vous, mes enfans , dont
�K L O Q U E N C I. J4g « il a dessein de se servir; et, en vous séparant du « milieu des coupables , il vous réservoît à être les « instrumens de ses miséricordes. Si vous vivez donc, « et si vous respirez, ce n'est pas pour vous, c'est pour « votre Dieu , c'est pour son peuple que vous vivez. « Restes précieux de tant de saints opprimés, songez à « être d'intrépides zélateurs de la sainte loi qu'ils ont « scellée de leur sang. N'oubliez jamais que son réta« blissement est entre vos mains. Vivez, en renouvelant la divine alliance de nos pères , et mourez , en « combattant pour elle. Je sais qu'une si grande en« treprise est au-dessus de toutes vos forces, et qu'à « en juger selon les règles de la prudence humaine , « elle doit passer pour téméraire ; mais, qui sommes« nous pour mesurer les desseins de Dieu à nos foibles * intelligences , et pour donner des bornes à l'étendue « de son pouvoir ? Je ne vous rappellerai point, pour « vous encourager , ce que je viens d'exécuter avec « vous en si peu de temps, etavec si peu de ressources. « C'en serait cependant assez pour vous faire com« prendre que la foiblesse se change en force , quand « elle est mise en œuvre par le Tout-puissant. Dieu m'a « fortifié dans l'exécution de ce que nous avons fait « ponr sa gloire; et je meurs content de n'avoir point « délibéré en faux sage, quand il ne s'agissoit que d'o« béir enfidelle.Remontcz,mesenfans,jusqu'auxpre« miers temps de notre origine ; rappelez-vous toute « notre histoire ; souvenez-vous des merveilles que « nos pères ont opérées , et voyez si la confiance au « Seigneur a jamais été confondue.Devenus leurs imi« tateurs, vous achèterez comme eux une gloire solide , « et vous vous ferez un nom qui ne périra jamais. « Abraham, notre père,fut mis à de rudes épreuves; « il sortit victorieux delà tentation; et la constance de « sa foi lui étant imputée à justice, attira sur lui et sur « sa famille les bénédictions les plus abondantes. L'in« nocent Joseph vendu , calomnié, captif, ne put être « détourné de l'observation des saintes lois, par l'opi« niâtreté des plus violentes persécutions, et sa fidélité « fut enfin couronnée par une espèce de souveraineté H3
�zoo ÉLOQUENCE. « sur toute l'Egypte. Le brave P/wne'e^, deqninousdes-* « cendons e t de qui nous avons reçu 1 a quaii té de pré" très « du Seigneur, brûladuzèléardentdelagloiredeDieu; « et il en reçut, pour récompense, la promesse infailli. « ble d'un sacerdoce éternel. L'intrépide Josuéobéit à « l'ordre de Dieu, malgré les prévarications d'un peu« pie incrédule , dont il éloit environné ; et le Tout« Puissant le déclare, par son serviteur Moïse, chef et « conducteur d'Israël. Le fidelle Caleb soutint dans l'as« semblée du peuple un témoignage aussi glorieux à « Dieu , qu'avantageux à sa nation ; et, parmi tant de « milliers d'hommes qui périrent dans le désert, Dieu « le réserva à un abondant héritage dans la terre de « .promission. Le vertueux David ne put être forcé à la « vengeance par les plus indignes traitemens ; et sa « clémence lui valut un trône affermi pour toujours « dans sa famille. L'incomparable Elie brûloit d'une « sainte ardeur pour la défense de la loi ; et il mérita « d'être, tout vivant, enlevé dans le ciel. Ananias , « Azarie et Mizaël, ces saints jeunes hommes , si cé« lèbres dans notre dernière captivité , demeurent « inébranlables dans la profession de leur foi; et Dieu, « par un miracle éclatant, les conserve au milieu des « flammes. Daniel, ce prophète divinement éclairé, « persiste, avec une admirable pureté de coeur , dans « la pratique du saint culte, jusques dans le sein d'une « cour idolâtre. On le jette en proie à des lions affamés ; « et les bêtes féroces respectent sa vertu. Poussez plus « loin cette recherche, mes enfans : examinez en détail « ce qui s'est passé , de race en race , depuis tant de « siècles ; et vous verrez avec consolation , qu'une « filiale confiance dans leSeigneur assure de sa constante « protection, et, s'il le faut même, des prodiges de sa « droite. Que la puissance de ces hommes orgueilleux, « que vous avez k combattre, n'abatte point votre eou« rage : ce sont des pécheurs et des ennemis de Dieu. « Leur gloire, plus méprisable que la boue, sera ense<( velie dans le même tombeau , où leur corps livré à la « corruption deviendra la pâture des vers. Un impie « s'élève aujourd'hui jusqu'aux cieux 5 demain il n'en
�« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « '-< « « « « « « « « «
ÉLOQUENCE: V^foJÊk paroîtrâ pas de vestiges : il retourne dans Ja( pou'sftftty sière d'où il a été tiré ; et ses ambitieux defcsems Véya-nouissent avec lui. Armez-vous, mes enfansy^d.une invincible fermeté ; c'est pour la défense de notre" loi que vous allez combattre, et c'est le choix de Dieu que vous avez à justifier. Soutenez l'une et l'autre avec vigueur : ce sera pour vous une source abondante de la plus belle gloire. Je compte que vous consommerez l'ouvrage que l'Eternel m'a chargé de commencer : il ne reste plus à votre père mourant que de partager entre vous les différens emplois auxquels il vous destine. Le peuple fidelle, qui s'est attaché à moi jusqu'à ce jour, autorisera par son consentement la distribution que Dieu m'inspire. Vous voyez Simon votre frère : je sais que c'est un homme de bon conseil, d'un esprit appliqué , et d'une grande sagesse ; je vous ordonne de le consulter dans toutes vos entreprises, de vous conduire par ses avis ; et je? veux qu'après ma mort il vous tienne lieu de père^ Pour Judas Machabée, j'ai reconnu dans lui, dès sa plus tendre enfance, cette force de corps et cette intrépidité de courage quifont les guerriers : je le déclare général des troupes; et c'est à lui que je remets le commandement des armées. Le peuple de Dieu sous ses étendards, ne peut marcher qu'à la victoire. Sur-tout, mes enfans, vivez unis, et agissez de concert. Ne souffrez pas qu'une basse jalousie , qu'une criminelle émulation divisent j amais des frères invincibles, tandis qu'ils seront liés par les mêmes intérêts, Attirez près de vous tout ce que la sainte loi compte dans Israël de fidelles observateurs. Les bons serviteurs de Dieu seront toujours vos meilleurs soldats. Oubliez votre propre gloire , pour songer uniquement à tirer votre peuple de l'oppression. Faites retomber sur les idolâtres tous les maux qu'ils nous ont faits. Qu'Israël triomphe. : que les méchans soient punis: que Dieu soit vengé! Approchez, mes enfans, et recevez la dernière bénédiction de votre père. Dieu m'appelle à lui ; et je quitte volontiers la terre où je laisse à ma place de si vertueux successeurs. *
�l52 É L O Q U E N C E. \Ç>. Attila, le fléau de son siècle,sur le point dé livrer bataille aux Romains, dit à ses troupes : « Braves etin« vincibles guerriers , ce seroit vous faire injure que « d'entreprendre de vous inspirer du courage et de la « confiance.en votre général. Après avoir conquis, sous « mes ordres, une grande partie de l'univers, vousde« Vez savoir qui je suis, et je ne puis oublier qui vous « êtes.Laissonsles encouragemens vulgaires à ces géné« raux mal assurés , qui traînent après eux des ames ti« mides,accoutumées à dormir dans le sein de lapaix. « Votre état naturel, c'est la guerre : votre plus douce « passion, c'estlavengeance. Une bataille estpour vous « un jour de fête : célébrons celle-ci avec joie. Voilà « vos victimes : immolez-les à votre gloire, aux mânes « de vos compagnons qu'ils ont égorgés par surprise. « Ici, la bravoure n'a rien à craindre de la ruse et de « l'artifice ; car cesvastescampagnesnepeuventrécéler « aucune embuscade. Tout est ouvert, tout est assuré à « la valeur. Qu'est-ce que cette troupe que vous allez « combattre ? un amas confus de nations foibles, effé« minées, qui se craignent, qui se détestent les unes les « autres, qui souhaitent mutuellement leur perte, et « qui se déchiraient par la guerre, avant que la crainte « de vos armes les eût réunies et comme resserrées en« semble. Ils tremblent déjà avant la bataille : c'est la « terreur qui leur a prêté des ailes pour courir à cette « éminence. Us se repentent de s'être engagés dans ces « plaines; ils cherchent des lieux élevés pour être hors « de la portée de vos traits , et voudraient pouvoir se « cacher dans les nues. Nous connoissons déjà les Ro« mains ; je ne crains que la promptitude de leur fuite. « Sans attendre les premiers coups, ils ont coutume de « disparaître devant la poussière que font lever lespieds « de nos chevaux : ne leur laissez pas le temps de se met« tre en bataille ; j etez-vous sur leurs bataillons, sur le ur s « escadrons flottans ; et, sans vous arrêter à poursuivre « s ur eux votre victoire, chargez les Alains, les Français, « les Wisigots : ce sont là les nerfs de cette armée ; tout <t le reste tombera avec eux. Songez que votre destin ne « dépend pas de l'ennemi : nuls traits ne pourront
�ï L O Q U E N C E.
l53
atteindre celui queMars réserve pour chant er l'hymne de la victoire. Celui qui doit mourir trouvera la mort hors du péril. C'est dans cette carrière que la fortune a suspendu la couronne due à vos exploits passés. Elle ne vous a sauvés de tant de batailles, que pour vous récompenser ici par un triomphe glorieux. C'était pour vous conduire en ces lieux qu'elle ouvroit à vos ancêtreslaroute desPalus-Méotides, fermée, inconnue durant tant de siècles. Ce champ de bataille était le théâtre de gloire que nous promettaient tantdesuccèsinouis. Armez-vous d'une noble fureur ;abreuvezvous de sang ; rassasiez-vous de carnage. Que celui qui se sentiraatteintd'uneblessuremortelle,n'expire qu'après avoir immolé son ennemi. J'irai le premier à la charge. Meure quiconque refusera de suivre Attila ! » 17. Un capitaine suédois , avec sa compagnie , ne vouloit point obéir, dans une circonstance, aux ordres réitérés du vicomte de Turenne. Ce général le fit arrêter , et le condamna à être pendu. Lorsqu'on le conduisons au supplice , cet officier adressa la parole au vicomte, et lui dit , au nom de sa troupe : « Nous « ne craignons point la mort, de quelque manière « qu'elle se présente à nos yeux ; et mes compagnons « pourroient bien te montrer , ainsi que moi , qu'ils « l'ont affrontée plusieurs fois sans pâlir. Vois ces cica« trices, et poursuis ton dessein. Mènes-nous où tu « voudras, pourvu qu'il y aille du service de la cou« ronne dont nous sommes nés sujets. Nous ne sommes « point des mercenaires ; et, si nous avons été à la solde « du roi ton maître , nous l'avons bien servi pour son « argent. Les trente-deux blessures que je temontrerai « sur ma poitrine, en sont une preuve. Je sers depuis « l'âge de dix-sept ans : j'en ai soixante quatre passés; « et, comme je suis sur le bord de ma fosse , tu ne « peux avancer ma mort que de peu de jours ; mais « prends garde à ne pas déshonorer les tiens, en con« damnant de braves gens à un supplice infâme. » Ce fier discours remplit le général d'admiration. Au même instant, il révoqua son arrêt, combla cet officier de caresses, et, par ses bienfaits, le rendit docile-
« « « « « « « « « <s « « « « « «
�l54 ÉMULATION. 28. Avant la bataille de Rocroy, le duc à'Enguién, voulant encourager ses troupes, leur tint ce discours: « Français, c'est tout vous dire en un mot, vous voyez <K devant vous vos vieux ennemis, ces fiers Espagnols « qui disputent avec vous , depuis si long-temps , la « gloire et l'empire. Leur furieux général frémit de « se voir arracher une victoire qu'il croyoit sûre , et « obligé d'abandonner le siège d'une place dont la « conquête lui eût ouvert nos plus belles provinces « jusqu'aux portes de Paris. Il vient pour s'en venger, « avec tout l'orgueil de sa nation : opposons-lui toute « là fierté -, toute la valeur de la nôtre. Je suis parti « de la cour pour me mettre à votre tête, et j'ai pro<< mis de ne revenir que victorieux. Ne trompez pas « mes espérances. Souvenons-nous , vous et moi, de « là bataille de Cérisoles : imitez vos aïeux, quitriom« plièrent , et j'imiterai mon prédécesseur , qui les « mëiioit au combat. Que le surnom d'Enguien, que « portoit ce prince du sang de Bourbon, nous soit, à « vous et à moi, de bonne augure ; et que l'ennemi, « qu'il vainquit aux champs de Cérisoles, honore « encore aujourd'hui notre triomphe par sa défaite « dans les plaines de Rocroi (1). » Voyez GOUT.
ÉMULATION.
N roi de Lacédémone vouloit détruire une ville rivale de Sparte 5 les éphores s'y opposèrent : « Con« servez , lui dirent-ils , la pierre sur laquelle s'ai« guise le courage de nos jeunes gens. » 2. Deux officiers Romains , nommés Varênus et Pulfio, se disputaient sans cesse le prix de la bravoure , et chacun vouloit être préféré à son rival. Les
,.U
(l) On trouvera dans les diffeVens articles qui composent ce Die tionnaire , un très-grand nombre de disr.ours qui peuvent etr« regarde's comme des modèles d'éloquence : nous y renvoyons le lecteur.
�ÉMULATION.
l5
Nerviens, peuples des Gaules , attaquoierït lé camp des Romains. Au plus fort de l'attaque, Puljio défie Varénus : « Voici, dit-il, l'occasion de décider nos an« ciennes querelles ; voyons qui de nous deux fera « preuve d'une plus grande valeur. » En même tempsil s'élance hors des retranchemens , et va fondre sur tin gros d'ennemis qui étoient très-serrés. Varénus^ïqué d'honneur, le suit à peu de distance. Pulflo trie d'abord un des Nerviens ; mais bientôt il est enveloppé. Varénus court à lui et le dégage ; mais il se trouve, Je moment d'après , dans le même péril d'où il vient de tirer son émule, et est, à son tour, dégagé par lui. Ainsi les deux rivaux se durent mutuellement la vie , et la gloire de la vaillance demeura encore indécise entre eux. 2. Depuis huit ans , les Messéniens et les Lacédémoniens se faisoient une guerre sanglante. Ils en vinrent aux mains près d'Ithome. Euphaès , foi de Messénie , enfonça les bataillons de Théopompe , roi de Sparte , avec trop d'ardeur et de précipitation. Il y fut percé de coups, dont plusieurs étoient mortels, et tomba presque sans vie. Alors on fit, de part et d'autre , des efforts extraordinaires de courage , les uns pour enlever le monarque , les autres pour le sauver. Cléonis tua huit Spartiates qui l'entraînoient, et, les ayant dépouillés , mit leurs armes en garde entre les mains de ses soldats. Il avoit reçu plusieurs blessures , et elles étoient toutes par devant, preuve cortaine qu'aucun des ennemis ne lui avoit fait lâcher le pied. Arislombne , combattant dans la même occasion , et pour le même sujet, tua cinqLacédémoniens, dont il emporta aussi les dépouilles 5 et il ne reçut aucune blessure. Le roi délivré par ses fidelles et courageux Messéniens, recueillit ce qui lui restoit deforcepourles féliciter de leur victoire. Aristomene, après la bataille , rencontra Cléonis, qui ne pouvoit, à cause de ses blessures , marcher ni de lui-même, ni avec le secours de ceux qui lui donnoient la main. Il le chargea sur ses épaules , sans quitter ses armes, et le porta au camp. Après qu'on eut mis le premier appareil aux plaies du roi de Messénie et des officiers, il s'éleva parmi les
�l56 ÉMULATION. Messéniens un nouveau combat, non moins vif que le premier, mais d'une espèce bien différente, et qui en étoit la suite. Il s'agissoit d'adjuger le prix de la gloire à celui qui s'y étoit le plus distingué par sa bravoure. C'étoitpour lors un usage , déjà assez ancien, de faire proclamer publiquement le plus brave de la journée/ après chaque bataille. Rien n'é toit plus propre à nourrir le courage des officiers et des soldats, à leur inspirer une audace intrépide, à étouffer en eux toute crainte des dangers et de la mort. Deux illustres champions entrèrent en lice : Cléonis et Aristomene. Le roi, tout blessé qu'il étoit, présida, avec les principaux officiers de l'armée, au conseil où. cette importante dispute devoit être décidée. Chacun des contendans plaida sa cause. Cléonis appuyoit sa prétention sur le plus grand nombre d'ennemis qu'il avoit tués, et sur les plaies qu'il avoit reçues dans la bataille , témoins non douteux du courage avec lequel il avoit affronté la mort ; au lieu que l'état dans lequel Aristomene étoit sorti du combat, sans y avoir reçu aucune blessure , laissoit entrevoir qu'il avoit été fort attentif à conserver sa personne, ou prouvoit tout au plus qu'il avoit été plus heureux, mais non pas plus brave que lui. Quant à ce qu'il l'avoit transporté sur ses épaules , dans le camp , c'étoitune action qui pouvoit montrer la force de son corps, mais rien de plus ; et, dans l'occasion présente , disoit-il, il s'agit de bravoure. Le seul reproche qu'on faisoit à Aristomene, étoit qu'il n'avoit point été blessé, et c'est à quoi ce guerrier s'attacha. « On m'appelle heureux, dit-il , parce que « je n'ai pointreçu de blessures. Si j'en étois redevable « à ma lâcheté, je ne mériterois point ce nom; et, bien « loin d'être admis à disputer le prix, je devrois subir la « rigueur des lois qui punissent les lâches. Mais , ce « qu'on m'objecte comme un crime, est ce qui fait ma « gloire; car, soit que les ennemis, étonnés de ma « valeur, n'aient osé me résister, soit, quand ils ont « combattu, que j'aie eu tout ensemble et la force de les « tailler en pièces, et la sage précaution de mepréser« ver de leurs coups, j'aurai été tont-à-la-fois et vaillant
�ÉMULATION.
10/
et, prudent. Car quiconque , dans la chaleur même du combat , s'expose aux hasards avec sagesse et retenue , montre qu'il possède en même temps les vertus et du corps et de l'esprit. On ne peut pas certainement reprocher à Cléonis qu'il ait manqué de courage 5 mais je suis fâché, pour son honneur, qu'il paroisse manquer de reconnoissance. » Après ces discours , on alla aux suffrages : tout le monde demeure suspendu dans l'attente du jugement. Nulle dispute n'égale celle-ci en vivacité. Il ne s'agit point d'or ou d'argent : l'honneur est ici tout pur ; la gloire désintéressée est le vrai salaire de la vertu. Ici, les juges ne sont point suspects. Les actions parlent encore. C'est le monarque, environné de ses officiers, qui préside et qui prononce. Ces t toute une armée qui est témoin. Le champ de bataille estuntribunal sansfaveur et sans cabale. Toutes les voix se réunirent en faveur à'Aristomene, et lui adjugèrent le prix de la bravoure. Euphaès ne survécut pas long-temps à ce jugement, et mourut quelques jours après. Comme il n'avoit point d'enfans , il laissa au peuple messénien le soin de lui choisir un successeur. Cléonis et Damis le disputèrent à Aristomene ; mais ce dernier fut élu préférablement aux autres.Quand ilfutroi, il honora des plus grandes charges ses deux rivaux. Vifs amateurs dubien public , encore plus que de la gloire ; concurrens , mais non ennemis, ces grands hommes brûloient de zèlepoui la patrie, et ils n'étoient jaloux que de la gloire de la sauver. "4- François, comte d'Enguien , prince du sang , voyant à la bataille de Cérisoles le maréchal de SaintAndré qui s'avançoit avec intrépidité jusqu'au milieu des ennemis , voulut imiter un exemple qui flattoit son courage , et, par un mouvement de jalousie héroïque, chercha à s'enfoncer (dans les bataillons ennemis. On lui représenta que ce îrétoit pas le devoir d\in général de s'exposer ainsi ; que de sa vie dépendoit le salut de l'armée. A toutes ces raisons, il répondit d'\vn ton chagrin: «Qu'on fasse donc retirer Saint-André!» 5. Le vicomte de Twrenraeétoitd'unecomplexion trèsdélicate dans son enfance , et sa constitution fut tou-
« « « « « « «
�iç8
ÉMULATION.
jours foible jusqu'à l'âge de douze ans ; çe qui fit dire souvent à son père , qu'il ne seroit jamais en état de soutenir les travaux de la guerre. Le jeune héros, pour le forcer à penser différemment, prit à l'âge de dix-huit ans la résolution de passer une nuit , pendant l'hiver, surlerernpartdeSedan.LechevalierJe/7"assignac, son gouverneur, aprèsl'avoir long-temps cherché, le trouva sur l'affût d'un canon , où il s'étoit endormi. Il s'attachoit beaucoup à la lecture de l'histoire, et sur-tout à celle des grands hommes qui s'étoient distingués par les vertus et par les talens militaires. Il fut frappé du caractère à'Alexandre-le-Grand.YjÇ génie de ce conquérant plut au jeune vicomte, que sonambition auroit peut-être porté aux entreprises les plus éclatantes, s'il eût vécu dans ces temps où la valeur seule autorisoit les hommes à troubler la paix de l'univers. 11 prenoit plaisir à lire Quinte-Curce, et à raconter aux autres les faits héroïques qu'il avoit lus. Pendant ces récits, on voyoit son geste s'animer, ses yeux étinceler ; et alors son imagination échauffée forçoit la difficulté naturelle qu'il avoit à parler. Un officier s'avisa un jour de lui dire que l'histoire de QuinteCurce n'étoit qu'un roman. Le jeune prince en fut vivement piqué. La duchesse de Bouillon, pour se divertir , fit signe à l'officier de continuer à le contredire. La dispute s'échauffa : le héros naissant se mit en colère, quitta brusquement la compagnie, etfitsecrètement appeler en duel l'officier, qui accepta la proposition , pour amuser la duchesse de Bouillon, charmée de voir dans son fils ces marques d'un courage précoce. Le lendemain , le vicomte sortit de la ville , sous prétexte d'aller àl a chasse; et, étant arrivé au lieu du rendez-vous , ily trouva une table dressée. Comme il rêvoit à ce que signifioitcet appareil , la duchesse de Bouillon parutavec l'officier, et dit à son fils qu'elle venoit servir ide second à celuicontrequiilvouloitsebattre. Leschasseurs se rassemblèrent ; on servit le déjeûner ; la paix fut faite, et le duel se changea en une pai-tie de chasse. 6. L'orateur Callistrate de voit plaider en pleine audience une cause célèbre. Sa grande réputation, et l'inv
�i5g excitèrentlacuriosilédes Athéniens, Ijui se rendirent en foule dans la salle. Démosthene, âge Eour lors de seize ans, pressa vivement ses maîtres de ■vouloir le mener avec eux au barreau , afin qu'il pût ■ssisteràceltefameuseplaidoirie. Callistrate fut écouté ■vec une grande attention ; et ayant eu un succès extraordinaire , il fut reconduit chez lui en cérémonie , u milieu d'une foule de citoyens illustres qui s'emressoientàl'envide lui prodiguer des éloges flatteurs, ce spectacle, une vive émulation s'empara du cœur de ^Démosthene : ces honne urs extraordinaires, accordés au lacrile, firent sur son ame une impression profonde ; St, dèscemoment, cnflammédu désird'imiteretmême He surpasser Callistrate, il se livra tout entier à l'élude ■c l'éloquence , dont les charmes étoient si puissans. I 7. A Rome , on aimoit à récompenser le mérite ; et |a reconnoissance publique excitoit le plus vif désir de la mériter. Les actions militaires avoient mille récompenses qui ne coûtoient rien à l'état, et qui étoient in■nimentprécieuses aux particuliers, parce qu'ony avoit ■ttaché la gloire, cette idole chérie du peuple romain. ■Jne couronne d'or très-mince , et, le plus souvent, ■ne couronne de feuilles de chêne, ou de laurier, ou He quelque herbage plus vil encore, devenoit inestima^ Rie parmi les soldats, qui ne connoissoient point de plus pelles décorations que celles de la vertu, ni de plus noble listinelion que celle qui venoit des actions glorieuses. Skiel effet produisoient, dans l'esprit des soldats et des Hfticiers, les louanges données àla tête de l'armée par le général, après uu combat où ils s'étoient distingués ■'une manière particulière ! Et ces louanges étoient accompagnées de monumens glorieux , et de preuves iensibles etpermanentesdeleur mérite, qu'ils laissoient ileurpostérité, comme un précieux héritage. C'étoient-ià pour eux de véritables lettres de noblesse rc'étoient, m ailleurs des titres assurés pour monter à des places publiques plus avantageuses et plus honorables 5 qui Ii'etoientaccordées qu'au mérite, etnon enlevéespar la Rrigue et par la cabale. De simple soldat, on pouvoit , fnpassantsuçeessivement pardifférens degrés, arriver
ÉMULATION.
jDortancedusujet,
�160
ÉMULATION.
jusqu'au consulat. Quelle agréable perspective pour unbas-officier, d'envisager dans le lointain les premières charges de l'état et de l'armée , • comme autant de récompenses auxquelles il pouvoit aspirer! Mais quelle impression l'honneur du triomphe ne devoit-il pas faire sur l'ame des généraux ! Un particulier voyoit venir au devant de lui le sénat en corps avec tous les ordres de 1état. Pour lui, tous les temples fumoient des sacrifices offerts aux dieux en action de grâces de sa victoire ; et montré en spectacle sur un superbe char , il voyoit marcher devant lui les glorieuses dépouilles qu'il avoit remportées, et étoit suivi de l'armée victorieuse, qui faisoitretentir toute la ville de louanges non suspecteset justement méritées ! Une si auguste cérémonie sembloit élever le triomphateur au-dessus de l'humanité. 8. Un bénédictin desBlancs-Manteaux, dont M. Roilin , encore tout jeune, alloit souvent entendre ou servir la messe, fut le premier qui aperçut en lui les grandes dispositions qu'il avoit pour les lettres. Il connoissoit la mère du jeune homme , qui étoit, en son genre, une femme de mérite. Il lui parla, et lui dit qu'il falloitab> solument qu'elle lefit étudier. Son inclination le portoit bien àl'étude; mais des raispns plus fortes enapparence s'y opposoient toujours. Elle étoit devenue veuve, sans nulle ressource du côté de la fortune, que la continuation du commerce de son mari, quiétoitcoutellier.Ses enfans pou voient seuls l'aider à la soutenir, et elle se trou voit hors d'état défaire pour aucun d'eux les frais d'une autre éducation. Le bon religieux, bien loin de se rebuter, continua ses instances; et, le principal obstacle ayant été levé par l'obtention d'une bourse du collège des Dix-Huit, le sort du jeune Rollin fut décidé en conséquence: et dès-lors il parut tout autre, même aux yeux de sa mère. Elle commença par trouver plus d'esprit et de délicatesse dans les marques de son respect et de sa soumission. Elle fut ensuite sensible à ses progrès , qu'on lui annonçoit de toutes paris, et dont on ne lui parloit qu'avec une sorte d'étonnement: et, ce qui ne la flatta pas moins, sans doute , ce fut de voiries pareils de ses compagnons d'étude ; les plus dis-
�ENJOUEMENT.
l6l
lingues par leur naissance et par le rang qu'ils tenoient dans le monde , envoyer ou venir eux-mêmes la prier de trouver bon que son fils passât avec eux les jours de congé,et fût associé à leurs plaisirs comme à leurs exercices. Alatête de ces parens illustres, é\,o\tM. le Pelletier , le ministre, dont les deux fils aînés avoient trouvé un redoutable concurrent dans ce nouveau venu. Leur père, qui connoissoit mieux qu'un autre les avantages de l'émulation, ne chercha qu'àraugmenter. Quand le jeune boursier étoit empereur, ce qui lui arrivoit sou*» vent, il lui envoyoit la même gratification qu'il avoit coutume de donner à ses fils; et ceux-ci Paimoient, quoique leur rival. Ils l'amenoient chez eux dans leur carrosse : ils le descendoientehez sa mère, quand il y avoit affaire : ils l'y attendoient ; et un jour qu'elle remarqua qu'il prenoit sans façon la première place, elle voulut lui en faire une sorte de réprimande, comme une faute essentielle contre la politesse ; mais le précepteur répondit humblement que M. le Pelletier avoit réglé qu'on se rangerait dans le carrosse , suivant l'ordre de la classe. Voyez AMOUR DE LA GLOIRE.
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
ENJ OU E M E N T.
fut invité à souper chez Platon. Le repas étoit frugal, mais délicat etbien entendu. Une gaieté douce animoit les convives : on y traita plusieurspointsde morale très-intéressans. Timothée étoit enchanté. La satisfaction secrète qu'il éprouvoit étoit bien au-dessus de la joie bruyante qui régnoit dans les grands repas qu'il donnoit souvent à ses officiers. Un concert délicieux termina le festin. Le général sortit, plein d'un contentement intérieur qu'il n'avoit jamais senti ; le repas frugal qu'il avait fait lui procura nu sommeil léger et tranquille. Le matin il se leva frais et joyeux. Le doux sentiment des plaisirs de la veille affectoit encore délicieusement son cœur; et, par hasard, ayant rencontré Platon : « Vos repas, luidit-il-» Tome IL L
,T,IMOTHÉE , général athénien,
�ÉQUITÉ. l62 « ne sont pas seulement agréables pour le moment, « ils le sont encore pourle lendemain. « Voyez GAIETÉ, HUMEUR ( bonne ) , JOIE.
ÉQUITÉ.
i. V_TUSTAVE , roi de Danemarck , avoit un favori, qui lui demanda une place pour un homme incapable de la remplir. Ce monarque se fit informer du présent que Ton vouloit faire au courtisan. Il le fitvenir, et lui dit, en lui montrant une somme égale à celle qu'on lui offroit : « Prends cet argent qui ne peut me rendre « pauvre; mais ne me demandes pas une grâce qui « me rendroit injuste. » 2. Quelqu'un faisoit une demandeinjuste hlIenrilV. « Je suis bien fâché de vous refuser, lui répondit ce « grand prince; mais je n'ai que deux yeux et deux « pieds : en quoi serois-je différent du reste de mes su« jets, si j e perdois le beau privilège de rendre'] a justice?» Un coustisan le pressoit de pardonner à son neveu, qui venoit de tuer un homme dans une querelle : « Il « vous sied bien de faire l'oncle , lui dit-il ; à moi, de « faire le roi : j'excuse votre demande , excusez mes « refus. » Un de ses valets-de-pied ayant non-seulement insulté , mais même frappé un paysan dans un retour de chasse, au faubourg Saint-Germain, le paysan cria au secours, et implora la justice du roi. Le bruit en vint aux oreilles du monarque , qui fit approcher le villageois , et s'informa des mauvais traitemens qu'il avoit reçus. Le valet-de-pied fut mis en prison, et condamné aux galères le jour même. 3. Une femme avoit un procès contre un domestique de Julien l'Apostat. Cet officier avoit été cassé , et c'était peut-être ce qui donnoit à cette femme la hardiesse de l'attaquer. En entrant à l'audience , elle est surprise de le revoir avec la ceinture militaire; et désespérant d'obtenir justice contre un homme quiavoït
�ÉQUITÉ. \ l63 eu 3e crédit de rentrer dans le palais, elle commence à déplorer son malheur. Julien l'entend et la rassure : « Faites valoir vos prétentions , lui dit-il, et ne crai« gnez rien ; il a cette ceinture pour marcher plus « vite dans les mauvais chemins ; mais il n'a pas le « crédit de vous faire perdre votre procès. » 4- Le connétable de Montmorency ayant été disgracié , fut abandonné de tous ses amis. L'amiral Chabot fut le seul qui lui resta fidèle. François /en fut informé. Il fit venir Cliabot ; il lui dit qu'il étoit instruit de ses liaisons avec le connétable, et qu'il lui défendoit de les continuer. Chabot répondit avec une générosité héroïque , qu'il savoit ce qu'il devoit à son roi, mais qu'il n'ignoroit pas non plus ce qu'il devoit à son ami 5 que le connétable étant un bon sujet, qui avoit toujours bien servi l'état, il ne l'abandonnerait jamais. Le roi le menaça de lui faire son procès : « Vous le pouvez, Sirej « je ne demande là-dessus ni délai, ni grâce ; ma con« duite a toujours été telle que je ne crains rien ni pour « ma vie, ni pour mon honneur. » Cette réponse piqua le monarque : il fit anêter Chabot, que l'on conduisit au château de Melun,et le chancelier Poyet fut chargé de chercher des commissaires dans divers parlement pour lui faire son procès. Après bien des détours, on trouva enfin des crimes imaginaires à l'innocent Chabot. Il fut condamné à mort ; et le chancelier revint triomphant de Melun , avec la procédure et la condamnation de l'amiral, qu'il présenta au roi. Un prince tel que François I, pouvoit agir par humeur, mais il étoit incapable d'une injustice marquée. Il fut indigné à la vue de cette infâme procédure , et dit au chancelier , pour toute réponse : « Je n'aurois jamais cru « avoir dans mon royaume tant des juges iniques. » Il fit ensuite revenir l'amiral à la cour, et lui rendit ses bonnes grâces. 5. Lorsque l'empereur Claude-le-Gothigue eut été placé sur le trône des Césars, une femme vint le trouver , et lui représenta qu'il possédoit une terre dont elle avoit été dépouillée contre tout droit et toute raison; il lui répondit; «Le tort que Claude partielle
�lv4
EQUITE.
« lier, vous a fait, lorsqu'il n'étoit point chargé de « veiller à l'observation de lois, Claude empereur le •« répare ; » et il lui rendit la terre dont elle réclamoit la possession. 6. Canut, roi de Danemark, ayant tué un de ses gardes dans l'ivresse, descendit du trône, et demanda d'être jugé comme un particulier, puisqu'il avoit violé les lois qu'il avoit portées lui-même. Mais personne •n'osant prononcer contre lui, il se condamna à payer le quadruple de la taxe réglée pour un homicide, sans réserve du quart que la loi lui atlribuoit. y. François I étoit à la chasse aux environs deBlois. Il rencontra une femme assez bien mise , accompagnée d'un homme qui pouvoit passer pour son écuyer, et d'un autre domestique. Le roi lui demanda où elle alloit par un temps froid et assez mauvais. On étoit en hiver. Cette femme , qui ne le connoissoit pas, mais qui vit bien à l'air et au maintien de François, l'un des plus beaux hommes de son royaume , qu'il ne pouvoit être que d'un rang très-distingué, le salua, et ne fit aucune difficulté de lui rendre compte de son voyage. « Monsieur , lui dit-elle , je vais à Blois « à dessein d'y chercher quelque protection qui puisse « me procurer une entrée au château, et l'occasion « de nie jeter aux pieds du roi, pour me plaindre à ■« sa majesté d'une injustice qu'on m'a faite au parle« ment de Rouen , d'où je viens. On m'a assuré que « le roi étoit plein de bonté , qu'il a celle d'écouter « facilement ses sujets , et qu'il aime la justice: peut« être aura-t-il quelque égard à ma triste situation et à la bonté de ma cause. — Exposez-moi voire « affaire , mademoiselle , lui dit François, sans se « faire connoître. J'ai quelque crédit à la cour , et « j'ose même me llatter de vous y rendre quelque « service auprès du roi, si vos plaintes sont fondées. « — Voici , monsieur , répliqua la dame , l'affaire « dont il s'agit. Je suis veuve d'un gentilhomme qui « étoit homme d'armes d'une des compagnies de sa « majesté. Pour être en état d'y faire son service , il « emprunta d'un homme de robe ; et pour sûreté du
�ÉQUITÉ. 165 « prêt et des intérêts , il engagea sa terre, qui faisoi* « tout son bien. Mon mari fut tué dans une bataille« Le créancier, qui s'est emparé de cette terre , a « toujours joui des fruits, et il m'a été impossible de « payer les intérêts, et encore moins le principal. Je « l'ai traduit en justice ; et quoi qu'il soit certain que « les jouissances égalent le principal et les intérêts « de sa créance , je demandois qu'il s'en fît au moins « une compensation ; mais on n'a eu aucun égard à « ma demande , et je viens d'être condamnée , avec « dépens. Mon conseil m'a de plus assuré qu'il n'y « avoit aucun remède à mon affaire , si le roi ne dai« gne y en apporter lui-même. Si j'ai le malheur de « n'en être pas écoutée , c'en est fait de ma fortune << et de celle de mes enfans , qui sont en grand nom« bre : nous sommes, eux et moi , réduits à la men« dicité. Je vous prie , monsieur, puisque vous avez « daigné m'écouter, de vouloir bien me servir de pro« tecteur. » Le roi, touché du récit de la veuve , lui dit : « Mademoiselle, continuez votre route ; venez « demain matin au château, et demandez le nom « d'un tel. » ( Il lui indiqua un nom qu'il imagina ) , « et ce gentilhomme vous fera parler au roi sur-le« champ. » Elle remercia , alla à Blois , et le roi rejoignit les courtisans qui l'accompagnoient. Il n'oublia pas ce qu'il avoit promis ; et commanda, en arrivant au château , qu'on l'avertît, s'il se présentoit une demoiselle qui demandât à parler à un tel gentilhomme. La veuve ne manqua pas de paroître le lendemain. Le roi, qui en fut aussitôt averti, la fit introduire dans l'appartement où il étoit, es se faisant connoître : « Je suis, lui dit-il, celui que vous demandez, « assez bien avec le roi, comme vous voyez, pour en « obtenir tout ce que je veux. Qu'on aille chercher « mon chancelier , continua-t-il, qu'on examine les « plaintes de cette demoiselle. Allez, lui dit-il encore, « on vous fera justice. » La veuve , frappée du dernier etonnement, ne put que se jeter aux genoux du monarque , qui la fit relever avec bonté , et voulut qu'on examinât en sa présence l'affaire dont il s'agisL 5
�l66 ÉQUITÉ. soit. Le .résultat fut un ordre précis au créancier de remettre la terre , en recevant ce qui lui étoit raisonnablement dû , et quant au payement de la dette , le roi le fit faire de ses propres deniers. 8. Un des plus grands seigneurs de France ayant cassé le bras gauche à un sergent, dans le temps qu'il remplissoit les fonctions de son office , Louis XII ne l'eut pas plutôt su, qu'il alla lui-même au parlement, portant le même bras en écharpe. La cour surprise de le voir en cet état, et lui ayant demandé quel accident l'obligeoit à porter ainsi le bras : « Un mal qui « exige de prompts remèdes , » répondit-il. Il exposa ensuite ce qui étoit arrivé au sergent, et ajouta : « Puisqu'on fait une pareille violence à ceux qui exé« cutent les ordres de ma justice , que me servira ce « bras qui en porte le glaive que j'ai reçu de Dieu, « aussi-bien que mon sceptre et ma couronne ? » Après avoir parlé de la sorte , ce grand monarque obligea le seigneur coupable de réparer , par une satisfaction proportionnée , le dommage qu'il avoit fait au sergent. 9. Un des valets-de-chambre de Louis XLV le prioit, comme il se mettait au lit, de faire recommander à M. le premier président un procès qu'il avoit contre son beau-père , et lui disoit, en le pressant : « Hélas ! sire , vous n'avez qu'à dire un mot. « Eh ! lui dit le monarque , ce n'est pas de quoi je « suis en peine 5 mais dis-moi, si tu étais à la place « de ton beau-père , et que ton beau-père fût à la « tienne, serois-tu bien aise que je disse ce mot ? » 10. Un délateur présentait au duc de Bourbon, surnommé le Bon , un mémoire contenant les fautes commises par plusieurs de ses officiers. « Mon ami, « lui répondit le prince , je vous remercie de votre « zèle : cette liste me servira à me rappeler les servi« ces de ceux dont vous l'avez composée. Voyez
JUGEMENS , JUSTICE.
�ÉRUDITION.
167
ÉRUDITION.
1. CTORGIAS le Léontin avoit acquis , par une étude rie plus de soixante ans , une érudition si vaste , que sa tête pouvoit passer pour une vivante encyclopédie. Un jour il osa proposer à rassemblée des jeux olympiques , de répondre à toutes les questions qu'on vouloit lui faire ; et quoiqu'il y eût dans cette circonstance une foule de savans capables , sinon de remiorter , du moins de disputer long-temps la victoire , e mérite reconnu de Gorgias les empêcha de se montrer , et leur silence mit le comble à la gloire de ce philosophe. Pour honorer ses talens , et pour en periétuer la mémoire , la Grèce entière fit ériger dans e temple de Delphes une statue d'or massive , qui représentait Gorgias un livre à la main. 2. Un travail assidu , de savantes recherches , conduisirent le célèbre Varron à un si haut point d'érudition j qu'il devint en quelque sorte l'oracle de son siècle. Les poètes , les historiens , les jurisconsultes , les orateurs , tous consultaient ses lumières , et les plus grands génies de Rome et de l'univers recevoient ses avis , ses leçons avec une docilité d'enfant. Il est vrai qu'il relevoit les avantages de son esprit par une modestie sans bornes , qui rendoit son commerce aimable. Telle étoit l'estime de ses contemporains pour lui, que Pollion , de son vivant même , lui fît ériger une statue dans la bibliothèque de Rome. 3. La réputation de Jean Campège, Boulonais, s'était tellement répandue dans toute l'Italie et les pays voisins , qu'on venoit de toutes parts le consulter sur les points de doctrine les plus difficiles. Il répondoit à tout : quelle que fût la matière sur laquelle on l'interrogeât , il donnoit des réponses lumineuses, et l'on sortoit satisfait de son musœum. Les études étaient tombées dans la ville de Padoue ; on voulut les remettre envigueur : on délibéra sur le choix d'un maître : les avis
f
Î
�l68
SSVBITIOtî.
ne furent point partagés ; le suffrage unanime déclara Jean Campège, restaurateur des belles-lettres, et l'on choisit une députation pour supplier ce savant de vouloir Lien agréer la place que lui offroit une des premières cités de l'Italie. Use rendit donc à Padoue ; et quand il fut près d'entrer dans cette ville , on vit tout le peuple sortir en foide à sa rencontre, le combler de bénédictions, remplir l'air d'acclamations flatteuses, et le conduire comme en triomphe dans la majson qu'on lui avoit préparée. Jamais le savoir n'avoit été si bien honoré, et jamais savant n'avoit tant mérité de l'être. /] . Ceux qui ne voient les mathématiques que de loin , c'est-à-dire , qui n'en ont pas de connoissance , peuvent s'imaginer qu'un géomètre,un mécanicien, un astronome, ne sont que le même mathématicien. C'est ainsi à peu près qu'un Italien, un Français et un Allemand passeroient à la Chine pour compatriotes. Mais quand on est plus instruit, et qu'on y regarde de plus près, on sait qu'il faut ordinairement un homme cnlierpourembrasseruneseule partie des mathématiques dans toute son étendue , et qu'il n'y a que des hommes rares et d'une extrême vigueur de génie qui puissent les embrasser toutes à un certain point. Le génie même, quel qu'il fut, n'y suffiroitpas sans un travail assidu et opiniâtre. Le célèbre M. de la Ilire, joignit les deux, et par là devint un mathématicien universel. Il ne se bornoit pas encore là : toute la physique étoit de son ressort, et même la physique expérimentale, science devenue si vaste. De plus , il avoit une grande connoissance du détail des arts, pays trèsétendu, et très-peu fréquenté. Il étoit encore excellent dessinateur et habile peintre en paysage. Un roi d'Arménie demandoit à Néron un acteur parfait et propre à toutes sortes de personnages , pour avoir, disoit-il, en lui seul une troupe entière. On eût pu de même avoir en M. de la ïîire seul une académie entière des sciences. Voyez AMOUR DES SCIENCES , ETUDE , SAVOIR.
�ESPÉRANCE*
169
ESPÉRANCE.
1. LE saint homme Job, accablé de mille maux, insulté par sa propre femme, privé de tous ses enfans, dépouillé de tous ses biens, frappé d'ulcères dans toutson corps, outragé, calomnié par ses meilleurs amis, se soutenoit dans cet état affreux par une espérance héroïque. « Pourquoi me découragerois-je, s'écrioit-il? pourquoi « m'abandonnerois-je au désespoir ? Non, quand le « Tout-Puissant m'arracherait la vie , j'espérerais en « sa bonté, je confesserais mes crimes en sa présence , « et lui-même serait mon sauveur. Je sais , ajoutoit-il, « je sais que mon rédempteur est vivant; je sais que je « ressusciterai de la terre au dernier jour; que je serai « revêtu de nouveau de cette chair ; que je verrai mon « Dieu, que je le verrai de mes propres yeux, que je « le contemplerai. Douce et sainte espérance ! tu repo« seras toujours dans mon ereur. » 2. Tobiele père ayant perdu la vue,sesparensetses alliés se railloient de sa manière de vivre , et lui disoient : « Où est donc cette espérance qui vous portoit « à faire tant d'aumônes, à exposer vos jours pour ense« velir les morts ?—Taisez-vous, aveugles, leurrépon« dit ce saint patriarche ; ne souillez point votre bouche « par ces horribles blasphèmes : ne sommes-nous pas « enfans des saints , et n'attendons-nous pas du Tout« Puissant cette vie pleine de bonheur qu'il doit donner « à ceux qui espèrent en lui, et qui ne violent jamais « la fidélité qu'ils lui ont promise ? » 3. Alexandre-le-Grand,s\\v\e point de partirpour sa célèbre expédition d'A sie, distribua presque toutes ses richesses entre ses capitaines et. ses soldats. «Quevous « reste-t-il donc , seigneur , lui dit alors Perdiccas ? « — L'espérance , répondit-il. — Elle nous seracom« mune avec avec vous , lui répliqua Perdiccas : » sur-le-champ il lui rendit son présent.
�I7O
ESPRIT.
ESPRIT.
ADAME la Dauphine, Marie-Anne-Victoire de Bavière , passoit pour avoir infiniment d'esprit. Louis XlVhxi disoit un jour : « Vous ne m'aviez pas appris, « madame , que vous aviez une sœur qui étoit très« belle. » Il parloit de madame la grande - duchesse de Toscane. « Il est vrai, sire, répondit la princesse, « j'ai une sœur qui a pris toute la beauté de ma fa« mille, mais j'en ai eu tout le bonheur. » . 2. Pendant l'absence de Philippe, des ambassadeurs du roi de Perse étant arrivés à la cour de Macédoine , Alexandre-le-Grand , encore jeune , les reçut avec tant d'honnêteté et de politesse, et leur fit si bien les honneurs de la table , qu'ils en furent charmés. Mais ce qui les surprit plus que tout le reste , c'est l'esprit et le jugement qu'il fit paraître dans les divers entretiens qu'il-- eut avec eux. Il ne leur proposa rien de puéril, ni qui ressentît son âge ; il ne les interrogea ni sur ces jardins suspendus en l'air qui étoient si vantés , ni sur ces richesses , ce superbe palais , ce faste énorme du roi de Perse, dont on parloit par toute la Grèce. Il leur demanda quel chemin il falloit tenir pour arriver dans la haute Asie ; quelle étoit la distance des lieux ; en quoi consistait la force et la puissance du roi de Perse ; quelle place le roi prenoit dans une bataille ; comment il se conduisoit à l'égard de ses ennemis , et comment il gouvernoit ses peuples ? Ces ambassadeurs ne se lassoient point de l'admirer 5 et sentant dès-lors ce qu'il pourrait devenir un jour, ils marquèrent en un mot la différence qu'ils mettaient entre Alexandre et Artaxerxès, en se disant les uns aux autres : «Ce jeune prince est grand, le nôtre est riche.» 3. Du temps d'un certain ministre, cinq beaux-esprits qui passoient pour être bons amis , avoient soupé ensemble. Dans la chaleur du repas, après avoir renvoyé les valets, ils parlèrent en liberté des affaires du temps ;
�ESPRIT.
171
et l'un des cinq fit sur-le-champ un coupletfortsanglant sur le ministre. Le lendemain, à neuf heures du matin, le ministre envoie dire à l'auteur du couplet qu'il vînt lui parler. Il fut surpris de ce message. 11 n'avoit avec le ministre aucune relation. Il étoit Gascon, et libre d'affaires,. Il ne songea à rien moins qu'à sa chanson. Il va chez le ministre : « Monsieur, lui dit-il, dès qu'il « le tint dans son cabinet, que vous ai-je fait ? —Vous, « monseigneur , répondit le Gascon ? ni bien ni mal. « Eh bien ! si je ne vous ai point fait de mal, pourquoi « voulez-vous m'en faire ? — Moi, monseigneur ! — « Tenez, connoissez-vous cet écrit ? n etes-vous point « l'auteur de ce couplet charitable?—Ciel! que vois-je? « Quelle trahison ! Cependant, monseigneur, souffrez « que je vous dise que ce couplet vous justifie. Si vous « êtes toujours aussi bien servi en espions , il ne vous « sera pas difficile de soutenir la réputation de grand « ministre.— Mais pourquoi me déchirer ainsi ? parlez ? « pourquoi ? — Pourquoi ? monseigneur , pourquoi ? « Que voulez-vous que je vous dise ? J'ai cru être avec « quatre de mes amis , et je vois que tout au moins « un des quatre est un traître. — Laissous-là le traître « et la trahison 5 il n'est question que de vous et de « votre mauvais esprit. Pourquoi me déchirez-vous ? « —Monseigneur, que vous répondre ? C'est la mode « de faire des chansons contre vous. Les Français ai« ment la mode , et je suis Français. — Allez , mon« sieur ; votre esprit qui vous tire d'affaire ; allez en « paix, et ne péchez plus. — Monseigneur, votre ab« solution me corrige. Ou je n'irai plus au Parnasse , « ou j'irai vous y chanter sur un ton bien différent. « — Je vous le conseille. — Ah ! monseigneur, je vais « dans le moment profiter de l'avis. » Il alla faire à la gloire du ministre un fort joli ouvrage , qu'il vint lui présenter dès le lendemain à la même heure. Il en eut une pension , et fut toujours bien traité. 4- Les comédiens français voulant empêcher ceux de la comédie italienne de parler français , le roi voulut juger ce différent. La troupe des Français députa le célèbre Baron ; et celle des Italiens , le fameux
�172 E S TIME. Dominique , connu sous le nom à'Arlequin. Baron parla le premier; et ayant fini son discours, Arlequin, après quelques pantomimes de caractère , demanda à sa majesté comment elle souhaitoit qu'il parlât ? Le roi, ne pensant point à l'équivoque à'Arlequin , lui dit : « Parles comme tu voudras. — Oh! cela étant, sire, ré« pondit Dominique, je n'en veux pas davantage : ma « cause es t gagnée. » Louis XIV visai de la surprise, dit: « La parole m'est échappée ; je ne veux point la retirer : « ainsi les Italiens continueront de parler français. » 5. Un officier gascon , demandant au ministre de la guerre ses appoinlemens, lui représenta qu'il étoit en danger de mourir de faim. Le ministre lui voyant un visage plein et vermeil , lui répondit que son visage le démentoit. «Ne vous y méprenez pas, monsei« gneur, lui dit le Gascon, ce visage n'est pas à moi; « je le dois à mon hôtesse , qui me fait crédit depuis « long-temps. » Cetle repartie ingénieuse lui valut dans le moment une avance considérable. 6. M. Dufresny vouloit obtenir du duc d'Orléans, régent de France, une gratification. Une foule de gens en demandoit ; et, pour avoir la préférence , il falloit s'y prendre avec esprit auprès d'un prince qui en avoit beaucoup. Il lui présenta un placet : « Pour votre « gloire , monseigneur , il faut laisser Dufresny dans « son extrême pauvreté , afin qu'il reste au moins un « seul homme dans une situation qui fasse souvenir « que tout le royaume étoit aussi pauvre que Du« fresny , avant que vous y eussiez mis la main. » Par ce tour ingénieux et flatteur , il obtint plus qu'il ne demandoit. Voyez ADKESSE D'ESPRIT , JUSTESSE.
ESTIME. I.ESCHINE désiroit d'être reçu au nombre des disciples de Socrate ; mais voyant qu'ils lui faisoient de riches présens , il craignoit d'être rebuté à cause de son extrême indigence.' « O le plus sage des Grecs !
�ESTIME.
173
« dit-il à ce philosophe , je ne puis rien vous offrir « que moi-même , et tout ce que je suis ; daignez « accepter avec bonté ce foible présent , si toutefois « il mérite ce nom. — Vous vous estimez donc bien « peu, lui dit Socrate! Vous comptez donc pour rien « le présent que vous me faites de vous-même ? En« trez , et je m'efforcerai de vous rendre estimable à « vos propres yeux. » 2. Après la célèbre bataille de Platée , un des premiers citoyens d'Egine , ville de la Grèce , vint exhorter Pausanias, roi de Lacédémonë, à venger l'affront que Mardonius et Xerxes avoient fait à Léonidas, dont le corps mort avoit été attaché par leur ordre à une potence , et le pressa de traiter de la même sorte le corps du général persan. Pour l'y porter plus fortement , il ajoutoit que satisfaire ainsi aux mânes de ceux qui avoient été tués aux Thermopyles, e'étoit un moyen sûr d'immortaliser son nom parmi tous les Grecs, et pendant la durée de tous les siècles. « Por« tez ailleurs vos lâches conseils, lui répliqua Pausa« sanias. Il faut que vous vous entendiez bien mal en « vraie gloire, de penser que j'en doive acquérir beau» coup , en me rendant semblable aux Barbares. S'il « faut agir ainsi pour plaire à ceux d'Egine , j'aime « mieux me conserver l'estime des Lacédémoniens, « chez qui l'on ne met point en comparaison le bas et « indigne plaisir de la vengeance, avec celui de montrer « de la clémence et de la modération à l'égard de nos « ennemis, et sur-tout après la mort. Pour ce qui re« garde les mânes des Spartiates, ils sont suffisamment « vengés par la mort de tant de milliers de Perses qui « sont demeurés sur la place dans le dernier combat. » 3. L'amour du bien public étoit le grand mobile de toutes les actions du célèbre Aristide. On admiroit en ce grand homme la constance et la fermeté dans les changement imprévus auxquels sont exposés ceux qui se mêlent du gouvernement, ne se laissant ni élever par les honneurs qu'on lui rendoit, ni abattre par les mépris et les refus qu'il avoit quelquefois à essuyer. L'estime générale qu'on faisoit de la droiture de ses
�174 ESTIME. intentions, de la pureté de son zèle pour les iiitèrêlsde l'état, et de la sincérité de sa vertu, parut un jour où l'on jouoit une pièce du poète UjcAyZe.IL'acteurayant récité ce vers qui contenoitl'éloge à!AniphiaraXis,, «Il « est moins jaloux de paroître homme de bien et juste, « que de l'être en effet, » tout le monde jeta les yeux sur lui, et lui en fit l'application. 4- Thnoléon, après avoir rendula libertéàSyracuse, avoit fixé son séjour dans cette ville. Parvenu à une extrême vieillesse , il perdit entièrement l'usage de la vue. Cetteinfirmiténe diminua rien du respectet del'estime qu'on avoit pour ce grand homme. Lorsque dans les assemblées publiques il survenoitquelques affaires difficiles et épineuses, les Syracusains lui envoyoient un char à deux chevaux, le priant de venir leur dire son avis. Il traversoit la place , se rendoit au théâtre, et, monté sur ce char où triomphoit la sublime vertu, il étoit introduit dans l'assemblée. A son arrivée, tout le peuple se levoit, le saluoit, elle bénissoit d'une voix unanime. 1 ïmoléon saluoit à son tour les assistans d'un air doux et affable ; et, après avoir donné quelque temps à ce torrent d'acclamations et d'éloges, il entendoit l'affaire dont il étoit question, en disoit son avis , qui toujours étoit suivireligieusement. Ses domestiques le ramenoient ensuite au travers du théâtre ; et ses concitoyens , après l'avoir reconduit avec les mêmes applaudissemens,expédioient les autres affaires qui ne demandoient point sa présence, \enoit-il quelques étrangers à Syracuse, on les conduisoit à la maison du père de la patrie , afin qu'ils vissent le bienfaiteur et le libérateur de la plus grande ville de la Sicile. L'estime publique lui rendit encore de plus grands honneurs après sa mort. Ri en ne manqua à la magnificence de ses obsèques; mais le plus bel ornement furent les larmes mêlées aux bénédictions dont chacuns'empressoitd'honorer sa mémoire. Il fut. ordonné qu'à l'avenir, toutes les années,le jour de son décès, on célébreroit en son honneur des jeux solennels , et qu'on feroit des courses de chevaux. Ce qu'il y eut de plus flatteur pour la mémoire de ce héros, fut le décret par lequel le peuple
�ESTIME.
175
de Syracuse arrêta que toutes les fois que la Sicile seroit en guerre avec les étrangers, elle prendroit un général à Corinthe. 5. L'immortel Newton a eu le bonheur singulier de jouir, pendant sa vie , de tout ce qu'il désiroit ; Lien différent de Descarte s, qui n'a reçu que des honneurs posthumes. Les Anglais n'en honorent pas moins les grands talens, pour être nés chez eux. Loin de chercher à les rabaisser par des critiques injurieuses; loin d'applaudir à l'envie qui les attaque , ils concourent à les élever; et cette grande liberté, qui les divise sur les poinls les plus importans , ne les empêche pas de se réunir sur l'estime due au véritable mérite. Ilssentent tous combien la gloire de l'esprit doit être précieuse à un état, et ce qui peut la procurer à leur patrie leur devient infiniment cher. Tous les savans d'un pays qui en produit tant , mirent Newton à leur tê te , et par une espèce d'acclamation unanime, ils le reconnurent pour chef et pour maître. Un rebelle n'eût osés'élever; on n'eût pas même souffert un médiocre admirateur. Sa philosophie a été adoptée par toute l'Angleterre 5 elle domine dans la société royale, et dans tous les excellons ouvrages qui en sont sortis, comme si elle étoit déjà consacrée par le respect d'une longue suite de siècles. Enfin il a été révéré au point que la mort ne pouvoitplus lui produire de nouveaux honneurs : il a vu son apothéose. La reine Anne le fit chevalier : titre d'honneur, qui marque du moins que son nom étoitallé jusqu'au trône, oùles noms les plus illustres en ce genre ne parviennent pas toujours. Il fut plus connu que jamais à la cour, sous le roi George. La prijicesse de Galles, depuis,reine d'Angleterre, l'entre tenoit,le consultoit souvent,et ne pouvoit être satisfaite que par lui. Elle disoit souventpubliquement qu'elle se tenoit heureuse de vivre de son temps et de le connoître. Quand il eut rendu l'esprit, son corps fut exposé sur un lit de parade dans la chambre de Jérusalem, endroit d'où l'on porte au lieu de leur sépulture les personnes du plus haut rang , et quelquefois les têtes couronnées. On l'inhuma dans l'abbaye de Westminster, le poêle étant
�\y6 ÉTUDE. soutenu par miloi'd , grand chancelier , par les ducs de Montrose et de Pioxburgh , et par les'comtes de Pernbrocke, de Sussex et de Maclesjield. Ces six pairs d'Angleterre, qui firent cette fonction solennelle , font assez juger quel nombre de personnes de dis line tion grossirent la pompe funèbre. L'évêque de Rochester fit le service , accompagné de tout le clergé de l'église. Le corps fut enterré près de l'entrée du chœur. Il faudrait presque remonter chez les anciens Grecs , si l'on vouloit trouver des exemples d'une aussi grande vénération pour Je savoir. La famille de M. Newton imita encore la Grèce de plus près par un monument qu'elle lui fit élever, et auquel elle employa une somme considérable. Le doyen et le chapitre de Westminster permirent qu'on le construisît dans l'enceinte de l'abbaye , distinction souvent refusée à la plus haute noblesse, En un mot, la patrie et la famille de ce grand homme firent éclater pour lui la même reconnoissance que s'il les avoit choisies.
ETUDE. i. .ALNAXACORE , pressé par ses amis de mettre ordre à ses affaires , et d'y sacrifier quelques heures de son temps : « Oh ! mes amis , leur répondit-il, vous me de« mandez l'impossible. Comment partager mon temps « entre mes affaires et mes études , moi qui préfère « une goutte de sagesse à des tonnes de richesses ? » 2. Cléante , fameux philosophe stoïcien , ne dut qu'à son courage et à son industrieuse application la vaste érudition et la haute sagesse qui l'illustrèrent. Il fut d'abord athlète; mais dans un voyage qu'il fit à Athènes, il se mit au nombre des disciples de Zenon, et s'adonna tout entier à l'étude. Afin de pouvoir consacrer le jour sans inquiétude à ce noble et utile loisir , il gagnoit sa vie à tirer de l'eau pendant la nuit. Sa pauvreté ne lui permettant pas d'avoir du papier, il écrivoit sur une tuile ou sur un os. •3.
�É TU D E. fff §. Le savant M. Varignon, dont la constitution étoit; robuste, au moins dans sa jeunesse, passoit les journées entières au travail 5 nul divertissement, nulle récréa-5-' tion,tout au plus quelque promenade à laquelle sa raison le forçoit dans les plus beaux jours. Ilracontoit luimême que, travaillant après souper selon sa coutume, il étoit so'uvent surpris par des cloches qui lui annonçoientdeux heures après minuit, et qu'il éloit ravi de se pouvoir dire que ce n'étoit pas la peine de se coucher' pour se relever à quatre heures. Il ne quittait sés méditations ni avec là tristcssequè les matières pouvoient naturellement inspirer, ni même avec la lassitude que devoit causer la longueur de l'application : il en sortoit gai et vif, encore plein des plaisirs qu'il âvoit: éprouvés , impatiént de recommencer. Il rioit volontiers en parlant de géométrie ; et, à lé voir , on eût cru qu'il la falloit étudier pour se bien divertir. Nulle condition n'étoit tant à envier que la Sienne : sa vie étoit line" possession perpétuelle et parfaitement paisible de ce qu'il aimoit uniquement. 4. Ij'espiitd'Eustachio Manfredi, savant Italien, fut toujours au-dessus dé son âgé. Il composa des vers dès qu'il put savoir ce que c'était que des vers : il n'en eut pas moins d'ardeur ou d'intelligence pour la philo ? sophie.ïlformoitmême, dansla maison paternelle, dé petites assembléesdejeunesphilosophessés camaradeSj ils repassoient ce qu'on leur avoit enseigné dans leurs collèges , S'y affermissoient, et quelquefois l'approfoïidissoient davantage. Il àvoit pris naturellement assez d'empiré sur eux pouf leur persuader de prolonger ainsi leurs études volontairement. Il acquit dans cés pètits! exercices l'habitude dé bienmettre au jour ses pensées,, et de les tourner selon le besoin de ceux a qui l'on' parle. Cette académie d'enfans , animée par lé chef ef parle succès, devint en peu de temps une académie* d'hommes, qui, despréfnièfes connôissance$ générales,S'élevèrent jusqu'à l'anatomie, jusqu'à l'optique, et enfin reconnurent d'eux-mêmes i'mcïispénsabîe éi agréable nécessité dé la physique expérimentale. C'est de' éôtte origine qu'est venue l'académie des sciences d# Tome IL M
�178
ETUDE.
Bologne , gui se tient présentement dans le palais de l'Institut : elle a pris naissance dans le même lieu que M. Manfredi, et elle la lui doit. 5. Toutes les journées du savant M. de la Hire étoient d'un bout à l'autre occupées à l'étude , et ses nuits très-souvent interrompues par les observations astronomiques. Nul divertissement , que celui de changer de travail. Nul autre exercice corporel que d'aller à l'observatoire , à l'académie des sciences , à celle d'architecture , au collège royal, dont, il étoit aussi professeur. Peu de gens peuvent comprendre la félicité d'un solitaire qui l'est par un choix tous les jours renouvelé. Il a eu le bonheur que l'âge et le travail ne l'ont point miné lentement, et ne lui ont point fait une longue et lan fort chargé d'années , il n'a été viëux qu'environ un mois , du moins assez pour ne pouvoir plus aller aux académies : quant à son esprit, il n'a jamais vieilli. 6. Jamais peut-être on ne se livra à l'étude avecplus d'application qneDémosthène.Vour être plus éloigné du bruit, et moins sujet aux distractions , ce grand orateur se fît faire un cabinet souterrain , dans lequel il s'èn fermoit quelquefois des mois entiers , se faisant raser exprès la moitié de la tête pour se mettre hors d'état de sortir. C'est- là qu'à la lueur d'une petite lampe il composa ces admirables harangues,dont ses envieux disoient qu'elles sentoient l'huile, pourmarquerqu'ellesétoient travaillées avec trop de soin. «On voit bien, répli« quoit-il, que les vôtres ne vous ont pas coûté tant de « peine. » Il se levoit extrêmement matin ; et il avoit coutume de dire qu'il étoit au désespoir , quand un ouvrier l'avoit devancé dans le travail. On peut juger des efforts qu'il fit pour se perfectionner en tout genre , par la peine qu'il prit de copier de sa propre main jusqu'à huit fois l'histoire de Thucydide, afin de se rendre plus familier le style vif etconcis de cet écrivain célèbre. 7. C'est par l'étude que Périclès parvint à ce haut degré de mérite , qui le rendit, pour ainsi dire, le souverain d'Athènes ; et l'application de ce grand homme à tout ce qui pouvoit former le cœur et
-i
�ÉTUDE. 17g l'esprit j fut, en quelque sorte , le degré qui l'éleva à la puissance suprême. Il eut pour maîtres les plus savans hommes de son temps, et sur-tout Anaxagore de Clazomène, surnommé l'hitelligence, parce qu'il prouva le premier l'existence d'un Etre souverainement sage, dont la providence gouverne l'univers. Il instruisit à fond son disciple de cette partie de la philosophie qui regarde les choses naturelles , qui enseigne le mécanisme du monde, et qui, chez les anciens, en démontrait encore la cause intelligente. Cette étude lui donna une force et une grandeur d'ame qui l'éleva au-dessus d'une infinité de préjugés populaires , et des vaines observances généralement établies de son temps,qui, dans les affaires de l'Etat et dans les entreprises de la guerre, rompoient souvent les mesures les plus sages et les plus indispensables , ou les faisoient échouer par de scrupuleux délais autorisés et couverts du voile de la religion. Tantôt c'étoient des songes et des augures; tantôt d'effrayans phénomènes , comme des éclipses de soleil ou de lune ; d'autrefois, des présages et des pressentimens, mille extravagances enfin, imaginées par l'ignorance timide, ou par la superstition crédule. La connoissance de lanatureinspiraàPeric/è^unepiété solide à l'égard des dieux, accompagnée d'une fermeté d'ame inébranlable, et d'une tranquille espérance des biens qu'on doit attendre de la bonté du Créateur de l'univers. Cependant quelque attrait qu'eût pour lui cette étude , il ne s'y livra pas en philosophe, mais il s'y appliqua en politique ; et il sut, chose fort difficile ! se prescrire des bornes dans la carrière des sciences. 8. M. Ravingthon, célèbre Anglais, avoit vécu cinquante-deux ans, dont il avoit employé plus de vingtcinqàTétude. Son assiduité au travail étoit si constante, qu'elle semblent promettre des fruits considérables. Sa délicatesse étoit si extraordinaire , qu'il ne laissoit rien passer sans critique ; et plus sévère encore pour luimême que pour autrui, il se ménageoit si peu, qu'on ne devoit rien attendre dè médiocre et de négligé de sa plume. A la vérité, cette rigueur de goût lui faisoit déchirer fort souvent, le soir ce qu'il avoit composé M 2
�l8o
ÉTUDE.
pendant le jour. Mais les années d'un homme d'étude! I étantplus longues crue celles du commun des hommes, parce qu'il en met à profit tous les momens , on ne doutoit pas que tôt ou tard le public ne recueillît les fruits d'une si longue application. Ses amis lui marquoient quelquefois cette espérance : il répondoit modestement. Enfin, sentant défaillir ses forces, peu den jours avant sa mort il fit appeler ceux qui dévoient être les dépositaires de ses dernières volontés, et leur déclara l'ordre qu'il vouloit mettre dans son héritage. Comme il ne parîoit point de ses papiers ni de ses livres, on lui demanda s'il en avoit déjà disposé : «Non, dit-il;l « mais chaque chose aura son tour.» Deux jours se pas-1 sèrent encore. Le troisième, qui fut celui de sa mort, il se fit apporter, en présence des mêmes amis, trois', manuscrits fort épais qu'il prit entre ses mains, et qu'il| regarda quelque temps avec tendresse. A la fin, rompant le silence par un profond soupir : « Voilà , leur] « dit-il, les meilleurs amis que j'aie eus au monde, du « moins si le nom d'ami convient à ce qui nous a causés « le plus déplaisir, à ce qui nous a tenu la compagnie la « plusfidelle. J'ai trouvé de la douceur à les faire, delà, « douceur à les perfectionner, de la douceur à les lire; « j'en trouve encore à les voir. Ils ne s'est point passé un « jour, depuis plus de vingt ans, que je n'y aie changé; « ou ajouté quelque chose. Je ne veux point que ce « qui m'a coûté si cher passe en d'autres mains que lesl « miennes : qu'on m'apporte du feu. » Ses amis, surpris de son dessein, balançoient à le satisfaire. Il leur témoigna fort amèrement que ce refus l'offensoit. « Quoi H « reprit-il, vous m'ôterez le droit de disposer de mon « ouvrage? Vous me refusez la seule consolation que « je demande en mourant? Apprenez que si la justice « m'oblige de laisser mon héritage à ceux qui me sur« vivent, parce que je l'ai reçu de ceux qui m'ont pré« cédé, elle me permet d'emporter, ou de faire périr n avec moi ce qui n'a de lien ni de relation avec per« sonne, enfin ce qui ne doit son être et sa naissance « qu'à moi. J'en suis le maître absolu, comme le ici « l'est de ma fortune, et le Ciel de ma vie.Ma volonté
�ÉTUDE.
J8l
s'exécutera, ou je me plaindrai jusqu'au dernier sou« pir delà violence qu'on méfait.» En prononçant ces aroles avec beaucoup d'agitation, il serroit ses livres entre ses bras , sans vouloir permettre qu'on en lût même les titres, et il protesta que rien n'étoit capable de lui faire changer de résolution. La crainte d'avancer sa mort, qui ne paroissoit pourtant guère éloignée , l'emporta sur le regret qu'on avoit de lui obéir. Les trois manuscrits furent dévorés par les flammes , et M. Ravingthon mourut content quelques heures après. g, Bien des gens s'imaginent que les travaux de l'étude sont incompatibles avec la foiblesse de l'âge tendre; et si quelque enfant se rend célèbre par des talens acquis dans ses premières années, on le regarde comme un de ces phénomènes que la nature se plaît quelquefois à produire pour manifester ses richesses. Cependant ces prodiges ne sont pas si rares qu'on le pense ; et pour détruire le préjugé, il suffit de présenter aux lecteurs un précis de l'histoire de ceux qui se sont fait un nom par les productions de leur esprit, avant l'âge de vingt ans ; ce sont, pour ainsi dire , des exemples, domestiques que nous offrons à la jeunesse : puissentils piquer son émulation ! Eupolis , poète de l'ancienne comédie , vivoit à Athènes, du temps à' Artaxe.rxes-Longuemain. Avant l'âge de dix-sept ans , il avoit déjà composé dix-sept comédies, qui furent toutes représentées sur le théâtre avec l'applaudissement des Athéniens , ses compatriotes. Suidas ajoute qu'il y en eut sept qui remportèrent le prix destiné aux meilleurs ouvrages. Le célèbre Hortensius, gendre de Catulus, n'avoit pas encore dix-huit ans, lorsqu'il acquit la réputation d'excellent orateur. Cicéron fait dire à Crassus qu'il le jugeoit tel dès-lors; et qu'il en avoit déjà fait le même jugement, lorsqu'étant consul il lui entendit plaider la cause de la province d'Afrique contre les préteurs, et depuis encore celle du roi de Bithynie. Que ce n'étoit ni flatter Catulus, ni favoriser Hortensius, que dereconnoitre qu'il avoit perfectionné les dons de la nature par l'étude la plus variée et l'exercice le plus assidu» M 3
�18a ÉTUDE Cicéron n'avoit pas plus de douze ou treize ans , lorsqu'il composa un Traité de l'art de parler, De ratione dicendi, qu'il divisa même en deux livres, où il avoit tâché de réduire en méthode l'invention qui fait la principale partie de l'art oratoire. Dans la suite il retoucha cet ouvragé] le refondit, et en forma les trois dialogues de l'Orateur. Coecéius Nerva expliqua publiquement le droit à l'âge de dix-sept ans , et répondoit déjà aux consultations les plus épineuses. Pline le jeune n'avoit que seize ans, lorsqu'il composa une tragédie grecque , qui fut suivie bientôt après de plusieurs élégies , et d'un grand nombre d'épigrammes , qui furent applaudies de tous les bons connoisseurs. Dès sa première enfance , Origène fut un grand homme , dit S. Jérôme, A l'âge de dix-sept ans , il ouvrit une école publique de grammaire et d'humanités dans la ville d'Alexandrie ; et, quelques mois après, Yévèqae Démétrius, instruit de son rare mérite et de sa profonde érudition sur l'Ecriture-Sainte , le chargea des instructions chrétiennes de la ville, en qualité de théologal et de professeur des lettre saintes. Michel Vérin donna au public , à l'âge de quinze ans , des Distiques moraux, en latin , qui lui acquirent une grande réputation , et qui ont été traduits en presque toutes les langues. Ange Polirien, l'un des plus doctes et des plus polis écrivains du quinzième siècle, composa, dans les premières années de son adolescence, un poème latin sur le tournoi de Julien de Médicis ; ouvrage qui lui lit donner place parmi les plus grands poètes. Quelque temps après , le prince qu'il avoit célébré dans ses vers , ayant été assassiné dans la conjuration de Pazzi, Politien publia une relation historique de cet événement 5 elle parut si belle aux doctes de son temps , qu'ils la jugèrent digne des-honneurs que l'on rend aux ouvragés des bons siècles. Hermolaùs Barbaro avoit lu et étudié , à l'âge de dix-huit ans , tous les livres qui -ploient sortis de des-
�Ê T U D E.
l83
sous la presse , et une multitude de manuscrits; déserte qu'avec de si bons secours , il se rendit auteur dès la même année. Everard Second , à l'âge de douze ans . commença à donner au public les poésies que nous avons de lui. La délicatesse , l'élégance et les autres beautés que l'on trouve dans les productions heureuses de ce savant précoce , ont fait tant d'honneur aux Hollandais , qu'on peut dire que c'est au jeune Second qu'ils sont redevables de l'anéantissement du proverbe de Martial , dont le sens est, qu'avoir l'oreille batave , n'est autre chose qu'être grossier , et n'avoir ni discernement ni délicatesse. A l'âge de quatorze ans , Nicolas Bourbon fit un poème de la Forge, Ferraria , pour faire honneur à la profession de son père , maître de forges aux environs de Langres. Constanzo Felice, natif du bourg de Durance, dans la Marche-d'Ancône, fit paroître, avant l'âge de dixhuit ans, divers ouvrages d'érudition romaine, parmi lesquels on remarque, i.° l'histoire de la conjuratien de Catilina ; 2.° deux livres de l'histoire de Cicéron, le premier sur son bannissement, le second sur son retour. Avant l'âge de dix-huit ans , Mêlanchton enseigna publiquement dans l'université de Tubingue , dont il étoit docteur ; et, à ses heures perdues , il s'amusoit à corriger les épreuves des livres , et les ouvrages qui sortaient de l'imprimerie de cette ville. C'est à ses soins qu'on est redevable du Naucler , qu'il fit paroître à dix-neuf ans. Etienne de la Boëtie, conseiller célèbre du parle* ment de Bordeaux , composa , à l'âge de seize ans , le traité de la Servitude volontaire, dont Montaigne, son ami, fait un pompeux éloge. Jacques Grévin, l'un des plus beaux esprits du seizième siècle, n'avoit que treize ou quatorze ans, lorsqu'il donna au public une tragédie intitulée César, et deux comédies françaises, la Trésoriere et les Esbahis, qui firent l'étonjuernerit de Paris, lorsqu'on en eut M 4
�*3,4 ÉTUDE. ^oniiu Fauteur- Ces trois pièces furent suivies asseç immédiatement de pastorales, d'hymnes sur les mariages des princes et princesses de son temps , de. sonnets, de chansons, odes, villanelles et autres pièces de poésies latines. Enfin il couronna son adolescence par la traduction des CEuvres de Nicandre en vers français ; traduction qui ne le cède point à l'original grec , au jugement de M. de Thou. Jérôme de la Rovère , qui fut cardinal et archevêque de Turin, fît imprimer à Pavie, eu i54o, un recueil de ses poésies; et tout le monde fut étonné qu'à l'âge de dix ans qu'il avoit alors , il eût pu joindre dans ses productions une érudition profonde, à cette, heureuse facilité qu'on n'acquiert ordinairement que par un long exercice. Janus Douza, ou Jean Vander Doës , se montra poète, philosophe et mathématicien, dès l'âge de douze ans. A seize ans , il donna au public de savans commentaires sur les comédies de Piaule ; et à dix-neuf ans , il publia son traité des choses célestes, sa dissertation de VOmbre , et des commentaires sur Cai tulle , Tibulle et Properce. Joseph Scalieer composa , à l'âge de seize ans , une tragédie d Œdipe, dans laquelle il ht entrer tous les ornemens de la poésie , et une justesse d'expression dont peu d'auteurs étoient alqrs capables. Jean Argali n'étoit âgé que de dix-sept ans , lorsqu'il mit au jour son ppè'me intitulé YEndymion, qu'il divisa en douze chants, el qu'il dédia au prince Philippe Colonne. Jean Mursius se distingua dès sa plus tendre enfance par ses progrès dans les sciences, dans les langues, et dans l'étude de l'histoire ancienne. A douze ans, il composa des oraisons et des harangues qui furent admirées de tous les connoisseurs. A treize, il donna une cpllec T tion de vers grecs , fruits de sa verve féconde et prématurée- A seize, il fit un commentaire sur le Lycophron , [c'est-à-dire sur le plus obscur et le plus difficile des auteurs grecs. Enfin, à dix-sept ans, il travailla îiir les idylles de Théocrite, et fit de très-heureuses
�ÉTUDE, l85 découvertes qui étoient échappées à la diligence de Henri Estienne, d'Isaac Casaubon, et de Joseph Scaliger, qui l'avoient précédé dans cette même carrière, Hugues Grotius fit des progrès si rapides dans ses études , qu'il composa de très-jolis vers latins à huit ans, et qu'à quinze il fut regardé comme un savant universel. Il en donna des preuves en soutenant des thèses fort difficiles sur toutes les parties de la philo^ Sophie, et en publiant son Martianus Capella, avec des notes, A seize ans , il composa la tragédie latine d'Adam disgracié et banni, un .ouvrage sur les alliances de quelques puissances de l'Europe, et un autre sur la manière de trouver les ports , intitulé la Limé-r reutique. A dix-sept ans, il mit au jour un nouveau chef-d'œuvre d'érudition, intitulé Syntagma Arateo^ rum. Ce sont des commentaires sur les phénomènes d'Aratus et sur les trois versions latines de cet oiir -vrage, faites par Cicéron , par Germanicus , et par Aviénus, avec des supplémens et les figures gravées des constellations. Grotius y fait voir jusqu'où alloit dès-lors la connoissance profonde qu'il avoit des anlir quités grecques et romaines, et de l'astronomie. Enfin il travailla jusqu'à 6a vingtième année aux divers ouvrages qu'il publia quelque temps après. Fortunio Liceti., qui naquit avant le sixième mois de la grossesse de sa mère , est un de ces paradoxes historiques qui obligent de convenir que tout ce qui est incroyable n'est pas toujours faux, et que la vrai?semblanee n'est pas la perpétuelle compagne de la yérité. Liceti , en venant au monde , n'étoit pas plus grand que la paume de la main. Son père , qui étoit un habile médecin , l'ayant examiné , le transporta tout vivant à Ripallo , où il le fit voir à Jérôme Bardi et à d'autres médecins du lieu. On trouva qu'il ne lui manquoit rien d'essentiel à la vie; et son père , pour faire connoître combien il étoit instruit des secrets de son art, entreprit d'achever l'ouvrage de la nature , et de travailler à la formation de l'enfant avec le même artifice que celui dont on se sert pour faire éçlore les poulets en Egypte. Il enveloppa son fils
�l86 ÉTUDE. dans du coton , et le mit dans un four, où il réussit à lui faire prendre les accroissemens nécessaires , par l'uniformité d'une chaleur étrangère, mesurée exactement sur les degrés d'un thermomètre. Cet enfant si foible, qui paroissoit n'être né que pour.mourir incontinent, fournit cependant une carrière de près de quatre-vingts ans, et composa quatre-vingts ouvrages différents , tous fruits d'une longue lecture , et d'une érudition acquise par des travaux extraordinaires. Un homme moins intelligent que le père de Liceti se seroit bien gardé d'appliquer à l'étude, du moins aussitôt , un fils élevé par un tel artifice. Il auroit toujours appréhendé que le travail d'esprit n'eût détruit en peu de temps la santé et les forces d'un corps que la nature avoit rendu si fragile. Il suivit des vues plus élevées ; et, donnant à son fils le nom de Fortunio, pour ne point laisser périr la mémoire de l'accident dont il étoit échappé , il se rendit lui-même son maître , le forma dans la connoissance des belles-lettres et de la milosophie. Personne ne pouvoit mieux réussir que ni dans cette éducation : personne ne connoissoit mieux les qualités du corps et de l'esprit de cet enfant arraché, pour ainsi dire, au néant. Il étoit doublement le second auteur de sa vie , et le gouverneur unique de sa santé et de son tempérament; de sorte que, joignant heureusement la tendresse d'un père avec l'expérience d'un médecin et l'habileté d'un maître, il fit faire des progrès extraordinaires au jeune Fortunio. Il l'envoya depuis à Boulogne, pour se perfectionner sous la discipline de Castro et de Pendasio , deux célèbres professeurs de ce temps-là. Fortunio ne fut pas long-temps sans faire connoître combien il étoit déjà >rofond dans les sciences , et particulièrement dans a physique et dans la médecine , en donnant, à l'âge de dix-huit ans passés , un Traité très-important sur l'Origine de l'Ame humaine , ouvrage digne d'un vieillard, et qui ne décéloit la jeunesse de son auteur, que par l'affectation du titre de Gonopsycanthropologia : titre tout grec, qui peut se rendre par ces mots latins : De Origine Animœ humanœ.
Î
f
�ÉTUDE.
187
Le célèbre Jérôme Bignon fut appliqué , par son père, aux études , dès qu'il put articuler des mots. Il embrassa toutes les sciences, qui bientôt lui devinrent ■très-familières,. Il n'avoit que dix ans, lorsqu'il donna au public des essais de son érudition, qui lui firent mériter dès-lors le ti tre d'au teur. C 'est une Chorographie, ou description de la Terre-Sainte. Il n'en demeura point là 5 et l'on fut encore surpris de voir , trois ans après , paroître deux autres ouvrages de sa composition , dont l'un étoit un Traité des Antiquités romaines , et l'autre un Traité du droit et de la manière d'élire les papes. Ces productions estimables donnèrent une si haute idée de ses talens, que tous les savans de France s'empressèrent de le connoître et de lier amitié avec lui. Le P. Sirmond, savant jésuite, ignoroit peutêtre seul dans Paris tout le mérite de ce docte enfant. Une aventure singulière le 1 ui fit coimoître. Ce religieux étoit dans la boutique de Cramoisy, et discouroit avec ce libraire sur un sujet d'ouvrage. Il aperçut , auprès d'une grande pile de livres, un jeune homme qui feuilletoit et lisoit avec beaucoup d'application. Il prenoit plaisir à le considérer, lorsqu'un homme de sa connoissance , l'ayant abordé , lui proposa quelque difficul té dont il souhaitoit l'éclaircissement. Le père parut embarrassé ; mais le jeune homme, s'étant approché, prit modestement la parole, et répondit à la question de cet homme avec tant d'esprit et d'érudition, que le P. Sirmond en fut frappé d'étonnement. Il le pria de lui dire son nom; et, quelques temps après, ayant eu occasion de voir le célèbre le Fèvre, il lui racconta cette aventure , ajoutant, pour lui causer plus d'admiration, que le jeune homme paroissoit n'avoir pas plus de quatorze ans. «Quoi, mon père, lui répondit « le Fèvre, vous êtes le seul des savans à qui le jeune « Bignon ne soit pas connu ? Vous ne vous êtes pas « trompé de beaucoup sur son âge : c'est un vieillard « de douze ans : c'est un docteur consommé dans « l'enfance. Si nous vivons, et lui aussi, nous le ver« rons infailliblement le maître des plus doetes et des « plus sages de notre siècle, »
�i88
BTTJDE.
Biaise Pascal, l'un des plus grands génies et des meilleurs écrivains que la France ait produits , n'eut point d'autre maître que son père , qui ne lui apprit le latin qu'à l'âge de douze ans. Le jeune Pascal fît alors paroître une facilité extraordinaire dans les mathématiques. On dit même que , sans le secours d'aucun livre , et par les seules forces de son esprit, il parvint à découvrir et à démontrer toutes les propositions du premier Livre d'Euclide. Il fit des progrès si rapides dans les mathématiques , qu'à l'âge de seize ans , il composa un Traité des Sections coniques, qui fut ad^ miré de tous les savans géomètres ; et qu'à dix-neuf ans , il inventa une machine d'arithmétique, par laquelle on peut faire toutes sortes de supputations, sans plumes et sans jetons. Jean-Philippe Baratier naquit le 19 de Janvier 1721, à Schwobach , dans le margraviat de BrandebourgAnspach , de François Baratier , pasteur de l'église française de cette ville. Dès l'âge de quatre ans , il parloit parfaitement les langues latine , française et m mande, A six ans , il possédoit à fond la langue grecque, et si bien l'hébraïque entre neuf et dix ans, qu'il pouvoit y composer en prose et en vers , et traduire le texte hébreu de la Bible sans points, en latin pu en français , à l'ouverture du livre. 11 lut alors, en I73p , la grande Bible rabbmiquc, en quatre volumes in-folio , et en donna une notice exacte dans une lettre à M. le Maître , insérée dans le tome vingt-six de la bibliothèque germanique, Il commença , l'année suivante , la traduction de l'Itinéraire du rabbin Benjamin : et il y ajouta des notes, ou plutôt des dissertations, dont il forma un second volume. Cet ouvrage, achevé en 1/32 , fut imprimé deux ans après à Amsterdam, en deux volumes in-octavo,Ijfïieune Baratier, après avoir lu et étudié beaucoup de livres des rabbins , se jeta dans l'étude des pères et des conciles des quatre premiers siècles^ Il apprit la philosophie et les mathématiques , et sur-tout l'astronomie , à Halle. Le chancelier de Ludewig lui offrit de le faire recevoir gratis maître-çs-arts, s'il le vouloit, La pro-
�ÉTUDE.
ï8gi
position fut acceptée ; et M. Baratier composa sur-le-champ quatorze thèses , en présence de quelques professeurs , les fit imprimer la même nuit, et les soutint le lendemain pendant environ trois heures , avec un succès extraordinaire. Etant arrivé à Berlin, le roi de Prusse , charmé de ce jeune savant, lui fit Paccueil le plus gracieux , et l'envoya chercher presque tous les jours pendant environ six semaines que MM. Baratier passèrent tant à Berlin qu'à Postdam. Tout le monde vouloit le voir : on se l'enlevoit. La société royale des sciences l'agrégea solennellement au nombre de ses membres. La réine le fit peindre, et plaça son portrait à Montbisou, château royal. Toute la famille royale le combla d'honneurs et de présens ; et le roi recommanda fortement à M. Baratier le père de l'engager à se jeter dans le droit, et sur-tout dans le droit public, lui faisant espérer qu'il pourroit arriver , par ce moyen , à la plus brillante fortune. Ce prince attacha en même temps M. Baratier à l'église française de Halle , pour faciliter au fils les moyens d'étudier le droit dans cette célèbre université. MM. Baratier allèrent donc se domicilier à Halle , en Avril, 1735. Le jeune homme continua de s'y livrer tout entier à l'étude. 11 s'appliqua au droit, aux antiquités , aux médailles , et à toutes les parties de l'histoire ancienne et moderne. Mais sa santé s'affoiblit extrêmement sur la fin de 1739. De toutes les sciences , la médecine étoit peut-être la seule qu'il n'eût pas étudiée ; c'était cependant celle dont il auroit tiré plus de secours. Dès son enfance , il était d'une constitution foihle et délicate. Il avoit des rhumes fréquens , et d'autres indispositions qui le forçoient quelquefois à interrompre ses études. A l'âge de dix-huit ans , il fut attaqué d'une toux , qui , dans le cours d'un an , augmenta par degrés , et produisit une foule d'autres incommodités qui le conduisirent au tombeau , le 5 Octobre i?4o, à l'âge de dix-neuf ans huit mois et seize jours. L'ouvrage qui I'occupoit alors, et pour lequel il avoit déjà ramassé bien des matériaux, étoitdesrecherchessurles antiquités égyptiennes. Il prétendoit avoir trouvé une
�îgo
.
ÉTUDE.
route sûre et démontrée pour éclaircir l'histoire de ce peuple fameux. C'étoit un ouvrage qui lui tenoit fort à cœur, et dont il vouloit faire son chef-d'œuvre. Mais il n'en eut pas le temps. On doit être d'autant plus surpris que ce jeune savant, ait pu composer tant d'écrits, et acquérir une si vaste érudition , qu'il a employé la moitié de sa vie à dormir , qu'il a toujours passé ses douze heures au lit, jusqu'à l'âge de dix ans ; et dix heures , depuis ce temps-là , jusqu'à la fin de sa vie. Cet exemple , ainsi que tous ceux que nous avons rapportés , et dont nous aurions pu considérablement augmenter le nombre , peuvent faire voir jusqu'où la, jeunesse et l'enfance même sont en état d'aller*quand on les applique avec méthode au travail. Dès le premier instant de notre naissance, notre ame est capable des plus sublimes opérations ; mais elle a besoin d'organes pour les manifester au dehors. Si, dans un enfant de quatre ans , ces organes peuvent être mues à son gré, cet enfant sera un prodige. Il suffit de le contenir dans sa course rapide : il fera chaque jour de nouveaux progrès. Mais pour peu qu'on le fatigue , pour peu qu'on néglige de modérer le jeu de ces inslrumens encore foibles , ils se relâcheront ; ils se briseront même ; et ce soleil si brillant dans son aurore , perdra tout à coup sa lumière dans son midi.
EXACTITUDE.
i. CHARLEIHAGNE ayant conféré un évêché vacant à un clerc de sa chapelle , cet ecclésiastique courut aussitôt chez ses amis pour leur apprendre cette agréable nouvelle, se réjouir avec eux, et leur donner à souper. Le plaisir de la table lui fil. manquer de se trouver à matines où il devoit chanter un répons. Son absence troubla un peu l'office. L'empereur s'en aperçut ; et, choqué du peu d'exactitude de ce prêtre , il révoqua sa nomination, et donna l'évêché à un pauvre clerc qui l'avoit suppléé. « Souvenez-vous , mon père,
�EXCUSE.
;
igl
« lui dit-il j que c'est la vigilance qui vous a placé sur « le siège épiscopal , et n'oubliez jamais la pratique « de cette vertu si nécessaire à un bon pasteur. » 2. Un roi d'Arabie fit récompenser un de ses officiers avec magnificence, non que cet officier eût de grands talens , mais parce qu'il remplissoit ses devoirs avec exactitude. Or , l'exactitude dans les officiers du prince , ajoute le sage Said, est la marque la plus certaine d'un empire bien gouverné. Voyez VIGILANCE.
EXCUSE.
1. IVXECCANIUS reprochoit à Caton d'Utique qu'il s'enivroit toutes les nuits : « Vous n'ajoutez pas , dit « Cicéron , qu'il joue tous les j>ours. » Manière polie d'excuser Caton , qui, donnant tout son temps aux affaires de la république , pouvoit prendre quelques heures pour se délasser de ses travaux. 2. Aristophon , capitaine athénien , accusa le célèbre Iphicrate d'avoir trahi et vendu la flotte qu'il commandoit. Iphicrate, avec la confiance qu'inspire une réputation établie , lui demanda , pour toute satisfaction : « Auriez-vous été homme à faire une tra« hison de cette nature ? — Non , répondit Aristo« phon , je suis trop homme d'honneur pour me cou« vnr d'une telle infamie.— Quoi ! répartit alors Iphi« crate , ce qu1'Aristophon n'auroit pas fait , Iphri« crate l'auroit pu faire ?» Cette excuse fut suffisante. Le peuple renvoya l'accusé absous. 3. Le cardinal Albornos , l'un des plus grands hommes que l'Espagne aitproduits, ayantréduit toute l'Italie sous l'obéissance du saint siège , fut accusé d'avoir consulté ses- intérêts, plutôt que ceux du pape, dans les dépenses immenses qu'il avoit faites pour opérer ses conquêtes. Urbain V', qui siégeoit alors sur le trône apostolique, lemanda pour lui faire rendrecompte. Le cardinal obéit ; et, pour toute excuse , il présenta an S. Père un chariot chargé de clefs et de serrures ,
�192 É X G Û S M) lui disant : « Les sommes que votre saintefé irie de« mande, je les ai dépensées à vous rendre maître de « toutes les villes dont vous voyez lés clefs et les ser« rures dans ce chariot, » A ces mots , Urbain ï'embrassa , et il ne fut plus parlé de compte. 4- Damoclès, flatteur de Denys le tyran, ayant élé envoyé en ambassade par ce prince', fut accusé à son retour de n'avoir pas bien soutenu les intérêts du roi. Denys lui én fit de très-grands reproches.' Damoùlès, en habile courtisan, lui répondit : « Prince, j'ai eu plu« sieurs dispntes avec ceux vers qui vous m'avez en« voyé : ils vouloient toujours chanter, après le repas, « les odes deStésichoreetdëPindare, etmoi,je voulois « qu'on chantât les vôtres ; » en en même temps , il se mit à chanter un des poèmes de Denys. Ce princë trouva l'excuse très-bonne, et fit beaucoup d'accueil à un ambassadeur si zélé pour sa gloire poétique. 5. Auguste étant censeur, quelques mauvais citoyens vinrent lui rapporter qu'un chevalier romain avoit dissipé tout son bien en folles dépenses. L'empereur le crut légèrement ; mais l'accusé fit voir que, bien loin d'avoir dépensé son bien , il l'avoit augmenté. Ce même chevalier fut encore accusé de vivre dans le célibat, quoique les lois le défendissent ; mais il prouva qu'il étoit marié , et qu'il avoit trois enfans. Après s'être ainsi justifié , il dit fièrement à Auguste : « Apprenez à ne jamais croire un coquin j « quand il accuse un honnête homme. » 6. Le calife Hégiage, l'horreur et l'effroi des peuples par ses cruautés , parcourait les vastes campagnes de son empire , sans suite et sans marque de distinction. Il rencontra un arabe du désert, et lui dit : « Ami, je « voudrois savoir de vous quel homme eslcel Hégiage « dont on parle tant?— Hégiage n'est point un homme, « répondit l'Arabe, c'est un tigre, c'est un monstre— « Que lui réproche-t-on ?— Une foule de crimes : il « s'est abreuvé du sang d'un million de ses sujets.—Ne « l'avez-vous jamais vu ? — Non.— Eh bien ! lève les « yeux, c'est à lui que tu parles. » L'Arabe, sans témoigner la moindre surprise , le regarde fixément, et
�E X C Û S Es ig3 lui dit d'un ton assuré : « Mais vous , savez-vous qui « je suis ?— Non. — Je suis de la famille de Zobaïr f « dont chacun des descendans devient fou un jour de « Tannée : c'est aujourd'hui mon jour. » Hégiage sourit à une excuse aussi ingénieuse , et pardonna. 7. Un hommé de qualité passant dans un grand chemin, rencontra un jeune garçon qui étoit tellement occupé à tenir de ses deux mains un veau qu'il, menait, que , ne prenant pas garde à c.e seigneur , il le laissoit passer sans lui ôter le chapeau. « Gomment, « maraud , lui dit l'homme de qualité , oses-tu bien « me voir sans ôter ton chapeau ? — Hélas ! monsei« gneitr , répondit le jeûne paysan , je vous l'ôterai « de tout mon cœur, si votre grandeur veut bien, « en attendant, descendre de cheval, et tenir mon « veau. » 8. Lorsque Louis XIV partit pour aller faire le siège de Mous , il ordonna à ses deux historiens , Racine et Despréaux , de le suivre ; mais , préférant la vie tranquille au tumulte de la guerre, ils s'en dispensèrent. Le monarque à son retour leur en fit des reproches. «Sire, répondirent ingénieusement es deux « poètes , nous n'avions que des habits de ville ; nous « en avions ordonné de campagne ; mais les villes que « votre majesté assiégeoit ont été plutôt prises que « tous nos habits n'ont été faits. » 9. A la bataille de Renti, en i554, Saint-Fal,lieutenant de François, duc de Guise, s'avancoit avec trop de précipitation. Le duc courut à lui ; et, par immouvementde colère, lui donna un coup d'épée sur le casqne, en lui criant de s'arrêter. La bataille finie, on l'assura que Saint-Falj choqué du traitement qu'ilavoit reçu , voulait le quitter: « M. de Saint-Falj lui dit le « duc dans la tente même dit roi, et en présence dé « tous les officiers , vous vous tenez offensé du coup ;< que je vous ai donné, parce que vous vous avanciez « trop ; mais il vaut mieux que je vous Taie donné « pour vous arrêter dans un combat où vous alliez avec « trop d'ardeur, que si je vous l'eusse donné pour.vo us ". faire avancer, en blâmant votre lâcheté. Je pensé Tome IL N
�ig4
EXCUSE.
« qu'à le bien prendre, ce coup est plutôt glorieux « qu'humiliant pour vous ; et je prends pour juges « messieurs les capitaines : c'est pourquoi, soyons « amis comme auparavant. » Tout le monde applaudit au courage de Saint-Fat, qui, pénétré des excuses qu'avoit bien voulu lui faire le duc de Guise, jura de ne l'abandonner jamais. 10. Les Reîtres , soldats mutins , mais intrépides, obligèrent, la veille de la bataille d'Ivrv , le colonel Thische , ou Théodoric Schomberg , d'aller demander au roi Henri IV les paies qui leur étoient dues. Henri, plein de colère, répondit à cet officier : «Com« ment, colonel Thische , est-ce le fait d'un homme « d'honneur de demander de l'argent, quand il faut « prendre les ordres pour combattre ? » Schomberg se retira tout confus, pour dévorer en silence dans sa tente cette mortifiante disgrâce. Le lendemain, lorsqu'on fut sur le point de s'ébranler, le monarque se ressouvint de la réponse trop dure qu'il avoit faite au colonel 3 et, voulant s'excuser auprès de ce brave guerrier , il courut à lui, et lui dit : « Colonel, nous « voici dans l'occasion : il peut se faire que j'y de« meurerai.il n'est pas juste que j'emporte l'honneur « d'un brave gentilhomme comme vous. Je déclare « donc que je vous connois pour un homme de bien, « et incapable de faire une lâcheté. » En disant ces mots, il l'embrasse avec bonté, et le serre entre ses bras. « Ah ! sire, s'écrie le colonel, les larmes aux « yeux, me rendant l'honneur que vous m'aviez été, « vous m'ôtez la vie ; car j'en serois indigne , si je ne « la mettais aujourd'hui pour votre service. Si j'en « avois mille, je les voudrois toutes répandre à vos « pieds. » Dans ce moment on sonne la charge. Schomberg part comme un trait, fond sur l'ennemi comme un lion furieux, et meurt les armes à la main.
�EXERCICE»
EXERCICE.
HILOPÉMENJIC plusillustrecitoyendeMégalopolis i. et le plus grand des Grecs de son siècle, n'étoit jamais oisif- II exerçoit toujours son corps ou son esprit. Lorsqu'il étoitseul en voyage, lorsqu'il se promenoit seul, son esprit et ses yeux, tout étoit occupé. Tantôt il s'examinoit lui-même, tantôt il considéroit en philosophe les différens objets qui l'environiioient. En contemplant la situation des lieux,il se demandoitce qu'il feroit, si, étant à la tête des troupes de sa patrie, Fennemivenoit à sortir tout-à-coup d'une embuscade, pour le surprendre et l'attaquer ? Quelle position prendroisje? quel ordre donnerois-je à mon armée ? Devrois-je résister ou fuir? Si je devois résister , où placevois-jo mon camp ? où mettrois-je des gardes avancées ? où; disposerois-je mes corps de réserve?Il prévo3^oit tout, ii combinoit tout; il comparait les campagnes aux campagnes, les terrains aux terrains; et, par cet exercice continuel , il acquit une telle expérience dans la tactique , qu'il fut non-seulement le plus grand général de son temps , mais qu'il surpassa de beaucoup tous ceux qui avoient paru avant lui, et qu'il servit de modèle à tous ceux qui lui succédèrent. 2. DémétriusPoliorcotes regardoitl'inaction comme le plus grand vice qui pût déshonorer un monarque qui doit rendre compte aux hommes de l'emploi de tous les mstahs de sa vie. Aussi,quand la guerre Ou les affaires laissoient à ce prince actif quelques momens de repos, il les consacroitàl'ulilité publique,cnselivrantàl'élude de cette partie delà mécanique qui a pour obj et la fabrication des machines de guerre et desvaisseaTix.Ilcherchoit les moyens de donner aux unes plus de jeu , aux autresplusde légèreté. C'est de ces méditations savantes qu'on vit sortir l'hélépole , machine fameuse clans l'antiquité, remuéepar quatre mille bras,etdontreffet étoit peut-être plus terrible que celui de nos canons.
P
N 2
�196 E X É R C I CE. Elle lançoit des quartiers de rochers , des milliers de flèches, une grêle de balles de plomb et de fer : elle suppléoit, dit-on, à une armée de vingt mille hommes; et les remparts , les fortifications les plus solides ne pouvoient lui opposer d'invincibles barrières. 5. Chez les anciens cénobites , chez les premiers solitaires, on ignorait le repos. La vie monastique étoit une vie active, partagée entre deux exercices également utiles : la travail et.laprière. AFexemple des apôtres, ces vénérables pénitensvivoient du produ it deleurs ouvrages;ettelleétoitleurardeuretleur application, que souvent chaque religieux gagnoit assez pournourrirencore tr ois ou quatre pauvres. Dans une contrée de la Thébaïde,on vitsous la direction de Fabbé Paconius quinze cents moines obligés de trouver,dansIeurindustrieusc activité seule, les moyens de soutenir leurs" jours. Nonseulement ils subvenoient à toutes les dépenses , sans le secoursde personne, mais ils se procuroientmêmele doux plaisir de soulager souvent la misère des villes et des bourgades voisines, où, par l'effet de leurs soins et de leur charité , on ne voyoit aucun pauvre. Ils firent plus : ayant appris qu'une famine cruelle désoloitAntioche et Constanfinople , ils envoyèrent à chacune de ces villes une somme très-considérable, sans cependant diminuerleurs aumônes ordinaires : seulement on doubla , durant un an , les travaux de chaque religieux; et chaque particulier déroba quelques heures sur son sommeil, afin de suppléer à l'épuisement des fonds du monastère, ou plutôt, afin d'avoir de nouvel les ressources pour opérer de nouvelles œuvres de bienfaisance. 4. La jeune Euphraxie s'étoit consacrée àDieudans un monastère de la Thébaïde ; mais, comme elle avoit quitté le monde de bonne heure, son abbesse craignit que ses charmes trompeurs ne se présentassent quelquefois à son esprit pour séduire son innocence. Afin donc de prévenir un ennemiqu'onncpcut vaincre que par la fuite,outre les travaux ordinaires et communs à toutes les autres religieuses , elle chargea de plus 1? jeune vierge, objet de sa vigilance , de porter et de rapporter, d'un lieu à un autre,un grand monceaudc
�EXPERIENCE.
pierres dans ses heures de loisir. Elle eroyôit, par cet exercice de surérogation, empêcher toutes les pensées dangereuses de naître dans l'esprit chaste et pur de cette sainte fille. Elle ne se trompa point; et la laborieuse Euphraxie devint le modèle et l'édification de ses sœurs. 6. Afin de ne point croupir dans une molle indolence, les rois des Parthes avoient coutume d'aiguiser la pointe de leurs traits ; et, au soin qu'ils apportaient à cet exercice,on voyoit bien qu'ils cherchoient non-seulement à en tirer quelque plaisir, mais encore a mériter la gloire de l'avoir bien rempli- Voyez
ACTIVITÉ , TRAVAIL.
EXPÉRIENCE.
1. .tr siège de Cambrai, M. de Vauban n'étoit pas d'avis qu'on attaquât la demi-lune de la citadelle. Du Metz, brave homme,mais chaud et emporté, persuada à Louis XIV de ne pas différer davantage. Ce fut dans cette contestation que M. de Vauban dit au roi : « Vous perdrez peut-être à cette attaque tel homme « qui vaut mieux que la place. » L'avis de Du Metz fut suivi : la demi-lune fut attaquée et prise ; mais les ennemis y étant revenus avec un feu épouvantable, ils la reprirent, et le roi y perdit plus de quatre cents hommes et quarante officiers. M. de Vauban, deux jours après , l'attaqua dans les formes , et s'en rendit maître sans y perdre que trois hommes. Louis XIV lui promit qu'une autrefois il s'en rapporteroit à son. expérience, et qu'il le laisserait faire.
-A
N S
�lf)3
'
F A M I L ï A R I T É.
FAMILIARITÉ. i. souveraine habileté dansla peinture n/étoitpas le seul mérite du célèbre Apelle. Une politesse, laconnoissance du monde, les manières douces, insinuantes, spirituelles, le rendirent fort agréable au grand^Zearandre, qui ne dédaignoit pas d'aller souvent chezle peintre, tant pour jouirdes charmes de sa conversation, que pour le voir travailler,et devenirle premier témoin des merveilles qui sorloientde son pinceau. Celte affection du conquérant de l'Asie pour un peintre qui étoit poli, agréable , délicat, ne doit pas étonner. Un jeune monarque se passionne aisément pour un génie de ce caractère , qui joint à la bonté de son cœur, la beauté de l'esprit et la délicatesse du pinceau. Ces sortes de familiarités entre les héros de divers genres ne sont pas rares , et font honneur aux princes. 2. Le roi Charles II étoit familier de son naturel , d'un accès très-facile, et aimoit assez à voir et à être vu.Plus d'une fois il dinaavec ses bons sujets de Londres chez le lord-maire. Lorsque sire Robert VinerçxX, éié élu en cette qualité , il eut l'honneur de donner à di: -.or à sa majesté. Sire Robert, encouragé par sa bonté, çt portant des santés continuelles à la famille royale, devint à chaque rasade plus passionné pour son prince, cl bientôt sa tendresse dégénéra en familiarité. Charles II, qui s'en lassa, se leva de table , courut à la porte sans bruit , et fît, avancer son carrosse. Sire Robert s'aperçut de son évasion ; et, trop satisfait de sa compagnie pour le laisser partir , il courut après lui, le Joignit sur l'escalier , et lui frappant dans la main : « ôh ! parbleu, sire , lui dit- il , vous resterez , s'il << vous plaît; vonsneme quiîlercz pas que nous n'ayons <<: vidé encore une bouteille de vin. » Le roi se mit à rire , le regarda avec bonté ; et , se tournant vers ceux qui étaient présens , il leur dit ce vers d'une
LA
�I99 vieille chanson : « Celui quiest'wre est égal aux rois.» Il revint avec le maire , et eut la complaisance de rester jusqu'à ce que le bon-homme eût besoin d'un guide pour trouver son lit.
V E R M E T E.
FERMETÉ. 1, ULIEN l'Apostat avait malheureusement fait connoître qu'il étoit sensible aux traits de la satire ; et la piété , naturellement si patiente et si douce , contracte trop souvent quelque teinture des passions humaines qu'elle trouve dans le cœur : elle y prend surtout dans la persécu tion un peu de fiel et d'amertume.. Une sainte veuve , nommée Publie connue par sa vertu et par celle de son fils , un des prêtres les plus respectés de la ville d'Antioche , étoit à la tête d'une communauté de filles chrétiennes. Leur occupation ordinaire étoit de chanter des hymnes. Depuis que Julien avoit déclaré la guerre au christianisme, elles affectoient d'élever leurs voix toutes les fois que l'empereur passoit devant leur maison, et de lancer pour ainsi dire sur le prince, certains versets des psaumes comme autant de traits qui lui percoient le cœur. Elles avoient choisi celui-ci : « Les dieux des nations ne « sont que de l'or et de l'argent ; c'est l'ouvrage de la « main des hommes : que ceux qui les font, et qui met« lent en eux leur confiance, leur deviennent sembla« bles. » Julien leur fit commander de se taire. Publie n'en devint qu e plus hardie :.dès la premièrefois qu'elle sut que le prince approchoit, elle fit chanter cet autre verset : « Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient « dissipés. » L'empereur, outré de colère, manda la supérieure , lui fit donner des soufflets par n de ses gardes, et la renvoya. Elle continua ; et Julien s'aperçut un peu trop tard que, ne pouvant faire taire ces femmes , il n'avoit d'autre parti à prendre que de ne pas paroître les entendre. Théodoret donne KPublie de grands éloges. :. sa fermeté dans la foi est en eCek
"S
Et 4
�BOO
FERMETÉ.
admirable, mais la prudence chrétienne dirigeoit-elle le zèle de cette sainte femme ? Parce que l'empereur étoit païen , en étoit-il moins son maître ? lui devoilelle moins de respect ? 2. Caton d'Utique fut élevé dans la maison de son oncle Drusus, alors tribun du peuple. Les députés des Latins étant venus chez çe magistrat, pour le prier de leur obtenir le droit de bourgeoisie, Popédius leur chef pria le jeune Caton d'appuyer leur demande auprès de son oncle; mais l'enfant répondit d'un ton assuré qu'il n'en feroit rien, et résista constamment à ses vives instances. Alors Popédius le prend entre ses bras, l'emporte au haut de la maison, et le menace de le précipiter en bas, s'il nese rend à sa demande; maisrienne put ébranler la fermeté du jeune Romain. Popédius , saisi d admiration, s'écria: «Nous sommes bienheureux « qu'il ne soit encorequ'un enfant; s'il étoit sénateur, « nous n'aurions rien à espérer1. » 5. Pendant que Phocion commandent l'armée dos 'Athéniens, ses soldats voulurent ïe forcer de les mener à l'ennemi. Ce grand homme , qui ne jugeoit pas à propos de livrer bataille, tint ferme, et résista à leurs cris.Les Athéniens irrités Paccablèrcntd'injures.,l'appelant poltron et lâche. Phocion leur répondit en souriant , et sans s'émouvoir : « Vous ne sauriez me rendre « courageux, ni moi vous rendre timides ; mais nous «r nous connaissons , demeurons en là. » Dans des temps fort difficiles , le peuple , devenu insolent, s'emporta contre lui, et vouioit que sur l'heure il lui rendit compte de sa conduite. Phocion, toujours inébranlable., se contenta de répondre à la multitude : «Songez d'abord à vous tirer de l'embarras <(, où vous êtes ; c'est ce qu'il y a de plus pressé. » Quelqu'un 1 uirepvésentoit qu'il éloitdangereuxpour lui de s'opposer, avec autant de fermeté aux volontés du peuple; que les Athéniens, irrités de sa résistance opiniâtre , po'ii roienfc bien enfin le faire mourir : « Oui, ré« pondit Phocion, ils me feront mourir; mais injuste« nient, si je leur conseille ce qui est utile, ettrès-juste« ment, si pour les flatter je trahis leurs intérêts. »
�FERMETÉ.
4- Le consul Carbonvonloïl qu'on portâtUÎÏ
qui contraignit lés habitans de Plaisance à lui ses otages. Marcus Castricius,magistrat de cettî s'y opposoit avec courage. Car bon irrité le menaço* en lui disant : « Songez que j'ai bien des épées ; — et « moi, bien des années , » lui répondit Castricius. 5. L'empereur Justinien I vouloit obliger le pape Agapet de communiquer avec ^«^Awze;, patriarche de Gonstantinople , qui étoit eutychien, le menaçant de l'exil, s'il résistait plus long-temps à ses désirs. « Je « croyois , répondit l'intrépide pontife , avoir trouvé « un empereur catholique ; mais, à ce que je vois, j'ai « en tête un Donatien : sachez cependant que je ne « crains point vos menaces. » Cette réponse généreuse causa la déposition du prélat hérétique. 6. Antipater, gouverneur de Macédoine, deinandoit aux Lacédémoniens , après la défaite à'Agis , roi de Sparte, cinquante enfans pour otages. L'éphoreEf eWZe, homme ferme , lui dit ; « Nous ne pouvons pas vous. « donner des jeunes gens privés de l'éducation domes« tique ; ce sont de jeunes plantes qui doivent être bien « cultivées , et qui, transportées ailleurs, ne profite« roient point : ils prendraient des moeurs étrangères, « et seraient, un jour, de mauvais citoyens. » Antipater insista sur sa demande, et fit de grandes menaces. « Vos menaces , reprit Etéocles, épouvantent peu des « gens qui savent braver la mort. » 7. Popilius, nobleRomain,fut envoyé vers Antioclms, roi de Syrie , de la part du sénat , pour lui ordonner de faire sortir son armée de l'Egypte , et de ne point opprimer les enfans de Ptolémée. Du.plus loin que le monarque aperçut l'ambassadeur romain, il le salua avec beaucoup, de politesse. Popilius, sans lui rendrele salut, lui exposa les ordres du sénat. Antiochus répondit qu'il y penserait, et qu'il lui rendrait réponse. Alors Popilius , traçant avec sa baguette un cercle autour du roi : « Prince, lui dit-il , il faut que vous répondiez , « avant que de sortir de ce cercle. » Le roi de Syrie , étonné de ce tte hardiesse intrépide, répondit qu 'il étoit, prêt à faire ce que le sénat exigeoit. Alors Popilius,
�202
FERMETÉ.
le sa] ua, et l'embrassaavec de grandes marques d'ami lié. 8. Les états de la Grèce, voulant terminer les guerres qui les épuisoienl depuis quelques années, indiquèrent un congrès général, auquel chaque ville envoya des députés.Parmi ces ambassadeurs, Epaminondas \e\\oi\ un des premiers rangs. Sa grande érudition, sa profonde sagesse l'avoient déjà rendu très-célèbre ; mais il n'avoit, pas encore trouvé l'occasion de donner des preuves bien éclatantes de sa haute capacité pour commander les armées, et pour manier les affaires publiques. Dans cette circonstance, il fit briller une ferme té qui dévoila toute la grandeur de son ame. Voyant que tous les députés , par respect pour Agésilas, roi de Lacédémone , qui se déclarait ouvertement pour la guerre , n'osoient le contredire , ni s'écarter de son avis , il fut le seul qui parla avec une noble et sage audace , comme il convient à un homme d'état, qui n'a en vue que le bien public. Agésilas , piqué de ce qu'on avoit la hardiesse de fronder son sentiment, demanda au téméraire ambassadeur , « s'il croyoit qu'il « fût juste et raisonnable de laisser la Béotie libre et « indépendante ; » c'est-à-dire, s'il consentait que les. villes de Béotie ne dépendissent plus de Thèbes ? Epaminondas tout aussitôt lui demanda à son tour, avec beaucoup de vivacité, «s'il croyoit aussi qu'il fût « juste et raisonnable de laisser la Laconie (ou terri« toire de Sparte ) dans la même liberté et la même « indépendance ? » Alors le roi Spartiate , se levant de son siège, plein de colère, le pressa de déclarer nettement , « s'il laisserai t la Béotie libre. » Epaminondas lui répondit par la même question, et lui demanda encore, « s'il laisserait de son côté la Laconie libre. » Cette intrépide fermeté mit le comble à la fureur du monarque , qui ne cherchoit qu'un prétexte pour rompre avec les Thébains : il saisit celui-ci; et, dans le moment, il effaça leur nom du traité d'alliance qu'on étoit. près de conclure. Telle fut la cause de la guerre deNs Thébains contre ceux de Sparte ; guerre mémorable , qui fut si funeste à la grandeur lacédémonienne. 9. Marius, parmi les vices qui le déshonoraient, fit
�203 quelquefois briller des vertus dignes du rang distingué qu'il tient dans l'histoire. Etant tribun du peuple , il voulut faire passer une loi utile sur la manière de donner les voix et les suffrages. Comme cette loi paroissoit diminuer l'autorité des nobles dans les jugeniens, le consul Cotta s'y opposa, persuada au sénat de la rejeter , et de citer l'audacieux tribun pour venir rendre raison devant lui de la proposition qu'il en avoit faite. Le décret étant donné , Marins entra dans le sénat, non avec l'embarras etl'ét.onnement d'un jeune homme qui , avant que d'avoir fait aucune action d'éclat, s'ingéroit de réformer la république ; mais avec l'assurance que lui donnoit le pressentiment des grandes actions qu'il devoit faire un jour. D'abord, il menaça Cotta de le tramer en prison, si, dans le montent, il ne révoquoit son décret. Cotta , se tournant, alors vers Métellus, l'un des plus illustres sénateurs ro-, mains , lui demande son avis. Métellus se levant, appuie le sentiment du consul. Aussitôt Marins, sans rien perdre de sa fermeté , fait appeler un licteur qui étoit à la porte , et lui commande de mener en prison Métellus. Ce patricien en appelle aux autres tribuns ; mais aucun d'eux ne vint à son secours. Le danger d'un si grand personnage intimide le sénat; il annulle son décret ; et ce magistrat, que l'on traitoit ae jeune audacieux , triomphe de cette auguste compagnie de vieillards. Marins \es quitte couvert de gloire , et se rend à la place publique , où il fait passer la loi dans l'assemblée du peuple. Cette action le fit d'abord regarder comme un homme entièrement dévoué au peuple, et toujours prêt à soutenir ses intérêts contre le sénat : mais , par un acte contraire , il détrompa ceux qui pensoient ainsi, et leur fit voir qu'il n'avoit d'autre parti que celui de l'utilité publique. Quelqu'un ayant proposé une loi qui portoit que l'on distribuerait gratuitement du blé aux citoyens , Marins s'y opposa de toutes ses forces; et, l'ayant emporté , il s'attira le respect de l'une et de l'autre faction. 10. Le tyran Maxime se préparait à faire la guerre à y'alerdhdcn II, afin de le dépouiller de ses étals .
FERMETÉ.
�So4
FERMETÉ.
Justine, mère et tutrice du jeune empereur, s'adressa à S. Ambroise pour écarter cet orage ; et, quoiqu'elle eût cruellement persécuté le saint prélat, parce qu'il ne vouloit point communiquer avec les ariens qu'elle pro tégeoit, elle comptoit assez sur sa générosité pour lui confier ses plus grands intérêts. Ambroise accepta cette commission difficile; il s'empressa de montrer à Justine et à toute la terre , que la persécution ne relâche pas les nœuds sacrés qui attachent les vrais chrétiens à leur souverain. Il avoit ordre de sonder les dispositions du tyran , de renouveler avec lui le traité de paix , et de lui demander les cendres de Gratien, pour leur donner une sépulture honorable. Le lendemain de son arrivée , il alla au palais , et sollicita une audience particulière. On lui l'épondit qu'il ne pouvoi t être admis qu'en présence du conseil. Il y consentit , pour ne point rompre la négociation. Lorsqu'il y fut entré , il refusa le baiser de Maxime : « Vous êtes en colère, « évêque, lui dit le tyran ; n'est-ce pas ainsi que je vous « ai reçu dans l'audience que je vous donnai il y a « quatre ans-?— Il est vrai, répondit Ambroise, que « vous avez, dès ce temps-là, manqué à la dignité épis« copale; mais alors je demandois la paix pour un in« férieur ; aujourd'hui, je la demande pour un égal. — « Et qui lui donne cette égalité ? — Le Tout-Puissant « qui a conservé à Valentinten l'empire qu'il lui avoit « donné. » Cette fermeté irrita le tyran ; il s'emporta en invectives contre Valentinien, qu'il accabla de reproches. Ambrpise le justifia : il le fit souvenir que VaZe«ri/|2z'e?2étantlemakredevengerlamortde Gratien sur Marcellus, frère de Maxime , qu'il tenait alors en son pouvoir, il le lui avoit renvoyé : il lui demandoit en récompense les cendres du défunt empereur. Maxime alléguoit, pour raison de son refus, que la vue de ces cendres animeroit ses soldats contre lui. «Ehquoi! « répondit Ambroise, défendront-ils , après sa mort, «• celui qu'ils ont abandonné pendant qu'il vivoit ? « Vous craignez ce prince lorsqu'il n'est plus ! Qu'ar « vez-vous clone gagné à lui ôter la vie ? Je me suis « défait d'un ennemi , dites-vous : non , Maxime î
-i
�FERMETÉ.
20
->
<e Gratien n'étoit pas votre ennemi ; c'est vous qni étiez « le sien. 11 n'entend pas ce que je dis en sa faveur ; « mais vous , soyez-en le juge. Si quelqu'un s'élevoit « aujourd'hui contre votre puissance, diriez-vous que « vous êtes son ennemi, ou qu'il est le vôtre ? Si je « ne me trompe, c'est l'usurpateur qui est l'auteur de « la guerre : l'empereur ne fait que défendre ses droits. « Vous refusez donc les cendres de celui dont vous ne « pourriez retenir la personne , s'il étoit votre prison« nier ? Donnez à Valenlinien ce triste gage de votre « réconciliation. Comment ferez-vous croire que vous « n'avez pas attenté à la vie de Gratien , si vous le « privez de la sépulture ? » Il convainquit ensuite Maxime d'être l'auteur de la mort du comte Vallion, qui n'étoit coupable que de fidélité envers son maître. Ambroise, entre les mains et sous le pouvoir du tyran s sembloit être son juge ; et Maxime confus ne se tira d'embarras qu'en renvoyant le prélat, et en lui disant qu'il délibéreroit sur les demandes de son souverain. 11. La célèbre marquise de Montespan tâchoit de concilier le vice avec la piété. Elle s'étoit faite une morale trop relâchée pour une chrétienne, trop sévère pour la maîtresse d'un roi. Ses belles mains ne dédaignoient pas de travailler pour les pauvres. Elle croyoit que des aumônes, l'assiduité au service divin, quelques pratiques extérieures rachetoient auprès de Dieu le dérèglement de sa conduite. Elle approchoit de la table sacrée à la faveur de quelques absolutions surpi^ises à des prêtres mercenaires ou ignorans. Un jour, elle essaya d'en obtenir une d'un curé de village, dont on lui avoit vanté la facilité 5 mais cet homme de Dieu lui dit : « Quoi ! vous êtes cette madame de Montespan « qui scandalise toute la France ? Allez , madame , « renoncez à vos coupables habitudes , et vous vien« drez ensuite à ce tribunal redoutable. » Elle sortit furieuse , alla se plaindre au roi, et lui demanda justice de la généreuse fermeté du confesseur comme d'un outrage ; mais le monarque ne crut point que son autorité s'étendît jusqu'à juger dans les sacremens ce qui se passe entre l'homme et Dieu.
�206 FERMETÉ. 12. Lorsque le maréchal de Marillac se vit condamné à la mort par la haine cru elle du cardinal de Bxchelieu, il témoigna une résignation parfaite aux ordres de la Providence. En passant devant le palais du tout-puissant ministre , pour aller au lieu de son supplice : « Voilà , dit-il , une maison où l'on m'a promis bien « des choses que Ton ne me tient pas aujourd'hui. » -Après qu'on lui eut lié les mains, il dit avec un sourire d'indignation : «Quand je me considère en cet état, « je me fais presque pitié à moi-même. Je ne sais si je « ne fais point aussi un peu de pitié aux autres. M. le « chevalier du Guet, n'êtes-vous point touché de quel« que sentiment de compassion?» Le chevalier du Guet lui répondit qu'il avoit un extrême regret de le voir en cet état. «Ayez-en regret pour le roi, et non pour moi, » reprit le maréchal ; et il présenta sa tête au bourreau. i3. De Cinq - Mars , ayant été condamné à mort par les ordres du même cardinal , son implacable ennemi, monta sur Féchafaud avec une fermeté, un courage , un sang froid , qui manifestoient une amc grande et intrépide. Un garde lui voyant son chapeau sur la tête, osa le lui ôter 5 mais Cinq-Mars, se tournant brusquement vers cet archer, lui arrache son chapeau, et le remet fièrement.Le bourreau étoit malade ; un vieux croche teur de la ville tenoit sa place. Cinq-Mars ne voulut pas souffrir qu'on le touchât ; il se coupa lui-même la moustache , et son confesseur lui coupa les cheveux. Il se promenoit sur Féchafaud, la main gauche sur le côté , avec la même assurance que s'il n'eût point touché au dernier moment de sa vie : il venoi t de se mettre à genoux auprès du billot, pour essayer la posture qu'il devoit tenir, la demandant au bourreau d'une voix ferme, et sans paroitrç ému. Après avoir encore pai'Ié quelques momensà son confesseur , sans vouloir permettre qu'on lui bandât les yeux , il se remit à genoux devant le billot qu'il tint étroitement embrassé : « Suis-je bien , dit-il à l'exécuteur? « —Oui, monsieur, lui répondit celui-ci.—Frappes « donc , reprit Cinq-Mars. » D'un seul coup de hache , le bourreau lui sépara la tête du corps.
�FERMETÉ. 207 iL Àntigonus, roi d'une partie de F Asie , et Eumène , roi de Cappadoce, se faisoient une guerre sanglante depuis la mort à'Alexandre-le-Grand, dont ils avoient été tous deirx capitaines. Après plusieurs défaites , le dèrnier se renferma clans le château de Nora ; et Antigonus vint l'y assiéger. Avant de commencer ses travaux , ce prince envoya proposer une entrevue àEumène; mais celui-ci répondit que soa rival avoit avec lui plusieurs de ses amis qui pourroient prendre sa place , s'il venoit à manquer , et commander son armée ; au lieu qu'il n'en avoit pas un seul qui pût je remplacer, parmi ceux dont il avoit entrepris la défense ; qu'ainsi , il n'avoit qu'à lui envoyer des otages , s'il vouloit entrer en conféreiicè. àntigonus insista, et lui fit voir que c'étoit au plus foible à venir parler au plus fort. « Jamais je ne reconnoîtrai << d'homme plus fort que moi, répondit Eumène, « tant que je serai maître de mon épée. » 15. Quand Alexandre se fut emparé de tous les états possédés par les rois de Perse, les Macédoniens, devenus insolens, l'importunoient sans cesse par leurs demandes insensées , et vouloient tout emporter de force. La patience du prince ne pouvant plus y tenir , il les fit ranger d'un côté ; puis, ayant fait mettre les Perses de l'autre : .« Macédoniens , dit-il, choi« sissez entre vous qui vous voudrez pour vous com« mander; je vais me mettre à la tête des Perses : « combattons. Si vous êtes vainqueurs, je vous obéirai; « si vous êtes vaincus , vous saurez par expérience « que- sans moi vous ne pouvez rien , et vous me se« rez soumis. » Les Macédoniens , étonnés de cette fermeté vraiment royale, rentrèrent dans le devoir, et ne pensèrent plus à leurs prétentions aveugles. 16. Valentinien ayant été proclamé auguste, ses soldats voulurent le forcer de se nommer un collègue. Mais le nouvel empereur, le plus intrépide de tous les hommes, sentit que céder, dès le premier pas, à la volonté des légions, c'étoit leur laisser reprendre l'autorité qu'elles venoient de lui conférer. Montrant donc un air assuré , après avoir imposé silence aux plus
�208 , FERME T Â turbulens , en les traitant de séditieux, il parla en ces termes : « Braves défenseurs de nos provinces , voua « venez de m'honorer du diadème. Je connois tout le «prix de cette préférence à laquelle je n'ai jamais « aspiré. Toute mon ambition s'étoit bornée à me pro« curer la satisfaction intérieure, qui couronne la vertu. « Il dépendoit de vous tout à l'heure de me choisir « pour votre souverain ; c'est à moi maintenant à dé« cider des mesures qu'il faut prendre pour votre su« reté et votre gloire. Ce n'est pas que je refuse de « partager ma puissance , je sens tout le fardeau du « pouvoir : je reconnois qu'en m'élevant sur le trône, « vous n'avez pu me placer au-dessus de l'humanité. « Mais votre élection ne se soutiendra qu'autant que « vous me laisserez jouir des droits dont vous m'avez « revêtu. J'espère que la providence secondant mes « bonnes intentions, m'éclairera sur le choix d'un col« lègue digne de vous et de moi. Vous savez que dans « la vie privée c'est une maxime de prudence de « n'adopter pour associé que celui dont on a fait line « sérieuse épreuve. Combien cette précaution est-elle « plus nécessaire pour lè partage de l'autorité souve« raine , où les dangers sont si fréquens, et les fautes « irréparables ! Reposez-vous de tout sur ma vigilance. « En me donnant l'empire, vous ne vous êtes réservé « que l'honneur d'une fidelle obéissance. Songez seu« lement à profiter du repos dè l'hiver pour rétablir vos « forces , et vous préparer à de nouvelles victoires. » La noble fermeté de ce discours arrêta les murmures. Valentinien acquit dès-lors toute la confiance qu'auroit pu procurer un long règne soutenu avec dignité ; et ces fières cohortes , qui, un moment auparavant, prétendoient lui commander , frappées d'une impression de respect qui dura autant que sa vie, le conduisirent au palais, au milieu de leurs aigles et de leurs enseignes ,• avec toutes les marques d'une entière soumission. 17. Léontius et Mégaléas , officiers macédoniens , abusoient étrangement des bontés que Philippe , leur maître, avoit pour eux. En vain Aratus , général des Achéens, vouloitdétromper ce monarque sur le compte de
�FERMETE.
aoq
de ces deux perfides ministres. Il les avoit eus pour conseillers dans sa première jeunesse : sa prévention pour eux étoit une habitude. Us hâtèrent eux-mêmes leur perte. Un jour, au sortir d'un grand repas , ils poursuivirent Aratus, à coups de pierres, jusques dans sa tente. Tout le camp fut en émeute. Le bruit vint jusqu'aux oreilles du roi, qui, s'étant fait informer exactement de tout ce qui étoit arrivé , condamna Mégaléas à une amende de vingt mille écus , et le fit mettre en prison. Cette nouvelle fut un coup de foudre pour Léontius. Cependant il crut devoir s'armer de résolution ; et, suivi de plusieurs soldats , il vint à la tente de Philippe , persuadé que ce prince, intimidé par ce cortège , changeroit bientôt de sentiment. « Qui a été assez hardi , demanda d'un ton « insolent l'audacieux capitaine , pour porter les « mains sur Mégaléas , et pour le mettre en prison ? « — C'est moi ; c'est votre maître et le sien , répondit « fièrement le roi. » Cette noble fermeté effraya Léontius. Il jeta quelques soupirs , et se retira consterné. Quelques jours après, il se rendit caution de l'amende imposée à Mégaléas , qui par là recouvra sa liberté. 18. Le grand-duc de Toscane, François de Lorraine , vint former , en 1741 , le siège de Lintz, qu'il pressa avec fureur. Les Français défendent la place avec le courage le plus intrépide , et tandis qu'ils se retirent dans une partie de la ville, les troupes impériales entrent dans l'autre, le flambeau à la main. M. Duchâtel, lieutenant-général, est détaché pour proposer les articles d'une capitulation honorable. « Je veux , dit le « grand-duc , avoir la garnison prisonnière de guerre. « — Eh bien ! répondit M. Duchâtel, recommencez « donc à brûler; et nous allons recommencer à tirer. » Cette ferme repartie adoucit le prince , qui accorda tous les honneurs de la guerre à cette brave garnison. 19. J_ie philosophe Anaxagore, le premier qui donna lui-même ses ouvrages au public , exilé d'Athènes , parce qu'il avoit enseigné que le soleil est une masse de feu ardent, avoit choisi pour retraite la ville de Lampsaque. Il y parloit en -public sur quelque inatière philoTome ZI. > O
�210 FIDELITE. sophique , lorsqu'on vint lui annoncer la mort de ses deux fils. Il interrompit son discours , garda quelque temps le silence ; puis , reprenant tout-à-coup la parole , il dit d'un air ferme : «Né mortel , je savois « que je les avois engendrés mortels. » Il continua avec la même tranquillité , renfermant sa douleur au dedans de lui-même. Voyez ASSURANCE , CONSTANCE,
ÉGALITÉ , INTRÉPIDITÉ.
FIDÉLITÉ. i. JL HÉODORIC, quoique arien , avoit un ministre catholique qu'il aimoit beaucoup, et auquel il accordoil toute sa confiance. Ce ministre crut pouvoir s'assurer de plus en plus les bonnes grâces de son maître , en renonçant à sa religion : il embrassa l'arianisme. Théodoric l'ayant appris , lui fit trancher la tête. « Si cel « homme , dit-il, est infidelle à Dieu, me sera-t-il « fidelle , à moi qui ne suis qu'un homme ? » 2. Sous la minorité de Louis XIV, deux gentilshommes français, l'un de Picardie, nommé d'Esclainvilliers, et l'autre de Champagne, appelé de Menueville , tous deux morts lieutenans - généraux , niangeoient un jour ensemble avec plusieurs autres officiers. D'Esclainvilliers dit à la compagnie : « Buvons « à la santé du roi; » puis, s'adressant à Renneville : « Mon ami, ajouta-t-il, je te la porte ; car, vive Dieu! « si tous les gentilshommes nous ressembloient, il n'y « auroit point de traîtres en France. » Aussitôt tous les convives, mettant la main sur leur épée, prièrent Dieu de changer en poison le vin qu'ils alloient boire à la santé du roi, s'ils avoient d'autre pensée dans l'ame, que de verser leur sang pour le service de leur prince et de leur patrie. 3. L'archiduc d'Autriche étant entré dans Madrid en 17'o j ht dire au marquis de Mansera, vieillard de près de cent ans, président du conseil de Castille, de venu' lui baiser la main : « Je n'ai qu'une foi, répondit
�FIDÉLITÉ.
211
ce généreux centenaire ; je n'ai qu'un roi , qui est Philippe V, auquel j'ai prêté serment de fidélité. Je reconnois l'archiduc pour un grand prince , mais non pas pour mon souverain. J'ai vécu cent ans sans avoir rien fait contre mes devoirs ; et, pour le peu de jours qui me restent à vivre , je ne veux pas me déshonorer. » 4- Du temps de la Ijigue, Nicolas Potier deNovion de Blancménil, président à mortier, fut sur le point d'être condamné à être pendu par les Seize. Comme on alloit le juger , le duc de Mayenne revint à Paris. Ce prince avoit toujours eu pour Blancménil une vénération qu'on ne pouvoit refuser à la vertu. Il alla luimême le tirer de prison. Le président se jeta aux pieds du prince, et lui dit : « Monseigneur, je vous ai. obli« gation de la vie ; mais j'ose vous demander une plus « grande grâce : c'est de me permettre de me retirer « auprès de Henri IV, mon légitime souverain. Je « vous reconnoîtrai toute ma vie pour mon bienfai« teur, mais je ne puis vous servir comme mon maî« tre. » Le duc de Mayenne, touché de ce discours, le releva, l'embrassa , et le renvoya à HenriIV. 5. Le duc de Guise , ayant soulevé le peuple de Paris, le roi Henri IIIfut obligé de se retirer à Chartres, et le duc resta seul maître de la capitale. Après avoir appaisé le tumulte, il alla rendre visite au premier président, Achilles de Harlai. Il le trouva qui se promenoit dans son jardin. Le magistrat s'étonna si peu de sa venue , qu'il ne daigna pas seulement tourner la tète, ni discontinuer sa promenade commencée , laquelle achevée qu'elle fut, et étant au bout de son allée, iî retourna, et, en retournant, il vit \eàwcdeGuise(\x\x venoit à lui. Alors il lui dit : « C'est grand'pitié que le « valet chasse le maître ! Au reste,mon aine est à Dieu, 'i mon cœur est à mon roi , et mon corps est entre les « mains des méchans : qu'on en fasse ce qu'on voudra. » G. L'orateur Marc-Antoine étant ci té en justice pour un crime capital dont on le chargeoit, ses accusateurs demandèrent qu'il livrât, pour être appliqué à la question, un jeune esclave qu'ils prétendoientêtre complice O '2
« « « « « « «
�212
FIDELITE.
de son maître. Cette circonstance rendit l'instruction du procès fort délicate pour l'accusé. L'esclave étoit extrêmement jeune : Antoine craignoit beaucoup delà foiblesse de l'âge et de la violence des tourmens; mais le généreux serviteur exhorta lui-même son maître à le livrer sans crainte , l'assurant que sa fidélité étoit au-dessus des douleurs les plus cruelles. Il tint parole; et la question, qui étoit très-rigoureuse chez les Romains , les fouets , le chevalet, les lames ardentes ne purent vaincre sa constance, ni le faire parler d'une manière qui nuisît à l'accusé : exemple qui prouve que la vraie noblesse est de tous les états. 7. L'empereur Frédéric Barberousse assiégeoit et a v e pressoit vivement, en 1174? l iH d'Alexandrie-dela-Paille , en Italie ; et, plein de colère contre les habitans, ilfaisoit mettre à mort tous ceux qui tomboient en son pouvoir. Un jour on conduisit à ses pieds trois malheureux captifs qu'il condamna sur l'heure à perdre les yeux. Deux de ces infortunés subirent d'abord le supplice ; mais lorsqu'on vint au troisième, Frédéric, touché de sa grande jeunesse,lui demanda ce qui l'avoit engagé à se soulever con tre son souverain : « Seigneur, « répondit le jeune homme , j'ai suivi les ordres du « maître que je sers dans la ville. Quelque parti qu'il « prenne , jamais je ne l'abandonnerai ; et, quoique « ma fidélité me coûte bien cher aujourd'hui , je tâ« cherai encore de lui rendre tous les services dont, je « serai capable. » Tant de générosité toucha l'implacable empereur. Il fit grâce à ce valet si digne d'éloges, et le chargea de reconduire dans la ville les compagnons de sa captivité. 8. Sanci, maître des requêtes, voulant engager les Suisses au service de Henri III, en i58cji envoya secrètement son valet-de-chambre , pour lui apporter le fameux diamant, connu sous le nom de Sanci, qui fait aujourd'hui l'ornement de la couronne de nos rois, et lui recommanda de prendre garde aux voleurs. « Ils « m'arracheroient la vie , dit le fidelle domestique , « qu'ils ne m'enlèveroient pas le diamant. » Il fit, entendre à son maître qu'il l'avaleroit, quelle qu'en fût la
�FIDÉLITÉ. 2l3 grosseur. Ce qu'avoi t craint Sanci, arriva. A son retour de Paris, le valct-de-chambre aperçut une bande de brigands qui l'attendoient au passage. Aussitôt il avale le diamant, sans être remarqué, et continue sa route. Il est arrêté, fouillé , et mis à mort par les voleurs : c'étoit dans la forêt de Dole. Sanci, ne voyant pas revenir son domestique , et connoissant sa droiture , se douta de son malheur. Il fit faire les plus grandes perquisitions : enfin, on lui rapporta qu'un homme avoit été assassiné dans la forêt de Dole, et que les paysans l'avoient enteiré. Il se transporte sfir les lieux, reconnoît son valet-de-chambre , le fait ouvrir , et retrouve son diamant. Il pleura sincèrement un domestique si fidelle, et admira une générosité qui lui devoit coûter la vie, quand même les voleurs la lui auroient laissée, à cause de la grosseur du diamant. Sanci ne.le vouloit avoir qu'ahn de le mettre en gage pour une somme très-modique , dont le roi avoit un pressant besoin. 9. Pertharit, roi des Lombards, dépouillé de son trône par Grimoald, duc de Bénevent, excitoit la jalousie de l'usurpateur, qui lui conseilla de donner à ses amis un magnifique repas : il vouloit profiter de cette fête pour lui arracher la vie. Le monarque dépouillé, averti des funestes desseins de son ennemi, feignit de suivre son avis, et parut se livrer à toute la joie du festin. On le crut même ivre, quoiqu'il n'eût bu que de l'eau. A peine se fut-il mis au lit, que son palais fut investi. Alors le fidelle Unulf, son valet-de-chambre, le déguise sous les habits d'un esclave, le charge de quelques meubles, et le fait marcher devant lui, en lui disant des injures , et lui donnant même quelques coups de bâton. Les gardes, trompés par ce stratagème, ne s'opposent point à l'évasion du prince, qui se rend en France. Grimoald, qui croyoit l'avoir entre ses mains, ordonne qu'on le lui amène. Unulf, qui étoit revenu dans l'appartement de son maître, répond à ceux qui viennent le chercher q\\ePertharit repose. Onréitère les instances ; nouveaux refus d'ouvrir. On enfonce la porte ; on ne trouve que le seul Unulf, qui déclare enfin la fuite du prince. On le conduit devant le duc de Bénevent, qui demande à
�3T.4
FIDÉLITÉ.
ses courtisans ce qu'ils pensent, qu'on doit faire de cet homme ? Tous prononcent qu'il mérite la mort. « Vous vous trompez , répond Grimoald ; il mérite « plutôt une récompense, pour avoir été fidelle à sou « maître , aux dépens même de sa vie. » 10. Kollïkoffcr, l 'un des ambassadeurs suisses auprès de Henri III, en i5o2, avoit expressément recommandé, en partant pour Paris, qu'on prît le plus grand soin d'un gros chien qu'il aimoit beaucoup. On renferma cet animal pendant cinq à six jours, après lesquels il trompa la vigilance des domestiques, et s'évada. Kollikoffer fut bien étonné, lorsqu'au milieu de l'audience solennelle que le monarque français donnoit aux députés helvétiques, sou chien s'élanca à son cou , et l'accabla de caresses. Dès qu'il avoit pu ravoir sa liberté , il avoit pris le chemin de Paris sans guide , et avoit suivi jusqu'au Louvre les traces de son maître. 11. Sous le règne de Charles V, roi de France, un nommé Aubri de Aïontdidicr, passant seul dans la forêt de Bondy, fut assassiné et enterré au pied d'un arbre, Son chien resta plusieurs jours sur la fosse , et ne la quitta que quand il fut. pressé par la faim. Il vient à Paris, chez nn intime ami de son malheureux maître, etparseslristeshurlemens,seniblelui annoncerlaperte qu'il a faite. Après avoir mangé , il recommence ses cris; va à la porte, tourne la tête, pour voir si on le suii., revient à cet ami de son maître, le tire par l'habit. « e n!ue pour l'exciter à Je suivre. La singularité des mo ■ ,f mens de ce chien, sa venue sans son maître qu'il ne quiltoit jamais, ce maître qui tout d'un coup a disparu, et peut-être cette distribution de justice et d'événemens, qui ne permet guère que les crimes restent long.temps cachés, tout cela lit que l'on suivit ce chien. Dès qu'il fut au pied de l'arbre, il redoubla ses cris en grattant la terre, comme pour faire signe de chercher en cet endroit* On y fouilla, ell'on y trouva le corps de l'infortuné Aubri. Quelque temps après, ce chien aperçut par hasard l'assassin, que tous les historiens nomment le chevalier Macaire. Il lui saute à la gorge, et l'on a bien de la peine à lui faire lâcher prise. Chaque-
�FIDÉLITÉ.
2l5
fois qu'il le rencontre, il l'attaque et le poursuit avec la même fureur. L'acharnement de ce chien, qui n'en veut qu'à cet homme, commence à paraître extraordinaire. On se rappelle l'affection qu'il avoit marquée pour son maître, et en même temps plusieurs occasions où ce chevalier Macaire avoit donné des preuves de sa haine contre Aubri de Montdidier. Quelques autres circonstances augmentèrent les soupçons. Le roi, instruit de tous les discours que l'on tenoit, fait venir ce chien qui paraît tranquille jusqu'au moment où apercevant Macaire au milieu d'une vingtaine d'autres courtisans, il tourne, aboie, et cherche à se jeter sur lui. Dans ce temps-là , on ordonnoit le combat entre l'accusateur et l'accusé, lorsque les preuves du crime n'étoient pas convaincantes. On nommoit ces sortes de combats jugemens de Dieu, parce qu'on étoit persuadé que le Ciel auroit plutôt fait un miracle , que de laisser succomber l'innocence. Le roi, frappé de tous les indices qui se réunissoient contre Macaire , jugea qu'il échéoit gage de bataille, c'est-à-dire, qu'il ordonna le duel entre le chevalier et le chien. Le champ clos fut marqué dans l'île Notre-Dame , qui n'étoit alors qu'un terrain vide et inhabité. Macaire étoit armé d'un gros bâton : le chien avoit un tonneau percé pour sa retraite et ses relancemens. On le lâche. Aussitôt il court , tourne autour de son adversaire , évite ses coups , le menace tantôt d'un côté , tantôt d'un autre, le fatigue, et enfin s'élance, le saisit à la gorge, et l'oblige à faire l'aveu de son crime en présence du roi et de toute sa cour. La mémoire de ce chien mérita d'être conservée à la postérité par un monument qui subsiste encore sur la cheminée de la grande salle du château de Montargis. 12. A la surprise de Crémone, en 1702 , un capitaine des troupes impériales, nommé Magdonel, tira le maréchal de Vïlleroi d'entre les mains de plusieurs soldats qui venoient de l'arrêter, et qui se disputoient ses dépouilles. Le maréchal se courba pour parler à l'oreille de Magdonel. « Ecoutez, lui dit-il; je suis le « maréchal de Vïlleroi, je puis faire votre fortune. Si
�216
FIDELITE.
« vous me menez à la citadelle, et que vous vouliez « vous sauver avec moi, je vous offre un régiment de « cavalerie, et une pension de deux mille écus.» Magdonel lui répondit : « Il y a long - temps que je Sers « l'empereur avec fidélité, et il ne m'est pas encore « arrivé de commettre une infidélité contre son service : « je ne suis pas d'avis de commencer aujourd'hui. Je « préfère mon honneur à la fortune : c'est en vain que « vous me tentez par l'espérance d'un emploi un peu « plus relevé que celui que j'exerce ; je suis assuré « d'obtenir par mes services , dans les troupes de l'em« pereur, ce que vous voulez me faire acheter dans « les troupes de France par une trahison. » i3. Le prince Eugène ayant surpris Crémone, où les Français avoient une garnison , deux régimens irlandais, qui étoient au service de France, se distinguèrent par une résistance héroïque. Us défendirent constamment une des portes de la ville contre douze cents hommes, quoiqu'ils ne fussent guère que quatre cents. Le prince Eugène ne trouva pas de meilleur expédient que de tenter la fidélité de ces deux braves régimens. Pour cet effet, il leur envoya Magdonel, qui, étant "Irlandais , pouvoit mieux les persuader qu'un autre. Magdonel, instruit par le prince sur la manière dont il devoit s'y prendre pour gagner ses compatriotes, s'avance entre les combattans, et demande s'il ne lui seroit pas permis de faire quelques propositions. On lui répond qu'il le peut faire librement. Tout-à-coup le combat cesse. Les deux partis , attentifs à ce qui se passe, ontlesyeuxattachéssuriWa^072eZ,-chacunpense que les propositions dont il est chargé vont mettre fin à tant de longs et. pénibles combats. « Mes compatrio« tes, dit-il aux officiers irlandais, son altesse sérénis« sime monseigneur le prince Eugène de Savoie m'en« voie ici pour vous dire que si vous voulez changer « de parti et passer dans celui de l'empereur, il vous « prome t une paye pl us forte et des pensions plus consi« dérabl es que vous n'en avez en France. L'affection que « j'ai pour toutes les personnes de ma nation en géné« ral, et pour vous autres, messieurs, en paticulier^,
�FIDELITE. 217 « m'oblige de vous exhorter à accepter les offres que « le général de l'empereur vous fait ; car si vous les « refusez, je ne vois pas comment vous pourrez échap« per à une perte certaine. Nous sommes maîtres de la « ville, à l'exception de votre porte ; c'est pourquoi « son altesse n'attend que mon retour pour vous atta« quer avec la plus grande partie de ses forces, et pour « vous tailler en pièces, si vous rejetez ses offres. — « Monsieur, répondit un des officiers irlandais, si son « altesse n'attend que votre retour pour nous attaquer « et pour nous tailler en pièces, il y a apparence qu'elle « ne le fera pas de long-temps, car nous allons pour« voir à ce que vous ne retourniez pas sitôt ; pour cet « effet, ajouta-t-il, je vous arrête prisonnier, ne vous « regardant plus comme le député d'un grand géné« ral, mais comme un suborneur. C'est par cette « conduite que nous voulons mériter l'estime du « prince qui vous a envoyé , et non par une lâcheté « et une trahison indignes de gens d'honneur. » i4- Marguerite de V~alois faisoit la guerre à HenriIII son frère , et au roi de Navarre son mari. Elle avoit campé sa petite armée devant Villeneuve d'Agénois. Elle ordonna à trente ou quarante soldats de conduire Charles de Cieutat, officier français, aux pieds des murailles, et de le tuer, si son fils, qui commandoit dans cette place, refusoi t d'en ouvrir les portes. Cieutat, après qu'on eut fait cette indigne sommation à son fils, lui cria : « Songes à la fidélité et au devoir d'un Français ; « et que si j'étois capable de te dire de te rendre, ce ne « seroit plus ton père qui te parlerait, mais un traître, « un lâche, un ennemi de ton honneur et de ton roi. » Ses gardes avoient déjà levé le bras, et alloient frapper. Le jeune Cieutat leur fit signe. On ouvrit la porte : il sortit avec trois ou quatre hommes ; feignit de parlementer; et, mettant tout-à-coup l'épée à la main , il fondit avec tant d'impétuosité sur ceux qui tenoient l'épéenue sur son père, et il fut si soudainement secondé par plusieurs soldats de sa garnison, qu'il le délivra. 10. Dans le temps de la révolte du parlement d'Angleterre contre le roi Charles I, Fairfax, général de
�2l8
F I n É I, I T É.
l'armée parlementaire, ayant mis le siège devant Gloeester, place qui tenait pour le roi , se servit d'un cruel stratagème pour obliger le baron d'Arthur-Capel, qui en étoit gouverneur, à se rendre à discrétion. Capel avoit un fils unique, âgé de dix-sept ans, bien fait et plein d'esprit, qui étudioit à Londres. Fairfax le fit amener dans son camp. Il proposa ensuite une entrevue au gouverneur. Capel l'accepta, et se rendit au lieu dont on étoit convenu. Mais il fut bien étonné de voir son fils nu jusqu'à la ceinture, les mains liées derrière le dos , au milieu de quatre .soldats , deux qui avoient le poignard tiré contre lui, et deux qui lui tenoientle pistolet appuyé sur l'estomac. Pendant qu'il regardoit ce triste spectacle , il entendit un des officiers de Fairfax qui lui dit : « Préparez - vous à vous « rendre , ou à voir répandre le sang de votre fils. » Capel, pour toute réponse , cria à son fils avec fermeté. : « Mon fils, souvenez-vous de ce que vous devez « à Dieu et au roi ; » paroles qu'il répéta trois fois. Ensuite il rentra dans la place, et exhorta les officiers à périr plutôt que de capituler. Fairfax ne poussa pas plus loin la tragédie. Dès que Capel se fut retiré, il fit habiller son fils , et le renvoya à Londres. 16. En i5yo , le parti de la Ligue en Languedoc demanda des troupes au roi d'Espagne. Surlanouvelle de leur débarquement, du Barri de Saint-Aunez, gouverneur pour Henri-le- Grand à Leucate, en partit pour aller communiquer un projet au duc de Montmorenci, commandant dans celte province. Il fut pris en chemin par les ligueurs, qui marchèrent aussitôt avec les Espagnols vers Leucate , persuadés qu'ayant le gouverneur entre leurs mains , cette place ouvrirait incontinent ses portes , ou du moins ne tiendrait pas long-temps. Mais Constance de Cezelli, sa femme , après avoir assemblé la garnison et les habitans , et leur avoir représenté leurs devoirs et leur honneur, se mit si fièrement à leur tête , une pique à la main , qu'elle inspira du courage aux plus foibles. Les assiégeans furent repoussés par-tout où ils se présentèrent. Désespérés de leur honte, et du monde qu'ils avoient
�FIDEL I T É. 219 perdu , ils envoyèrent dire à cette vaillante femme , que si elle continuoit à se défendre, ils alloient faire pendre son mari. « J'ai des biens considérables , ré« pondit-elle les larmes aux yeux, je les ai offerts , « et je les offre encore pour sa rançon ; mais je ne « rachèterai point par une lâcheté une vie qu'il me « reprocheroit, et dont il auroit honte de jouir : je ne « le déshonorerai point par une trahison envers ma « patrie et mon-roi.» Les assiégeans, après avoir tenté une nouvelle attaque , qui ne leur réussit pas mieux que les autres, firent mourir du Barri, et levèrent le siège. La garnison voulut user de représailles sur le seigneur de Loupian, qui étoit du parti de la Ligue , et qui avoit été fait prisonnier. La généreuse Constance s'y opposa. Henri , qui savoit récompenser les belles actions , parce qu'il en faisoit lui-même , envoya à cette héroïne le brevet de gouvernante de Leucate , avec la survivance pour son fils. 17. En i477 5 Louis XI fit investir Saint-Omer ; mais cette place importante fut vaillamment défendue par Philippe , fils à'Antoine, grand bâtard de Bourgogne. Le monarque français , irrité de l'opiniâtre résistance de ce jeune guerrier, le fit menacer, s'il ne rendoit la ville, de faire égorger son père à ses yeux. Philippe , sans se laisser épouvanter , répondit qu'il connoissoit assez le roi pour ne pas appréhender qu'il se déshonorât par une lâcheté pareille. « J'aime ten« drement mon père , ajouta-t-il, mais je ferai mon « devoir, et je ne livrerai jamais une place qui m'a été « confiée. » On fut obligé de lever le siège; et le roi, loin de punir Antoine de la vertu de son fils, continua de le combler d'honneurs et de biens. 18. Oran,qui , depuis que le cardinal Ximénès en fit la conquête , fait partie de la domination d'Espagne , étoit assiégée , en 1706, par les Maures. Philippe V, malgré la situation presque désespérée de ses affaires, ordonna au comte de. Santa-Crux d'y conduire des secours. Mais ce lâche officier, au lieu de prendre la route d'Afrique, alla livrer ses galères et ses troupes à la flotte anglaise ; ce qui fut cause que ce port
�22d F- o r. tomba entre les mains des infidelles. Un archidiacre de Cordoue , frère dn perfide , instruit de cette action , courut aussitôt à la paroisse chercher les registres des baptêmes, et, arrachant la feuille où le nom du comte étoit inscrit, il dit, avec une fureur dont l'honneur étoit le principe : « Qu'il ne reste « parmi les hommes nul souvenir d'un homme aussi « méprisable ! » 19. Louis XIII, ayant pris Nancy, envoya chercher le célèbre Jacques Callot, et lui ordonna de lever le plan du siège de cette ville. Ce graveur répondit qu'ayant l'honneur d'être Lorrain , il se couperoit plutôt le poing, que de travailler contre son prince. Quelques courtisans représentèrent qu'il falloit punir cette hardiesse. Le monarque se contenta de leur dire : « Le duc de Lorraine est bien heureux d'avoir « des sujets si fidelles. »
FOI.
. RENAU , de l'académie des sciences , avoit passé une longue vie à la guerre, dans les cours, dans le tumulte du monde, et cependant sa mort frit celle d'un religieux de la Trappe. Persuadé de la religion par sa philosophie, et incapable, par son caractère , d'être foiblement persuadé , il regardoit son corps comme un voile qui lui cachoit la vérité éternelle ; et il avoit une impatience de philosophe et de chrétien, que ce voile importun lui fût ôté. «Quelle différence, « disoit-il, d'un moment au moment suivant ! Je vais « passer tout-à-coup des plus profondes ténèbres à « une lumière parfaite. » 2. S. Martin , averti, de la part de Dieu , d'aller travailler à la conversion de ses parens qui étaient encore païens , tomba entre les mains des voleurs. Un de ces brigands levoit le bras pour lui fendre la tête, lorsqu'un autre l'arrêta, et demanda au saint s'il n'avoit point eu peur. « Un chrétien n'a jamais peur,
�FOI.
2,21
« répondit cet. homme apostolique : la foi lui sert de « bouclier; le Tout-Puissant le protège et l'environne : « que peut-il redouter ? Ah ! mes amis , ce qui me « touche , c'est la profession vile et dangereuse que » vous exercez. » Alors il leur parla de Jésus-Christ avec tant d'onction , qu'il les convertit. Etant évêque, il abattit un grand nombre de simulacres et d'arbres que les païens honoroient comme des divinités. Souvent son zèie ardent exposoit ses jours; mais les périls ne pouvoientle ralentir. Un jour, après avoir renversé un temple fameux, il voulut couper un grand pin qui étoit proche; mais les païens n'y consentirent qu'à condition qu'il se tiendroit du côte que l'arbre pencheroit pendant qu'ils le couperoient. Martinse laissa donc lier de cecôté-là.Unegrandefoule de monde accourut au spectacle, pour être témoin de sa mort; et l'arbre, à demi-coupé, commençoit à tomber sur lui, lorsque, par le seul signe de la croix, il fut repoussé comme par un coup de vent, tomba de l'autre côté, et pensa écraser ceux qui se croyoient. le plus en sûreté. Aussitôt il s'éleva un grand cri ; et les idolâtres étonnés, ravis d'admiration, embrassèrent à l'envi la foi de Jésus-Christ. 3. S. Grégoire, qu'on nomme Thaumaturge, à cause des grands miracles que Dieu a opérés par son ministère , sacré évêque de Néocésarée , demanda au Seigneur deluiaccorder une connoissance parfai te des mystères de la sainte religion. Il fut exaucé ; et, fortifié de cette connoissance sublime, il part pour sa ville épiscopale, dont il étoit éloigné. Surpris par la nuit, il se retire dans un temple d'idoles, d'où, par ses prières, il chasse les démons qui y rendoient auparavant leurs oracles. Le sacrificateur, n'ayant pu les obliger à revenir par ses cérémonies superstitieuses, menace le saint de le faire punir par les magistrats. Grégoire, sans s'émouvoir, lui répond qu'avec le secours du Dieu qu'il adore, il peut chasser les démonsd'où il lui plaît, etles faire entrer où il veut. Le sacrificateur, touché, le prie de lui faire oonnoître ce Dieu qui a tant de pouvoir sur les autres. Mais, choqué de ce qu'il lui disait de l'iricar-
�222
FRANCHIS ï!.'
nation du fds de Dieu, il lui promet de croire ce mystère, s'il peut, par son commandement, faire changer de place une pierre d'une grosseur extraordinaire qu'il lui montre, et la faire passer dans un endroit qu'il lui marque. La pierre obéit aussitôt au saint, comme si elle eûtété animée. Alors le païen, sans plus délibérer, quitte sa femme , sa maison, son bien et son sacerdoce, pour suivre Grégoire et devenir son disciple.
FRANCHISE.
Î. N pur , Louis XIV jouant au trictrac, il y eut un coup douteux. On disputait : les courtisans demeuroient dans le silence. Lecomte de Grammont arrive. « Jugez-nous, lui dit le roi. — Sire, c'est vous qui avez « perdu, répondit le comte. —Eh ! comment pouvez« vous me donner le tort, avant de savoir ce dont il «s'agit? — Eh! sire , ne voyez-vous pas que, pour « peu que la chose eût été douteuse , tous ces mes« sieurs vous auraient donné gain de cause ? » 2. Denis le tyran avait la manie de faire des vers, et, comme tous les mauvais poètes, la fureur de les réciter. Ses courtisans entretenoient sa folie poétique, par les louanges excessives dont ils l'accabloient. Le seul Philoxène, poète habile et grand musicien, osa lui dire son sentiment, et lui avouer qu'il trouvoit ses vers mauvais. Denis, irrité de cette hardiesse, le fit conduire auxLatomies, fameuse prison de Syracuse , creusée dans le roc. Quelques jours après, s'imaginant que Philoxène, instruit par sa disgrâce, seroitd'un goûtmoinsdifficile, il le fit venir, et après lui avoir fait plusieurs caresses , l'invita à se mettre à table avec lui. Sur la fin du repas , Denis commença à lire un de ses ouvrages favoris, sûr du suffrage de son convive, dont il ambitionnoitles applaudissemens. Mais Philoxène, se levant tranquillement au milieu de la lecture,prit le chemin de la porte. « Eh! où allez-vous donc,lui dit le tyran? — Aux La« tomies, répondit Philoxène. » Le prince fut charmé
�FRANCHISE. 223 de cette plaisanterie : il en rit beaucoup, et pardonna au critique , en faveur du bon mot. 3. Thémistocle sachantque dans laflotte grecque qui mouilloit à Salamine, on songeoit à éviter d'en venir aux mains avec celle de Xerxes, roi des Perses , fit donner avis , sous main, à ce monarque, que les alliés étant réunis dans le même lieu, il lui seroit facile de les vaincre et de les accabler tous ensemble ; au lieu que, s'ils se séparaient, comme ils étoient près de le faire, il manquerait pour toujours une si favorable occasion. Le roi le crut ; et, par son ordre , un grand nombre de vaisseaux environna , de nuit, Salamine, pour ôter aux Grecs tout moyen de sortir de ce poste. Personne ne s'aperçut que l'armée fût ainsi enveloppée. Aristide vint, la nuit même , d'Egine , où il commandait quelques troupes , et traversa, avec un très-grand danger, toute la flotte des ennemis. Quand il fut arrivé à la tente de Thémistocle , il le tira en particulier, et lui parla de la sorte : « Thémistocle ,si « nous sommes sages, nous renoncerons désormais à « cette vaine et puérile dissension qui nous a divisés « jusqu'ici, et, par une plus noble et plus salutaire « émulation , nous combattrons à l'envi à qui servira « mieux la patrie;vous, en commandant et en faisant « le devoir d'un bon et sage capitaine ; et moi , en « obéissant et en vous aidant de ma personne et de « mes conseils. » Il lui apprit ensuite que l'armée étoit enveloppée par les vaisseaux des Perses, et l'exhorta fort à ne point différer de donner le combat. Thémistocle,étonné jusqu'à l'exeèsd'une tellegrandeur d'anie et d'une si noble franchise , eut quelque honte de s'être laissé vaincre par son rival ; et , ne rougissant point d'en faire l'aveu , promit bien d'imiter sa générosité, et même, s'il pouvoit, de la surpasser par tout le reste de sa conduite. Puis, après lui avoir fait confidence de la ruse qu'il avait imaginée pour tromper le Barbare, il le pria d'aller trouver Eurybiade, généralissime de la flotte , et qui s'opposoit fortement à la bataille, pour lui représenter qu'il n'y avoit d'autre salut pour eux , que de combattre par mer à Salamine;
�224
FRANCHISÉ.
ce qu'il fit avec joie et avec succès ; car il avoit beaucoup de crédit sur l'esprit dé ce général. 4- Lélius, fameux jurisconsulte romain , s'étoit chargé de plaider une afFaire criminelle, dans laquelle étoient impliqués quelques publicains ou fermiers des revenus publics , et dont le sénat avoit renvoyé la connoissance aux consuls. Il la plaida avec son exactitude et son élégance ordinaires ; mais les consuls ne furent point persuadés , et ordonnèrent que l'affaire seroit plaidée une seconde fois. Nouveau plaidoyer de Lélius, encore plus travaillé et plus précis que le premier : nouveau renvoi du jugement à une troisième plaidoirie. Les fermiers reconduisirent Lélius à son logis , en lui marquant une vive reconnoissanee, etle priant de ne point se rebuter. Il leur répondit qu'il étoit plein de considération pour eux, et qu'il le leur avoit prouvé en se chargeant de cette affaire ; qu'il y avoit donné tout le soin et tout le travail dont il étoit capable 5 mais qu'ils feroient mieux de s'adresser a Galba, qui, étant orateur plus véhément, mettroit plus de feu , plus de force dans la manière dont il plaideroit leur cause , et emporteroit vraisemblablement le consentement des juges. Us prirent ce parti, et recoururentà Galba, qui, ayant à remplacer un homme d'un si grand mérite , refusa long-temps de s'en charger , et ne céda qu'avec peine à leurs vives sollicitations. Il employa le lendemain tout entier à étudier la cause , à s'en instruire à fond,àpréparer et à arranger ses preuves. Le troisième jour , qui étoit celui où elle devoit se plaider, il s'enferma dans un cabinet voûté qui étoit à l'écart, avec des esclaves lettrés qui lui servoient de secrétaires. Quand on lui eut annoncé que les consuls étoient sur leur tribunal, il sortit de son cabinet le visage et les yeux tout en feu, comme s'il venoit de prononcer son plaidoyer. L'auditoire étoit fort nombreux et dans une grande attente : Lélius luimême étoit présent. Galba commença à parler avec tant de vivacité et d'éloquence, que, presqu'à chaque partie de son plaidoyer, il étoit interrompu pas des applaudissemenS ; et il employa si à propos et la force des preuves
�225 preuves et la véhémence des passions , que les fermiers gagnèrent absolument leur cause, et furent renvoyés absous. On applaudit à l'éloquence victorieuse de Galba ; mais tout le monde combla d'éloses la noble franchise de Lélius.
FRUGALITÉ.
FRUGALITÉ. i. SOCRATE 'devoit recevoir chez lui des étrangers , et cependant il n'avoit apprêté qu'un repas très-frugal. Un de ses amis lui représentant qu'il falloit mieux traiter ses hôtes : « Si mes hôtes sont gens de bien, ré« pondit-il, il y en aura assez pour eux ; s'ils sont « méchans , il y en aura toujours trop. » 2. Jamais on ne vit le fameux Phocion rire, ni pleurer , ni se baigner dans les bains publics , ni avoir ses mains hors de son manteau quand il étoit habillé. Quand il alloit à la campagne , ou qu'il étoit à l'armée, il marchoit toujours nu - pieds et sans manteau , à moins qu'il ne fit un froid excessif et insupportable ; de sorte que les soldats disoient en riant : « Voilà Pho« don habillé ; c'est signe d'un grand hiver. » Quoiqu'il fut d'un naturel fort doux et très-humain, il avoit le visage si rude et si austère, que ceux qui ne le connoissoient point auroient craint de se trouver seuls avec lui. Un jour que l'orateur Charès parloit fortement contre ses sourcils terribles , les Athéniens s'étant mis à rire , Phocion prit la parole , et leur dit : « Ja« mais ces sourcils ne vous ont fait de mal ; mais les « bons mots de ces rieurs vous ont souvent coûté « bien des larmes. » 3. Le ministre Walpole vouloit détacher du parti du parlement un seigneur anglais, distingué par son mérite. Il va le trouver; il lui dit qu'il vient de la part du roi, pour l'assurer de sa protection, et lui marquer le déplaisir qu'a samajesté de n'avoir encore rien fait pour lui. Il lui offre en même temps un emploi considérable. « Milord , lui répb'qua le seigneur anglais, avant Tome II P
�226
FRUGALITÉ.
« de répondre à vos offres , permettez-moi de faire « apporter mon souper devant vous. » On lui sert au même instant, un hachis fait du reste d'un gigot dont il avoit dîné. Se tournant'alors vers M. Walpole: « Milord , ajouta-t-il, pensez-vous qu'un homme qui « se contente d'un pareil repas soit un homme que la « cour puisse aisément gagner ? Dites au roi ce que « vous avez vu : c'est la seule réponse que j'ai à lui « faire. »
4. Socrate, dont on vient de parler, parvint jusqu'à soumettre à l'empire de la raison et la soif et la faim : quand après s'être long-temps échauffé à la lutte , ou à la course, il se sentoit brûlant et dévoré de soif, il ne se permettoit de boire qu'après avoir répandu le premier vase d'eau, qu'il avoit lentement puisé dans la rivière.
5. G'étoit un usage , qui avoit force de loi parmi les Spartiates, de retourner le soir chez soi sans lumière : « Un homme sobre , disoient-ils, n'a besoin « d'aucun secours pour retrouver son chemin. »
Voyez ABSTINENCE , AUSTÉRITÉ , SOBRIÉTÉ , TEMPÉRANCE. /
�GALANTERIE:
GALANTERIE.
227
\\\\\i\\nmiUt\\\\vvv\\\\\t\\\\\\\\\»,\ii.vvvv\vv\\v\vx\vvviv\\\v
1. LA princesse de Cohti , fille de Louis XIV, parlant à l'ambassadeur de Maroc , et se récriant sur la pluralité des femmes, permise chez les Mahométans : « Nous n'aurions , madame, chacun qu'une femme, « lui dit cet ambassadeur, si elles avoient toutes vos « «races et vos vertus. » 2. Le grand Condê altaquoit Vézel , en 1672. Toutes les dames se réunirent pour le prier de leur permettre de sortir de la place , et de ne pas les exposer aux suites fâcheuses d'un siège long et meurtrier. Mais le prince, qui sentoit que , par cette sortie, l'es assiégés seraient moins sollicités à se rendre , répondit aux dames , « qu'il ne pouvoit consentir à une « demande qui le priverait de ce qu'il y a de plus « beau dans son triomphe. » 3. horsqa'Isabelle de Bavière, que le roi Charles VI avoit épousée, fit son entrée dans Paris , ce monarque se déguisa pour être témoin de !a pompe qui accompagnoit cette entrée. Il dit à Savoisi son chambellan : « Savoisi, je te prie que tu montes sur mon bon cheval, et monterai derrière toi , et nous nous habillerons tellement qu'on ne nous connoisse point , et allons voir l'entrée de ma femme. Ils allèrent donc parla ville en divers lieux, se avancèrent pour venir au Chàtelet, à l'heure que la reine passoit, où il y avoit moult de peuple et grand'presse , et il y avoit foison de sergens à grosse boulayes, lesquels , pour défendre la presse , frappoient de leurs boulayes bien et fort. Et s'efforçoient toujours d'approcher le roi et Savoisi ; et les sergens , qui ne connoissoient mie le roi ne Savoisi, frappoient de leurs boulayes dessus , et en eut le roi plusieurs horions sur les épaules bien assis ; et au soir, en la présence des dames et, des demoiselles, fui; la chose récitée , et on commença à en farcer , et le voi même se fareoit des horions qu'il avoit reçus. » P 2
�228 GALANTERIE. Le lendemain de cette entrée , la ville de Paris fit, selon l'usage , son présent au roi et à la reine. Les députés s'étant mis à genoux , dirent : « Très-chier « et aimable sire , vos bourgeois de Paris vous pré« sentent ces joyaux. » C'étoient des vases d'or bien travaillés. « Eh ! grand merci ;" bonnes gens , répon« dit le roi , ils sont biaux et riches. » 4- Un particulier ayant été admis à voir trois jeunes princesses dans une cour étrangère, les fixa alternativement. L'une d'elles s'en étant aperçue, lui demanda à laquelle il donneroit la préférence ? « Je supplie vos « altesses . répondit l'étranger , de me permettre de « garder le silence sur un chapitre aussi délicat ; je « sais ce qu'il en a coûté au berger Paris pour avoir « prononcé sur le mérite de trois divinités. » 5. Dans une compagnie où se trouvoit Boileau , une demoiselle fut priée de danser, de chanter, et de jouer du clavecin. On vouloit faire briller ses talens , qui étoient des plus médiocres : chacun néanmoins s'empressa de lui faire des complimens ; ils étoient dictés par la politesse. Boileau , d'un ton malignement galant , ajouta : « On vous a tout appris, mademoiselle, « hormis à plaire ; c'est pourtant ce que vous savez « le mieux. » 6. M. de Fontenelle étant dans le jardin d'une maison où il avoit dîné, quelqu'un vint montrer à la compagnie un petit ouvrage d'ivoire, d'un travail si délicat qu'on n'osoit le toucher, de peur de le briser. Chacun Padmiroit. « Pour moi, dit M. de Fontenelle, je n'aime « point ce qu'il faut tant respecter. » Madame la marquise de Flamarens survint, tandis qu'il parloit ; elle l'avoit entendu : il se retourne , l'aperçoit, et ajoute : « Je ne dis pas cela pour vous , madame. » 7. On s'amusoit , chez madame la duchesse du Maine, à trouver des différences ingénieuses entre un objet et un autre. Le cardinal de Polignac étoit présent : « Quelle différence , lui dit la duchesse , y « a-t-il de moi à une montre? — Madame, lui répon« dit-il, une montre marque les heures 5 auprès de « vous on les oublie. »
�GAIETÉ.
22g
8. La reine Elisabeth, après avoir remarqué toutes les galanteries que Villa-Mediana faisoit dans les tournois , lui dit un jour qu'elle vouloit absolument connoître la dame qui en étoit l'objet. Médiana s'en défendit quelque temps ; mais enfin , cédant à sa curiosité , il promit de lui en envoyer le portrait. Le lendemain , il lui fit donner un paquet : la reine n'y trouva qu'un petit miroir, dont la glace lui offroit ses propres traits. Voyez GOMPLIMENS, POLITESSE , SAVOIR-VIVRE.
GAIETÉ. i. LE poids des affaires et les pénibles soins du gouvernement n'altérèrentpointlagaieté à'Auguste.On\\\i reprocha même de la porter trop loin, et sur-tout d'aimer trop le jeu ; témoin cette épigramme maligne qu'on fit à ce sujet, et dont voici le sens : «Après que, « deux fois vaincu sur mer, Octavien a perdu sa flotte, « afin de ne pas toujours perdre , et d'être enfin victo« rieux, il joue continuellement aux dés. » Cependant la vérité est que le jeu ne fut jamais pour lui qu'un amusement, dans lequel sa bonne humeur se manifestait avec des manières nobles et généreuses ; c'est ce qu'on voitdans le fragment d'une de seslettres écrites à Tibère: morceau précieux , qui nous fait connoître l'aimable simplicité du maître de Rome. «Moucher Tibère, nous « avons passé assez agréablement les fêtes de Minerve ; « car nous avons joué tous les jours , et le jeu a été « fort animé. Votre frère a jeté les hauts cris : enfin « de compte , il n'a cependant pas beaucoup perdu ; « car il a peu à peu raccommodé ses aff aires qui étoient « fort délabrées. Pour moi, j'ai perdu vingt mille « sesterces; mais c'est parce que j'aiétélibéralal'excès, « selon ma coutume ; car si je me fusse fait payer exac« tement, et que j'eusse gardé pour mon profit ce que « j'ai donné a chacun, j'aurois gagné jusqu'à cinquante « mille sesterces : mais je ne m'en repens pas ; car la « générosité fait placer les mortels au rang des dieux. » P 3
�200
GENEROSITE.
.
2. Le docteur llough , mort évêque de Worcesler, réunissoit toutes les vertus d'un citoyen et d'un ecelésiastique : une douce gaieté faisoit le fond de son caractère. Un jeune homme , dont la famille étoit trèsconnue de l'évêque, passant un jour à Worcester, alla lui présenter ses respects. Il arriva à l'heure du dîner; 3a salle étoit remplie de convives : il fut reçu avec beaucoup de politesse et d'amitié. Le laquais , qui lui avança une chaise-, lit tomber un baromètre curieux, qui avoit coûté vingt guinées , et qui fut brisé en mille pièces. Le jeune homme , affligé de l'accident dont il avoit été la cause innocente, cherchoit a excuser le domestique. Le prélat l'interrompit. « N'en parlons « plus , dit-il en souriant : le temps a été très-sec « jusqu'à présent, j'espère qu'enfin nous aurons de la « pluie ; car je n'ai jamais vu le baromètre si bas. » Le prélat, étoit fort attaché à ce meuble : il avoit alors quatre-vingts ans ; il conserva sa gaieté et sa douceur dans un âge où les infirmités changent ordinairement le caractère , et donnent de l'humeur aux vieillards. Voyez ENJOUEMENT , HUMEUR (boruie) , JOIE, Ris.
G É N É R O S I T É.
J. SYT.LA. ayant pris d'assaut Préneste, appelée maintenant Palestrine, ordonna qu'on passât au fil de l'épée tous les citoyens. Il voulut cependant faire grâce à son hôte ; mais cet homme généreux lui répondit : « Je ne veux point devoir la vie au bourreau de mes "concitoyens, au destructeur de nia patrie. » En achevant ces mots, il se mêla parmi ses compatriotes, et fut égorgé avec eux. 2. Les Athéniens avoienl déclaré la guerre à Syracuse ; et Nicias, l'un de leurs généraux , assiégeoit depuis long-temps cette cité fameuse. Elle étoit réduite à l'extrémité , lorsque Gylippe , capitaine lacédémon eu , vint à son secours. A l'arrivée de ce guerrier, tout changea de face, hlicias, et Déniosllihie qu'on lui
�25l avoit donné pour collègue , épuisés par de longues fatigues, par des combats sans nombre, perdirent insensiblement leur supériorité'; et bientôt ils furent forcés de songer à la retraite. Cette dernière ressource étoit impraticable; ils la tentèrent cependant : leur audace fut malheureuse ; après un combat sanglant, on les arrêta prisonniers avecles trist.es débris de leurs troupes. Jamais joie ne fut pareille à celle qui pénétra les Syracusains après leur victoire. Us décorèrent des armes captives les plus beaux et les plus grands arbres qui se trouvoient sur les bords du fleuve Àsinare , théâtre de leur triomphe : ils se couronnèrent de chapeaux de fleurs , ornèrent avec magnificence leurs chevaux ; et, ayant coupé le crin,de ceux des ennemis , ils entrèrent dans leur patrie avec toute l'insolence qu'inspire un succès inespéré. Le lendemain on convoqua l'assemblée du peuple pour délibérer sur ce qu'il falloit faire des prisonniers. Diodes, l'un des citoyens les plus accrédités , proposa cet. avis : Que tous les Athéniens de condition libre , et les Cilieiens qui avoient embrassé leur parti , seroient mis en prison dans les carrières , où seulement on leur donnerait, par jour, deux mesures de farine et d'eau ; que les esclaves , et tous les alliés , seroient vendus publiquement ; que les deux généraux ennemis , après avoir été battus de verges , seroient mis à mort. Ce dernier article-révolta singulièrement tout ce qu'il y avoit de gens sages et modérés dans S}Tacuse. Hermocrate , qui avoit une grande réputation de probité et de justice , voulut faire des remontrances au peuple : il ne fut point écouté, et les cris tumultueux qu'on jeta de toutes parts , ne lui permirent pas de continuer son discours. Alors un vieillard , nommé Nicolaus, respectable par son âge et par sa gravité , qui , dans cette guerre avoit perdu deux enfans , seuls héritiers de son nom et de ses biens, se fît conduire par ses domestiques sur la tribune auxharangues. Dès qu'il y paru t, on fit un profond silence ; et ce généreux personnage s'exprima de la sorte : « Vous voyez , citoyens, un père infortuné , qui, P 4
GÉNÉROSITÉ.
�322
GÉNÉROSITÉ.
« plus qu'aucun autre Syracusain, a senti les funestes « effets de la guerre présente, par la mort de deux fils « qui faisoient, hélas ! toute la consolation , toute la « ressource de ma vieillesse. J'admire, il est vrai, leur « courage, et sur-tout le bonheur qu'ils ont eu de sa« crifièr au salut de la république une vie quelaloicom« mune de la nature leur auroit tôt ou tard enlevée ; « mais puis-je être insensible à la plaie cruelle que leur « mort a faite à mon cœur ? Puis-je ne point haïr et dé« tester les A théniens, au teurs de cette malheureuse « guerre, comme les homicides, comme les meurtriers « de mes enfans ? Cependant, je ne puis le dissimuler, « je suis moins sensible à ma douleur, qu'à l'honneur « de ma patrie ; et je la vois prête à se déshonorer « pour toujours par le cruel avis qu'on vous propose. « Les Athéniens, je l'avoue, méritent lesplusgrands « supplices, les plus rigoureux traitemens , pour l'in« juste guerre qu'ils nous ont déclarée ; mais les dieux, « justes vengeurs du crime, ne les ont-ilspas assez punis? « ne nous ont-ils pas assez vengés ? Quand leurs chefs « ont mis bas les armes , et se sont rendus à nous , ça « été, vous en conviendrez , dans l'espérance de con« server leur vie : et pouvons-nous la leur arracher, « sans mériter le juste re proche d'avoir violé le droitdes « gens, d'avoir déshonoré notre victoirepar une cruauté « barbare ? Quoi ! citoyens ! vous souffrirez que votre « gloire soit, ainsi flétrie dans tout l'univers, et qu'on « dise qu'un peuple, qui le premier a érigé un temple « dans sa ville à la miséricorde, n'en a point trouvé dans « la vôtre ? Sont-ce donc les victoires , sont-ce les « triomphes qui rendent à jamais illustre une ville ; et '< non pas la clémence pour des ennemis vaincus , la « modération dans la plu s grande prospérité, la crainte « d'irriter les dieux par un orgueil fier et insolent ? « Vous n'avez point, sans doute , oublié que ce « même Nicias , sur le sort duquel vous êtes près de « prononcer , est celui qui plaida votre cause dans « l'assemblée des Athéniens, et qui employa tout son « crédit et toute son éloquence pour les détourner de « vous faire la guerre. Une sentence de mort ,
�GÉNÉROSITÉ. 233 prononcée contre ce digne chef," est-elle donc une juste récompense du zèle qu'il a témoigné pour vos intérêts ? Pour moi, la mort me sera moins triste que la vue d'une telle injustice commise par ma patrie et par mes concitoyens. » Le peuple d'abord fut touché de ce discours magnanime, d'autant plus que , voyant paraître ce vénéraLie vieillard sur la tribune, il s'étoit attendu qu'il alloit demander vengeance contre les auteurs de tous ses maux, et non pas implorer sa clémence en leur faveur. Mais les ennemis d'Athènes, ayant exagéré avec force les cruautés inouies de cette république , l'acharnement de ses chefs contre Syracuse , les maux qu'ils lui auraient fait souffrir, s'ils avoient été vainqueurs ; représentant aussi la douleur, les gémissemens d'une infinité de Syracusains, qui pleuraient la mort de leurs enfans et de leurs proches, dont les mânes ne pouvoient être appaisée que par le sang de leurs meurtriers , le peuple rentra dans ses premiers sentimens , et suivit en tout l'avis de Dioclès. Ainsi, Nicias etDémosthène furent mis à mort, et tous les autres Athéniens ensevelis dans les carrières , où ils souffrirent des maux inexprimables , et le comble de la misère humaine. 3. En 1755, le prince Charles-Edouard, fils aîné du prétendant au trône d'Angleterre, ayant perdu dans ce royaume une bataille décisive , fut poursuivi par les troupes du roi. Il erra long-temps seul, et toujours au moment d'être la proie de ceux qui vouloient gagner le prix mis à sa tête. Ayant un jour fait dix lieues à pied, et se trouvant épuisé de faim et de fatigue , il entre dans la maison d'un gentilhomme qu'il sait bien n'être pas dans ses intérêts. Ce gentilhomme néanmoins, n'écoutant que sa générosité, lui donne tous les secours que sa situation permet, et garde un secret inviolable. Quelque temps après , il est accusé d'avoir donné un asile dans sa maison à Edouard , et est cité devant les juges. Il se présente à eux avec la fermeté qu'inspire la vertu, et leur dit : « Souffrez qu'avant de subir l'ih« terrogatoire, je vous demande lequel d'entre vous , « si le fils du prétendant se fut réfugié dans samaison,
'{ « « « «
�234 G K M; j n s i T É. « eûtété assezvilet assez lâche pour le livrer?» Acelle question le tribunal se lève , et renvoie l'accusé. 4- Pompeeavoitrésolud'extermincr tons les habitais de Messine , pour s'être rangés du parti de Marins. Sthénius , chef de la ville, l'alla trouver , et lui dit: « Pourquoi, seigneur , faire périr tant d'innocens pour « un seul coupable ? C'est moi qui ai persuadé , et « même forcé les Mcssinois à" prendre ce parti; et « c'est, moi seul qu'il faut punir. » Pompée admira la générosité de cet homme ; et, en sa faveur, fit grâce à toute la ville. 5. Lepenple de Syracuse s'étantrévolté contre Thrasibule, qui vouloit se faire roi de leur ville , força le palais qu'il occupoit, et. mit à mort toute sa famille, à la réserve d'une seule fille appelée Harmonie. Sa nourrice, pour la dérober à la fureur des mutins , leur présenta, au lieu de la princesse , une fille de son âge et de sa taille. Cette fausse Harmonie recevoit courageusement lecoup de la mortsans se découvxùr,lorsque la véritable fille de Thrasibule, touchée d'une si grande générosité, cria aux séditieux de l'épargner, déclarant qu'elle seule étoitlaprincesse qu'ils vouloientimmoler; mais il étoit trop tard : cette généreuse fille étoit déjà morte; et l'infortunée Harmonie n'eut que la consolation de descendre avec elle au tombeau. 6. Alexandre, ayant parmi les prisonniers de guerre | un Indien,qui tiroit si biende l'arc, qu'il faisoit passer une flèche à travers un anneau, voulut qu'il lui fît voir son adresse : l'Indien le refusant, il ordonna qu'on le fit mourir. Mais comme il sut qu'en allant au supplice i avoit dit qu'il n'avoit refusé d'obéir au roi que dans 1 crainte de se déshonorer, parce qu'il ne s'étoit pas exercé depuis long-temps, il applaudit à l'ambition de cet homme , qui avoit mieux aimé risquer sa vie que sa réputation ; il lui fit des présens et le renvoya. 7. Les Chamaves , peuple des Gaules, vaincus par Julien, vinrent se jeterà ses pieds,le conjurant de leur accorder la paix. Le César leurdemanda des otages.Ils lui offrirent les prisonniers qu'il avoit entre les mains ; sur quoi ce prince ayant répliqué qu'on ne lui offroit
�235 en qui ne fût à lui par le droit de la victoire , les arbores le supplièrent humblement de leur manquer nx qu'il souhaitoit. « Je veux le fils du roi, réponditil. » A ces mots , le roi et toute sa suite, prosternés ntre terre /poussèrent des gémissemens lamentables, isant qu'onleur demandoit l'impossible, et qu'il n'étoit as en leur pouvoir de ressusciter les morts. L'excès de ur douleur fit succéder un profond silence à leurs is : et le roi haussant une voix entrecoupée de sanglots : Plût à Dieu, César, dit-il, que j'eusse encore mon fils pour en faire votre esclave ! Une pareille servitude seroit préférable à ma couronne. Mais, hélas ! il s 'est exposé aux dangers de laguerre;et, sans doute , parce qu'on ne l'a pas connu , il est tombé sous vos armes victorieuses. Il n'estplus,ce jeune prince que vous estimez assez pour en faire le lien de la paix; ët c'est cette estime même qui met le comble à ma douleur, en me faisant sentir la perte que j'ai faite. » Ce isoours aitendrit,Julien : il ne put, retenir ses larmes, lors, comme dans les pièces de théâtre , où lorsque 'intrigue est la plus mêlée, il survient un personnage mprévu qui éclaircit tout et procure le dénouement, 1 produisit au fort de la consternation et du désespoir es Chamaves , le fils de leur roi , qu'il faisoit traiter elon sa condition. Il lui ordonna de parler à son père, tant très-attentif lui-même à ne rien perdre d'un specacle si intéressant. Les Barbares, accablés de douleur t de surprise, persuadés de bonne foi de la mort du eune prince , le prenoient pour un fantôme, et n'en ouloient pas croire leurs yeux. Julien , les voyant muets et immobiles , leur dit avec gravité : « N'en « doutez point, c'est celui-là même que vous pleurez. « Vous l'avez perdu par votre faute : Dieu et les Ro? mains vous le font retrouver. Quoiqu'il soit mon « prisonnier , je le recois pour otage , et prétends le « rendre heureux. Pour vous , si vous me manquez de « parole, attendez-vous aux derniers malheurs : je ne « le punirai point de votre infidélité ; il n'appartient ". qu'aux hêtesféroecs de se jeter surle premierqu'elles « rencontrent _, sans qu'il leur ait fait de mal; mais souGÉNÉROSITÉ.
�236 CÉNÉROSITÉ. « venez-vous que les agresseurs injustes sont écrases « tôt«ou tai'd , et que vous aurez pour ennemis les « Romains et moi. » 6. M. de Molé , premier président, alla pendant les troubles de Paris,au Palais-Royal demander à la reine régente la liberté de M. Broussel, conseiller au parlement, que cette princesse avoit fait arrêter. Le peuple, qui aimoit M. Broussel, avoit pris les armes pour le délivrer. M. de Molé représenta à la reine qu'il falloit accorder cette grâce à un peuple animé , capable de tout entreprendre si on le refusoit. La reine fut ferme; elle ne voulut point relâcher le prisonnier.M., de Molê : en revenant, fut arrêté à la croix du Trahoir,par une troupe deséditieux,quiluidemandèrentsiM. Broussel avoit sa liberté. Le magistrat ayant répondu que la reine n'avoit point voulu le rendre, un des plus mutins pritikfoZe par un petit toupet de barbe qu'il conservoit toujours au menton, et lui dit insolemment : « Re« tournez donc au Palais-Royal, et ne revenez point « que M. Broussel n'ait sa liberté. » M. de Molékï obligé de rebrousser chemin : il parla avec tant de force à la reine , qu'enfin il la persuada ; et le conseiller fut relâché. Quand l'orage fut passé , un particulier demanda audience à M. de Molé , et lui révéla que le mutin qui l'avoit traité avec tant d'insolence, étoit un apothicaire son voisin. M. deMolé l'envoya quérir avec main-forte. Le pauvre pharmacopole fut. fort embarrassé quand il se vil en présence du premier président. Ce magistrat lui demanda s'il savoit. pourquoi on l'avoit fait venir ? « Ah ! monseigneur , répondit-il, je « vois bien que vous êtes informé de tout, et j'implore « votre miséricorde ! » M, de Molé le fit relever , en lui disant : « Je ne vous ai pas envoyé quérir pour « cela , mais pour vous avertir que vous avez un nié« chant voisin. Ainsi, défiez-vous-en , il pourrait vous « perdre.Adieu.» Ce fut ainsi que se vengea ce grand bomme. 9. Un gentilhomme normand, appelé Montade, ayant essuyé le coup de pistolet d'un autre gentilhomme , tira le sien en l'air, et puis dit à son adver-
�GÉNÉROSITÉ.
ire : « Monsieur, voyons maintenant si vous réussirez mieux à Fépée. — C'est trop, monsieur , répondit l'autre ; je vous rends volontiers la mienne , que je ne puis tirer contre vous , sans être aussi ingrat que vous êtes généreux. » Aussitôt ils s'emassèrent, et furent depuis amis inséparables. 10. Le roi Henri II ayant offert une place d'avocatnéral au célèbre Henri de Mesme, l'un des plus ustres magistrats de son siècle, ce grand homme prit liberté de dire au monarque que cette place n'étoit int vacante. « Elle l'est, répliqua le roi, parce que e suis mécontent de celui qui la remplit. — Par!onnez-moi,sire, » réponditHenride Mesme, après oir fait modestement l'apologie de l'accusé : « j'ainerois mieux grater la terre avec mes ongles , que "entrer dans cette charge par une telle porte. » Le eut égard à sa remontrance , et laissa l'avocat-géral dans sa place. Celui-ci étant venu le lendemain urremercier son bienfaiteur, àpeine Henri de Mesme t-il souffrir qu'on songeât à lui faire des remercî11s pour une action qui étoit, disoit-il, d'un devoir ispensable , et auquel il n'auroit pu manquer sans déshonorer lui-même pour toujours. 11. Unprésident à mortier songeoit à se démettre de charge, dans l'espérance de la faire tomber à son fils. uisXIV, qui avoit promis à M. le Pelletier, alors itrôleur-général, de lui donner la première qui ndroit à vaquer, lui offrit celle-ci. M. le Pelletier, es avoir fait ses très-humbles remercîmens , ajouta le président qui se démettoit avoit un fils , et que lajesté avoit toujours été contenté de sa famille, n n'a pas coutume de me parler ainsi, » reprit le nargue étonné d'une conduite si généreuse ; « ce era donc pour la première occasion. » Elle ne tarda long-temps ; et bientôt après, ce noble désintésement fut récompensé comme il le méritoit. 2. Le marquis de Brézé, amiral de France, reçut [îsite d'une dame de province , accompagnée de 'Ue , qui étoit d'une extrême beauté. La mère imença par dire son nom, qui étoit celui d'une des
�238 GÉNÉROSITÉ. meilleures familles d'Anjou , et lui témoigna qu'on lui avoit suscité un mauvais procès, où il s'agissoitde tout son bien ; elle ajouta que, pour se défendre, elle avoit emprunté de tous ses amis, et qu'un chicaneur de profession s'obstinoit à la réduire à l'indigence, L'amiral la pria d'agréer trois cent louis d'or, qu'elle accepta pour mettre son procès en état; il devint luimême son solliciteur , et fit si bien qu'elle gagna son procès avec dépens. La dame allant remercier le jeune amiral , lui fit entendre combien sa reconnoissance étoit vive ; qu'elle étoit hors d'état de lui en prouver toute sa grandeur, et, qu'elle n'avoit que sa fille, qui étoit présente , qui fut capable de payer pour elle, Surpris d'une offre si peu attendue , le marquis lia en présence de la mère , la démoiselle dans un coi de la chambre , lui remontra que son honneur cl sai salut étoient en danger auprès de sa mère , lui conseilla de ne point se donner à d'autre qu'à Dieu;el, comme elle en avoit déjà la pensée , il prit dans sol carrosse la mère et la fille , et les conduisit, dans m couvent, où il laissa la demoiselle. Quand il eut pave une année de sa pension , un jour ou deux avants profession , il fit toucher huit cents pis tôles à la sa périetire du monastère , et en fit passer un acte a nom de la fille , sans que le sien y parût. i3. Luchino Vivaldo , l'un des plus considérable citoyens de Gènes, étoit épris depuis plusieurs annn pour une jeune personne extrêmement belle. EU étoit mariée, et quelques soins que lui eût rendusl passionné Vivaldo , quelques moyens qu'il eût mi 1 en usage pour l'engager à répondre à son amour, n'avoit pu réussir à la séduire. La résistance n'avji servi qu'à enflammer davantage ses désirs criminels lorsque d'affreux malheurs lui mirent sa mâîtreî entre les bras. Le mari de cette femme venoit dêl fait prisonnier , et les services que son époux rendt à l'État, étoient la seule ressource qui fàisoit stibsist sa famille. Gênes étoit alors dans une prodigieui disette , et la maîtresse de Vivaldo se vit en peij temps réduite à mourir de faim. Dans cette terr
�GÉNÉROSITÉ. 23g extrémité, elle alla se jeter aux pieds de son amant, lui représenta sa misère, et se livrant à sa discrétion, elle le conjura de sauver la vie à ses petits enfans , qui étoient sur le point de périr. Vivaldo étoit aussi généreux que sensible. Il releva la belle Génoise, la consola, et lui donna tous les secours possibles; mais il lui déclara en même temps qu'il étoit incapable d'abuser de son infortune. Il la renvoya chez elle ; et, gardant toutes sortes de ménagemens avec une femme que ses disgrâces lui rendoient infinement respectable, il ne voulut plus la voir, et chargea sa propre épouse de lui fournir toutes les choses dont elle pourroit avoir besoin. i4- Le célèbre Patru , avocat au parlement de Paris, étoit un des plus beaux esprits de son siècle ; mais ayant préféré ses livres et son cabinet aux occupations du barreau , il tomba dans l'indigence , et se vit réduit à la dure nécessité de vendre sa bibliothèque. Béspreaux l'apprend , il court chez Patru , lui offre près d'un tiers davantage de ce qu'il en vouloit avoir, et met dans le marché une condition qui surprend fort l'avocat ; c'est qu'il gardera ses livres comme auparavant , et qu'ils n'appartiendront à l'acquéreur qu'après sa mort. Ayant appris à Fontainebleau que 'on venoit de retrancher la pension que le roi donnoit au grand Corneille , il courut avec précipitation à nadame de Montespan , et lui dit que le roi , tout 'quitable qu'il étoit, ne pouvoit, sans quelque appaenced'injustice, donner pension à un homme comme ui, qui ne commencoit qu'à monter sur le Parnasse, t l'ôter à M. Corneille, qui depuis long-temps étoit rrivé au sommet ; qu'il la supplioit, pour la gloire e sa majesté, de lui faire plutôt retrancher la sienne, u'à un homme qui la méritoit incomparablement jeux que lui. Madame de Montespan trouva sa géérosite si grande et si peu commune, et sa manière 'agir si honnête , qu'elle lui promit de faire rétablir a pension de Corneille , et lui tint parole. 10. Fadel-Ben-Iahia, favori du calife Haroun-Alischild , étoit également magnifique et généreux,
�24-0
GÉNÉROSITÉ.
Un de ses amis les plus intimes lui demandant la cause de cette fierté, dont il accompagnoit touionrs sa magnificence , il lui repondit : «J'ai pris ces deux qualités d:' Amarach-Ben-Hamzah, qui les possédoit dans un haut degré. Je les admirai, je les imitai, et l'habitude a produit en moi l'effet d'une seconde nature. L'une des principales actions de ce grand homme, continuat-il, et qui m'a frappé davantage est celle-ci : Mon père Iahia ayant, dans le premier état de sa fortune, un gouvernement, le visir, qui ne l'aimoit pas, voulut qu'il envoyât au trésor royal les deniers de sa province, avant qu'ils fussent recueillis. Mon père ayant fait un effort, et cherché dans la bourse de tous ses amis, ne put jamais faire la somme demandée. Dans cette extrémité , où il s'agissoit de sa fortune, il songea qu'il n'y avoit qvc Amarach qui pût le secourir. Mais nous n'étions pas trop bien dans son esprit. La nécessité obligea mon père de m'envoyer lui représenter le besoin d'argent où il se trouvoit dans une occasion si pressante. Je me transportai donc chez Amarach, que je trouvai assis sur une estrade élevée , et appuyé sur quatre coussins. Je le salue profondément, sans qu'il ouvrît la bouche pour me dire un seul mot 5 et, bien loin de me faire aucune civilité , il tourna le visage vers le muraille , et à peine me regarda-t-il. Je lui fis cependant les complimens de mon père , et je lui exposai de sa part l'objet de mon message. Il me laissa debout fort long-temps sans réponse , et se contenta enfin de me dire : Je verrai. Après cette réponse laconique et désespérante, je me retirai plein de douleur; j n'osai pas même retourner aussitôt chez mon père , n'ayant qu'une fâcheuse nouvelle à lui porter. Toutefois , craignant de lui causer trop d'inquiétude par un plus long délai, je me déterminai à prendre le chemin du logis. Quelle fut ma surprise ! je trouvai une foule de mulets chargés à la porte , et j'appris avec le dernier étonnement qu'ils apportoientl'argent que j'avois demandé au généreux Amarach. » Quelque temps après,mon père ayant reçu l'argent delaprovince, le fit porter chez son bienfaiteur, et m'envoya
pour
�GÉNÉROSITÉ.
ûlp.
pour lui faire de sa part, les plus sincères remereîniens. Mais à peine eut-il su ce qui m'amenoit chez lui, que, d'un ton courroucé, il me dit : « Me prenez« vous pour le banquier de votre père ? Il ne me doit « rien : emportez sur l'heure cet argent hors de chez « moi , et Dieu vous conduise ! » 16. M. le JB** de C**, après avoir été attaché longtemps à la cour , fut obligé de vendre sa charge pour arranger ses affaires qui se trouvèrent, dans un mauvais état, quoiqu'il eût joui d'un très-gros revenu. Il fut obligé de se défaire d'un nombreux domestique , et il ne garda que son vaiet-cle-chambre G**, dont la fidélité et l'attachement lui étoient connus. Il se retira dans le fond d'une province , où le peu de bien qui lui restoit lui fut encore disputé. G** avoit été valetde-chambre d'un ministre , qui lui avoit laissé en mourant six cents livres de rente viagère. Il vendit la moitié de sa rente pour tirer son maître d'embarras ; mais cette somme fut bientôt consommée , et M. le B** ne trouva point d'autre ressource que de se retirer chez un neveu qui jouissoit d'un bénéfice qu'il tenoit, de son oncle. Cet ecclésiastique l'obligea bientôt , quoiqu'àgé de plus de quatre-vingts ans, de sortir de chez lui. Le généreux valet-de-chambre loua une chaumière pour loger son vénérable maître, où il le servit avec tout le respect qu'il avoit pour lui lorsqu'il étoit dans l'opulence. Ilneportoitque ses vieux habits, quoiqu'il en fournît, de neufs à M. le B**, et tous les deux n'avoient pour vivre que les trois cents livres qui m/oient de la pension du bienfaisant G**. Les pareil de cet homme rare ayant, appris son indigence , lui envoyèrent une douzaine de chemises neuves ; il les serra dans l'armoire de son maître, et n'en voulut point porter d'autres que celles que M. le B** ne pouvoit plus mettre. 17. Scipionl'Africain ayant, été accusé par ses enne-, mis, fut cité devant le tribunal des tribuns du peuple, qui cherchoient à le perdre. Mais une indisposition l'empêcha de comparaître. L. Scipion , son frère , se présenta pour lui , et demanda du temps, afin que Tome II. Q
�ibp.
GÉNÉROSITÉ.
l'illustre accusé pût préparer ses défenses. On rejeta sa requête; et le sauveur de Rome alloitêtre condamné par défaut, lorsque Tibérius Sempronius Gracchus, l'un des tribuns , ennemi particulier de Scipion , se leva, et dit : « Puisque L. Scipion apporte la maladie « de son frère pour excuse de son absence, cela doit « suffire. Jene souffiriraipas que l'on procède contre lui « avant son retour ; et alors même , s'il a recours à « moi , je le soutiendrai de mon autorité pour le dis« penser de répondre. Scipion, par la grandeur de ses « exploits, et par les honneurs où vous l'avez tant de « fois élevé, est parvenu, de l'aveu des hommes et des « dieux , à un si haut degré de gloire , qu'il est plus « honteux pour le peuple romain que pour lui, qu'on <cle voie au bas de la tribune aux harangues en butte « aux accusations et aux invectives d'une jeunesse « indiscrète. Quoi ! continua-t-il, en s'adressant aux « tribuns avec indignation ; quoi ! vous verrez sous YOS « pieds ce Scipion vainqueur de l'Afrique ? N'a-t-il donc « défait et mis en fuite en Espagne quatre des plus cé« lèbres généraux carthaginois, et leurs quatre armées, « n'a-t-il fait Syphax prisonnier, n'a-t-il vaincu An« nibal, n'a-t-il rendu Carthage tributaire de Rome, « n'a-t-il enfin forcé Antiochus, par une victoire dont « L. Scipion, son frère, consent de partager la gloire « avec lui, à se retirer au delà du mont Taurus, que « pour succomber à l'animosité des PétUius, et les voir « remporter sur lui un triomphe qui déshonoreroit « Rome ? Helas ! la vertu des grands hommes ne trou« vera-t-elle jamais ni dans son propre mérite, ni dans « les honneurs où vous l'élevez, un asile, ctcommeun « sanctuaire, où leur vieillesse, si elle ne reçoit pas les « honneurs et les hommages qui lui sont dûs, soit du « moins à couvert de l'outrage et de l'injustice ? » Ce discours fit impression sur la multitude ; les accusateurs , confondus par la générosité de Sempronius , se désistèrent de leurs poursuites, et respectèrent en silence le mérite d'un homme pour qui ses ennemis même avoient une vénération profonde.; 1.8. Emilie , aïeule de Scipion Emilien , constitua
�GÉNÉROSITÉ.
243
pour son héritier cet illustre Romain. Outre les diamans, les pierreries et les autres bijoux qui composoient la parure d'Emilie, cette dame avoit une grande quantité de vases d'or et d'argent, destinés pour les sacrifices 5 un train magnifique , des chars , dés équipages , Un nombre considérable d'esclaves de l'un et de l'autre sexe. Quand elle fut morte, Scipion abandonna tout ce riche appareil à sa mère Papiria, qui, répudiée depuis quelque temps par Paul-Emile, et n'ayant pas de quoi soutenir la splendeur de sa naissance, menoil; une vie obscure, et ne se montroit plus dans les assemblées ni dans les cérémonies publiques. Quand on l'y vit. reparoîlre avec cet éclat, une si magnifique libéralité fit beaucoup d'honneur à Scipion, dans une ville sur-tout où l'on ne se dépouilloit pas volontiers de son bien. Il ne se fit pas moins admirer dans un autre occasion. 11 étoit obligé, en conséquence de la succession qu'il venoit de recueillir, de payer, en trois termes différens; aux deux filles de Scipion, son grand-père adoptif, la moitié de leur dot, qui montoit à cinquante mille écus. A l'échéance du premier terme, Scipion fit remettre entre les mains du banquier la somme entière. Tibérius Gracchus et Scipion Nasica , qui avoient épousé ces deux soeurs , croyant que Scipion s'étoit trompé, allèrent le trouver, et lui représentèrent qtie les lois lui laissoient l'espace de trois ans pour fournir cette somme. « Je n'ignore pas la disposition des lois , « répondit-il : on en peut suivre la rigueur avec des « étrangers ; mais avec des amis , avec des proches , « on doit en agir avec plus de simplicité, plus de no« blesse. » Ce fut par le même esprit que ; deux ans après, Paul-Emile , son père , étant mort , il céda à son frère Fabius, moins riche que lui, la part qu'il a voit dans la succession de leur père , laquelle montoit à plus de soixante mille écus. Les présens que Scipion avoit faits à sa mère Papiria, lui revenoient de plein droit après sa mort; et ses sreurs, selon l'usage de cé temps , n'y pouvoient rien prétendre. Mais il auroit cru se déshonorer, et rétracter ses dons, s'il les avoit repris. H laissa donc à ses sœurs tout ce qu'il avoit donné à leur
�2/|-4
GÉNÉROSITÉ.
mère , et s'attira de nouveaux applaudissemens par cette nouvelle preuve qu'il donna de sa grandeur d'ame, et de sa tendre amitié pour sa famille. Ce qui relève surtout cette rare générosité , c'est qu'il étoit jeune encore, et qu'il exercoit cette vertu bienfaisante avec les manières les plus gracieuses et les plus polies. 19. Fabiu.s-Maxiinus, surnommé le Temporiseur, avoit fait avec Annibal un traité pour le rachat des prisonniers , par lequel il étoit convenu qu'on rendroit homme pour homme ; et que celui qui, après l'échange, se trouvcroit encore avoir des prisonniers, les rendrait tous pour cent vingt-cinq livres chacun. L'échange fait -, il se trouva qn'Anjiibal avoit encore deux cent quarante-sept Romains. Le sénat refusa d'envoyer leur rançon, et lit de grandes plaintes de Fabius , lui reprochant que, contre la dignité et la majesté de Rome, et au grand préjudice de la république , il rachetoit des hommes qui, ayant les armes à la main, avoient été assez lâches pour se laisser prendre par l'ennemi. Fabius , informé de tous ces emportemens du sénat, les souffrit sans se plaindre ; mais , se trouvant sans argent, et ne pouvant se résoudre ni à manquer de parole , ni à abandonner ses concitoyens , il envoya son fils Quinîus-Fabius à Rome, avec ordre de vendre ses terres, et de lui en apporter l'argent. Le jeune patricien exécuta promptement les ordres de son père, et revint à l'armée avec une somme considérable. Fabius envoya sur-le-champ au général carthaginois le prix dont il étoit convenu, et retira les prisonniers. La plupart offrirent de le rembourser dans la suite ; mais jamais ce généreux Romain ne voulut rien recevoir : pour toute î^econnoissance , il les pria de bien aimer et de mieux servir la patrie. 20. Les soldats de Scipion l'Africain lui amenèrent une jeune personne d'une beauté si rare, qu'elle attiroit sur elle les regards de tout le inonde. Le général romain voulut savoir à qui elle appartenoit, et quelle étoit sa naissance. Ayant appris, entre autres choses, qu'elle étoilsur le point d'être mariée à AUv.ciux, prince desCcltibériens, il le manda avec les parens delà jeune
�GÉNÉROSITÉ. 2/|.5 ivisonnière ; et comme 011 Mi dit qu'silluchis l'aimoit •Ai éperdument, ce seigneur espagnol ne parut pas plutôt en sa présence, qu'avant même de parler au père et à la mère, il le prit en particulier. Alors, pour calmer 1rs inquiétudes qu'il pouvoit avoir au sujet de la jeune Espagnole, il lui parla en ces termes : « Nous sommes « jeunes vous et. moi, ce qui fait que je puis m'expli« quer avec plus de liberté. Ceux des miens qui m'ont « amené votre épouse future, m'ont en même temps « assuré que vous l'aimiez avec une extrême tendresse ; « et sa beauté ne m'a laissé aucun lieu d'en douter. Là« dessus , faisant réflexion que si je songeois comme « vous à prendre un engagement, et que je ne fusse « pas uniquement occupé des affaires de ma patrie , jè « souhaitëroii qu'on favorisât..une passion si honnête « et si légitime : je me trouve heureux de pouvoir, dans « la conjoncture présente, vous rendre un pareil sé'r« vice. Celle que vous devez épouser a été parmi nous, « comme elle auroit été dans la maison de son père et « de sa mère. Je vous l'ai réservée pour vous en faire « un présent digne de vous et de moi. La seule rêcOiï« noissance que j'exige de vous pour ce don, c'est que « vous soyez ami du peuple romain. Si vous me jugez « homme de bien ; si j'ai paru tel aux peuples de cette « province, sachez qu'il y en a dans Rome beaucoup « qui valent mieux que moi 5 et qu'il n'est point de peuple « dans l'univers que vous deviez plus craindre d'avoir «pour ennemi, ni souhaiter davantage d'avoir pour « ami. » Allucius, pénétre de joie et de reconnoissance, baisoit les mains de Scipion, et prioit les dieux de le récompenser d'un si grand bienfait, puisque luimême il n'étoit pas en état d'en faire autant qu'il l'auroit souhaité, et, que le méritoit, son bienfaiteur. Scipion fit venir ensuite le père , la mère et les autres parens de la jeune princesse. Ils avoient apporté une grande somme d'argent pour la racheter. Mais , quand ils vinrent qu'il la leur rendoit sans rançon, ils. le conjurèrent,avec, de grandes instances, de recevoir d'eux cette somme comme un présent, et témoignèrent que, par cette complaisance et cette nouvelle grâce', il
Q3
�S.46
GÉNÉROSITÉ,
mettrait le comble àleur joiect à leur reconnoissanc;5. Scipion ne put résister à des prières si vives et si pressantes : il leur dit qu'il acceptoit ce don, et le fit mettre à ses pieds. Alors, s'adressant à Allucius : « J'ajoute, « dit-il , à la dot que vous devez recevoir de votre * beau-père, cette somme que je vous prie d'accepter .« comme un présent de noces. » Ce jeune prince , charmé de la libéralité et de la politesse de Scipion, alla publier dans so,n pays les louanges d'un si généreux vainqueur. Il s'écriait, dans les transports de sareconnoissance, qu'il étoit venu dans l'Espagne un jeune héros semblable aux dieux , qui se soumettait tout,. moins encore par la force de ses armes , que par les charmes de ses vertus et la grandeur de ses bienfaits. C'est pourquoi, ayant fait des levées dans tout le pays qui lui étoit soumis, il revint, quelques jours après, trouver Scipion avec un corps de quatorze cents cavaliers. Allucius, pour rendre plus durables les marques de sa reçonnoissance , fit graver dans la suite l'action que nous venons de rapporter, sur un bouclier d'argent dont il fit présent au général romain; présent infiniment estimable et plus glorieux que tous les triomphes. Ce bouclier, que Scipion emporta avec lui en retournant à Rome, périt au passage du Rhône avec une partie du bagage. Il étoit demeuré dans ce fleuve jusqu'à l'an i665, que quelques pêcheurs le trouvèrent ; etc'est aujourd'hui l'une de ces pièces précieuses qui embellissent le cabinet du roi. 21, M, Thomson, l'auteur du poè'me des Saisons, ne jouit pas tant de suite d'une fortune égale à son mérite et(à sa réputation. Dans le temps, même que ses ouvrages avoient la plus grande vogue, il étoit réduit aux extrémités les plus désagréables. Il avoit été force de faire beaucoup, de dettes : un de ses créanciers, immédiatement après la publication de son poè'me des Saisons, le fit arrêter dans, l'espérance d'être bientôt payé par l'imprimeur. M. Ouin, comédien, apprit le malheur de Thomson : il ne le connoissoit que par son poè'me ; et ne bornant pas à le plaindre , comme une infinité de gens riches et en état de le secourir, U $
�GÉNÉROSITÉ. 2.47' rendit chez le bailli, où Thomson avoit été conduit. Il obtint facilement la permission de le voir. «Monsieur, « lui dit-il, je ne crois pas avoir l'honneur d'être connu « de \ous , mais mon nom est Quin. » Le poète lui répondit que , quoiqu'il ne le connut pas personnellement, son nom et son mérite ne lui étoient pas étrangers. Quin le pria de lui permettre de souper avec lui, et de ne pas trouver mauvais qu'il, eût fait apprêter quelques plats. Le repas fut gai. Lorsque le dessert fut arrivé : « Parlons d'affaires à présent, lui dit Ouin ; « en voici le moment. Vous êtes mon créancier, M. « Thomson ;\e vous dois cent livres sterling, et je viens « vous les payer. » Thomson prit un air grave , et se plaignit de ce qu'on abusoit de son infortune pour venir l'insulter. «Queje nesois pas homme, reprit le.comé« dien, si c'est là mon intention ; voilà un billet de « banque qui vous prouvera ma sincérité. A l'égard de « la dette que j'acquitte, voici comment elle a été con« tractée. J'ai lu l'autre jour votre poè'me des Saisons ; « le plaisir qu'il m'a fait méritoit ma reconnoissance : « il m'est venu dans l'idée que, puisque j'avois quel« ques biens dans le monde, je devois faire mon testa« ment, et laisser de petits legs à ceux à qui j'avois des « obligations. En conséquence, j'ai légué cent livres « sterling à l'auteur du poè'me des Saisons. Ce matm« j'ai entendu dire que vous étiez dans cette maison; et . « j'ai imaginé que je pouvois aussi-bien me donner le « plaisir de vous payer mon legs pendant qu'il vous « seroit utile , que de laisser ce soin à mon exécuteur « testamentaire , qui n'auroit peut-être l'occasion de « s'en acquitter que lorsque vous n'en auriez plus « besoin. » Un présent fait de cette manière, et dans une pareille circonstance, ne pouvoit manquer d'être accepté, et il le fut avec beaucoup de reconnoissance. 22. L'une des plus belles vertus d'Antiochus-leGrand , roi de Syrie , étoit la générosité. Ce prince assiégeoit Jérusalem : les Juifs lui demandèrent une suspension d'armes de sept jours, pour célébrer leurfête la plus solennelle. Non-seulement le monarque., leur accorda de boncœurl'armis tice qu'ils demandoieat^
�243 GÉNÉROSITÉ. mais il fit aussi dorer les cornes d'un grand nombre de taureaux , et préparer les parfums les plus exquis ; conduisit lui-même le .tout en procession jusqu'à la porte, de la ville, et le remit aux prêtres. Les assiégés, enchantés de sa pieuse libéralité, se rendirent, après la fête , à ce roi généreux. Le fils de Scipion l'Africain ayant été pris par des soldats du roi Antiochus , ce prince le reçut avec beaucoup d'amitié , lui fit de magnifiques présens , et le renvoya sans rançon à son père. Scipion l'Africain, vainqueur à'Anuibal dans les plaines de Zama, étoit alors lieutenant-général de son frère Scipion , à 1 qui cette guerre valut le surnom d Asiatique. Le procédé du monarque syrien est d'autant plus noble , que le père et l'oncle du jeune prisonnier Pavoient déjà dépouillé d'une partie de ses états en Asie. 23. Taxile, qui régnoit dans les Indes sur un pays aussi fertile et non moins étendu que l'Egypte , et qui d'ailleurs étoit un homme sage, voyant qu'Alexandre se disposoit à porter la guerre dans son pays , vint saluer ce conquérant, et lui dit : « Roi de Macédoine, « si tu ne viens point ici pour nous priver de l'eau et « des autres.choses qui nous sont nécessaires pour « notre nourriture , qu'est-il besoin de tirer l'épée ? « Quant aux richesses, si j'en ai plus que toi j je suis « prêt à t'en faire part; si celles que tu possèdes sont « supérieures aux miennes, je ne refuserai pas ce que « tu m'en voudras donner. » Alexandre , étonné de ce discours, lui répondit en l'embrassant : « Crois-tu « donc, avec ces belles paroles et ces caresses aimables, « que notre entrevue se passera sans combattre ? Pfon ; « je te combattrai de politesse et de générosité, pour « que tu ne me surpasses pas en bienfaisance et en « grandeur d'ame. » Il reçut de riches présens de Taxile , auquel il en fit de plus considérables ; et dans un souper il but à la santé de ce prince, en lui disant : « Je bois à toi mille talens d'or monnayé. » Ce présent, qui fâcha ses amis , lui gagna les cœurs de plusieurs princes et seigneurs du pays. 24- Le chevalier Bayard, ayant enlevé un trésorier
�GÉNÉROSITÉ.
espagnol chargé d'une somme de quinze mille ducats, étala tout cet argent sur une table à son retour au camp. Un de ses amis, nommé Tardieu, arriva; et, comme il l'avoit accompagné dans cette entreprise, il prétendit avoir la moitié de la somme. Bayard , piqué de ce que Tardieu s'appliquoit la moitié de la prise, sans attendre ce que son amitié déciderait en sa' faveur, lui dit qu'il n'aurait rien que ce qu'il voudrait lui donner. Tardieu , que l'intérêt dominoit, quitta Bayard en menaçant, et alla se plaindre au général d'armée; mais ayant exposé la cause de son démêlé , il fut exclus de tout droit sur la prise. Il s'en revint fort triste; et Bayard, pour s'égayer, étala une seconde fois devant lui les ducats. Le gentilhomme ne fut pas maître de son transport : « Ah ! la belle dragée , « s'éc.ria-t-il ; mais je n'y ai rien. Encore si j'en avois la « moitié, je serais à mon aise pour toute ma vie. — A Dieu ne plaise, répondi t Bayard, que je chagrine pour si peu un brave gentilhomme comme vous : « prenez la moitié de la somme que je vous donne volontairement, et avec joie ; ce que jamais vous «n'auriez eu par force. » Ensuite il distribua l'autre à ses soldats, et aux officiers qui servoient sous lui, sans rien réserver pour lui-même, suivant son usage. il). Lorsque Cyrus s'avancoit à grands pas contre Babylone , un seigneur du pays , nommé Gobryas, vint au devant de lui , faisant porter des rafraîchissemens pour toute l'armée. Le roi des Perses entra dans le château. Alors Gobryas fit mettre à ses pieds des coupes et, des vases d'or et d'argent sans nombre, avec une multitude de bourses remplies de monnaies du pays ^ et, ayant fait venir sa fille qui étoit d'une taille majestueuse , et d'une beauté extraordinaire , que l'habit de deuil dont elle étoit revêtue depuis la mort de son frère, sembloil encore relever davantage, il la lui présenta, le priant de la mettre sous sa protection , et. de vouloir bien accepter les marques de reconnoissance qu'il prenoit la liberté de lui offrir. « J'accepte de bon « cœur votre or et votre argent, dit Cyrus, et j'en fais « présent à votre fille pour augmenter sa dot. Wè do u-
�&5û GOUT. « tezspoint que vous ne trouviez parmi les seigneurs «; de ma cour un époux cligne d'elle. Ce ne seront ni « ses richesses, ni les vôtres qu'ils estimeront. Je puis « vous assurer qu'il en est parmi eux plusieurs qui ne « feroieiit aucun cas de tous les trésors de Bahylone, « s'ils étoient séparés du mérite et de la vertu. Ils ne « se piquent que de se montrer ridelles à leurs amis, « redoutables à leurs ennemis, et pleins de respect « pour les dieux, » On le pressa de prendre un repas dans le palais; mais il le refusa constamment, et retourna dans le camp accompagné de Gobryas, qu'il fit manger avec lui, La terre revêtue de gazon leur servoit de lits : on imagine aisément que le reste à proportion étoit dans le même goût. Gobryas sentit combien celte noble simplicité étoit supérieure à sa vaine magnificence ; et plein d'admiration , il s'«cria : « Que de « faste , que de bassesse chez les Assyriens ! Que de « grandeur , que de générosité chez les Perses ! » Voyez BIENFAISANCE , HÉROÏSME , LIBÉRALITÉ , MAGNANIMITÉ,
i(v\v\^v^x\v"v'v\x\v^a^^v\xv^^^\^x•^v•\^v^^\xx*\.\^^\1.^^'^,■v\^■^.v\\vvv\\\^v\
G O U T, i. X_JE bon goût est une sensation de notre ame,par laquelle elle se porte vers la véritable beauté de chaque chose, etla distingue desfaux attraits que l'imagination lui prête quand elle n'est pas bien réglée, La nature le donne , le travail le forme , sauvent les excellens modèles le font éclore ; et rienpeut^être n'est plus propre à le conserver dans toute sa pureté, que de faire connoître e t sentir quelquefois à la jeunesse la barbarie des siècles précédens. C'est la méthode que nous suivrons dans cet article, que nous allons commencer par l'extrait d'un ouvrage devenu très-rare. Il parut en 1610, sous le titre de Y Avant-Victorieux , et fut composé à la gloire de Henri IV, par le sieur de l'Hostal, vicechancelier du royaume de Navarre. « Fasse mieux qui pourra, dit-il, en s'adressant à la
�G O U T.
g France , me voici en train d'abattre l'irJJij%e « grand roi, pour, en l'image de ses faits, fair « au monde tous ses ennemis abattus. J'ai nagrl « paru en soldat et chevalier français : je veux « jour triompher en victorieux ; et si j'ai le vent aussi « bon que le cœur , peu de plumes auront le cœur « de se mettre au vent. Qu'on juge du lion par l'on« gle , et face mieux qui pourra. » Après cette préface , où l'auteur montre en deux mots son plan et son style, il entre de la sorte en ma-* tière. « Au plushautpoint, et comme en son apogée, « devoit être la vertu de ce grand roi de Lacédémone, << Agésilaïïs, qui, pour mettre son honneur en banque « et à l'avance du temps, pour étendre et alonger sa « réputation à l'avenir, ne voulut point être tiré ni en « bosse, ni en peinture; affermi sur cette croyance que « sa mémoire auroit toujours crédit au monde , et. ne « pourroit non plus vieillir que sa vertu ; et ce Ro« main / qui semble porter tous les sages sur les fonts, « et les baptiser de son nom, Caton , ce diamant de « son siècle , ne croyoit pas que sa vertu n'eût son « plein fonds, et la gloire de ses actions, son étendue, « son long et son large , pour n'avoir point d'image « entre tant d'images des Romains; images sujettes à « se fondre , si de cire ; à se briser , si de pierre ; au « feu, si de bois ; à la rouille , si de cuivre ; à l'en« clume et au marteau, si de fer; aux larrons, si d'or « ou d'argent... Image, imager, tout passe ; peintre , « peinture, tout s'efface ; pot et potier , tout se casse. « Rien ne fait ferme contre le cours du temps : tout « va, tout vient; et le temps même, qui change tout, « le teftïps même le premier branle du changement.... « L'honneur, qui s'alonge autant que le temps , et « qui va de pair avec les siècles des siècles ; l'honneur, « ce tant privilégié du Ciel, et qui, non plus que nos « ames, n'est point menacé de sa fin par son commen<i cernent : mourroit-il donc, ce fils unique delavertu, « ce vraiment canonisé , ce saint et sacré bourgeois « du ciel et de la terre, le miroir des Dieux, le baume i de l'immortalité , si l'art ne lui prêtait son secours, ?
�203
GOUT.
« Homftnr, qui , non comme la myrrhe en -Arabie > « mais qui, par tout le monde , porte l'encens pré* « cieux de la vertu;honneur, qui, non comme la rose « au mois de mai, mais qui, de tous les mois, ne « fait qu'un jour éternel , pour embaumer la terre « deson odeur ! Douce odeur ! toute agréable odeur !.... « à qui les Romains sacrifioient tête nue , pour dire. « que rien ne lui fait ombre , et qu'il n'y a point de « ténèbres , point de nuit, point d'éclipsé pour sa « gloire , que sur le bout, sur Y Amen , et sur le « dernier point du monde... » Le sieur de YHostal s'efforce de prouver qu'il est impossible d» représenter dignement un héros par des statues de bronze , de marbre ou de pierre ; et, comme son but est de tourner toutes ses preuves ensentiment, il faltici cette vive apostrophe à Stasicrates, ce fameux sculpteur, qui offrit à Alexandre-le-Grand défaire du mont'Athos un colosse qui représenfceroit le conquérant de l'Asie, tenant une ville dans sa main*gauche, et laissant tomber un fleuve de la droite. Après un portrait singulièrement chargé du roi de Macédoine : «Ces « fougues , s'écrie-t-il , ces chaleurs de courage, ces « élans , ces boutades , ces brusques saillies d'ambi« tion ; cette ame qui trépigne, qui pétille , qui bout, « qui brûle d'ardeur de combattre ; ce feu, cette flam« me; ce cœur sans peur , et qui donne la peur à tant « de cœurs, b Stasicrates ! comment me le represen« teras-tu par une image qui montre toutes ses perfec« tions au doigt, elle qui ne peutpas remuer un doigt ? « Et si ton Athos est sans cœur, veux-tu arracher le « cœur à ton Alexandre, afin qu'il soit sans cœur « comme ton Athos?'.. On d'itçYApelles, qu'ilpeignoit « les éclairs, les foudres, les tonnerres, et torî't ce qui « bonnement ne se peut peindre ; mais une ame , ou« vrage du sacré doigt du Tout-Puissant , rayon de « la Divini té , et qui, comme le corps du corps , ne « sort point d'une autre ame; une ame parée et em« bellie, toute luisante,toute éclatante de ses vertus, « qui la mettra en figure, sinon ceux qui n'ont point « d'ame pour connoître la ver tu, ni de vertu pour savoir « ce que c'est que l'ame ? »
�COUT. . 253 Ceboursoufflé préambule conduit le vice-chancelier de Navarre à l'éloge de Henri - le - Grand, « Si non « Alexandre par le mont Athos , comment dans une « salle, sur un manteau de cheminée, comment tirer « en bosse, comment représenter en m arbre Henri mon « victorieux, en qui plusieurs Alexandre, comme plu« sieurs Marins en un César?... Ni du cheval par la « selle , ni de la tête par le. chapeau , ni de l'esprit « par le corps ; et l'on voudra que je juge du corps et « de l'esprit par une image qui, sans mouvement et « sans esprit, ne peut tenir du vrai corps de Bour« bon , puisqu'elle n'a rien de son esprit ? Aveugle « image , muette et sourde image, mieux dite morte « image de la mort, que corps figuré d'un corps vivant 1 « Et qu'est-il encore ce misérable corps ? Sanglante « ordure en sa naissance ; ampoule de verre, et ballon « rempli de vent , en sa vie ; entrée de table, rôti , « bouilli i^et confitures des vers après sa mort. Oui ., « pour la mort gibier tout prêt, s'il n'a toujours un « vivandier , un giboyeur sur la bouche , un chirur« tçien sur les ulcères, un médecin au chevet du lit. « Corps, et non plus corps que moulin à moudre; four « et marmite à cuire toutes les viandes;sépulcre,ma« nicle et entrave; l'ancre, l'attache et le contre-poids « de nos esprits; crocheteur vil et abject, malïier et « cheval de valise ; trésorier et receveur-général de « toutes les imperfections de la nature. Et si rosée « d'un matin, si fleur d'un jour, si potiron d'une nuit; « si sa beauté,comme un bouquet de fleurs ;sa santé, « comme une fiole de verre; sa vie même, oui sa vie , « comme une hirondelle passagère, comme un éclair, « comme une ombre; et qu'est-ce que le corps , qu'une « beauté de fleur, une fleur de santé , une santé de « verre, un verre de vie ; et enfin, une vie d'ombre , « d'éclair et d'hirondelle passagère ? . . . . Henri en « image ! Tant et tant de lauriers sur la tête de mon « victorieux! Ces beaux lauriers, cueillis sur le champ « de trois sanglantes batailles, et de trente-cinq ren« contres d'armées, cent quarante combats , et trois « cents sièges de place? ces lauriers,naguères branle-
�254 GOUT. « branlans entre le pêle-mêle, le clic et le clac, feu et « famée, coups et plaies, plaies et sang, sang et meur<< très , meurtres et carnage, carnage et horreur; en i<. l'horreur de tant et tant de combats , ou main à « main , pied à pied , pistolet contre pistolet , épée « contre épée, et où mort Bourbon a montré qu'en un « siècle brouille-brouillé , siècle de querelle et d'ou« trage , siècle de plaies et de sang , il ne pouvoit y « avoir roi en France qui ne fût soldat, ni soldat plus « brave , plus courageux que Bourbon : si soldat se « peut dire j celui qui commande aux archers etauxsol« dats, comme disolt Iphicrates : Ah ! lauriers, oùêtes« vous ?— Ce grand doyen des princes de son siècle , « Trajan , dit Pline , passant dans les eues , tout le « monde jetoit et attachoit les yeux sur lui. Les enfans « à la mamelle le connoissoient : les jeunes crioient : « Voilà ! le voilà ! Les vieux, comme en extase : 6 U « bon ! disoient-ils, ô le brave empereur ! Ldfcûialadcs, « quittant les lits , se traîne - traînoient aux portes, « aux fenêtres , croyant que sa Vue portoit santé et « guérison ; peuple à troupes , troupes à ondées , et « ondées de peuple à foule perçante , presse et foule « de peuple, comme s'iln'y avoitrieneuaumondeque « Trajan, qui seul méritât les yeux de tout le monde.... « S'il se faisoit de tels honneurs à l'image de Bourbon, « ômes yeux! quel objet plus agréable, plus gracieux! « et que verriez-vous au monde qui ne contribuât à « l'honneur de son image ! Rome, ses bénédictions ; « l'Empire, l'honneur de sa main droite ; l'Italie, son « baise-main ; l'Angleterre , son amitié ; la brave << Suisse, toutes ses piques; Hollande et Zélande, ces « deux vieilles guerrières, le tranchant de leurs épées; « Portugal, le regret de ses rois légitimes ; les Mores, « le désir de leur liberté ; l'Aragon , ses plaintes ; là « Navarre , ses soupirs et ses larmes ; Castille , sa « crainte ; Castille , sa terreur ; Castille , son effroi, « sur-tout en ce temps , temps si long-temps désiré ! « heureuse ainsi, ô l'heureuse image ! . . .. » Tout l'ouvrage roule sur cette idée : alIenri-le-Grand seroit bien représenté, si son image pouvoit rendre son
�COÛT. ' 255 ame, son caractère, ses vertus ; mais cela n'est pas possible ; il vaut donc mieux n 'ériger de statues à sa gloire, que celle que ses beaux faits, ses sublimes actions lui en ont dressées dans la mémoire de tous les hommes ; il est donc plus raisonnable de se contenter de célébrer le brillant de ses exploits. » Nous plaindrions beaucoup le nom à jamais mémorable deiïenrilV, si, pour arriver à l'immortalité , il n'avoit eu que la bouche et la plume de son vice-chancelier ,que son Avant-Victorieux, production extravagante d'un homme sans goût, monument de barbarie , dans un siècle qui avoit déjà pro^duit Malherbe, et qui enfantoit le grand Corneille 1 On est étonné, en lisant ce livre, qui contient plus de trois tents pages d'impression, d'y voir la plus vaste érudition. Il n'y a pas la plus petite allusion , qui n'ait son autorité à la marge ; pas le moindre trait d'histoire ou de physique , qui ne soit appuyé d'un passage de Pline , et de tous les autres naturalistes anciens ; les poètes, les orateurs,les historiens,les pères de l'Eglise, sont cités tour-à-tour , mais toujours sans choix , toujours sans sagacité, et le plus souvent sans avoir été entendus. Pour achever de le faire connoître , nous nous contenterons de choisir les morceaux les plus intelligibles , et les plus propres à le caractériser. Le sieur de l'Hostal fait en ces termes l'éloge de Sully : « Pilier d'airain , ferme colonne d'état ; épée « tranchante , pour les combats 5 tête à double cer« veau, pour les conseils ; bouche de torrent , pour « la persuasion ; à mains et à pieds de vent , pour « l'exécution ; Sully, l'une des fibres du cœur de sou « prince, l'un des pieds du trépied de son oracle ; et « digne certes des titres les plus apparens d'honneur, « puisque tu es trouvé digne de servir un si grand « roi Un roi, qui confit toutes ses vertus au miel « de sa sagesse , et qui, en la hautesse de ses dis« cours , peut, comme jadis Périclès, se nommer « VOlympe.... Ce très-grand roi de fleurs de lys , qui « n'a rien sur lui que le ciel et le soleil.... » A l'occasion d'une statue équestre de Henri-leGrand, l'auteur s'écrie : « Trompeur imager , qui
�256 COUT. « voudrait nous amuser en la.figure d'un prince, <m\ « lui-même crayonne et figure ses mœurs sur nos « cœurs ; qui tire' au naïf et au naturel ses vertus sur « nos ames ; et en ses vertus nous montre le chemin « battu du ciel !. .. Encore un coup , imager trom« peur , qui monte mon victorieux en St. George « qui lui donne l'épée comme à S. Paul , et l'habille «tout en blanc, comme jadis on figuroit, la "Vérité « au temple d'Amphiaraiis.... » A quelques pages de là, on trouve cette pathétique déclamation contre Je monde : «Et qui n'aimeroit mieux « rire, que pleurer , sur les folies du monde ! Monde « gaucher , fait au rebours et à contre-fil, qui prend « l'écorce pour l'arbre, le masque pour le visage, et le « tableau , pour la chose exprimée ! Monde enfantin, « et pire qu'enfant, qui contente plus ses yeux aux « singeries de l'art, qu'aux ouvrages plus singuliers de « la nature; et qui, comme Magas dho'ildç P/ùlémon; « ne voudrait jamais avoir entre les mains que des « boules et des osselets à jouer. Monde à nez de furet... « à prunelle égarée , qui trouve les Français noirs à « Paris, les Mores blancs en Afrique... toujours amou« reux et friand de ce qu'il n'a point, et dégoûté de ce « qu'il a ; vrai chien d'Esope, qui quitte la chair pour « l'ombre... Monde au cloche-pied depuis son enfance; « antipode de la vertu...Monde à tête creuse, à cerveau « mal timbré , qui , pour porter ses yeux au-dessus « de sa foi , presse le corps pour voir un esprit, et « courbe l'esprit pour adorer un corps... Monde à sens « tourné, abâtardi de jugement, et qui auroit bon bc« soin d'ellébore ; monde au plus haut point d'audace, « et qui, en la témérité de ses desseins , trouve tout à « pas ouvert, tout à pont-levis baissé, jusqu'à donner « un corps à celui qui est tout esprit , une image à « celui qui n'a point de corps... Henri, mon prince, « Bourbon , mon victorieux , nenni, non , ce n'est « pas merveille , si le monde figure un homme en « Dieu puisqu'il figure les dieux en hommes !... » C'est particulièrement dans les endroits où le vicechancelier de Navarre veut louer son prince , qu'il déploie
�G Ô U f-i
2.5?
nepîoié toutes les richesses dé son éloquence ampoulée ; «Henri, mon victorieux, s'écrie-t-il, avec un ri^ dicule enthousiasme , ce grand roi, lé dauphin et l'amour du ciel, sacré ciel de l'amour, Famour et le ciel du monde , et petit mondé , en qni plusieurs inondes de bénédictions du ciel , plusieurs grâces d'amour... Ce bon roi, toujours vêtu et habillé des passions de ses peuples... Lui5 qui ayant fiancé leur fortune, et épousé leur bien et leur mal, se pare et sémbellit des prospérités , et porte le rioir sur les jours noirs de la France. Quand ce premier pair des princes du monde 3 et quand an monde ce prince sans pair, quand il parcît couronné de gloire, tout rayonnant d'honneur , et comme un grand soleil sur les étoiles de tout le monde , ô que Famour , ce saint amonï, dontson peuple révère ses couronnes, ôquel immortel printemps il désire à ses fleurs de lys , et qu'il se voit naïvement dans les fleurs de cetàmour,et dans Famour de ses fleuss ! O que-, par tant de cœurS épanouis d'aise, par tant d'âmes en danse au son dé tant, de prospérités, par ces acclamations d'allégresse et de joie , par ces voix favorablement éclatées , là France montre bien qu'il faut qu'à tour de rôle ce bon prince entende ses bienfaits ; comme il ne les pouvoit entendre sans les faire ; et qu'il faut qu'un roi si victorieux vive autant que la gloire , qu'il né sait ce que veut dire mort... Vive lé victorieux ! qui* ayant donné le va-t-en à nos contusions , èt dit lé holà aux malheurs de la France , l'a tournée dît Couchant ati Levant, ainsi que Chaton fit jadis de la ville de Chéronée. Vive ce foudroyant ! qui a émoussé la force de ses ennemis , donné l'extrêmeonction à leur ambition , tiré le dernier hoCquet à leur fierté ; et, en chérubin du Ciel, l'épée flambante au poing, leur défend l'entrée du paradis de Sa France. Vivé ce triomphant qui, porté sur lé char dé la gloire , nous a ramené la paix sans ailes 4 sans patins volans, sans boule roulante; et de même qu'on dit que la fortune passa la rivière d'Eurotas , « pour demeurer chez les Lacédémeniens ! Vive , et Tome Ili R
�258 GOUT. « qu'il vive dans les siècles des siècles, sa beauté bit« rinée sur nos ames , son amour sur nos cœurs , ses « mérites en nos mémoires, et en nos bouches le récit « de ses combats , le Te Deum de ses victoires , les « hymnes et les cantiques de ses triomphes !" . « Le voilà pourtant, je le vois mon victorieux ! « O front relevé , vénérable ! front, vrai tableau « d'honneur, trône de bienséance, théâtre de majesté ! « O yeux ! ô beaux yeux ! tous traits et attraits ! « yeux doux ; yeux fusils et allumettes , flambeaux « et lumières d'amour, le rendez-vous et le séjour « des grâces ; yeux, ô doux yeux en temps calme et « serein ! Maison , orage et tourmente , ô yeux la « tourmente et orage même ! voyez l'éclair , voyez la « foudre en ces yeux ardens ! Foudre , et toute autre « foudre que celui qu'on voit en la pierre Astrapias ! « Nez royal, ô nez aquilin ! Titres des mieux marqués « entre les titres de Dieu : marque d'honneur entre « les rois de Perse ; si privilégié , si honoré parmi les « Grecs, que, comme on l'appeloit l'homme de bonne « mémoire JMnémon ; un victorieux Callinicos ; on « appeloit aussi celui qui avoitle nez aquilin Grypos. » Rien n'est plus original que la description de l'hommé en contemplation : «Par elle il s'élève plus « haut que tous les cieux dans le sanctuaire infini de « l'éternité : non affranchi du servage et des liens du « corps , il voit loin-loin , bas-bas dessous ses pieds, « les cieux et non plus les cieux, mais petits cercles , « petites roues à tourner d'une main; les étoiles, le so« îeil, la lune , et non plus lune, non plus soleil, non « plus étoiles, mais petites lampes , petites bougies, « petites bluettes de feu ; la terre , non plus terre, « mais un trou de fourmilière , où les hommes , « moindres que fourmis , vont et viennent, tournent, « retournent, passent, repassent, font et défont, dé« battent et combattent ; tout ce petit tracas , tous « ces petits labeurs par fois sanglans par un trou de « fourmilière pour y bâtir un empire de fourmis.... « Un turelupin, d'étude moisi, unplume-plumant, « un brouiile-barbouille-farfouille papier , une je lie
�« « « « « « « «
«
« « « « << « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «
sais quelle plumé, qui traîne-rampe par térrë, au lieu de voler, dit : La paix est la mère-nourrice des alfiances , l'alliance des infractions , et un anneau de; foi et de serment des princes. Mais quels princes , ô turelupin , si sans foi ? Quelle foi, ô turelupin ; où tant, d'infraction s ? Quelle alliance j où nulle foi ? Quel anneau, où nulle alliance ? Et voilà ta paix, ton. alliance, ton anneau en pièces, partant d'infractions ^ ô turelupin !;.. ture-lure , turelupin, fi de toi ! fi ! je te laisse avec ton ture4ure; et puisque tune vaux ni le prendre, ni le pendre, je te laisse, turelupin, pour reprendre mon victorieux. Ha ! où est-il ? où est cé prince, toujours en butte et en blaire à tous les mauvais démons de l'Europe , et qui, à peine a eu lé loisir de mettre l'épée au fourreau ? Où est-il , cè brave , qui jamais né trouva estoc assez roide pour sa vaillance, ni assez d'ennemis pour son épée? Vietorieuse épée ! épée qui auroit autant de fourreaux que de corps d'ennemis, si j tout doux j tout doucement, sa clémence ne lui eût dit à l'oreille : Arrête ta victoire , pour être doublement victorieux.;.... « En l'air, ma plume , eh l'air : deux et trois , trois et quatre, quatre tirade et plus, s'il le faut ; tirades à centaines, pointes sur pointes , élans sur élans, à l'honneur de ce grand roi... En l'air , ma plume s eir l'air; il y a de l'honneur à s'étendre, à s'élargir 3 à se donner carrière sur les mérites d'un prince de vertu : tout alors , tout le sang bouillonne ; les veines s'en-1 fient ; le Coeur grossit ; l'ame s'élève ; tous lès sens raidissent avec l'ame , comme l'ame avec tous les sens. En l'air, ma plume, en l'air... toujours en l'air j toujours , toujours sur cette image de mon victorietix ; imagé, qui, à faute d'âme, semble demander la faveur de ton esprit, et tes complimens sur ses' défauts : vue pour ses yeux ; ouïe pour ses oreilles ; parole pouf sa langue ; mouvement pour ses pieds ; et, s'il lui faut des ailes , en l'air , ma plume , eri Kair, afin que le monde commisse qu'il n'y a aile qué d'esprit, et que tout le monde en image ne vaut pas* une plume.» G'estainsiq.uelapIumedeM.JeZ'i/oj?a/ R a
�260 GOUT. cesse de voler , après avoir plané si long-temps dans les régions obscures d'une insipide extravagance. 2. Le maire d'une petite ville située sur les bords" du Rhône , fit un jour cette harangue à Tin des lieutenans-généraux de l'armée de Piémont : « Monsèi«c gneur, tandis que Louis-le-Grand fait aller l'empire « de mal en pire , damner le Danemarck , suer là « Suède ; tandis qu'il gène les Génois , berne les BcrK nois , et cantonne le reste des cantons ; tandis quë « son digne rejeton fait baver les Bavarois , rend les n troupes de Zell sans zèle , fait faire hesse aux Hes« sois ; tandis que Luxembourg fait fleurir la France « à Fleurus, met en flammes les Flamand, lielesLié« geois, et fait danser Castanaga sans castagne tte 5 tan« dis que le Turc hongre les Hongrois, fait esclaves les « Esclavons , et réduit en servitude la Servie ; enfin , « tandis que Catinat démonte les Piémontais ; que « Saint-Ruth se rue sur le Savoyard , et que Latré « l'arrête , vous , monseigneur , non content de faire « sentir la pesanteur de vos doigts aux Vaudois , vous « faites encore la barbe aux Barbets ; ce qui nous « oblige d'être, avec un très-profond respect, monsei<c gneur, vos très-humbles ettrès-obéissans serviteurs.» 3. Les prédicateurs du xiv.e siècle afféetoient dê tousser , comme Une chose qui donnoit de la grâce à leurs déclamations. Olivier Maillard , cordelier fort à la mode de son temps , et qui jouissoit d'une réputation brillante , n'a pas manqué , dans un sermon français, imprimé à Bruges, vers l'an i5oo , de marquer à la marge , par des hem ! hem ! les endroits où il avoit toussé. Tout l'auditoire répondoit à cette éloquence de poitrine , d'une manière plus éloquente encore ; et c'est peu t-être de là qu'est venu l'usage où l'on est de se moucher à chaque division de sermons. Un des rivaux de Maillard , nommé Bibautius , prêchant un jour le panégyrique de la Magdeleine , dit que Marthe étoit une très-bonne femme, rara avis in terris ; fort attachée à son ménage , très-pieuse, et qui se plaisoit beaucoup à aller entendre le sermon et l'office divin ; mais que Magdeleine , sa sœur, étoit une coquette , qui n'aimoit qu'à jouer, à causer et à
�S O U T. 26l perdre son temps ; que cependant Marthe faisoittout son possible pour la gagner et l'attirer à Dieu ; que , pour cela ,faciebat bonam sociam, elle faisoit le bon compagnon avec elle , et entroit en apparence dans ses inclinations mondaines pour ne la pas effaroucher ; . de sorte que, sachant combien elle aimoit le bon air et le beau langage , elle lui dit des merveilles de la personne et des sermons de Notre-Seigneur , pour l'obliger finement à le venir écouter ; que la Magdeleine , poussée de curiosité , y vint en effet : mais qu'arrivant tard , comme font les dames de qualité , pour se faire davantage remarquer, elle fit grand bruit; et, passant par-dessus les chaises , se plaça in conspeetus Domini, vis-à-vis du prédicateur, et le regarda entre deux yeux avec une hardiesse épouvantable. Le reste de ce pathétique sermon est chargé de passages de poètes et de philosophes cités sans choix et sans goût. 4- Sous le règne précédent, le burlesque étoit si fort à la mode , qu'un docteur osa écrire la passion de Notre-Seigneur en vers burlesques ; et un prédicateur extravagant s'avisa de dire que Jésus-Christ, dans le jardin des Olives , avant de boire le calice de sa passion , le porta à la santé du genre humain. Le récit de ce trait ridicule donna lieu à une personne de s'écrier : « Oh ! si cela est vrai, avouons de bonne foi que nous « ne faisons guère raison à ce divin Sauveur. » 5. Un jeune abbé, prêchant la passion à une grillé , dit que Notre-Seigneur , qui sua du sang de tout son corps dans le jardin des Olives , ne devoit point pleurer autrement, parce que Dieu est tout œil ; qu'il garda le silence devant Hérode , parce que l'agneau perd la voix en voyant le loup ; qu'il étoit tout nu sur la croix , parce qu'il étoit tombé entre les mains des voleurs; que, pour condamner la vanité des pompes funèbres , il ne voulut point de flambeaux à ses funérailles , pas même les flambeaux du ciel ; et enfin, qu'il voulut être mis dans le sépulcre de pierre, pour nous apprendre que , tout mort qu'il étoit , if avoit horreur de la mollesse. 6. Un prédicateur , en parlant du relâchement des. B. 3
�S02
4
GOUT.
prêtres, s éeria : « O pauvre ville ! ( l'Eglise ) déplo-, << rable Sion ! que tu es au jourd'hui mal gardée ! quê ta « garnison est poltronne et manchette ! Tu n'es défen« due que par une milice qui ne sait manier ni le sabre « de la justice , ni l'épée de la vertu, ni le mousque« ton de la foi , ni l'arquebuse de l'espérance , ni la « carabine de la charité, ni le marteau de la tribulation, a ni les ciseaux de la pénitence, ni le balai delà confes« sion. Un moment d'attention, chrétienne canaille. » 7. Un prédicateur, ayant été bien régalé dans une petite ville , dit en chaire en faisant ses adièux : << Vous m'avez bien traité , je veux vous le rendre. « Magdeleine , dont je vais vous faire l'éloge , fera « le repas : ses cheveux seront la nappe , ses larmes « l'eau ; et pour le Bened icite. nom dirons Ave Maria.» 8. Un prédicateur fort à la mode dans son siècle , çommencoit ainsi le panégyrique de S. Paul : « 11 y a « un grand différent parmi les théologiens, pour savoir « quel nom portoit l'apôtre , que vulgairement on <f appelle S, Paul. Les uns veulent qu'il se nomme « Saul, parce qu'on lui donne ce nom dans le chapitre -«. neuvième des Actes des Apôtres : les autres prétende dent qu'il s'appelle Paul, parce qu'on voit ce nom .« à la tête de ses Epîtres. Quel sentiment croyez« vous que j'embrasse ? ni l'un ni l'autre. Mais quel « nom aura donc ce grand saint ? car encore faut-il « bien qu'il ait un nom. Eh bien mes frères, soyez « tranquilles, il en aura un, et vous ferez bien de l'ap-r 9 peler avec moi, le Jean de Libor. C'est lui-même qui •« se donne ce nom mystérieux: Ego vero jam delibor.» 9. Un panégyriste de S. Pierre prit pour texte : Tu es Petrus : vous êtes Pierre. « Il y a , ajouta-l-il, « trois sortes de pierre : pierres à bâtir, pierres à fu« sil, pierre à cautère.. Notre saint est une pierre à « bâtir, puisque c'est siu'.elle que Jésus-Christ a bâti «. son Eglise : il a été une pierre à fusil, qui a pi'o« duit au monde la lumière de la foi : il a été une « pierre, à cautère , par le zèle et l'ardeur avec la? ; « quelle il a détruit tout ce que. les hommes avoient ■S de, corrompu et d'impur, » 10. Un çordelier , prêchant le jour de S". Nicolas
�GOUT. 263 dans un village, fit le parallèle de ce grand saint avec la Vierge , et dit -, entre aulres choses : « Elle étoit « chaste , il étoit pur. Coupons-lui la barbe , c'est la « Vierge Marie toute pure. » il. On se rappelle encore les facéties et le goût comique du petit père André, fameux prédicateur du dernier siècle , et religieux du couvent des PP. Augustins à Paris. C'étoit un homme d'un vie trèssainte et très-austère , mais d'une éloquence entièrement ridicule. Quelques traits en feront juger. Un évêque l'avoit appelé le petit fallût. Pour s'en venger, ce religieux piochant en présence du prélat, prit pour texte : Vos estis lux mundi. «Vous êtes, mon« seigneur, dit-il en s'adressant à l'évêque , vous êtes « le grand fallot de l'Eglise ; mais pour nous, pauvres « diables, nous ne sommes que de petits fallots. » Un jour , la reine Anne d'Autriche arrivant à son sermon lorsqu'il étoit commencé , il lui dit pour tout compliment : « Soyez la bien-venue, madame : nous « n'en mettrons pas plus grand pot au feu ; » puis il poursuivit son discours sans le reprendre dès le commencement , selon la coutume. Une autre fois , il compara les quatre docteurs de l'Eglise latine aux quatre rois du jeu de cartes. « S. Augustin, dit-il, est le roi de cœur-par sa grande « charité ; S. Ambroise est le roi de trèfle par les « fleurs de son éloquence, S. Jérôme est le roi de pi«. que par son style mordant ; S. Grégoire est te roi « de carreau par son peu d'élévation. » Il prêchoit devant un eveque ; le prélat s'endormit. Pour l'éveiller, le P. André s'avisa de dire au Suisse de l'Eglise : « Fermez les portes ; le pasteur dort, les « brebis s'en iront : à qui annoncerai-je la parole de « Dieu ? 4 Cette saillie causa tant de rumeur dans « l'auditoire, que le pontife n'eut plu s envie de dormir. On l'avoit chargé d'annoncer une quête pour former la dot d'une demoiselle qui désiroit se faire religieuses Il dit, avant de commencer son sermon : «Messieurs, « on recommande à vos charités une demoiselle qui « n'a pas assez de bien pour faire vœu de pauvreté. »
�»64 GOUT, Il avoit prêché tout le carême dans une ville où personne ne l'avoit invité à dîner- Il dit dans son adieu : « J'ai prêché contre tous les vices , excepté « contre la bonne chère ; car je ne sais pas comment « l'on traite en ce pays-ci. » Il prêchoit dans un couvent , et vouloit exciter la charité de ses auditeurs envers les religieux. «Un grand « motif, dit-il, vous y engage : Je feu du ciel est tombé « sur-leur maison; mais, grâces vous soient rendues, ô « mon Dieu ! le tonnerre est tombé sur la bibliothèque « où il n'y avoit point de religieux. Ah ! si, par malheur, «jliùt tombé sur la civisme, ils seroienttous péris. »• Il devoit prêcher à Paris le soir du dimanche des. Rameaux. Le matin, un abbé qui monta en chaire dit ; « Il y a des gens oisifs qui agitent sérieusement la « question pour savoir si Notre-Seigneur monta sur un « âne, ou sur une ânesse. Je laisse la décision au pré« dicateur du soir. » LepetitP.^îWre, prêchant à son tour, dit : «Messieurs, je suis surpris que le prédicateur « du malin m'ait renvoyé une question si aisée à résou« dre. Lisez l'Ecriture, e t vous y trouverez ce passage : « Sedenssuper pullumasinœ ;et,quoïqa'endise\evvé« dioateur , vous verrez d'abord que c"est un âne. » Il prononçoit aux capucins le panégyrique de saint François ; et, parlant des miracles de ce grand patriarche : « Jésus-Christ , dit-il , nourrit avec cinq « pains cinq mille personnes. Ah ! que S. François en« chérit bien là-dessus ! car , si le Sauveur renouvela « ce miracle une autre fois, S. François tous les jours « avec deux aunes de toile ( c'est-à-dire, avec une be« sace ) , nourrit plus de cinquante mille religieux : « n'est-ce pas là un miracle perpétuel de la religion? » Prêchant devant un grand prince , il prit pour texte : Omnis caro fœnum , et commença par dire : « Monseigneur, foin de vous ! foin de moi ! foin de « vous , mesdames ! foin de tous les hommes ! Omnis <g, caro fœnum. » 12. Un prédicateur ayant pris pour texte : Paul, apôtre , commença son sermon par ces paroles : « Grande étoit la Diane des Ephésiens , mais plus
�GOUT,
265
grand encore le colosse de Rhodes : grands étaient les présens d'Abraham , mais plus grands encore ceux de la reine de Saba : grandes et magnifiques étaient, les noces du roi Àssuérus , parce que l'on y voit des rois , des monarques , des princes et des satrapes ; mais plus grandes encore celles de Cana , parce qu'on y voyoit Jésus-Christ et ses douze apôtres. C'est de l'un de ses apôtres que nous avons. à vous entretenir : Paul, apôtre. » i3. Un capucin , lançant dans son sermon des traits sangîaris contre les libertins, leur dit avec véhémence; « Vous voas flattez , malheureux , qu'à l'heure de la, « mort un bon peccavi raccommodera tout ! Insensés ! « vous vous trompez : vous ne pourrez jamais dire « que pec, sans pouvoir prononcer cavi ; et voilà une « ame fricassée , dont je ne donnerois pas un zest. » i4-Le P. Bourdaloue, dans son sermon de la fausse conscience , dit : « Souvenez-vous que le chemin du « ciel est étroit, et qu'un chemin étroit ne peut, avoir « de proportion avec une conscience large. » Cette pensée est assez semblable à celle d'un autre prédicateur qui disoit : «Le ciel n'a point de porte-co3 chère., on n'y entre point en carrosse. » i5. M. le Camus n'était point pour les saints nouveaux ; et il disoit un jour en chaire sur ce sujet : « Je donnerois cent de nos saints nouveaux pour un « ancien ; il n'est chasse que de vieux chiens : il « n'est châsse que de vieux saints. « U se plaisoit fort à faire -des allusions. Prononçant un jour le panégyrique de S. Marcel, son texte fut le nom latin de ce saint, Marcellus , qu'il coupa en trois pour les trois parties de son discours. Il dit qu'il trouvoit trois choses cachées dans le nom de ce grand prélat : 1. ° Que Mar, vouloit dire qu'il avoit une mer de charité et d'amour envers son prochain ; 2. ° Que cel montrait qu'il avoit eu au souverain degré le sel de la sagesse des enfans de Dieu ; 3. ° Que lus prouvoit assez .comme il avoit porté la lumière de l'Evangile à un grand peuple , et comme lui-même avoit été une lumière de l'Eglise , et la lampe ardente qui bruloit du feu de l'amour divin.
« « « « « « « « «
�?66 COUT.. 16. Un prédicateur , faisant le panégyrique d'un saint, prit pour texte le pronom Hoc. Cet admirable pronom, dit-il, contient les trois vertus de mon saint ; H, humilité de mon saint ; O , obéissance de mon saint ; C, charité de mon saint. Ce seront les trois points de mon discours , et le sujet de vos favorables attentions : Ave , Maria. 17. Guillaume Petit, confesseur de Louis XII, fit, en i5i4, trois oraisons funèbres de la reine Anne de Bretagne , d'abord à Blois , où elle mourut ; ensuite à Notre-Dame de Paris , où son corps fut porté ; enfin à Saint-Denis , où il fut inhumé ; et, quelque différence qu'il pût y avoir entre ces trois discours , ils se ressemblent tous par le goût singulier qui régnoit alors. Parce que la reine avoit vécu trente-sept ans, il dit que « cette princesse avoit mérité trente-sept « épithètes pour trente-sept vertus , formant un char « qui la conduisoit au ciel. » Parce qu'elle descendoit de la très-illustre et très-ancienne maison de France, l'orateur fit remonter son origine jusqu'au siège de Troie ; et, en descendant, il lui donna des rapports de parenté avec Brutus. 18. Un moine , préchant à Paris, feignit d'être à la porte du paradis , où plusieurs personnes se présentoient pour entrer. Une duchesse vint avec un grand appareil, et frappa à la porte. « Qui est-là ? demanda « S. Pierre- — La duchesse répondit: c'est madame la « duchesse une telle.—Quoi, répliqua le célèbre por« tier, madame la duchesse qui va au bal et à l'opéra? « madame la duchesse qui met du fard ? madame la « duchesse qui a des galans ? Au diable ! au diable ! « 19. Le P. Honoré , capucin célèbre de son temps, traitoit les vérités les plus terribles de la religion sous une forme burlesque : il brisoit les cœurs, après avoir épanoui les rates. Dans un de ses sermons , sur le jugement dernier, il prit en ses mains une tête de mort. « Parles , disoit-il en son langage provençal ; parle ; « ne serois-tu point la tête d'un magistrat ? • Tu ne « réponds pas ? Qui ne dit mot consent. » Il lui mettait alors un bonnet de juge. « Eh bien, ! disoit-il, n'as-tu,
�G O V T, Û@7 n point vendu la justice au poids de l'or? N'as-tu pas » ronflé plusieurs fois à l'audience ? Ne t'es-tu pas « entendu avec l'avocat et le procureur pour violer la « justice? Combien de magistrats ne se sont assis sur « les fleurs de lis, que pour y mettre la justice et la « droiture mal à leur aise! » Il jetoit alors la tête avec une espèce d'emportement, et en reprenoit une autre à qui il disoit : « Ne serois-tu point la tête d'une de « ces belles dames qui ne s'occupent que du soin de « prendre les cœurs à la pipée ? Tu ne réponds pas? « Qui ne dit mot consent. « Il tiroit alors une fontange de sa poche, et la mettant sur cet objet hideux : « Eh bien ! tête éventée, poursuivoit-il, où sont ces beaux yeux qui jouoient si bien de la prunelle ? cette belle bouche quiformoit ces ris gracieux, qui feront pleurer tant de gens en enfer? Où sont ces dents qui ne mordoient tant de cœurs, que pour les pouvoir faire mieux manger au diable? ces oreilles mignonnes, auxquelles tant de godelureaux ont chuchoté si souvent pour entrer dans le cœur par cette porte? Où est ce fard, cette pommade, et tant d'autres ingrédiens dont tu t'enluminais le visage? Que sont devenus ces roses et ces lis que tu laissois cueillir pas des baisers impudiques?»ll parcouroit ainsi toutes les conditions, et coiffoitsa tête de mort, selon les différens sujets qu'il avoit à traiter. LouisXlV, ayant demandé au P. Bourdaloue son sentiment sur ce capucin : « Sire, dit-il, il écorche « les oreilles, mais il déchire les cœurs. A ses sermons, « on rend les bourses que l'on a coupées aux miens. » 20. La philosophie n'a point entièrement banni ce mauvais goût de nos ouvrages ; et, puisqu'il ose en^ core se montrer avec audace , on ne sauroit trop en garantir la jeunesse, en leur en dévoilant tout le ridicule. Dans un livre écrit de nos jours , en faveur du gouvernement arbitraire, l'auteur, M. L s'exprime de la sorte : « On a prétendu que la théorie des lois 'i étoit le fruit du délire de la manie paradoxale. Au « son d'un écu, on est sûr de faire élancer du sein d© « la terre une foule de malheureux. On escamote les % morceaux au manouvrier libre, et on luiscelleroitla
�î>68 e o f Ï. « bouche, si on l'osait. On a empoisonné nos humeurs « de cette sombre contrainte , de cette défiance con« centrée , de ce goût d'une crapule solitaire, qui se « sont naturalisés à Londres , parmi les fumées sul« foreuses du charbon de terre. » Ailleurs , en parlant des ouvrages périodiques, qui Font ] ustement oritiqu é, il dît : « On révère ces cirons « périodiques, qui, à force de gratter l'épidémie des « bons ouvrages , parviennent quelquefois à y faire .« naître des ampoules. Des mites raisonnantes se sont « rabattues sur le blé, sur le pain, la mouture : ellesy « ont porté la corruption. Toutes blanches encore delà « poudre farineuse dont elles se sont couvertes dans « leurs boulangeries, elles s'avisent d'insulter les ver« misseauxindiscrets,qui ne rougissent pas de s'éloigner « de la huche. ,. Il en est deshommes et des gouver«• nemens, comme des notes de musique. En haussant .« et baissant la clef, vous changez toute la gamme. 11 y « a donc à choisir entre les gammes politiques « Nos philosophistes ne manquent pas de ci ter quelques « lambeaux des coutumes anglaises, et de venir, ar« més de ce fumier infect, insulter impudemmentles « usages de leur patrie.... La vérité est ma maîtresse « chérie , quoiqu'elle ressemble un peu aux catins, « et que son commerce ne rapporte ni honneur, ni « profit Je me suis aperçu de l'existence des Ephé« mérides , comme de celle des puces, par une mor« sure. Vivez, mon sautillant censeur ! » Il dit dans un autre endroit: «Nous vivons de pain, « nous autres occidentaux; notre existence dépend de «cette drogue dont la corruption est le premier élément « que nous sommes obligés d'altérer par un poison, « pour la rendre moins mal-saine. Nous avons la folie i< de la regarder comme la nourriture seule digne de g l'homme. Elle est devenue le premier objetdes petits « soins et des courtes vues de nos empires , le premier « besoin des êtres qui s'enorgueillissent de porter des m chapeaux ; mais aussi elle est laressource la plus sûre « du despotisme, et la plus cruelle chaîne dont on ait « chargé les eafans d'Adam : pareille à ces poisons dont
�a6c) l« l'habitude mène âii tombeau , et dont la privation1 canseroit également la mort. Nous rie pouvons y re« noiicer ni en jouir. » Tout l'ouvragé est écrit dans ce style, qui malheureusement a des amateurs et des copiste.s.Pour le rendre justement odieux aux jeunes gens, il suffit de leur proposer de bons modèles. La lettre à M.d'Alembert sur les spectacles, de laquelle nous allons rapporter quelques passages ,nous paroît devoir remplir d'autant mieux cet obj et, qu'elle unit à la morale lapins saine, les grâces, la chaleur et la pureté du style. Sonauteuf, J. J. Rousseau, le Démosthène de notre siècle, est autant supérieur aux écrivains que nous avons" cités ci-dessus, que le bon goût l'emporte sur la barbarie , et l'éloquence sur le jargon du pédantismé. « La même cause qui donné, dans nos pièces tra« giques et comiques , l'ascendant aux femmes sur les « nommes, le donne encore aux jeunes géUs sur les « vieillards; et c'est un autre rehversèmentdes rapports « naturels, qui n'est pas moins répréhensible. Puisque H. l'intérêt y est toujours pour les amans, il s'ensuit que « les personnages avancés en âge n'y peuvent jamais « faire que des rôles en sous-ordre. Ou, pour former le « nœud de l'intrigue , ils servent d'obstacle aux vœux t des jeunes amans, et alors ils sont haïssables; ou ils « sont amoureux eux-mêmes, et alors ils sont ridicu« les : Turpesenex miles.On en faitdans les tragédies, « des tyrans, des usurpateurs ; dans les comédies, des t jaloux, des usuriers, des pédans, des pères insupr< portables que tout le monde conspire à tromper. « Voilà sous quel honorable aspect on montre la vieil« lesse au théâtre ; voilà quel respect on inspire pour >t elle aux jeunes gens.... « Ces effets ne sont pas les seuls que produitPintérêt « de la scène, uniquement fondé sur l'amour. On lui « en attribue beaucoup d'autres plus graves etplus im« portans , dont je n'examine point ici la réalité , mais « qui ont été souvent et fortement allégués par les écri« vains ecclésiastiques .Les dangers que peut produire « le tableau d'une passion contagieuse sont, leur a-t-oll « répondu ; prévenus. par la manière de le présenter 5
G Ô U
�270 6 o il Ti . « l'amour qu'on expose au théâtre , y est rendu" légi< « time ; son but est honnête, souvent il est sacrifié au « devoir et à la vertu ; et, dès qu'il est coupable, il est « puni. Fort bien IMais n'est-iî pas plaisant qu'on pré« tende ainsi régler après coup les mouvemens du cœur « sur les préceptes de la raison, et qu'il faille attendre « les événemens poursavoirquelle impression l'on doit « recevoir des situations qui les amènent? Le mal qu'on « reproche au théâtre n'est pas précisément d'inspirer « des passions criminelles, mais de disposerl'ameàdes « sentimens trop tendres , qu'on satisfait ensuite aux « dépens de la vertu. Les douces émotions qu'on v « ressent n'ontpasparelles-mêmes un objet déterminé) « mais elles en font naître le besoin : elles ne donnent <i pas précisémentde l'amour; mais elles préparent à en « sentir : elles ne choisissent pas la personne qu'on doit « aimer; mais elles nous forcent à faire ce choix. Ainsi « elles ne sontinnocentes oucriminelles, que par l'Usage « que nous en faisons, selon notre' caractère; et ce ca« ractère est indépendant de l'exemple. Quand il seroit « vrai qu'on ne peint au théâtre que des passions légi« times, s'ensuit-il de là que les impressions en sontplns « foibles , que les effets en sont moins dangereux? « Comme si les vives images d'une tendresse innocente « étaient moins douces, moins séduisantes, moins ca« pables d'échauffer un cœur sensible, que celles d'un « amour criminel, à qui l'horreur du vicesertaumoins « de contre-poison ! Mais si l'idée de l'innocence em« bellit quelques instans le sentiment qu'elle accom« pagne, bientôt les circonstances s'effacent de la mé« moire, tandis que l'impression d'une passion si douce « reste gravée au fond du cœur. Quand le patricien « Manilius fut chassé du sénat de Rome, pour avoir « donné unbaiser à sa femme en présence de sa fille,à « ne considérer cette action qu'en elle-même, qu'a<< voit-elle de répréhensible ? Rien , sans doute : elle (( annoncoit même un sentiment louable. Mais les « chastes feux de la mère en pouvoienl inspirer d'im« purs à la fille. C'étoit donc d'une action fort lion« nête, faire un exemple de corruption. Voilà l'effet 3 des amours permis du théâtre.,^
�G O U Ti ari « Qu*on nous peigne l'amour comme on voudra, il <! séduit, ou cen'estpas lui. S'il estmalpeint, la pièce, « est mauvaise ; s'il est bien peint, il offusque tout « ce qui l'accompagne. Ses combats , ses maux , ses « souffrances le rendent plus touchant encore que s'il « n'avoit nulle résistance à vaincre. Loin que ces « tristes effets rebutent, il n'en devient que plus in« téressant par ses malheurs même. On se dit malgré « soi, qù'un sentiment si délicieux console de tout. « Une si douce image amollit insensiblement le cœur : « on prend de la passion ce qui mène au plaisir; on en « laisse ce qui tourmente. Personne ne se croit obligé « d'être un héros , et c'est ainsi qu'admirant l'amour « honnête , on se livre à l'amour criminel.... « Ce qui achève de rendre ces images dangereuses, « c'est précisément ce qu'on fait pour les rendre agréa« bles; c'est qu'on ne les voit jamais régner sur la « scène qu'entre des ames honnêtes ; c'est que les « deux amans sont toujours des modèles de perfec« tion. Et comment ne s'intéresseroit-on pas pour une « passion si séduisante entre deux cœurs dont le ca« ractère est déjà siintéressant par lui-même? Je doute « que dans toutes nos pièces dramatiques, on en trouve « une seule où l'amour mutuel n'ait pas la faveur du « spec tateur. Si quelque infortuné brûle d'un feu non % partagé, on en fait le rebut du parterre. On croit « faire merveilles de rendre un amant estimable ou « haïssable, selon qu'il est bien ou mal accueilli dans « ses amours; de faire toujours approuver au public « les sentimens de sa maîtresse , et de donner à la « tendresse tout l'intérêt de la vertu; au lieu qu'il « faudrait apprendre aux jeunes gens à se défier des « illusions de l'amour, à fuir l'erreur d'un penchant « aveugle , qui croit toujours se fonder sur l'estime; « et à craindre quelquefois de livrer un cœur ver« tueux à un objet digne de ses soins. » ( On peut consulter l'article ELOQUENCE , qui doit être regardé comme la suite de celui-ci. )
�G îl A C Ë Si
GRACES. ii LA première fois que tfémosthène voulut parler devant le peuple, il y réussit tout-à-fait mal. Sa voix étoit foible , sa langue embarrassée , sa respiration très-courte. On se moqua généralement du téméraire orateur, qui revint chez lui découragé , bien résolu de renoncer pour toujours à une fonction dont il se croyoit incapable. Un de ses auditeurs, qui au travers de ces défauts , avoit aperçu dans ce jeune homme Un excellent fonds de génie, et une éloquence mâle et vigoureuse , lui fit reprendre courage5 et lui donna de sages avis. Il parut donc une seconde fois devant le peuple , et n'en fut pas mieux reçu. Comme il s'en' retotirnoit la téte baissée et plein de confusion, un des plus excellens acteurs de ce temps, nommé Safjrus, le rencontra , et, ayant appris de lui la cause de son chagrin, il lui fit entendre que le mal n'étoitpas sans remède. « Récitez-moi seulement quelques scènes de « Sophocle ou d'Euripide. » Démosthène le fit sur l'heure; et le comédien, répétant après lui les mêmes endroits, leur donna tant de grâces par le ton, le geste et la vivacité avec lesquels il les prononça , que le jeune orateur les trouva tout différens ; convaincu des charmes que la prononciation et l'action donnent aù discours, il s'appliqua dès-lors à cette partie de l'éloquence. Les efforts qu'il fit pour corriger le défaut turel qu'il avoit dans la langue, et pour se perfectionner dans la prononciation, paraissent presque incroyables , et font bien voir qu'un travail opiniâtre triomphe de tous les obstacles. Il bégayoit à un point qu'il ne pouvoit exprimer certaines lettres : et son haleine étoit si gênée, qu'il ne pouvoit prononcer une période un peu longue, sans s'arrêter deux ou trois fois. Il vint a bout de vaincre tous ces défauts, en mettant dans sa bouche de petits cailloux, et prononçant ainsi plusieurs Vers de suite à haute voix, sans s'interrompre, et cela
>
même
�GRACES»
273
même en marchant, et en montant par des endroits fort roides et fort escarpés ; en sorte que , dans la suite , nulle lettre ne l'arrêta, et que les plus longues périodes n'épuisoient point sa respiration. Il fitplus : il al loi t sur le bord de la mer; et dans le temps que les flots étaient le plus violemment agités, il y déclamoit des harangues, pour s'apprivoiser, par le bruit confus des vagues, aux émeutes du peuple , et aux cris tumultueux des assemblées. Il ne prit pas moins de soin du geste que de la voix. Il avoit chez lui un grand miroir qui lui servoit de maître à déclamer, et dans lequel il étudioit ses défauts pour les corriger. Il en avoit un sur-tout qui le mortifioit sensiblement : c'était de hausser continuellement les épaules. Pour s'en défaire, il s'exerçoit debout dans une espèce de tribune fort étroite , où pendoit une pique , afin que si , dans la chaleur de l'action, ce mouvement venoit à lui échapper, la pointe de cette pique lui servît d'avertissement et de punition tout ensemble. Ce grand homme fut bien payé de toutes ses peines, puisque ce fut par ce moyen qu'il porta à son comble l'art de la déclamation : il en connoissoit bien le prix et l'importance. Aussi quelqu'un lui demandant quelle étoit la première qualité nécessaire à l'orateur, « C'est l'action, ré« pondit-il. — La seconde ? — C'est l'action. — La «troisième ?— C'est encore l'action, c'est-à-dire , « l'art de déclamer et de prononcer avec grâces. » 2. Agésilas, roi de Lacédémone , étoit boiteux, et d'une taille fort petite ; mais ces défauts étaient couverts par les grâces de sa personne, et plus encore par la gaieté avec laquelle il les supportait, et en railloit le premier. On peut dire même que ces vices du corps mettaient dans un plus grand jour son courage et son ardeur pour la gloire. Le travail le plus opiniâtre, les entreprises les plus fatigantes, il étoit. le premier à les embrasser. Par ses manières officieuses et obligeantes, soutenues d'un mérite supérieur, il se fît un grand crédit , et acquit dans la ville un pouvoir presque absolu , qui alla jusqu'à le rendre suspect à sa patrie. Les éphores, pour en prévenir; les suites , et pour amortir «on, Tom. IL S
�CRA N. D EUR
D'A M E.
ambition, le condamnèrent à une amende, alléguant pour tou te raison, que, par ses manières trop gracieuses , il. s'atlachoit à lui seul les coeurs de tous les citoyens qui appartenoient à la république, et ne dévoient être possédés qu'en commun. 3. Louis XIV mettoit des grâces et de la noblesse dant toutes ses actions. Il s'exprimoit avec une majestueuse précision, s'étudiant en public à parler comme à agir en souverain. Lorsque le duc d'Anjou partit pour aller régner en Espagne , il lui dit , pour marquer l'union qui alloit désormais joindre ces deux nations : « Il n'y a plus de Pyrénées. » Dans la conquête de la Franche-Comte, sa présence acheva de lui gagner les coeurs de ceux que ses armes lui avoient soumis. Un paysan qui le vit , ne put s'empêcher de dire, dans cette surprise que donne un objet qu'on admire : « Je ne m'en étonne plus ! Voyez MANIÈRES.
GRANDEUR
D'AME.
i. 1~ÏATEMTAI étoit le plus libéral et le plus généreux des Arabes de son temps. On lui demanda s'il avoit jamais connu quelqu'un qui eût le cœur plus noble que lui. Il répondit : « Un jour , après avoir fait un « sacrifice de quarante chameaux, je sortis à la cam« pagne avec des seigneurs arabes , et je vis un « homme qui avoit ramassé une charge d'épines sèches « pour brûler. Je lui demandai pourquoi il n'alloit pas « chez Hatemtai, où il y avoit un grand concours de <i peuple, pour avoir part au régal qu'il faisoit? — Qui « peut manger son pain du travail de ses mains, me « répondit-il, ne veut pas avoir obligation à Hatemtai. « — Cet homme , ajouta Hatemtai, a le cœur plus « noble que moi. » 2. Sous le règne du grand Constantin, un esprit de rébellion s'empara des habitans d'Alexandrie, et ,dans sa fureur aveugle , la populace s'étoit portée jusqu'à outrager les statues de l'empereur. Il en fut informé, ou
�GRANDEUR
D'iMÏ,
Fexoitoit à Ta vengeance. On se récrioit sur Pénormité de l'attentat : en ne trouvent pas de supplice assez rigoureux pour punir des forcenés-qui avoient insulté, a coups de pierres, la face du prince. Dans la rumeur de cette indignation universelle, Constantin,portant la main à son visage, dit en souriant : « Pour moi, je ne « me sens pas blessé. » Cette parole ferma la bouche aux courtisans, et ne sera jamais oubliée de la postérité. 3. Lorsque Louis XIITut monté sur le trône, quelques courtisans essayèrent d'animer son ressentiment contre ceux qui lui avoient été contraires , quand il n'étoit que duc d'Orléans. « Ce n'est pas à un roi de « France, répondit-il, à venger les injures du duc « d'Orléans. » Un seigneur lui demanda la confiscation des biens d'un bourgeois d'Orléans , qui avoit autrefois montré une haine ouverte contre lui. « Je n'étais « pas son roi, répondit-il, lorsqu'il m'a offensé : en le « devenant, je suis devenu son père; je suis obligé de « lui pardonner. » 4- On présentait à Alexandre un pirate qu'on avoit arrêté, mais qui, au milieu de fers, à la vue des supplices, conservoit encore cette fierté d'ame qui distingue les cœurs intrépides. «De quel droit, lui demanda « le monarque, oses-tu infester les mers? — Et toi, « répondit le captif, de quel droit ravages-hi î univers?" « Parce que je cours les mers avec un seul petit vais« seau, ou me traite de pirate; et toi , qui fais la même « chose avec une flotte nombreuse, on t'appelle roi. » Cette réponse hardie et pleine de grandeur d'ame valut lavieauprisonnier.^Zë^anjA-elerenvoj^asurle-chanTp-. 5. Valcntinien U, excité par Justine , sa mère et sa tutrice , avoit déclaré la guerre aux catholiques, pour faire triompher l'arianisme. U voulut mettre les hérétiques en possession de toutes les églises de Milan; mais il trouva dans S. Ambroise, évéque de cette ville, une résistance qui triompha de tous ses efforts. Le prélat offrit au prince de lui abandonner toutes les terres de l'Eglise ; mais il lui refusa de luilivrerlamaisondeDieu. On lui ordonne de sortir de Milan ; on le menace de h mort, s'il n'obéit. Il se détermine à ne point partir
�276 GRANDEUR D'AME. et à se laisser enlever de force, plutôt que de se rendre coupable d'avoir abandonné les temples du Seigneur à la merci des Infidèles. Il répond auxotficiers de Valentinien, qu'il respecte l'empereur, mais qu'il craintDieu plus que le prince ; qu'il ne peut abandonner son église; que la violence pourra bien en séparer son corps, mais non pas son esprit; que, si le prince fait usage du pouvoir impérial, il ne lui opposera que la patience épiscopale. Le peuple, résolu de mourir avec son évêque, accourt à l'église ; il y passe plusieurs jours etplusieurs nuits. Les églises étoient alors environnées d'un vaste enclos qui renfermoit plusieurs bàtimens pour le logement, de l'évêque et du clergé. Tant que durèrent les attaques du prince, le peuple ne sortit pas de cette enceinte ; et, il en restait toujours un grand nombre dans l'église m êm e, où, prosternés aux pieds des autels qu'ils baignoicnt de leurs larmes, ils imploroient pour eux et pour leur pasteur le secours du Ciel. Ce fut en cette rencontre que , pour occuper le peuple , et dissiper l'ennui d'une si longue résidence, S. Ahibroiseïit, pour la première fois, chanter des hvmnes. Il en composa lui-même, qui firent dans la suite partie de l'office de l'Eglise : il introduisit aussi le chant des psaumes à deux choeurs; et cette coutume, déjà établie dans les églises orientales, se répandit de Milan dans tout l'Occident. Ces chants étoient interrompus par les gémissemens du peuple. Pour le consoler, et le contenir en même temps dans les bornes de la soumission due aux souverains , S. Ambroise montait de temps en temps dans la tribune, et tàchoit de faire passer dans le cœur des Fidèles la sainte assurance dont le sien étoit rempli. « Je « ne consentirai jamais à vous abandonner , leur disoit« il ; mais je n'ai contre les soldats et les Goths d'au« ft-es armes que des prières au Dieu que nous servons: « telle est la défense d'un prêtre. Je ne puis ni ne dois « combattre autrement : je ne sais ni fuir par crainte, « ni oposer la force à la force. Vous savez que j'ai cou« tume d'obéir aux empereurs ; mais je ne veux leur « sacrifier nî ma religion , ni ma conscience. La mort « qu'on endure pour Jésus-Christ n'est pas une mort;
�GRANDE TJ R DAME. 277 « c'est le commencement d'une vie immortelle. » Pendant qu'il partait, l'église fut investie de soldats que la conr envoyoit pour gai'der les portes , et empêcher les catholiques d'en sortir. « J'entends, disoit Ambroise, le « bruit des armes qui nous environnent : ma foi n'en « est pas effrayée. Je ne crains que pour vous : laissez« moi combattre seul. L'empereur demande l'église et « les vases sacrés : ô prince! demandez-moi mes biens, « mes terres, mamaison, ce quej'aid'oret d'argent,je « vous l'abandonne. Pour les richesses du Seigneur, je « n'en suis que le dépositaire : il vous est aussi perni« cieux de les recevoir, qu'à moi de vous les donner. « Si vous me demandez le tribut, nous ne vous le re« fusons pas; les terres de l'Eglise paient le tribut. Si « vous voulez nos terres , vous avez le pouvoir de les « prendre ; nous ne nous y opposons pas : les collectes « du peuple suffiront pour nourrir les pauvres. » Ces paroles généreuses étoient reçues avec de grands applaudissemens. Les soldats , qui étoient au dehors , pleins de respect pour celui même qu'ils tenaient assiégé , joignoient leurs acclamations à celles du peuple^ Ce concert alarma l'empereur et sa mère, qui, voyant qu'ils ne pouvoient rien gagner sur l'esprit du magnanime prélat , s'avouèrent vaincus en faisant cesser la persécution. 6. Lorsque S. Louis étoit en Palestine, il lui vint une ambassade du prince des Assasins , souverain de soixante mille fanatiques aveuglement soumis à ses ordres , et dont il se servoit quand il'jugeoit à propos de faire périr les rois qui lui déplaisoient. Aussi, lorsqu'il sortoit de son palais, un homme marchoit-iJ devant lui, en criant : «Détournez-vous de devant celui qui porte « entre ses mains la mort des monarques. » Le chef de la députation s'étant présenté devant le saint roi : « Sire, lui dit-il, connoissez-vous monseigneur etmaî« tre, \eVieux de la Montagne? Non, répliquafroi« dément Louis; mais j'en ai entendu parler. — Si cela « est, reprit l'ambassadeur, je m'étonne que vous ne « lui ayez pas encore envoyé des présens pour vous « en faire un ami. C'est un devoir dont s'aequittent S 3
�278 G IV A IV D EUR D' A M E. « régulièrement tous les ans l'empereur d'Allemagne, « le roi de Hongrie, le Soudan de Babylone , et plu« sieurs autres grands princes, parce qu'ils n'ignorent « pas qu'il est l'arbitre de leurs jours. Je viens donc « vous sommer, de sa part , de ne pas manquer à le « satisfaire sur ce point, ou du moins de le faire déchar« ger du tribut qu'il est obligé de payer tous les ans « aux grands maîtres du temple et de l'hôpital de Je'ru« salem. Il pourroit se défaire de l'un et de l'autre ; « mais bientôt ils auroient des successeurs : sa maxime « n'est pas de hasarder ses sujets pour avoir toujours à « recommencer. » Le roi écouta paisiblement l'insolente harangue du député, et lui ordonna de revenir le soir pour avoir sa réponse. Il revint : le grand-maîire du temple et celui de l'hôpital, qui se trouvèrent à l'audience, l'obligèrent, par ordre du monarque, à répéter ce qu'il avoit dit le matin, et le remirent encore au lendemain. Le fier assassin n'étoit point accoutumé à ces manières hautaines. Mais quelle fut sa surprise, lorsque les grands-maîtres lui dirent qu'on ne parloit point de la sorte à un roi de France ; que, sans le respect de son caractère, on l'aurait fait jeter à la mer; qu'il eût enfin à revenir dans quinze jours pour expier l'inculte faite à la majesté royale. Une si noble fierté fit trembler pour les jours du monarque. On connoissoit c. les, aiUmtats du barbare, et la fureur de ceux à qui jl confioit l'exécution de ses crimes. Mais la grandeur me de Louis étonna le Vieux de la Montagne : il craignit lui-même un prince qui leçraignoitsipeu',etlui renvoya sur-le-champ l'ambassadeur, avec des présens également singuliers, bizarres, curieux et magnifiques. « C étoit, d'un côté, sa propre chemise, pour marquer, « par celui de tous les vêtemens qui touche le corps de « plus près, qu "il étoit de tous les rois celui avec lequel « il vouloit avoir une plus étroite union ; et de l'autre, « un anneau de fin or pur, où son nom étoit gravé, eu « signifiant qu'il l'épousoit pourêtretoutàun, comme « les doigts de la main. » Ces symboles étranges furent accompagnés d'une caisse remplie de plusieurs ouvrages do cristal de roche , où il y avoit un éléphant ?
�GRANDEUR. D' A M E. 2/5 diverses figures d'homme, un échiquier, et des échecs de même matière , le tout orné d'or, et parfumé d'ambre. Le saint roi sentit une foie secrète d'avoir obligé ce barbare à s'humilier ; mais ne voulant pas se laisser vaincre en générosité, il lui envoya aussi de riches présens , qui consisloient en un grand nombre de vcsles d'écarlate, de coupes d'or et de vases d'argent. C'est ainsi que, par son héroïque intrépidité, Louis s'altiroit les respects d'un prince inhumain , qui faisoit gloire de ne respecter personne : c'est ainsi que ce grand monarque avoit fait éclater sa constance dans les fers. Héros jusque dans sa captivité, mille fois il vit, d'un œil tranquille, la mort suspendue sur sa tête et sur celles de ses plus fidèles serviteurs : il la brava toujours , plutôt que de souscrire à des conditions flétrissantes. Toujours il traitoit en maître avec ses vainqueurs, qui, pleins d'admiration , disoient de lui : « C'est le plus fier chrétien que nous ayions jamais vu. » Souvent dans un accès de furerir, ils s'écrioient en sa présence : « Quoi ! tu es notre captif, et tu nous traites « en souverain, comme si nous étions dans tes fers ? » Après la mort de leur Soudan, qu'ils avoient assassiné, ils mirent en délibération de le placer sur leur trône. Mais sa fermeté leur fit appréhender qu'il ne renversât leurs mosquées, qu'il ne détruisît leur religion. Quand ce grand prince se fut embarqué pour retourner dans son royaume , son vaisseau fut battu par la tempête la plus affreuse. Le pilote et tous les matelots pressèrent le monarque de passer sur un autre navire. « Dites-moi, leur répondit-il, sur la foi et la loyauté « que vous me devez, si le vaisseau étoit à vous , et « chargé de riches marchandises, l'abandonneriez-vous « en pareil état? — Non, sans doute, répliquèrent-ils « d'une voix unanime; nous aimerions mieux hasarder « tout, que défaire une perte si considérable. — Pour« quoi donc me conseillez-vous d'en descendre ? — « C'est que la conservation de quelques malheureux « matelots importe peu à l'univers, mais rien ne peut « égaler le prix d'une vie comme celle de votre majesté. « — Or, sachez, dit le généreux prince, qu'il n'y a per-
s
4
�280
GRANDEUR,
D'A )I
i.
« sonne ici qui n'aime son existence, autant que je puis « aimer la mienne. Si je descends, ils descendront « aussi ; et ne trouvant aucun bâtiment qui puisse les « recevoir, ils se verront forcés de demeurer dans une ' « terre étrangère, sans espérance de retourner dansleur « pays. C'est pourquoi j'aime mieux mettre en la main « de Dieu ma vie , celle de la reine et de nos trois « enfans, que de causer un tel dommage à un si grand « peuple. » Il n'appartient qu'aux héros véritablement chrétiens de donner ces glorieux exemples de magnanimité. C'est par de semblables vertus que Louis s'acquit sur tous les cœurs un empire plus puissant encore et plus satisfaisant que celui qu'il devoit à sa naissance. 7. Le chevalier Bajard avoit remarqué dans Grenoble une jeune fille d'une grande beauté. Il s'informa de son nom et de son état ; et l'obscurité de sa naissance, ainsi que la misère de ses parens,laissant plus de liberté à ses désirs, il les confia à son valel-de-chambre. Ce domestique, ayant trouvé moyen de s'introduire chez la mère de la jeune fille , reconnut dans la première pi u s de préjugés que de véritables sentimens d'honneur, et siir-tout un grand amour du gain; mais la jeune fille, retenue par l'exemple et les leçons de quelques personnes considérables qui la recevoient chez elles, et fière comme ie sont toutes les belles , laissoit moins d'espérance au confident du chevalier , qui la savoit d'ailleurs prévenue d'une forte passion pour un jeune homme de son état. Ce domestique, voulant satisfaire son maître , parla ouvertement à la mère , offrit de l'argent, et obtint la fille. La réputation de générosité que s'étoit acquise le chevalier Bajard fut en partie ]a cause de son peu de résistance : elle vint dans la chambre du héros, où, le voyant seul, elle se jeta à ses genoux : « Monseigneur, lui dit-elle toute en pleurs, « vous qui avez sauvé tant de villes, et conservé l'hon« neur à tant de familles , voudriez-vous ravir celui « d'une malheureuse qu'on vous livre malgré elle , et « dont votre vertu devroit vous rendre le premier dé« fensenr ? » Ces mots touchèrent la grande ame du chevalier. II ne vit plus dans son, action que ce qu'elle
�GRANDEUR D'AME. 281 fvoil de criminel. «Levez-vous, ma fille ; lui dit-il ;vduS « soutirez de chez le cheA'alier Bajard aussi sage et « plus heureuse que vous n'y êtes entrée. » En même temps il la conduisit chez une dame de ses parentes, à qui il recommanda le secret. Le chevalier envoya, le lendemain de bonne heure , chercher la mère de celte fille , qui fut consternée, quand, au lieu de,la récompense qu'on lui avoit promise, elle se vit. exposée aux reproches de Bajard. Cette femme allégna la misère , excuse valable pour le peuple, et l'impuissance où elle s'étoit trouvée de marier sa fille. « Com« bien vous demande-t-on pour cela? dit Bajard. — « Six cents francs, répondit-elle. » Le généreux che« valier les donna sur-le-champ , et ajouta deux cents autreslivresponrles habits delà fille ; puis il la congédia, satisfait de s'être épargné un crime en domptant sa passion, et d'avoir contribué au bonheur d une infortunée. .8. Le célèbre Ca/ra/Ze assiégeoit la ville de Faiéries, dont les habitans, par les secours qu'ils avoient donnés aux Véiens , avoient provoqué le courroux de la république romaine. Pendant que ce grand homme hâtoit ses travaux, la fortune lui offrit une occasion de prendre la place, qu'une ame moins belle , moins généreuse que la sienne, auroit sans doute saisie. Le maître, qui instruisoit les enfans des principaux citoyens, sous prétexte de les mener promener, les fit sortir de la ville , et les conduisit au camp du général romain. « Ces enfans que je vous livre, lui dit-il, vous assurent « la prise de Faiéries. » Camille, plein d'horreur pour cette noire perfidie, jeta sur le traître un regard menaçant. « Scélérat, lui dit-il, va faire ton infâme présent « à un peuple , à un général qui te ressemblent : tu « t'es trompé, en t'adressant aux Romains. Nous n'a« vons , il est vrai, avec les Falisques , aucune union « politique ; mais la nature a mis entre eux et nous « un commun intérêt que nous respecterons toujours. « La guerre a ses droits , ainsi que la paix ; et nous « savons les observer avec autant de justice que de« courage. Nous sommes armés, non point contre cet <t, âge, que l'on épargne dans le saccagement même des
�a32
GRANDE U R
D' A M E.
« villes, mais contre des hommes armés eux-mêmes , « qui , sans être offensés , sans être provoqués par « nous, ont osé nous bloquer dans notre camp devant « Véies. Aujourd'hui ton crime a surpassé le leur : tu « triomphes de tes concitoyens en scélératesse. Peu « triompherai , moi, par les vertus romaines, la pru« dence , l'activité , le courage ; et bientôt Faiéries « aura le sort de Véies. » Après ce terrible discours, Camille fait, arrêter le traître , ordonne qu'on le dépouille; puis armant les mains de ses jeunes élèves de fouets et de verges, il leur commande de reconduire à grands coups , dans la ville , leur perfide pédagogue. Les enfans obéirent avec joie, et leur retour frappa singulièrement tous les citoyens. Quand ils eurent appris le sujet de cette espèce de comédie , pleins d'admiration pour la vertu romaine , ils envoyèrent au sénat des ambassadeurs qui s'exprimèrent de la sorte: « Auguste compagnie, vaincus par vos soldats et votre « général, nous venons mettre le comble à votre glo« rieux triomphe, en nous soumettant à vous, persua« dés que nous vivrons plus heureusement sous votre « empire, qu'en continuant d'obéir à nos lois. L'issue «de cette guerre offre un bel exemple au genre « humain : vous l'instruisez, vous, en préférant dans « la guerre, la bonne foi à la victoire ; nous, en nous « donnant sans réserve à des vainqueurs si généreux. « Maintenant nous sommes à vous, illustres sénateurs : « envoyez à Faiéries des guerriers qui prennent pos« session de la ville ; les portes sont ouvertes , les « otages préparés. Nous vous serons toujours fidèles : « nous vous obéirons toujours avec reconnoissance. » 9. Pendant la guerre des Romains contre Pyrrhus , roi d'Epire, un inconnu vint trouver Fabricius, général de l'armée, dans son camp, et lui rendit une lettre du médecin du roi , qui lui offrait d'empoisonner Pyrrhus, si les Romains lui promettaient une récompense proportionnée au grand service qu'il leur rendrait , en terminant une guerre si importante , sans aucun danger pour eux. Fabricius , sachant qu'il y a des droits inviolables à l'égard même des ennemis, fui
�GRANDEUR D' A M E. 283 frappé d'une piste horreur à cette proposition. Comme il ne s'étoit point laissé vaincre par For que le monarque lui avoit offert dans une autre circonstance, il crut qu'il seroi t honteux de vaincre ce prince par le poison. Après en avoir conféré avec son collègue Emilius, il écrivit promptement à Pyrrhus , pour l'avertir de se pi'''cautionner contre cette noire perfidie. Sa lettre étoit conçue en ces termes :
et OUINTUS-EMILIUS , consuls, nu roi PYRRHUS : salut. « Il paroît que vous vous connoissez malra amis et « en ennemis ; et vous en tomberez d'accord, quand « vous aurez lu la lettre qu'on nous a écrite ; car vous « verrez que vous faites la guerre à des gens de bien « et d'honneur , et que vous donnez toute votre con^« fiance à des médians , à des perfides. Ce n'est pas « seulement pour l'amour de vous que nous vous don« nons cet avis , mais pour l'amour de nous-mêmes , « afin que votre mort ne donne point une occasion de « nous calomnier, et qu'onne croie pas que nous avons « eu recours à la trahison, parce que nous désespérions « de terminer heureusement cette guerre par notre « courage. » Pyrrhus, ayant reçu cette lettre, s'écria, plein d'admiration : « A ce trait, je reconnois Fabricius ; il seroit « plus facile de détourner le soleil de sa route ordi« naire , que de détourner ce Romain du sentier de « la justice et de la probité. » Quand il eut bien avéré le fait énoncé dans la lettre , il fit punir du dernier supplice son infâme médecin 5 et pour témoigner au général ennemi sa vive reconnoissance, il lui renvo)ra tous les prisonniers sansrançon.Le magnanime consul, ne voulant accepter ni une grâce de son ennemi , ni une récompense pour n'avoir pas commis la plus abominable de toutes les injustices , ne refusa point les prisonniers , mais il lui renvoya un pareil nombre de Tarentins et de Samnites. 10. JEmilius-Scaurus , général romain , accusé par un certain Varius d'avoir reçu de l'argent du roi
CAIUS-FJRRICIUS
�234 GRANDEUR D'A M E. Mithridate , pour trahir la république , plaida ainsi sa cause : « Varius accuse Scaurus de s'être laissé « corrompre par les ennemis de Rome ; et Scaurus nie « avoir commis ce crime : lequel devez-vous croire ?» L'accusation tomba aussitôt. 11. ScipionY Africain, ayant été accusé par quelques tribuns , n'entreprit point de se justifier des crimes qu'on lui imputoit ; il dit seulement : « Romains , ce « jour est le même où j'ai vaincu Annibal dans les « plaines de Zama : je vais au Capitole en rendre grâces « à Jupiter.» Aussitôt il s'avança vers le temple de ce dieu • avec cet air majestueux qu'il avoit dans son triomphe.Le peuple le suiviten faisant de grandes acclamations , et les accusateurs restèrent seuls sur la place. 12. De retour à Thèbes, après avoir remporté plusieurs victoires, Epaminondas fut accusé d'avoir gardé le commandement de l'armée plus long-temps qu'il n'étoit permis par les lois.Ce grand général ne s'amusa point à réfuter ses accusateurs. «Je ne refuse pas, dit« il,desubirlarigueur des lois ; je demande seulement « qu'après ma mort, on grave sur mon tombeau cette « inscription : Epaminondas fut condamné à mort pour « avoir , malgré les Thébains , ravagé les terres des « Lacédémoniens leurs ennemis ; rebâti la ville deMes« sine, établi dans l'Arcadie une paix solide, et rendu . « la liberté aux Grecs. » Cette harangue , d'un genre si nouveau, déconcerta les juges qui n'osèrent le condamner. En rentrant dans sa maison , accompagné de ses amis qui le félicitoient, son petit chien vint à lui, et lui fit mille caresses. Epaminondas, attendri, se tourna vers ceux qui l'environnoient: «Ce chien, leur dit-il, « me marque sa reconnoissance des soins que je prends « de lui ; et les Thébains , à qui j'ai rendu tant de « services , veulent me condamner à la mort ! » 13. Ljcurgue , après la mort de son frère , qui ne laissoit point d'enfant mâle , pouvoit aisément monter sur le trône ; et il fut roi, en effet, pendant quelques jours. Mais dès que la grossesse de sa belle-sœur fut connue,il déclara que la royauté appartenoit à l'enfant qui en naîtroit > si c'étoit un fils ; et, dès ce moment,
�283 1 administrai royaume comme son tuteur. Cependant la veuve lui envoya dire sous main qne s'il vouloit lui promettre de l'épouser quand il seroit roi, elle feroit périr son fruit : une proposition si détestable fit horreur àlycurgue : il dissimula néanmoins, et amusant cette femme par différens prétextes, il la mena jusqu'à son terme. Quand l'enfant fut venu au monde , il le prit entre ses bras ; et adressant la parole à ceux qui étoient présens : « V oici, dit-il, le roi qui nous vient de naître , « seigneurs Spartiates ; » en même temps il le mit dans la place du roi, et le nomma Cliarilaùs, à cause de la joie que tout le peuple témoigna de sa naissance. i4- A peine Antigonus IIfut-il monté sur le trône de Macédoine, que le peuple parut fâché de l'avoir pour souverain. Il le fit assembler ; et, détachant son diadème , il dit qu'on n'avoit qu'à le donner à celui qu'on en croiroit le plus digne. Le peuple, frappé de cette offre inattendue, et charmé d'ailleurs des exploits à'Antigonus , le pria de garder la couronne ; mais il ne consentit à la reprendre, qu'après que les séditieux eurent été punis. i5. Mœvius, centurion de l'armée à'Auguste , fut pris et conduit à Antoine , qui , d'un ton terrible , lui demanda quel traitement il vouloit qu'on lui fît : « Fais-moi mourir, répondit-il 5 car ni la crainte, ni « la reconnoissance ne pourront jamais m'engager à « quitter le parti à'Auguste pour embrasser le tien. » Voyez CLÉMENCE, CONSTANCE, EGALITÉ, HÉROÏSME,
GRAVITÉ. INTRÉPIDITÉ , MAGNANIMITÉ.
GRAVITÉ.
1. IVÏ.D'ARGENSON, à quiParis doit, en quelque sorte la naissance de sa police , savoit quel est le pouvoir d'un magistrat sans armes, et avoit le courage de s'y fier. La cherté étant excessive dans les années 1709 et 1710 , le peuple, injuste parce qu'il souffroit, s'en prenoit en partie à M. à'Argenson , qui cependant
�286 GRAVITÉ. tàchoit, par toutes sortes de voies, de remédier à cette calamité. Il y eut quelques émotions qu'il n'eût été ni prudent ni humain de punir trop sévèrement. Ce grave magistrat les calma , et parla sage hardiesse qu'il eut de les braver, et par la confiance que la populace , quoique furieuse , avoit toujours en lui. Un jour, assiégé dans une maison où une troupe nombreuse vouloit mettre le feu,, il en fit ouvrir la porte, se présenta , parla , et appaisa tout. 2r Apollonius de Thyane , dont l'es actions sont si célèbres dans le paganisme , embrassa la secte de Pythagore, et se- condamna au silence pour cinq ans. Nul temps de la vie ne lui parut , de sou aveu , plus dur et plus pénible; mais si sa langue demeurait dans l'inaction , toute sa personne parloit ; l'air du visage, les mouvemens de tête, les yeux, la main , tout éloit employé pour suppléer air défaut de la parole ; et ses gestes éloquens avoient tant de vertu, que , par ce seul moyen, il appaisa une sédition. Aspendus, l'une des grandes villes de la Pamphilie, souffrait la-famine, par l'injuste avarice des riches qui serraient le blé , afin de je vendre à un plus haut prix. Le peuple s'en prit au magistrat , qui > se voyant menacé de périr , se réfugia auprès d'une statue de l'empereur ; mais la multitude, ne connoissant aucun frein dans sa rage , se préparait à brûler le magistrat suppliant au pied de la statue même. Dans le moment arrive Apollonius , qui , s'adressant au magistrat,.fit un geste de la main pour l'in terroger sur la cause de l'émeute. Le magistrat répondit qu'il n'avoit rien à se reprocher , mais que le peuple ne-vouloit pas entendre ses raisons. Le philosophe muet se retourna vers les mutins, et par un signe de tête , il leur ordonna de se disposer à écouter. Non-seulement ils se turent , mais ils quittèrent le feu qu'ils avoient déjà dans les mains. Le magistrat v reprenant courage , nomma les au teurs de la misère publique, qui se tenoient à la campagne, ayant de différens côtés- leurs.maisons et leurs magasins. Les-Aspendiens vouloient y courir. Par un geste dje défense, Apollonius, les arrêta, et leur fit entendre
�G R A V I T
É.
287
qu'il valoit mieux mander les coupables. On les fit venir ; et leur vue ayant renouvelé les plaintes du peuple, les vieillards, les femmes , les enfans jetèrent des cris lamentables. Peu s'en fallut que le grave philosophe n'oubliât la loi qu'il s'étoit imposée, et n'exprimât, par des paroles , les sentimens d'indignation et de pitié qui le pénétroient en même temps. 11 respecta néanmoins son engagement pythagorique ; et s'étant. fait apporter des tablettes, il y écrivit ces mots : «Apol« lonius , aux monopoleurs des blés d'Aspendus. La « terre est juste ; elle est mère commune de tous, les « hommes ; et vous , hommes barbares , vous voulez « seuls profiter de ses faveurs ! Si vous ne changez de, « conduite, je ne vous laisserai pas subsister sur la « face du globe.» Les coupables , intimidés par cette menace , garnirent les marchés de blé, et la famine cessa. 3. Une disette avoit mis les vivres à un prix excessif, et Rome se voyoit à la veille d'être en proie aux horreurs de la famine. Les tribuns, magistrats séditieux, qui profitoient des malheurs publics pour les.aggraver par la discorde, s'efforcoient de révolter le peuple contre le sénat; et suivis d'une foule de citoyens , vils sectateurs de ces hommes turbulens, ils voulurent forcer le consul Scipion Nasica à prendre certains arrangemens par rapport aux blés. Ce grand homme s'y opposa fortement, et rejeta leur requête, comme tendant au renversement des constitutions de la république. Il se rendit à l'assemblée du peuple, et commença par exposer les raisons de sa résistance. Tout-à-coup, il fut interrompu par des murmures et par des cris.. Alors , d'un ton d'autorité conforme à son grand mérite : «Romains, dit-il, faites silence. Jesais mieux que « vous ce qui est utile à la république. » A ces mots, toute l'assemblée se tut avec respect ; etla majestueuse gravité d'un seul homme fit plus d'impression sur. bt multitude , qu'un intérêt aussi vif et aussi puissant que celui des vivres et du pain. 4- Eusèbe, gouverneur du Pont et de la Cappadoce, oncle de l'impératrice, et dévoué aux Ariens, saisissoit
�288 GRAVITÉ. tontes les occasions de chagriner Basile , évêque de Césarée. Un de ses assesseurs, devenu éperdument amoureux d'une veuve de famille illustre, Vouloit la contraindre à l'épouser. Pour éviter ses poursuites , soutenues de l'autorité du gouverneur, elle se réfugia dans l'église, auprès de la table sacrée. Le magistral Voulut forcer cet asile. Le saint prélat prit ladésfense de cette femme : il s'opposa aux gardes envoyés pour la saisir, et lui procura les moyens de s'échapper. Le gouverneur irrité cita Basile devant son tribunal ; et, le traitant comme un criminel , il ordonna de le dépouiller , et de lui déchirer les flancs avec les ongles de fer. Le prélat se contenta de lui dire : « Vous me « ferez un grand bien, si vous m'arrachez le foie, qui « me cause de perpétuelles douleurs.» Mais les habitans apprenant aussitôt le péril de leur évêque, entrent en fureur : hommes , femmes , enfans , armés de tout ce qu'ils rencontrent, accourent, avec des cris horribles , à la maison à'Eushbe ; chacun brûle d'envie de lui porterie premier coup. Ce magistrat, un moment auparavant , si fier et si intraitable , tremblant pour lors , se jette aux pieds de sa victime. Il n'eut pas besoin de prières. Basile , délivré des bourreaux, alla au devant du peuple. Sa seule vue calma la sédition , et sauva la vie à celui qui lui préparait une mort cruelle. 5. Caton l'ancien assistait aux Jeux Floraux. Le peuple , en présence d'un homme si vertueux et si grave, eut honte de se livrer à la licence ordinaire à ce spectacle. Le rigide censeur s'en étant aperçu , sortit aussitôt pour ne pas troubler les plaisirs du peuple. Tonte l'assemblée l'applaudit avec de grands cris , et l'on continua de célébrer les jeux , selon la coutume. Cette contrainte d'un grand peuple , en présence d'un citoyen, est l'hommage le plus glorieux et le plus vrai qu'on ait jamais rendu à la vertu. 6. Après la mort de Henri IV, le duc de Sully, son confident et son ministre , se retira dans sa maison de Villebon au Perche. Ayant été invité, comme l'un des plus anciens oificiers de la couronne , à se trouver à un
�289 tiH conseil, pour y donner son avis , il y parut âvec son épaisse barbe à la Huguenotle , un habit et des airs passés de mode. S'étant aperçu que les jeunes seigneurs de la nouvelle cour cherchoient à lui donner des ridicules , il dit au roi Louis XIIÎ, en entrant dans le cabinet: «Sire, quand le roi votrepère, de glorieuse « mémoire , me faisoit l'honneur de me consulter , « nous ne commencions à parler d'affaires , qu'ait « préalable on n'eût fait passer dans l'anti-chambre ti les baladins et bouffons de cour. » 7. Un ambassadeur de Charles-Quint auprès de Soliman II, empereur des Turcs, venoit d'être appelé à l'audience de ce prince. Comme il vit , en entrant dans la salle de L'audience , qu'il n'y avoit point de siège pour lui, et que ce n'étoit point par oubli, mais par orgueil qu'on le laissûit tenir debout, il ôta sort, manteau, et s'assit dessus avec autant de liberté que si c'eût été un usage établi depuis long-temps* Il exposa l'objet de sa commission, avec une assurance et une présence d'esprit, que Soliman lui-même ne put s'empêcher d'admirer. Lorsque l'audience fut finie, l'ambassadeur sortit sans prendre Son manteau* On l'en avertit ; il répondit avec autant de gravité que de douceur : « Les ambassadeurs de l'empereur « mon maître île sont point dans l'usage d'emporter « leurs sièges avec eux. » 8. L'ambassadeur d'Angleterre se plaignoit, hautement, à Versailles, des travaux que Louis XIVfai-^ soit faire au portdeMardick.il demanda une audience particulière ; il l'obtint, et parla au roi avec plus de Véhémence que de retenue. Sa majesté ne l'interrompit point ; mais lorsqu'il eut achevé , elle dit : « Mon« sieur l'ambassadeur, j'ai toujours été le maître chez; « moi , quelquefois chez les autres 5 ne m'en faites « pas souvenir. »
GRAVITÉ*
T'orne II*
T
�2Q.0
HABITUDE.
HABITUDE.
i. PLATON, voyant un jeune homme occupé à jouer , lui en fit des reproches très - vifs : « Je ne « joue qu'un très-petit jeu , lui répondit le jeune « homme ; Eh ! comptez-vous pour rien , répliqua « le sage , l'habitude du jeu que vous contractez « par là ? »
2. Le comte de Grammont , étant encore fort jeune , étoit en voj'age avec son gouverneur , pour se rendre à l'armée de Piémont. Il descendit à Lyon, dans une auberge. Le gouverneur , qui appréhendoit, que son élève ne trouvât quelque sujet de dissipation qui l'arrêtât trop long-temps , vouloit le faire souper dans une chambre ; mais le comte, insista à manger en compagnie. « En pleine auberge ! s'écria le rigide « Mentor. Eh ! monsieur , vous n'y pensez pas ; « ils sont une douzaine de baragouineurs à jouer aux « cartes et aux dés , qui font un bruit de diable. » A ces mots de cartes et de dés , dit le comte , qui rapporte lui-même son aventure, je sentis mon argent pétiller. Je descendis , et fus un peu surpris de trouver la salle où l'on mangeoit , remplie de figures extraordinaires. Mon hôte , après m'avoir présenté , m'assura qu'il n'y aurait que dix-huit ou vingt de ces messieurs qui auraient l'honneur de manger avec moi. Je m'approchai d'une table où l'on jouoit, et je pensai mourir de rire. Je m'étois attendu à trouver bonne compagnie et gros jeu ; mais c'étaient deux Allemands qui jouoient au trictrac. Jamais chevaux de carrosse n'ont joué comme iîsfaisoient ; mais leur figure sur-tout passoit l'imagination. Celui auprès duquel je me trouvais , étoit un petit ragot, grassouillet et rond comme une boule. Il avoit une fraise , avec un chapeau pointu haut d'une aune. Non , ii n'y a personne qui , d'un peu loin", né l'eût pris pour le dôme de quelque église avec un clocher dessus. Je
�HABITUDE.
29I.
emandai à l'hôte ce que c'étoit. « Un marchand < de Bàle , me dit-il, qui vient vendre ici des che« vaux; mais je crois qu'il n'en vendra guère de la « manière qu'il s'y prend ; car il ne fait que jouer. « — Joue-t-ïl gros jeu ? lui dis-je. — ÏSon pas à pré« sent, répondit-il ; ce n'est que pour leur écot, en « attendant le souper. Mais , quand on peut tenir le « petit marchand en particulier, il joue Leau jeu. « — A-t-il de l'argent ? lui dis-je. — Oh ! oh ! dit le «perfide Cerize , ( c'étoit le nom de l'aubergiste) « plût à Dieu que vous lui eussiez gagné mille pis« tôles , et moi en être de moitié ! nous ne serions « pas long-temps à les attendre. » 11 ne m'en fallut pas davantage pour méditer la ruine du chapeau, pointu. Je me remis auprès de lui pour l'étudier. Il jouoit tout de travers : écoles sur écoles , Dieu sait ! Je commeneois à me sentir quelques remords sur l'argent que je devois'gagner à une petite citrouille qui en savoit si peu. Il perdit son écot : on servit , et je le fis mettre auprès de moi. C'étoit une table de réfectoire , où nous étions pour le moins vingtcinq , malgré la promesse de mon hôte. Le plus mauvais repas fini , toute cette cohue se dissipa , je ne sais comment, à la réserve du petit Suisse qui se tint auprès de moi , et de l'hôte qui vint se mettre de l'autre côté. Ils fumoient comme des dragons , et le Suisse me disoit. de temps en temps : « Demande « pardon à monsieur de la liberté grande » ; là-dessus il m'envoyoit des bouffées de tabac à m'étouffer. Cérize , de l'autre côté , me demanda la liberté de me demander si j'avois été dans son pays , et parut surpris de me voir assez bon air sans avoir voyagé en Suisse. Le petit ragot, à qui j'avois affaire étoit aussi questionneur que l'autre : il me demanda si je venois de l'armée de Piémont ; et , lui ayant que j'y allois, il me demanda si je voulois acheter des chevaux ; qu'il en avoit bien deux cents , dont il me feroit bon marché. Je commeneois à être enfumé comme un jambon ; et, m'ennuyant du tabac et des questions , je proposai à mon homme de jouer
�i T c D ï._ une petite pîstole au trictrac , en attendant que nos gens eussent soupe. Ce ne fut pas sans beaucoup de façons qu'il y consentit, et me demandant pardon de la liberté grande. Je lui gagnai partie, revanche et le tout en un clin-d*eeil ; car il se troubloit et se laissoit enfiler , que c'étoit. une bénédiction. Brinon ( le gouverneur du comte ) , arriva sur là fin de la troisième partie , pour me mener coucher. Il fit un grand signe de croix , et n'eut aucun égard à tons ceux que je lui faisois de sortir. Il fallut me lever pour en aller donner l'ordre en particulier. Il commença par me faire des réprimandes de ce que je m'encanaillois avec un vilain monstre comme cela. J'eus beau lui dire que c'étoit un gros marchand qui avoit force argent, et qui ne jouoit non plus qu'un enfant : « Lui marchand, s'écria-t-il ! '« ne vous y fiez pas , M. le comte. -, je ne sois pas « homme , si ce n'est quelque sorcier. — Tais-toi, « vieux fou , lui dis-je ; il n'est non plus sorcier que « toi , c'est tout dire ; et, pour te le montrer, je « lui veux gagner quatre ou cinq cents pistoles avant « de me coucher. » En disant cela, je le mis dehors, avec défense de rentrer ou de nous interrompre. Le jeu fini, le petit Suisse déboutonne son haut-dechausses , pour tirer un beau quadruple d'un de ses goussets -, et me le présentant, il me demande pardon de la liberté grande , et voulut se retirer. Ce n'étoitpas mon compte. Je lui dis que nous ne jouyons que pour nous amuser ; que je ne voulois point de son argent ; et que, s'il vouloit, je lui jouerois ses quatre pistoles dans un tour unique. Il en fit quelque difficulté ; mais il se rendit à la fin, et les regagna. Je fus piqué. J'en rejouai une autre; la chance tourna ; le dé lui devint favorable , et les écoles cessèrent. Je perdis partie , revanche et le tout ; les moitiés suivirent, le tout enfin. J'étois piqué ; lui beau joueur, il ne me refusa rien, et me gagna tout, sans que j'eusse pris six trous en huit ou dix parties. Je lui demandai encore un tour pour cent pistoles ; mais , comme il vit que je ne mettois pas
H A B
aga
�2g3 |au jeu , il nie dit qu'il étoit tard , qu'il falloit qu'il allât voir ses chevaux , et se retira , me demandant cardon de la liberté grande. Le sang-froid dont il me refusa, et la politesse avec laquelle il me fit la révérence , me piquèrent tellement , que je fus tenté de le tuer. La rapidité dont je venois de perdre jusqu'à la dernière pistole m'avoit tellement troublé , que je ne fis pas toutes les réflexions qu'il y a à faire sur l'état où j'élois réduit. 3. Alipe, jeune homme d'une des meilleures maisons de Tagaste en Afrique, patrie de S. Augustin, étoit allé à Rome pour y étudier le droit. Quelques jeunes gens de ses amis , et qui étudioient le droit comme lui , l'ayant rencontré par hasard ,, lui proposèrent de venir avec eux voir les combats des gladiateurs. Il rejeta avec horreur cette proposition , ayant toujours eu un extrême éloignement pour cet horrible spectacle où l'on voyoit répandre le sang humain. Sa résistance ne fit que les animer davantage ; et, usant de cette sorte de violence qu'on se fait quelquefois entre amis , ils l'emmenèrent avec eux malgré lui. « Que faites-vous ? leur disoit« il : vous pouvez bien entraîner mon corps , et me « placer parmi vous à l'amphithéâtre ; mais dispose« rez-vous de mon esprit et de mes yeux , pour les « rendre attentifs au spectacle ? J'y assisterai comme « n'y assistant point ; et j'en triompherai aussi-bien « que de vous. » Ils arrivent , et trouvent tout l'amphithéâtre dans l'ardeur et dans les transports de ces barbares plaisirs. Alipe ferma ses yeux aussitôt , et défendit à son ame de prendre part à une si détestable fureur. Heureux , s'il avoit pu aussi fermer ses oreilles ! Elles furent frappées avec violence par un grand cri que jeta tout le peuple, à l'occasion d'un coup mortel porté à un gladiateur.. Vaincu par la curiosité , se croyant supérieur à tout x il ouvrit les yeux, et reçut dans le moment uneplus grande plaie dans l'ame, que celle que le gladiateur venoit de recevoir dans le corps. Dès qu'il, eut w couler le sang, loin d'en détourner ses yeux,. T3
HABITUDE-
�2g4 HABITUDE. comme il s'étoit flatté de le faire , il y fixa ses re.fards avides , et s'enivrant, sans le savoir, de ce 'iîaisir sanguinaire , il sembloit boire à longs traits a cruauté , l'inhumanité , la fureur ; tant il étoit hors de lui. En un mot , il contracta dans un instant cette funeste habitude : il sortit tout autre'qu'il n'étoit venu , et avec une telle ardeur pour les spectacles, qu'il ne respiroit^autre chose, et que c'étoit lui , depuis ce temps , qui y entraînoit ses compagnons. Mais Dieu , dont la Providence avoit de grands desseins sur lui , le tira de cet abîme, où l'avoit précipité son aveugle présomption : une xéflexion de S- Augustin sur les combats de gladiateurs , échappée, ce semble, par hasard .\ ce grand homme dans une leçon de rhétorique , à laquelle assistait Alipe , toucha vivement ce jeune homme , et, lui fit détester la passion inhumaine qui s'était glissée dans son coeur. 4^ Tout un peuple étoit si disposé à la joie ét à la gaieté , qu'il n'étoit plus capable d'aucune affaire .sérieuse : c'étaient les Tirinlhiens. Comme ils ne pouvoient, plus reprendre leur gravité sur quoi que ce fût, tout etoit parmi eux dans le plus grand désordre. S'ils s'assembloient, tous leurs entreliens rouloient sur des folies , au lieu de s'arrêter sur l'administration publique. S'ils recevoient des ambassadeurs , ils les tournoient en ridicule. S'ils tenoient le conseil de la ville , les avis des plus graves sénateurs n'étaient que de bouffonneries ; et, en toutes sortes d'occasions , une parole ou une action raisonnable eût été un prodige chez cette nation. Ils se sentirent enfin fort incommodés de cet esprit de plaisanteries. Ils allèrent consulter l'oracle de Delphes, pour lui' demander les moyens de recouvrer un peu de .sérieux. L'oracle répondit que , s'ils pouvoient sacrifier un taureau à Neptune sans rire , il serait désormais en leur pouvoir d'être plus sages! Un sacrifice n'est pas une action si plaisante en ellemême : cependant, pour le faire sérieusement, ils y apportèrent bien des précautions. Ils résolurent de n'y
i
�HABITUDE. .
295
point recevoir de jeunes gens, mais des vieillards, et non pas encore toute sorte de vieillards;maisseulementceux qui avoientou des infirmités ou beaucoup de dettes , ou des femmes fâcheuses et incommodes. Quand toutes ces personnes choisies furent sur lebord de Jamer,pour immoler la victime, il fallut encore, malgré leur âge et tous les sujets de déplaisir qu'ils pouvoient avoir, qu'ils composassent leur air, baissassent les yeux, et se mordissent les lèvres. Jusque-là, cependant, tout alloitle mieux du monde;mais par malheur il se trouva là un enfanlqui s'y étoit glissé. On voulut le chasser, ctilcria: «Quoi îavez« vous peur que j'avale votre taureau? » Cette sottise déconcerta toutes ces gravités contrefaitesl'habitude triompha de la résolution ; ou éclata de rire ; le sacrifice fut troublé, et la raison ne revint point aux Tirinthiens. 5. Le fameux Jean Ernest de Biron, duc de Courlande, étoit fils d'un orfèvre, et son père l'avoit destiné à la profession de notaire. 11 avoit acquis toutes les qualités qu'elle demande,lorsque, s'eunuyant du séjour d'une petite ville, il eut occasion d'offrir ses services a u baron de Goërtz, qui avoit été forcé de s'y arrêter, par la mort imprévue de son secrétaire. Le jeune l?iro« se présenta d'assez bonne grâce, pour faire agréer sa personne et ses talens. 11 suivit le baron à Stockholm, où l'intelligence qu'il avoit des diverses langues, et sa facilité à lire et à copier toutes sortes de caractères, le rendirent aussiutile qu'ill-avoitfait espérer. Dans l'usage où il étoit depuis son enfance, de manier de vieux contrats, la plupart en parchemin, il s'étoit faitu ne habitude, en écrivant, d'en tenir toujours quelqu'un entre les lèvres; et, quelque désagréable qu'on puisse s'en figurer le goût,il étoitparvenu insensiblement à s'en faire une sorte de plaisir , comme il arrive à ceux qui s'accoutument à mâcher du tabac. Ce penchant devenant une passion , il n'étoit jamais sans quelque morceau de vieux vélin, qu'il coupoit promptementpour le ronger ; etses nombreuses occupations lemettantcontinuellementaumilieudequantilé de papiers, il trouvoit aisément de quoi se satifaiie., Un jour qu'il avoit été retenu dans le cabine tdubaron de Goërtz,\>om quelque expédition d'importance, sou T 4
�•2qb
HABITUDE,
appétit pour le parchemin lui fit découvrir une pièce enfumée qui étoit au coin dîme table; et, ne portant pas plus loin ses réflexions, il le prit entre ses dents , avec l'envie néanmoins de se borner à le sucer, pour en tirer comme le parfum. Mais , dans l'attention qu'il avoit à son travail, le goût du plaisir lui fit. oublier ce qu'il devoit craindre. Ce ne fu t qu'après trois ou quatre heures d'application, que,revenant à lui-même, ila perçut non-, seulement qu'il avoit toujours le même vélin à la bouche , mais que, l'ayant mâché si long-temps avec aussi peu de ménagement, quede réflexion, il l'avoit défiguré jusqu'à lui faire changer de forme. Sa surprise augmenta encore, lorsque s'étant hâté de l'ouvrir, pour démêler ce qu'il contenoitjil reconnut, à quelques restes de caractères presque effacés, que c'était une pièce extrêmement importante, et quifaisoit la matière d'un différent très-vif, au sujet de la Livonie, entre le roi de Suède et le czar Pierre. Use crut perdu sans ressource. Son esprit ne lui présenta rien qui fût propre àl'excuser; tout le portait au désespoir, lorsque le baron de Goërtz entra. 11 le trouva avec cette fatale pièce à la main , et erut voir , dans ses yeux et sur son visage , des témoignages extraordinaires d'embarras. La seule curiosité suffisoitpour lui faire approfondir ce mystère. Mais que fût-ce, lorsqu'ayant. jeté les yeux sur la pièce, il découvrit, à plusieurs marques, que c'étoitee qu'il avoit alors de pins précieux et de plus nécessaire ! Le premier mouvement de sa colère ne lui permettant de rien examiner, de rien entendre , il ne douta point que ce ne fût une trahison de son secrétaire, qui s'était laissé gagner par le ministre de Moscovie ; et sur-le-champ il le fit, conduire, avec mille reproches, dans une étroite prison. Quoiqu'avec un peu de liberté pour réfléchir sur son malheur il n'y trouvât rien qui le rendit véritablement coupable, les apparences, étant denatureà ne pouvoir jamais être éclaireies, il conçut que sa perte étoit certaine. Déjà il pensoi t moins à se justifier, qu'à se préparer à la mort. Cependant, comme l'aveu des circonstances desa faute ne pouvait lui êtrç nuisible, il était résolu de les raconter simplement, au risque de ne pas trouver dan?,
�HABITUDE,
297^
ses jugesbeaucoup de disposition à le croire sincère. On ne tarda guère à l'interroger. Quatre des plus graves sénateurs de Stoekholmlui reprochèrent son crime, et le pressèrent de confesser les intelligences qu'il entretenoitaveclaMoscovie. Une leurréponditque par une courte relation qu'il leur fit, les larmes aux yeux, de la manière dont il s'étoit accoutumé à mâcher de vieux parchemins. Quelque foiblesse qu'il y eût dans cette défense , l'air dont il la prononcoit fit impression sur l'un des vieux sénateurs, qui avoit assez d'expérience pour démêler les caractères de la droiture et de l'innocence, S'altachant de plus en plus à l'examiner , il remarqua que, tandis qu'il écrivoitsa déposition, et livré, comme il étoit, tout entier aux demandes qu'il recevoit, et au soin d'y répondre, il ne laissoitpoinl d'avancer la main par intervalle vers l'écritoire qui étoit sur la table, d'où il tirait de petits lambeaux de vieux parchemin dont elle étoit doublée , et que, par un mouvement toutnaturel, il les portoit à la bouche. Cette observation fit trouver au sénateur plus cle vraisemblance dans son récit. 11 lui fit plusieurs questions sur la naissance etla force de son habitude; il demanda des circonstances et des preuves. Heureusement l'accusé en avoit de présentes dans un grand nombre cle petits rouleaux de parchemin qu'il tira descspoches.Leur forme, leur odeur, tout s'accordoit avec l'idée qu'il en avoitfaitprendre.Le sénateur devint son défenseurautantqueson juge.D'autres informations qu'on fît sur sa conduite et ses liaisons, ayant achevé d'établir son caractère, le baron de Goërtz fut le premier à solliciter sa liberté et sa grâce. Cependant,soit qu'il craignit que safoiblessenel'exposât à quelque nouvel embarras,soit que l'éclat d'une te31e aventure l'eût dégoûtéde ses services,il le congédia , après l'avoir honnêtement récompensé. Il y avoit peu d'apparence qu'un homme rejeté parle ministre, pût trouver d'autres occasions de s'établir dans la Suède. Le malheureux secrétaire prit le parti de la quitter ; et passant en Courlande, où son aventure n'étoit pas connue,il s'attacha au premier homme d'affaire qui voulut l'employer. Le fortune , qui le conduisoit par laniaiii,
�HABITUDE.
l'adressaau receveur-général de Mittau , homme livre aux plaisirs, qui cherchait depuis long-temps un écrivain habile, sur lequelilpûtse reposer de lafaligueetdes soins de son emploi. A vec beaucoup d'esprit. etd'assiduité,le nouveau secrétaire fitbientôtreconnoître en lui tous les talens qu'on désiroit. Il se, fit, aimer de son maître ; mais il n'étoi t pas guéri de la funeste habitude qui avoit ruiné sa fortune en Suède. Le receveur, ayant un jour fini ses comptes, revint muni d'une quittance signéede la main du duc de Courlande; et, laregardanteomme une pièce d'au tantpl us importante, que ses ennemis s'étoient déjà prévalus de ses inclinations voluptueuses,pourl'aceuserde dissipation et de mauvaise foi, il la remit à son secrétaire, en lui recommandant de la conserver avec soin. Ce papier n'avoit point les qualités qui pouvoient piquer son ancien goût pour le parchemin : ce ne fut que par distraction et parla force de l'habitude, qu'il le mit entre ses lèvres : d'ailleurs, quelques années d'intervalle avoient affoibli l'impression de sa première disgrâce. Quoi qu'il en soit, il exposa malheureusementee papier à l'avidité de ses dents; et, dans un espace fort court, elles s'y imprimèrent assez, pour corrompre le nom duduc, qui faisoittout leprix de cette pièce, Ils'en aperçut aussitôt; mais le mal étoit déjà irréparable. Il le crut môme beaucoup plus grand qu'il n'étoit ; et, se rappelant l'aventure de Stockholm , il ne douta point qu'il ne fût à la veille du même danger. Cependant un peu de réflexion lui fit tirer avantage du passé. Le soupçon d'infidélité étant ce qu'il avait de plus fâcheux à redouter, il se détermina à prévenir son maître par l'aveu volontaire de cet accident; et, pour s'attirer plus d'indulgence , en excitant sa compassion, il commença par le récit du malheureux événement qui lui avait fait abandonner la Suède. Il ne vint qu'en tremblant à ce qu'il vouloit confesser. Le receveur comprit le sujetde sapeine; et, n'y trouvant que la matière d'une plaisanterie, parce qu'il étoit sûrde réparer aisément le désordre,il prit plaisir à faire durer une scène qui 1 ui parut divertissante.Enfin,l'ayant consolé par de nouveaux témoignagesde confiance,, ilne
�HABITUDE.
20,q
songea qu'à prendre du côté de la cour , les mesures qu'il crut nécessaires à sa sûreté; et, clans larelation qu'il fit au duc de toutes les circonstances del'aventure,ilrendit assez de justice au mérite de son secrétaire, pour lui faire souhaiterdelevolr. Sa figure, et quelques momens d entretien , achevèrent de lui gagner l'estime de ce prince. Sa faveur ne fit qu'augmenter de jour en jour, jusqu'au moment où la fortune le fit succéder au duc de Cou rlande, par la faveur de l'impératrice Anne Ivanow~ 7*a,épouse de ce prince,àlaquelleils'étoitrenducherpar son esprit, par son habileté, parsestalens en tous genres. HÉROÏSME. i. N citoyen romain , nommé Rubrius Flavius , ayant été condamné injustement à être décapité , l'exécuteur lui dit de tendre le cou avec courage : « Frappe de même » lui répondit-il. 2. Par son amour pour la vertu, par sa hardiesse à dévoiler les vices , Socrate avoit aliéné contre lui les esprits des citoyens corrompus , qui le regardoient comme leur ennemi le plus redoutable. Ils conjurèrent la perte de ce grand homme : un certain Mélitus se porta pour accusateur , et intenta dans les formes un procès au plus sage personnage de la Grèce. Ilformoit contre lui deux chefs d'accusation ; le premier, qu'il n'admettait point les dieux qui étaient reconnus dans la république , et qu'il introduisoit de nouvelles divinités; le second, qu'il corrompoit la jeunesse d'Athènes ; et il conclu oit à la mort. Jamais accusation n'eut moins de fondement que celle-là, ni même moins d'apparence et de prétexte. Il y avoit quarante ans que Socrate faisoit profession d'instruire la jeunesse : jamais il n'avoitdogmatisé dans les ténèbres. Ses leçons étoientpubliques, etse faisoienten présence d'un grand nombre d'auditeurs. II avoit toujours gardé la même conduite, toujours enseigné les mêmes principes. Dequoi s'avise àoncMélitus après tan t d'années ? Comment son zèle pour le bien public ; après
\J
�3oo
8
HÉROÏSME.
|yoJr été si long-temps endormi, se réveille-t-il tout-coup ?
Dès que le noir complot, des ennemis du philosophe eut éclaté , ses partisans se préparèrent à sa défense. Lysias,\e plus habile orateur de son temps, composa une harangue très-éloquente, dans laquelle il mettoit les raisons et les moyens de Socrate dans tout leur jour. Le sage la lut avec plaisir , la trouva fort bien faite ; mais, comme elle étoit plus conforme aux règles de Fart qu'à la grandeur de soname, il dità cet ami zélé : «Je « suis très-sensible, cherLjsias, à la part que vous pre« nez à ma fortune : votre discours est beau, il est élo« quent ; mais il ne me convient pas. — Si vous le « trouvez bon, comment se peut-il faire qu'il ne vous « convienne pas?—Parla raison qu'un habit, quoique « très-beau et très-bien fait, ne va pas à toutes les « tailles ; et qu'un soulier , quelqu'élégant qu'il soit, « ne convient pas à tous les pieds. » Il demeura donc ferme dans la résolution qu'il avoit prise de ne point s'abaisser à mendier les suffrages par toutes les voies pleines de pusillanimité qui étaient alors en usage ; il n'employa ni les artifices, ni les couleurs de l'éloquence;!] n'eut recours ni aux sollicitations, ni aux prières; ii ne fit point venir sa femme ni ses enfans, pour fléchir ses juges par leurs gémissemens et par leurs larmes :. l'innocence, la vérité, une noble assurance, une sage liberté, voilà quels furent ses armes, ses cliens et ses patrons. Au jour marqué, le procès fut instruit dans les formes, les parties comparurent devant les juges, etMélitics exposa les griefs dont il accusoitiSoc/vzte. Plus la cause de cet imposteur étoit mauvaise et dépourvue de preuves, plus il eut besoin d'adresse et d'artifice pour en couvrir le foible. Il n'omit rien de ce qui pouvoit rendre sa partie adverse odieuse ; et , à la place des raisons qui lui manquoient, il substitua l'éclat séduisant d'une éloquence vive et brillante. Après qu'il eut parlé, Socrate se mit en devoir de lui répondre ; et s'attachant aux deux crimes principaux qu'onlui reprochoit: «On m'accuse , dit-il, de corrom« pre les jeunes gens, et de leur inspirer des maxime*
�H B R OÏSMÏ.
« dangereuses, soitparrapport an culte des i « par rapport aux règles du gouvernement. Vo'f « Athéniens , que je n'ai jamais fait profession « seigner ; et l'envie , quelque animée qu'elle soit « contre moi , ne me reproche point d'avoir jamais1 « vendu mes instructions. J'ai , pour attester ce que « j'avance , un témoin qu'on ne peut démentir : la « pauvreté. Toujours également prêt à me livrer au « riche et au pauvre, et à leur donner tout le loisir de « m'interroger et de me répondre, je me prête à qui« conque cherche à devenir vertueux ; et si , parmi « mes auditeurs , il s'en trouve qui deviennent bons « ou méchans , il ne faut ni m'attribuer la vertu des « uns , dont je ne suis point la cause , ni m'imputer « les vices des autres, auxquels je n'ai point contribué« Toute mon occupation est de vous persuader a tons j, « jeunes et vieux , qu'il ne faut pas tant aimer son, « corps,ni les richesses, ni toutes les autres choses , « de quelque nature qu'elles soient, qu'il faut aimer « son ame ; car je ne cesse de vous dire que la vertu « ne vient point des richesses , mais au contraire, que « les richesses viennent de la vertu , et que c'est de « cette source divine que naissent touslesautres biens « qui arrivent aux hommes, en public etenparticulier. «Siparler de la sorte , c'est corrompre la jeunesse, « j'avoue,Athéniens, que jesuiscoupableetque jcmé<i rite d'être puni comme un vil séducteur. Si ce que je « dis n'est pas vrai, il est aisé de me convaincre de men« songe: interrogez mes disciples; j'en vois ici un grand « nombre: qu'ils paroissent.Mais un sentiment de rete« nue et de considération les empêche peut-être d'éle« ver leurs voix contre un maître qui les a instruits.Du « moins leurs pères, leurs frères, leurs oncles ne peu« vent se dispenser , comme bons parens et bons ci« toyens, de venir demander vengeance contre le cor« rupteur de leurs fils , de leurs neveux, ou de leurs « frères ; mais ce sont ceux-là même qui prennent ici « ma défense, qui s'intéressent au succès de ma cause. «Jugez comme il vous plaira, Athéniens ; mais je « ne puis ni me repentir de ma conduite, ni en changer. « Il ne m'estpoint libre de quitter oud'interrompre une
�3o2 HÉROÏSME» « fonction que Dieu même m'a imposée : or, c'est cet « Etre suprême qui m'a chargé du soin d'instruire mes « concitoyens.Si, après avoir gardé hdellementtous les « postes où m'ont placé nos généraux àPotidée, à Am« phipolis , à Délium, la crainte de la mort mefaisoit « maintenant abandonner celui où la divine Providence « m'a mis depuis tant d'années , en m'ordonnant de « passer mes jours dans l'étude de la philosophie pour « mapropreinstructionetpourcelledesautres,ce seroit « là véritablement une désertion bien criminelle , et « qui mériteroit qu'on me citât devant ce tribunal , « comme un impie qui ne croit point, de dieux. Quant « vous seriez disposés à me renvoyer absous , à con« dition que désormais je garderois le silence , je vous « répondrois sans balancer : Athéniens, je vous honore « et je vous aime , mais j'obéirai plutôtàDieu qu'à vous; « et, pendant qu'il me restera un souffle de vie , je ne « cesserai jamais de philosopher , en vous exhortant « toujours, en vous répétant à mon ordinaire , et en « vous disant à chacun, quand je vous rencontrerai : « O mon cher ! ô citoyen de la fameuse cité du monde, « etpour la sagesse et pour la valeur ! vous accumulez « les richesses, vous recherchez avec ardeur la gloire, « le crédit, les honneurs , et vous ne rougissez pas de « négliger les trésors de la prudence, de la vérité, de « la sagesse ? O mes amis ! travaillez donc à donner à « votre âme , à cette partie la plus noble de vous« mêmes , toute la perfection , toute l'excellence « qu'elle peut avoir. « On me reproche, et l'on n'impute à lâcheté, de ce « que, m'ingérant de donner des avis à chacun en parti« culier,j'ai toujours évité de me trouver dans vos assem« blées pour donner mes conseils à la patrie. Je croyois « avoir fait suffisammentmes preuves de courage et de « hardiesse, et dans les campagnes où j'ai porté les armes « avec vous, et dans le sénat, lorsque seul je m'opposai « au jugement injuste que vous prononçâtes contre les « dix capitaines qui n'avoient pas enterré les corps de « ceux qui avoientpéri dans le cohibatnavaldesîles Argi« nuses,et lorsqu'on plus d'une occasion, je résistai en « face aux ordres violens et cruels des trente tyrans.Ce
�\
HÉROÏSME;
3o5
« qui m'a donc empêché de paraître dans vos assem« blées, Athéniens, c'est cet esprit familier,cette voix « divine dont vous m'avez si souvent entendu parler , :< et que Mélitus veut tourner en ridicule. Cet esprit « s'est attaché à moi dès mon enfance : c'est une voix « qui ne se fait entendre que lorsqu'elle veut me dé« tourner de ce qne j'ai résolu ; car jamais elle ne « m'exhorte à rien entreprendre : c'est elle qui s'est « toujours opposée à moi quand j'ai voulu me mêler « des affaires de la république, et elle s'y est opposée ;; fort à propos ; car il y a long-temps que je ne serois < plus sur la terre , si j'avois pris quelque part au < gouvernement de l'Etat. Et d'ailleurs , à quoi mes conseils vous auroient-ils servi ?Ne vous fâchez point, je vous supplie, si je vous expose sans déguisement, en ami de la vérité , en homme libre , tout ce que je pense à cet égard. Quiconque voudra s'opposer généreusement à tout un peuple , soit à vous, soit à d'autres ; quiconque formera le projet hardi d'empêcher qu'on ne viole les lois, qu'on rie commette des iniquités dans une ville , ne le fera jamais impunément: il faut de toute nécessité que celui qui entreprend de combattre pour la justice , pour peu qu'il veuille songer à sa propre conservation , demeure simple particulier, et qu'il ne soitpas homme public. « Au reste, Athéniens, si, dans l'extrême danger où je me trouve, je n'imi te pointla conduite de plusieurs citoyens, qui, dans un péril beaucoup moins grand, ont conjuré leurs juges avec larmes, ontfaitparoître' ici leurs enfans, leurs parens, leurs amis ; ce n'est ni par une opiniâtreté superbe, ni par aucun m épris quej'aie pour vous, mais pour votre honneur, pour celui de toute la ville.Ilfautqu'onsache que vous avez des citoyens qui ne regardent point la mort comme un. inal,etqninedonnent ce nom qu'à l'injustice, à l'infamie. A l'âge où je suis , avec toute ma réputation vraie ou fausse , me conviendrait-il, après toutes les leçons que j'ai données- sur le mépris de la mort, de laeraindre, etde démentirparundernieracte tous les principes , tous les sentimens de ma vie passée ?
�So4 HEROÏSME. « Mais, sans parler de la gloire, qui seroit si fort « blessée par une telle démarche, je ne crois pas qui] « soit permis de prier son juge, ni de se faire absoudre « par de timides supplications: il faut le persuader, il « fautle convaincre. Le juge n'est pas assis sur sonsiége « pour faire plaisir en violant la loi, mais pour rendre « justice en obéissant à la loi ; iln'a pointprèté serment « de faire grâce à qui il lui plaira, mais de faire jus« tice à qui il la doit : il ne faut donc pas que nous « vous accoutumions au parjure j et vous ne devez pas « vous-mêmes vous y laisser accoutumer ; car, les uns « et les autres, nous blesserions également la justice « et la religion, et nous nous rendrions tous coupables, « N'attendez donc point de moi , Athéniens , que « j'aie recours auprès de vous à des moyens que je ne « crois ni honnêtes , ni permis , sur-tout dans une oc« casion on je suis accusé d'impiété par Mélitus; car, « si je vous fléchissois par mes prières, si je vous for« cois par mes larmes à violer votre serment, il est « évident que je vous enseignerois à ne pas cro'ire de « dieux ; et en voulant me défendre et me justifier, « je fournirois des armes à mes adversaires ; je prou« verois contre moi-même que je ne crois pointàl'exis« tence de cet Etre suprême , qui venge le parjure, « Loin de moi des pensées si criminelles ! Je suis plus « persuadé de l'existence deDieu quemes accusateurs; « et j'en suis tellement persuadé, que je m'abandonne f « à vous et à Dieu , afin que vous me jugiez comme j. << vous le trouverez le meilleur, pour vous etpourmoii Socrate prononça ce discours d'un ton ferme etintrépide.Sonair,songeste, son visage annonçoient sagrandeur d'ame, sans lui faire rien perdre de la modestie qui lui étoitnaturelle : mais une contenance sinoble déplut; cette magnanimité , cethéroïsme indisposa les esprits* Personne néanmoins n'avoit dessein de le condamner à mort ;on voulutmême lui laisser le choix de la peine, et on lui demanda quelle punition il croyoit avoir mé-j ritée ? « Athéniens, dit-il, puisque vous m'ordonna « de prononcer moi-même ma sentence , je me con-[ « damne à être nourri, le reste de mes jours, aux déj
« pensj
�3o5 » pens delà république,pour avoir passe toute ma vie « à vous instruire, vous et vos enfans ; pour avoir né« gligé,danscette vue,affaires domestiques,emplois, « dignités ; pour m'être consacré tout entier au service « de la patrie , en travaillant sans cesse à rendre mes « concitoyens vertueux. » Ce dernier trait irrita tellement les juges , qu'ils le condamnèrent à mort. Cetinpistearrêtn'ébranlapointlaconstancedeSocmte. « Je vais, dit-il en s "adressant aux juges avec une noble « tranquillité ; je vais être livré à la mort parvotre « ordre : la nature m'y avoit condamné dès le premier « moment de ma naissance; mais mes accusateurs vont « être livré à l'infamie qui d"ordinaire accompagne la « calomnie. Auriez-vous exigé de moi que , pour me « tirer de vos mains, j'eusse employé, selon Fusage,des « paroles fla tteuses et touchantes, les manières timides « et rampantes d'un suppliant ?En justice, comme à la « guerre, un honnête homme ne doit pas sauver sa vie « par toutes sortes de moyens : il est également désho« norant, dans l'une et dans l'autre, de ne la racheter « que par des prières, par des larmes et par des bassesses.» A peine la sentence fut-elleprononeée,qu'_^pollodore, son intime ami,s'approcha de lui, en versant un torrent de larmes ; il déploroit sa destinée, il s'emportoit contre l'ingratitude des juges. «Quelle douleur « pour moi, mon cher Socrate, disoit-il, de vous voir « mourir innocent !—Aimeriez-vous mieux, lui répon« dit le sage en souriant, me voir mourir coupable ?» Après que le héraut eut lu publiquement l'arrêt, Socrate, avec cette même fermeté de visage quiavoittenu les tyrans en respect, s'achemina vers la prison, qui perJ dit ce nom dès qu'il y fut entré , et qui devint dès-lors le séjour de la probité la plus pure, de la vertu la plus sublime. Ses amis l'y suivirent, et continuèrent aie visiter pendant trente jours qui se passèrent entré sa condamnation et sa mort. Durant ce long intervalle, il eu t le loisir de l'envisager avec toutes ses horreurs , et de mettre sa constance àl'épreuve, non-seulement parles rigueurs excessives du cachot, où il avoit les fers aux pieds,maiscncoreplu.s par lavue continuelle etlacruelle Tome IL Y
HEROÏSME. ■
�3o6 HEROÏSME. ttente d'un événement avec laquel la naturene sefamiliarise point. Dans ce triste état, il ne laissoit pas de jouirde cette profonde tranquillité d'espritqueses amis avoient toujours admirée en lui. Il les entrenoit avec la même douceur qu'il avoit toujours fait pâroître. Il composa même alors un hymne en l'honneur d'Apollon et de Diane , et mit en vers une fable d'Esope. La veille du jour marqué pour la mort de ce grand homme, Criton, l'un de ses amis les plus chers, vint le trouver de grand matin pour lui apprendre qu'il ne tenoit qu'à lui de sortir de la prison ; que le geôlier étoit gagné 5 qu'il trouveroit les portes ouvertes, et qu'il lui offroit une retraite sûre en Thessalie. Il employa les motifs les plus pressans pour le persuader de se rendre aux vœux de tous les gens de bien , de ses amis , des étrangers même qui vouloient avoir l'honneur de contribuer à sa conservation: ces raisons touchoient peu le philosophe. Il essaya d'alarmer son amour paternel : « Si vous méprisez assez la vie , lui dit-il , pour ne « vouloir prendre aucun soin de la conserver, songez « du moins à vos enfans que vous laissez orphelins. « Hélas ! dans quel état vont se voir ces infortunés , « et que vont-ils devenir ? Ah 1 Socrate , cher Socrate ) « pouvez-vous oublier que vous êtes père , pour vous « souvenir seulement que vous êtes ami de la sagesse?» « Ami, lui répondit Socrate, je loue ton zèle, et je « t'en remercie. Mais rappelons nos principes, et tâ« chons ici d'en faire usage. Il est toujours demeuré « constant parmi nous, qu'il n'est jamais permis, sous « quelque prétexte que ce puisse être, de commettre « aucune injustice, pas même à l'égard de ceux qui nous « en font, ni de rendrelemalpourlemaljetque quand « on a une fois engagé sa parole, on est tenu de la gar« derinviolablement, sansqu'aucunintérêtpuissenous « en dispenser.Or si, dans le temps que je serois près « de m'enfuir, les lois et la république venoient se pré« senter en corps devant moi, que répondrois-je aux « questions suivantes qu'elles pourraient me faire?A « quoi songez vous, Socrate? Vous dérober delà sorte « à la justice,n'est-ce pas ruiner entièrement les lois'et la république? Croyez-vous qu'une ville subsiste après
a
�HEROÏSME* 3o7 que lajustice non-seulement n'y a plus rîeforce, mais qu'elle a été même corrompue, renversée, et foulée aux pieds par des particuliers? Mais, dira-t-on, la république a prononcé contre vous un jugement inique. Avez-vous oublié que vous êtes convenu avec nous de vous soumettre aux décisions de la république ?Si notre police, si nosrèglemens ne vous accommodoientpas, vous pouviez vous retirer ailleurs.Mais un séjour de soixante et dix ans dans notre ville marque assez que sesrèglemensne vous ont point déplu, et que vous les avez acceptés avec connoissance de cause, avec liberté. Vous leur devez tout ce que vous êtes et tout ce que vous possédez,naissance, nourriture, éducation, établissement; car tout cela est sous la sauve-garde et sous la protection de la république. Vous croyez-vous maître de rompre l'engagement que vous avez pris avec elle, et que vous avez scellé par plus d'un serment?Quand elle songeroit à vous perdre , pouvez-votis lui rendre mal pour mal , injure pourinjure?Etes-vousen droit d'en user ainsiàl'égarcT d'un père et d'une mère?Et nesavez-vouspas que la patrie est plus considérable, plus digne de respect et devénération devantDieu et devant leshommes, que ni père , ni mère , ni tous les parens ensemble; qu'il faut honorer sa patrie, lui céder dans ses émportemens,la ménager avec douceur dans les tempsde sa plus grande colère ; en un mot, qu'il faut la ramener par de sages conseils et de respectueuses remontrances , ou se sonmettre à ses ordres , et souffrir , sans murmurer , tout ce qu'elle vous commandera ? Quant à vos enfans , Socrate , les dieux qui vous les ont donnés ne les abandonneront pas ; vos amis leur tiendront lieu de père, et la république les regardera toujours comme des citoyens qu'elle doit défendre, qu'elle doit protéger. Rendezvous donc à nos raisons ; suivez les conseils de celles qui vous ont fait naître , qui vous ont nourri, qui vous ont élevé. Préférez à vos enfans à vos ajnis , à votre famille , à votre vie même , cette justice austère , dont YOUS vous êtes montré le zélé défeuV 2
�3o8 H É R O 1 S M È. « seur 5 afin que , quand vous serez arrivé devant le « tribunal de Plu ton, vous ayez pour vous défendre votre « innocence, vos vertus, l'injustice de vos accusateurs.» Ces sentimens héroïques, présentés d'une manière si adroite , convainquirent Criton, qui ne pressa plus son ami. Enfin le jour funeste arriva. A peine le soleil avoitil chassé les ombres de la nuit, que tous les amis de Socrate se rendirentà la prison. Le geôlier les priad'attendre un peu, parce que les onze magistrats qui avoient l'intendance des prisons annonçoientau prisonnier qu'il eût à se préparer à la mort. Ils entrèrent un moment après, et trouvèrent Socrate qu'on venoit de délier ; Xantippe sa femme étoit assise auprès de lui, tenant un de ses enfans entre ses bras. Dès qu'elle les aperçut, jetant des cris, poussant des sanglots, se meurtrissant le visage , elle fit retentir les prisons de ses plaintes : « Oh mon cher Socrate! vos amis vous voient anjour« d'hui pour la dernière fois.» Il ordonna qu'on la fit retirer, et dans le moment même on l'emmena chez elle. Socrate passa le reste de la journée avec ses amis, et s'entretinttranquillementetgaiementaveceuxjselonsa coutume ordinaire. Il employa le dernier jour de sa vie àleurparlerdel'immortalité del'ame: grande etsublimc matière, qui luipréparoiten quelque sorte le chemin de l'autre vie ! Après leur avoir expliqué sadoctrine: «Sice « que je dis se trouve vrai, ajouta-t-il, il est très-bon de « le croire ; et si, après ma mort, il ne se trouve pas « vrai, j'en aurai toujours tiré cet avantage dans cette « vie, que j'aurois été moins sensible aux maux qui l'ac« compagnent ordinairement. D'ailleurs, si l'ame est « immortelle, elle a besoin qu'on la cultive et qu'on en « prenne soin, non-seulement pour ce temps que nous « appelons le temps de sa vie, mais encore pour le temps « qui la suit, c'est-à-dire, pour l'éternité 5 etlamoindre « négligence sur ce point peut avoir des suites infinies. « Si la mort étoit la ruine, la dissolution du tout, quel « gain pour lesméchans, après leur mort, d'être délivrés « en même temps de leur corps, de leur ame et deleurs «vices! Mais puisque l'ame est immortelle , elle n'a « d'autre moyen de se délivrer de ses maux, et il n'y a « de salut pour elle qu"en devenant très-bonne et très-
�309 « sage ; car elle n'emporte avec elle que ses bonnes ou « sesmauvaises actions, que ses vertus ou ses vices, qui « sont une suite ordinaire de l'éducation qu'on a reçue, « et la cause d'un bonheur ou d'un malheur éternel. « Quand les morts sont arrivés au rendez-vous fatal « des ames, elles sont toutes jugées. Celles qui ne sont <r nientièrementcriminelles,niabsolumentinnocentes, « iont envoyées dans un endroit où elles souffrent des « peines proportionnées à leurs fautes, jusqu'à ce que, « purgées et nettoyées de leurs souillures , et mises « ensuite en liberté , elles recoiventla récompense des « bonnes actions qu'elles ont faites. Celles qui sontju« gées incurables, à cause de l'énormité de leurs crimes, « la fatale destinée, qui leur rend justice, les précipite « clans le Tartare, d'où elles ne sortent jamais. Enfin, « celles qui ont passé leur vie dans une sainteté parti« culière, délivrées des demeures basses et terrestres, « comme d'une prison, sont reçues dans le céleste sé« jour; et comme la philosophie les asufhsammenfcpuri« fiées, elles y vivent, sans leurs corps, pendant toute « l'éternité, clans une joie , dans des délices qu'une « bouche mortelle ne sauroit décrire. Voilà le prix de « la vertu : avec quelle ardeur ne devons-nous donc pas « chercher à l'acquérir? Mais, quand l'immortalité de « l'ame ne seroit que douteuse, tout homme de bon « sens ne devroit-il pas préférer cette incertitude con« solante à une triste réalité ? En effet, quelle illusion « plus charmante que celle qui me porte à la sagesse, « et qui me met à l'abri des remords qui déchirent sans « cesse le cœur de l'impie, du scélérat? Enivrons-nous, « mes amis , de ce bienheureux espoir ; et mourons « avec joie , quand nous sommes vertueux. » Quand il eut cessé de parler, Criton lui demanda comment il vouloit être enseveli : « J'ai donc perdu mon « temps^épondit^Socrûtfe, puisque je n'aipas encore pu « persuader à Criton qu'après ma mort je m'élèverois « dans les cieux , et que rien de moi neresteroit sur la « terre ? Cependant, mon cher Criton, si tu me trouves « quelque part, ensevelis-moi comme tu voudras.» En finissantcesparoleSj ilseleva, etpassadans unechambre V 3
HÉROÏSME.
�3lO
HÉROÏSME.
voisine pour se baigner. Après qu'il fut sorti du bain, on lui porta ses enfans. Il leur parla, pendant quelque temps, avec une tendresse vraiment paternelle, donna ses ordres aux femmes qui en prenoicnt soin, puis les fit retirer. Etant rentré dans la chambre , il se mit sur son lit. Dans ce moment on aperçut le valet des Onze, qui venoitlui déclarer que le temps de prendre la ciguë étoit arrivé. Il lui présenta d'une main tremblante le funeste breuvage , versa des larmes , et détourna les yeux. «.Voyez, dit Socrate, le bon cœur de cethomme! « Pendant ma prison, il m'est venu voir souvent, et . « s'est efforcé de charmer mon ennui. O mon ami, que « j'estime tes larmes! Que le Ciel récompense digne« ment ta sensibilité !» Il prit la coupe, et demanda ce qu'il avoit à faire : « Rien autre chose , lui dit le « valet , sinon , quand vous aurez bu , de vous pro « mener jusqu'à ce que vous sentiez vos jambes ap« pesanties, et de vous coucher ensuite sur votre lit.» Alors, sans aucune émotion, sans changer de couleur ni de visage , et regardant toujours le valet d'un œil ferme et assuré : « Que dis-tu de ce breuvage , lui « demanda-t-il encore ? Est-il permis d'en faire des « libations ? » Cet homme lui répondit qu'il n'y en avoit que pour une prise. « Au moins, continua-t-il, il est « permis, et il est bien juste de faire ses prières aux « dieux, et de les supplier de rendre mon départ de « dessus la terre , et mon dernier voyage heureux : « c'est ce que je leur demande de tout mon cœur. » Après avoir dit ces paroles, il garda quelque temps le silence, et but ensuite toute la coupe avec une tranquillité plus qu'humaine, avec la douceur d'une ame qu'aucun événement, aucune disgrâce ne peut ébranler. Jusques-là, ses amis s'étoient fait violence pour retenir leurs larmes; mais en le voyant boire, et après qu'il eut bu, ils n'en furent plus les maîtres ; et elles coulèrent en abondance. Apollodore, qui n'avoit presque pas cessé de pleurer pendant toute la conversation, se mit alors à jeter des cris horribles, de manière qu'il n'y eut personne à qui il ne fît fendre le cœur. Socrate seul n'en fut point ému : il en fit même quelques
�HÉROÏSME."
3lV
reproches à ses amis, mais avec sa douceur ordinaire, « Que faites-vous ? leur dit-il. Je vous admire. Eh! me? « amis , où est donc la vertu ? JN'étoit-ce pas pour cela « que j'avois renvoyé ces femmes, de peur qu'elles ne « tombassent dans ces foiblesses? car j'ai toujours ouï « dire qu'il faut mourir tranquillement et en bénissant « les dieux. Demeurez donc en repos, et montrez plus « de fermeté, plus de courage.» Ces paroles les remplirent de confusion, et les obligèrent de suspendre leurs sanglots. CependantiSocrate continuent à se promener; et quand il sentit ses jambes appesanties, il se coucha sur le dos , comme on le lui avoit recommandé. Le poison alors produisit, son effet de plus en plus. Quand le philosophe vit qu'il commençoit à gagner le cœur : « Criton, dit-il, et ce furent ses dernières paroles, nous « devons un coq àEsculape ; acquittez-vous pour moi « de cette pieuse obligation, et ne l'oubliez pas. » Il rendit bientôt après le dernier soupir. Criton s'approcha, et lui ferma la bouche et les yeux. Telle fut la fin de Socrate , la première année de la xcv.e olympiade et la soixante et dixième de son âge. 3. L'empereur Valens, ardent sectateur de I'arianisme, s'efforçoit de le faire régner avec lui dans toutes les provinces de son département. Après avoir tourmenté la Propontide, la Bithynie, la Galatie, il vint fondre sur la Cappadoce , suivi d'un grand nombre d'hérétiques qu'il enrichissoit des dépouilles des catholiques. Basile étoit assis depuis peu sur la siège de Cesarée, capitale de cette province. L'empereur avoit en vain employé les plus puïssans du pays pour traverser son élection. Ce saint prélat fut un rempart inébranlable, contre lequel vinrent se briser toutes les forces de l'hérésie. Valens, en approchant deCésarée, envoya le préfet Modeste, pour l'intimider, et l'obliger de recevoir les ariens dans sa communion. Le préfet manda Basile : et, d'un ton fier et menaçant, il lui reprocha d'abord son opiniâtreté à rejeter la doctrine que l'empereur avoit embrassée. Gomme il le voyoit inflexible: « Ne savez-vous donc pas, lui dit-il, que je suis le maî« tre de vous dépouiller de vos biens, de vous exiler *
y 4
�/
Si 2 ( HÉROÏSME. « de vous ôter même la vie? — Celui qui ne possède « rien, répondit le prélat, ne peut rien perdre,àmoins « que vous ne vouliez peut-être m'arracher ces mise'« rables vêtemens, et un petit nombre délivres qui font « toute ma richesse. Quant à l'exil, je ne le connois « pas : toute la. terre est à Dieu;par-tout elle sera nia « patrie, ou plutôt le lien de mon passage. La mort nie « sera une grâce, elle me fera passer dans la véritable « vie:ilyamêmelong-temps quejesuismortàcelle-ci.» Ce discours, animé de la seule vraie philosophie, mais tout nouveau pour les oreilles d'un homme de cour, étonna le préfet.«Personne, dit-il, ne m'a encoreparlé « avecuneparaillehardiesse.—C'est apparemment, ré« pondit froide m entBasile, quevous n'avez encore ren« contré aucun évêque.» Modeste ne put s'empêcher d'admirer l'héroïsme de cette ame intrépide. Il alla rendre compte à l'empereur du peu de succès de sa commission. «Prince, lui dit-il, nous sommes vaincus par « un seul homme. N'espérez ni l'effrayer par des me« naces , ni le gagner par des caresses : il ne vous « reste que la violence.» Valens ne jugea pas à propos d'employer cette voie : il craignoit le peuple de Césarée, et sentoit, malgré lui, du respect pour le saint prélat. 4-Un capitaine hollandais, nommé Jean Scaffelaar, occupoit la tour de Barnevelt, en 1482. On vint l'y assiéger , et d'abord on le somma de se rendre. Il ne voulut capituler que lorsqu'on Pattaqueroit avec du canon.On fit la brèche: il consentit à se rendre. Pour pi-éliminaire , les assiégeans demandèrent qu'on leur jetât le capitaine du haut du donjon. Les assiégés jurèrent de se faire tous tuer plutôt que d'écouter une telle proposition. Mais le généreux Scaffelaar, embrassant un des crénaux: « Mais amis, leur dit-il, comme « il faut que je meure un jour, jamais il ne se présen« tera un plus beau moment, puisque je vous sauve « par ma mort;» et il se précipita du haut de la tour. 5.Dans un débordement de I'Adige,lepont de Vérone venoit d'être emporté, à l'exception de l'arcade du milieu, sur laquelle étoitune maison où toute une famille étoit renfermée. On la voyoit du rivage tendre les mains et implorer du secours.Cependant la violence de
�HEROÏSME.
3l3
torrent détruisoit à vue d'œil les piliers de l'arcade. Dans ce danger extrême, le comte Je Spolverin'npropose une bourse de cent louis à celui qui aura le courage d'aller sur un bateau délivrer ces malheureux.On risquoit d'être emporté par la rapidité du fleuve, ou d'être écrasé par les ruines de l'arcade , en abordant dessons.Le concours du peuple étoit innombrable , et personne n'osoit s'ofTrir.Dans ce moment passe un villageois ; on l'instruit de l'entreprise proposée , et de la récompense qui y est attachée. Il monte aussitôt un bateau, gagne, à force de rames, le milieu du fleuve, aborde, attend au bas de la pile que toute la famille , père, mère, enfans et vieillards, se glissantle longd'une corde,soient descendus dans le bateau. « Courage ! s'é« cria-t-il, vous voilà sauves ! » Il rame , il surmonte l'effort des eaux, et regagne enfin le rivage. Le comte de Spolverini veut lui donner la récompense promise: « Je ne vends point ma vie , lui dit le magnanime vil« lageois ; mon travail suffit pour me nourrir , moi , « ma femme et mes enfans : donnez cela à cette pau« vie famille , qui en a plus besoin que moi. » 6. Le célèbre Eschine ,1e rival, et presque l'égal de Démosthene, ayant accusé ce grand orateur de trahison, etn'ayant pu prouver ses calomnies, fut banni d'Athènespar les suffrages de tout le peuple. Le vainqueur usa de sa victoire en héros ; car , a.u moment qu''Eschine sortitd'Athènes pour aller à Rhodes, il courut après lui la bourse à la main,et l'obligea d'accepter une somme considérable, pour le dédommager, en quelque sorte, des biens qu'il venoit de perdre par son imprudence. Eschi ne, étonné d'une générosité si héroïque, s'écria: « Comment ne regretterois-je pas une patrie où je « laisse un ennemi si magnanime, que je désespère de « rencontrer ailleurs des amis qui lui ressemblent! » 7. Le comte de Mansfeld, l'ûndes plus grands capitainesdusiècledernier, eutdespreuves certaines qu'un apothicaire avoit reçu une somme considérable pour l'empoisonner. Il l'envoya chercher; et lorsqu'il parut devant lui : « Mon ami,, lui dit-il , je ne puis croire « qu'une personne àquijen'aijamaisfaitdemal,veuille « m'ôterla vie.Sila nécessité vous réduit à commettre
�5l4 HONNÊTETÉ. « un telcrime, voilàdel'argent: soyezhonnête homme.» 8. Le héros manifeste, jusques dans les plus petites choses, l'élévation de son ame ; et c'est de lui qu'on peut dire véritablement, que ce sont moins les emplois qui font les hommes , que les hommes eux-mêmes qui font les emplois. Les Thébains, jaloux de la gloire à'Epaminondas, et voulant, en quelque sorte, le mettre au niveau de ses concitoyens, le chargèrent du soin de faire nettoyer les rues de la ville. Ce grand homme , bien loin de croire cette commission indigne de lui, s'en acquitta avec tant de soin, il mit tant de noblesse dans ces fonctions abjectes en apparence ; il les identifia , pour ainsi dire, tellement avec le bien public, que cette place, jusqu'alors vile et méprisée, devint dans la suite l'une des premières charges de la république, et l'objet des voeux des pins grands personnages de Thèbes. Voyez CONSTANCE , EGALITÉ , FERMETÉ , GRANDEUR
D'AME , MAGNANIMITÉ.
i. HEMISTOCXE, sans cesse persécuté par les Athéniens et lesLacédémoniens,quivouloientlamortde ce grand homme , résolut, après avoir cherché plusieurs asiles,de se réfugier auprès à' Artaxerxhs-Longuemain. Quand il fut arrivé à la cour dePerse, il s'adressa au capitaine des gardes, et lui dit qu'il étoitGrec de nation, et qu'il venoit pour parler au roi d'affaires importantes qui regardoient son service. L'officierl'avertit d'unecérémonie, dont, il savoi t que quel qu es Grecs étoient blessés , mais qui étoit absolumentnécessairepour parler au prince en personne : c'étoit de se prosterner profondementdevantlui. TAe/7u\y£ocZeyconsentit.Quandon l'eut admis à l'audience, il se prosterna devant le monarque, et lui dit : « Grand roi, je suis Thémistocle l'Athénien, « qui, ayant été banni par les Grecs, viens ici chercher « un asile. J'ai fait, à la vérité, beaucoup de maux aux « Perses ; mais je ne leur ai pas moins fait de bien par les « salutaires avis que je leur aifaitdonner plusd'une fois>
T ;
HONNÊTETÉ.
�HONNÊTETÉ.
3l5
« et je suis en état de leur rendre encore de plus grands « services que jamais. Mon sort est entre vos mains. « Vous pouvez montrer ici ou votre clémence, ou votre « colère. Par l'une, vous sauverez votre suppliant; par « l'antre , vous perdrez le plus grand ennemi de la « Grèce. » Le roi ne lui répondit rien sur l'heure, quoiqu'ilfïït rempli d'admiration pour unhomme si célèbre ; mais avec ses amis il se félicita de cette aventure, comme d'une faveur signalée de la fortune. On dit même que, s'étant couché , l'excès de sa joie fit qu'il s'écria trois fois, tout endormi: « J'ai Thêmistocle l'Athénien. « Lelendemain, dès la pointe du jour, le prince manda les plu s grands seigneurs de sa cour, et fit appeler Thé^ mislocle, qu'il ne s'attendoit à rien que de triste, depuis sur-tout que l'un des gardes, après avoir entendu son nom, lui eut dit, la veille dans la sallemême du roiqu'il venoitde quitter : « Serpent deGrèce, plein de ruse et « de malice , la fortune duroi t'amène ici. » Maisle monarque lui fit un accueil très-favorable ;*et il lui di t qu'il commencoitpar lui donner deux centmille écus, somme qu'il avoit promise à quiconque le lui livreroit, et qui, par cette raison, luiétoit due, parce qu'il avoit apporté lui-même sa tête en se livrant à lui. Ensuite il lui ordonna de lui parler des affaires de la Grèce. Mais Thêmistocle , ne pouvant s'expliquer que par le moyen d'un interprête, pria le roi de lui permettre d'apprendre la langue persane, espérant qu'alors il pourroit être en état d'exposer mieux lui-même ce qu'il avoit à luicommuniquer. Cette grâce lui ayant été accordée, il apprit si bien, dans l'espace d'un an, la langue du pays, qu'il parvint à parler le persan plus élégamment que les Perses même ; et bientôt il fut en état de s'entretenir avec le roi sans truchement. Ce prince luimarquaune estime et une considération extraordinaire. Il lui fit épouser une dame de plus nobles familles de Perse : il lui donna une maison et un équipage convenable, et lui assigna les revenus nécessaires pour s'entretenir honorablement. Il le menoit avec lui à la chasse, le mettait de tous ses plaisirs etde tousses divertissemens,ets'entretenoit souvent avec lui en particulier, jusqu'àdonnerdela jalousie
�3l6
HONNEUR.
et de l'inquiétude aux grands seigneurs de sa cour .H le présenta mêm e aux princesses, qui l'honorèrent de leur affection, et lui donna les entrées chez elles. On rapporte , comme une marque spéciale de faveur, que, par son ordre , il fut admis à entendre les leçons et les discours des mages, et instruitpar eux dans tous les secrets de leur philosophie. Thémistocle, parvenu à ce haut degré de faveur, honoré et recherché de tout le monde, qui s'empressoit de lui faire la cour, dit un jour à ses enfans, voyant sa table magnifiquement servie : « Mes « enfans, nous périssions , si nous n'eussions péri. » Comme on crut que l'intérêt du roi demandoit que Thémistocleûtson séjour dans quelqu'une des villes de l'Asie mineure, pour y être à portée de lui rendre service dans l'occasion, on l'envoya à Magnésie, située sur le Méandre. Ce fut dans cette circonstance que la généreuse honnêteté d'Artaxerxès à l'égard de son hôte se manifesta dans toute son étendue : outre tous les revenus de Magnésie, qui étoient de cinquante mille écus, il lui assigna quatre autres villes qui dévoient lui fournir, l'une du pain, l'autre du vin, la troisième la viande, et la dernière les meubles et les habits. Voyez CIVILITÉ , POLITESSE , SAVOIR-VIVRE , URBANITÉ.
HONNEUR. i. (QUELQU'UN disoit au roi Agésilas : « Seigneur, « vous vous rappellerez bien que vous m'avez promis « une grâce : or , il est du devoir d'un monarque de « tenir , non - seulement les promesses qu'il fait de « bouche , mais encore celles qu'il fait par un signe « de tête; » et par ces paroles et d'autres semblables, il pressoit vivement le prince de remplir la promesse qu'il lui avoit faite. Mais la grâce qu'il demandoit étoit contraire aux règles de l'honneur; et Agésilas ne l'avoit promise que par inattention. Pour se défaire de cet importun solliciteur : « Mon ami , lui dit-il , je sais « que je vous ai bien promis ce que vous me deman« dez ; mais je sais aussi qu'il ne faut demander aux « rois que ce qu'ils peuvent honnêtement accorder. »
�HONNEUR.
3l7
2. Aristide aimoit à rendre service à ses amis ; mais
jamais il ne cherchoit à leur être utile, ni à leur plaire aux dépens de la justice. Il évitoit avec grand soind'em,ployer leur recommandation pour arriver aux charges, craignant que ce ne fût pour lui un engagement dangereux, et pour eux un prétexte plausible d'exiger de lui les mêmes services en pareille occasion.. Ce grand homme avoit coutume de dire que le véritable citoyen, l'homme de bien ne doit faire consister son crédit et son pouvoir qu'à pratiquer lui-même, en toute occasion, et à conseiller aux autres ce qui est honnête et juste3. Le chevalierBayard avoit été blessé mortellement en combattant pour sa patrie et pour son roi ; et ce héros, l'honneur et la fleur de la chevalerie, étoit couché au pied d'un arbre. Le connétable dùedeBourbon,qui Doursui voit l'armée des Français, passant près de lui, et l'ayant reconnu, lui dit qu'il avoit grande pitié de lui, le voyant en cet état, pour avoir été si vertueux chevalier. « Monsieur, lui réponditI?ay-ar<i, il n'y a point |« de pitié en moi, car je meurs en homme de bien ; |« mais j'ai pitié de vous , de vous voir servir contre |« votre prince , et votre serment. » 4- Le maréchal deBrissac, qui avoit épuisé sa fortune pour servir la patrie, eût aisément rétabli ses affaires , s'il eût voulu entrer dans les intrigues des Guises; mais ce seigneur trouva qu'ilachèteroittropcherleurs bienfaits, s'il en coûtoit quelque chose à son devoir; et sur zb que ses confidens lui représentoient qu'il laisseroit sa maison sans fortune : « Au moins, répondit-il, je lui « laisserai ce qu'il a dépendu de moi de lui donner, de j« l'honneur et de bons exemples ; il ne me convient j« point de rétablir mes affaires auxxlépens de laFrance, k< moi qui ne me suis ruiné que pour la servir. » 5. Ferdinand, roi d'Espagne, ne cherchoit qu'à se jouer de la bonne foi deLouisXII. Ce prince s'en plaignit un jour au roi des Romains, gendre de Ferdinand. je jeune monarque tâcha d'ex«user son beau-père : j« Non , non , dit Louis , si votre beau-père a fait une |« perfidie , je ne veux pas lui ressembler, et j"aime l« beaucoup mieux avoir perdu mou royaume de Na-
I
�3l8 HONTE. « pies , que je saurai bien reconquérir , que non paj « l'honneur qui ne se peut jamais recouvrer. » HONTE. i. ÏJA honte peut souvent enfanter L'honneur, mais il faut pour cela que ses motifs soient nobles. Un Lacédé-j monien , nommé Panthites , avoit accompagné le roij Léoridas dans la fameuse journée des Thermopyles.j Avant le combat, ce prince l'envoya , avec, une lettre, en Thessalie, afin d'instruire les Grecs alliés de l'état actuel des choses : cette commission priva Panthites de l'honneur de mourir avec ses compagnons pour le salut de la patrie. Ses concitoyens crurent qu'il ne s'étoit chargé de cette lettre qu'afin d'avoir un pré texte plausible pour ne point combattre. Ce préjugé, qu'il pouvoit aisément détruire , lui causa une telle honte, qu'il ne put soutenir cet affront, et préférant une mort volontaire , regardée alors comme le plus grand effort du courage, à une vie dont il ne pouvoit plus jouir sans rougir i il se pendit. ■ 2. Luciùs-Crassus demandoit le cons ulat. Il étoitd'usage que les candidats allassent briguer le suffrage des principaux citoyens qui composoient l'assemblée du peuple. Crassus avoit déjà commencé à se conformer à cette coutume ; et, d'un air suppliant, il prioit ses ! compatriotes de lui être favorables. Dans ce moment, ; il aperçoit Ouintus Scévola, grave et sage personnage, et son beau-père. A cette vue il rougit des démarches humiliantes qu'il vient de faire, il n'ose les continuer devant ScévoLa. Cependant, comme il n'avoit que ce moyen de réussir , il va prier son beau-père de vouloir bien se retirer , s'il veut le voir consul. 3. Le lendemain de la bataille de Pharsale, le grand Pompée , vaincu par César, se retiroit àLarisse.Tout le. peuple de cette ville sortit à sa rencontre : « Mes « amis , leur dit l'infortuné général, je ne méri te pas « de tels honneurs : allez les rendre à mon heureuJ « rival. » Voyez RESPECT HUMAIN.
�HOSPITALITÉ. .
HOSPITALITÉ.
3l9
. S'IL passoitun étranger dans lepays des Quades, ation germanique , il était reçu avec affabilité dans eurs cabanes : on se disputait l'honneur de l'avoirpour ôte. On le logeoit, on prévenoit ses besoins , ses déirs même ; et le maître , sa femme , ses enfans , tous 'empressoient à le servir, et regardoient comme une veur du ciel, le hasard qui l'avoit conduit chez eux. 2. Jean Basilowitz, czar de Moscovie , s'habilla un nur en paysan , et alla dans un village demander de Borte en porte un asile pour passer la nuit. Il ne reçut *#ar-tout que des refus, excepté dans la cabane d'un pauvre homme , dont la femme étoit près d'accoucher. Il |Haccueillit de son mieux; et en le quittant, le czar, sans Ï» faire connoître, lui promit de venir le voir le lendemain, et de lui amener un parrain pour son enfant. Ilrevinteri effet, avec tout l'éclat de sa dignité, et combla son hôte de présens. Ensuite il commanda à ses gardes de mettre sur-le-champ le feu à toutes les maisons du village , et d'obliger les habitans à passer la nuit en pleine campagne , afin qu'ils devinssent plus charitables , en éprouvant ce qu'on souffre pendant une nuit tres-froide , sans feu,sans nourriture et sans couvert. 11 3. Leshabitansde Cumes envoyèrent consulter l'oracle d'Apollon, pour savoir s 'ils dévoient livrer au roi de Perse un certain Pactyas, qui s'étoitmis sous leur protection. L'oracle dit qu'il falloit le livrer. Aristodicus, un des premiers de la ville, soutint que l'oracle n'avoit pu faire une réponse si inj uste, et qu'il falloitnécessairem entque les députés e uss entfait un fauxrapport. La ville, sur cette représentation, chargea Aristodicus d'y aller lui-même avec denouveaux députés .L'oracle fit la même réponse. Aristodicus ,,-peu satisfait,sepromenant autour du temple, aperçut un nid d'oiseaux qu'il chassa à coups de pierres. Alors il sortit du sanctuaire une voix qui lui cria : « Détestable mortel ! qui te donne la hardiesse de
�320 HCMAÎilTÉ. « chasser d'ici ceux qui sont sous ma protection?—Eh « quoi ! grand dieu ! répondit aussitôtle citoyen de Cu« mes, nenous avez-vous pas ordonné vous-même cette « action si injuste, en nous commandant de livrer Pac« tyas, qui s'est réfugié sous notre protection? — Ini« pie que vous êtes, reprit le dieu, puisque vous savez « que c'est un crime d'abandonner ceux qui se jettent « entre vos bras, pourquoi venez-vous me consulter?»
HUMANITÉ. i. DURANT les attaques de Ménin, en iy^5, on dit au roi LouisXV, qui commandoit le siège en personne, qu'en brusquant un peu, en perdant quelques hommes , on seroit quatre jours plutôt dans la ville. « Eh « bien, répondit le monarque, prenons-la quatre jours « plus tard. J'aime mieux perdre quatre jours devant « une place , qu'un seul de mes sujets. » 2. A la journée de Dettingue , en 1743, un mousquetaire, nommé Girardeau, blessé dangereusement, fut porté près de la tente du duc de Cumberland. On manquoit de chirurgiens , assez occupés ailleurs. On alloit panser le duc , à qui une balle avoit percé les chairs de la jambe : « Commencez, dit ce généreux « prince, commencez par soulager cet officier français. « Il est plus blessé que moi. Il manqueroit de secours, « et je n'en manquerai pas. » 3. Alfonse V, roi de Sicile et d'Aragon, assiégeoit la ville de Gayette. Cette place commençant à manquer de vivres, les habitans furent obligés d'en faire sortir les femmes, les enfans et les vieillards quiétoient autant de bouches inutiles. Ces pauvres gens setrouvèrentréduits à la plus affreuse extrémité. S'ils approchoient de la ville, les assiégés tiroient sur eux; s'ils avançoientvers lecarap des ennemis, ils y rencontraient le même danger. Dans cette triste situation, ces malheureux impl oroi en t tantôt la clémence du roi, tantôt la compassion de leurs compatriotes, pour qu'on ne les laissât pas mourir de
�HUMANITÉ.
321
Wrim. Alfonse à ce spectacle fut ému de pitié, et défen|dit à sessoldats de les maltraiter. Il assembla ensuite son lconseil, et demanda à ses principaux officiers leurs avis sur la manière dont il falloit en agir avec ces infortunés. Tous opinèrent qu'il ne falloit point les recevoir, et dirent que s'ils périssoientpar la faim ou par le fer, on ne pourroit accuser que les habitans qui les avoient mis hors de la ville. ^/Zy*on<sefutindigné de leur dureté : il protesta qu'il renonceroit plutôt à prendre Gayette, que deserésoudre à laisser mourirde faim tant de malheureux. 11 ajouta qu'une victoire achetée à ce prix seroit moins digne d'un roi magnanime , que d'un barbare et d'un tyran. « Je ne suis pas venu, dit-il, pour « faire la guerre à des femmes , à des enfans , à de « foibles vieillards , mais à des ennemis capables de « se défendre. » Aussitôt il ordonna qu'on reçût dans son camp tous ces infortunés , et leur fit distribuer des vivres et tout ce qui leur étoit nécessaire. Il rencontra sur son chemin un paysan qui étoit fort embarrassé,parce que son âne, chargé de farine, venoit de s'enfoncer dans la boue. Le prince aussitôt metpied à terre, et vapour le secourir. Arrivé à l'endroit où étoit l'âne, il se met avec le paysan à le tirer par la tête, afin de le faire sortir du bourbier. Un moment après qu'on l'eut retiré , les gens de la suite d'Alfonse arrivent; et voyant le roi tout couvert de boue,ils s'empressentde l'essuyer, et lui font changer d'habits. Le paysan, fort étonné de voir que c'étoit le roi qui l'avoit si bien servi en cette opération, commença à lui faire des excuses, et à lui demander pardon. Alfonse\e rassura avecbonté, et lui dit que les hommes étoient faits.pour s'aider mutuellement : maxime bien rare dans la bouche des i-ois ! 4- Un chimiste romain , nommé Poli, avoit découvert une composition terrible, dix fois plus destructive que la poudre à canon. II vint en France en 1702 , et offrit son secret à Louis XIV. Ce prince, qui aimoitles découvertes chimiques, eut la curiosité de. voir la composition et reffet.de celle-ci. Il en fit faire l'expérience soussesyeux.PoZine manqua pas de lui faire remarquer les avantages qu'on en pourroiltirer nendanlune guerre. Tome IL ' X
�322 HUMANITÉ. « Votre procédé est ingénieux , lui dit le roi : I'er ' « rience en est terrible et surprenante ; mais la « movens de destruction employés à la guerre sont « suffisans : je vous défends de publier celui-là; con« tribuez plutôt à en faire perdre la mémoire : c'est « un service à rendre à l'humanité. » Ce fut soi» cette condition que ce grand monarque accorda une récompense digne de lui au chimiste. 4- -Le roi Stanislas , à qui son humanité et ses vertus sublimes méritèrent le surnom rare et glorieux de Bienfaisant, persécuté par des sujets rebelles, proscrit de ses propres états , errant dans une terre étrangère , avoit cherché un asile dans le duché de Deux-Ponts. Il s'y croyoit en sûreté, lorsque des malheureux résolurent de l'arrêter , pour le livrer à ceux qui avoient juré sa perte et mis sa tête à prix. Mais ces scélérats furent arrêtés en sa présence. «Que vous « ai-je fait, mes amis , leur dit-il, pour vouloir me « livrer à mes ennemis? De quel pays êtes-vous?» Trois de ces misérables répondirent qu'ils étoient Français. « Eh bien! leur dit-il, ressemblez à vos « compatriotes que j'estime, et soyez incapables d'une « mauvaise action. » En disant ces mots, il leur donna tout ce qu'il avoit, son argent, sa montre, sa boîte d'or; et ils partirent en admirant et en versant des larmes. ,5; Un pauvre cultivateur , des environs d'Amboise, laissoi t, par sa mort, une femme dans la misère, et quatre enfans en bas-âge. La femme tombe malade peu de temps après , et suit son époux au tombeau. La famille s'assemble , et se partage les trois enfans les plus âgés; mais personne ne veut se charger du quatrième , âgé de quatre mois. On députe un des païens pour aller consulter un ecclésiastique vertueux , qui, dans un château voisin, élevoit deux jeunes seigneurs. r L'ecclésiastique ne voitd'autre ressource que d'envo3 cr le malheureux orphelin à l'Hôtel-Dieu de Blois , ou aux Enfans-Trouvés de Tours. Mais l'un de ses élèves, âgé d'environ 12 ans , témoin de la consultation et de la réponse, s'écrie : « Je me charge de l'enfant, allons << le voir. » Son gouverneur lui représente , pour
�k la M E u R ( bonne ). 5î>3 l'éprouver, que ses moyens ne pourront suffire à la dépense, et que d ain'eùïsM. le père estdé jà accabléd'une multitude de pauvres. « Quoi ! mon bon maître, répon« dit-il avec vivacité, ce laboureur, qui vient vous con« sulter avec la plus grande confiance, et qui peut à « peine faire vivre une mère infirme, trouve dans sa « misère des ressources pour se charger d'un de ces « malheureux orphelins ; et moi, fils d'un père riche, « je n'en trouverois pas pour secourir ce petit enfant « encore plus infortuné ? Je sacrifierai , avec la plus « grande satisfaction , tous mes menus-plaisirs , et je « demanderai à mon bon papa une culture afin de << fournir aux besoins du petit innocent. Partons pour « rassurer au plus vite sa famille. » On court aussitôt : on arrive à la cabane ; on trouve l'enfant. Il tend ses petits bras vers son bienfaiteur : il le caresse ; on eût dit que le Ciel le lui désignoit. Le jeune homme l'embrasse avec transport, et dit aux plus proches parens: « N'ayez plus d'inquiétude sur cet enfant 5 je m'en « charge; il est à moi. Cherchez nue bonne nourrice, « le plus près que vous pourrez du château : je veux « être à portée de veiller à ses besoins. » Depuis ce temps , il ne fut plus occupé , dans ses momens de loisir, que de son charmant enfant qu'il appeloit son fils. Il entrait dans le détail de tout ce qui lui étoit nécessaire , et le lui fournissoit avec cette joie pure et dovice qui accompagne toujours la bienfaisance. Voyez BIENFAISANCE , CHARITÉ , GÉNÉROSITÉ.
XXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXWXXXXXXXXXXXXXXX-XXXXXXXXXXXXXXXX-XXXXXXXX
H
U
M
EUR
(
bonne).
i. XJE marquis deDangeau ayant été admis à la cour des deux reines, mère et épouse de Louis XIV, le jeu. devint pour lui la source d'une fortune considérable. 11 en avoit souverainement l'esprit. Avec une tête naturellement algébrique, et pleine de l'art des combinai» sons puisé dans ses réflexions seules , il eut toujours l'avantage au jeu des princesses. Cependant il 110 ressembloit pas à ces joueurs sombres et sérieux, dontl'apX 2
�3a4 HUMEUR ( bonne ). . plication profonde découvre le dessein, et blesse ceux qui ne pensent pas tant. Il parloit avec toute la liberté d'esprit possible : ildivertissoitles deux reines ; il égayoit leur perte. Comme elle alloit à des sommes assez fortes, elle déplût à l'économie de M. Colbert qui en parla au roi, même avec quelque soupçon. Le roi trouva moyen d'être un jour témoin de ce jeu, et placé derrière le marquis de Dangeau, sans en être aperçu. Le monarque se convainquit par lui-même de son exacte fidélité; et il fallut le laisser gagner et rire tant qu'il voudrait. Bientôt son humeur enjouée plut à Louis XIV, qui l'ôta du jeu des reines pour le mettre du sien, avec une dame qu'il prenoit grand soin d'amuser agréablement. 2. Àla répétition ÀesFétespubliques, opéra comique, mademoiselle S***, connue sous le nom de ma mieBabichon, se glissa derrière le banc des symphonistes qui étoient rangés sur une ligne dans l'orchestre. Babichon attacha aux perruques des musiciens des hameçons qui se réunissoient à un fil de rappel, attaché à une des troisièmes loges. Cette jeune espiègle y monte , et attend le signal de l'ouverture. Au premier coup d'archet la toile se lève ; en même temps les perruques s'envolent. Grande rumeur : on cherche l'auteur de cette espièglerie. Un grave musicien , qui présidoit à la répétition, veu t en avoir raison.Cependant2?<zèie/zo« avoit eu la temps de descendre : elle s'étoit placée auprès du plaignant, et crioit plus fort que lui. Mais elle fut bientôt reconnue à son air hypocrite et malin. Elle avoua sa faute , et, s'adressant au sermoneur ; « Hélas ! monsieur , lui dit-elle , je vous supplie de « me pardonner : c'est un effet de l'antipathie insur« montable que j'ai pour les perruques ; et même ,.au « moment que je vous parle , malgré le respect que « je vous dois, je ne puis m'empêcher de me jeter sur « la vôtre; » ce qu'elle fit, en prenant la fuite aussitôt. On voulut venger l'honneur des têtes à perruques : on porta plainte. Babichon fut mandée devant un commissaire ; mais elle raconta si plaisamment son histoire, que le juge, l'accusée, les accusateurs et les auditeurs étouffant de rire, terminèrent gaiement ce procès burlesque. Voyez ENJOUEMENT, GAIETÉ, JOIE, RIS.
�HUMILITE.
HUMILITE.
325
i. UN solitaire ne voulutpointpricravecS.^eVap/ofl!, parce qu'il avoit commis, disoil-il, tant de pécbés , qu'il s'estimôit indigne d'un tel honneur , et même de respirer le même air que lui. 11 se tenoit assis contre terre, et n'osoit pas se placer sur le même siège que le saint. Il fit de plus grandes résistances encore, lorsque Sérapion voulut lui laver les pieds. Le saint anachorète Payant engagé , après Lien des instances , à manger un morceau de pain avec lui, crut devoir l'avertir avec douceur , de n'être plus oisif et vagahond a l'avenir , mais de demeurer dans sa cellule , pour y vivre du fruit de son travail. Cet avis charitable piqua sensiblement l'amour-propre du solitaire ; l'amertume de son coeur parut sur son visage , et Sérapion s'en aperçut: « Eh! mon fils, lui dit-il, vous vouliez me persuader, « il n'y a qu'un moment, que vous aviez commis tous « les crimes imaginables ; d'où vient donc qu'un « simple avertissement, qui n'a rien d'offensant, qui « devrait même vous édifier et vous prouver combien « votre salut m'est cher, vous irrite si fort, que vous ne « pouvez cacher votre indignation ? Attendiez-vous , « lorsque vous vous efforciez tantôt de vous humilier, t que je vous appliquasse cette parole de l'esprit-saint : « Le juste commence son discours par s'accuser soi;< même? Ah! mon fils, la véritable humilité ne consiste pas dans les gestes , ni dans les paroles ; elle te ne consiste pas à s'attribuer de faux crimes que « personne ne croira , mais à souffrir avec patience « que les autres nous reprennent, et à mépriser, avec « une douceur affable, toutes les injures qu'on nous « fait. » 2. Lorsque S. Louis s'asseyoit auprès du prêtre |>our confesser ses péchés , il se regardoit comme un jfcqupable que Dieu même alloit juger : il s'humilioit jsous sa main puissante ; et si, durant l'aveu de ses X 5
�Ô26
H V M I L I T É.
fautes , quelque porte ou quelque fenêtre s 'ouvra t, il se levoit aussitôt pour l'aller fermer , en disant à son confesseur : « Vous êtes mon père ; je suis votre « fils : c'est à moi de vous servir. » 5. Quelqu'un des amis du cardinal le Camus , le félicitant sur la nouvelle élévation , lorsqu'il reçut le chapeau , et lui disant que sa dignité étoit le fruit et le' tribut de son mérite , il répondit fort humblement: « Il faut que SaSainteté aime bien la vertu, puisqu'elle « en récompense jusqu'à l'ombre. » 4- Philippe, père du grand slle.vandre, roi de Macédoine, s'excreant un jour à la lutte, se laissa tomber sur l'arène. En se relevant, il vit la trace de son corps imprimée sur le sable : « Grand Jupiter ! s'écria-t-il, « que l'homme tient, peu déplace sur cette terre dont « il ambitionne l'empire , et qui suffit à peine à ses « désirs ! » 5. Un étranger, curieux de s'instruire de l'ancienne histoire de France , alla consulter le fameux M. Ducange. Cet écrivain l'envoyant au P. Ma.billon : «On « vous trompe , quand on vous adresse à moi , dit le « modeste religieux; allez voir M. Ducange. — C'est « lui-même, qui m'envoie à vous , dit l'étranger. — Il « est mon maître , répliqua dom Mabillon. Si cepen« dant vous m'honorez de vos visites , je vous corn« muniquerai le peu que je sais. » Voyez MQPESTIE,
�.T E V.
227
J E U.
I. CJARDONS-NOUS
de confondre les jeux de là cupilité , avec les délassemens que la nature et la raison' permettent en tout temps , en tous lieux , à tous les Iges , à toutes les conditions. Jeunes ou vieux, riciics lu pauvres, le philosophe et l'artisan, tous ont besoin amusomens. Ils ne sauroient. se passer , les uns de écréations , les autres de réjouissances ; mais ces éjouissances , ces récréations, peut-on les trouver ans les jeux de hasard ? • 2. Caton le censeur ne cessoit de crier aux Romains : Citoyens , fuyez les jeux de hasard ! » 3. « On ne joue d'abord que par complaisance, dit Yong-Tcheng, empereur de la Chine, dans sonédit contre le jeu, oubien par désreuvrement.On ne donne < que des momens au jeu , puis des heures, puis des < jours , puis des nuits entières ; et c'est ainsi que la x passion s'allumant par degrés, dévore le temps plus < cher que l'or, etfait oublier les devoirs lesplus sacrés. » /j. Les jeux de -hasard furent dans tons les temps egardés comme le fléau des nations policées, et les eupîes les plus sages dévouèrent au mépris ceux qui n faisoient une occupation sérieuse et continue , lu tôt qu'un simple amusement momentané. Le Laédémonien Chilon , député à Corinthe pour y conracter une alliance, ayant surpris au jeu les premiers nagistrats de cette ville, se retira brusquement, déparant qu'il ne savoitpas traiter avec des joueurs , et bue son pays le désavouerait, comme s'ileûtpartagél'inffamie qu'on attachoitàSparfeà ces sortes d'amusemens. Pour déconcerter le parti de Catilina. etrendrelaconjuration de ce citoyen perfide vraisemblable aux sénajteurs, CiceVonn'imagina rien de pi nsfort que d'affirmer Ique le parti du. rebelle n'étoit composé que de joueurs. Pour diffamer Antoine le triumvir, l'un des plus effrénés joueurs de son temps, puisqu'il bravoit les lois qui % 4
�523 JEU. proscrivoient le ]en, ce même orateur lfaccusa d'avoir mis plusieurs joueurs au nombre des sénateurs. 5. Lucien conseilloit à ses contemporains de rappeler l'usage du siècle de Saturne, où l'on ne jouoit tout au plus que des noix. Le droit romain permettoit les jeux de hasard,"pourvu que la perte fût employée à se donner des festins. CharlesIX défendit àceuxquicrioientdes oublies dans les rues, de jouer de l'argent aux dés, leur ordonnant de, ne jouer que des oublies. Amédêe VlH duc de Savoie , déclare dans ses statuts publiés en 1470 , quels jeux seront permis ou défendus-dans ses états. « On ne pourra , dit-il, jamais jouer d'argent, « à moins qu'il ne soit employé «à des collations oura« fraîchissemens. » Les cartes étoientmises aurangdes j eux prohibés : il les permettoit seulement aux femmes et aux hommes qui jouoient avec elles, pourvu que l'on n'y jouât que des épingles. Mademoiselle Plisson de Chartres lit unpetit ouvrage , afiu d'inviter les riches à ne jouer, comme autrefois chez les Perses, qu'au profit des pauvres. C'étoit-là véritablement, comme l'observe le vertueux M. Dusaulcc , dans son estimable. Traité de la passion du jeu, attaquer la racine du mal. Que n'a-t-elle réussi ! ajoute-t-il : on ne joueroit plus , ou si on jouoit encore, ce ne seroit. guère qu'aux épingles. 6. Quintilienrecofamandoit à ses disciples d'éviterles amusemens stériles , et qui n'étojent, disoit-il, que la ressource des ignorans.Danslessiècles postérieurs, des hommes démérite, tels que Jean de Salisbury, évêque de Glocester ; le fameux Jean Hus , et le cardinal Cajctan , se sont plaints et du temps que l'on perd aux jeux les. plus innocens, et des passions fâcheuses que l'on y éprouve souvent malgré soi. Montaigne appelle le jeu des échecs un niais et pxiéril jeu ; et il en faut dire autant de tous ces amusemens sédentaires par lequel on prétend appeler ou corriger la fortune. « Je le hais et le fuis , dit-il , parce qu'il esbât trop « sérieusement : j'ai honte d'y fournir l'attention qui « suthroit à quelque chose d'utile. » 7. Les anciens ne souffrirent long-temps que des jeux capables de fortifier et d'aguerrir la jeunesse.
�3^9 L'empereur Justinien , ennemi déclaré des jeux de hasard , permettoit seulement de risquer des sommes très-modiques aux jeux d'adresse; encore fixoit-il la perte de chaque partie , et la proportionnoit-il aux facultés les plus bornées. 8. Le prix aux jeux olympiques n'étoit qu'une couronne d'olivier. « O dieux ! s'écrioit vm Perse , quel « sont donc ces hommes qui méprisent l'argent , et « ne combattent que pour la vertu ? » 9. Alexandre , qui méprisoit le jeu , n'épargnoit pas à cet égard , ses amis les plus intimes. Il en coudamnaplusieurs à une amende,parce qu'ils ne jouoient pas pour jouer, disoit-il, mais pour se dépouiller. 10. On reprochoit à Xénophane de fuir le jeu par timidité. « J'avoue, répondit-il , que je ne me sens « ni le courage de l'injustice , ni celui de la honte. » 11. L'un de nos plus excellens rois , S. Louis, frémissoit quand il entendoit seulement parler des jeux de hasard. Ce grand homme , si doux , si patient , n'étoit plus maître de lui dès qu'il savoit que ses premiers sujets , au mépris des ordonnances , avoient l'audace de se livrer à des jeux défendus. À son retour de la Palestine , et languissant sur son vaisseau des suites d'une longue maladie , il apprend que le comte d'Anjou son frère est, dans la chambre voisine , aux prises avec un autre seigneur. Quoique foible , il y court : il saisit les dés et le damier , les jette dans la mer, et, dit Joinville, « se courrouce moult fort contre « son frère. » Gautier de Nemours, qui jouoit contre le comte, ne perdit point la tête : « car tous les de« niers qui étoieut sur le tablier, dont il y avoit grant « foison , il les jeta en son geron , et les emporta. » 12. Charles P~ recommandant les jeux d'exercice, proscrivit les jeux de hasard. « ^Voulant obvier à tous « inconvéniens , disoit-il dans son ordonnance de « i36g, toujours duire et gouverner nos sujets en ce « qui peut leur être utile et agréable, défendons les « jeux de hasard. » Le prévôt de Paris, pour seconder les salutaires intentions de ce sage monarque , rendit, en 1397 , mie ordonnance dans laquelle il déclaroit
J E U.
�55o j E v. qu'en interrogeant les criminels , il avoit découvert que la plupart des crimes venoient du jeu. Cependant les tripots et les loteries n'existoient pas encore. 10. Par son ordonnance du i5 Janvier 162g, Louis XIII déclarait infâme, intestable et incapable de tenir jamais offices royaux , quiconque , malgré ses ordres réitérés , se livrer oit aux jeux de hasard. i4- Dans l'empire du Mogol , l'officier chargé de la police, est expressément obligé de poursuivre ceux qui se livrent aux jeux de hesard. 15. Le vin, la colère et le jeu, disent les rabbins, nous montrent tels que nous sommes. « Je ne joue « point, disoit un grand politique , parce que je ne « veux pas donner la clef de mon ame. » 16. « Rien n'est si grave et si sérieux , dit la « Bruyère , qu'une assemblée de joueurs : une triste « sévérité règne sur leurs visages. Implacables l'un « pour l'autre , et irréconciliables ennemis , tant que « la séance dure , ils ne connoissent ni liaisons ni « distinctions. Le hasard seul , aveugle et farouche « divinité, préside au cercle, et y décide souverainc« ment : en un mot, toutes les passions suspendues « cèdent à une seule : c'est celle du jeu. » 17. Ce qu'on nomme >eu dans la plupart des sociétés , n'est réellement que le délire d'une passion désordonnée , qui ôte à l'esprit l'exercice de ses plus belles facultés , pour le soumettre tout entier aux vaines et laborieuses combinaisons des probabilités. Locke, qui ne négligeoit. rien de tout ce qui avoit quelque rapport aux opérations de l'entendement humain , se trouvant clans une assemblée de joueurs acharnés l'un contre l'autre , eut la patience d'écrire mot à mot leurs propos discordans. Il en résulta une sorte de dialogue surchargé d"interlocutions incohérentes , d'exclamations contradictoires , de monosyllabes dépourvus de sens, et auxquels les joueurs euxmêmes ne purent rien comprendre , quand le philosophe leur pi'ésenta cette belle production de ce qu'ils appeloient. un amusement. i3. La fureur du jeu, fondée sur l'espérance qu'ac-
�35i ompagne inséparablement la crainte, perpétue les nciennes erreurs, en produit de nouvelles, et ramène es hommes à la pusillanimité qu'inspiroit l'ignorance ans les siècles de barbarie. « Toutes les fois que onsieur coupe , disoit une joueuse , je suis sûre de „ perdre. — D'où vient cela ? — Que sais-je ? c'est « apparemment qu'il a la main malheureuse. » Un autre disoit à son voisin : « Je vous avouerai que je « ne suis pas assez riche pour que vous restiez auprès « de moi. » Quelques-uns ne jouent que de l'argent d'emprunt, se figurant que cet argent doit leur porter bonheur. Paschq/ius Justus, quoique naturaliste , étoit persuadé que quelque démon l'empêchoit de gagner à son tour. Il invoquoit ce démon , il tâchoit de le fléchir. Un étranger , que l'on ne soupçonnoit pas d'être trop crédule , croyoit néanmoins que sa tabatière lui por toit malheur: «Toutes les fois que « je la tire, disoit-il, je suis sûr de perdre mon argent. » 19. Le célèbre Cardan , l'un des hommes les plus universels de son siècle , déclare , dans sa vie écrite par lui-même , que la fureur du jeu lui coûta longtemps la perte de sa réputation , de sa fortune , et qu'elle retarda ses progrès dans les sciences. 20. Rotrou ayant reçu deux ou trois cents louis , les sema dans un endroit rempli de sarmens, afin de ne pas tout perdre en un seul jour. Vaine précaution ! La nuit suivante , il secoua jusqu'au dernier fagot. 21. Dans l'une de nos dernières guerres, un simple particulier vint à l'armée pour y prendre possession d'un emploi militaire assez distingué : toutétoit nouveau pour lui, le brillant habit qu'il portoit, la haute noblesse qu'il fréquentoit, et les jeux immodérés dont il ne fut d'abord que simple spectateur. Moins effrayé des ris~ ques , que séduit par l'espoir de s'enrichir promptement ; il osa enfin tenter la fortune. Son bonheur fut tel, ou plutôt il eut le malheur de gagner des sommes si considérables, qu'il perdit la tête en voulant les compter sur sa table ; son train , ses manières , sa maison , tout fut à l'instant changé. Il voulut, avoir à Paris un magnifique hôtel et les plus brillans équiJEU.
�53a
JEU.
pages Etonné de lui même, il ne secrôilplusunhomme T ordinaire. Il rassemble ses valets , et, d'un ton qui commencoit à manifester sa folie : « Me connoissez« vous bien ? leur dit-il ; vous croyez peut-être ne « servir qu'un bourgeois. Apprenez à me connoître, « et sachez désormais qui vous servez. » A chaque apostrophe , non moins extravagante , il leur lancoit des poignées d'or et d'argent. L'heure sonne ; il court au jeu , et ne revint de son ivresse, qu'après avoir perdu non-seulement tous ses gains , mais encore la valeur de son emploi. 22. Le cardinaUeRetz rapporte dans ses mémoires, qu'en 1600, le magistrat le plus vieux du parlement de Bordeaux, et qui passoit pour en être le plus sage, ne rougissoit pas de risquer tout son bien dans une soirée, et cela, ajoute-t-il, sans que sa réputation en souffrît : tant, cette fureur étoit générale. 23. Casimir II, roi de Pologne, reçut unsoufïletde la part d'un gentilhomme polonais, nommé Konarski, qui venoit de perdre presque tout son bien en jouant contre, ce prince. A peine le coup fut-il donné, qu'il s'aperçut de l'énormité de sa fau te ; il prit la fuite ; mais les gardes du monarque l'eurent bientôt arrêté. Casimir l'attendoit en silence au milieu de ses courtisans : « Mes amis, leur dit-il en le voyant reparaître, « cet homme est moins coupable que moi : j'ai com« promis mon rang , je suis la cause de sa violence, « et le premier mouvement ne dépend pas de nous. » Puis s'adressantau criminel : « Tu te repens, il suffit: « reprends tes biens , et ne jouons plus. » 24. Il y a des joueurs qui montrent beaucoup de sang froid, et qui -, assez maîtres d'eux-mêmes pour réprimer les premiers mouvemens , semblent sourire à chaque coup qu'ils perdent,, et paraissent se ruiner sans murmurer et, sans se plaindre. Mais s'ils étoient aussi sincères que Montaigne , tel que l'on admire , feroit pitié. « J'aimois autrefois les jeux de hasard, dit « ce philosophe 5 je m'en suis défait pour cela seule« ment , que malgré ma bonne mine dans la perte , « je ne laissois pas d'en avoir au dedans de la piquûre. »
B I I I I I
I I
�JEU. 333 M. de M***, qui se vantoit d'être beau-joueur\ faint la partie du cardinal d'Auvergne, archevêque de ienne, caressoit son éminence , la consoloit chaque is qu'elle perdoit, et la supplioit très-humblement s'épargner la peine de lui pousser l'argent. Le carnal prend son tout et le gagne : « Parbleu, monsieur B'abbé , s'écrie l'autre , changeant de visage et de Ron, vous êtes trop heureux ! » ■25. Le père Lqfiteau rapporte que les sauvages de Mmérique se préparent au jeu par des jeûnes austèX. Non moins superstitieux , non moins méprisables que les sauvages, il en est parmi nous qui promettent à la Divinité de bonnes oeuvres, en échange de leurs gains. On a vu une joueuse, dont la maison étoit, pour ceux qui la fréquentoient, plus dangereuse que les gouffres de Carybde et de Scylla ne l'étoient autrefois aux navigateurs. Elle ramassoit de petits enfans délaissés, les soutenoit et les élevoit, tant avec le produit des cartes , qu'à l'aide de ses gains. On vantoit pourtant cette espèce de charité , qui ruinoit les uns sous prétexte de secourir les autres , et elle a même encore aujourd'hui plus d'un imitateur. 26. Lorsque les Germains s'étoient ruinés au jeu, ils se jouoient eux-mêmes : celui qui perdoit se livroit à la merci de son adversaire. 27. On voit à Naples , et dans d'autres endroits de l'Italie , des bateliers qui jouent leur liberté pour un certain nombre d'années. 28. S. Ambroise nous apprend que les Huns, après avoirperduleurs armes, jouaientleur vie, etsedonnoient quelquefois la mort malgré celui qui les avoit gagnés. 29. On dit qu'un Vénitien joua sa femme ; un Chinois ses enfans ; et que les Indiens, après avoir mis au jeu les doigts de leurs mains, se les coupent eux-mêmes pour s'acquitter. 30. Le célèbre du Guesclin perdit dans sa prison tout ce qu'il possédoit. 3r-. Philibert de Châlon , prince d'Orange , commandant au siège de Florence pour Charles-Quint, perdit l'argent qui lui avoit été compté pour la paie
■
■
�j E tri des soldats , et fut contraint, après onze mois de hj.| Vaux, de capituler avec ceux qu'il atiroît pu forcer. 3a. Un receveur ayant eu la curiosité de voirie jeudi la duchesse de M***, mit, par contenance , quelqu«| pièces sur le tapis : «Onnejoueicique de l'or, lui dit-on « retirez votre argent. » Cet homme fier et irascible avoit sur lui le montant de sa recette. 11 le risque d'unseuj coup , donne le tout trois fois de suite , gagne et sort « Malheureux ! lui ditson ami, si tu avois perdu ! —Ej « bien! ne devions-nous pas traverser la rivière?* 33. Un joueur, ne pouvant se corriger de la passif effrénée du jeu , malgré les pertes fréquentes qu'il faisoit, résolut de cesser de vivre , et se trouvant^ chasse , il poussa son cheval entre deux précipice On lui crie de s'arrêter, qu'il va périr : «Il faut Via, « répliqua-t-il, faire quelque chose pour ses enfans.) Quelle est donc cet te funeste maladie , dont on E peut empêcher les déplorables conséquences que )« la mort volontaire du malade ? 34-Un homme opulent perdoit cent mille écus,fj voulbit quitter le jeu pour aller vendre sa terre, m valoit le double. « Pourquoi la vendre ? lui dit sona* « versaire : jouons le reste. » La fortune changea:!: perdant ruina l'autre. 35. Pour simplifier les signes de la perte et du gaii pour n'être plus accablé sous le poids de l'or et de l'a,', gent, nos joueurs portent la représentation de leuj fortunes dans des boîtes plus ou moins élégantes. Ui femme tremblant sur le sort de son époux, qui sorlê pour faire une partie de jeu, lui fit présent de 1% de ces fatales boîtes. Ce petit chef-d'œuvre de la te: dresse conjugale et maternelle , représentoit ■ épouse suppliante , et des enfans éplorés , qui H bioient dire à leur père : « Hélas ! songez à nous.36. Une épouse délaissée , malgré ses prières et larmes, tremble que l'aurore, au retour de sonépoi n'éclaire la ruine totale de ses enfans , nés et nom dans l'abondance. Une de ces infortunées, vint la'n) dans les yeux , chercher son mari qui jouoil déjp deux jours . « Laissez-moi, s'écria-t-il, encore unt
�JEU. 333 «ment, encore un instant , je vous reverrai peut« être... après-demain. » Le malheureux arriva plutôt qu'il ne l'avoit promis. Sa femme étoit couchée, tenant à la mamelle le dernier de ses fils : « Levez-vous , « madame , lui dit son barbare époux ; levez-vous : « le lit où vous êtes ne vous appartient plus. » 3y. Celui qui succombe au jeu a beau chercher sûr le front de son adversaire le moindre signe de compassion ou de générosité , il n'y lit que ces mots : Point de grâce , point de délai ; il faut paver. « Eh ! le puis-je ? « s'écrioit un Italien ; tue-moi, barbare , je n'ai que « ma vie ; je te la donne. — Paie d'abord , répond « l'autre , je te tuerai ensuite. » Le fils d'un homme riche se désesperoit dans une circonstance semblable. Il demanda une table ; il écrivit vingt lettres , et les déchira toutes. « Feu M. « votre père, lui dit un ancien domestique qui l'avoit « élevé , n'écrivoit sur cette table que pour donner « quittance. » On négocia. » Rien ne presse, dit l'ad« versaire de ce jeune homme , pourvu que je sois « payé demain avant midi. » 38.Deux joueurs manifestoient leur rage, l'un par un morne silence, l'autre par des impréca tions redoublées. Celui-ci, choqué du sang froid de son voisin , lui reproche d'endurer, sans se plaindre , des revers coup sur coup multipliés : « Tiens ! répond l'autre , « regarde » Il s'étoit déchiré la poitrine,.et lui en montroitdes lambeaux sanglans. Ecrions-nous avec Justinicn : « Peut-on donner le nom de jeu à ce qui cause tant d'horreurs ?» 3q. « Henri II, dit Brantôme , jouoit à la paume , et s'y affectionnoit fort, non pour l'avarice ; car, ce qu'il gagnoit, il le donnoità ses associés: s'il perdoit, autant de perdu pour lui ; il payoit pour tous ; aussi es parties de ce temps-là uétoient-elles que de deux , rois ou quatre cents écus au plus ; non , comme à présent, de quatre mille, six mille et deux fois plus ; nais le payement ne s'en fait aussi beau comme alors, 3t il faut aujourd'hui faire bonne composition. » 4o. En se rappelant les vertus sublimes de HenriIF\
�336 JEU, on ne peut se dissimuler qu'il les a ternies par un amour excessif du jeu. « Il n'étoit pas beau joueur, dit Péré« fixe; mais âpre au gain, timide dans les grands coups, « et de mauvaise humeur dans la perte. » Quantité de familles illustres se ruinèrent à sa cour, en partageant avec lui cette passion funeste. Le duc de Biron y perdit, en une seule année, plus de cinq cent mille écus. « Mon fils Constant, dit à'Aubigné , y perdit « vingt fois phis qu'il n'avoit vaillant , de sorte que, « se trouvant sans ressource, il abjura sa religion. » -1 • Sous le règne de ce prince, on ne croyoit pas que la passion du jeufùtsusceptible de nouveaux accroissemens. «En i66Q,ditBasso7npierre,oïi jouoit àFontaine« bleau le jeu plus terrible clorrt jamais on eût entendu « parler : il ne se passoit pas de journée sans qu'il y « eût au moins vingt mille pis tôles de pei'te ou de gain. « Il y avoit. des signes de diverses valeurs : quelques« uns étoient de cinq cents pistoles ; de sorte qu'à l'aide « de ces marques, on pouvoit tenir dans sa main des « sommes exorbitantes. » Ce jeu, qui n'avoit lieu qui la cour et chez les grands, ajoute M. JDusaulx, on le joue maintenant dans toute la France et chez les étrangers. Nous avons aussi les signes de convention, à l'aide desquels nous jouons secrètement nos contrats, nos maisons, nos terres. En Russie, on joue ses esclaves : il n'est pas rare, soit à Pétersbourg, soit àMoskou, de voir de pauvres familles appartenir successivement à dix maîtres en un seul jour. On cherchoit autrefois l'occasion de jouer : à présent on annonce les parties; on fait courir les billets circulaires. Les joueurs de tout pays se connoissent, correspondent ensemble. C'est principalement aux eaux que se tiennent les diètes, que se forment les confédérations. Depuis quelque temps , continue-t-il, on ne veut plus jouer que de l'or, même chez des bourgeois. L'argent s'avilit : pour en purger le tapis, pour forcer les acteurs à développer leurs rouleaux, les banquiers ont soin de ramasser les écus, de les mettre de côté à mesure qu'ils les gagnent. On vient, dit-il encore, de supprimer un tripot dont la maîtresse , tous frais faits , recueillait
4
�337 eueilloit cinq à six cents livres par séance : chaque fois qu'on jouoit chez elle, on usoitpour dix louis de cartes. A ce tripot subalterne en a succédé un autre , qu'il est plus difficile de supprimer. Je ne me rappelle pas, dit toujours M. Dusaulx, quelles sont les conditions du bail ; mais je sais qu'un grand hôtel est défrayé T que l'entrepreneur compte tant par mois pour la table, tant pour le secrétaire , etc. etc. 42. Un capitaine français, nommé la Roue, joueur intrépide , proposa de jouer vingt mille écus contre l'une des galères du célèbre André JDoria : celui-ci retira sa parole, quoiqu'il l'eût formellement donnée : « Je ne veux pas , disoit-il, que ce jeune aventurier, « qui n'a de quoi perdre , me gagne ma galère, pour « s'en aller triompher en France de ma fortune et de « mon honneur. » 43. Un père exigea que la communauté entre sa fille et son gendre fût rompue, le lendemain d'une séance où celui-ci avoit gagné cent mille écus. On le supplioit de différer : « Won, non, dit-il ; je ne veux pas que « mon sang profite un seul instant de l'injustice, ni que « ma fille meure sur un fumier. » Il fit dater la séparation de la veille, et l'événement ne tarda point à prouver la sagesse de sa prévoyance. Son gendre fut. ruiné etobligé de mendier bassement des secours àsafemme. 44- Un riche habitant de la ville de Biom , voyant son fils prêt à s'oublier au jeu, le laissa faire. Le jeune homme perdit une somme assez considérable : « Je « la paierai , lui dit son père , parce que l'honneur « m'est plus cher que l'argent. Cependant expliquons« nous : vous aimez le jeu, mon fils, et moi, les pau« vres. J'ai moins donné, depuis que je songe à vous « pourvoir ; je n'y songe plus : un joueur ne doit point « se marier. Jouez tant qu'il vous plaira, mais à cette « condition : je déclare qu'à chaque perte nouvelle , « les infortunés recevront de ma part autant d'argent « que j'en aurai compté pour acquitter de semblables « dettes. Commençons dès aujourd'hui. » La somme fut sur-le-champ portée à l'hôpital, et le jeune homme ne s'avisa pas de récidiver. Tome II. Y
JEU.
�338
IMAGINATION. j
A.V\X-V«l-VVV-l'VVVV«.\X^XVVVVT.WW»VVVVVVVXV\'VX»«'V\VVVW'V1.1»^VXX%»\\^VX\\t ,
t
IMAGINATION. .i e prince de Condévoulo'it faire peindre dans la galerie de Chantilly, l'histoire de son père , connu en Europe sous le nom de grand Condé; mais l'exécution de ce projet n'étoit pas sans difficulté. Ce grand général, durant sa jeunesse, s'étoit trouvé lié d'intérêt avec les ennemis de l'Etat ; el il avoit fait une partie de ses belles actions, quand il ne portoitpasles armes pour sa patrie. Il sembloit donc qu'on ne devoit point faire parade de ces exploits dans la galerie d'un prince du sang, l'un des premiers appuis du trône. Cependant quelques-unes de cesactions, comme lesecours de Cambrai, et la retraite de devant Arras, étoient si brillantes, qu'on ne pouvoit les supprimer dans le monument qu'on alloit élever à la mémoire de ce héros,sans éclipser quelques-uns des plus beauxrayons de sagloire. L'heureuse imagination du fils de cet homme immortel trouva un ingénieux moyen de toutdire sans offenser la patrie. Il fit dessiner la Muse de l'histoire, qui tenoit un livre, sur le dos duquel étoit écrit : VIE DU PRINCE DE CONDÉ. Cette Muse arrachoit des feuillets du livre, etles jetoit par terre. Sur ces feuillets on lisoit : Secours de Cambrai; secours de Valenciennes ; retraite de devant Arras, enfin le titre de toutes les belles actions dugrand Condé durant son séjour dans les Pays-Bas : actions dont tout étoit louable, à l'exception de l'écharpe qu'il portoit quand illes fit. Malheureusement ce tableaun'apas été exécuté suivant une idéesi sublime et si simple. Le prince qui l'avoit conçue, eut, en cette occasion, un excès de complaisance; et, déférant trop à l'artiste, il permit au peintre d'altérer l'élégante naïveté de sa pensée, par des figures qui rendent le tableau plus composé, mais beaucoup moins éloquent. 2. Un jour que le marquis deDangeau s vilJoit mettre au jeu de Louis AJ^ildemanda à ce prince un appartementdans Saint-Germain, oùlacourétoitalors. Lagrace étoit difficile à obtenir, parce qu'il y avoit peu de loge-
,M
I
�330, mens en ce lieu-la. Le roi lui répondit qu'il la lui accorderait , pourvu qu'il la lui demandât en cent vers qu'il ferait pendant le jeu, mais cent vers bien comptés, pas un de plus ou de moins. Après le jeu, où il avoit montré sa gaieté ordinaire, il dit les cent vers aurai. Il les avoit faits, exactement comptés, et placés dans sa mémoire; et ces trois efforts n'avoient pas été troublés par le cours rapide du jeu, ni par les différentes attentions promptes et vives qu'il demande à chaque instant. Cette heureuse facilité, fruit d'une imagination rare et féconde, lui procura bientôt après une autre aventure, précieuse pour un courtisan qui sait que , dans le lieu oùil vit, rien n'est bagatelle. Le rai etiVladame avoient entrepris de faire des vers en grand secret, à l'envi l'un de l'autre. Ils se montrèrent leurs ouvrages, qui n'étoient que trop bons ; ils se soupçonnèrent réciproquement d'avoir eu du secours; et, par l'éclaircissement où leur bonne foi les amena bientôt, il se trouva que le même marquis de Dangeau , a qui ils s'étoient adressés chacun avec beaucoup de mystère, étoit l'auteur caché des vers de tous les deux. Ils lui avoient ordonné de ne pas faire trop bien; mais le plaisir d'être doublement employé de cette façon ne lui permettoit guère d'obéir scrupuleusement ; et qui sait même s'il ne fit pas de son mieux exprès pour être découvert ?
INCLINATION,
INCLINATION.
i. LE marquis Je l'Hôpital, étant encore enfant, eut un précepteur qui voulut apprendre les mathématiques dans les heiu-es de loisir que son emploi luilaissoit. Le jeune écolier, qui avoit peu de goût, et même , à ce qu'il paroissoit, peu de disposition ppur le latin, eut à peine aperçu , dans les élémens de géométrie , des cercles et des triangles, que l'inclination naturelle, qui annonce presque toujours les grands talens, se déclara; il se mit à étudier avec passion ce qui auroitépouvanté tout autre que lui à la première vue. Il eut ensuite un autre précepteur qui fut obligé. oar son exemple, à sç Y a
�%0
INCLINATION.:
mettre dans la géométrie ; mais quoiqu'il fut homme d'esprit et appliqué, son élève le laissoit toujours bien loin derrière lui. Ce que l'on n'obtient que par le travail , n'égale point les faveurs gratuites de la nature. Un jour , M. le marquis de l'Hôpital, n'ayant encore que quinze ans , se trouva chezM. le duc deRoannès, où d'habiles géomètres, et entre autres M. Arnaud, parlèrent d'un problème de M. Pascal sur la roulette, qui paroissoit fort difficile. Le jeune mathématicien dit qu'il ne désespéroit pas de le pouvoir résoudre. A peine trouva-t-on que cette présomption et cette témérité pussent être pardonnées à sonàge. Cependant, peu de jours après, il leur envoya le problême résolu. 2. Aumilieude cette éducation commune qu'on donne aux jeunes gens dans les collèges, tout ce qui peut les occuper unjourplusparticulièrementvientpardifférens hasards se présenter à leurs yeux ; et s'ils ont quelqu'inclination naturelle bien déterminée , elle ne manque pas de saisir son objet, dès qu'elle le rencontre. Comme les architectes, et quelquefois les simples maçons savent faire des cadrans, M. Varignon, encore jeune, en vit tracer, et ne le vit pas indifféremment. Il en apprit la pratique la plus grossière, qui étoittoutce qu'il pouvoit apprendre de ses maîtres ; mais il soupconnoit que tout cela dépendoit de quelque théorie générale, soupçon qui ne servoit qu'à l'inquiéter et à le tourmenter sans fruit. Un jour, pendant qu'il étoit en philosophie chez les Jésuites de Caen, feuilletant par amusement differens livres dans la boutique d'un libraire, il tomba sur un Euclide , et en lut les premières pages , qui le charmèrent, non-seulement par l'ordre et l'enchaînement des idées, mais encore par la facilité qu'il se sentit à les saisir. Comment l'esprit humain n'aimeroit-il pas ce qui lui rend témoignage de ses talens? Il emporta FEuclide chez lui, et ce géomètre l'attacha de plus en plus. L'incertitude éternelle, l'embarras sophistique, l'obscurité inutile et quelquefois aff ectée de la philosophie des écoles, aidèrent encore à lui faire goûter la clarté, la sûreté, la liaison des vérités géométriques. La géométrie le conduisit aux ouvrages de Descartes ; et il fut frappé de cette nouvelle lumière, qui bientôt après
�INCLINATION.
éclaira tout 1 e monde pensant. Il prenoi t sur 1 es nécessités absolues de la vie de quoi acheter des livres de cette espèce, ou plutôt il les mettait au nombre des nécessités absolues : il falloit même, et cela pouvoit encore irriter la passion, il falloit qu'il les étudiât en secret; car ses parens, qui s'apercevoient bien que ce n'étoient pas là les livres ordinaires dont les autres faisoient usage , désapprouvoient beaucoup et traversoient de tout leur pouvoir l'application qu'il y donnoit. Mais son inclination pour la géométrie triompha de tous les obstacles , et tout fut sacrifié à cette passion dominante. 3. Le père de NicolasIlartsoeker, savant Hollandais, avoitsurluiles vues communes des pères : illelitétudier pourlemettredanssaprofessiondeministre remontrant, ou dans quelqu'autre également utile, llnes'attendoit pas que ses projets dussentêtre traversés par oùilslefurent:parlecieletparles étoiles, que le jeune homme considéroit avec beaucoup de plaisir cl de curiosité. Il alloit chercher dans les almanachs tout ce qu'ils rapportoient sur ce sujet ; et ayant entendu dire, à l'âge de douze ou treize ans, que tout cela s'apprenoitdans les mathématiques , il voulut donc étudier les mathématiques ; mais son père s'y opposoit absolument. Ces sciences avoient eu jusqu'alors si peu de réputationd'utilité, que la plupart de ceux qui s'y étoient appliqués avoient été des rebelles à l'autorité de leur parens. Lejeune Ilartsoeker amassa le plus d'argent qu'il put : il le déroboitauxdivertissemens qu'il eût pris avec ses camarades. Enfin, il se mit enétatd'allertrouver un maître de mathématiques, qui lui promit de le menervîte, et lui tintparole. Il fallut cependant commencer parles premières règles d'arithmétique : il n'avoit de l'argent que pour septmois, etil étudioit avec toute l'ardeur que demandoit un fonds si court. Depeur que son père ne découvrît, parla lumière qui é toit dans sa chambre toutes les nuits, qu'il les passoit à travailler, il étendoit devant safenêtre les couvertures de son Ht, qui ne lui servoientplus qu'à cacher qu'il ne dormoit pas. Par cette constance opiniâtre à suivre des étudesconformesàsongoût,M.//artooé'A:erdevintbientô t un des plus grands physiciens de sonsiècle; et son père lui-même eut lieu de se féliciter de sa désobéissance»
�54a
I N D URGENCE.
INDULGENCE. l. I_JE jeune prince de Joinville ayant pratiqué des intelligences avec les Espagnols , alors ennemis delà France, Henri IVen fut informé. Ce bon prince , excusant la jeunesse du coupable, fit venir le duc et la duchesse de Guise, et leur apprit le crime de leur fils. « Voilà, leur dit-il , le véritable enfant prodigue. Qu'il « s'est imaginé de belles folies! mais, comme pleines « d'enfances et de nivclleries , je lui pardonne, à con<< dition que vous le chapitrerez tous deux. » 2. Louis XIV, se nettoyant les pieds, un valet-dechambre qui tenoir. la bougie, lui laissa tomber sur le piedde lacire toute brûlante. ;< Tu aurois aussi-bien fait « de la laisser tomber à terre,» lui dit-il sans s'émouvoir. Un autre lui 'apporta en hiver sa chemise toute froide : « Tu me la donneras brûlante à la canicule, » lui dit-il en riant. Un portier du paix, qui avoit été averti que le roi devoit sortir par la porte qu'il gardoit, ne s'y trouva pas, et se fit long -temps chercher. Comme il venoit tout en courant, c'étoit à qui lui diroitdes injures. Le monarque dit : «Pourquoi le grondez-vous 'Croyez-vous qu'il « ne soit pas assez affligé de m'avoir fait attendre ? » Caye, un de ses musiciens, se croyoit perdu, parce qu'il àvoit mal parlé. dans une débauche, de l'archevêque de Cambrai, maître de la musique du roi. ïl alla se jeter aux pieds de ce prince, et lui avoua sa faute, en lui demandant pardon. Le monarque lui fit la réprimande qu'il méritoit, et il eut la bonté de lui promet! re sa protection. Qu elqu e temps après, Gaye chan ta un motet devant le roi. L'archevêque de Cambrai, qui s'y trouva, et qui avoit sur le cœur le discours du musicien, auquel il ignoroit que le roi avoit pardonné, dit assez haut pour être entendu : « Le pauvre Gaye « perd sa voix, et ne chante plus aussi-bien qu'il fai« soit. — Vous vous trompez, lui dit le roi ; il chante « bien , mais il parle mal. » 5. Les clercs de laBazoche, qui faisoient, du temps
�INGÉNUITÉ.
343
de Louis XII, un corps considérable, éloient en posr session de jouer les farces du temps. Ils eurent l'insolence de jouer le monarque en plein théâtre, et de le représenter malade , avec un visage pâle et maigre , et tel qu'on figure l'avarice, ayant un vase plein d'or devant lui , et dont il paroissoit vouloir éteindre une soif insatiable. Louis, qui le sut, n'en fit que rire : il loua même ce qu'il trouva d'ingénieux dans le jeu de ces bouffons, et se contenta de dire qu'ils lui dévoient le bon temps dont ils jouissoient. « Je leur pardonne « volontiers, ajouta-t-il; mais qu'ils ne s'émancipent « pas jusqu'à insulter la reine , ni même l'honneur « d'aucune autre dame; car je me fàcherois, et je les « ferois pendre. » De pareilles insultes ne se font point à un méchant prince ; et le bon qui les méprise, les fait oublier. ^oyezBoNTÉ, CLÉMENCE, DOUCEUR, PARDON.
XXX\XXXXXXXXXXXXXXXXXXXVLXXXXX\XXXXXXXXXVXVVXXX\XA.XXXXXVVXXXXXXXXA.XXXXXXX-
INGÉNUITÉ. 1. ON faisoit au célèbre docteur Abou-Joseph, l'un des plus savans musulmans de son siècle , une question extraordinaire et difficile. Il avoua ingénument son ignorance ;et, sur cet aveu, on lui reprocha de recevoir de fort grosses pensions du trésor royal, sans ce-*pendant être capable de décider les points de droit, sur lesquels onleconsultoit. «Ce n'est point une merveille, « répondit-il; je reçois du trésor, à proportion de ce « que je sais : mais si je recevois à proportion de ce que « je ne sais pas, toutes les richesses du califat ne suf« firoient pas pour me payer. » 2. Un jeune homme indiscret demanda à M. de Turenne commentil avoitperdu les batailles deMariendal et de Rhetel ? « Par ma propre faute , » répondit ce grand général. Quelques officiers prétendoient qu'il n'avoit jamais mieux agi que dans ces deux combats. « Je fus, leur dit-il, dans ces deux occasions trop facile « et trop crédnle ; mais quand un homme n'a point fait « de faute à la guerre, il ne l'a pas faite long-temps. » 5. Le duc de la Feuillade ayant rencontré DesY 4
�544
INGÉNUITÉ.
préaux dans le galerie de Versailles , lui récita ua sonnet qu'il vantoit beaucoup, et que Louis XIV avoit approuvé. Le satirique lui dit que ce n'étoit point une production merveilleuse, et qu'elle ne donnoit pas une grande idée de son auteur. Il parloit encore, lorsque le maréchal, ayant aperçu madame dauphine, s'élanca vers la princesse, et lui lut le sonnet dans l'espace de temps qu'elle mit à traverser la galerie. « Voilà une « belle pièce, M. le maréchal» , répondit la dauphine, qui ne l'avoit peut-être pas écouté. Le duc accourut aussitôt pour rapporter au poète le jugement de la princesse, en lui disant, d'un air moqueur, qu'il étoit bien délicat de ne pas approuver un sonnet que le roi avoit trouvé bon, et dont la princesse avoit confirmé l'approbation par son suffrage. « Je ne doute point, « répliqua Despréaûx , que le roi ne soit très-expert « à prendre des villes , et à gagner des batailles : je « suis aussi très-persuadé que madame la dauphine est « une princesse très-spirituelle, et remplie de lumiè« res ; mais, avec votre permission , M. le maréchal, « je crois me connoître en vers aussi-bien qu'eux. » A ces paroles, le maréchal accourt chez le roi, et lui dit, d'un air vif et impétueux : « Sire, n'admirez-vous « pas l'insolence de Despréaux , qui dit se connoître ji en vers un peu mieux que votre majesté ! — Oh ! « pour cela je suis bien fâché, M. le maréchal, d'être « oblige de vous dire que Despréaux a raison. » 4- A la première représentation de l'opéra d'Astrée, en 1691, M. de la Fontaine étoit placé derrière plusieurs dames qui ne le connoissoient pas. Pendant la pièce,il ne cessoit de répéter : « Cela est détestable, détestable, « du dernier détestable ! » Ces dames ennuyées de l'entendie , lui dirent enfin : « Mais , monsieur, cela « n'estpas si mauvais ; Fauteur est unhomme d'esprit: « c'est M. de la Fontaine. — Eh! mesdames, reprit-il, « sa pièce ne vaut rien. La Fontaine, dont vous par« lez, est un stupide , et c'est lui qui vous parle. » 5, A la représentation de l'Amour et de la Vérité, comédie qui fut donnée sans succès au théâtre des Italiens , M. çle Marivaux dit en sortant, que cette
\
�INNOCENCE.
345
pièce l'avoit plus ennuyé qu'une autre. « Pourquoi lui « demanda-t-on ? — C'est que j'en suis l'auteur; » et il se fit ainsi connoître. Voyez BONNE FOI, CANDEUR.
INNOCENCE.
i. \}N 'milord, haï du ministre, fut injustement accusé d'avoir trempé dans une conspiration contre le roi. En conséquence, il fut injustement puni de mort. Pendant,le procès, son épouse ne fit aucune démarche pour travailler à sa justification. Quelque temps après, ses enfans tramèrent une véritable conspiration contre le ministre , et résolurent de l'assassiner. Ils furent découverts; et, pendant qu'on instruisoit leur procès, la mère sollicitoit vivement pour eux. Le ministre lui dit un jour : « D'où vient, madame , que vous solli« citez si vivement la grâce de vos enfans, et qu'on ne « vous a pas vue ici pendant l'affaire de votre mari ? « — Mon mari étoit innocent, » répondit-elle.
INTÉGRITÉ. 1. déclara, en pleine assemblée, qu'il avoit conçu un dessein important, mais qu'il ne pouvoit le communiquer au peuple , parce que , pour le faire réussir , il avoit besoin d'un profond secret ; et il demanda qu'on lui nommât quelqu'un avec qui il pût s'en expliquer. Le choix tomba sur Aristide , et tous les citoyens s'en rapportèrent entièrement à son avis : tant ils comptaient sur sa probité , sur sâ prudence ! Thémistocle, l'ayant tire à part , lui dit qu'il songeoit à brûler la flotte des Grecs , qui étoit dans un port voisin, et que par là Athènes deviendroit certainement maîtresse de tonte la Grèce. Aristide, sans proférer un seul mot, revint à l'assemblée, et déclara simplement que rien ne pouvoit être plus utile que le projet de Thémistocle ; mais qu'en même temps, rien
/
TP 1 HÉMISTOCLE
&\m
�346
INTEGRITE.
n'étoit plus injuste. Alors tout Je peuple, d'une commun e voix,défendi t à Thémisto cle de ri en entreprend re. 2. Après l a famé use b a tail J e de Marathon, Aristide fut laissé seul avec sa tribu, pour garder les prisonniers et le butin -, et ce grand homme justifia la bonne opinion qu'on avoit de son intégrité. L'or et l'argent étoient semés cà et là dans le camp ennemi; toutes les tentes, aussi-bien que les galères qu'on avoit prises, étoient pleines d'habits et de meubles magnifiques : non-seulement il ne fut pas tenté de toucher à ces monceaux de richesses,maisil empêcha que lesaulresn'y touchassent. 3. Les boulangers de Lyon , voulant renchérir leur pain, vinrent XrouxerM.Dugas, prévôt des marchands de cette ville ; et, après lui avoir expliqué leurs raisons, laissèrent sur la table une bourse de deux cents louis , ne doutant point que cette somme ne plaidât efficacement leur cause. Quelques jours après ils se présentèrent pour recevoir la réponse du magistrat. « Messieurs, leur dit M. Dugas, j'ai pesé vos raisons « dans la balance de la justice, et je ne les ai pas trou« vées de poids. Je n'ai pas jugé qu'il fallût, par une « cherté mal fondée, faire souffrir le peuple ; au reste, « j'ai distribué votre argent aux hôpitaux de cette ville, « n'ayant pas cru que vous en ayez voulu faire un « autre usage : j'ai compris aussi que, puisque vous « êtes en état de faire de telles aumônes, vous ne per« diez pas, comme vous le dites, dans votre métier. » Ils s'en retonrnèrentfort surpris et pleins deconfusion. 4- Un homme fort pauvre trouva une bourse qui contenoit cent pièces d'or. « Cet argent n'est point à « moi, se dit-il à lui-même : cherchons quel est son maître. » Aussitôt il fait publier que si quelqu'un a perdu une bourse remplie d'or, on peut s'adresser à lui. Celui qui l'avoit perdue vient le trouver, et lui désigne la bourse de manière à prouver qu'elle lui appartenoit. « Je vous la rends, lui dit le pauvre, et je « me félicite d'avoir pu vous la rendre. » Cet homme, plein de joie et de reoonnoissance , le prie d'accepter vingt, pièces d'or comme une preuve de sa gratitude.Le pauvre les refuse. Il lui en offre dix; il les refuse encore.
�INTRÉPIDITÉ.
Enfin, le maître de la bourse la prend et la lui jette:< Gardez-la, lui dit-il : puisque vous ne voulez rien ac< cepter, je n'ai rien perdu. » Ce pauvre, pour ne point offenser, prit enfin une pièce d'or, qu'il donna su.-^hamp à des malheureux estropiés qui passoient par-là. 5. L. Pison, préteur d'Espagne, s'exerçantà faire des rmes, la bague d'or qu'il portait au doigt se rompit. Il 'agissoit d'en faire faire une autre. Pison, jaloux de se ontrer digne dubeau surnom de/rugi, ou homme de probité, devenu héréditaire dans sa famille, et ne vouant point que personne pût. soupçonner que la bague dont il se serviroit fût un présent qu'il eût reçu dans sa province, prit uneprécaution bien singulière. Il fit venir un orfèvre dans la place publique de la ville de Cordoue, où il étoit actuellement : il lui donna et lui pesa l'or, à la vue de tous ceux qui étoientdans la place, et lui commanda de le façonner, et de lui en faire une bague sur le lieu même, en présence de tout le monde. Ainsi, dit Cicéron qui nous a conservé ce fait, « quoiqu'il ne fût « question que d'une demi-once d'or, Pison voulut en « constater l'origine, et que toute l'Espagne sût qu'il « l'avoit fournie du sien, qu'il ne la tenoit de personne. » 6. La maison de Drusus , fameux Ftomain , qui fut tribun du peuple, et qui méritale titre de protecteur du. sénat, étoit ouvçrte de plusieurs côtés, de manière que les voisins pouvoientvoir ce qui s'yfaisoit. Un architecte s "offrit de réparer ce défautpour cinq mille écus.« Je vous « en donneraidixmille,répondit-Dr«j«j,sivous pouvez « faire en sorte que ma maison soit ouverte de toutes « parts, et que non-seulement les voisins, mais encore « tous les citoyens puissent voir tout ce qui s'y passe. » INTRÉPIDITÉ. \ S ■ I j 1. A.LAMONDARE ou Monder, roi des Sarasins, vouloit détruire le christianisme dans ses Etats. Mais le grand nombre de chrétiens qu'il avoit dans son armée lui faisoit craindreque ce projet ne fû t de difficile exécution ; et ce qui l'arrêta tout-à-fait, ce fut l'intrépide résolution d'un
�348 INTRÉPIDITÉ. de ses principaux officiers. CommeMonder exhortoits soldats à renoncer à la religion chrétienne, ce guerrier plein d'un zèle,qui se ressentait beaucoup de la férocili sarasine, prit la parole pour tous les autres : « Songe « lui dit-il, que nous étions chrétiens avant que d etrt « tes sujets. Je ne sais ce que pensent mes camarades; « pour moi, je n'ai appris à craindre qui que ce soit. Je « né connois personne assez puissant sur la terre, pou « me forcer àcroireceque je ne crois point, ni à déguisa « ce que je crois ; et, s'il faut en venir aux effets , je nt « pensepas qu'il ait d'épée plus longue que la mienne.) Monder ne jugea pas à propos d'entrer en dispute avec un si ferme adversaire. Il laissa la liberté de religion, 7 2.L'empereur? alens, qui, pour rétablir Farianismt sur les ruines de la religion catholique , persécutait cruellement. PEglise,avoit enfin attiré sur sa tête coupable la vengeance duDieu juste et jaloux. Afin de l'accélérer, sans doute, le Ciel permit qu'il conçût lefunesle dessein de faire la guerre anxGoths ; mais il ne lui laissa pas ignorer la triste issue de cette entreprise.Lorsquïl sortait des portes deConstantinople pour se mcttreen campagne, un pieux solitaire , nomméIsaac, rempli de l'esprit divin, saisit la bride de son cheval: «Prince, lui « dit-il, où courez-vous ?Le bras de Dieu est levé suri « votre tête ; vous avez affligé son Eglise ; vous en avez « banni les vrais pasteurs : rendez-les à leurtroupeauJ « ou vous périrez avec votre armée. —Je reviendrai,! « reprit Valens en colère , et je te ferai repentir delà « folle prédiction.» En même temps, il donna ordre de! mettre auxfers ce sainthomme,qu'ilappeloitfanatiqiic, et de le garder jusqu'à son retour. «J'y consens, s'écria « l'intrépide solitaire ; ôtez-moi la vie,si vous coBser-t « vezla vôtre. »La prédiction eut son effet: F~alensnéû\ dans une bataille , et ses menaces expirèrent avec lui, S.Pepin étoit petit, et c'est ce qui lui fit donner le surnom de-B/-e/.Quelques courtisans en firent le sujet de leurs plaisanteries. Il en fut informé, et résolut d'établir son autorité parquelquecoupextraordinaire.L'occasion ne tardapas àsepresenter.Il donnoitun divertissement, où un taureau d'une taille énorme combattait avec un
�INTRÉPIDITÉ.
n plus terrible encore.Déjà ce dernier avoit renversé a adversaire, lorsque Pépin se tournant vers les seieurs: «Quide vous, leur dit-il, se sent assez de couI rage pour aller ou séparer, ou tuer ces furieux anifmaux ?«La seule proposition les fit frémir. Personne répondit. « Ce sera donc moi, » reprit froidement le onarque. Il tire en même temps son sabre, saute dans irêne , va droit au lion, lui coupe la gorge ; et, sans :rdre de temps, décharge un si rude coup surletaua u,qu'il lui abat 1 a tête. Toute 1 a cour demeura étonnée ; cette force prodigieuse et de cette hardiesse inouie. es auteurs de la raillerie furent confondus. « David étoitpetit, leur dit le roi avecunefierté héroïqueunais il terrassa l'orgueilleux géant qui avoit osé le mépri;er.»Touss'écrièrentqu"ilméritoitFempiredu monde. 4 .Des mutins s'étant attroupés à la porte du premier résident Molé, cet intrépide magistrat voulut aller présenter aux séditieux; mais l'abbé de Chanvallon, |ui étoit alors avec lui, essaya de Farrêter. Ses efforts irent inutiles ; et Molé lui dit : « Apprenez jeune ; homme , qu'il y a loin du poignard d'un scélérat au cœur d'un homme de bien.» A peine se fut-il montré, |ue la sédition se calma. Un profond silence succéda Jout-à-coup aux cris tumultueux de la multitude ; et |hacun se retira chez soi, le repentir dans le cœur. 5.Dom Carlos, \)etit-fi\sdeCharles-Quint,Sigése\i]elient de dix ans, écoutoit, avec une attention pleine ■'intérêt, le détail des guerres, des défaites et des vieBoires qui avoient rempli un règne si glorieux.L'empe■eur, enchanté de ce qu'il voyoit,, lui dit : « Eh bien ! •m mon fils, que vous semble de mes aventures?— Je m< suis content de ce que vous avez fait, répondit le |fe jeune prince: il n'y a qu'une chose qne je ne saurois » vous pardonner; c'est de vous être sauvé d'Inspruek, ■< devant le duc Maurice. — Ah ! ce fut bien malgré mi moi : il me surprit, et jen'avois que ma maison.— Et moi, je n'aurois pas fui. — Mais il falloit bien fuir ; B« j'étois hors d'état de résister. — Pour moi, je n'aillé rois pas fui.—Ilauroit doue fallu me laisser prendre? « imprudence dont j'aurois été encore plus blâmé. !>* — Pour moi, je n'aurois pas fui. — Dites-moi donc
H«
�35o INTRÉPIDITÉ. « ce que voua auriez fait en une semblable occasion: e| « pour vous aider à me répondre, que feriez-vons ac? « tuellement, si je mettais une trentaine de pages à TOI « trousses?— Cequejeferois?pouvez-vousmeledemaj. « der?Seigneurie ne me sauverois point.»L'empereur enchantéd'unefermetésidécidée,embrassatendremen| son pe tit-fils.Depuis , il ne pouvoit assez témoigner si satisfaction,toutesles fois qu'on lui parloitdedomCaWw, 6.Le célèbre Alcibiade, étant encore enfant, jouoit, dans une rue,avee d'autres compagnons de son àgeJorsqu'un charretier vint à passer avec sa voiture. Il Je pria d'attendre un peu que son jeu fût fini ; mais le voyant près de déranger sa partie, ilse jette à terre au devant des chevaux, et dit au charretier de passer. Etonné de cette hardiesse, lecharretier s'arrête,et voit finir le jeu. 7. La division s'étant mise dans la flotte des Grecs, qui mouilloità Salamine, les alliés, dans un conseil de guerre qui se tint, se trouvèrent fort partagés pour déterminer l'endroit où se devoit donner le combat. Les uns, et c'était le plus grand nombre, qui avoientpour eux Eurybiade , généralisme de la flotte , vouloient qn'on s'approchât de l'isthme de Corinthe, pour être plus près de l'armée de terre, qui gardoit cette entrée) sous la conduite de Cléombrotte, frère de Léonide, roi de Lacédémone , et plus à portée de défendre le Péloponnèse. D'autres, et ils avoient Thémistocle 1 leur tête, prétendoient que c'était trahir la patrie,que d'abandonner un poste aussi avantageux que celui de Salamine.Comme Thémistocle soutenoitson sentiment avec beaucoup de chaleur, Eurybiade , ne pouvant lui faire goûter ses raisons , eut recours à une autre espèce d'argument, et leva la canne sur lui. L'Athénien, sans s'émouvoir:Frappe, dit-il, mais écoute; et continuant de parler, il fit voir de quelle importance il était pour la flotte des Grecs , dont les vaisseaux étoient plus légers et moins nombreux que ceux des Perses , de donner la bataille dans un détroit comme celui de Salamine, cpii mettroit l'ennemi hors d'état de faire usage de toutes ses forces. Eurybiade, surpris de la modération et de l'intrépidité de Thémistocle, se rendit à sçs raisons, et, sans doute, encore plus à la crainte
�INTRÉPIDITÉ.
/35
u'il eut que les Athéniens, dont les vaisseaux faisoi lus de la moitié de la flotte , ne se séparassent lliés , comme leur général l'avoit laissé entrevo ^ 8.Durant le siège de Charbonnières, ville frontî e la Savoie, Crillon ,mestre-de-campdurégimentdes iardes, vint se logera Aiguebelle, petite ville voisine e Charbonnières. Il commandoit l'infanterie du siège, endant que Rosny, grand-maître de l'artillerie, fouroyoit la place. Crillon, que l'habitude des périls avoit; mis à l'épreuve de la crainte , apercevant le grandmaître qui tâchoit de reconnoître un ravelin , s'avança vers lui ; et voyant qu'importuné des canonnades des Ennemis , il se préparait à attendre le déclin du Jour pour achever de faire ses observations , il l'arrêta , et uidit d'un air intrépide : «Quoi! corbieu ! mon grand< maître,craignez-vous les arquebusades en la compa< gnie de Crillon?Amibien ! puisque je suis ici, elles n'oseront approcher. Allons, allons jusqu'à ces arbres que je vois à deux cents pas d'ici, car de là vous reconnoîtrez plus aisément. — Allons, répondit Rosny en souriant, allons , puisque vous voulez que nous fassions à qui sera le plus fou. » Le grand-maître , enant Crillonpar la main, le mena bien au delà des irbres que cet officier lui avoit indiqués. Alors les asiégés les découvrant depuis les pieds jusqu'à la tête, ïrent un feu terrible. Crillon entendant siffler à ses preilles les balles de mousquets, se tourna vers Rosny; Ace que je vois, dit-il, arnibieu ! ces coquins-là ne respectentni le bâton de grand-maître, ni la croix du Saint-Esprit, et nous pourraient bien estropier. Partant , gagnons cette rangée d'arbres ; car , par la K corbieu ! je vois que vous êtes bon compagnon , et digne d'être grand-maître : je veux être toute ma vie votre serviteur et votre ami. » 9.Jean Basilowitz ou Ivan IV, grand-duc de Moscor ie, étoit un prince cruel et féroce.Il fit clouer unchateausurlatête d'unambasssadeuritsilienquis'étoit cour ert devant lui. Cependant JérômeJSoze, ambassadeur le lareined'Angleterre, osa cncoremettre son chapeau 11 sa présence. Basilowitz lui demanda s'il ignorait le
�552 INTRÉPIDITÉ. traitement qui avoit été fait à un autre ambassadeur pour une semblable hardiesse ? « Non , répondit cet « homme intrépide, mais je suis l'envoyé de la reine « Elizabeth; et si l'on fait un affront à son ministre « elle saura bien en tirer une vengeance éclatante.— « O le brave homme ! s'écria le czar. Qui de vous, dit« il à ses courtisans , eût agi et parlé de la sorte, pour « soutenir mon honneur*et mes intérêts ?» îo.Aprèsla prisédeThèbesenBéotie, par Alexandrele-Grand,des Thraces abattirent la maison d'une dame dequalitéetde vertu,nommée Timocléa, pillèrenttous ses meubles et tous ses trésors ; et leur capitaine l'ayant prise elle-même, lui demanda, après avoir assouvi sa brutale passion, si elle n'avoit point del'oretde l'argent caché.J Timocléa,animée d'un violentdésirdesevenger, lui ayant répondu qu'elle en avoit, le mena seul dans son ] ardin, lui montra un puits, e t lu i di t que dès qu'elle avoit vu la ville forcée , elle avoit jeté là elle-même tout ce qu'elle avoit de plus précieux. L'officier ravi s'approcha du puits, se baissa pour regarder dedans, et en examiner la profondeur. 1 ïmocléa,qnié\.oit derrière; le poussa de toutes sa force, le précipita dans le puits, et jeta dessus quantité de pierres, dont elle l'assomma. En même temps elle fut prise par les Thraces, et conduite au roi, les fers aux mains. A sa contenance età sa démarche, Alexandre connut d'abord que c'étoit une femme de qualité et d'un grand courage ; car elle suivoit fièrement ces barbares, sans faire paroître le moindre étonnement, sanstémoignerlamoindre crainte.Le monarque lui ayant demandé qui elle étoit, elle lui répondit qu'elle étoit sœur de Théagène, qui avoit combattu contre Philippe pour la liberté de la Grèce, et qui avoit été tué àlabataille deCheronnée,où il commandoit.^/exandre, admirant la réponse intrépide de cette dame, et encore plus l'action qu'elle avoit faite , commanda qu'on le laissât aller où elle voudroit avec ses enfans. 11. M. le prince, étant devant une place où il y avoit une palissade à brûler, promit cinquante louis à celui qui seroit assez brave pour entrepi^endre une si belle action.Le péril étoit si évident, que la récompense ne tentoit
�INTRÉPIDITÉ» 353 tentoitpersonne. Il n'y eut qu'un soldat qui, plus courageux que les autres , dit au prince , qu'il le quittoit des cinquante louis , s'il vouloit le faire sergent de sa compagnie. Le prince lui ayant promis l'un et l'autre , il descendit dans le fossé avec des flambeaux, et brûla lapalissade, malgré une grêle de mousquèterie, dont il ne fut que légèrement blessé. Toute l'armée , témoin de cette action intrépide , et le voyant revenir, le combloit de louanges ; mais s'apercevant qu'il lui manquoit un de ses pistolets: «Il ne me sera pas re« proché , dit-il, que ces marauts en aient profité ;» et, quoiqu'on promît de lui en donner d'autres, ilre~ tourna sur ses pas , essuya encore cent coups de mousquets, et rapporta son pistolet. 12. Après la mort d'Isdegerdes ,roi de Perse, les Persans, qui avoient beaucoup souffert de ses violences , jugèrent que Baha.ram-Gur, son fils ,seroit aussi cruel que lui : ainsi, loin d'appeler ce prince à la succession, ils jetèrent lesyeuxsur un seigneurnommé h <?-jra,et!eplacèrent sur le trône. Baharam, qui étoit alors à Hirach, en Arabie, ayant appris ces nouvelles, assembla une grosse armée d'Arabes, et vint attaquer l'usurpateur. Il avoit encore dans laPerse pl usieurs amisqui s'efforcèrent déménager un accommodement entre lesdeuxprilices; mais la chose étoit assez difficile. Il falloit que l'un des deux cédât sa place à l'autre. Baharam proposa un expédient qm fut approuvé des deux partis: ce fut de mettre la couronne royale entre deux lions affamés, et enfermés dans un lieu choisi exprès : celui des deux princes qui la pourroit enlever de cet endroit, devoit être jugé le plus digne de laporter,etreconnu pour en être le légitime possesseur. Le jour destiné pour ce fameux combat étant arrivé, les deux coucurrens se présentèrent. AlovsBaharam dit à Kesra : «A vancez courageusement, « et enlevez la couronne. — Je suis en possession du « trône, dit Kesra: c'està vous, qui y prétendez, de reti« rer la couronne du lieu où elle est. » Baharam, sans répliquer ni hésiter, se jeta aussitôt sur les lions, avec la furie et l'impétuosité d'un tigre ; et ne se servant d'autres armes que de ses propres bras , il les tua tous Tome IL Z
�554 INTRÉPIDITÉ. deux, et ceignit fièrement le diadème. Il comparut en cet état devant les seigneurs persans , accourus de toutes parts à un spectacle si extraordinaire : et Kesra fut le premier qui, après l'avoir embrassé, le proclama digne de la couronne qu'il venoit d'acquérir par son intrépide valeur. lo.Alexandre-le-Granda\oï[.fiùlhàt\vune ville sur les bords de l'Iaxarte.Le roi des Scythes qui habitaient au delà de ce fleuve, voyant que c'était nn joug qu'on lui imposoit, envoyade nombreuses troupes pour la démolir, et pour en chasser les Macédoniens. En même temps , il députa vers Alexandre des ambassadeurs au nombre de vingt, selon la coutume du pays, qui traversèrent le camp à cheval, demandant à parler au roi. Alexandre les ayant fait entrer dans sa tente, les pria de s'asseoir. Ils furentlong-temps à le regarder fixément, dans un profond silence, surpris apparemment de ne pas trouver que sa taille répondit à la grandeur de sarenommée. Enfin, le plus ancien de la troupe prenant la parole, adressa ce discours au conquérant de l'Asie: « Si les dieux t'avoient donné un corps proportionné à ton ambition , tout l'univers seroit trop petit pour loi. D'une main tu toucherois l'Orient, et de l'autre l'Occident : que dis-je ? tu voudrois suivre le soleil dans sa course rapide ; tu voudrois savoir où cet astre radieux va cacher sa lumière. Homme petit et foible ! tu aspires où tu ne saurois atteindre. De l'Europe tu passes dans l'Asie ; et quand tu auras subjugué tout le genre humain, tu feras la guerre aux rivières, aux forêts, auxbêtes sauvages.Ne sais- tu pas que les grands arbres sont long-temps à croître, et qu'il ne faut qu'une heure pour les arracher ? que le lion sert quelquefois de pâture aux petits oiseaux? que le fer, maigre sa dureté , est consumé par la rouille ? qu'enfin il n'est rien de si fort que les choses les plus foibles ne puissent détruire ? Qu'avons-nous à démêler avec toi ? jamais nous n'avons mis le pied dans ton pays. N'est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois d'ignorer qui tu es, et d'où tu viens?Nous ne voulons ni commander, ni obéir à personne ; et afin que tu saches quels
�553 hommes sont les Scythes , nous avons reçu du Ciel , comme un riche présent, un joug de Bœufs , un soc de charrue , une flèche, un javelot, et une coupe : c'est de quoi nous nous servons et avec.,nos amis et contre nos ennemis. A nos amis,nous donnons du blé provenu du travail de nos bœufs : avec eux , nous offrons du vin aux dieux dans la coupe; et, pour nos ennemis, nous les combattons de loin à coups de flèches , et de près avec le javelot: c'est avec quoi nous avons domté autrefois les peuples les plus belliqueux, vaincu les rois les plus puissans, ravagé toute l'Asie , et pénétré jusques dans l'Egypte. Mais toi , qui te vantes de venir pour exterminer les voleurs , tu es toi-même le plus grand voleur de la terre. Tu as pillé et saccagé toutes les nations que tuas vaincues ;tu as pris la Lydie, envahi la Syrie , la Perse, la Bactriane: tu songes à pénétrer jusqu'aux Indes; et tu viens ici pour nous enlever nos troupeaux. Tout ce que tu as ne sert qu'à te faire désirer plus ardemment ce que tu n'as pas. Ne vois-tu pas combien il y a de temps que les Bactriens t'arrêtent? Pendant que tu domtes ceuxci, les Sogdiens se révoltent; et la victoire n'est pour toi qu'une semence de guerre. Passe seulement l'Iaxarte, et tu verras l'étendue de nos plaines. Tu as beau suivre les Scythes ; je te défie de les atteindre. Notre pauvreté sera toujours plus agile que ton armée chargée des dépouilles de tant de nations ; et quand tu nous croiras bien loin , tu nous verras tout d'un coup tomber sur ton camp ; car c'est avec la même vitesse que nous poursuivons et que nous fuyons nos ennemis. J'apprends que les Grecs font passer en proverbe et en raillerie, les solitudes des Scythes. Oui, nous aimons mieux nos déserts , que vos grandes villes et vos fertiles campagnes. Crois-moi, la fortune est glissante ; tiens-la bien , cl^ peur qu'elle ne t'échappe. Mets un frein à ton bonheur, si tu veux en demeurer maître. Si tu es un dieu, tu dois faire du bien aux mortels , et non pas leur ravir ce qu'ils ont : si tu n'es qu'un homme , songe toujours à ce que tu es. Ceux que tu laisseras en paix , seront véritablement tes Z 2
INTRÉPIDITÉ.
�358 INTRÉPIDITÉ. amis , parce que les plus fermes amitiés n'existent qu'entre des personnes égales ; et ceux-là sont estimés égaux , qui n'ont point éprouvé leurs forces l'un contre l'autre. Mais ne t'imagine pas que ceux que lu auras vaincus puissent l'aimer : il n'y a jamais d'amitié entre le maître et l'esclave ; et une paix forcée est bientôt suivie de la guerre. Au reste , ne pense pas que les Scythes , pour contracter une alliance , fassent aucun serment : ils n'ont point d'autre serment que de garder la foi sans la jurer. De telles précautions conviennent aux Grecs, qui signent les traités , et appellent les dieux à témoins. Poumons , nous ne nous croyons religieux qu'autant que nous agissons de bonne foi. Qui n'a pas honte de manquer de parole aux hommes, ne craint point de tromper les dieux. Et de quoi té serviroient dés amis à qui tu ne te fierois pas ? Considère que nous veillerons pour toi à la garde de l'Europe et de l'Asie. Nous nous étendons jusqu'à la Thrace ; et la Thrace , à ce que l'on dit, confine à la Macédoine. Il ne s'en faut que de la largeur de lTaxarteque nous ne touchions à la Bactriane : ainsi nous sommes tes voisins des deux côtés. Vois lequel tu aimes le mieux, de nous avoir pour amis ou pour ennemis.» i4-Durant la guerre du Péloponnèse, Philoclès, l'un des généraux athéniens, avoit fait prononcer un décret qui ordonnoit qu'on couperoit le pouce de la main droite à tous les prisonniers de guerre, afin qu'ils fussent hors d'étatde manier la pique, et qu'ils ne pussentservir qu'à la rame. Ayant été fait prisonnier lui-même par Ly sandre, général de Lacédémone, il fut condamné à mort avec tous lès compagnons de sa disgrâce. Le vainqueur , avant dé le faire conduire au supplice , le fit venir, et lui demanda comment il vouloit qu'on punît la barbarie dont il avoit usé juqu'à ce jour envers les Spartiates. Philoclès, sans rien rabattre de sa fierté, incapable de trembler à la vue de la mort qui le menaçoit, lui répondit: «N'accuse point des gens dont tu '< n'es pas le juge. Tu es vainqueur ; use de tes droits : «fais contre nous ce que nous eussions fait contre toi, « si nous t'avions vaincu. » Il alla se mettre au bain ,
�INTRÉPIDITÉ. 35/ prit im manteau-, et marcha le premier à la mort. 15. Le fameux Pélopidas , ayant été fait prisonnier par Alexandre, tyran de Phères> fui jeté c!ans une prison, que Ton s'efforça de rendre plus horrible encore, par les maux qu'on lit souffrir à l'illustre captif.Mais ce grand homme, supérieur à ces foibles disgrâces , bravoit la tyrannie , se rioit de ses vaines menaces et de ses inutiles tentatives. Alexandre l'étant venu voir , il osa lui parler en ces termes menaçans : «Tyran, fais« moi mourir; car si tu m'épargnes, sois sûr que je t'en « ferai repentir.—Pour quelle raison, dilAlexandre , désire-tu la mort? — Monstre, je te répondrai quand tu m'anras dit qui peut te faire aimer la vie , à- toi que la terre porte avec regret, et que les dieux, que les hommes ne voient qu'avec horreur. 16. Le consul Fulvius Flaccus, pour châtier les habitansdeCapoue, qui avoient embrassé le parti d'Annie bal , condamna à mort les principaux citoyens de cette ville perfide. Pendant cette sanglante exécution,il vint des lettres du sénat, qui ordonnoient au consul de ne faire mourir aucun sénateur. Alors Juhellius- Tauréa, l'un des plus grands personnages deCapoue ,s'avançant fièrement devant le consul, lui dit : « Si tu as tant d'en« vie de répandre notre sang, je viens t'offrir le mien 5 « ordonne mon supplice , tu pourras te vanter d'avoir « fait périr un homme qui valoit mieux que toi.— Je « l'aurois déjà fait, répondit le consul, si l'ordre que je « viens de recevoir du sénat ne s'opposoit pas à ma « juste sévérité.—Eh bien ! je vais te faire voir, reprit .« Juhellius, que ma vie ne dépend point des caprices « de ton sénat. » Il dit; et, par un acte de cette intrépidité païenne que l'antiquité profane combloit d'éloges , il tue sa femme , ses enfans , puis se perçant lui-même , il tombe sur leurs corps sanglans. 17. Lephilosophe^aa;6(7'(7Me étoit à la table d'Ale~ xandre-le-grand ; ce monarque lui demanda ce qu'il pensoit du repas : «Il est très-bien ordonné, seigneur, « répondit-il ; il n'y manque que la tête d'un de vos « officiers.» En prononçant ces mots, il regarda Nicoeréon, son ennemi mortel, et qui, bientôt après , s'en Z S
�353 INTRÉPIDITÉ. vengea cruellement. Quand la mort eut enlevé le conque :ant de l'Asie, Anaxarque fit un voyage par mer; et soir vaisseau alla , malgré lui, prendre terre enChypi e, oùNicocrêon s'étoit établi depuis quelques années. I! fit arrêter le philosophe; et, par son ordre, on le mitdans une pierre creuse, pour y être broyéavec des pilons de fer. Mais Anaxarque, bravant cet horrible supplice, crioit au tyran : «Pile, pile l'étui à'Anaxarque ; tu ne pilera^ pas Anaxarque lui-même. » Nicocrêon, que l'intrépidité de son ennemi rendoitfuTieux, commanda qu'on lui coupât la langue. Le généreux philosophe prévint l'exécution de cet ordre , se coupa lui-même la langue avec les dents,et la cracha au visage du tyran. Ce fut avec la même constance qu'il vit achever ses tourmens. 18. Pompée, dans sa première jeunesse, suivant son ■père qui faisoit la guerre à China, avoit un ami et un compagnon d'armes, appelé-Lz/ctW Térentius, aveclequel il partageoitsa tente.Ce Térentius, corrompu par l'argent de Cinna, s'étoit chargé d'assassiner, la nuit, Pompée, tandis que les autres conjurés m ettroient le feu à la tente du général.Pompée, étant à souper, eut avis de cette conjuration : il n'en témoigna aucun étonnenient ; il fut aussi gai qu'à l'ordinaire pendant le repas, et il fit beaucoup de caresses à T'eVewZiwj.Lesouperfini, chacun se retira pour se coucher ; mais Pompée se déroba secrètement de sa tente, alla mettre une bonne garde autour du quartier de son père ,et demeura ensuite en repos. Térentius, lorsqu'il crut que l'heure étoit venue d'exécuter son dessein, se le va l'épée à la main, et s'approchant du lit où il croyoit que. Pompée étoit couché, il donna plusieurs coups dans les couvertures. Le père de Pompée étoit fort haï des soldats. L'action de Térentius excita une grande rumeur dans tout le camp. Tous les soldats conrent pour aller se rendre à l'ennemi: ils plient leurs tentes, et prennent leurs armes. Le général n'osant s'exposer à ce tumulte, ne sortit point de sa tente ; mais Pompée se jetant au milieu de ces troupes mutinées, les conjure , en pleurant, de rte pas.faire cet outrageàlçur capitaine^ et., ne pouvant
�INTRÉPIDITÉ. 35 g. rien gagner, il se jette enfin le visage contre terre, au travers de la porte du camp, et leur commande de passer sur son corps, s'il ont tant d'envie de se retirer. A. ces mots, saisis de honte, ils s'en retournent tous, et se réconcilient avec leur général, à l'exception de 800 qui persistèrent dans leur révolte, et allèrent joindre Cinna. 19.Pisistrate s'élant rendu maître d'Athènes, tous ses ennemis prirent la fuite. Chacun trembloit dans la y\\\e,Soloji seul étoittranquille;et,supérieuràla crainte, ce sage législateur reprochoithautement aux Athéniens leur lâcheté, et au tyran sa perfidie. Comme on lui demandoit ce qui pouvoit lui donner une telle assurance, une telle hardiesse : « Ma vieillesse, » répondit-il. Voyez ASSURANCE, BRAVOURE, CONSTÂNCE,COURAGE, EGALITÉ D'AME , FERMETÉ , GRANDEUR D'AME , HÉROÏSME , MAGNANIMITÉ , RÉSOLUTION, VALEUR,
JOIE. 1. EPAMINONDAS paroissoit toujours en public avec un visage gai et content : cependant, le lendemain de cette fameuse victoire qu'il remporta à Leuctres, on le vit avec un extérieur triste et négligé ; ses amis lui en demandèrent la raison; «Je me suis trop livré hier « aux mouvemens de la joie, leur répondit-il ; je veux « m'en punir aujourd'hui. » 2.De toutes les femmes de Mithridate , roi de Pont, celle que ce prince aimoit le plus, étoit Stratonice.Elle étoit fille d'un musicien fort pauvre et fort vieux. Un soir , elle chanta à table avec, tant de grâces, qu'elle charma le monarque, qui, bientôt après, l'épousa.Le père de la nouvelle reine étoit très-mécontent de la fortune de sa fille, parce que ce prince ne l'avoithonorée d'aucun présent, et n'avoit pas même paru faire attention à lui. 11 fut bien surpris , lorsqu'un matin , à son réveil, il vit ches lui des tables couvertes de vaisselle d'oretd'argent,une foule de domestiques pour le servir» des eunuques et des favoris du roi qui lui apportaient
�36o
JOIE.
des habits'magnifiques , et devant sa porte un cheval ri héritent enharnaehé, tel que ceux qu'on donnbitaux amis du prince. Il crut que c'étoit un jeu , et que l'on vonlolt se moquer de lui ; il s'empressa de sortir de sa maison , et de prendre la fuite ; mais les domestiques se mettant au devant, l'en empêchèrent, et lui dirent que c'étoit la maison d'un homme fort riche , qui venoit de mourir, que le roi lui avoit donnée, et que ce qu'il voyoit là , n'étoit qu'un léger échantillon des grands biens que lui apportoit cette succession. A ces mois , se laissant persuader, quoique avec peine ,il se revêtit de la robe de pourpre, monta à cheval, et traversa la ville en criant : « Tous ces biens sont à moi ! « tous ces biens sont à moi ! » Il disoit à ceux qui rioient et se moquoient de lui, qu'il ne falloit pas être surpris des extravagances qu'il l'ai soit ; qu'on devoit plutôt s'étonner que , dans l'excès de sa joie qui le rendoit fou , il ne jetât pas des pierres à tous les passans. 3. Les Romains, qui assiégeoient la ville deVéïes, ayant reçu un échec considérable, tous les ordres de l'état, par un généreux zèle, s'empressèrent de réparer l'honneur des armes de la république. Jusqu'alors les armées romaines n'avoient eu dans leur cavalerie que les chevaliers romains à qui le public fournissoit des chevaux. Dans cette occasion, des citoyens qui avoient le revenu nécessaire pour être admis dans cet ordre, et auxquels les censeurs n'avoientpoint assigné de cheval entretenu aux dépens du public, s'étant concertés ensemble, vont trouver le sénat, et ayant obtenu audience, déclarent qu'ils sont prêts à se fournir euxmêmes de chevaux, pour être en état de servir la république. Le sénat reçut une offre si généreuse avec de grandes marques de reconnoissance. Le bruit s'en répand aussitôt par toute la ville. Les plébéiens piqués (i' iiîe noble jalousie, se présentent à leur tour devant le sénat, et.disent que, pour soutenir I honneur de l'infanterie, il viennent offrir leurs services hors de rang, prêts à marcher par-lout où on les conduira; et que si On les mène à Vcïes , ils s'engagent dès ce moment à n'en point revenir que la ville né soit prise. 13 ne fut pas
�JOIE.
3Gi
possible alors au sénat de retenir la joie dont il se sentit pénétré, il ne se contenta pas , comme il en avoit usé à l'égard des cavaliers , décharger quelques-uns d >s magistrats deleur faire des remereîmens, ou défaire entrer quelqu'un des plébéiens pour entendre saréponse. Les sénateurs , sortant en foule du sénat, et se tournant vers le peuple quiétoitassemblé dans la placepublique, lui marquent, de la hauteur du Capitole où ils étoient, par le geste et par la voix, tout ce qu'ils pensoient et tout ce qu'ils sentoient. Ils s'écrient que Rome, par une concorde si unanime, sera heureuse, invincible, éternelle. Us comblent de louanges et lés cavaliers et les. gens de pied. Ils regardent ce jour comme le plus beau et le plus fortuné de la république ; ils avouent que le sénat a été vaincu en générosité. Des deux côtés, on voit couler des larmes de joie, et l'on n'entend que des cris de congratulations et d'actions de grâces. Les sénateurs ayant été rappelés au sénat, on y donne un décret par lequel les premiers magistrats sont chargés de convoquer l'assemblée du peuple, defairedepnblics remereîmens aux cavaliers et aux fantassins, et de les assurer que le sénat n'oubliera jamais leur bonne volonté et leur zèle pour la patrie. On ordonne de plus , par ce même décret, que les années de service seront comptées à ces soldats volontaires, comme s'ils avoient été enrôlés dans les formes. On distribua aussi, pour la première fois, une certaine paye à la cavalerie, comme on l'avoit fait auparavant à l'infanterie. 4- Coulanges , petite ville de Bourgogne , à trois lieues d'Auxerre, est très-riche en vins, ce qui l'afait surnommer la vineuse, épithète qui lui convenoit d'autant mieux autrefois, qu'elle n'avoitqueduvinetpoint d'eau. On avoit fait une foule de tentatives pour y conduire cette liqueur plus nécessaire que le vin : elles avoient été toutes infructueuses. Enfin, M. d'Agues* seau ayant acquis le domaine de cette ville, chargea le célèbre M. Couplet, en 1706, de tenter un dernier effort. M. Couplet, arrivé à quelque distance de Coulanges, mais sans la voir encore, ets'étant seulement fait montrer vers quel endroit elle étoit, m t foutes ses commis-
�562 JOIE. sauces en usage, et afin promit hardiment cette eau si désirée , et qui s'étoit dérobée à tant d'autres ingénieurs. II marchoit, son niveau à la main; et dès qu'il put voir les maisons de la ville , il assura que l'eau seroitphis haute. Quelques-uns des principauxhabitans qui, par impatience ou par curiosité , étoient allés au devant de lui, coururent porter cette nouvelle à leurs concitoyens, ou pour leur avancer la joie, ou pour se donner une espèce de part à la gloire de la découverte. CependantM. Couplet continuoit son chemin, en marquantavecdes piquets les endroits où il falloit fouiller, et en prédisant dans le même temps à quelle profondeur précisément on trouveroit de l'eau ; et, au lieu qu'un autre eût pu prendre un air imposant de divination, il expliquoit naïvement les principes de son art, et se privoit de toute apparence de merveilleux. Il entra dans Coulanges, où il ne vit rien qui traversât les idées qu'il avoit prises ; et il repartit pour Paris, après avoir laissé les instructions nécessaires pour les travaux qui dévoient se faire en son absence. Il restoit à conduire l'eau dans la ville par des tranchées et des canaux , à. lui ménager des canaux de décharge en cas de besoin; et tout cela emportoit mille détails de pratique , sur quoi il ne laissoit rien à désirer. Il promit de revenir au mois de Décembre, pour mettre à tout la dernière main. Il revint en effet; et, le 21 de Décembre, l'eau arriva dans la ville. Jamais la plus heureuse vendange n'y avoit répandu tant de joie. Hommes , femmes, enfans, tous couroient à cette eau pour en boire, et ils eussent voulu s'y pouvoir baigner. Le premier juge de la ville, devenu aveugle, n'en crut que le rapport de ses mains, qu'il y plongea plusieurs fois. On chanta un Te Deum, où lescloehes furentsonnées avec tantd'emportement, que la plus grosse fut démontée : l'allégresse publique fit cent folies. La ville , auparavant toute défigurée par des maisons brûlées qu'on ne réparait point, prit dès ce moment une face nouvelle ; on y bâtit, on vint même s'y établir, au lieu qu'on l'abandonnoit peu à peu. Voyez GAIETÉ , HUMEUR ( bonne ^ ; JAis,
�J
V
G E M E N S.
365
9
■
VV
VX\\V\IIAVVI.VIVWVX.VVI\
J U G E M E N S.
I.JL-'ANS les tribunaux d'Athènes , la vérité seule (oit écoutée : pour que nul objet extérieur n'en dé~ urnât point l'attention des juges ,,ils tenoient leurs leances de nuit ou dans les ténèbres ; et il étoit déndu aux orateurs d'employer ni exorde , ni pérorai-lon, ni digression, ni les ornemens souvent trompeurs e l'éloquence. I 2, Deux scélérats s'accusoient mutuellement en Irésence de Philippe , père à'Alexandre-le-Grand. te prince ayant entendu les deux parties, jugeacomme le singe de la fable : il ordonna que l'un d'eux sortît lie la Macédoine , et que l'autre le suivit. 3. ÏJn fermier de Southams, dans le comté de WarIvicken Angleterre, fut assassiné en revenant chez lui. (lie lendemain, un homme vint trouver la femme de ce énnier, et lui demanda si son mari étoit rentré le soir récédent. Elle répondit que non, et qu'elle en étoit brt inquiète. « Vos inquiétudes, répliqua cet homme, « ne peuvent égaler les miennes ; car, comme j'étois « couché cette nuit, sans être encore endormi, votre « mari m'est apparu; il m'a montré plusieurs blessures « qu'il avoit reçues sur son corps, et m'a dit qu'il avoit « été assassiné par un tel, et que son cadavre avoit été « jeté dans une marnière.» La fermière alarmée fit des perquisitions. On découvrit la marnière , et l'on y trouva le corps blessé aux endroits que cet homme avoit désignés. Celui que le prétendu revenant avoit accusé , fut saisi et mis entre les mains des juges, comme violemment soupçonné de meurtre. Son procès fut instruit à Warwick; et les jurés l'auroient condamné aussi téméraiment que Je juge du paix l'avoit arrêté , si le lord Piaimond, le principal juge, n'avoit suspendu l'arrêt. Voici ce qu'il ditaux jurés : « Je crois, messieurs, « que vous paroisscz donner au témoignage d'unreve« nant, plus de poids qu'il n'en mérite. Je ne peux pas « dire que je fasse beaucoup de cas de ces sortes d'his-
�36/(. JtIGIÏÉNS. « toires; maïs, quoiqu'il en soit, nous n'avons auciii « droit de suivre nos inclinations particulières sur ce << point. Nous formons un tribunal de justice , et nom « devons nous régler sur la loi. Or, je ne coimoisan« cune loi existante qui admette le témoignage d'un ré. « venant, et, quand il y en auroitune qui l'admetlroit « le revenant ne paroit pas pour faire sa déposition, « Huissier, ajouta le juge, appelez le revenant ; »ce que l'huissier fit par trois fois, sans que le revenantpa. rût, comme on le pense bien. « Messieurs les jurés, cou« tinua le juge, le prisonnier, qui est à la barre, est, « suivant le témoignage de gens irréprochables, d'une « réputation sans tache ; et il n'a point paru, dans le « cours des informations, qu'il y ait eu aucune espèce « de querelle entre lui et le mort. Je le crois absolu« ment innocent; et, comme il n'y a contre lui aucune « preuve ni directe, ni indirecte, il doit être renvoyé. « Mais, par plusieurs circonstances qui m'ont frappé « dans le procès, je soupçonne fortement la personne « qui a vu le revenant, d"être le meurtrier; auquel cas, « il n'est pas difficile de concevoir qu'il ait pu dési« gner la place des blessures, la marnière et le reste, « sans aucun secours naturel. En conséquence de ces « soupçons , je me crois en droit de le faire arrêter, « jusqu'à ce qu'on fasse de plus amples informations.» Cet homme fut effectivement arrêté : on donna un ordre pour faire des perquisitions dans sa maison. On trouva des preuves de son crime , qu'il avoua luimême à la fin ; et il fut exécuté aux assises suivantes. 4- Un voyageur espagnol avoit rencontré un Indien au milieu d'un désert. Ils étoient tous deux à cheval. l'Espagnol, qui craignoit que le sien ne pût faire sa route, parce qu'il étoit très-mauvais, demanda à l'Indien , qui en avoit un jeune et vigoureux, de faire un échange : celui-ci le refusa. L'Espagnol lui cherche une mauvaise querelle : ils en viennent aux mains; l'agresseur, bien armé, se saisit facilement du cheval qu'il désiroit, et continue sa route. L'Indien le suit jusques dans la ville la plus prochaine, et va porter ses plaintes au juge. L'Espagnol est obligé de comparoitre et
�365 amener le cheval. Il traite l'Indien de fourbe , assunt que le cheval lui appartient, et qu'il l'a élevé tout me. 11 n'y avoit point de preuves du contraire; et le ge indécis alloit renvoyer les plaideurshors. de cour et procès, lorsque l'Indien s'écria : «Le cheval est à moi! et je le prôtlvè. » Il ôte aussitôt sonmanteau, en uvre subitement la tête de l'animal; et s'adressant juge: « Puisque cet homme, dit-il, assure avoir élevé ce cheval, commandez-lui de dire duquel des yeux il est borgne. » L'Espagnol ne veut point paraître siter, et répond h l'instant : « De l'œil droit.» Alors ndién découvrant la tête du cheval : « Il n'est borgne , dit-il, ni de l'œil droit, ni de l'œil gauche.» Le juge, nvaincu par une preuve si ingénieuse et si forte, lui jugea le cheval, et l'affaire fut terminée. 5.Ùn seigneur très-riche légua tout sonbien, partesnent,àdes Bénédictins. Il avoitmarqué expressément ie ces religieux ne donneraient à ses enfans que ce i'il leur plairoit. Dès qu'il fut mort, le couvent s'emBra de tout le bien. Les pauvres enfans du défunt s'aBessèrent au duc d'Ossone, vice-roi de Naples, et le Bièrent de leur faire vecorder quelque chose. Ce seiBcur, touché de leur infortune, fit venir les-BénédicBis, et leur demanda ce qu'ils vouloient donner à ces Bifahs? Les bons pères lui répondirent : « Huit mille ■livres. — Et que vaut le bien que vous retenez ? » répliqua le duc. Les Bénédictins répondirent qu'il Bu voit valoir environ cent mille francs. «Mespères,dit S alors le duc , il faut suivre l'intention du testateur, Hqui a été que ses enfans auroient ce qu'il vous plai■ roit; et par conséquent, il faut leur remettre ces cent ■ mille francs ; car je vois qu'ils vous plaisent beau■coup.» Les moines voulurent répliquer ; mais le duc, ps les écouter, fit exécuter sur-le-champ sa sentence. 6. Un Espagnol étant en procès pour une jeune esave qu'il avoit à son service, demanda que son affaire t. décidée par l'autorité d'Alphonse V, roi d'Aragon, ri venoit de monter sur le trône. Voici ce dont il agissoit. Les lois en Espagne accordent la liberté aux nnnes esclaves quiont eu des enfans de leurs maîtres,
JTJGÈMENS.
�566 J TJ G E M E N Si En vertu de cette loi, l'esclave de l'Espagnol demandoil à être déclarée libre, prétendant avoir eu un enfantdt son maître ; mais comme le maître craignoit beaucoup de perdre son esclave, il assuroit toujours qu'il n'avoil jamais eu avec elle aucun commerce, et que Fenfantn'é toit pointàlui. Celle-ci cependant affirmoit le contraire, Dans cet embarras, Alphonse décida, comme Salomon, que l'enfant seroit vendu publiquement sur la place, et adjugé au plus offrant. Le jugementétoitsur le poini de s'exécuter , lorsque le père, sentant tout-à-coup réveiller sa tendresse , ne putretenir ses larmes, et réclama Fenfant. Alphonse sur-le-champ le lui fitrendre,el en même temps déclara que Fesclave étoit libre. 7. Deux dames de qualité étant en dispute pourlt pas dans une église, l'empereur Charles-Quintévoqiu cette affaire à son tribunal. Après s'être fait expliqua les raisons de part et d'autre : « Que la plus folle des « deux passe la première, » dit-il. Ce jugement termina les ridicules prétentions des deux rivales, qui ne s'avisèrent plus de disputer sur le pas. 8. Une jeune fdle de Bologne en Italie ayant demandé en justice la réparation des violences qu'un jeune homme avoit exercées contre elle , et celui-ci traitant l'accusation d'imposture, on ne laissa point de le condamner à une amende considérable, parce que la plainte devoit prévaloir sur la justification de l'accusé , qui se contentoit de nier le fait. La somme fut comptée en pleine audience, et mise entre les mains de la fille,qui la serra fort soigneusement, etmême avec joie.Unmoment après, le magistrat permit au garçon de la lui enlever de force, s'il le pou voit. Ses efforts furent inutiles; et la fille fut amenée devant le juge, auquel elle alloit se plaindre de ce que le condamné vouloit lui ravir son argent : « Vous Fa-t-il pris , demanda le juge; « — Non vraiment, répondit-elle ; et tant que jeres« pirerai , il ne le prendra jamais. — Ma fille, je vous « condamne maintenant à le rendre : si vous enssia « gardé votre honneur avec autant de soin , jamais on « ne vous l'eût ravi. Allez , et que celte leçon vous « rende sage à l'avenir. » r o. Un riche marchand de Nuremberg vint se plaincfe
�JUGEMENS. 3^7 à l'empereur Rodolphe I, qu'ayant donné à garder à son hôte sa bourse , où il y avoit environ cent f lorins , et l'ayant voulu retirer, l'hôte avoit nié le dépôt, parce qu'il n'y avoit pas de témoins. Cet hôte étoit riche, un des premiers de la ville, et ne pouvoit être aisément convaincu . L'occasion seule étoit capable de le confondre. Un jour que les députés de Nuremberg se présentèrent à l'audience de l'empereur , Rodolphe reconnut l'hôte parmi eux. Il s'approche de lui; et examinant sa parure : «Vous avez, lui dit-il, un assez beau chapeau; « troquons. » L'hôte , avec joie, présente aussitôt son chapeau, et reçoit celui de l'empereur. Rodolphe sort de la salle sous quelque prétexte, et ordonne àun bourgeois qu'il rencontre y d'aller, delà part de l'hôte, demander à sa femme la bourse où étoitle dépôt que le m archand avoit désigné, et de lui montrer le chapeau, pour preuve de samission .L'hôtesse, à ce signe, remetla bourse au bourgeois, qui la rapporte à l'empereur. Il entre dans la salle avecle marchand qu'il avoit faitappeler, et fait denouveauplaiderlacauseàsontribunal. L'hôte infidèle affirme encore, avec serment, qu'il n'a point la bourse. Rodolphe indigné la lui présente, la remet au marchand , et condamne l'hôte à une grosse amende. 10. Un marchand avoit perdu une bourse remplie d'une somme considérable, et d'un bon nombrede pierreries ; et pour la retrouverplus facilement, ilfitpublier qu'il en donnerait la moitié à celui qui la luirapporteroit. Un mahométan , qui l'avoit trouvée, la lui porta ; mais il ne voulut lui rien donner, disant que le toutn'y étoit pas. L'affaire alla jusqu'à Octài-Kan, empereur des Tartares , qui voulut, en prendre connoissance. Le mahométan jura que la bourse étoit en son entier, et qu'il n'en avoit rien pris ; et le marchand soutint par serment qu'il y avoit plus d'argent et plus de pierreries. Octaï-Kan prononça, et dit au mahométan: «Emportez « labourse, et gardez-la jusqu'à ce que celui à qui elle « appartient vienne vous la demander. Pour le mar« chand , qu'il aille chercher ailleurs ce qu'il a perdu; « car, de son propre aveu, la bourse n'est pas à lui. » 11.Un march and chrétien ayant confié à un cham elier turc un certain nombre de balles de soie, pour les v®i-
�f
368 J O 6 E M ï s s. turér d'Alep à Constantinople, se mit en chemin avec lui ; mais au milieu de la route il tomba malade , etnè put suivre lacaravaune, quiarrivalong-temps avantlui, Le chamelier ne voyant point venir sou homme aubout de quelques semaines, s'imagina qu'il étoit mort, vendit les soies, et changea de profession. Le marchand chrétien arriva enfin, le trouva, après avoir perdu bien dutempsàlechercher,etlui demandases marchandises. Le fourbe feignit de ne pas le connoître, et nia d'avoir jamais été chamelier.Le cadi, devant lequel eetteafTaire fut portée, dit au chrétien : « Que deraande-tu ? « Vingtballes desoie, répondit-il, que j'ai remises à cet « homme.— Que réponds-tu à cela, dit le cadtaucha« melier?—Je ne sais ce qu'il veut dire avec sesballes de « soie et ses chameaux; je ne l'ai jamais ni vu ni connu.» Alors le cadi, se tournant vers le chrétien, lui demanda quelle preuve il pourroit donner decequ'ilavaneoit.Le marchand n'en put donner d'autre, sinon que la maladie l'avoit empêché de suivre le chamelier. Le cadi leur dit à tous deux qu'ils étaient des bêtes, et qu'ils se retirassent de sa présence. Il leur tourna le dos ; et pendant qu'ils sortoient ensemble, il se mit aune fenêtre, etciïa assez haut: «Chamelier, un mot ! » Le Turc aussitôt tourna la tête, sans songer qu'il venoit d'abjurer celte profession. Alors le cadi l'obligeant de revenir sur ses pas, lui fit donner la bastonnade, et avouer safriponnerie. il le condamna à payer au chrétien sa soie, et de plus, une amende considérablepourlefauxsermentcpi'ilavoitfait. 12. Un Turc prêta cent écus à un chrétien, à condition que s'il ne lui rendoit cette somme dans un temps qu'il fixa, il lui pourroit couper deux onces de chair.Le chrétien, au terme expiré, ne put pas payer. Le Turc, plein de colère , vouloit exécuter la peine convenue; et le chrétien s'efforcoit de s'en affranchir. Us furent traduits tous deux devant Amurat I, qui essaya d'alwrdde concilier le débiteur avec le créancier; mais l 'inflexible Turc ne voulut rien accorde)-. Alors le grand-seigneur, pour le punir de son inhumaine obstination , lui permit de couper les deux onces de chair, mais à la charge, s il excédoit ce poids, de subir la même peine. Ce jugement effraya
�56o) rffraya l'implacable musulman : aussitôt il se désista de ses poursuites, etremitsa dette au malheureux chrétien. i3. Des chanoines ayant fait réparer dans leur église une chapelle dédiée aux ames du purgatoire, le sculpteur , qui en fit la représentation en bas-relief, plaça directement au milieu de ses figures, l'effigie du père prieurd'uncouventvoisin.Elleétoitsiressemblantejque personne ne s'y méprit : le père s'y reconnut lui-même. Aussitôt il en porte ses plaintes aux chanoines, qui font venir le sculpteur, pour délivrer sa révérence des flammes du purgatoire. L'artiste s'en défend, sous prétexte qu'il ne peut toucher à son ouvrage sans le gâter. Le révérend père, peu content de cette défaite, croit qu'il y va de sonhonneur de se plaindre à l'archevêque.Leprélat demande au sculpteur si cette ressemblance est un effet du hasard : « Non, monseigneur, répondit-il.—Eh « bien, il faut donc détruire cette figure , puisqu'elle « outrage celui qu'elle représente.—Je m'en garderai « bien,monseigneur;et vous m'approuverez sans doute. « Le carême passé , M. le prieur , dans un de ses ser« mons, prouva , d'une manière invincible , que ceux « qui retiendroient le bien d'autrui, seroient détenus « dans les flammes du purgatoire , jusqu'à ce qu'ils « eussent payé leurs dettes : or, il y a plus de deux ans « qu'il me doit cent écus,que je lui ai toujours demandés « inutilement:pour l'enpunir,jel'aiplacédansmonpur« gatoire; et je l'y laisserai, monseigneur, à moins que « votre grandeur n'en ordonne autrement. » Le prélat, trouvantlaréponsedusculpteurfondéesurl'équitéjcondamnalemoine,honteuxetconfus,à rester enpurgatoire jusqu'à ce qu'il eût entiérementacquitté son créancier. i4- Acyndinus, gouverneur d'Antioche > apprenant qu'un citoyen n'apportoit pas à l'épargne la livre d'or à laquelle il avoit été taxé , le fit mettre en prison , et le menaça de le faire pendre, s'il ne recevoit cette somme dans le temps qu'il luimarquoit. Le terme alloit expirer , sans que l'infortuné débiteur fût en état de satisfaire Acyndinus. Sa femme , d'une beauté ravissante, crut devoir, dans ce pressant danger, sacrifier ce qu'elle avait de plus cher, pour sauver les jours de son mari. Tome IL Aa
JUGKMENS.
�3~0 JUCEÎWENS. Elle alla le trouver dans sa prison, et lui communiquai! proposition que lui avoitfaite un homme riche, de pavei «es faveurs du prix qu'elle désirerait. Le prisonnier rengagea, lui commanda même d'accepter ses offres, Elle obéit ; mais l'homme vil qui la déshonorait , auI lieu de lui donner l'argent promis, substitua à sa place!' une bourse pleine de terre. La femme, de retour chei elle, ayant aperçu la tromperie, en demanda justice au gouverneur, et avoua le fait ingénument. Aryndinm) qui reconnut aussitôt les suites honteuses de sa trop grande rigueur , se condamna d'abord à payer au fisc la livre d'or : ensuite il adjugea à la femme la terre d'où «toit prise celle qu'elle avoit trouvée dans la bourse, 15. Charles-le-IIardi, duc de Bourgogne, a voitdonné le gouvernement de la capitale de la Gueldre à Claude Rhinsault, Allemand , qui l'avoit bien servi dans les guerres. A p*ine fut-il pourvu de cet emploi, qu'il jeta les yeux sur Sapphira, femme d'une rare beauté, et qui étoit mariée à un riche marchand de la ville , nomnui VavlDauvelt. Il mit touten usage pour s'introduire chez elle; mais, instruite de ses vues, elle n'oublia rien pour éviter le piège qu'il lui lendoit. Le gouverneur, convaincu qu'il ne réussirait jamais par les voies ordinaires, fit emprisonner le mari, sous prétexte qu'il avoit des correspondances avec les ennemis du prince. On luifitson procès ; mais la veille du jour qu'il devoit être exécuté, Sapphira courut implorer la clémence du gouverneur qui lui dit qu'elle ne pouvoit espérer de sauver la vie à sonmari, qu'en se rendant àses désirs. Gettevertueuse femme, accablée de douleur, se transporta à la prison, où elle découvrit à son époux tout ce qui venoit de se passer, et le rude combat qui s'étoit livré dans son ame, entre sa tendresse pour lui et la fidélité qu'elle lui devoit. Cet homme, honteux d'avouer ce que la crainte de la mort lui suggérait, laissa échapper quelques mots qui lui firent entendre qu'il ne la croirait pas déshonorée par une action où il étoit bien persuadé que sa volonté n'aurait aucune part. Avec cette prière indirecte de lui sauver la vie, elle prit congé du tris teprisonnier, qu'elle embrassa mille fois. Le lendemain matin, elle alla trou-
�JUGEMENS.
er le gourverneur, et se mit à sa discrétion. Rhinsault uases charmes, se flattad'avoiravecelleuncommeree bre dans la suite, et lui dit d'un air cruellement gai, 'aller retirer son mari de la prison ; « mais, ajouta-t-il, vous ne devez pas être fâchée si j'ai pris des mesures, afin qu'il ne soitpas àl'avenir unobstacleànosrendez-* vous. » Ces derniers mots lui présagèrent le malheueux sort de son époux, qu'elle trouva exécuté, lorsu'elle arriva à la prison. Outrée de douleur, elle alla •ouver en secret le duc de Bourgogne, à qui elle remit nplacet qui contenoit le récit de sa funeste aventure, duc le lut avec des mouvemens d'indignation et de itié.Rhinsault fut mandé à la cour, et confronté avec 'apphira. Dès qu'il put revenir de sa surprise, le prince i demanda s'il connoissoit cette dame. Il répondit que ni, et qu'il l'épouseroit, si son altesse vouloit bien egarder ce tte démarche comme une j us te réparation de on crime. Le duc en parut content, et fit d'abord célérer le mariage. 11 dit ensuite au gouverneur: «Vous en êtes venu là, forcé par mon autorité; mais je ne croirai jamais que vous ayez de la tendresse pour votre femme, à moins que vous ne lui fassiez une donation de tout votre bien, pour en jouir après votre mort.» uand l'acte eut été expédié, le duc dit à la dame : «Il ne me reste plus qu'à vous mettre en possession du i> bien que votre mari vous a donné;» et là-dessus il ommanda que Rhinsault fût mis à mort. 16. Un esclave, nommé FuriusEtesiruts, s'étanttiré e servitude, avoit acheté un petit champ, et Tavoit ultivé avec tant de soin, qu'il devint le plus fertile de outlepays.Lesuccèt; de ses travaux excita la jalousie de ousses voisins, qui l'accusèrent de magie. Il fut appelé n jugement devant lepeupleromain.Le jourde l'assination étant venu, il amena dans la place publique sa îlle, qui étoit unegrossepaysannebiennourrie etbien vêtuc:ilfitanporter tous ses instrumensde labour, qui fétoieat en fort bon état, des ho vaux très- pesans, une charrue bien équipée etbien entretenue ; il iitaussi venir sesbœufsquiétoient groset gras. Puis se tournant vers les juges : « Voila, dit-il, mes sortilèges, et la magie Aa 2
�JUSTESSE
D* E S
PRI
T.
« que j'emploie pour rendre mon champ fertile. » Les suffrages ne furent point partagés:il fut absous d'une commune voix, et le peuple le reconduisit dans sa chaumière, en le comblant d'éloges, \7.Nic0n, fameux athlète de Thase, avoit été cou* ronné, comme vainqueur, jusqu'à quatorze cents fois, dans les jeux solennels de la Grèce. Un homme de ce mérite ne manqua pas d'envieux. Après sa mort, un de ses rivaux insulta sa statue, et la frappa de plusieurs coups, peut-être pour se venger de ceux qu'il avoitreeus autrefois de celui qu'elle représentoit. Mais lastatue, comme si elle eût été sensible à cet outrage, tomba sur l'auteur de l'insulte, etletua.Les fds de l'homme écrasé ponrsuivirentlastatue juridiquement; commecoupable I d'homicide, et punisable en vertu de la loi de Dracon, Cefameuxlégislateurd'Athènes,pourinspirer une plus grande horreur de l'homicide, avoit ordonné qu'on exterminât les choses même inanimées, dont la chute causeroit la mort d'un homme. Conformément à cette loi', les Thasiens ordonnèrent que la statue seroit jetée dans la mer; mais, quelques années après, étant affligés d'une grande famine, et ayant consulté l'oracle de Delphes, ils le tirent retirer du milieu des flots, et lui rendirent de nouveau les honneurs que méritoit le héros dont elle consacroit la mémoire. Voyez ÉQUITÉ,
I
JUSTICE.
\nuvu\u\iw\w\iiw\iumummmuu\u\iniHUH\HW
JUSTESSE
D'E SPRIT.
1. "L'EMPEREUR Maximilien étant malade , manda plusieurs médecins, plus pour s'en divertir, que pour suivre leurs ordonnances.Ildemanda à chacun d'eux en parti c ulier : Ouot? Ils demeuraient confus, ne concevant pas l'idée duprince. Un vieuxroutier d'entre eux, comprenant que le monarque, parce monosyllabe, demandoit combien ils avoient fait mourir de personnes, suivant les règles de l'art, prit à pleine main sa barbe, et lui dit : Tôt, voulant signifier qu'il avoit
�JUSTESSE
D'ESPRIT.
ait mourir autant de malades que sa barbe avoit de poils. Cette réponse spirituelle lui mérita un favorable accueil, et l'empereur l'écouta avec toute la constance que méritoit sa rare sincérité. 2. Un gentilhomme fort brutal, ayant prispossession d'une terre qu'il venoït d'acquérir, demanda auxhabitàris ce qu'ils pensoient de leur curé; et comme ils lui dirent que c'étoit un grand astrologue, ce seigneur, Icroyant qu'il se mêloit de deviner, l'envoya chercher ■le lendemain matin, et le menaça de son indignation, ■s'il ne lui rendoit raison sur quatre choses. « Je veux, ■ « lui dit-il, que vous m'appreniez , premièrement, où ■ « estle milieudu monde ; secondement, ce que je vaux; ■ « troisièmement, ce que je pense ; quatrièmement, ce « que je crois. » Le bon curé eut beau protester qu'il ne ■ se mêloit point de deviner,leseigneur voulut qu'il le sa■ tisf il sur-le-champ, ou qu'il avouât qu'il étoit un imposm teur.Pour sortir d'embarras et préparer ses réponses, le ■ curé dem anda seulem entju squ'au lendemain, ce qui 1 ui ■ fut accordé. Enreprenant le chemin de son presbytère, ■ il rencontra son meunier, qui,le voyant triste, et apprenant de lui ce qui s'étoit passé, se ehargeade ledéli■ vrer de sa peine.Le pasteur, que le gentilhommen'avoit I pasbien remarqué, y consentit. Le meunier s'affuble de ■ son bonnet carré, de sa soutane, et se présente sousson I nom à l'heure marquée. « Eh bien ! lui dit le seigneur, I « pourrez-vous bien satisfaire à mes questions ? — Oui, I « monseigneur, au péril de ma vie, répondit lemeuI « nier; mais, pour répondre à votre première proposiI « tion, il faut que nous sortions. » Il le mena dans une I grande campagne, où, après avoir feint de mesurer la I terre avec un long bâton, il le ficha en terre, et lui dit : « Voi 1 à justem en 11 e milieu du m onde. — Comm ent me «le prouverez-vous ? — Parbleu, monsieur, faites-le « mesurer;et si vous y trouvez une ligne de manque, « je veux perdre la vie. — L'expédient est bon ; mais « j'aime mieux vous en croire. Venons à l'autre ques« tion: combiencroyez-vousquejevaille?— Monsieur, « Notre-Seigneur, qui, sans vous faire tort, valoit un « peu mieux que vous , ne fut vendu que trente deniers :
I
I
�3^4 JUSTESSE D'ESPRIT. « quand je vous mettrais à vingt-neuf, auriez-vous sujet « de vous plaindre? —Non, monsieur le curé, vous « avez raison. Mais voyons si vous pourrez me dire à « quoi jepense?— Je gage que vous pensez plus à votre « profit qu'au mien. —11 estvrai: mais vous ne médirez « pointée que jecrois N'est-il pas vrai que vous croyez « que jesuisvotrecuré?—Assurément.—Ehbien ! c'est « ce qui vous trompe ; car je ne suis que son meunier. » Cette subtilité le fitrire ; et la justesse d'esprit dece rustique dérida le front sourcilleux de ce seigneur rébarbatif. 3. Quand la reine ElisabctJi proposa au docteur Date de l'employer cnFlandres ; elle lui dit, pour l'encourager, qu'il auroit vingt scbeliings à dépenser par jour. « Alors, madame, dit-il, j'en dépenserai dix-neuf. « Que ferez-vous donc de l'autre ?—Je le réserve pour « ma R atty, et pour Tom et Dick. » C'é toient les noms de sa femme et de ses enfans. Ija reine augmenta ses appoint emens, pour rendre Ratty, Tom et Dick plus aisés. Pendant le séjour du docteur en Flandres, il mit dans un paquet du m inistre deux lettres, l'une adressée à sa femme, et l'autre à la reine. Mais il s'étoit trompé en écrivant les adresses ; il y avoit sur la lettre de la reine : J?ourmachèrefemme;e\.svLrc.eWe de sa femme : Pour sa majesté; de manière que la reine, en ouvrant la lettre, trouva d'abord : Sweethea.rt, mon cher cœur, etune infinité d'autres expressions tendres et cavalières, avec des plaintes sur son éloignement et sur une disette d'argent. La reine se lit donner l'autre lettre, jugeantquece devait être la sienne ; elle écrivit elle-même au docteur sa méprise , et elle finissoit ainsi : « Ne soyez pas affligé si « votre erreur m'a fait connoître le secret de vos affaires « particulières; je suis bien aise de les connoître, et je « m'empresse d'y remédier. Vous recevrez désormais « quarante schellings par jour. » Lorsqu'il se fît des ouvertures pour la paix, les ministres demandèrent en quelle langue on éeriroit le traité. Le ministre espagnol proposa la française , parce que, dit-il à Dale , votre maîtresse se qualifie de reine de France. — «Si vousvou«- lez, reprit le docteur, nous le ferons aussi en hébreu, <f car votre maître prend le titre de roi de Jérusalem-»
�JUSTESSE
D* ESP RI T.
4. Bahalul, quelessai 11 ies de s on esprit firent su rn o mxneral-mégun, c'est-ii-dire, Icfou, mérita, parses reparties ingénieuses, son humeur enjouée, ses traits vifs et facétieux, la confiance et l'estime du calife llarovn-AlRaschild, qui lui donna toute sorte de liberté dans sa cour. Ce prince lui dit un jour défaire le catalogue des fous de la ville de Bagdad: « Cela n'est pas aisé à foire , « lui répondit Bahalul; mais ordonnez-moi de faire la « liste de tous les sages, etvous serez bientôt satisfait.» Quelqu'un, pour se moquer de lui , vint lui dire que le calife lui avoit donné la charge de maître des ours, des loups, des renards et des singes de son empire. Bahalul lui répondit, aussitôt: «Venez donc rne rendre hom« mage, carvous voilà devenu un de mes sujets. » Etant entré dans la salle des audiences du prince, et voyant son trône vide, il s'y plaça. Les huissiers de la chambre l'ayant aperçu, l'eu firent bientôt sortir à coups de canne , et lui reprochèrent son imprudence. Bahalul se mit à pleurer, et le calife étant entré immédiatement après, et ayant demandé le sujet de ses larmes, lt s huissiers lui dirent aussitôt ce qui étoit arrivé, ajoutant qu'il pleuroitàcause dequelqucscoupsquïl avoit reçus;mais iîaA«Z«/prenant la parole, dit au calife : « Seigneur, ce « n'est point pour les coups que je viens de recevoir, « c'est par pitié pour vous que je pleure ; car je consi« dère que si, pour m'être assis une seule fois en ma « vie sur le trône, j'ai reçu un si grand nombre de « coups, il faut que vous enduriez beaucoup pour vous « y asseoir tous les jours. » Le même monarque lui dit une autre fois : « Bahalul, pourquoi ne te maries-tu « pas, comme tous les autres hommes ? Tu aurois de la « compagnie, et quelqu'un qui auroit soin de toi; et tu « ne vivrois pas dans la solitude , comme les bêtes fé« roces. Je t'aime; je veux, pour te le prouver, te « donner une épouse digne de toi : jeune , bien faite , « riche^ elle te procurera toute les douceurs de la vie. » Bahalul ébranlé par ces raisons, et plus encore par l'autorité du calife, consentit enfin au mariage ; et les noces s'étant faites, il. entra avec sa femme dans le lit nuptial. Mais à peine s'y fut-il couché, qu'il entendit,
�376 JUSTICE. on feignit d'entendre un grand bruit dans le sein de sa compagne. Effrayé, il abandonne le lit, et prend la fuite bien loin hors de la ville. Le calife l'ayant appris, le fait chercher: on obéit; on le trouve, on l'amène. Le prince lui fait d'abord une terrible réprimande ; puis il lui demande où est donc le mot pour rire dans toute cette affaire. « Seigneur, lui répondit Bahalul, ne m'axe viez-vous pas promis, en me donnant une femme, « que je trouverais avec elle toutes les douceurs de la « vie? Mes espérances ont été trompées : aussitôt que « je fus avec elle, j'entendis dans son sein un bruit hor« rible : je prêtai l'oreille avec attention, et je distinguai « plusieursvoix,dontl'unemedemandoitunhabit,une « chemise, un bonnet, des souliers ; l'autre du pain, du « riz, de la viande : je remarquai de plus des cris et « des pleurs ; les uns rioient, les autres s'entre-battoient, « en sorte que ce vacarme m'a tellement épouvanté, « que craignant, au lieu du repos que j'avois cru trou« ver , de devenir encore plus fou que je ne suis, si je « demeurais plus long-temps avec ma femme, et si je « devenois le père d'une grosse famille; je cherchai ma « sûreté et mon repos dans une prompte retraite.»
*XXXXXXXAX\XXXXXXXXXXXX.XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXX-XXXXVXXXXX\%X
JUSTICE. 1-Î-J.E célèbre Aristide avoit à juger un différent entre deux particuliers. L'un d'eux rapportoit au long les injures que son adversaire avoit vomies contre Aristide , afin d'irriter le juge ; mais cet homme intègre, l'interrompit : « Mon ami, lui dit-il, laissons-là, « je vous prie , les outrages que votre ennemi m'a <' faits ; parlons de ceux que vous en avez reçus : je .« suis ici pour juger votre cause , et non la mienne. » Il accusoit un homme ; les juges, qui connoissoient sa vertu et son équité , ne vouloient seulement pas entendre la défense du coupable , et se préparaient à le condamner sur la dénonciation seule à'Aristide ; mais ce religieux observateur de la justice se jeta luimême aux pieds des juges, les conjurant de ne point
<
�3,77 [transgresser les règles ordinaires, et de laisser à l'ac[cusé la liberté de produire ses moyens de justification. 2. horsqu'Alexandre-le-Grand rendoit la justice , il avoit coutume , pendant que l'accusateur parloit, de se boucher une oreille avec la main ; et comme on lui demanda la raison de cet usage : « C'est, dit-il, « que je garde l'autre à l'accusé. » 3. Clàlon, l'un des sept sages de la Grèce , fut choisi , par deux de ses amis , pour être l'arbitre d'un différent survenu entre eux 5 mais , ne voulant ni blesser la justice ni offenser aucun d'eux , il les pria de le dispenser de ce jugement , et de s'en rapporter à un autre. Il s'en repentit ensuite, et reconnut qu'il eût été plus parfait de rendre inviolablement la justice sans respect humain , et que si quelqu'un des deux s'étoit offensé d'un arrêt équitable et conforme aux lois , la perte d'un tel ami ne devoit pas être regrettée. Chilon, dans sa vieillesse, disoit que toute sa vie, il n'avoit jamais eu que ce seul reproche à se faire. 4. L'empereur ConradII, allant à Mayence pour s'y faire sacrer, trois particuliers se jetèrent à ses pieds, et le supplièrent de leur faire raison de quelques domm a ges qu'ils avoient essuyés de la part de leurs ennemis. ConraJs'arrêtepourécouter leursplaintes ; mais ceretardementparoissantfàcherceuxquil'accompagnoient, il se retourne vers eux. » Je ne suis chargé de gouverner l'em« pire, leur dit-il, que pour rendre la justice ; mon de« voir est de ne point la différer : par où puis-je mieux |« commencer mon règne que par un acte, d'équité ? » 5. L'aïeule de Jean Desmarets, assassiné par le seimeur de Talart, s'étant jetée aux pieds de François I, pour lui demander justice de l'assassin de son jfils : « Relevez-vous , lui dit le roi ; il n'est pas né« çessaire de se mettre à genoux pour me demander « justice ; je la dois à tous mes sujets : à la bonne « heure , si c'étoit une grâce. » Le crime fut puni, et Talart eut la tête coupée aux Halles de Paris. 6. Lephïïosophelfozo^forcé de condamner à mort un criminel, versa des larmes sur le triste sort de cetinfortuné. « Pourquoi pleurez-vous, lui dit quelqu'un? Ne
JUSTICE.
�5yft J U S R I C E. « dépend-il pas de vous de condamner ou d'absoudre « cet homme?—Non, répondit Bias:la justice et les « lois exigent qne je le condamne ; mais la nature de« mande à son tour que je m'attendrisse sur les malex heurs de la foible humanité.» 7.Henri IVavoit accordé au crédit et aux prières du maréchal de Bols-Dauphin la grâce d'un gentilhomme, nomme Berthaut, qui avoitété condamné par arrêt du parlement, àperdrelatête.Lacour, étant avertie quele coupable devoitêlre arraché au supplice, députa leprésiàentde Thou,pour remontrerau roi de quelle conséquence il étoit que l'arrêt fût exécuté. Laremontrance du président fut faite devant le maréchal même.Le monarque , touché des raisons dontse servit de 1 hou, et des prières de Bois-Dauphin, parut d'abord embarrassé ; puis s'adressantà ce dernier:«MonsieurdeBois-Dau« phin, lui dit-il, n'est-ce pas l'amitié que vous avez « pour Berthaut, qui vous détermine à me parler en sa 1 « faveur?—Oui, sire, lui répondit le maréchal.—Mais « ne puis-je pas croire que vous avez pour moi autant | « d'amitié que pour lui ?—Ah ! sire, quelle comparai« son, répliqua Bois-Dauphin ! —Eh bien ! continua le « prince, laissons donc à la justice son libre cours , puis-1 « qu'en sauvant Berthaut, vous me faites perdre mon « ame et mon honneur. Je n'offense déjà Dieu que« trop souvent, sans ajouter ce péché aux autres.» L'arrêt fut exécuté, et Berthaut eut la tête tranchée. 8. Quoique Agésilas, roi de Sparte, fût en tout exact observateur des lois, et qu'il ne voulût point s'écarter des règles de la justice,il croyoit cependant que c "étoit être inhumain et cruel, que d'être trop rigoureusement juste dans les affaires de ses amis; c'est ce que prouve cette lettre très-courte qu'il écrivit, dit-on , au Carien Hidriée, en faveur d'un de ses amis, que ce magistral avoit fait mettre en prison. «Si Nicias n'est point cou« pable,relàchez-le;s'ilestcoupable,relàchez-le :quoi « qu'il en puisse être,relâchez-le.» Comme la clémence doit toujours tempérer la justice, s'il arrive qu'un personnage grave en adoucisse, quelquefois la rigueur, elle n'en est pas moins respectée , et ne perd rien de son
�37g ouvoir. On demandoit à ce prince s'il préféroit la aleur à la justice : «La valeur seroit inutile , répon< dit-il , si tous les hommes étoient justes. » q.Les rois d'Egypte donnoient l'attention la plus enrouleuse à l'administration de la justice,persuadés ne de ce soin dépendoit non-seulement le bonheur es particuliers, mais la tranquillité de l'état. Trente uges étoient tirés des principales villes pour composer aoompagniequi jugeoit tout fërdyàùme. Pour remplir es places difficiles, ie prince choisissoit les plus vénéabîes personnages, et mettoit à leur tête celui qui se istinguoitdavantage par laconnoissance etl'amourdes ois. Il leur assignoit d'honnêtes revenus, afin qu'affranhis des embarras domestiques , ils pussent donner out leur temps à faire observer les lois. La justice étoit ratuite ; les tribunaux étoient accessibles à tout le onde, et préférablement aux pauvres, qui, parleur tat même , sont plus exposés à l'injure , et ont plus esoin de la protection des lois. Pour éviter les sur.rises , on traitait les affaires par écrit. On craignoit ette fausse éloquence qui séduit les esprits, en reuant les passions. On vouloit que la vérité se montrât oute nue, ornée des seules grâces qui lui sont natuelles. Le président de ce sénat auguste portoit un ollier d'or et de pierres précieuses, d'où pendoit une igure sans veux , qu'on appeloit la vérité. Quand il a prenoit, c'était le signal pour commencer la séance. 1 fappliquoit à la partie qui devoit gagner sa cause , t c'était la forme de prononcer la sentence, ro. Il paroît. qu'en Perse les rois veilloient avec grand m à ce que la justice fût administrée avec beaucoup 'intégrité et de désintéressement. Un m agistrat s'étant aissé corrompre par des présens, fut impitoyablement ondamné à mort par Cambyses, fils et successeur de ^yrus, qui ordonna qu'on mit sapeausurle siège où e juge inique avoit coutume de prononcer ses jugeens, et où s on fils, qui succédoit à sa charge, devoit 'asseoir, afin que le lieu même où iljugeroit, l'avertît ontinuellement de son devoir. Les juges ordinaires étoient pris dans le corps des iieillards, où l'on n'entroit qu'à l'âge de cinquante aus
JUSTICE.
i'
�38o JUSTICE. Ainsi personne n'exerçoit avant ce temps les fonctions sacrées de la judicature, les Perses étant persuadés qu'on ne pouvoit apporter trop de maturité à un emploi qui décide des biens, de la réputation et de la vie des citoyens. Il n'étoit permis ni aux particuliers de faire mourir un esclave , ni au prince d'infliger peine de mort contre aucun de ses sujets, pour une première et unique faute, parce qu'elle pouvoit être regardée moins comme la marque d'une volonté habituellement criminelle, que comme l'effet de la foiblesse et de la fragilité humaine, On croyoit qu'il é toit raisonnable de mettre dans la balance de la justice le bien comme le mal, les mérites du coupable aussi-bien que ses démérites , et qu'il n'étoit pas-juste qu'un seul crime effaçât le souvenir de toutes les bonnes actions qu'un homme auroit faites pendant sa vie. C'est parce principe que Darius, ayant condamné à mort un juge, parce qu'il avoit prévariqué, et .s'étant souvenu des services importans que le coupable avoit rendus à l'état et à la famille royale , révoqua sa sentence dans le moment même où l'on alloit j l'exécuter, reconnoissant qu'il l'avoit prononcée avec plus de précipitation que de sagesse. Mais une loi importante et essentielle pour les jugemens, étoit, en premier lieu, de ne condamner jamais j un coupable, sans lui avoir confronté ses accusateurs, et sans lui avoirlaissé le temps etfourni tous les moyens J de répondre aux chefs d'accusation intentés contre lui; en second lieu, de condamner le délate'ur aux mêmes peines qu'il vouloitfaire souffrir à l'accusé, s'il se trouvoit innocent. Artaxerxèsdonna un bel exemple delà justesévérité qu'ondoitemployer dans ces occasions.Un de ses favoris lui avoit rendu suspecte la fidélité de l'un de ses meilleurs officiers dont il ambitionnoit la place, et avoit envoyé contre lui des mémoires pleins de calomnie, espérant que le prince l'en croiroit sur sa simpleparole, et qu'il n'entreroit dans aucun examen. L'offieier fut mis en prison. Ildemanda au roi qu'on lui donnâtdes juges, et qu'on produisît les preuves. Il n'y en avoit point d'autre que la lettre que son ennemi même avoit écrite
�JUSTICE. 38t outre lui. Son innocence fut donc reconnue, et plei-
ementjustifiéeparles trois commissaires nommés pour 'examen de sa cause ; alors le roi fit tomber toutle poids e son indignation sur le perfide calomniateur qui avoit ntrepris d'abuser ainsi de la confiance de son maître. u .Rien n'est comparable au respect que le peuple 'Achenï, en Asie , a pour la justice. Un criminel, arêtéparune femme ou par un enfant, n'ose prendre la „ùte; il se laisse conduire avec la plus grande docilité evantle juge qui le condamne sur-le-champ. Les châtiens les plus usités dans le pays, pour les fautes cornunes, sont la bastonnade et la mutilation de quelques embres , tels que les bras , les jambes, le nez et les reilles. Après l'exécution, chacun s'en retourne tranuillement chez soi, sans qu'on puisse distinguer le couable d'avec les accusateurs; c'est-à-dire, qu'on n'enend d'une part aucune plainte; et de l'autre aucun reïproche; il ne reste pas même de tache à ceux qui ont lubi ces punitions. Tout homme est sujet à faillir, disent les Àchémois, et le châtiment expie sa faute. Ce pu'il y a de plus singulier, c'est que ces mutilations sont rarement mortelles, quoiqu'on n'y apporte point d'autre remède que d'arrêter le sang et de bander la plaie. fJneautrecirconstancebienremarquabledanscessortes Be chàtimens, c'est l'espèce de traité qui se fait entre le rriminel et l'exécuteur de la justice. Celui-ci demande feux coupables combien ils veulent lui donner pour être Inutilés promptement, pour avoir le nez ou les oreilles ftoupées d'un seul coup , et si là sentence ordonne la |>eine de mort, pour recevoir le coup sans languir. |\près avoir un peu marchandé sur le prix , l'atfaire se lonclut à la vue des spectateurs , et la somme est payée sur-le-champ. Celui qui refuseroit de prendre 1-e parti, s'exposeroit à se voir emporter la joue avec l'oreille, ou couper le nez si haut, que le cerveau, seroit m découvert. On rapporte qu'un homme ayant eu la Buriositéde voir la femmedè son voisin par-dessus une laie , tandis qu'elle se baignoit, elle en avoit fait des Rlaintes à son mari. Celui-ci saisit le coupable et le Iraduisitdevantle juge, qui le condamna à recevoir sur
�382 JUSTICE. les épaules trente coups de baguette. On entra en capitulationpour adoucir le supplice. L'exécuteur demanda une somme beaucoup plus forte que celle qu'offroitle criminel ; et comme il le voyoit incertain, il lui donna un coup si rudement appliqué, que le marché fut conclu au prix qu'il avoit mis d'abord. La sentence n'en fut pas moins exécutée ; les trente coups furent administrés , mais si légèrement, que la baguette touchoit à peine les habits. L'exécution faite , le coupable se mêla tranquillement parmi les spectateurs , pour entendre les jugemens de quelques autres causes. i2./wZienl'Apostataimoità rendre la justice : il sepiquoitd'ensuivrescrupuleusementiesrèglesdanssaconduite, et ne s'en écartoit jamais dans les jugemens.Sévève sans être cruel, il usoit plus souvent de menaces que de punitions. Très-instruit des lois et desusages,il balançoitsans aucune faveur le droit des parties. Le premier de ses officiers n'avoit nul avantage sur le dernier .de ses sujets.Ilabrégeoit la longueur des procédures,et les regardoit comme une fièvre lente qui ruine et consume le bondroit.Dèsque l'injustice luiétoit dénoncée, il s'en croyoit chargé, tant qu'il la laisserait subsister, Le foible et l'innocent trouvoient toujours auprès du prince un accès facile. Comme il paroissoitsouvent eu; public pour des fêtes et pour des sacrifices, rien n'étoit si aisé que de l'aborder: il étoit toujours prêt à recevoir les requêtes et à écouter les plaintes. Illaissoit touteliberté aux avocats : ils étoient les maîtres d'épargner la flatterie;mais lerègneprécédent les y avoit trop accoutumés. Un jour qu'ils applaudissoient avec une sorte d'enthousiasme à une sentence qu'il venoit de prononcer : « Je serois flatté de ces éloges , dit-il, si je croyois « que ceux qui me les adressent, osassent me censurer « en face , dans le cas où j'aurais jugé le contraire. >< i5.M. JeZajPWKèrejpremierprésident du parlement de Bretagne , n'étant encore que conseiller, avoit été nommé rapporteur d'une affaire. Il en laissa l'examen à des personnes qu'il croyoit d'aussi bonne foi que lui et, sur l'extrait qui lui en fut remis , il rapporta le procès. Quelques mois après le jugement, il reconnut
�385 ue sa trop grande confiance et sa précipitation voient dépouillé une famille, honnête et pauvre des euls biens qui lui restaient. Il ne se dissimula point la faute ; mais , ne pouvant faire rétracter l'arrêt, qui oit été signifié et exécuté, il se donna les plus rands rnouvemens pour retrouver les malheureuses lictimes de sa négligence. Il y réussit, et les força ■'accepter , de ses propres deniers , la somme qu'il Mm avoit fait perdre involontairement. I î^.Auguste avoit porté une loi qui marquoit la ma■ère d'examiner et de juger les crimes d'adultère, et ■s peines qu'il falloit infliger à ceux qui en étoient ■invaincus. Quelque temps après , on accusa à son ■ibunal un jeune homme d'avoir eu commerce avec sa BleLzVie.Dans le premier mouvement de sa colère, le ■ince saute sur l'accusé , et le frappe rudement : ■Souvenez-vous de votre loi, César.'» lui cria le jeune Imme. Auguste s'arrête aussitôt , et rentre en lui■ême. Il fut si confus de cet emportement, qui blessoit ■justice, qu'il ne prit, ce jour-là, aucune nourriture. ■ i5.Une vieille femme , injustement condamnée, alla trouver Philippe, roi de Macédoine, et le pria de pren9e eonnoissance de sa cause. «Je n'ai pas îetemps,ma ■bonne , lui dit le monarque. —Pourquoi donc êtes■Vous roi, lui repartit la suppliante, si vous n'avez pas ^e temps de rendre la justice à vos sujets? «Philippe ira la généreuse liberté de cette vieil 1 e, et l'écoi ita. 16. Satibarzane, favori à' Artaxerxès-Mnémon, dendoit un jour à ceprince quelque chose d'injuste.Le «arque apprit qu'on lui avoit promis trente mille daues,s'il obtenoit ce qu'il demandoit. Il fait aussitôt ir son trésorier, et lui commande dedonneraucourn la somme qu'on lui avoit fait espérer : « Je n'en erai paspluspauvre, quand je vous aurai fait ce préent ; mais je serois moins juste et moins équitable , i je vous accordois ce que vous me demandez. » 7-Marsias, frère à'Antigonus, roi d'une partie de sie, ayant un procès considérable, pria ce prince de loir bien juger l'affaire chez lui, et nonpas en public, i nous ne faisons rien de contraire au droit, répondit
JUSTICE.
�384
JUSTICE-
« le monarque, il sera mieux de plaider au tribunal, « en présence du peuple. » Pendant qu'il faisoit la guerre, unsophiste lui présenta un traité de la justice; ee N'es-tu pas fou, lui dit-il, de me venir parler de « justice, quand je m'empare du bien d'autrui ? » iQ.OndemandoithAlexandridas, l'undesplusillus1res citoyens de Sparte, pourquoilessénateurs deLacédémone employoient plusieurs jours à l'instruction des affaires criminelles qui pouvoient conduire à la mort, et pourquoi celui que l'on renvoyoit absous restoit sous la puissance de la loi ? « Plusieurs jours, répondit-il, « sont employés a l'instruction du procès, parce quesi « l'on se trompoit en prononçant une sentence de mort, « il ne resteroit aucun moyen de la réformer: et celui «^qu'on décharge de l'accusation reste soumis à la loi, « parce qu'il se peut ensuite trouver contre lui de nouée velles charges,quile rendent digne de lapeineque ee la loi prononce. » 19. Unchevalier, quinel'étoitpas moins d'industrie que de nom, faisoit une dépense considérable, ne songeoit qu'au jeu et au plaisir, etsans cesse accnmuloit de nouvelles dettes , sans s'embarrasser du payement, Ses créanciers le firent enfin arrêter et mettre en prison. Ses amis se rendirent aussitôt à la cour, et s'intéressèrent vivement pour lui auprès d'Alfonse V, roi d'Aragon , leur souverain : ils supplioient ce monarque d'ordonner qu'on l'élargît, apportant pour raison qu'il falloit du moins laisser la liberté à cet infortuné qui avoit tout perdu. Alfonse leur répondit : <e Cet e< homme-là n'a pas dépensé son bien et contracté ces ee dettes pour le service du roi ni de la patrie : il n'a <e cherché uniquement qu'à flatter son corps ; il est <e juste que son corps en fasse maintenant pénitence, 28. Théodoric, roides Goths, ne se croyoit placé sut le trône que pour faire régner avec lui la justice, qu'ilregardoitcomme la fonction la plus sacrée d'un souverain Il donnoit toute son attention à choisir des magistrat) intègres et éclairés ; et s'il arrivoit qu'il se fïïttrompi dans son choix,il punissoit sévèrement leurs injustices, Rien ne lui paroissoit plus indigne que d'abuser dn| ppuv
�385 louvoir pour opprimer les inférieurs, et ce crime étoit rrémissible. Il ne pardonnoit pas pins aux juges qui , soit par négligence , soiL par une collusion criminelle , di(réroientdcrendrejusticeauxopprimés,etfavorisoient ainsi les injustes prétentions des personnes puissantes. On en rapporte un exemple louable dans le principe , mais répréhensible peut-être par l'excès de sévérité. Pendant qu'il étoit à Rome, une veuve vint se plaindre à lui de ce qu'ayant depuis trois ans un procès contre un sénateur nommé Formus , elle n'avoit pu encore obtenir de jugement. Il fit aussitôt appeler les juges. « Si vous ne terminez demain cette affaire, leur dit-il, « je vous jugerai vous-mêmes. » Le lendemain la sentence fut rendue. La veuve étant venue remercier le prince, un ciergeallumé à la main, suivant la coutume de ce temps-la : «Où sontles juges?» dit Théocloric.Qn. les amena devant lui : « Eh! pourquoi,leur dit-il avec « indignation , avez-vous prolongé trois ans une affaire « qui ne vous a coûté qu'un jour de discussion ? » A près ce reproche , il leur fit trancher la tête. Cet exemple mit en activité tous les tribunaux. 21.. Justin II, voulant rétablir la justice , nomma préfet de Constantinople , un magistrat intègre , plein de fermeté et de vigueur, qu'il revêtit de toute son autorité , pour punir les coupables sans distinction d'état ni de rang : il déclara que les sentences du préfetétoient exécutées sans appel, etquelesouverainneferoitgrace àpersonne. Cette déclaration siterrible effraya tous ceux que l'iniquité soutenoit, hormis un seul qui se crut audessus de toutes les lois. Une pauvre veuve vint se jeter aux pieds du préfet, se plaignant d'un officier général, qui l'avoit dépouillée de tous ses biens. Le magistrat par ménagement pour ce seigneur, qui étoit parent du prince, lui écrivit pour le prier de rendre justice, et lui ntprésentersalettreparlapersoimeoffensée.l'our toute satisfaction, ellenereçut que des outrages et de mauvais traitemens. Indigné de cette insulte, le préfet cite l'accusé devant son tribunal : celui-ci ne répond que par des railleries et des injures contre le juge et le jugement. Au lieu de Gomparoitre, il va dîner au palais, où Bb Tome II
JUSTICE.
�386
JUSTICE.
il étoit invité avec un grand nombre de courtisans; L, I préfet, ayant appris qu'il étoit à table avec l'empereur, entre dans la salle du festin; et, adressantla parole au I prince : «Seigneur, lui dit-il, si vous persistez dans h «résolution que vous avez annoncée, de châtier les « violences, je continuerai d'exécuter vos ordres; mais, « si vous renoncez à ce dessein si digne de ATOUS, s'il faut « que les plus méchans des hommes soient honorésde « votre faveur et reçus à votre table , acceptez la dé- | « mission d'une charge inutile à vos sujets,etquinepeut « quevous déplaire. » Justin foap^é d'une remontrance ci hardie : « Je n'ai point changé,répondit-il; poursuira « par-tout l'injustice : je vous l'abandonne, fût-elle as« sise avec moi sur le trône, j'en descendrais pour la « livrer au châtiment. » Armé de cette réponse, le magistrat fait saisir le coupable au milieu des convives,le traîne au tribunal, écoute la plainte de la veuve ; et ï comme cet homme, auparavant si superbe, alors inter- I dit et tremblant, ne pouvoit alléguer aucun moyen de K défense , il le fait dépouiller , battre de verges, et pvo-l mener sur un âne, la face tournée en arrière, par tou-t tes les places de la ville. Ses biens furent saisis au pro-1 fit de la vouve, et cet exemple arrêta pour quelque ( temps l'usurpation et la violence. L'empereur récom- [ iensa la fermeté du préfet, en le créant patrice , et | ui assurant sa charge pour tout le temps de sa vie. 22. Un des domestiques du prince Henri, fils aîné de Henri IV, roi d'Angleterre, avoit été accusé au bancdu roi, et saisi par ordre de ce tribunal. Le jeune prince,qui aimoit beaucoup cet homme, regarda cette entreprise comme un manque de respect pour sa personne ; et S n'ayant que trop de flatteurs autour de lui, qui enflammèrent son ressentiment par leurs conseils,ilse rendit lui-même au siège de la justice, où, se présentant d'un air furieux, il donne ordre aux officiers de rendre sur-lechamp la liberté à son domestique. La crainte fit baisser les yeuxâ tous ceux qui l'entendirent, etleurôtal'envie de répondre. Il n'y eut que le lord , chef de justice , j nommé sir William Gascoigne, qui se leva sans aucune marque d'étonnement, et qui exhorta le prince à s*
Î
�38^ liniettre aux anciennes lois du royaume. « Ou du .joins, lui dit-il, si vous êtes résolu de sauver votre Jornestique des rigueurs de la loi, adressez-vous au roi k-otre père, et demandez-lui grâce pour le coupable. » Je sage discours fitsipeud'impression sur le jeune prin■,qu'ayantrenouvelé ses ordres avec la même chaleur, irotesta que si l'on différoit un moment aies suivre, il oit employer la violence. Le lord, chef de j us tice, qui vit disposé sérieusementà l'exécution de cette mena,levala voix avec beaucoup de fermeté etde présence sprit, et lui commanda, en vertudel'obéissance qu'il Ivoit à l'autorité royale, de se retirer à l'instant de la Jur, dont il troubloit les exercices par des procédés si landaleux. C'étoitattiser le feuetsouffler sur la flamme. Jp colère du pr ince éclata d'une manière terrible : ils'apf§ocba du juge avec unairfurieux, et crutpeut-êtrel'éJBuvanter par ce mouvement hardi.Mais sir Williamse rendant maître de lui-même, soutintparfaitementla majftté d'un siège sur lequel il représentoit le roi. «Prince, «'écria-t-il d'une voix ferme, j e tiens ici la place de votre « souverain seigneur, de votre roi, de votre père : vous & lui devez une double obéissance à ces deux titres. Je ■vous ordonne, en son nom, de renoncer à votre des« sein, et de donner désormais un meilleur exemple à ■ceux qui doivent être vos sujets; et, si vous êtes sage, IHafin de réparer la désobéissance et le mépris que vous |»venez de marquer pour la loi, vous vous rendrez vous-même en ce moment dans la prison, où je vous enjoins « de demeurer jusqu'à ce que le roi votre père vous fasse « déclarer sa volonté. » La gravité du juge, et la force de l'autorité,produisirent l'effet d'un coup de foudre.Le prince en fut si frappé, que remettant sur-le-champ son épécàceuxqui l'accompagnoient,ilfitune profonde révérence au lord; et sans répliquer un seulmot, il se rendit droit à la prison du même tribunal. Les gens de sa suite allèrent aussitôtfaire ce rapport au roi, etneman«lèrent pas d'yjoindre toutes les plaintes qui pouvoient 9 prévenir et l'indisposer contre sir William. Ce sage monarque se fit expliquer jusqu'aux moindres circonss : ensuite il parut rêver un moment; mais, levant B b a
.JUSTIC E.
t
�588
JUSTICE.
tout d'un coup les yeux et les mains au ciel, il s'écrii dans une espèce de transport: « O Dieu! quellerec» « noissance ne dois-je pas à ta bouté ! Tu m'as faitpré « sent d'un juge qui ne craint pas d'exercer la justice « et d'un fils, qui non seulement sait obéir, maisqiii « la force de sacrifier sa colère à l'obéissance ! » 23. Le comte fZ'^«70M,frèi*edu roi 5. Louis, avoitu procès contre un simple gentilhomme de ses vassaus, pour la possession d'un château. Les officiers dnprinct jugèrent en sa faveur : le chevalier en appela à la cou du roi. Le comte, piqué de sa hardiesse, le fit mettrea prison. Le roi en fut averti, et manda sur-le-champ as comte de le venir trouver : « Croyez-vous, lui dit-il « avec un visage sévère, croyez-vous qu'il doive y avoii « plus d'un souverain en France, ou que vousserezau « dessus des lois, parce que vous êtes m on frère ?»EJ même temps il lui ordonna de rendre la liberté à ci malheureux vassal, pour pouvoir défendre son droit ai parlement.Lecomteobéit.Ilnerestoitplusqu'àinstrmtt l'affaire ; maislegentilhoromene trouvoithiprocureurs, ni avocats ; tant on redoutoit le caractère violent da prince Angevin. Louis eut encore la bonté de lui ei donnerd'office, après leur avoir fait jurer qu'ils leçonseilleroient fidellement. La question fut scrupuleuse ment discutée, le chevalier réintégré dans ses biens,el Charles , comte d'Anjou , frère du roi, condamne. 24. Philippe IV', roi d'Espagne, n'étant encore qui prince d'Espagne, avoit obtenu la grâce d'un seigneu qui avoit commis un grand crime. Ce seigneur ayantnégligé de lafaire entérineroùil falloit,futpouisuiviv» ment après lamort de Philippe III, et condamné à avoii la tête tranchée.Ses parens et ses amis eurentrecoursa! nouveauroi,tenantpour assuré que ceprinceaccorderoi) volontiers une grâce qu'il avait lui-même demandée ai feu roi son père ; mais ils furent élrangementsurprii lorsque le monarque leur dit : « Messieurs , tandis qu! « j'étois homme privé, j'ai préféré la compassion à lari» gueur des lois 5 maintenant que je suis roi, je dois 1; « justice à mes sujets, et par conséquent je dois laissa « punir les criminels. » Voyez EQUITÉ, JUGEMENT.
�LIBÉRALITÉ.
38g
LIBÉRALITÉ.
< YRTJS regardoit la libéralité comme une vertu ritablement royale; et ce prince ne trouvoit rien de md,rien d'estimable dans les richesses, que leplaisir les distribuer aux autres. « J'ai d'immenses trésors, lisoit-il à ses courtisans, je l'avoue, et je suis charmé m'on le sache ; mais vous devez compter qu'ils ne sont pas moins a vous qu'à moi. En effet, dans quelle me amasserois-je tant de biens ? Pour mon propre lisagc, pour les consumer moi-même ? Mais le pourpis-je, qu<ind je le voudrais ? C'est afin d'être en état le distribuer des récompenses à ceux qu i servent utilement l'état , et d'accorder quelque soulagement |à ceux qui me feront connoitre leurs besoins. » Jn jour, Crêsus lui représenta qu'à-force de donner, be rendrait lui-même indigent, au lieu qu'il aurait pu pelé plus riche potentat du monde , et amasser des unes prodigieuses. « Dites-moi, je vous prie , delanda Cyrus, à quoi elles pourraient monter? » Crésus |a une certaine somme qui étoit immense. Cyrus fit' rire un petit billet aux seigneurs de sa cour, par leel il leur faisoit savoir qu'il avoit besoin d'argent, issitôt il lui en fut apporté beaucoup plus que la une fixée par le rai de Lydie. « Prince, lui dit-il, voilà mes trésors , le coeur et l'affection de mes suiets sont les coffres où je garde mes richesses. » 'i.Denys l'ancien, tyran de Syracuse, avoit les vertus in roi, et peut-être eût-il été digne du trône, s'il ne ç pas né dans une république-Une des grandes qualités cepriuce étoitla magnificence et la libéralitédlcroyoit 'unmonarquen'étoitplacé au-dessus descitoyens,que urimiterles dieux, en répandantsans cesse des bients. Etant allé voir son fils , encore jeune, et aperceBut dans sa maison une grande quantité d'or et d'argent: ■Ieune homme , lui dit-il, avec un mouvement de Hcolère, est-ce donc là vous comporter en fils de roi?
t
f
l
Bb 3
�3gO
LIBÉRALITÉ.
« Ces vases dont je vous ai fait présent, ne doiventp, « être employés à parer votre buffet, mais à vous font « des amis. » Denys agissoit conformément à ses mai mes. Dion, son beau-frère, qui, par ses grands talens, avoitmérité toute sa confiance , peutservirentr'autre à prouver la généreuse profusion du tyran. Il ordonm à ses trésoriers de fournir à ce grand homme toutl'argentqu'il demanderoit, pourvu qu'ils vinssent lui dire i le jour même , ce qu'ils lui auroient donné. 3. En allantdans son gouvernement, le duc deMom § morency passa par Bourges , pour y voir le jeune diu d'Enguicn, son neveu, qui y faisoit ses études, et lui I donna une bourse de cent pistolës pour ses menus plaisirs. A son retour , il le vit encore , et lui denlandi quel usage il avoit fait de cet argent. Le jeune hommt lui présenta sa bourse toute pleine. Le duc de Montmorency la prit, et, tout en colère , la jeta parli fenêtre : « Monsieur , lui dit-il, apprenez qu'un ans» « grand prince que vous ne doit point garder l'argent « puisque vous ne vouliez pas l'employer à vos amti« semens , il falloit en faire des aumônes et des libé« ralités. L'avarice qui est hideuse dans les parlicu« liers , est encore plus horrible dans les princes, a 4- « Donner et pardonner, sont les vrais caractère « d'un souverain , disoit Charles Emmanuel I, ducdi « 3avôie ; et je me croirois le plus malheureux des « hommes, si Dieu ne m'avoit mis en état de faire l'a « et l'autre. » Un jour, Meinier, son secrétaire, lui ayant présenté plusieurs expéditions àsigncr,oùil y avoitda; dons etdesrécompensespourdes personnes qui l'avoiet servi; le duc, après les avoir signées, eutla curiosités j: lui demander à quoi se montait ce qu'il avoit donne: « A quatre mille ducatons, répondit Meinier.—Quoi!) reprit le duc, en lui ôtantdes mains toutes ces expedi tions , pour les jeter au feu, « osez-vous bien me fais « tant signer pour un jour , et donner si peu ? » 5. Un des trésoriers A'Alfonse V, roi d' Aragon,venir de lui apporter dix mille écus d'or, somme très-considf rable pour le tomps ; un courtisan, qui croyoitn'êti point entendu du prince, dit à quelqu'un : « Voilà ut
�ù'i T é. 3gi somme qui me reiidroit heureuxpourtôùtema vie. — Soyez-le, » interrompit le monarque , en la lui nnant. 6. Le duc de Montmorency, petit-fils du connétable, ant âgé de treize ans, apprit qu'un gentilhomme de npère avoitses affaires fortdérangées.Ille prit en partilier, et lui parla avec l'intérêt le plus tendre et le plus 'nérelix. Le gentilhomme laissa apercevoir qu'il le d-oyoit trop jeune pour pouvoir lui être utile : « Il est ■vrai que j e suis trop j eune pour mériter votre confiance, ■lu* dit le duc; mais, mon brave, voilà une enseigne ■ de diamans dont je puis disposer , recevez-la pour ■ l'amour de moi. » Il jouôit un jeu où il se trouva un Bmp de trois mille pistoles. Il entendit un gentilhomme ■ii disoit à voix basse : « Oh ! voilà une somme qui H ferait la fortune d'un honnête homme !» Le due gna le coup, et présenta aussitôt la somme au genhommé , en lui disant : « Je voudrais , monsieur, que votre fortune fût plus grande. » 7. Le duc de Guise avoit joué aveclesurintendarit^'O, lui avoit gagné cent mille livres. D'O lui envoya , s le lendemain, cette somme. Il y avoit soixante-dix ille livres èn argent, et trente mille livres en or, renrméës dans un sac de cuir. Un commis , appelé de lenne, futchargéde faire portercette somme, etdela ésentër au duc. Ils 'acqui tta exactement de sa commisfl; Leduc de Guise, quid'uneôtécroyoitdevoiruser Jfe gratification à l'égard de ce commis, e t qui, de l'autre, Kmagittoitquele sac de cuir n'é toitrempli que d'argent, S prit et le donna à de Vienne , qui, né sachant pas non Mus cé qu'il contenoit, n'osa le refuser. Quandil fut de «tour à l'hôtel du. surintendant, etqu'il eutvu la libéralité qu'on venoit de lui faire, il jugea qu'elle é toit exorBtantè : il la rapporta à l'instant au diic de Gwwe.Mais le wince ne voulut pas la recevoir : « Puisque la fortune ■ vous a été si favorable , lui dit-il, cherchez un autre ■ que lé duc de Guise pour vous porter envie. » Ainsi s dix niille écus restèrent à de Vienne. 8. Un des officiers deFrànçoisIse plaignoitdeceque prince, qui combloit de biens tant de gens fort riches y
TLI B É R
�3û2 LIBÉRALITÉ. et qui eussent pu se passer de sa libéralité, lelaissoili l'écart, lui qui avoit besoinde tout. Le monarque rayant appris , le fit venir en sa présence : « Je sais, lui dit il, « que vous vous plaignez de moi ; tenez , voici dem « bourses égales : l'une est pleine d'or ; il n'y a que dn « plomb dans l'autre : choisissez ; nous verrons si ce « n'est pas plutôt à la fortune qu'à moi, que vousde« vez vous en prendre. » L'officier choisit, et prit malheureusement la bourse remplie de plomb. : «Ehbien! « lui dit le roi , à qui tient-il que vous ne vous enri« dussiez ? » Il joignit à cette réflexion, qui peut en produire bien d'autres , le don des deux bourses. 9. Le fameux Marc-Antoine, le collègue et le rival à.'Auguste, étoit naturellement libéral et magnifique, Ayant commandé à son intendant de donner dix mille livres à un de ses amis , l'intendant, homme avare,lui représenta que cette somme étoit trop considérable; et,I pour mieux lui faire sentir la grandeur d'un tel présent, il étala devant lui les dix mille livres. «Quoi! et « n'est que cela ? dit froidement Antoine ; je croyois « dix mille livres un objet plus considérable : qu'a « en donne vingt mille à mon ami. » 10. L'empereur ConrarflTsaisissoittoutes les occasions qui se présentaient d'exercer sa libéralité. Dans une émeute qu'il y eut à Rome quand il s'y fit couronner, un gentilhomme perdit une jambe en combattant. CMrad se fit apporter la botte du blessé, la remplit d'or,cl la lui renvoya. «Annoncez-lui, dit-il à l'officier qui « chargea de ce présent, que je ne bornerai pas meih « bienfaits à cette modique gratification ; que je lui « avance seulement la somme nécessaire pour guérirai «.blessure , et me conserver un excellent officier, n 11. Philotas, médecin de la ville d'Amphise, filtrais, par Marc-rAntoine, auprès de son fils, à peine sorlide l'enfance,Quand le jeune Antoine nemangeoitpasavet son père , il invitait ordinairement son mentor , dont la conversation enjouée l'amusoit beaucoup. Un joui qu'un autre Eseulapefaisaitbâiller tous les convives par s PS. longs propos chargés de citations ridicules, Phitote le fit taire par un sophisme absurde, dont ce docte 1»
�LIBÉRALITÉ.
billard ne sut pas se démêler. De grands éclats de rire prouvèrent la salifaction de toute l'assemblée. Antoine, en son particulier, en fut si content, que montrant au vainqueur de magnifiques vases d'or et d'argent dont le buffet étoit orné : « Je te donne toutes ces bagatelles, « lui dit-il, pour prix de ton triomphe. » Surpris de cet excès de générosité, Philotas l'en remercia, mais en ajoutant qu'il avoit peine à croire qu'à son âge il lui fût permis défaire un présent de cette conséquence. Il ne fut pas plutôt rentré chez lui, qu'un esclave lui vint apporter les vases , et lui dit d'y faire mettre sa marque, et de les garder. Philotas craignant d'être blâmé , s'il les acceptoit, les renvoya par le même esclave , et courut faire de nouveaux remercimens au jeune Antoine : « Pauvre homme ! lui di t celui-ci, « pourquoi refuse-tu les dons de ton ami ? Ne sais-tu « pas que c'est le fils à'Antoine qui te fait ce présent, « et qu'il en a le pouvoir ? Si cependant tu veux m'en « croire, reçois-en de ma main la valeur en argent, « parce qu'il pourroit arriver qu'on redemandât quel« ques-uns de ces effets qui sont antiques, et dont « on estime beaucoup le travail. » Ce jeune homme s'annoncoit pour devoir être aussi libéral et peut-être aussi prodigue que son père. 12. Xerxès, roi de Perse, étant entré dans Célène, ville de la Phrygie, près de laquelle le Méandre prend sa source , y fut reçu par Pythius, qui en étoit le souverain , avec une magnificence incroyable. Non content de lui avoir fait une fête splendide, il lui offrit tous ses biens pour fournir aux frais de son expédition contre les Grecs.Xeraèjsurpris, ettorit-à-la-fois charmé de lagénérositédesonhôte, eutlacuriosité d'apprendre à quoi montaient ses richesses. Pythius lui répondit que, dans le dessein de les lui présenter, il en avoit fait un compte exact, etqu'elles montaient, pour l'argent, à deux mille talens; et pour For, à environ quatre millions de dariques, ajoutant que ces sommes ne lui é toient pas nécessaires, puisque ses revenus lui suflisoientpour l'entretien de sa maison. Xerxès lui marqua une vive reconnoissance , fit une amitié particulière avec lui j,
�LU ÉRÀLITI'.
et, pour ne pas se laisser vaincre en générosité, au lieu d'accepter ses offres, il l'obligea de recevoir ce qui manquoit à ses sommes, pour en faire un compte rond. i3à Le philosophe Arcêsilas prêtait volontiers sa vaisselle d'or et d'argent à ses amis, quand ils avoient de grands repas à donner. Un d'entre eux, étant dans ce cas, emprunta tout, et ne renvoya rien. Arcêsilas, sachant qu'il étoit très-pauvre , lui fit dire qu'il pouvoit tout garder.
i4- CharlesBenoise, trésorier du cabinet, et depuis maître des comptes, ayant laissé son porte-feuille dans le cabinet de Henri III, le prince l'ouvrit> et y trouva un morceau de papier , où Benoise , pour essayer sa plume , avoit écrit ces mots , qui sont le commencement d'une ordonnance : Trésorier de mon épargne. Lemonarque continua d'écrire : «Vous paierez ausieur « Benoise , secrétaire de mon cabinet, la somme de « mille écus, » et signa. Benoise, venant pour travailleravec le roi, fut agréablement surpris de trouver l'or-, dônnance, et le remercia avec des expressions quimarquoient si bien le vivacité de sa reconnoissance , que Henri,ne croyant pasleprésent proportionné auxremercimêns, demanda le billet, et y ajouta un zéro, ou le mot dix à la somme, et convertit ainsi les mille écus en dix mille; ce qui étoit alors une somme très-considérable. i5. Une femme fort pauvre , mais qui avoit la consolation d'avoir une fille aimable j se présenta avec cette jeune personne à l'audience du cardinal Farnhsè. Eile lui exposa qu'elle étoit sur le point d'être renvoyée avec sa fille d'un petit appartement qu'elles occupoient chez un homme fort riche , parce qu'elles ne pouvoient lui payer cinq sequins qui lui étoient dus. Le ton d'honnêteté avec lequel elle faisoit connoitre son malheur , fit aisément comprendre au cardinal qu'elle n'y étoit tombée queparce que la vertului était plus chère que les richesses. Il écrivit un mandat, etlachargeade le porteràsonintendant.Celui-ci, après l'avoir ouvert, compta sur-le-champ cinquante sequins : « Monsieur, lui dit cette femme, je ne demandois pas << tant, et certainement monseigneur s'est trompé. » Il fallut, pour faire cesser la contestation, que l'inten-
�IiïBÏSRALÏTÉ.
3a5
dant allât lui-même parler au cardinal. Son éminence, en reprenant son mandat, dit aux deux personnes qui étoient présentes : « Vous avez tous raison, je m'étois <l trompé ; le procédé de madameleprouve ; » et, au lieu de cinquante sequins j il en écrivit cinq cents, qu'il engagea la vertueuse mère d'accepter pour marier sa fille. 16. La générosité du célèbre Bouquet, surintendant des finances sous Louis XIV, ne l'abandonna point dans sa disgrâce. Un homme de lettrés, ayant vu supprimer une pension qu'il tenoit de sa libéralité, ne laissa pas de le défendre avec zèle, etde témoigner hautement sa reconnoissance. Fouquet, instruit de sa conduite j se retrancha quelque chose du peu qui lui restoit, et fit prier mademoiselle de Scuderi de remettre une somme considérable à cet homme de lettres. Mademoiselle dé Scuderi se conduisit à cet égard avec autant de générosité que de politesse. Une pesonne , étant allée de sa part chez le littérateur, trouva le moyen, après avoir causé quelque temps avec lui, de lui laisser, sans qu'il s'en aperçût, un sac ôû étoit enfermée une somme proportionnée à la pension qu'il avoit perdue. 17. Un gentilhomme fort pauvre avoit deux filles à marier. Il demanda leur dot à Henri 1, comte de Charn.^ pagne, surnommé le Magnifique. L'intëndantdu comte traita fort mal ce gentilhomme ■, et finit par jurer que les libéralités de son maître l'avùient réduit à n'avoir plus rien à donner. « Tu en as menti, répondit le prince; je « ne t'ai pas encore donné, vilain ! Tu es àmoi : prenez« le, mongentilhomme, et je vousle garantirai, h Celuici obéit aussitôt, se saisit de l'intendant, le mit en prison, et ne lui rendit la liberté qu'après en avoir tiré cinq cents livres > avec lesquelles il maria ses deuxîfilles. 18. P7'oïeaj,dontl'espritplaisantamusoit^Zea;an^/'e, ayant eu le malheur de déplaire à cê prince, engagea ses amis à demander son pardon; ce qu'il fit enmême temps les larmes aux yeux. Alexandre, sans se laisser trop prier, lui dit qu'il oublioit sa faute. « Seigneur, reprit « aussitôt Protêas, commencez donc par m'en donner « quelques marques, pour que j'en sois bien assuré. » Cette demande fit rire le conquérant, qui commanda qu'à l'heure même on lui donnât cinq talens.
�3 Q6 LIBÉRALITÉ. Ce monarque écrivit à Phocion , le plus célèbre Athénien de son siècle, et l'un des plus grands hommes de la Grèce, qu'il ne le regarderait plus comme son ami, s'il continuoit de refuser ses présens. Il aimoit qu'on lui demandât, quoiqu'il prévînt souvent les demandes, et ne savoit point refuser. Un jeune homme, appelé 5erapz'orej qui donnoit la halle àceuxqui jouoient, n'avoit jamais rien reçu du roi, uniquement parce qu'il ne lui demandoitrien. Un]ouTqn'Alexandre vint jouer, Sérapion jeta toujours la halle aux autres joueurs, et ne la lui jeta pas une seule fois. Le prince, surpris de cette conduite, lui dit enfin : « Etmoi,ne mêla « donneras-tu pas ?—Non, seigneur, répondit Sérapion, « puisque vous ne demandez point. y>Alexajidreen\.en&\\, sans peine ce que le jeune homme vouloit dire : ilse mita rire,e t comm enca dès ce j our à h i i faire beaucoup de bien. Périllus le priant de l'aider à faire la dot de sa fille, il ordonna qu'on lui délivrât cinquante talens. « C'en est « assez de dix, lui dit cet homme fort surpris. — « C'en est assez pour Périllus, répondit le vainqueur « de l'Asie ; mais c'en est trop peu pour Alexandre. » Anaxarque, à qui le trésorier de la couronne avoit ordre de donner tout ce qu'il demanderoit, alla le prier de lui donner cent talens. Lasomme effraya le trésorier, qui ne voulut pas la compter , sans en instruire le prince. Ce monarque lui répondit qu'Anaxarque savoit bien qu'il avoit un ami qui pouvoit et vouloit lui donner cette somme, et de plus considérables encore. 11 vit un pauvre Macédonien qui conduisoit un mulet chargé de l'argent du trésor royal, mais si las, que ne pouvant plus se soutenir , le conducteur, pour suppléer à l'épuisement de l'animal, chargea l'argent sur ses épaules. Près de succomber sous un fardeau trop pesant, il alloit le jeter à terre : « Ne te lasse « point, lui dit Alexandre , et gagne tout douce« ment ta tente avec cet argent : je te le donne. » Ayant fai t de grandes largesses à ses soldats, il voulut au ssi payer les dettes qu'ils avoient contractées. Pour cet effet, il leur en demanda l'état; mais plusieurs, dans la crainte de passerdansl'espritde leur rai pourdes dissipa-
�LIBÉRALITÉ.
teurs, ne voulurent, point se faire inscrire. Quand il Fapprit, il leur en fit des reproches, et leur dit qu'il étoit mal de dissimuler ainsi avec ses compatriotes. îq. Cimon, fils de Miltiade, faisoit de ses biens un usage que le rhéteur Gorgias marque en peu de mots, mais d'une manière vive et élégante. « Cimon, dit-il, « amassoit des richesses pour s'en servir ; et il s'en ser« voit pour se faire estimer et honorer. » Il vouloit que ses vergers et ses jardiins fussent ouverts en tout temps aux citoyens, afin qu'ils pussent y prendre les fruits qui leur conviendraient. Il avoit tous les jours une table servie frugalement, mais honnêtement. Elle ne ressembloiten rien à ces tables somptueuses et délicates, où l'on n'admet que des personnes de distinction , et en petit nombre, uniquement pour faire parade de sa magnificence ou de son bon goût. La sienne étoit simple, mais abondante ; et tous les pauvres bourgeois de la ville y étoient indifféremment reçus. Il se faisoit toujours suivre de quelques domestiques qui avoient ordre de glisser secrètement quelque pièce d'argent dans la main des pauvres qu'on rencontrait, et de donner des habits à ceux qui en manquoient. Souvent aussi il pourvut à la sépulture de ceux qui étoient morts sans avoir laissé de quoi se faire inhumer ; et, ce qui est admirable, c'estqu'il n'exerçoit point ses libéralités pour se rendre puissant parmile peuple, ni pour acheter ses suffrages. Quoiqu'il vît tous les autres gouverneurs de son temps enrichis parleurs concussions et leurs rapines, il se maintint pourtant toujours incorruptible, conserva ses mains pures , non-seulement de toute exaction, mais encore de tout présent, et continua jusqu'à la fin de sa vie de dire et de faire gratuitement, et sans aucune vue d'intérêt , tout ce qui étoit utile et expédient pour la république. 20. Mondir-Ben-Mogheïrah raconte, dans le livre du Nighiaristan,q\\'é tant tombé dans une extrêm e indigence, il quittaDamas son pays, etvintàBagdadavecses enfans,dansletempsque le célèbre Fadhel-Ben-IahiaéXoxt enfaveurauprèsdukalife7/aro«rev^Z-ZîajcAiZ<Z.Lorsqu'il futarrivésurlagrandeplacedumarchéjilniitsesenfansà
�LIBÉRALITÉ.
a porte de la grande mosquée,etalla chereherfortune.il vitd'abord une foule de gensde qualité, qui paroissoient s'assembler pour assister à quélque festin. Comme la faimle pressoit.il prit la résolution de les suivre, etentra avec eux dans un palais magnifique, où d'abord la porte ayant été ouverte, on les fit passer tous jusques dans la salle du festin. Chacun, dit-il lui-même, s'étantmisà table, je pris aussi ma place; et, ayant demandé à celui qui étoit assis auprèsde môilenom du maître du logis, il me dit que c'éimlFa JAeZ.Qnoiqu'à cette question je me fisse connoître pour étranger, onnelaissapas de me souffrir avec les autres, et de me présenter une assiette d'or, comme à tous les convives ; et, après le repas, deux sachets de parfums qu'on emportait chez soi avec l'assiette. Enfin, la compagnie se séparant, je prenois le chemin de laporte,lorsqu'un valet de la maison m'arrêta. Je crus alors que l 'on me vouloitfaire rendre ce que j'emportais; maison me ditseulementqueFaJ/zeZvouloitme parler.' je me présentai donc devant lui.lime ditd'abord qu'il m'avoit reconnu pour étranger parmi les autres, et que sa curiosité l'avoit porté à apprendre de moi quelle aventure m'avoit conduit dans sa maison ? Je lui fis un détail de tout ce qui m'était arrivé ; et l'histoire de mes misères le toucha si fort, qu'il m'invita à demeurer le reste de la journée en conversation avec lui. Comme la nuit s'approchoit, je le priai de me permettre d'aller apprendre des nouvelles de mes enfans. Il me demanda où je les avois laissés, et lui ayantrépondu qu'ils étoient à la porte de la mosquée : « Eh bien ! dit-il, il n'y a « rien à craindre pour eux ; ils sont à la garde duTrès« Haut. » Puis , appelant sa de ses domestiques , auquel il dit un mot à l'oreille , il continua la conversation , et voulut que je passasse la nuit dans son palais. Le lendemain, à mon réveil, il me donna un homme pour me conduire à la mosquée ; mais, au lieu d'en prendre le chemin, ce domestique me mena dans une belle maison richement meublée , où je trouvai mes enfans. Legénéreux Fadhel les y avoitfait conduire lavcille ; et c'étoitpourtravailleràmafortune que cet homme bienfaisant m'avoi t retenu auprès de lui sans me connoître.
�Sqg 21. Un savant Suédois ayant donné au public un ouvrage qui fit du bruit en France, M. Colvert s'informa deson Bom;et, l'ayant appris, ce ministre obtint pour lui une pension de mille écus.Le roi fit donner ordre en même temps à son ambassadeur en Suède, d'avertir ce savant de la pension que sa majesté lui accordoit à Ja prière de M. Colbert. L'ambassadèur le chercha d'abord àStockolm; on n'y connoissoitpas même son nom.Enfin, après bien des perquisitions, on trouva ce savant dans une petite ville de Suède, presque ignoré de ses concitoyens. Il étoit mal accommodé des bien? de la fortune ; et il ne s'attendoit guère à la voir accourir 3 pour le favoriser , d'un climat aussi éloigné du sien. On lui vint annoncer un gentilhomme de la part de l'ambassadeur de France ; et celui-ci ne se fit connoître qu'en lui remettant la moitié de sa pension, échue pendant le temps qu'on s'étoit occupé à le chercher. 32. Du Guesclin sortoit de Bordeaux, où il avoit été long-temps prisonnier. Sur sa route , il rencontra un écuyer breton , autrefois officier sous lui. Cet écuyer étoit à pied, ilparoissoit très-fatigué de sca marche , et ledésordre de ses habits annonçoit sa mauvaise fortune. Du GTJesclin l'ayant reconnu, lui demanda où il alloit en si mauvais équipage? Le gentilhomme lui répondit qu'il revenoit de Bretagne, où il avoit été inutilement pour y chercher de quoi payer sarançon, etque, suivant la parole qu'il avoit donnée, il alloit se remettre dans les prisons de Bordeaux. La rançon de cet écuyer montoit àcentlivres que-DM Guesclin lui donna , avec cent autres livres pour le mettre en état de le suivre à la guerre. 23. Un marchand présenta un bonnet à Octaï-Kan , empereur des Tartares, lorsque ce prince étoit à table, un peu échauffé de vin : lebonnet lui plut; et il fitexpe> dier au marchand un billet pour recevoir deux cents balisches. Le billet fut dressé et livré ; mais les officiers qui dévoient compter la somme ne la payèrent pas, voyant qu'elle étoit excessive pour un bonnet, et que le Kan , dans l'étatoù il étoit, n'y avoit pas fait réflexion.Le marchand parut le lendemain, et les officiers présentèrent le billet au Kan, qui se souvint fort
LIBÉRALITÉ.
�4oO
LIBERTÉ.
Lien de l'avoir fait expédier 5 mais, au lieu d'un billetde deux cents balisches, il en fit expédier unautre de trois cents. Les officiers en différèrent encore le payement, comme ils avoient fait la première fois. Le marchand en fit ses plaintes, et le Kan lui fit faire un troisième billet de six cents balisches que les officiers furent enfin obligés de payer. Octdi , le prince du monde le plus modéré, ne s'emporta pas contre eux sur le retardement qu'ils avoient apporté a l'exécution de sa volonté ; mais il leur demanda s'il y avoit au monde une chose qui fût éternelle ? Les officiers répondirent qu'il n'y en avoit aucune : « Vous vous trompez, reprit l'empereur ; la « bonne renommée et le souvenir des bonnes actions « doivent durer éternellement. Ainsi, par vos lon« gueurs à distribuer les largesses que vous vous « imaginez m'être inspirées par. le vin, vous montrez « que vous êtes mes ennemis, puisque vous ne voulez « pas qu'on parle éternellement de moi dans le « monde. » Voyez BIENFAISANCE , GÉNÉROSITÉ.
LIBERTÉ.
I.QDELQÏ'UN conseilloit au célèbre Ilippocratc d'aller à la cour à'yirtaxerxès , roi de Perse , lui disant que c'étoit un bon maître : « Je ne veux point « de maître , quelque bon qu'il soit, » répondit l'immortel médecin. 2. Le sénat de Rome , après la funeste bataille de Cannes, plutôt que de racheter les prisonniers, ce qui auroit moins coûté, aima mieux armer huit mille esclaves ; et il leur fit espérer la liberté , s'ils combattaient vaillamment. Ils avoient déjà servi près de deux ans, avec beaucoup de courage : la liberté tardoit toujours à venir ; et ils aimoient mieux la mériter que de la demander, quoiqu'elle fût l'objet de leurs plus ardens désirs. Il se présenta une occasion importante, où elle leur lut montrée comme le fruit prochain de leur courage. Us firent des merveilles dans le combat, excepté quatre
�LIBERTÉ.
-nille qui montrèrent quelque timidité- Après la IJ^L^^ ls furent tous déclarés libres. La joie fut incyroW^' Oracchus, qui les commandoit, leur dit : « iwâ&que « de vous avoir égalé tous par le même titre! la""iîty(7//^ « bért'é ? n'ai point voulu mettre de dilIerei\i*èWjIre « le courageux et le timide. 11 est pourtant juste qïri « y en ait. » Alors il fit promettre avec serm tous ceux qui avoient mal fait leur devoir , que , tant qu'ils serviroient , en punition de leur faute , ils ne prendroient leur nourriture que debout, excepté en cas de maladie 5 ce qui fut accepté , et exécuté avec une parfaite soumission. 3. Jamais le fameux Pollion , l'un des plus grands orateurs de son siècle , ne put s'abaisser au métier de courtisan. Il conserva toujours, dans ses procédés avec Jnguste, la liberté républicaine. Ayant donné un grand repas, dans le temps où la nouvelle de la mort du jeune Caïus-César, étoit toute récente, Auguste lui écrivit pour s'en plaindre en ami : « Vous savez', lui disoit-il, « quelle part vous avez dans monamitié ; et je m'étonne « que vous en preniez si peuà mon affliction. » Pollion lui répondit: «J'aisoupé en compagnie , le jour même « quejeperdis mon fils Ilérius. Qui pourroit exiger une « plus grande douleur d'un ami que d'un père ? » 4. On sait que, pour la proclamation du roi de Pologne , il faut un consentement général. Lors du couronnement de Ladislas , frère aîné du roi Casimir , le primat ayant demandé à la noblesse si elle agréoit ce prince, un simple gentilhomme répondit que non. On lui demanda quel reproche il avoit à faire à Ladislas ? « Aucun , dit-il ; mais je ne veux point qu'il « soitroi.» Il tint ce langage pendant plus d'une heure, et suspendit la proclamation. Enfin , il se jeta aux pieds du roi, et lui dit qu'il avoit voulu voir si sa nation étoit encore libre ; qu'il étoit content, et qu'il donnoit sa voix à sa majesté. 5. En i5y^, Philippe II fit investir la ville de Leyde, pour la soumettre au jougespagnol qu'elle avoitsecoué. Les assiégeans,instruits qu'iln'y avoit point de garnison dans la ville > y jetèrent des lettres pour engager les haTome 17. C c
�4_03
LIBERTÉ.
bilans à se rendre. On leur répond , du haut des murailles , qu'on sait que le dessein des Espagnols est de réduire la place par la famine ; mais qu'ils n'y doivent pas compter, tant qu'ils entendront les chiens aboyer; que lorsque ce secours et toute autre espèce d'alimens manqueront, on mangera le bras gauche, tandis qu'on se servira du droit pour se défendre; que privé enfin.de tout, on se résoudra plutôt à mourir de faim , qu'à tomber entre les mains d'un ennemi barbare. Après cette déclaration , on fit une monnaie de papier, avec cette inscription : Pour la liberté. Ce papier fut, après le siège , fîdeileméht converti en monnaie d'argent. 6. L'amedesRomainsétoitla liberté.Ilssefiguroient sous ce nom un état où personne ne fû t sujet que de la loi, et où la loi fut plus puissante que les hommes. Us | aimoient la patrie, parce qu'elle étoitennemie déclarée de toute servitude et de tout esclavage.Ce goûtrépublicain paroissoitné avec Rome même; et la puissance des rois n'y fut point contraire , parce qu'elle étoit tempérée par le pouvoir du sénat et du peuple , qui partageoient avec eux l'autorité du gouvernement. Il est vrai néanmoins que, pendant toutce temps,ils ne firent encore qu'un foible essai de la liberté. Les mauvais traitemens de Tarcfuin-le-Supej-he en réveillèrent vivement en eux l'amour; et ils en devinrent jaloux à l'excès, quand ils en eurent goûté la douceur toute entière sous les consuls. Il falloit que dès-lors cet amour de la liberté fût bien vif et bien violent, pour étouffer dans un père tous les sentimens de la nature, et pour lui mettre , en quelque sorte, un poignard à lamaincontre ses propres enfans.MaisJîr?//"?w crut devoirsceller par leur sang la délivrance de la patrie, inspirer aux Romains, pour tous les siècles, par cette sanglante exécution, une horreur invincible de la servitudeetde la tyrannie. Ce futl'efTet véritablement que produisit cet exemple. Le plus léger soupçon contre un citoyen de vouloir porter atteinte à la liberté, faisoit oublier dans l'instant même toutes ses grandes qn alités, e t tous les services qu'il pouvoit. avoir rendu s à sapatrie. Caïus-Mdrcius,tonthrlïïant encore delà gloire qu'ils'étoit.acquise au siège de Co-
�Ji 1 B E R T Éi
4°3
fut banni pour cette seule raison. Sp. Melius, malgré ses libéralités à l'égard du peuple, et à cause de ses libéralités mêmes, qui l'avoient rendu suspect, fut puni de mort. Manlius-Capitolinus fut précipité du haut de ce même Capitole qu'il avoit défendu si courageusement, et qu'il avoit sauvé des mains des Gaulois, parce qu'on crut qu'il aspiroit au despotisme. En un mot, l'amour de la liberté et l'amour de la patrie constituoient le Romain, dont le nom seul emportoit avec lui l'idée d'une souveraine indépendance , subordonnée seulement à la loi. 7. Antipater, gouverneur de Macédoine, après avoir vaincu les Athéniens dans une grande bataille, et forcé ces républicains à recourir à la négociation, reçut de leur part une ambassade solennelle, qui venoit le supplier d'accorder à la première ville de la Grèce une paix supportable. On avoit choisipour députés ce qu'Athènes avoit de-plus illustres personnages : à leur tête étoient Phocion et Xe«ocra£e.La grande réputation de vertudontjouissoitce dernier, avoitfait croire aux Athéniens que saprésencc etses discours amolliroicntle cœur dugénéral macédonien, et que, par respect, pour ce philosophe fameux, il leur imposerait des conditions moins dures. Us s'étoient trompés. Antipater embrassa, les autres ambassadeurs, etne daigna pas même saluer Xéno-^ crate. «Vous avez raison, lui dit ce sage ; vous rougissez « dem'avoir pourtémoindesinjustices que vous voulez « faire à ma patrie. » Quandensuiteilsemitàparler,le vainqueur l'interrompit sans cesse, et fmitpar lui commander de se taire. 11 écouta Phocion , lié de tous les temps avec les Macédoniens; parce qu'il avoit cru que ' lfintérêtd'Atirènes le demandoit .Après qu'il eut achevé son discours , le gouverneur de Macédoine dit que les Athéniens auroient paix , alliance et amitié avec lui , pourvuqu^ilsluilivrassenti/y/jeWJeet/JeOTo^Aèrae/que, retablissantlaforme donnéepar leurs ancêtresàleur gouvernement,ilsn'admissent aux charges que des gens convenablement riches ; qu'ils les remboursassentdesfrais de la guerre, etqu'ils luipayassent une certaine somme [à titre d'amende. Les ambassadeurs se soumirent à ces Ce 2
rioîeS,
�LIBERTÉ.
conditions , qui leur parurent assez douces.Xénocrate seuL'enpensabienàutrement.Cegénéreuxattiénien conservant toujours son héroïque indépendance, et triomphant de son ennemi par sanoblefermeté : «J'avoue, dit« il, que si nous sommes esclaves, on nous traite assez « humainement ; mais si nous sommes encore libres, « n'est-ce pas lànousasservirPOmapatrie! machèrepa« trie ! tes meilleurs citoyens te trahissent en cejour. Dé« plorable liberté! jeté perds pourjamais. Desconditions « aussi peu équitables t'anéantissent sans espérance!» 8. Xerxès, résolu de porter la guerre dans la Grèce, fit le dénombrement de ses troupes de terre et de mer, et demanda"kDémarate s'il croyoitqueles Grecs osassentl'attendre ? Ce Démarate étoit un des deux rois de Lacédémone, qui, ayant été exilé par la faction de ses ennemis, s'étoit réfugié en Perse, où il avoit été comblé de biens et d'honneurs.Mais ni l'injustice de ses concitoyens , ni les bons traitemens du monarque hospitalier, ne purent lui faire oublier sa patrie. Dès qu'il sut que Xerxès travailloit aux préparatifs de la guerre , il en avoit averti les Grecs par une voie secrète. Obligé, dans cette occasion , de s'expliquer, il le fit avec une noblesse et une liberté dignes d'un roi de Sparte. Démarate, avant que de répondre à la question du roi , lui avoit demandé si son intention étoit qu'il lui pari ât sans déguisement; e t Xerxès ayant exigé de lui la plus grande sincérité : « Puisque vous me l'ordonnez, « grand prince, reprit Démarate, la vérité va vous parler « par ma bouche.Il estvrai que de tout temps la Grèce « a été nourrie dans la pauvreté; mais on aintroduit chez « elle la vertu, que la sagesse cultive, et que la vigueur « des lois maintient. C'est par l'usage que la Grèce fait « de cette vertu, qu'elle se défend également des in« commodités de la pauvreté, et du joug de la domina« tion. Pourne vous parler que de mesLacédémoniens, « sovez sûr que,nés et nourris dans la Iiberté,ils ne prê« teront jamais l'oreille à aucune proposition qui tende « à la servitude.Fussent-ils abandonnés par tous lesau« très Grecs,et réduits aune troupe de mille soldats, ou « même à un nombre encore moindre, ils viendront au
�L I B EUT
É.
« devant de vous , et ne refuseront pas le combat. » A ce discours , le roi se mit à rire ; et comme il ne I pouvoit comprendre que des hommes libres et indépenI dans, tels qu'on lui dépeignoit les Lacédémoniens, qui I Ti avoient point de maîtres pour les contraindre, fussent I capables de s'exposer ainsi aux dangers et à lamort : « Ils f « sont libres et indépendant de tout homme , répliqua « Démarate ; mais ils ont au-dessus d'eux la loi qui les I .« domine, et ils la craignent plus quevous-même n'êtes « craint de vos sujets. Or, celle loi leur défend de fuir « jamais dans le combat,quelque grand que soit le nom« bre des ennemis; etelleleurcommande,en demeurant « fermes dans leur poste , de vaincre ou de mourir. » q. Auguste, assis sur son tribunal, rendoit la justice, ctparoissoit disposé à condamnera mort plusieurs criminels. Mécène , son intime ami , s'en aperçut ; et voulant sauver la vie à ces malheureux , il tâcha de s'approcher de lui ; mais la foule étoit trop grande. Il écrivit donc sur des tablettes ces mots : « Lève-toi, « bourreau , » et les jeta à l'empereur , qui, les ayant lues , se leva , et ne condamna personne. 10. Titus, fils àeVespasien, étant en Silicie , des députés de la ville de Tarse lui présentèrent une requête sur des objets pour euxdegrandeimpoilance. Titusleur répondit qu'il s'en souviendrait lorsqu'il serait à Rome, et qu'il se rendrait lui-même leur agent auprès de son père. Cette réponse paroissoit favorable et obligeante ; mais Apollonius de Thyane,qui l'avoit entendue, n'en fut pas content. Usant de toute la liberté que donne la philosophie : « Seigneur, dit-il à Titus, si j'accusoisde« vant vous quelques-uns de ceux-ci d'avoir conspiré « contre votre personne et contre l'empire,queltraite« ment éprouveroient-ils de votre part ?—Je les ferais « périr sur-le-champ, répondit le prince.—Eh quoi ! « reprit le philosophe , n'est-il pas honteux de tirer « vengeance dans le moment, et de différer les grâces ; « de décider par vous-même du supplice , et d'atlen« dre des ordres pour dispenser des bienfaits? » Titus futfrappé decette remontrance;et dans le momentil accorda aux citoyens de Tarse ce qu'ils lui demandoient. Ce 3
I
4°5
�4o6
LIBERTE.
11. L'heureux succès de la bataille de Chéronnée enfla singulièrement Philippe,TOI de Macédoin e. A.u sortir d'un grand repas qu'il avoitdonne'aux officiers,enivré également de joie et de vin,il se transporta sur le champ de bataille; et là, insultant à tons ces morts dont la terre étoit couverte, il mit en chant le commencement d'un décret que Démosthene avoit dressé pour exciter les Grecs à cette guerre, etchanta, en battant la mesure : « Dém.osthène,Yéan]en,i)]sdeDémosthene, a dit. » lin y eu t personne qui ne fut choqué de voir le prince se déshonorer lui-même, etflétrir sa gloireparunebassessesi indigne d'un roi et d'un vainqueur; mais tousgardoient le silence. L'orateut Démade, du nombre des prisonniers, mais toujours libre, fut le seul qui osât lui en faire sentir l'indécence. « Eh!seigneur, lui dit-il, la fortune « vous ayant donné lerôie d'Agame/nnon, commentne « rougissez-vouspointdejouerceluide Thersite?»Celte parole pleine d'une généreuse liberté , lui ouvrit les yeux, et le fit rentrer en lui-même. Loin d'en savoir mauvais gré à Démade,û l'en estima encore davantage, lui fit toutes sortes d'amitiés, et le combla d'honneur. 12. Le philosophe Zénon étoit très-familier avec Antigone , roi de Macédoine, et reprenoit avec beaucoup de liberté la passion de ce prince pourJe vin. Un jour, le monarque étant ivre , s'approcha du sage , l'embrassa avec cet épanchement de cœur que donne quelquefois l'ivresse , et lui dit : « Mon cher Zénon , de« mande-moi tout ce que tu voudras , et je te l'ac« corderai. — Eh bien ! répondit Zénon , je demande « que vous alliez cuver votre vin. » 13. Les Athéniens envoyèrent une ambassade à Philippe, roi de Macédoine, ennemi d'autant plus redoutable, qu'il se caehoit davantage. Ce prince , en congédiant les ambassadeurs, leur dit, suivant sa coutume : « Si lès Athéniens ont encore quelque chose à me de« mander, je suis prêt à les servir.—Pendez-vous, » lui dit librement l'un d'eux , nommé Démocharès. Cette ItbérÊé lui eut coûté la vie, sila feinte clémence du roi de Macédoine n'eût arrêté son bras. « Allez rapporte ter aux Athéniens^ dit-il, en s'adressantaux d!|jtres dé-
�LIBERTÉ.' 4°7 pûtes, qu'unprince qui a entendu sans s'irri terunmo* < aussi outrageant , a eu plus de considération pour k vous , que celui qui l'a prononcé sans sujet. » i4- François Zaccordoit beaucoup de liberté à ceux cui avoientl'honneurd'être présens à ses repas.Envoici ■me preuve. Ce prince parloiî à son dîner de l'antiquité , pela grandeur etde la beauté de la ville deMilamchacun en disoit son sentiment. Un Italien, prenant la parole, llit que Milan étoit, à la véri té, mie belle et grande ville, biais que son port ne valoitrién.Le monarque, le regardant avec un souris agréable, lui dit de s'approcher, et be lui rendre compte des défauts du port de M ilan.qu'il baroissoit avoir examiné de fort près. L'Italien, s'avanbant, et en faisant une profonde révérence , dit, en sa langue : « Sire, j'ai eu l'honneur de parler à votre maj« jeslé; cela me suffît.—Que voulez-vous dire , lui de<< manda le roi? — Sire , répondit-il, voyant la bonté « que vous avez de donner à chacun la permission de « parler , je voulois en profiter. Je sais bien que la mer « n'est pas plus près de Milan que de Gênes ; mais si K< j'avois dit quelque chose de raisonnable, on ne m'eût «point remarqué; j'ai trouvé moyen de me faire érou:< ter , et de me faire entendre de votre majesté ; c'est le seul bonheur que j'ambitionnois. » 10. Jjouis Ildemanda compte au maréchal Desqueres de l'argent qu'il lui avoit donné pendant la guerre, ourles dépenses dont ilTa voit chargé. Desquerdes préentaunmémoirefortdétaillé, dans lequclla dépense exploit de beaucoup larecette.XoHwse me ta discuter les rticlcs.Le maréchal se Iève,et dit avec une noble liberté: :< Sire, avec cet argent j'ai conquis les villes d' Arras, de t Hesdin, de Boulogne ; rendez-moi mes villes , et je :< vous rendrai votre argent.—Parla pâque-dienîrépond '< le monarque , il vaut mieux laisser le monstier où il « est ; » et il ne fut plus question de compte à rendre. 16. Lorsque le maréchal de Biron produisit ses ti très de noblesse pour être admis au nombre des chevaliers du Saint-Esprit, ce seigneur , voyant que l'on paroisoit avoir plus d'égards pour les preuves généalogiques ue pour les services, et que d'ailleurs, parmi ceux qui Ce 4
�^o8 LOIS. fournissoienlleurs preuves,il s'en trouvait qui avoient passé avec des litres supposés , il affecta de ne produire que fort peu de titres. Il n'apporta, dit Brantôm^ que cinq ou six titres fort antiques ; et les présentant au roi et à MM. les commissaires et inquisiteurs : «Sire, dit-il, voilà ma noblesse ici comprise ;s et puis, mettant la main sur son épée , il ajouta: « Mais, sire , la voici encore mieux. » 17. Charles- XII, roi de Suède, avoit accoutumé ses troupes à la discipline la plus sévère, et le soldat ne se permettait pas le moindre pillage dans le pays ennemi. Cependant un grenadier, ayant un jour enlevé le dîner d'un paysan, et celui-ci étant venu s'en plaindre au monarque , le soldat, interrogé sur cette action, répondit hardiment : « Sire, vous avez bien ôté un royaume à « l'électeur de Saxe ; pourquoi ne pourrois-je pasenle« ver un misérable dindon à ce paysan?» Ce bon mot, malgré sa liberté, ne déplut point au roi : il fit grâce au so'dat, et se contenta de luidire qu'en ôtantun royaume à Auguste, il n'en avoit rien réservé pour lui. Ensuite il renvoya le paysan , après lui avoir donné dix ducalj pour le dédommager. Voyez GRANDEUR D'AME , HÉROÏSME , AMOUR DE LA PATRIE , FAMILIARITÉ.
n.VY^xx^TXX^.xxv\l\\\vx,vx-vxxxx-V'VX^'V'».'vv\x't-v%'VX'V-v%xvv.x>.v'V"».'i.'v\'l'i,%\x-vvvv\v
\w
LOIS.
1. il y a beaucoup de médecins , il y a beau« coup de malades , disoit le philosophe Arcésilas; « de même , où il y a beaucoup de lois , il y a bcau« coup de vices. » 2. Solon demandoit au philosophe Anacharsis, son ami, ce qu'il pensoit des lois qu'il avoit portées pour le bonheur des Athéniens ? « Ce sont , lui répondit« il, autant de toiles d'araignées : elles arrêteront les « foibles , et laisseront passer les forts. » 3. « Les citoyens, disoitHéraclide, doivent comhat« Ire avec autant d'ardeur pour la défense des lois, que £ pour celle de leurs re mparts : car les lois ne sont pas
« Où
�409 « moins nécessaires que les remparts pour la conser« vation d'une ville. » 4. On demandoit k Démarate comment il pouvoir se faire qu'étant roi de Lacédémone, il en fut cependant exilé ? «Parce que les lois à Lacédémone sont au-dessus «des rois, » répondit-il. 5. Lorsqu'shitigonus-Doson eut pris possession du trône de laMacédoine, il fit savoir à toutes les villes de son obéissance, que s'il arrivoit qu'il écrivît quelque chose qui fût contra ire aux lois, elles eussent à ne point obéir, parce que ses dépêches auroient été surprises. 6. La discorderégnoit depuis long-temps dans Athènes; et ce fléau des états populaires désoloit les différens corps quicomposoientcette républiquefameuse. Enfin, les gens de bien voulurent faire cesser ce désordre ; et tous les citoyens , par un choix unanime , jetèrent les yeux sur Solon , le plus grand philosophe de son siècle, et l'Athénien le plusverlucux. Ce sage fut élu archonte, et nommé arbitre souverain et législateur absolu. Il n'abusa point de son pouvoir ; et ne cherchant, à l'exemple de Lycurgue, que le bien de sa patrie, il rétablit le calme par des lois sages , dont voici les principales. 11 permit à tout le monde d'épouser la querelle de quiconque auroit été outragé 5 de sorte que le premier venu pouvoitpoursuivre et mettre en justice celui qui avoit commis l'excès. Par cette ordonnance , il vouloit accoutumer ses concitoyens k sentir les maux les uns des autres, comme membres d'un seul et même corps. Ceux qui, dans les différents publics, ne prenoient aucunparti, et attendoient le succès pour se déterminer, étoient déclarés infâmes , condamnés à un bannissement perpétuel, et à perdre tons leurs biens. Solon abolit les dots de mariages , par rapport aux filles qui n'étaient pas uniques, et ordonna queles mariées ne porteraient à leurs époux que troisrobes etquelqires meubles de peu de valeur. Car il ne vouloit pas que le mariage devînt un trafic et un commerce d'intérêt ; mais qu'il fût regardé comme une société honorable pour donner des sujets à l'état, pour vivre
LOIS.
�4lO
LOIS.
ensemble dans une douce union, et pour se témoigner une amitié, une tendresse réciproque. Avant Solon, il n'étoit point libre de tester : les biens du mourantalloienttoujoursàceuxdesafamille. Il permit de donner tout à qui l'on voudroit, quand on étoit sans enfans, préférant ainsi l'amitié à la parenté, le choix à la nécessité et à la contrainte, et rendant chacun véritablement maître de ses biens , par la liberté qu'il lui laissoit d'en disposer à son gré. il n'autorisa pourtant pas indifféremment toutes sortes de donations, et n'approuva que celles qu'on avoit faites librement, sans aucune violence, sans avoir l'esprit aliéné et corrompu par des breuvages , par des charmes , ou par les attraits et les caresses d'une femme. Il diminua la récompense de ceux qui remportaient la victoire dans les jeuxisthmiques et dans les olympiques, en les fixant pour les premiers, à cent drachmes, c'est-à-dire, à cinquante livres ; et les seconds, à cinq cents drachmes, c'est-à-dire, à deux cent cinquante livres. Il trouvoit que c'étoit une chose honteuse de donner à des athlètes et à des lutteurs, gens non-seulement inutiles, mais souvent dangereux à leur patrie , des récompenses très-considérables,qu'ilfailoitgarderpour ceux qui mouroient à la guerre pour le service de leur pays, et dont il étoit juste de nourrir et d'élever les enfans qui suivroient un jour l'exemple de leurs pères. C'est dans cet esprit qu'il ordonna que tous ceux qui auroient été estropiés à la guerre seroient nourris aux dépens du public. La même grâce étoit accordée aux pères et mères, aussi-bien qu'aux enfans de ceux qui, étant morts dans le combat, laissoient une famille pauvre et hors d'état de subsister. La république alors, comme une bonne mère , s'en chargeoit généreusement, et remplissoit à leur égard tous les devoirs , leur procuroit tous les secours qu'ils auroient pu attendre de ceux dont ils pleuroient la perte. Afin de mettre en vigueur les arts, les métiersetles manufactures, il chargea l'aréopage du soin d'informer des moyens dont chacun seservoit pour subsister, etde châtier sévèrement ceux qui menoient une vie oisive,
�LOIS.
4
11
]1 déclara qu'un fils ne seroit pas tenu de nourrir son ère dans sa vieillesse, s'il ne lui avoit fait apprendre ucun métier. Il dispensa du même devoir les enfans es d'une courtisane. « Il est évident , disoit-il, que ( celui qui méprise la sainteté et l'honnêteté du ma< riage , ne voit des femmes que pour asssonvîr une ( passion aveugle et brutale , et point du tout pour ï< avoir des enfans. Il a donc sa récompense. Il ne s'est ]< réservé aucun droit sur ceux qui sont venus de ce I commerce , et dont il a rendu la vie , aussi-bien 7 que la naissance un opprobre éternel. » Il étoit défendu de dire du mal des merts , parce ue la religion porte à tenir les morts pour sacrés ; la rstice, à épargner ceux qui ne sont plus ; la politique , ne pas souffrir que les haines soient éternelles. Il l'étoit aussi de dire aucune injure à personne ans les temples, dans les lieux où se rendoit la justice, ans les assemblées publiques , et dans les théâtres endant les jeux. Quand les esclaves étoient traités avec trop de dueté et d'inhumanité, ils avoient action contre leurs aîtres , qui étoient obligés de les vendre à d'autres , le fait étoit bien prouvé. Us pouvoient se racheter , ème malgré leurs maîtres, quand ils avoient amassé ne somme assez considérable pour se rédimer. Enfin Solon fit encore une loi pour la réparation du ommage causé par les bêtes, dans laquelle il ordonna ue le maître d'un chien qui auroit mordu quelqu'un, roit tenu de le livrer, et de lui attacher au cou un illotdequatre coudées ; assez plaisante invention pour lettre en sûreté contre les attaques d'un chien. Il ne statua rien contre le parricide 5 et comme on i en demandoit la raison , il répondit qu'il lui semloit que faire des lois et décerner des peines contre in crime inconnu et inoui jusques-là, c'eût été l'enigner plutôt que le défendre. 7. Tontes les lois des Egyptiens avoient pour objet rendre la vie commodeetles peuplesheurenx : aussi 'Ue nation grave et sérieuse observoit-elle avecunre"ieuxscrupule ces saintes ordonnances, qui}fondées
�I
4^2
LOIS.
toutes sur la loi primitive que la main du Créateur j gravée dans nos coeurs , concouroient à ne forme qu'une seule famille de tant de milliers d'hommes. Dans la plupart des monarchies, le prince ne reeon noît d'autre règle de ses actions , que sa volonté c! son bon plaisir ; termes que l'adulation ou le despotisnif a imaginés.En Egypte, le roi étoit le premier esclavt de la loi : elle marquoit la qualité des viandes donti pouvoit user, la mesure du boire et du manger ,el l'emploi de tous les instans de la journée. Le meurtre volontaire étoit puni de mort, de quelque condition que fût celui qui avoit été tué , lijjrej ou non. Le parjure subissoit la même peine , parce que crime attaque en même temps et les dieux , dont outrage la majesté , en attestant leur nom par uu| faux serinent ; et les hommes , en rompant le lien plus ferme de la société , la bonne foi. Le calomniateur étoit impitoyablement condam«| au même supplice qu'auroit éprouvé l'accusé , si lf| crime avoit été véritable. Celui qui , pouvant sauver un homme attaqué lefaisoit pas, étoit puni de mort aussi rigoureusement; que l'assassin. Si l'on ne pouvoit secourir le malheureux , il falloit du moins dénoncer l'auteur de la vioj lence : ainsi, par la loi,les cilo3rens étoient confiés àl; garde les uns des autres; et tout le corps de l'étatétoil uni contre les méchans. 11 n'étoitpaspermis d'être inutKe. Chaque particuliei étoit obligé tous les ans de faire inscrire chez les magistrats son nom , sa profession , sa demeure. Let fainéans, les vagabonds , ceux qui exerçoient des nié tiers infâmes , étoient punis de mort. La loi ne condanmoit point à mort un père poui avoir tué son fils ; niais elle l'obligeoit à rester trot jours entiers auprès de son cadavre. La douleur et lf repentir qu'un tel objet devoit exciter dans son amf étoient la peine dont elle punissoit sa cruauté. Pour empêcher les emprunts, qui produisent ordinairement la fainéantise, les fraudes et la chicane, le roi
�LOIS.
4^
S
sychis fit une ordonnancetrès-sage. Sans toucher àla berté personnelle des citoyens, sans ruiner l es fâm'iî? s, iltrouvamoyen de presser continuelïementledébiur, par la crainte de passer pour infâme , s'ilmanquoit ; être fidelle.II n'étoil permis d'emprunter qu'à eondiond'engager aux créanciers le corps de son père, que hacun, dans l'Egypte, faisoit embaumer avec soin, et onservoit avec honneur dans sa maison. Or , c'était ne impiété et une infamie tout ensemble, de ne pas tirer promptement un gage si précieux ; et celui qui îouroit sans s'être aquitté de ce devoir , étoit privé es honneurs qu'on avoit coutume derendre aux morts. 8.Leshabitansde Thurium, ville grecque , voisine e Sybaris et de Crotone , ayant établi parmi eux le ouvernement populaire, voulurent l'affermir par de ges lois, et, pour cet effet, choisirent un citoyen spectable, appelé Charondas, élevé dans l'école de 'ytkagore. Voici quels furent les principauxréglemens e ce sage législateur. Il donna exclusion du sénat et de toute dignité pulique à quiconque passerait à des secondes noces , rès avoir eu des enfans du premier li t 5 persuadé l'un homme si peu attentif aux intérêts de ses enfans, e le seroit pas davantage à ceux de la patrie ; et que , étant montrémauvais père ,il seroitmauvais magistrat. Il condamna les calomniateurs à être conduits par ute la ville, couronnés de bruyère , comme les plus échans de tous les hommes ; ignominie à laquelle 3 plus souvent, ils ne pouvoient survivre* Il permit de citer en justice ceux qui se lieraient 'amitié et de commerce avec les médians , et de s condamner à une amende considérable. Il voulut que tous les enfans des citoyens fussent; istruits dans les belles-lettres , dont l'effet propre est, e polir, de civiliser les esprits, d'inspirer des mœurs lus douces, de porter à la vertu ; et, dans cette vue, stipendia des maîtres publics, afin que l'instruction, tant gratuite , pût devenir générale. Il fit une loi en faveur des orphelins, qui paraît bien 2nsée.ïl confia le soin de leur éducation auxparens du
�4*4
LOTS»
côté maternel, de qui ilsn'avoient rien à craindrepoiif leur vie; et l'administration de leurs biens aux païens du côté paternel, qui avoient intérêt de les conserver pouvant en devenirles héritiers parla mort des pupilles, Au lieu de punir de mort les déserteurs et ceux qui fuyoient dans le combat , il se contenta de les condamner à paroître pendant trois jours, dans la ville, revêtus d'un habit de femme. Pour empêcher que ses lois ne fussent abrogées avec trop de facilité et de témérité , il imposa une condition bien dure et bien hasardeuse à ceux qui proposeroient d'y faire quelques changemens.Ils dévoient paroître dans l'assemblée publique avec une cordeau cou ; et si le changement proposé ne passoit point, être étranglés sur-le-champ. Dans toute la suite du temps , il n'arriva que trois fois de proposer de telles innovations , et elles furent acceptées. Charondas ne survécut pas long-temps à ses lois. Revenant un jour de poursuivre des voleurs, et trouvant la ville en tumulte , il entra tout armé dans l'assemblée , ce qu'il avoit défendu par une loi expresse, Un particulier lui reprocha qu'il violoit lui-même ses lois. «Non, dit-il, je ne les viole point,mais je vais les! « sceller de mon sang. » En prononçant ces mots, il tira son épée et se tua. 9. L'empereur Antonin porta une loi qui ordonnoil que, si un mari poursuivoit sa femme en justice, comme lui ayant manque de fidélité, il falloit que le juge examinât si le mari avoit lui-même gardé fidélité à safemme , et que supposé qu'ils fussent trouvés tous deux coupables , ils fussent tous deux punis 10. Zaleucus législateur des Locriens , voulant écarter le luxe de sa république, défendit aux femmes de porter des étoffes riches et précieuses , des habits brodés , des pierreries , des pendans d'oreilles , des | colliers, des brasselets, des anneaux d'or, et d'autres ornemens de cette sorte, n'exceptant de cette loi qu'1 les femmes prostituées. 11. IlenrilV, voyant que tous les édits portés contre le luxe devenoient inutiles , en rendit enfin un, dans
�MAGNANIMITÉ. 4*5 «quel , après avoir expressément défendu à tous ses iiijets de porter ni or , ni argent sur leurs habits, il ijouta : « Excepté pourtant aux filles de joie et aux filous, en qui nous ne prenons pas assez d'intérêt, pour leur faire l'honneur de donner notre attention I< à leur conduite. »
\^X%\'VVV«'V«'VV'V->.-lV»VVV'V-V'VA.-VVVA.XX\l.XV\'>.VXÏ. VVVVVVV «.-V V-VV'VVX-VX%«'VX'\X'VV\*
,
,
,
MAGNANIMITÉ.
ES Espagnols , charmés des vertus de ScipionjAfricain , et pleins d'une vive reconnoissance pour bienfaits dont les combloit ce grand homme , l'enjronnèrent un jour , et le saluèrent du nom de roi, ec une acclamation et un consentement général. ipioji leur répondit , après avoir fait faire silence Mr un héraut, qu'il ne connoissoit point de titre plus »rieux que celui à'Imperator qu'il avoit reçu de ses ■dats ; que le nom de roi, estimé et respecté parSi t ailleurs , étoit insupportable à Rome ; que s'ils «voient en remarquer en lui les qualités , et s'ils le regardoient comme ce qu'il y a de plus grand dans l'homme , ils pouvoient penser de lui ce qu'il leur Jiroit ; mais qu'il les prioit de ne lui point donner ce i. »Ces peuples, tout barbares qu'ils étoient, séntij at quelle grandeur d'ame il y avoit de mépriser ai ii, comme du haut de sa vertu , un nom qui fait jet des vœux et de l'admiration du reste des mortels. .Bélisaire ayant vaincu les Gothts, ces peuples,sins admirateurs des qualités héroïques de ce grand me, vinrent en corps le supplier de vouloir bien ri 1er sur eux, et. d'accepter la couronne qu'ils l ui ofntde concert avec leur roi. Le général romain les ré ercia, et leurdit qu'il n'oubleroit jamais cette preuve di ]e enr bienveillance; mais qu'il ne pouvoit répondre à 'sdésirs.LesGoths, surpris d'un refus si magnanime, nivelèrent leurs instances avec plus de vivacité, loi! lui dirent-ils, vous êtes le défenseur de Justi,e«, et vous voulez en être l'esclave ! Honteuse mo-
)nnoit )mme s exa-[ i femdeux niant nmes îabits , des utres ii qun ontre dans
y\
�/(.i6 MAGNANIMITÉ. « destie, qui préfère la servitude à la royauté ! Celui « qui a vaincu les Goths , est-il donc incapable de les « gouverner ? Ildibad est notre roi, mais il vous recon« noît pour le sien ; il est prêt à vous rendre hommage, « et à mettre sa couronne à vos pieds. » Bélisaire, qui savoit faire de grandes choses sans appareil, parce qu'il les faisoit sans efforts , repartit deux mots : «Je « suis sujet de Justinien, et je ne l'oublierai jamais.» Ensuite il partitpourConstantinople , où l'empereur qui suspectait sa fidélité, l'avoitrappelé. 5. L'empereur Palentinien II, et Justine sâ mère, voulant autoriser les ariens par une loi, s'adressèrent, pour la rédiger , à Bénévole , secrétaire des brevets, C'était un homme intègre et généreux , que le saint évêque Philastre avoit formé dans la véritable doctrine/ Il refusa de prêter son ministère à l'hérésie ;et comme l'impératrice le pressoit d'obéir , en lui promettant un emploi plus relevé : « C'est en vain, dit-il, qu'on « tente de m'éblouir ; il n'est point de fortune qui « mérite d'être achetée par une action impie : ôte* « moi plutôt la charge dont je suis revêtu, pourvu que « vous me laissiez ma foi et ma conscience. » En parlant ainsi, il jeta aux pieds de Justine la ceinture qui était la marque de son office. 4- Alexandre-le-grand, ayant fait prisonnier Pom l'un des plus puissans rois des Indes, le fit venir devant lui, et lui demanda comment il vouloit être traité ? «Et « roi , répondit-il. — Mais, ajouta le conquérant, M « demandez-vous rien davantage ? — Non : ce seul mot « dit tout. » Charmé de cette grandeur d'ame , Ah crandre lui rendit ses états, auxquels il ajouta pin sieurs autres provinces ; et P or us reconnoissant, lu demeura fidelle jusqu'à la mort. 5. Edgar, roi d'Angleterre, étoit petit, mais d'nif valeur éprouvée. Kennet, roi d'Ecosse, le railla unjoc dans un festin sur la petitesse de sa taille : «Je m'étonw « dit-il, que tant de milliers de braves gens obéissent '< un si petit homme.» Edgar, instruit de cette insulte dissimula son ressentiment, jusqu'à ce qu'il pût se vif ger d'une manière noble et digne d'un roi. Le monaïf ecossi
�MAGNANIMITÉ.
417
écossais Pétant venu voir, Edgar lui proposa une partie de chasse, et le conduisit dans un bois, où un écuyer les attendoitavec deux épées d'une même longueur. Alors, mettant pied à terre, et présentant ces deux épées au roi d'Ecosse, qui étoit aussi descendu de cheval : « Prenez« en une, lui dit-il, et voyons qui de nous deux mérite « mieux d'être roi. » Kennet, étonné et tremblant, ne I lui répondit que par de profondes révérences qu'il lui I faisoit en reculant. « Quoi ! vous refusez le combat?lui ! « dit Edgar ; et votre bravoure ne fait du bruit qu'à « table ? » Le roi d'Ecosse bégaya quelques mauvaises excuses. « Avouez donc, reprit Edgar, que, tout petit « que je suis, je mérite de commander aux Anglais et « à vous-même ; et sachez que c'est par le courage, et « non par la taille , qu'il faut mesurer les rois. » 6. Deux des écuyers de Liutprand, roi des Lombards , formèrent le dessein d'assassiner ce prince. Instruit de leur noir complot, le monarque les mène seuls avec lui, sous prétexte d'une promenade , dans un bois fort épais ; et là , tirant son épée : « Je sais , « dit-il, que vous voulez m'assassiner ; voyons si vous « aurez le courage de profiter de l'occasion que j'ai « voulu vous en donner moi-même. » Frappés d'une démarche aussi hardie , les deux écuyers tombent aux pieds du roi, qui, non moins généreux que magnanime , leur accorde le pardon qu'ils lui demandent. y. Après une grande victoire, Gêlon, tyran de Syracuse, prince doux, humain, affable, généreux, apprenant que quelques citoyens murmuroientde ce qu'ilgardoit l'autorité souveraine, convoqua l'assemblée des Syracusains, qui eurent ordre d'y venir armés. Pour lui, il s'y rendit sans armes ; exposa au peuple quelle avoit été sa conduite, et quel usage il avoit fait de sa puissance, et ajouta que si quelqu'un avoit quelque plainte à former contre lui, sa personne et sa vie étaient entre leurs mains. Tous les Syracusains, touchés d'un discours si peu attendu, et encore plus de la confiance avec laquelle il s'abandonnoit à eux, répondirent par une acclamation générale de joie, de louange etde reconnoissance; etsurle-champ, d'un commun accord, on lui déféra l'autorité Tome IL Dd
�418.
M A G N A W I M I î £
souveraine avec le titre de roi. Pour conserver à jamais la mémoire de cette action magnanime, le peuple lui érigeaxvne statue, où il étôit représenté avec un simple habit de citoyen, sans ceinture et sans armes. 8. En présence de tout le peuple, l'empereur Trajan donna une épée au préfet de Rome, et lui dit : « Prends cette épée ; si je gouverne selon les lois « de la justice, tu t'en serviras pour moi : si je deviens « un tyran, tu t'en serviras contre moi. » 9. Des soldats mutinés refusoient de suivre Alexandre. « Allez, lâches, leur dit ce prince; allez, ingrats, r « dire en votre. paj s que vous avez abandonné votre « roi, parmi des peuples qui lui obéiront mieux que <l vous. » Alexandre , dit le grand Condé, grand admirateur de cette noble fierté ; Alexandre abandonné des siens parmi des Barbares mal assujettis, se sentoit si digne de commander , qu'il ne croyoit pas qu'on pût refuser de lui obéir. Etre en Europe ou en Asie, parmi les Grecs ou les Perses, tout lui étoit indifférent: il pensoit trouver des sujets où il trouvoit des hommes. 1 o. Sur le point de livrer bataille au roi Artaxerxès, Cyrus le jeune, son frère, fut conseillé par Cléarque, capitaine grec, qui étôit venu pour seconder la révolte de ce prince, de ne point s'engager dans la mêlée, et de mettre sa personne en sûreté derrière les bataillons grecs qu'il commandoit. « Que me dis-tu la ? lui ré« pondit Cyrus, Quoi ! tu veux que , dans le temps « même que je cherche à me faire roi, je me montre « indigne de l'être ! » 11. Sylla avoit assemblé le sénat pour le contraindre à déclarer Marius ennemi de la république. Il trouva dans un vieux sénateur, nommé Scévola , une résistance à laquelle il ne s'attendoit pas. « Je ne crains « point, lui dit ce généreux vieillard , ces satellites « armés qui assiègent le sénat ; et pour conserver un « reste de sang que l'âge a glacé dans mes veines , je « ne déclarerai jamais ennemi de la république, Ma« rius qui a conservé Rome et toute l'Italie. » 12. Après la mort de Cambyse, roi de Perse, Patisith*, chef des mages», forma l'ambitieux dessein de
�M A G N À N I M r T
i.
/f.19
placer la couronne sur la tête de son frère Smerdis^ Il le fit passer pour un autre Sînerdis, fils du grand Cyrus, que le successeur de cet immortel conquérant avoit fait mourir. La ressemblance de l'imposteur avec le prince défunt autorisa l'usurpation ; et, pour qu'on ne pût découvrir l'artifice, le fourbe affecta, dès le commencement de son règne ; de ne se point montrer en public , de se tenir enfermé dans le fond de son palais, de traiter toutes les affairespar l'entremise de quelques eunuques, et de ne laisser approcherde sa personneque ses plus intimes confidens. Tant de précautions jetèrent des soupçons dans les esprits : les grands de la cour et le peuple commencèrent à suspecter la légitimité dumonarque; et bientôt ilse forma, dans tous les ordres des citoyens , de ces fermentations cachées qui annoncent les grandes révolutions. Smerdis avoit épousé toutes les femmes de son prédécesseur. Au nombre de ces princesses, étoit Atosse, fille de Cyrus, et Phédime, fille d'Otanès, un des plus grands seigneurs de Perse. Otanès envoya demander à sa fille, par un homme bien sûr, si le roi étoit le véritable Smerdis? Elle répondit que n'ayant jamais wiSmerdis, fils deCyrus, elle ne pouvoit lui apprendre ce qui en étoit. Otanès ne se contentant>point de cette réponse, la fit prier de s'informer à'Atosse, à qui son propre frère devoit être connu , si c'éfoit lui ou non? Elle répondit que le roi, quel qu'il fût, du premier jour qu'il étoit monté sur le trône, avoit distribué ses femmes dans des appartemens séparés, afin qu'elles ne pussent avoir entre elles aucune communication, et qu'ainsi elle ne pouvoit parler à^o^e.Illuienvoyadiro que, pour s'enéclaircir,lorsquc<S,7rteAiw seroit avec elle, et qu'il dormiroi t d'un profond sommeil, elle examinât adroitement s'il avoit des oreilles. Cyrus les avoit fait autrefois couper au mage, pour qu elques crimes dont il étoit convaincu. Il fit entendre à sa fille, qu'en cas que ce fût lui, il n'étoit ni digne d'elle, ni de la couronne. Phédime promit tout à son père ; ct > résolue de braver 1 esp lus grands dangers pour exécuter ses ordres, elle fit heureusementladécouvertedésirée,etl'appritàOto«è^. Ce seigneur, sur-le-champ, forma une conspiration , Dd a
�420
MAGNANIMITÉ.
avec, cinq autres des plus grands seigneurs persans, du nombre desquels étoit Gobrias; et tous ensemble coururent au palais , Pépée à la main. Les partisans de l'usurpateur n'opposèrent qu'une foible résistance au courage déterminé de ces vengeurs de la patrie. Smerdis fut assailli par Gobrias , qui l'ayant terrassé, et le tenant sous lui étroitement pressé , demanda du secours à l'un de ses compagnons , qui survint ; mais comme l'action se passoit pendant la nuit^ celui-ci craignoit de tuer d'un même coup Gobrias et le mage. « Frappe hardiment, mou ami, lui crie ce magna« nime seigneur; frappe, dusses-tu nous percer tous « deux ; je suis content de périr, pourvu qu'il meure. » Le tyran fut tué , et son despotisme expira avec lui. i3. Fabius-Maximus commandoit l'armée contre Annibal, en qualité de dictateur. Une affaire importante le rappelant à Rome , il fut obligé de laisser le commandement entre les mains de Minucius, son général de cavalerie, homme vain et imprudent. Fabius, en partant, non-seulement lui ordonna , comme son supérieur, de ne point livrer de combat ; il prit encore la voie du conseil, comme son ami, et eut même recours aux prières. Mais il ne fut pas plutôt parti, que Minucius oublia ses ordres et ses remontrances , et s'attacha à harceler l'ennemi. Un jour , entre autres, ayant appris qu;'Annibal avoit envoyé au fourrage une grande partie de son armée, il attaqua ceux qui.étoient restés dans le camp , en tua un grand nombre , et leur fit craindre à tous qu'il ne les forçât dans leurs retranchemens. Après que toutes les troupes carthaginoises furent rentrées , il se retira en sûreté , sans avoir fait aucune perte. Ce succès lui inspira un orgueil sans bornes ; il en envoya la nouvelle à Rome , et prit soin de l'exagérer en termes pompeux. Fabius, en l'apprenant , dit qu'il ne craignoit rien tant que la bonne fortune de Minucius ; mais le peuple, plein de joie etd'espérance , courut à la place. Le tribun Médlius, qui étoit parent de Minucius, s'étendit beaucoup sur ses louanges, et se plaignit de la timidité et de la lenteur de Fabius. Le dictateur, sans daigner répondre au tribun,
�MAGNANIMITÉ.
4
21
dit qu'il alloit retourner promptement à l'armée, pour châtier la témérité de son lieutenant, qui, contre ses ordres , avoit attaqué l'ennemi. Le peuple , craignant pourla vie de Minucius, n'osa cependant pas contraindre Fabius à déposer la dictature , quoiqu'il fut tombé dans un grand mépris : il ordonna seulement que Minucius partageroit avec lui le commandement de l'armée, et auroit une puissance égale à celle du dictateur. Fabius , pour ce qui le regàrdoit, fut insensible à cette injure , mais, par rapport au bien public, il étoit très-fâché de cette imprudence du peuple , qui venoit de donner à un téméraire le moyen de satisfaire sa folle ambition. Craignant donc, qu'aveuglé par son orgueil, il ne se hâtât de faire quelque faute irréparable, il partit de Rome en diligence. Etant arrivé aucamp ,Minucius lui proposa de commander l'armée chacun à son tour. Fabius n'y voulut jamais consentir : il aima mieux partager avec lui les troupes, trouvant qu'il y avoit moins de danger à lui en laisser commander toujours la moitié , que de le souffrir un seul jour à la tête de toute l'armée- Il se contenta de lui remontrer avec douceur que , s'il étoit sage , il verrait bien que ce n'étoit pas contre Fabius qu'il avoit à combattre , mais contre Annibal. Minucius prit ce conseil pour une raillerie de vieillard ; et, se mettant à la tête des troupes qui étoient à ses ordres, il alla camper dans un lieu séparé. Le général carthaginois étoit très-bien informé de ce qui se passoit entre les deux capitaines romains , et il épioitsans cesse l'occasion d'en tirer avantage. Entre l'armée de Minucius et celle A'Annibal, il y avoit une petite colline , dont il n'étoit pas bien difficile de se rendre maître , et qui pouvoit fournir à une armée un camp très-commode et très-sûr. La pleine d'alentour, à la voir de loin , paroissoit toute unie , parce qu'elle étoit nue et totalement découverte ; mais elle avoit, en divers endroits, des ravines , des cavernes , et d'autres creux assez profonds. Voilà pourquoi Annibal ne voulut pas se saisir de cette hauteur à la dérobée, comme illepouvoitfacilement ;illanégligeacomme une amorce pour attirer l'ennemi au combat. Dès qu'il eût vu que Dd 3
�422
MAGNANIMITÉ.
Minucius s'étoit séparé du dictateur, il jeta la nuit, de, l'infanterie et quelque cavalerie dans ces creux etdans ces ravines ; et le lendemain, au lever du soleil, il envoya , à la vue de l'armée ennemie , un petit détachement s'emparer deceposte, afin d'engager les Romains à le disputer. Cette ruse eut le succès qu'il s'en étoit promis. Minucius détacha d'abord son infanterie légère ; il la fit soutenir ensuite par la cavalerie : enfin , voyant ' qn'Annibal même marchoit au secours de ceux qui étoient sur le côtéau, il s'avança contre lui avec toutes ses forces. Le combat fut très-opiniâtre , jusqu'à ce qu;Annibal donna le signal aux troupes qu'il avoit mises en embuscade danr "s ravines de la plaine ; elles se levèrent brusquement ; vinrent charger les Romains par derrière avec tant cle furie , qu'elles taillèrent en pièces les derniers rangs , et mirent les autres en décorêve.\Fabius ayant prévu ce qui devoit arriver, tenoit toujours ses légions sous les armes , et regàrdoit luimême le combat de dessus une hauteur qui étoit près de son camp. Quand il vit lesRomains rompus et enveloppés de tons côtés, il frappa sur sa cuisse ; et poussant ira grand soupir : « Minucius , s'écria-t-il, s'est perdu « plutôt que je ne pensois, etplus tard qu'il ne vouloit. « Allons , soldats , courons à son secours : si sa trop « grande ardeur lui a fait commettre unefante, nous l'en « reprendrons une autre fois.» Il dit: les enseignes s'avancent : il se met à leur tête; toute l'armée s'empresse de le suivre ; il charge les INumides qui combattaient dans la plaine; il les enfonce, il les dissipe ; il fond ensuite sur ceux qui poursuivoient les Romains , et les taille en pièces. Annibal, voyant la fortune changée j.et Fabius qui', l'épée à la main, avec une vigueur au-dessus de son âge, se faisoit jour au travers des combattans, perçoit jusqu'au sommet de la colline où s'étoit retranché Minucius , fit sonner la retraite , et s'éloigna , en disant à ceux qui se trouvoient près de lui ï « Eh bien! « ne vous avois-je pas prédit que ce nuage , qui s'étoit « reposé sur cette hau teur, se romprait toût-à-coup , « et produirait un grand orage ? » Fabius ayantramassé les dépouilles des ennemis , qui étoient restées sur le champ de bataille , rentra dans son camp , sans laisse
�MAGNANIMITÉ.
%lZ
échapper une seule parole injurieuse contre son collègue. Cet imprudent capitaine , instruit par son propre malheur,vint aussitô t déposer à ses pieds l'autorité que le peuple lui avoit donnée, et répara son aveugle ambition par une obéissance sans bornes.L'héroïsme de la vertu la plus pure brille dans cette action de Fabius, plus admirable que tous les exploits à'Alexandre ou de César. i4- Après un repas que Cyrus venoit de donner au roi d'Arménie, qu'il avoit vaincu et fait prisonnier, ce prince demanda à Tigrane son ami, fils du monarque captif, ce qu'étoit devenu un gouverneur qu'il avoit vu plusieurs fois avec lui à la chasse , et dont il faisoit un ? cas particulier « Hélas ! dit-il, il n'est plus , et je « n'ose vous avouer par quel accident je l'ai perdu. » Cyrus le pressant de le lui apprendre : «Mon père, reprit « Tigrane, voyant que j'airnpis tendrement ce gouver« neur, et que je lui étois fort attaché, en conçut quel« que jalousie, et le fit mourir. Mais c'étoit un si hon« nête homme, qu'étant près d'expirer, il me fit venir, « et me dit ces propres paroles : Que ma mort, Tigrane, « ne vous indispose point contre le roi vo tre père. Il n'a « point agi à mon égard par méchanceté, mais sur une « fausse prévention qui l'a malheureusement aveuglé. « — Ah ! l'excellent personnage, s'écria Cyrus; mais « n'oubliez jamais le dernier avis qu'il vous a donné!» i5. Lorsque Cûfo»l'anciendemandoitlacensure,ilen agit, à l'égard de ses compétiteurs, avec cette noblesse, cette magnanimité que donne la vertu; il monta sur la tribune, et dit hautement : « Romains, vos mœurs ont « besoind'unmédécinsévère, etnond'uiilâcheflatteur. « Il en est parmi vous à qui la consciencefait de secrets « reproches : ils redoutentde m'avoir pour censeur ; et, « pour êtreplus libres dans leurs désordres, ils se prépa« rent à donner leurs suffrages à mes compétiteurs ; « mais, s'il vous reste quelque amour pour la vertu, si « voushaïssezsincèrementlevice,si vous désirez voirre« naître les temps heureux de nos ancêtres, choisissez « Valérius-Flaccus et moi, pour censeurs. » Ce discours toucha le peuple ; Caton fut élu ; et, pendant sa magistrature, il se comporta avec tant d'intégrité, que
�4^4 MÀGNÀNÏMr'fÉ. les Romains lui érigèrent une statue dans la place publique, avec cette inscription : « CATON le censeur « s'est rendu digne de ce monument, pour avoir réformé « lesmœurscorrompuesdesRomains, etramenédansla « républ ique les vertus e t Pau s térité des premi ers âges.» 16. Un cavalier du régiment de Saint-Aignan venoit de recevoir un coup de sabre dans la nuque, dans les plaines de Stadeck, en 1735. Il aperçut en même temps le commandant du détachement, qui étoit démonté, et exposé à être pris. 11 met pied à terre, et force cet officier de prendre son cheval : des hussards arrivent; le soldat se défend de son mousqueton et de son sabre, jusqu'à ce que le commandant soit sauvé : « Il vaut « mieux , dit-il , qu'un cavalier périsse ou soit fait « prisonnier, que celui qui peut rétablir le combat. » Il fut, en effet, prisonnier lui-même. 17. Un chevalier anglais proposa le duel à Castelmorant, chevalier français. L'Anglais parut dans la lice, armé de toutes pièces , à la réserve des cuisses et des jambes qu'il avoit découvertes, sous prétexte d'une incommodité au genou. Il invita leFrançais à l'imiter, lui jurant qu'il ne frapperoit point sur ces endroits. Castelmorant le crut ; mais au troisième coup, il eut la cuisse percée. Le comte deBuckinghamût conduire l'Anglais en prison , et proposa au Français de le lui remettre, afin d'en tirer une forte rançon : «Je n'ai point combattu, « répondit Castelmorant, pour gagner de l'argent, mais « pour acquérir de l'honneur. Tout ce que je demande, « c'est la liberté du prisonnier. » A cette magnanime réponse , le prince , pénétré d'admiration , envoya au généreux chevalier une coupe d'or et une somme considérable ; Castelmorant n'accepta que la coupe. \$.FrançoislY emçoïloi\,s\ir Charles-Quint àxicôié de l'intrépidi té ; mais Charles- Quint é toit plus heure ux que lui. François ne faisoit pas de difficulté de l'avouer luimême. Un parti français s'étant déguisé sous des habits de paysans, pour passer plus aisément en Piémont, au rommencement de la guerre de i535, fut découvert et enlevé par les troupes de l'empereur; et, sous prétexte que ce partin'avoit point été pris enhabitmilitaire, ceux
�42^ qui lecomposoient, au lieu d'être traités en prisonniers deguerre,farent condamnés àservir sur les galères d'Espagne. Cétoit donner au roi un exemple dangereux ; et la loi du talion pouvoit paroître raisonnable à un prince moins généreux que lui. Trois cents Allemands furent surpris presque en même temps aux îles d'Hières, où la tempête avoit jeté leur vaisseau. Ils avoient fait voile de Gênes,pour rejoindre l'armée deCatalogne,que l'empereur assembloitpour le secours dePerpignan,assiégé par le dauphin. Ces soldats furent traités en prisonniers de guerre; et le roi, à qui l'on remontrait qu'il ne tenoit qu'à lui de s'en venger, répondit : « Je n'ai garde de le « faire ; je perdrois une occasion de vaincre en vertu « Charles , à qui je suis obligé de céder en fortune. » ta. Les ames les plus stériles par l'ignorance sont quelquefois capables de nobles sentimens. Les galériens sont enchaînés deux à deux. Un de ces misérables , fort et vigoureux , reçut un coup de canne d'un officier, pour quelque faute considérable qu'il avoit commise. « Ah! s'écria le galérien furieux , je « ne survivrai pas à cet affront sanglant, puisque je ne « puis m'en venger. » Aussitôt il s'élance dans la mer, entraîne son camarade, et se noye avec lui dans les flots. 20. Des huit généraux athéniens qui avoient gagné la bataille d'Arginuses surlesLacédémoniens, six furent arrêtés sur des accusations injustes,et condamnés àmort. Comme on les conduisoit au supplice ,1'un deux appelé Diomédon , personnage d'une grande réputation pour son courage et sa probité, demanda qu'on lui permît de parler. Quand on eut fait silence : « Athéniens, dit-il, je « souhaite que lejugementquevous venez de prononcer « contre nous , ne tourne point à la perte de la ré« publique. Mais j'ai une grâce à vous demander pour « mes collègues et pour moi, c'est de nous acquitter en« vers les dieux des vœux que nous leur avons faits pour « vous et pour nous , et que nous sommes hors d'état « d'accomplir ; car c'est à leur protection invoquée « avant le combat, que nous reconnoissons être rede« vables de la victoire remportée sur les ennemis.//Il n'y eut point de bon citoyen qui ne fût attendri jusqu'aux
MAGNANIMITÉ.'
�4^6
MAGNANIMITÉ,
larmes par un discours si plein de douceur et de religion 3 et qui n'admirât avec surprise la modération magnanime de ces infortunées victimes de la calomnie. 21. Les Spartiates, commandés par Alcibiade, ayant vaincu les Athéniens, ce général fut maudit par tous les prêtres et toutes les prêtresses dAthènes , à l'exception de la seule Théano , qui, méprisant les menaces de ses collègues , refusa constamment de le faire, en disant qu'elle étoit obligée par état de prier les dieux pour tout le monde , et non pas de donner des malédictions à qui que ce fût. 22. Un officier du régiment de Champagne demandoit, pour un coup de main, douze hommes de bonne volonté. Tout le corps reste immobile, et personne ne répond. Trois fois la même demande , et trois fois le même silence. «Eh quoi! dit l'officier, Tonne m'entend € poiut ? — L'on vous entend , s'écrie une voix ; mais « qu'appelez-vous douze hommes de bonne volonté? « Nous le sommes tous , vous n'avez qu'à choisir. » 23. Le maréchal deLuxembourg, n'étantencore que comte de Boutteville, servoit dans l'armée de Flandres en 1675, sous le commandement du prince de Condé. Il aperçut, dans une marche , quelques soldats qui s'étoient écartés du gros de l'armée. Il envoya un de ses aides-de-camp pour les ramener au drapeau. Tous obéirent, excepté un seul, qui continua son chemin, Le comte, vivement offensé d'une telle désobéissance, court à lui la canne à la main , et menace de l'en frapper. Le soldat lui répond avec, sang froid , que, s'il exécutoit sa menace , il sauroit bien l'en faire repentir. Outré de la réponse, Boutteville lui décharge quelques coups , et le force de rejoindre son corps. Quinze jours après , l'armée assiéga Furnes. Boutteville chargea le colonel de tranchée de lui trouver dans le régiment un homme ferme et intrépide , pour un coup de main dont il avoit besoin , avec cent pistoles de récompense. Le soldat en question , qui passoit pour le plus brave du régiment, se présente 5 et menant avec lui trente de ses camarades , dont on lui avoit laissé le choix, il s'acquitte de sa commission, qui étoit
�MAGNIFICENCE.
4^7
des plus hasardeuses, avec un courage et un bonheur incroyables. A son retour , Boutteville , après l'avoir Lcaucoup loué , lui fit compter les cent pistoles qu'il lui avoit promises. Le soldat, sur-le-champ, les distribua à ses camarades, disant qu'il ne servoit point pour de l'argent, et demanda seulement que, sil'action qu'il venoit de faire méritoit quelque récompense , on le fît officier. A dressant ensuite la parole Au comte, il lui demanda s'il le reconnoissoit ? Sur la réponse de Boutteville, qui ne se rappeloit pas de l'avoir jamais vu : « Eh « bien ! lui dit-il, je suis le soldat que vous maltraitâtes « si fort il y a quinze jours : je vous avois bien dit que « je vous en ferois repentir. » Le com te de Boutteville, plein d'admiration, et attendri jusqu'aux larmes, l'embrassa , lui fit des excuses , et le nomma officier le même jour. 11 se l'attacha bientôt après en qualité d'un de ses aides-de-camp. Le prince de Condé , grand estimateur des belles actions , .prenoit un plaisir singulier à raconter ce trait de bravoure et de magnanimité. Voyez GÉNÉROSITÉ , GRANDEUR-D'AME , HÉROÏSME. MAGNIFICENCE. i. ïjAnaissancedeP^oZome'e-PAiZoTneforavoitrépandu l'allégresse dans toute l'Egypte. Le Syrie se distingua entre toutes les provinces; et les plus considérables du pays allèrent pour ce sujetengrandéquipageàAlexanàrie.Josèphe, qui étoit receveur-général deces provinces, I rop âgé pour faire ce voyage, y envoya en sa place le plusjeune de ses fils nomméi7yrcarc,quiavoitbeaucoup d'esprit et beaucoup d'agrément dans les manières. Le roietla reine le recurent avec bienveillance, et le firent même manger à leur table. Dans un de ces repas , les convives, qui le méprisoient comme un jeune homme sansespritet sans expérience, mirentdevantluilesosdes viandes qu'ils avoient mangées- Ln bouffon, quifaisoit rire le roi par ses bons mots, lui dit: «Vous voyez, sire, «la quanti téd'osqu'ilyadevant//)TCû72, et vous pouvez « juger par là de quelle manière son père ronge toute la»
�4â8 MAGNIFICENCE. « Syrie. >> Ces paroles firent rire le roi, et il demandai Hyrcan d'où venoit donc qu'il y avoit devant lui unes grande quantité d'os ! « Sire, lui répondit-il, faut-il s'y « étonner ? Les chiens mangent les os avec la chair, « comme vous voyez qu'ont fait ceux qui sont à la taLIt « de votre majesté ; mais les hommes se contententdj « manger la chair , et laissent les os comme j'ai fait.! Les moqueurs pour lors furent moqués, etdemeurèrerj muets et confus. Quand le jour où l'on devoit faire le présens fut arrivé , comme Hyrcan avoit répandu li bruit qu'il n'avoit. que cinqtalens à offrir, ons'attendoii qu'il seroit fort mal reçu du roi, et l'on s'en faisoitut plaisir par avance. Les plus grands présens que firent tous les autres ne montèrent pas à plus de vingt talens Mais Hyrcan offrit au prince cent jeunes garçons, bien faits et superbement vêtus , qui lui présentera! chacun un talent ; et à la reine cent jeunes filles très bien parées , dont chacune fit aussi un pareil présent: cette princesse. Toute la cour fut extraordinairenier étonnée d'une si grande magnificence. Le roi et la rein: renvoyèrent Hyrcan comblé de marques de bonté t d'amitié. Il les mériioit bien par ces riches offrandes z.Amrou, prince d'Orient, étoit si magnifique, qu'i fallôit trois cents chameaux pour porterseulementralli railde saeuisine, lorsqu'ilalloit en campagne. Ayante'; arrêté prisonnier parTsmaël, il vit près de lui le chefd sa cuisine, qui ne l'avoit pas abandonné, et luidemand s'il n'avoit rien à lui donnerpour manger. Le cuisinier qui avoit un peu de viande , la mit aussitôt dans uni marmite,et alla chercher quelqu'autre chose pour régi 1er son maître, dans sa disgrâce, le mieux qu'ilpourroit mais il ne fut pas plutôt parti, qu'un chien vint là pi' hasard, et mit la tête dans la marmite pour prendre! viande. En relevant la tête, l'anse lui tomba sur le cou et ne pouvant se dégager, il prit la fuite, et emportai; ïnarmite. A ce spectacle, Amrou, malgré son infortunf ne put s'empêcher de rire, et dit à un officier, surprisdi cette joie déplacée : «Ce matin, trois cents chameauxffi « suffisoient pas pour le transport de ma cuisine , \ « maintenant un chien n'a pas de peine à l'emporter,»
�MANIÈRES.
4
2
9
.Unmarchand d'Anvers, nommé Jean Déans, ayant été quelques millions d'or à l'empereur Charlesami, le pria de lui faire l'honneur de venir dîner chez i. L'empereur ne voulant pas le refuser àcause|del'oigalion qu'il lui avoit, accepta ses offres, et se rendit ez ce bourgeois. Il n'avoit rien épargné pour honorer nmaître;et, pour porter la magnificence à son comble, it mettre le feu à un bûcher de cannelle ; puis, prenant fflcédule que le monarque lui avoit donné pour assuncedesa dette, il la jeta dans le feu, en disant: «Sire, je vous tiens quitte à l'égard de cette obligation. » 4- Un trésorier de Denys le tyran faisoit admirer au ilosophe Aristippela. magnificence de son hôtel, où r et le marbre étoient prodigués, et dont le plancher oit couvert des plus précieux tapis : alorsle sage,ayant soin de cracher, le fit sur le visage du maître de ce lais somptueux ; et, voyant qu'il étoit furieux de cet itrage : «Ne vous fâchez pas, lui dit-il ;je crache dans l'endroit le moins propre de toute la maison. » Le sophiste Polyénus, étant entré chez ce même ristippe, y vit une table dressée et servie avec plus de agnitîcence qu'il ne convenoit à un philosophe : il en t son sentiment; mais Aristippe, dans le moment, ne rut pas faire attention à cereproche. Quelques instans rès, il invita le rigide sophiste àse mettreà table avec i ; et Polyénus l'accepta volontiers : « Ah ! ah ! dit Aristippe, où sont donc maintenant vos scrupules ? Vous blâmiez tout-à-l'heure la somptuosité de ce repas ; mais vous vous radoucissez quand il s'agit d'en prendre votre part.» Voyez DÉPENSE.
MANIÈRES. le célèbre Cyrus eut atteint l'âge de douze s , sa mhvcMandane le mena chez Astiage , roi des èdes, son aïeul, qui avoit une grande envie de le voir , ur vérifier tout le bien qu'on disoitde ce jeune piince. jv"K.y trouva dans cette cour des m œu rs bi en di ffé) entes e celles de la Perse. Le luxe, le faste, la magnificence
(^)UAND
�43o M A NIER.ï Si y régnoient par-tout. Il ne fut point ébloui t1e tout cet éclat; et, sans rien critiquer, sans rien approuver, il sut se maintenir dans les principes qu'il avoit reçus dès son enfance. Il charmo.it son grand-père par des saillies pleines d'esprit et de vivacité, et gagnoiltous les cœurs par ses manières nobles et engageantes. . Astiage, voulant lui faire perdre l'envie de retourner dans la Perse , ht préparer un repas somptueux,dans lequel tout fut prodigué , soit pour la quantité, soit pour la qualité et la dé 1 i ca tesse des m ets. Cyrui regardait avec des yeux assez indifféreras tout ce fastueux appareil ; et comme Astiage en paroissoit surpris : «Les Per« ses , dit-il, au lieu de tant de détours et de circuits « pour appaiser la faim, prennent un chemin bien plus « court pour arriver au même but ; un peu de pain et « de cresson les y conduisent.» Son grand-père luiayant permis de disposer à son gré de tons les mets qu'on avoit.servis, il les distribua sur-le-champ aux officiers du roi qui se trouvèrent présens : à l'un, parce qu'il lui apprenoit à monter à cheval ; à l'autre , parce qu'il servoitbien Astiage; à un autre, parce qu'il prenoit grand soin de sa mère.Sacas, échanson du roi, fut le seul à qui il ne donna rien. Cet officier, outre sa charge d'échanson , avoit celle d'introduire chez le roi ceux qui dévoient être admis à son audience; et comme il ne lui étoit pas possible d'accorder cette faveur à Cyrus aussi souvent qu'il la demandoit,il eut le malheur de déplaire à ce jeune prince qui lui en marqua dans cette occasion son ressentiment. Astiage témoignant quelque peine qu'on eût fait un pareil affront à cet officier , qu'il considéroitbeaucoup,etquiméritoitsonestimepar l'adresse merveilleuse avec laquelle il lui servoit à boire: «Ne « faut-il que cela, seigneur, pour mériter vos bonnes « grâces ? Je les aurai bientôt gagnées : éprouvez seule« ment mon adresse.» Aussitôt on équipe le petit Cyrus en échanson.D'un pas grave, d'unairsérieux ils'avance la serviette sur l'épaule ;et, tenant la coupe délicatement de trois doigts, il la présente au monarque avec une dextérité , une grâce qui charment Astiage ej Mandane ; ensuite il se jeté au cou de son grand-père, et, l'embrassant avec tendresse, il s'écrie plein dejoie;
\
�MANIÈRES."
« 0 Sacas ! pauvre Sacas ! te voilà perdu ; j'aurai ta charge.» Astiage lui témoigna beaucoup d'amitié. «Je ;< suis très-content, mon fils , lui dit-il : on ne peut it pas mieux servir. Vous avez cependant oublié une :< cérémonie essentielle, c'est de faire l'essai.»En effet, l'échanson avoit coutume de verser delà liqueur dans sa main gauche, et d'en goûter avant de présenter la coupe au prince. «Cen'estpoint du tout par oubli,reprit « Cyrus,qne j'ai agi de la sorte. — Eh ! pourquoi donc?—" « C'est quej 'ai craint que cetteliqueurne fût du poison. « —Du poison ! Eh ! comment cela ?— C'est qu'il n'y a t< pas long-temps que, dans un repas que vous donniez K aux grands seigneurs du votre cour , je m'aperçus •i qu'après que l'on eut tin peu bu de cette liqueur , :< la tête tourna à tous les convives. On crioit, on chantoit, on parloit à tort et à travers. Vous paroissiez :< avoir oublié, vous, que vous étiez roi, eux, qu'ils :< étaient vos sujets. Enfin, quand vous vouliez vous l< mettre à danser, vous ne pouviez pas vous soutenir. Comment ! la même chose n'arrive-t-elle jDas à :< votre père ? — Jamais : quand il a bu , il cesse ■t d'avoir soif ; et voilà tout ce qui lui en arrive. » I Durant tout le temps que Cyrus demeura à la cour Me sonaïeul, sesmanières douces et polies ne se démen■irent jamais.Il étoit doux, affable, officieux, bienfaiI ant, libéral. Si les jeunes seigneurs avoient quelque ;race à demander au prince,il la sollicitoit pour eux. hrand il y avoit contre eux quelque sujet de plainte , se rendoit leur médiateur auprès du roi : leurs 1 flaires devenoient les siennes ; et toujours il s'y irenoit si bien , que jamais il n'essuyoi de refus. oit 2.En i63g, LouisXIIIforma le siégé de ^ de Hesdin, qu'il 6 pressa vivement. Charles de la Porte, marquis de la \hilleraie, conduisoit les opérations sous les auspices monarque. En peu de temps , la brèche fut prati[able, et l'on ordonna l'assaut. On dresse les échelles; roi monte des premiers , ayant à ses côtés MM. de Meilleraie et de Puységûr. Ce dernier avoit une janne à la main. Louis la prend , et la présentant à Meilleraie : « Je vous fais maréchal de France, lui dit-il 5 voilà le bâton que je vous en donne : les
�432 MANIERES. « services que vous m'avez rendus m'obligent à cela; « vous continuerez à me bien servir. » Le nouveau maréchal répond qu'il n'est pas digne de cet honneur. « Trêve de compliment, reprend le roi d'un air obli. « géant, et avec un sourire flatteur ; je n'ai pas faitun « maréchal de meilleur coeur que vous. » Au moins jamais on n'en avoit fait d'une façon plus glorieuse. 3.La veuve de Scarron, depuis madame de Maintenon , fit long-t emps solliciter auprès de Louis XIV une petite pension de quinze cents livres , dont son époux avoit joui ; enfin, au bout de quelques années, le monarque lui en donna une de deux mille , en lui disant : « Madame , je vous ai fait attendre long« temps 5 mais vous avez tant d'amis , que j'ai voulu « avoir seul ce mérite auprès de vous. » 4- Le comte de Soissons, prince du sang , fut prié par un gentilhomme de lui rabattre la moitié des lods et ventes d'une terre qu'il ayoit achetée, et qui relevoit de ce prince. «Cette moitié n'est plus à moi,» lui dit le comte ; ce qui fit croire d'abord à ce gentilhomme , qu'il en avoit disposé en faveur de quelque autre ; mais , s'expliquant ensuite : « Elle n'est plus « à moi, ajouta-t-il ; elle est à vous, dès que vous avez « pris la peine devenir me la demander. Mais puisque « vous me laissez la disposition de l'autre moitié, trou« vez bon que je vous la donne de mon propre choix.» 5. Un Persan , de la ville de Schiras , se présenta devant Octài-Kan, empereur des Tartares, et lui dit que, sur le bruit de sa munificence, il venoitdu milieu de la Perse implorer sonsecours,pours'acquitter d'une dette de cinq cents balisches. Octaïle reçut fort bien, et ordonna qu'on lui comptât mille balisches. Ses ministres lui représentèrent que cen'étoitpas une largesse, mais une prodigalité de donner plus qu'on ne demandoit. Le prince repartit : « Ce pauvre homme a passé les « montagnes et les déserts sur le bruit de notre bien« faisance ; seroit-il généreux de ne point acquitter « cette sorte de dette , et de ne point payer le voyage « qu'il a fait, ainsi que celui qui lui reste à faire? » 6. Balzac ayant demandé au célèbre Voiture quatre
cents
�MAXIMES.
433
cents écus à emprunter, il livra aussitôt la somme; et prenant la promesse de Balzac , il écrivit, en la lui renvoyant : « Je reconnois devoir à M. de Balzac , « huit cents écus , pour le plaisir qu'il m'a fait de « m'en emprunter quatre cents. » Voyez GRÂCES , SAVOIR-VIVRE , TON ( bon ).
\\X\%X\%\^^V\'V'VV\l,%\XX,V'V'V"lXV'V'V'VVV\-\.VX'VX,VlX'V\'VX\X\'\,-X'VVVVX'V\'V\'VX\\\.VX,\.\X"t-V
MAXIMES. 1. « JUA prière , disbit souvent Abdalaziz , docteur « musulman ; la prière fait la moitié du chemin vers « Dieu ; le jeûne conduit jusqu'à la porte de son pa« lais , et l'aumône y donne l'entrée. » 2. « Celui qui entre dans la carrière des sciences , « disoit Aristote , doit jeter l'œil sur ceux qui le de« vancent, et non sur ceux qui le suivent. » 3. «11 ne faut jamaisparlerde soi nienhien, ni en mal, « disoit encore ce grand philosophe : celui qui se vante « est un orgueilleux : celui qui s'abaisse est un sot. » 4- Ondemandoità-4«faZczJa^,générallacédémonien> quel étoit le moyen de se faire des amis? «C'est,répon« dit-il, de dire aux autres les choses les plus agréables, « et de faire pour eux les plus utiles. » 5. « Lesbienfaitsj disoit Xênophon, sovAàes trophées « qu'on s'érige dans le cœur des hommes. » 6. Platon voyant un homme occupé à accumuler des richesses : « Malheureux, lui dit-il, songes à diminuer « tes désirs plutôt qu'à augmenter tes biens. » 7. « Un outrage, disoit le célèbre Héraclite, est une« étincelle jetée dans le cœur de l'offensé. Si l'on ne « s'empresse de l'éteindre, elle peut exciter un funeste « incendie ; mais que les hommes sontinsensésILefeu « commence-t-il à prendre à une maison , ils courent « tous pour arrêter les progrès de la flamme ; et quand « le flambeau de la discorde embrase un cœur , cha« cun l'attise au lieu de l'éteindre. » 8. « Un juge , disoit le philosophe Architas , est « un autel, auprès duquel les malheureux vont cher« cher un asile. » Tome IL E Q
�43-4
MÉDIOCRITÉ.
9. Agésilas , roi de Lacédémone, interrogé sur les qualités les plus nécessaires au général d'armée : « C'est, répondit-il, la hardiesse contre les ennemis, « la bienveillance envers les sujets de l'Etat, la rai« son et la prudence dans les occasions. « Qui doit l'emporter du courage et de la justice? « lui demandoit-on un jour. —Sans la justice, répon« dit-il, le courage n'est qu'une aveugle impétuosité, « plus dangereuse qu'utile. « Comment peut-on acquérir une gloire immor« telle ? lui demandoit-on encore. — En méprisant la « mort, » répondit-il; 10. « Il y a trois choses , disoit le poète Agathon, « qu'un prince ne doit jamais oublier : qu'il com« mande à des hommes ; qu'il doit obéir aux lois ; « qu'il ne commandera pas toujours. » 11. On demandoit à Agasiclès, roi de Sparte, quel est le moyen de régner sans gardes : « C'est, répon« dit le prince , de gouverner ses sujets comme un « bon père gouverne ses enfans. » 12. «Heureuse, disoit le philosophe Ze'rao7z,heureuse « la ville où l'on admire moins la beauté des édifices, « que la vertu de ceux qui les habitent ! « 13. « Heureux, s'écrioit Platon , heureux les peu« pies qui sont gouvernés par un roi philosophe ! » i4-L'empereur^eZr£enrépétoitsouventdanslesénat, ces belles paroles qui distinguent si bien le roi du tyran : « Jamais je n'oublierai que c'est le bien du « peuple , et non le mien , que je gouverne. »
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVvVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXWtt
MÉDIOCRITÉ.
^NON loin de la maison d'un parvenu, un bon vieillard jouissoit d'une cabane entourée de quelques arpens de terre, et vivoit en paix, sans désirer les richesses de son voisin. Les regards de l'homme opulent furent choqués de la cabane située à l'entrée de son parc. Il fit appeler le sage villageois qui l'habitoit : « Sais-tu bien que *v ta fortune est faite ? —'Et vous , monsieur, savez-
�M É F I A N d E. 4^ g vous que le bon Dieu, mes deux bras et mon champ « ne m'ont jamais, laissé manquer de rien? On est bien « riche quand on aie nécessaire, et plus encore quand « on sait mettre des bornes à ses désirs. J'ai travaillé « long-temps, bien long-temps! Aujourd'hui je me re« pose. Mon fils me nourrit , afin que ses enfans le « nourrissent à son tour. •— Tout cela est très-bien , « mon bon homme ; mais il s'agit de me vendre ta'câ« bane , et je te la paierai tout ce que tu voudras. — « Ah ! monsieur, y pensez-vous? G'estlepèrc de mou « grand-père qui l'a rebâtie, et cela , avant qu'il fût « question de votre château. — Mon ami, je le véirx, << point de réplique ! — Point de réplique ! J'y suis né, « les miens y sont morts, j'y veux mourir aussi. Mon« sieur, ne vous fâchez pas : j'ai quatre-vingt-dix ans « passés : peut-être que mon fils... ; mais non , il a du. « cœur. \ous le savez , il n'a pas voulu entrer à votre « service : il eût été sans doute plus opulent ; mais il « n'auroit été que valet, chez vous : chez nous il est « maître. » Voyez MODÉRATION , PAUVRETÉ.
XVXXXXXVVXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX-IXXXXXXXXXXXXXXXX
MÉFIANCE. i. -ÂBDALLA , célèbre jurisconsulte musulman, disoit qu'un docteur sage et habile devoit se méfier de ses lumières , avouer son ignorance , et prononcer souvent, rans rougir , ces paroles qui coûtent tant aux demi-savans : « Ceci me passe ; je ne le sais pas. » 2. Périclès, le plus puissant et le plus grand personnage de la Grèce, se méfioit de ses propres forces dans le gouvernement de sa patrie: et, bien différent de ces petits esprits qui, pleins d'une orgueilleuse présomption, se croient capables de tout, il ne rongissoitpoint d'associer à ses travaux des hommes de mérite, de les consulter, d'agir suivant leurs conseils , et de ne jamais rien faire par lui-même. « Celui, disoit-il, qui ne suit « que ses lumières, court grand 'ïsque de s'égarer : il « faut être ou. vain , ou insensé , pour se dire en état « d'opérer sûrement sans conseil. » Voyez' DÉFIANCE. Ee 2
l
�436
MEMOIRE.
MÉMOIRE.
i. *U N Breton étant venu à Paris, alla voir M. de S** son compatriote, auquel il demanda, par occasion , vu écu de six francs qu'il lui avoit prêté il y avoit environ une quinzaine d'années. A cette demande, M. de S** appelle son laquais :« Labrie, lui dit-il, voyez dans « cette armoire si vous n'y trouverez pas un livre. » Le domestique obéit, et remit à son maître un bouquinl demi rongé des rats, et couvert dépoussière. M. de S** le présente à son créancier qui ouvroit de grands yeux: « Prenez, monsieur, lui dit-il, prenez; c'est un prix « de mémoire que j'ai remporté dans ma jeunesse, « vous le méritez mieux que moi. » 2. Thérrùstocle avoit une mémoire si heureuse, qu'il appritparfaitement dans l'espace d'une année, la langue persane, quoique très-difficile. Un homme vint un jour lui proposer un secret pour aider la mémoire et y fixer les objets : « J'aimerois mieux, lui dit Thérrùstocle,m « secret pour oublier ce que je voudrais. » 3. Louis III avoit une mémoire admirable. L'armée française avoit eu ordre de se rassembler dans la plaine de Saint-Maurice , voisine de Piquevos : quoiqu'on y eût campé l'année précédente, on ne se souvenoit plus de sa situation, ni des chemins qu'il falloit prendre pour y arriver. Le roi prit une plume, et traça lui-même une carte du pays , avec tant d'exactitude, que l'on; trouvent jusqu'aux moindres particularités : aucun des noms n'étoit sorti de sa mémoire. 4- Une mémoire heureuse n'est pas toujours jointeà un jugement profond. Louis XIV réunissoit ces dem avantages. Un objet qui l'avoit une fois frappé , ne lui échappoitplus. Ayant rencontré un homme danslesappartemens, il lui dit sur-le-champ : « N'êtes-vous pas au « duc de*** ? Je le^reconnois, ajouta-t-il, aux boucles « d'or de vos souliers qui lui appartiennent. » En faisant faire l'exercice à ses mousquetaires, il dit positivement à l'un d'eux, que ce cheval étoitle même
�MÉMOIRE.
4^7
qui avoitétévolédepuiscinq ans à l'un de ses camarades5. Milhridate , qui comptoit sous sa domination vingt-deux nations différentes , les haranguoit chacune dans leur langue , et appeloit tous les soldats chacun par leurs noms. On raconte la même chose de Cyrus , roi de Perse , le Thémistocle, de Scipion l'Asiatiqu e , de l'empereur drien, etde plusieurs autres grands hommes : et l'on it qu'un pareil avantage éleva Othon à l'empire. 6. Hortensius, l'un des plus célèbres orateurs de l'anienne Rome, avoit une mémoire si sûre, qu'après avoir édité en lui-même un discours , sans écrire un seul ot,il le rendoit dans les mêmes termes dans lesquels l'avoit préparé. Rien ne lui échappoit : ce qu'il avoit rrangé dans son esprit, ce qu'il avoit écrit, ce qu'aoient dit les adversaires , tout lui étoit présent.Cette acuité alloit en lui jusqu'au prodige ; et l'on rapporte u'en conséquence d'une gageure faite avec un de ses oncitoyens, appelé Sisenna , il passa un jour entier à ne vente; et lorsqu'elle fut finie, il rendit compte de outes les choses qui avoient été vendues , du prix de hacune, du nom des.acheteurs, et cela par ordre, sans e tromper dans la moindre circonstance, comme il fut érifié par l'huissier-prit eur, qui le suivoit sur son vre à mesure qu'il parloit. 7. Lipse, si connu par son érudition, savoittoutel'hisire de Tacite. Ils'obligeoit à réciter motpourmottous s endroits de cet ouvrage qu'on luimarqueroit, couentantqu'on se tînt auprès deluiavec unpoignardàla ain, et qu'on l'enfonçât dans son corps, en cas qu'il e rapportât pas fidellement les paroles de l'auteur. Renaud de Beaune avoitune mémoire siheureuse, ue dans un âge très-avancé , il se souvenoit de tous s vers grecs et latins qu'il avoit lus dans sa jeunesse; il récitoit des pages entières à'Homère, quoiqu'il y it plus de quarante ans qu'il n'eût jeté les yeux sur s ouvrages de ce poète. Hu gues Doneau , jurisconsulte de Châlons - surône, au seizième siècle, avoitune sibelle mémoire,, l'il savoit par cœur tout le corps du droit. Ee S
�438 MÉMOIRE. A l'âge de dix-neuf ans, Georges Vagan d'Arezzo en Toscane, possédoit tout Virgile, et pouvoit le répéter d'unboutàrautre,depuislahniusqu'aucommeneemeiit, Joseph Scaliger apprit en vingt-un jours l'Iliade et l'Odyssée d'Homère. Chrétien Chemnitius, théologien d'Ione, savoit si hien la Bible, qu'il citoit le chapitre et le verset oùse trouvoient le passage, le mot, ou le nom propre qu'on lui proposoit. ValenûnVelthnuus, théologiendela même ville, faisoit la même chose par rapport au traité de Grotius, De Jure Pacis et Belli (du droit de lapaix et de la guerre). Nicolas Bourbon, de l'Oratoire, récitoit par cœur l'histoire de M. de Thou, et les éloges de Paul Jow) qu'il ainioit beaucoup. Le père JMénestrier, jésuite, avoit une mémoire des plus heureuses. La reine de Suède, passant à Lyon, en voulut faire une épreuve. Elle lit écrire et prononcer trois cents mots les plus bizarres et les plus extraordinaires qu'on pût imaginer ; il les répéta tous , d'abord dans l'ordre où ils avoient été écrits, et ensuite dans tel ordre et tel arrangement qu'on voulut lui proposer. Sénèque dit de lui-même , que, par un effet de mémoire , il répétoit deux mille mots détachés, dans le même ordre qu'on les lui avoit prononcés. Muret raconte qu'i 1 dicta un j cuir à un j euneCorse line multitude innombrable de mots grecs , latins et barbares , tous détachés les uns des autres , et la plupart inintelligibles. Quand il fut las de dicter, le Corse les récita sans hésiter dans le même ordre, et les répéta en renversant l'ordre, et en commençant par le dernier Il lui assura qu'il lui seroit aisé d'en répéter de la sorte jusqu'à trente-six mille. Il lit plus ; il entreprit d'enseij I gner son art à un jeune Vénitien qui se plaignoit dtj ; ga mémoire : en effet, en six jours d'exercice , l'accoutuma à retenir cinq cents vers. Cornebo Musso, évêque de Bitonto , qui assista a concile de Traite , après avoir entendu un sermon le i échoit tout entier , et même si couramment, qu'o élit dit fjt$J en éloit l'auteur,
�MÉMOIRE.
4%
Le pape Clément VI n'oublioit jamais rien de ce qu'il avoit lu ou entendu y et ce qui paroît un paradoxe , c'est que cette grande mémoire lui vint après un coup qu'il avoit reçu derrière la tête. Jules-César dictoit cinq ou six lettres à la fois, tandis qu'il écrivoit lui-même. On a vu à Paris le sieur Marcet, qui die toit en même temps à dixpersonnes,en six ouseptlanguesdifférentes, et sur des matières sérieuses. Ilfaisoitfaire l'exercice à un bataillon dans toutes les évolutions militaires, nommoit tous les soldats par le nom qu'ils avoient pris, en défilant une fois devant lui ; enfin, il se démêloit heureusement, sans autre secours que celui de la mémoire, d'une règle d'arithmétique, fût-elle de trente figures. David le Clerc , père du fameux Jean le Clerc , avoit une mémoire très-facile, quand il s'agissoit d'apprendre les langues ; mais elle devenoit infidelle, quand il falloit retenir ses sermons. On a remarqué la même chose dans M. Blondel : car il lui étoit presque impossible de prêcher, faute de mémoire. Cependant, jamais homme n'a mieux retenu que lui tout ce qu'il lisoit, noms de lieux et de personnes, et jusqu'aux jours où chaque chose s'éloit passée. Un enfant de huit ans , qui apprenoit parfaitement bien le latin , oublia tout d'un coup presque tout ce qu'il en savoit, quand les grandes chaleurs de J703 commencèrent ; deux ou trois jours de fraîcheur lui rendirent la mémoire , qu'il perdit une seconde fois quand la chaleur revint. Un Allemand, âgé de plus de soixante ans,étant à table, commença à tenir des discours sans ordre, quoiqu'il ne parût en lui aucun mal; et l'on reconnut qu'il avoit perdu tout-à-coup la mémoire qu'il avoit eue trèsbonne. On lui fit quelques remèdes, et la mémoire lui revint peu à peu. Cependant il ne connoissoit plus ses lettres; et il fallut encore quelques médicamens pour rappeler tout-à-fait cette ancienne domestique. Simon Ta/VΫZ, fameux docteur de Paris, tomba, dans sa vieillesse, dans une si profonde i gnorance, que sonfils. ayant inutilement employé plus d'une année pour lui E e .4
�44°
MENAGEMENS.
apprendre lePafe/- etl'A*BC,fut obligé de Pabandonner. Sleidan eut l'esprit si épuisé , sur la fin de sa vie, qu'il oublia son nom , celui de sa femme , et celui de ses trois filles.
MÉNAGEMENS.
1. LE fameux Valérius Publicola, collègue de Brutus dans le consulat, habitoit une maison superbe etfortélevée sur la cime du Mont-Palatin, d'où elle commandoit à la place publique, et d'où l'onremarquoit toutcequi s'y passoit. Ses avenues étoient si difficiles, qu'on n'en approchoîtqu'avec peine; de sorte que,qnandilendescendoit avec cette pompe qui environnoit les consuls, ceux qui le voyoient d'en bas, choqués de ce faste, le prenoient moins pour un consul que pour un Toi. Le peuple, qui ne faisoit que commencer à jouir de la liberté , s'alarmoit de la moindre chose qui paroissoitlui être contraire. Valérius apprit le mécontentement des Romains, par le moyen de ses amis. Aussitôt, sans disputer ni se fâcher, il assembla un grand nombre d'ouvriers ; et, la nuit même, il démolit sa maison jusqu'à la dernière pierre. Il alla ensuite loger chez ses amis , jusqu'à ce que le peuple lui eût donné une place où il pût bâtir une maison plus modeste que la première. 2. Quand, après l'expulsion des Perses, la ville d'Athènes fut cntiérementrétablie,lepeuplese voyont tranquille et paisible , chercha par toutes sortes de voies à s'emparer du gouvernement, et à le rendre absolument démocratique.Cette trame, quoique secrète,n'échappa point à la vigilance à'Aristide, partisan de l'aristocratie, et ce grand homme en prévit toutes les suites. Mais ,faisantréflexion,d'uncôté,quece peuple méritoitquelque considération à cause de là valeur qu'il avoit témoignée dans toutes les batailles qu'on venoit de gagner, et de l'autre, qu'il n'étoit pas aisé de le réduire et de le coutenir,parce qu'ayant les armes à la main , il étoit devenu plus lier que jamais par ses victoires , il crut devoir le
�MÉRITE.
441
ménager^ et user de tempérament. Il fit donc un dé~ cret qui portoit que le gouvernement seroit commun à tous les citoyens, et que les archontes seraient choisis désormais, sans distinction, parmi tous les Athéniens. ■ En accordant ainsi quelque chose au peuple , il prévint de funestes dissentions qui auraient pu causer la ruine d'Athènes et de toute la Grèce. Pisistrate, après s'être rendu maître dAthènes, regardoit sa conquête comme imparfaite, s'il n'y ajoutait i celle du sage Solon, qui toujours s'étôit fortement opIposé à son usurpation tyrannique. Bien instruit des moyens par lesquels un vieillard peut être gagné , il n'y eut point de caresses qu'il ne lui fit, point de marques d'estime et d'amitié qu'il ne lui donnât, cnluirenIdant toûtes sortes d'honneurs , en l'appelant souvent 'près de sa personne , en se déclarant hautement pour ses lois qu'il observoit effectivement lui-même, et qu'il faisoit observer aux autres. Solon, voyant qu'il n'étoit pas possible de porter Pisistrate à renoncer à la tyrannie, crut qu'il étoit de la prudence de ne point irriter l'usurpateur, en rejetant les avances qu'il lui faisoit j et il espéra qu'en entrant dans sa confidence et dans son conseil, il seroit en état de rectifier, au moins, ou de conduire une domination qu'il ne pouvoit abolir , et d'adoucir des maux qu'il n'avoit pu empêcher.
MÉRITE.
i. FRANÇOIS I combloit de bienfaits Jacques de Gourde Genouillac , dit Galiot, qui venoit de contribuer plus que personne, par le moyen de son artillerie, au gain de la bataille de Marignan en i5i5. La chambredescomptes représenta que ces récompenses étoient des aliénations du domaine. « Je le sais bien, répondit « le monarque : vous faites votre devoir de m'en aver« tir; et moi, je fais le mien, en passant par-dessus les « règles ordinaires, pour récompenser un homme ex« traordinaire. » L'envie des courtisans ne tarda point
don
�44
2
MÉRITE.
à exagérer et à rendre suspectes les richesses et les dépenses de Galiot; et le prince lui en parla. « On vous a « dit vrai, sire; je suis très-riche : je n'ai pourtant que «ce que vous m'avez donné. Tous mes Liens sont! «vous; reprenez-les : je n'aurai pointa me plaindre, et « je ne vous en servirai pas avec moins de zèle.—Mon « cher ami, reprit le roi en l'embrassant, aimez-moi ton«jours, et servez-moi comme vous avez fait. L'envie en « veut à ma gloire, quand elle en veut à vos biens : des «services tels q ue les vôtres ne peuvent ê tre assez payés.» 2. Jamais le chevalierBayard ne brigua aucune charge; jamais il n'étala aux yeux de son souverain ses longs et glorieux services, pour parvenir à quelque récompense. «Nos belles actions, disoit-il, doivent parler pour nous « etdemanderces sortes de choses qu'il est plus glorieux « de mériter, que de posséder sans en être digne. » 3. Le fameux Apelle rendoit justice avec joie au mérite des grands ouvriers, et ne rougissoit point de se les préférer à lui-même, pour de certaines qualités: ainsi il avouoit ingénument qa'Amphion l'emportoit sur lui pour la disposition, etAsclépiodore pour la régularité du dessin. Protogène, le plus grand rival de ce peintre immortel, n'étoit pas beaucoup estimé des Rhodiens, ses compatriotes. Pendant qu'Apelle étoit avec lui à Rhodes, cet artiste lui demanda ce qu'il vendoit ses ouvrages lorsqu'il y avoit mis la dernière main. «Très« peu de chose, répondit Protogène;» et il énonça une somme très-modique : «Et moi, reprit Apelle, je vous « offre cinquante talens pour chacun : je les prendrai « tous à ce prix ; » ajoutant qu'il ne seroit point en peine de s'en défaire, et qu'il les vendroit comme étant/le sa propre main. Cette offre, qui étoit sérieuse, fit ouvrir les yeux aux Rhodiens sur le mérite de leur peintre , qui, de son côté , s'en prévalut, et ne livra plus ses chefs-d'œuvre qu'à un prix très-considérable. 4-Les talens de M. Méry,fameux anatonhste, étoient si connus, quoiquepar sa conduite il s'efforçât de les cacher, que les rois d'Espagne et de Portugal lui firent alternativement les offres les plus avantageuses pour le fixer dans leurs états. Mais rien ne put vaincre l'amour
�MODÉRATION.
443
de la patrie. Sa réputation s'étoit répandue dans tout le monde savant; et cependant il en ignoroit l'éclat. Après qu'il avoit rempli, dans la dernière exactitude, les fonctions indispensables de sa profession, il se renfermoit dans son cabinet, oùilétudioit,nonpas tant les livres, que la nature même. Iln'avoitde commerce qu'avec les morts, et cela dans un sens beaucoup plus étroit qu'on ne le dit d'ordinaire des savans. lls'instruisoitdoncinfiniment; mais personne n'en eût riensu, silesopérations merveilleuses qu'il faisoittous les jours, n'eussent trahi le secret de son habileté. Ceux qui sont fortement occupés à exercer une profession ou un talent, parlent du moins plus volontiers dans l'intérieur de leur famille, soit de leurs occupations présentes, soit de leurs projets : on est obligé de les écouter, et ils ont une liberté entière de se faire valoir. Mais il n'usoit point de ses droits à cet égard : on ne le voyoit qu'aux heures des repas; et il n'y tenoit point de discours inutiles. Tout étoit enseveli dans un profond silence; et il est presque étonnant que M. Méry ait été connu. Il n'a rien mis du sien, dans sa réputation, que son rare mérite.
MODÉRATION.
1. UN insolent donna un vigoureux soufflet au célèbre Abou-Hanifah, fameux docteur musulman, etchef delà secte desHanifites: « Je pourrois, lui dit ce grand hom« me, vous rendre injure pour injure ; mais je ne le veux « point. Je pourrois vous accuser devant le calife; mais « je ne suis point délateur. Je pourrois,dans mes prières « à Dieu, me plaindre de l'outrage que vousm'avezfaitj « mais j e m'en garderai bien. Enfin j e pourrois demander « qu'au jourdujugementDieume vengeât;mais àDieu « ne plaise que je conçoive cette pensée ! Au contraire, « si ce terrible jour arrivoit dans ce moment, et que « mon intercession pût vous être utile, je ne voudrais « entrer en paradis qu'avec vous.» Exemple admirable d'une ame calme, tranquille, et disposée au pardon !
�444
MODÉRATION.
2. Dérnonides avoit les pieds lortus et tout contrefaits. Ses souliers lui ayant un jour été volés , il se contenta de s'écrier : « Puissent-ils bien aller aux « pieds de celui qui me les a pris ! » 3. L'attachement inviolable à.'Aristide pour la justice, l'obligeoit souvent de s'opposer à Thémistocle, qui, sur ce point, ne se piquoit pas de délicatesse, et qui mit en usage tontes sortes d'intrigues et de cabales pour écarter, par les suffrages du peuple, un rival qu'il trouvent toujours contraire à ses desseins ambitieux. Il parutbien dans cette occasion qu'on peut être supérieur en mérite et en vertu, sans l'être en crédit. L'éloquence impétueuse de Thémistocle l'emporta sur la justice dAristide. Il vint à bout de le faire bannir. Dans cette sorte de jugement, les citoyens donnoient leur suffrage, en écrivant le nom de l'accusé sur une coquille (i). Un paysan, qui ne savoit pas écrire, et qui ne connoissoit point Aristide, s'adressa à lui-même, pour le prier de mettre le nom d'Aristide sur sa coquille. «Cet homme » vous a-t-il fait quelque mal, dit Aristide, pour le con« damner ainsi? — Non : je ne le connois pas même ; « mais je suis fatigué, je suis blessé de l'entendrepar« tout appeler le Juste. » Le sage citoyen, sans répondre une seule parole, prit tranquillement la coquille, y écrivit son nom, et la lui rendit. Il partit pour son exil, en priant les dieux de ne pas permettre qu'il arrivât à sa patrie aucun accident qui le fît regretter. Pendant qu'on le conduisoit hors d'Athènes, un de ses ennemis lui cracha au visage. Il s'essuya sans se plaindre ; et se tournant vers le magistrat qui l'accompagnoit : « C'est à vous , lui dit-il, d'avertir cet homme , de « peur qu'il n'en agisse ainsi envers quelque autre. » On vint dire à M. Colbert que le poète Hénaut avoit fait contre lui un sonnet injurieux et satirique , très-fameux dans le temps, et qui commence par ces mots : Ministre avare et lâche, etc. Colbert refusa de le lire, et demanda seulement si le roi y étoit attaqué.
4-
(i) Elle s'appelait en grec bçpccxov, d'où est venu le nom. à'ostracisme.
�MODÉRATION.
44^
On lui répondit que non. « En ce cas, reprit ce grand «homme, qu'on laisse l'auteur tranquille. » 5. Philippe, père du grand Alexandre, assistait aux jeux olympiques. LeshabitansduPéloponnèse, àquice prince avoit rendu des services importans, l'insultaient cependant par des railleries sanglantes. Les amis du roi de Macédoine l'exhortaient à punir ces insolens ; mais ce monarque leur répondit : « Si ces gens sont assez « médians pour insulter ceux qui leur font du bien , « que ne feront-ils pas à ceux qui leur font du mal ! » Une autre fois, on lui conseilloit de détruire la ville d'Athènes, la perpétuelle rivale de sa grandeur: « Aux dieux ne plaise, répondit-il, que je renverse « le plus beau théâtre de ma gloire ! » 6. Un citoyen diffamé par ses vices,accabloit d'injures Caton l'ancien. « Au nom des dieux, lui dit ce grave « Romain, ne me forcez pas d^entrer en lice avec vous : « la partie n'est pas égale. Accoutumé à répandre sur «les autres l'opprobre dont vous êtes couvert, vous « l'emporterez aisément sur un homme aussi peu fait « pour dire des injures , que pour en recevoir. » Quelqu'un l'ayant frappé dans le bain, un de ses amis le reprit de ce qu'il souffroit cette insulte sans en tirer vengeance : « Je ne me rappelle point, dit-il, « d'avoir été frappé ; mon ressentiment a passé aussi « vite que la douleur du coup que j'ai reçu.'» 7. Le poète Sosithée récita en public des vers contre le philosophe Cléanthe. Ce sage les écouta tranquillement et sans s'émouvoir. Le peuple, charmé de sa patience vraiment stoïque , lui donna de grands applaudissemens, etchassa6Wi£Aee.Cepoète ayant ensuite témoigné son repentir à Cléanthe, ce grave personnage lui répondit: « Bacchus, Hercule et les autres dieux souf« frent bien les impertinences des poètes ; pourquoi « m'en offenserois-je, moi qui ne suis qu'un mortel ?» 8. Le musicienNicodrome,irrité des railleries du philosophe Cratès, lui donna un grand coup de poing dans le visage,qui le fit enfler. Cratès, pour toutevengeance, s'attachasurlefront une tablette où il avoit écrit : «C'est « Nicodrome qui l'a fait,» allusion plaisante à l'usage
�446 MODÉRATION. des artistes, qui mettent leur nom à leurs ouvrages, Ainsi Cratès se promenant avec sa tumeur et son écriteau, faisoit connoître à tout le monde la brutalité de Nicodrome, sans cependant sortir des règles que la modération philosophique peut prescrire. g. Le philosophe Démonax reprenoit un athlète de ce qu'après avoir remporté la victoire aux jeux olympiques, il s'abandonnoit à la mollesse. Cethomme reçut fort mal son avis, et lui jeta une grosse pierre qui lui nVj une plaie considérable à la tête.Les assistans, indignés, conseilloient au blessé d'aller trouver le magistrat: « Je vais plutôt trouver le médecin , dit le philoso« phe ; il faut guérir le mal avant de s'en venger. » îo.Quandilfut question de nommer un généralissime pour commander la flotte destinée à combattre celle de Xerxbs, les Athéniens, qui seuls en avoient fourni les deux tiers, prétendirent que cet honneur leur appartenons; et rien n'étoit plus juste que leur prétention. Cependant tous les suffrages des alliés se réunirent en faveur A'Eurybiade, lacédémonien. Thémistocle, quoique fort avide de gloire, crut que, dans cette occasion, il devoit oublier ses propres intérêts pour le bien commun de la patrie; et ayant fait entendre aux Athéniens que , pourvu qu'ils se conduisissent en gens de courage , bientôt tous les Grecs leur déféreroient d'euxmêmes le commandement; il leur persuada de céder, aussi-bien que lui, aux Spartiates. Cette sage modération de Tkémistocle sauva l'Etat ; car les alliés mcnaçoient de se retirer, si l'on prenoit un autre parti; et cette désunion eût perdu la Grèce. 11. Le maréchal cteZa.Per£evoulantdonnerduchagrin à M. de Turenne, maltraita grossièrement un de ses gardes, qui ne manqua pas de lui porter ses plaintes, « Vous êtes un fripon et un coquin, lui dit le vicomte; « car M. de la Ferté ne vous eût point frappé, si vous « ne l'eussiez pas mérité.» Il le fit mener au maréchal, pour en tirer telle justice qu'il lui plairoit. Mais M. à la Ferté reconnut, malgré lui, l'héroïque modération de Turenne. Il renvoya le garde en lui faisant compter quelques louis , et lui dit : « Rapporte à ton maître « qu'il sera toujours sage , et moi toujours fou. »
�MODERATION. 447 12. On disoit au Tasse qu'il avoit une belle occasion e se venger d'un homme qui, par haine et par jalousie, ni avoit rendu mille mauvais services. « Ce n'est pas de bien, répondit ce poète célèbre , ce n'est pas la < vie ou l'honneur que je désire ôter à cet envieux , (mais uniquement sa mauvaise volonté. » 13. La principale vertu de ThéodoseII, et celle qui aisoit le fond de son caractère, étoit une sage et noble nodestie. Placé entre Dieu et ses sujets, il apercevoit 'espace immense qui le séparoit de la divinité, et l'étroit nlervalle qui le distinguoit des autres hommes. Ilneput louffrir les hommages presque divins, qu'une adulation lassée en coutume rendoit aux statues des empereurs. m les ornoit de fleurs ; on brûloit devant elles de Penens et d'autres parfums : on se prosternoit à leurs pieds. 1 proscrivit ces honneurs idolâtres , et ordonna de réervcr àl'Etre suprême tous ces signes d'adoration, qui epeuvent convenir aux hommes,quelque élevés qu'ils oient. On raconte que ce prince s'étant éloigné de ses ens dans une chasse, arriva, très-fatigué, àunecabane cartée. C'étoit la cellule d'un anachorète qui étoitvenu, 'Egypte s'établir dans le voisinage de Constantinople. e solitaire le prit pour un officier de la cour, et le reçut vec honnêteté. Ils firent la prière, et s'assirent. Théoose entra en conversation, et lui demanda ce que faiient les moines d'Egypte : « Ils prient pour nous, répondit l'anachorète. » L'empereur , je tant les yeux de utes parts, ne vit dans la cellule qu'une corbeille où oient un morceau de pain et un vase plein d'eau. Son ôte l'invita à manger et à boire. Le prince l'accepta ; et rès ce repas frugal, s'étant fait connoître pour ce qu'il oit, comme le solitaire se j etoit à ses pieds, il le releva, lui disant : « Que vous êtes heureux, mon père, de vivre loin des affaires du siècle ! Le vrai bonheur n'habite pas sous la pourpre. Je n'ai jamais trouvé de plus grand plaisir qu'à manger votre pain et à Loire votre eau. » En même temps, ses gens, qui le erchoient, étant arrivés , il partit, en se recomandant aux prières de l'anachorète. Celui-ci , craiant que cette aventure ne lui attirât quelque consi'ration , quitta sa cellule , et s'enfuit en Egypte.
�44» MODÉRATION. i4-Madame de Richelieu, dame d'honneur de la dau>
phine, étant venue à mourir, toutes les dames delà cour briguèrent cette charge. Madame de Maintenon, qu'on jugeoit trop petite pour la remplir, mais assez grande pour la donner, étoit dépositaire des intérêts et des sentimens de chaque parti. Le roi s'en remit à la décision de madame la dauphine, qui le pria de guider son choix. Le roi l'assura qu'il ne vouloit point la gêner. La princesse lui réponditqu'ellen'avoitd'autre goûtque le sien. « Si cela est, lui dit le monarque, votre choix « sera bientôt fait. » Sur-le-champ madame la dauphine nommamadame JeiWaz'ntereo».Le roi,charmé démettre à la tête de la cour la femme qui régnoit dans son cœur, voulut être le premier témoin des transports de joie que lui causer oit cette nouvelle : tant le ccenr de madame^ Maintenon\m étoit encore peu connu ! Elle la reçut avec la plus respectueuse indifférence, et parut plus digne qu'avide de la première place. Elle lui représenta que cette charge exciteroit contre elle l'envie, qu'il falloit plutôt désarmer par la modération, qu'irriter par l'orgueil. « Quant à l'honneur, ajouta-t-elle , que celte « place me feroit, ne le trouvé-]e pas tout entier dans « l'offre que me fait votre majesté ? » Louis XIVinsista; madame de Maintenon persévéra dans son refus. «Puis« que vous ne voulez pas, lui dit enfin le roi, jouir de « mes grâces , il faut du moins, madame , que vous « jouissiez de vos refus. » Elle le supplia de garder le silence ; mais le roi ne put s'empêcher de raconter à tous ses courtisans ce rare exemple de modération. 15. Le fameux Cdius Marins, pendant son consulat, ayant vaincu les Teutons, apprit que les Cimbres étoient près d'arriver. Considérant alors que la république alloit être exposée à un nouveau danger , il différa lel triomphe qu'il avoit mérité ; et s'étant joint à CatulusA il défit les Cimbres auprès de Verceil. Cette double! victoire étoit digne d'un double triomphe. Marawsel contenta d'un seul, et voulut que son collègue le partageât avec lui. Bel exemple d'une généreuse modération, que Marins lui-même ne sut pas toujours conserver! 16. Le célèbre maréchal de Catinat commandoit en Italie
�MODERATION.
44$
Italie l'armée française contre le prince Eugène.Gêné par les ordres delà cour, il n'eut pas tout le succès qu'on attendoit ; et comme il n'avoit point de cabale qui le son tint, on lui ôta le commandement. Le maréchal de Fitteroiint choisi pour réparer les prétendues fautes de Catinat ; et le vainqueur de Stafarde et de Mnrsaille fut obligé de servir sons lui. Catawa^supportaavec une fernietéhéi'oïquel'injustice qu'on lui faisoit, ets'acquitpar lapins de gloire aux yeux des sages , que s'il eût remporté les plus éclatantes victoires. Villeroi ordonna d'abordqu'on attaquàtle princelïwgèrceau poste cleChlari, près de l'Oglio. Les officiers-généraux jugeoient qu'il étoit contre toutes les règles de la guerre d'attaquer ce poste , parce qu'il n'était d'aucune conséquence., et que les retranchemens en étaient inabordables ; qu'on ne gagnerait rien en le pf en ant, et que si on avoit le malheur de le manquer , ce qui paroissoit indubitable , on perdrait la réputation de la campagne. Villeroi envoya un aide-de-camp ordonner de sa part au maréchal de iCatinat d'attaquer. Catinat se fit répéter l'ordre trois ■Fois ; et se tournant vers les officiers qu'il commandoit : (« Allons, dit-il, allons, messieurs , il faut obéir. » On narcha aux retranchemens. Catinat chercha à se faire uer.Il fut blessé ; mais tout blessé qu'il étoit, voyant es troupes du roi rebutées , et le maréchal de Viïleoi ne donnant point d'ordre , il fit la retraite ; après Tioi il quitta l'armée , et vint à Versailles rendre ompte de sa conduite au roi, sans parler de personne» | i7.LesParthes, dans la chaleur d'une sédition, avoient détrôné\enrrolArtaba?i.Ce prince eut recours hJa.xat, oides Adiabènes,quilevades troupes pour le rétablir. esParthesserepentoient déjà d'avoir chassé leurmoarque: redoutantd'ailleurs lagnerre qui les menaçoit, 1s envoyèrent des ambassadeurs aux deuxprinces,pour eur déclarer qu'ils étaient prêts à rentrer dans leur deoir. Il se présentait cependant un obstacle à leur deseimils avoient couronné Cinnam e à la place à'Artaban; ls lui avoient juré fidélité, etils se faisoient unscrupule eviolerleur serment. Cinnajnesachant ce quiles arrêoit, écrivitaux deux rois qu'ils pouvoientvenir, et qu'il Tome IL Fi.
�^5o MODÉRATION1. céderait sans peine la couronne à son véritable maître. Aïlëùrarriyéé, Cinnamerexètn deses habits royaux,le front ceint de son diadème , alla au devant d'eux. Dès qu'il apperçut Artaban , il descer \%de cheval, et lui dit : « Prince , j'ai reçu , à la prière des Parthes , la <l couronne qu'ils vous avoient enlevée ; mais ,dèsque « j 'ai appris qu'ils vouloient vous rétablir sur le trône, « et que j'étois le seul obstacle à leurs desseins, non« seulement je ne m'y suis point opposé, mais je viens « de moi-même remettre entre vos mains l'empire qui « vous appartient.» Aussitôt.il ôte sa tiare, et la met sur la tête à'Artaban : exemple d'une modération bien rare ! Lorsqu'il s'agit du trône , les hommes , d'ordinaire , se croient dispensés d'être justes ; les plus grands crimes leur semblent permis. 18. Apollonius de Tyane t*ant à Babylone , le roi lui offrit un logement dans son palais. « Seigneur, dit « ce philosophe, si vous veniez à Tyane, ma patrie, « et que je vous invitasse à loger chez moi, voudriez« vous y consentir ?— Non , de par Jupiter ! répondit « le monarque , à moins que l'édifice où vous vou* driez me loger,ne fût assez spacieux pour contenir « tous mes officiers et toute ma garde.— Je suis dans « le même cas , répliqua le sage : si j'étois logé au« dessus de ma condition , je ne me trouverais pas à « l'aise : car le trop fatigue plus le véritable philosophe , que le trop peu ne vous déplaît. » 19. Méandre, tyran de Samos , pour se dérober aux poursuites des Perses, s'étoit retiré à Lacédémone. Il y étala des sommes d'argent considérables : il en offrit même au roiCZeWièrae;mais cet austèreLacédémonien ne voulut rien recevoir. Craignantmêmequeles richesses deMéandre ne corrompissent quelques citoyens, il alla trouver les éphores , et leur représenta qu'il étoit de l'intérêt delà patriequeMéandresortît duPéloponnèse. Les éphores suivirent son avis , et ordonnèrent au tyran fugitif de chercher une autre retraite. Un si grand mépris des richesses doit paroître incroyable dans un siècle où l'on sacrifie tout pour en acquérir. 20. Timoléon, après avoir chassé les tyrans delà Sicile, et rendu la liberté àSyracuse,préférantleséjour dé cette
�MODÉRATION.
/^C^^N.
ville à celai de Corinlhe sa pairie , y fixa sa'oem^urès. o jouissantdu plaisir si douxdevoirtantde miiuei/s.d/hom-V mes lui devoir leur repos et leur bonheur.,Il së'^ÏÏn^y E cependant deux citoyens qui osèrent l\iccmgr>d>eph<^£* sieurs crimes,etleciter en justice.Lepeuple, q^actpro^it/ le restaurateur de la liberté , voulut se souleverCoriTre cesmalheureux,ets'opposeràleurpoursuite;mais Timo. Uon n'y voulut pas consentir: «Pourquoi, dit-il , me suis «je exposé volontairement à tant de dangers!; pourquoi « ai-je essuyé tant de fatigues et tant de travaux, si ce « n'est pour mettre chacjue citoyen de Syracuse en droit « de faire observer les lois?» Un certainZ) èménète l'accusa , en pleine assemblée, de plusieurs malversations, pendantqu'il commaudoitl'armée. Timoléonne s'arrêta pointa réfuter ces calomnies : il s'écria seulement qu'il rendoit grâces aux dieux de ce qu'ils avoient exaucé ses prières ; et qu'enfin il voyoit les Syracusains jouir de la pleine liberté de tout dire , comme il l'avoit souhaité. 21.Dion, chassé de Syracuse, après avoir rendu à cette ingrate patrie les plus signalés services, alla chercher un asile à Mégare, où Préodote remplissoit alors la suprême dignité. Dion eut un jour besoin de ses services : il se rendit dans son palais ; mais le souverain magistrat , accablé d'affaires, étoit d'un accès fort difficile. On fit long-temps attendre l'exilé de Syracuse , sans aucun égard pour sa grandeur passée. Ses amis étoient indignés de voir traiter de la sorte un homme autrefois si craint et si respecté. « Consolons-nous , mes « amis , leur dit tranquillement-Dzora: n'ai-je pas sou« vent fait la même chose, lorsque j'étois à Syracuse?» 22. Quelques habitans de l'île de Chio étant à Lacédémone, vomirent, après leur repas, sur les bancs oùs'asseyoient les éphores, et poussèrent l'indécence jusqu'à se mettre dessus pour satisfaire à leurs besoins. Lorsque cette infamiefutdécouverte, on fitune exacte recherche des auteurs de cette action, et l'on connut bientôt les coupables. Les éphores, pour toute vengeance , firent publier , par un crieur public , que les habitans de Chio seroient dispensés désormais d'observer la décence et l'honnêteté quand ils séjourneroient à Sparte. a3.Darius,filsd'Ifyst&spes, en mourant, n'avoit point
�452
M O D E R A T ï 0 N.
désigné son successeur ; et deux de ses fils, Artabazane elXerxès.se disputèreritlacouronne.Apeine le monarque eut-il rendu l'esprit, que Xerxes, profitant de l'absence de son frère, prit toutes les marques de la royauté et en exerça les fonctions.Mais aussitôt que sonfrèrefût arrivé, il quitta le diadème et la tiare qu'il pdftoit d'une manière qui ne convenoit qu'au souverain, al I a au devant de lui, et le combla d'honnêtetés. Jamais on ne vit deux rivaux si unis,ni de dispute sur une matière aussi intéressante,terminée d'une manièreplusdouceetpluspaisîble. Darius avoit trois fils de sa première femme, tous trois nés avant qu'il fût parvenu au trône ; et quatre autres à'Atosse, fille de Cyrus, saseconde femme, qui étoient nés depuis qu'on l'avoit choisi pour roi. Artabazane étoit l'aîné des premiers, etXerxèsdes seconds.Artabazane alléguoit en sa faveur , qu'étant l'aîné de tous ses frères , la coutume et l'usage de toutes les nations lui adjugeoient la succession préférablement à tout autre. Xerxes répliquoit qu'il étoit fils de Darius par Atosse, fille de Cyrus, qui avoit fondé l'empire desPerses , et qu'il étoit plus juste que la couronne de Cyrus tombât à un de ses descendans , qu'à un autre qui ne l'étoit pas. Dèmarate, roi de Lacédémone , qui, après avoir été déposé injustement par ses sujets, vivoitalors en exil à la cour de Perse, lui suggéra secrètement une autre raison: c'est qw' Artabazane étoit, à la vérité, le fils aîné de Darius, mais que lui Xerxes étoit le fils aîné duroi; qu'ainsi, Artabazane étantné lorsque son père n'é foi t encore qu'homme privé, il ne pouvoit pré tendre, par son droitd'aînesse,qu'à ses biens propres; au licuque pour lui, Xerxes, étant le fils aîné du roi,le droit de succéder à la couronne lui appartenoit. Il appuya cette raison del'exemple des Lacédémoniens,quin'appeloient à la succession duroyaurne, que des enfansqui étoient nés depuis que leur pèreétoitroi. Enfin, les deux princes convinrent de prendre pour arbitre de leur différent Artabane leur oucle , et de s'en rapporter sans appela son jugement.Pendant tout le temps que dura cette contestation , les deux frères se donnèrent réciproquement toutes les marques d'une amitié véritablement fraternelle, se faisant des présens, et s'invitant
�MODERATION.
4^3
mutuellement à des repas, d'où l'estime et la confiance cVaitoient, de part, et d'autre , toute crainte et tout soupçon , pour y faire régner une joie pure , et une pleine sécurité : spectacle Lien digne d'admiration t s'écrie Justin. Pendant que la plupart des frères se disputent , presque à main armée , un médiocre patrimoine, ceux-ci attendoient avec la plus tranquille modération un jugement qui devoit décider du pius grand empire qui fût dans l'univers. Quand Artalane eut prononcé en faveur de Xerxes, dans le moment même son frère se prosterna devant lui , le reconnaissant pour son maître, et le plaça de sa propre main sur le trône, montrant par cette conduite une grandeur d'ame véritaLlement royale , et infiniment supérieure à toutes les grandeurs humaines. Ce prompt acquiescement à une sentence si préjudiciaLle à ses intérêts n'étoit point l'effet d'une adroite politique , qui sait dissimuler dans l'occasion , et se faire honneur de ce qu'elle ne peut empêcher : c'étoit respect pour les lois , vraie affection pour un frère , indifférence pour ce qui pique si vivement l'ambition des hommes , et arme souvent les plus proches les unscontre les autres. Artabazane demeura toujours attaché constamment aux intérêts de Xerxes ; il servit toujours ce monarque avec tant d'ardeur , qu'il perdit la vie dans la bataille de Salamine , en combattant pour sa gloire. 24. T. Quintius Crispinus, l'un des soldats romains qui assiégeoient Capoue, étoitlié avec un Campanien, nommé Badius, et par les droits de l'hospitalité, etpar une amitié étroite, qui en étoitlasuite. Ce quiavoit encore contrihué à en resserrer les nœuds, c'est q 1 le Badius étant tombé malade à Rome chez Quintius , avant la révolte de Capoue, il avoit reçu de lui tous les secours qu'on peut attendre d'un bon et généreux ami. Ce Ba~ dius,yoyantles troupes romaines campées devantles murailles de Capoue, s'avança jusqu'aux premiers corpsde-garde, et demanda, à haute voix, qu'on lui fît venir Crispinus. Celui-ci, ayant été averti, crut que Badius vouloit lui parler comme à un ancien ami, et s'avança avec des dispositions pacifiques, conservant, malgré la rupture entre les deuxnationsjle souvenir d'une liaisou
•
�454
MODERAT* ION.
personnelle et particulière. Quand Badius vit qu'il étoit à portée de l'entendre : « Je vous défie au combat, dit« il à Crispinus ; montons à cheval , et voyons qui «. de vous ou de moi fera paraître plus de courage. » Crispinus, qui ne s'attendoit à rien moins, lui répondit que, l'un et l'autre, ils avoient assez d'ennemis contre qui ils pouvoient éprouver leur valeur et leurs foires. '< Pour moi, ajouta-t-il , quand je vous renconlrerois « par hasard dans la mêlée , je me détournerais , pour « ne point souiller mes mains du sang de mon ami et « de mon hôte. » Il se mettoit en devoir de retourner dans le camp. Alors Badius , plus fier qu'auparavant, commença à traiter de crainte et de lâcheté cette modération et cette honnêteté de son ami, en l'accablant de reproches que lui seul méritoit. « Tu feins , disoit« il, de vouloir épargner ma vie, parce que tu sais bien « que tu n'es pas en état de défendre là tienne contre « moi. Mais, situ crois que la guerre, qui arompul'al« liance des deux peuples, n'a pas suffisamment aboli « toutes nos liaisonsparticulières, apprends que Badius « de Capoue renonce solennellement àl'amiliéde Titus « Crispinus, Romain. Je prends à témoins dè ma décla« ration les soldats des deux armées qui m'entendent. « Je ne veux plus avoir rien de commun avec un homme « qui est venu attaquer ma patrie et mes dieux , tant « publics que particuliers. Si tu as du coeur , viens « combattre. » Crispinus , peu sensible à toutes ces. vaines e t frivoles incartades, futlongr temps sans vouloir accepter le défi : et ce ne fut que sur les instances vives et réitères de ses camarades, qui luircmontroientcombien il étoit honteux de souffrir qu'un Campanien l'insultât impunément , qu'enfin il l'accepta. Mais , avant toutes choses, sachant que tout combat particulier lui étoit interdit par les lois de la guerre, il alla demander aux consuls la liberté de combattre, hors de rang , un ennemi qui le défioit ; ce qui lui fut accordé sanspeine. Alors, muni d'un pouvoir légitime, il prend ses armes, monte à cheval ; et, ayant appelé Badius par son nom, il lui déclare qu'il est prêt à se battre contre lui. Badius se présente sur-le-champ. Us-n'eurent pasplutôtpoussé
�MODESTIE..
leurs chevaux L'un contre l'autre, que Crispinus perça l'épaule de son ennemi d'un coup de lance. Cette blessure ayant fait tomber leCampanien, le vainqueurmetpied à terre, et vole vers Badius pour achever son triomphe. Mais le lâche lui abandonne son bouclier et son cheval, prendlafuite, ets'enfoncedanssonarmée. Crispinusretourna vers les Romainsaveclesdépouillesdu vaincu, et fut conduit, avec de cris de joie et d'applaudisscmens, à la tente des généraux, qui donnèrent à sa modération et à sa valeur les récompenses qui lui étoient dues. z5.y4gésilas, roi de Lacédémone, députa vers ceux deLarisse, villedeThessalie, Xenoclès etScythes,vouT faire avec eux un traité d'alliance. Les Larisséens, sans aucun sujet, et par un de ces caprices ordinaires à la wpulace lorsqu'elle commande, firent mettre enprison es deux ambassadeurs Spartiates. Aussitôt les Lacédémoniens crièrent à l'attentat ; et, pour venger le droit desgens indignementviolé, ils voulurent assiégerla ville coupable. «Arrêtez, leuràit Agésilas;]e nevoudroispas « faire la conquête de toute laThessalie aux dépens de la « vie de l'un des deux députés ; je les perdrais certaine« ment tousdeux,sijeme rendoisà vos désirs. » Il aima donc mieux les racheter aux conditions qui lui furent imposées. On a trouvé cette action plus digne d'un honnête homme que d'un général; etl'ons'esttrornpé.N'éloit-ce pas consulter les véritables intérêts de la patrie, que de commander à sa colère pour sauver deux citoyens utiles ? Plût à Dieu que tous ceux qui gouvernent , dignes imitateurs de la modération du roi de Lacédémone , sacrifiassent leurs ressentimens , leurs intérêts même, à la conservation d'un seul hommenéeessaireau bienpublic ! ^oj-ezMÉDiocRiTÉ, RETENUE.
I
MODESTIE.
1. APRÈS la bataille de Chéronée , Philippe , roi de Macédoine , se laissa quelque temps enivrer par sa prospérité ; mais bientôt il fit réflexion snr l'état de son ame ; et, pour arrêter les progrès de l'orgueil ^ Ff4
�456
MODESTIE.
il chargea lui-même un de ses esclaves de venir tous les matins lui répéter ces paroles , en 1 "éveillant: « Roi , lève-toi , et songe que tu es homme. » 2. Quand le prêtre du temple de Jupiter-Ammon déclara le grand Alexandre fils de ce dieu : « Celan'estpas « étonnant, dit-il ; tous les hommes sont par nature fils « de Jupiter , et les hons le sont d'une manière plus .« particulière par adoption. » Comme , depuis, l'adulation publioit par-tout qu'il étoit dieu : « Le som« meil, dit-il, m'apprend bien que je suis homme. » Au sortir d'une grande maladie , il dit à ceux qui lui prodiguoient ce titre : « Cessez , mes amis , cessez « de vous moquer ; la foiblesse de ma santé m'avertit « que je suis mortel, et que je ne dois pas porter mes « pensées trop haut. » Un jdur, ayant reçu une grande blessure à la cuisse , il dit à ces mêmes courtisans qui l'environnoient : « Eh bien ! le sang que vous « voyez vous paroît-il la liqueur qui coule des'bles« sures des dieux immortels ? » Il faisoit allusion à ce qu'Homère dit dans l'Iliade , au sujet du sang qui couloit de la blessure que Vénus reçut de Diomède. 3. Après une maladie qui l'avoitcondui t aux bordsdu tombeau, Antigone, roi d'une partie de l'A§ie, dit à ses courtisans,comme^/ea:aKjre:«Cetaccidentn'estpoint: « un malheur pourmoi Reviens d'apprendre à ne point « m'enorgueillir , puisque je suis mortel. » Le poète Ilermodon l'ayant appelé, dans quelques vers, dieu,JïL du soleil; <<C'est> dit-il, cè que ce t esclave qui nettoie m;. « garde-robe, etmoi, nous avions ignoré jusqu'à ce jour. » 4- Le célèbre Paul-Emile venoit de vaincre Persée et de soumettre ponr toujours à la domination romaine, lalVlacédoine, cette patrie à'Alexandre-te-grand, et de tant de puissans monarques. Le modeste conquérant , loin de se laisser enfler d'un vain orgueil , ne s'occupa qu'à faire de sérieuses réflexions sur le caprice de la fortune. Il tendit la main à Persée avec bonté , et le releva ; après quoi, prenant avec lui ses fils , ses gendres et les fils des principaux officiers de l'armée , il se retira dans sa tente. Là , il demeura quelque temps recueilli en lui-même , sans proférer mie seule parole. Les jeunes gens qui''environnaient,
�MODESTIE.
4^7
surpris de ce silence profond, attendoient avec" respect que Paul-Emile leur parlât. Enfin, le général, sortant de ses réflexions , leur dit d'un ton grave et sérieux : « Songez, mes enfans , qu'un instant a suffi pour ren« verser la maison d'Alexandre qui étoit parvenu au « plus haut degré de puissance, et qui avoit assujetti la « plus grande partiedePunivers. Nous foulons aux pieds « cetrônejadis siflorissant; et tous ces princes,naguère « environnés d'une armée si formidable , sont réduits « en ce jour à recevoir de la main de leurs ennemis un « peu de grain pour soutenir une vie malheureuse. « Après un exemple si frappant des caprices de la force tune, qui de nous, mes enfans, osera se flatter d'une « félicité constante ? Ne vous laissez donc point enivrer « parcetorgueilfrivole,quela victoire inspire auxjeunes « cœurs, et songez que le moment de la pkis brillante « prospérité est presque toujours celui que la fortune « choisit pour nous faire éprouver quelques revers. » 5, Platon, voulant voir les jeux olympiques, se rendit à Olympe, où il logea avec des personnes qu'il ne connoissoit pas , et dont il n'étoit pas connu lui-même. Il se les attacha bientôt par ses manières polies , son caractère plein de douceur , ses discours éloignés de oute affectation , et de ce faux air de sagesse qui fait 'unique mérite de bien des gens. Ces étrangers étoient harniés de la compagnie d'un homme si aimable. Une eurparlani de Socrate, ni de son académie ; seulement 1 leur dit qu'il s'appeloit Platon. Après la célébration es jeux , ils allèrent à Athènes où le philosophe les eçut avec cette aimable politesse qui distingue les vrais âges. Alors ses hôtes lui dirent: « Faites-nous voir, s'il < vous plaît, ce disciple de Socrate, qui porte votre < nom, et dont la renommée fait par-tout tant de bruit. < Menez-nous à son école, et présentez-nous à'lui, afin que nous retirions quelque fruit de sa conversation.— C'est moi-même , >> leur répondit Platon , avec un ouris modeste. Ces étrangers furent singulièrement urpris d'apprendre qu'ils avoient eu, sans le savoir, un ompagnon de cette espèce. Us comprirent aussitôtque ut ce que l'on disoit de Platon étoit encore bien auessous du vrai} puisque un homme qui avoit tant de
�458
MODESTIE.
droit de se livrer à l'orgueil et de vanter son mérite, se piquoit cependant de la modestie la plus rare , et laissoit aux autres le soin de parler de lui. 6. Quelques pêcheurs de l'île de Cos ayant'jeté leurs filets dans la mer , des étrangers qui passoient, achetèrent le poisson qui se trouveroit pris , avant même que les filets fussent tirés ; mais, au lieu de poisson, il s'y trouva un. trépied d'or. Il y eut entre les pêcheurs et les étrangers une grande contestation : l'oracle les mit d'accord, en déclarant qu'il falloit le donner au plus sage de la Grèce. On l'envoya à Thaïes de Mil et, qui étoit alors en grande réputation : Thaïes, aussi modeste que sage , le renvoya à Bias ; celui-ci , à un autre ; et ainsi, de main en main , il revint à Thaïes, qui le consacra à Thèbes dans le temple d'Apollon : grand et rare exemple de la modestie des sages du paganisme ! 7. Agésilas , le plus grand roi peut-être qui ait honoré Lacédémone, portoit à son comble la modestie, cette vertu si rare dans les princes ; mais autant il étoit modeste , autant il détestoit l'orgueil et l'arro-.gance dans les autres. Le médecin Ménécrate, ayant réussi dans la cure de quelques maladies désespérées, fut admiré du peuple qui le nomma Jupiter. Ce docte personnage, aussi vain que le sont ordinairement Lien des gens de sa profession, ne fit pas difficulté de se parer lui-même de ce surnom. Le monarque lacédémonien en reçut une lettre qui commencoit ainsi : «Méné«■ crate-Jupiter, au roi Agésilas, salut. » Le prince lui écrivit : « Le roi Agésilas , à Ménécrate , sagesse. » Ce religieux amour de la modestie s'accrut dans son aine avec l'âge , et l'accompagna jusqu'au tombeau. Près de mourir , il chargea ceux qui l'environnoient d'avoir soin qu'on ne lui érigeât nulle part aucune statue , et qu'on ne plaçât son portrait dans aucun endroit : « Si j'ai, fait, leur dit-il, quelques belles « actions, ce seront, les monumens de ma gloire ; mais, « si je n'ai rien fait qui mérite l'estime des hommes, « les portraits et les statues, ouvrages de vils ouvriers, « ne rendront point ma mémoire illustre. » o\ Quoique Frontin, écrivain célèbre, eûlrempli, avec
�MODESTIE.
c'at, les premières dignités de l'empire, sousler'gne
I
tVespasicn,\\ ne se livra jamaisau moindre sentiment orgueil; et il ne se distingua de ses concitoyens que artfri grand mérite accompagné d'une rare modestie. I défendit, par son testament, qu'on lui élevât, après amort, aucun monument superbe : «Si j'aifaif debelles actions pendant ma vie , dïsoit-il, elles feront plus d'honneur à ma mémoire qu'un vain tombeau. Si j'ai vécu dans le crime et dans l'opprobre, il n'est pas besoin qu'un magnifique mausolée éternise ma hon te. » 9. Pescennius-Niger ayant été proclamé empereur, xk courtisan voulut réciter devant lui son panégyriue; mais le prince ne le souffrit pas. «Faites, si vous voulez, lui dit-il, l'éloge de Scipioft' de Marins, ou de queJqu'autre ancien capitaine ; mais souvenezvous que louer les vivans, et sur-tout les empereurs, c'est s'en moquer , et les prendre pour des sots. » 10. Un flatteur ennuyeux , croyant qu'Alphonse V Jtoit fort avide de louanges, le complimenta un jour -ur sa noblesse, et lui dit avec emphase : « Sire, vous n'êtes pas simplement roi comme les autres ; vous êtes encore frère, "neveu et fils de roi. — Eh ! mon Dieu!que prouvent tous ces titres , lui répondit le sage monarque ? que je tiens la couronne de mes ancêtres , et que je l'ai eue par succession', sans avoir rien fait de grand qui me Fait méritée. » II .Le eélèbreiBorZetfwprésenlaà LovisXIVsori épître irle passage du Rhin. Après en avoir écouté la lecture : Cela estbeau, lui ditle modeste monarque ; etje vous louerois davantage, si vous m'aviez moins loué. # académie française rendoit régulièrement compte à' e prince des sujets qu'elle proposoit pour les prix. Iïy itune année où elle donna pour sujet, laquelle de utes les vertus du roi méritoit la préférence ? Dans ette occasion, on auroit pu la donner à sa modestie ; arceprince sage défendit qii'un pareilîsujetfûttraitié. 12. Le"grand Gustave-Adolpheau milieudè ses conueles,conservoitdossentimens de modestie et de piété, ienrares dans un conquérantenvironné de gloire. Etant jetourné enSxixe peu deterrrps avantlabatailledeLutzen,
;
�46o
MODE T I E.
peuple le reçut avec des acclamations extraordinaires. Ce prince, confus de tant d'honneurs, setotirnaversson chapelain Fabrice, et lui dit : «Tout me réussit; mais « je crains bien que Dieu ne me punisse de la folie du « peuple. Ne diroit-oa pas que ces gens me regardent « comme leur divinitér'GrandDieu! tu m'es témoincom« bien tous ces vains applaudissemens me déplaisent!» i3. Charles V, ayant jeté les yeux sur Bertrand du Guesclin , pour le créer connétable de France , le fit entrer clans le palais où tout son conseil étoit assemblé, et lui dit d'un ton de maître : « Du Guesclin, prenez mon « épée, et l'employez contre les ennemis de la France.» Du Guesclin la refusa, s'excusant sur son incapacité, et principalement sur sa naissance qui devoit l'éloigner d'une, si haute charge ; mais le roi lui dit : « Sachez, « messire Bertrand , que n'ai ni frère , ni cousin, ni « neveu, ni baron dans mon royaume, qui n'obéisse à « vous 5 et si quelqu'un y étoit contraire, il m'irriteroit « tellement, qu'il s'en apercevroit. Ainsi, prenez cet « office avec joie 5 et je vous en prie. » Alors ce brave guerrier, ne pouvant résister plus long-temps à la volonté d'un maître qu'il servoit avec zèle et avec courage , prit l'épée et la tira du fourreau, en disant : « Je « ne l'y remettrai jamais , qu'après avoir chassé les « ennemis du royaume. » 11 tint, en effet, sa parole. i4- Louis Xlf^ voulut honorer le maréchal Fabert du cordon bleu, sur la fin de l'an 1661 ; mais ce modeste général le refusa, prétendant qu'il ne devoit être porté que par l'ancienne noblesse. Le monarque, loin d'en être offensé, admira le généreux désintéressement du maréchal, et lui écrivit lui-même pour exalter son refus : « J'ai un regret très-sensible, lui dit-il, de voir « un homme qui, par sa valeur et sa fidélité, estpar« venu si dignement aux premières charges de ma cou« ronne, se priver lui-même de cette nouvelle marque « d'honneur , par un obstacle qui me lie les mains. « Ainsi, ne pouvant rien faire davantage pour rendre « justice à votre vertu, je vous assurerai du moins, « parceslignes,queceuxàquijevaisdistribuerlecollier, « ne peuvent jamais en recevoir plus, de lustre dans le
�M OE V B. S.
46l
t monde, que le refus que vous en faites, parunprin« cipe si généreux , vous en donne auprès de moi. » 15. Quand le vicomte Je ï wrennnerendoitcompte de ses glorieux exploits, l'admiration de toute l'Europe, on eût dit que rien n'étoit plus simple et plus ordinaire que ses actions, et qu'il n'y avoi t eu presque aucune part. Le cardinal Muzarin fît faire une relation de la journée de Bléneau. Elle commencoitparle conseil que Turenne avoit donné au maréchal d'Hoqvincourt, et dont le mépris avoit causé son entière défaite. Le vicomte pria le ministre d'ôter cet article, avant qu'on l'imprimât, lui représentant que ce maréchalavoitdéjàassezdechagrin d'avoir été battu, sans l'augmenter encore par une circonstance si mortifiante. Mais c'étoit au fond pour épargner sa modestie, etfermer la bouche à l'envie. Le cardinal eut égard à sa prière, et l'article fut supprimé. 16. Louis XIV, se promenoit dans les jardins de Versailles, entre Mansard et Le Nostre; et regardant, tantôt la façade du château , tantôt la disposition du grand parterre : « Il faut en convenir, leur dit-il, on « ne sauroit mieux réussir que vous avez fait l'un et « l'autre : tout cela est admirable. » Mansard, naturellement fier et ébloui de sa faveur , goûtoit toute la douceur d'une pareille approbation, lorsque Le Nostre répondit, avec autant d'esprit que de modestie : « Il « y a, sire , quelque chose encore de plus admirable. « — Quelque chose de plus admirable , dit le roi sur« pris ? — Oui, sire ; et c'est de voir le plus grand roi « du monde s'entretenir avec tant de bonté avec son « maçon et son jardinier. » Voyez HUMILITÉ.
IXXXXXXVlXXXXXXXXXXXXXXxaXXXXXXXXXXXXXXXXAJVXXXXXXXXXXXXXXA.XXXXXXXXXXXVXXX
MŒURS. 1. VJLÉANTHK , célèbre philosophe , disoit qu'il ne falloit que voir un homme pour connoître ses moeurs. Quelques plaisans , pour mettre le sage en défaut, lui amenèrentunhomme d'une profession infâme,mais qui, dans sa jeunesse, avoit été élevé durement, et dansdes travaux continuels. Cléanthe, voyant donc son visage
�462
M OE U R S.
hàlé , ses mains endurcies et brûlées du soleil, se tut quelque temps , et renvoya cet homme ; mais , l'ayant entendu éternuer en s'en allant, il dit aussitôt : «Je « n'en veux pas davantage , cet homme est mou C| « adonné aux plaisirs : on n'éternue pas si facilement « quand on mène une vie dure et laborieuse. » 2. LesPersesavoienten horreur le mensonge, qui pas. soit parmi e uxpour un vice bas et infamant. Vivre d'emprunt étoit ce qu'ils trouvoient de plus lâche après le mensonge. Une telle vie leur paroissoit honteuse, servile, et d'au tant plus méprisable, qu'elle portoità mentir, 3. Lycurgue, voulant réformer sa patrie, commença par bannir de Lacédémone tons les arts superflus, les poètes , les sophistes, les sculpteurs, les peintres ; ets'il conserva les musiciens, c'est que leur art, bien dirigé, lui parutpropre à animer le courage. Ensuite il partagea également les terres entre tous les citoyens, aiînquela grandeur des possessions ne mît point entre eux de différence. Quelques années après , revenant d'un Ion» ' voyage , dans le temps de la moisson , et voyant dans les campagnes les gerbes entassées et rangées dans un bel ordre, il dit, en souriant, à ses amis : « Ne semble« t-il pas que la Laconic soit l'héritage de plusieurs « frères qui viennent de faire leurs partages ? » L'argent, ce métaldazigereux, qui nourrit les vices, et qui souvent les fait éclore , étoit inconnu à Sparte: on se servoit d'une monnaie de fer , d'un si grand poids et d'une si petite valeur , qu'il falloit une charrette à deux bœufs pour porter une somme d'environ cinq cents livres , et une chambre entière pour la serrer. Pour faire encore plus vivement la guerre à la mollesse et au luxe, et déraciner entièrement l'amour des richesses , Lycurgue institua les repas publics. Afin d'en écarter toute somptuosité et toute magnificence, il ordonna que tous les citoyens mangeroient ensemble des mêmes viandes qui étoient réglées par la loi, et il leur défendit expressément de manger chez eux en particulier. En conséquence, tous les convives observoient avec grand soin celui qui ne buvoit et ne mangeoit point, et lui reprochoient son intempérance, ou sa trop grande délicatesse.
�463 Les tables étoient d'environ quinze personnes ; et, pour y être reçu, il falloit être agréé de toule la compagnie. Chacun apportoit par mois un boisseau de farine , huit mesures de vin , cinq livre* de fromage , deux livres et demie de figues , et quelque peu de leur monnaie pour l'apprêt et l'assaisonnement des vivres. On étoit obligé de se trouver à ce festin public; et, long-temps après, le roi Agis, an retour d'une expédition glorieuse, ayant voulu s'en dispenser pour manger avec la reine sa femme , fut réprimandé et puni. Les enfans même se trouvoient à ces repas ; et on lesy menoit comme à une école de sagesse et de tempérance. Là, ils entendoient de graves discours sur le gouvernement, et ne voyoient rien qui ne les instruisît. Là conversation s'égayoit souvent par desraîlleries fines et spirituelles , mais qui n'étoient jamais basses ni choquantes; et, dès qu'on s'apercevoit qu'elles offenscient quelqu'un, on s'arrêtoittouteourt: onles accoutumoit aussi au secret ; et, quand un jeune homme entroit dans la salle, le plus vieux lui disoit, en lui montrantla porte: « Rien de tout ce qui se dit ici ne sort par là. » Le plus exquis de tous leurs mets étoit ce qu'ils appeloient la sauce noire, et les vieillards la préféraient à tout ce qu'on leur servoit sur la table. Denys le tyran, s'étant trouvé à un de ces repas , n'en jugea pas de même ; et ce ragoiît lui parut détestable. « Je « n'en suis pas surpris , dit celui qui l'avoit préparé ; « l'assaisonnement y a manqué. — Et quel assaison« nement? demanda le prince. — La course, la sueur, « la fatigue, la faim, la soif ; voilà, ajouta le cuisinier, « ce qui relève ici tous nos mets. » L'occupation la plus ordinaire des Lacédémoniens étoit lâchasse et les différens exercicesdu corps. U leur étoit défendu d'exercer aucun artmécanique.l/)c»rgKe avoit voulu que ses citoyens vécussent dans un profond loisir.Lesilotes,qui él.oientuneespèced'esclaves,cultivoient et affermoient les terres des Spartiates. Il y avoit des salles communes où l'on s'assembloit pour la conversation. Quoiqu'elle roulât pour l'ordinaire sur des matières graves et sérieuses, elle étoit assaisqnnée d'un
M OE U R S.
�46/[.
M OE U R S.
sel et d'un agrément qui instruisoient et corrigeoienten divertissant. Les citoyens restoient rarement seuls: on les accoutumoit à vivre, comme les abeilles, toujours ensemble, toujours autour de leurs chefs.L'amourdela patrie et du bien commun étoit leur passion dominante, Ils ne croyoient point être à eux,maisà leur pays. Pœdarète, n'ayant pas eu l'honneur d'ê tremis au nombre des trois cents notables de la ville, s'en revint chez lui plein de joie , en s'écriant : « Que je suis heureux ! Sparte « vient de trouver aujourd'hui trois cents hommes « qui valent mieux que moi ! » Tout, dans cette cité fameuse , inspiroit l'amour de la vertu et la haine du vice , les actions des citoyens, leurs conversations , et même les inscriptions publiques. Il étoit difficile que des hommes nourris au milieu de tant de préceptes et d'exemples vivans , ne devinssent pas vertueux , de la manière au moins dontlepouvoient être les païens. Ce fut pour conserver en eux cette heureuse habitude, que Lycurgue ne permit pas à toutes sortes de personnes de voyager, de peur qu'elles ne rapportassent des mœurs étrangères et des coutumes licencieuses , qui leur auroientbientôtinspirédudégoûtpour la vie et pour les maximes de Lacédémone. Il chassaausside la ville tous les étrangers que la curiosité seule y atttiroit, craignant que chacun n'y fit entrer avec lui les défauts et les vices de son pays, et persuadé qu'il étoit plus important et plus nécessaire de fermer les portes de la ville à la corruption des mceurs,qu'auxmalades et auxpestiférés. Il ordonna que les filles fussent mariées sans dot; et, comme on lui demandoitraison de cette loi : « Je veux, « répondit-il, que la pauvreté n'empêche aucun ma« riage , et que les richesses n'en fassent aucun. » Aproprementparler, le métier etl'exercice desLacédémoniens étoient la guerre. Touttendoit là chez eux; toutrespiroilles armes.Leur vie étoit bien plus douce à l'armée qu'à la ville ; et il n'y avoit qu'eux au monde à quilaguerrefût un tempsde repos etderafraîclussement, parce qu'alors les liensdecette discipline dureetaustère qui règne à Sparte , étoient un peu relâchés, et qu'on leurlaissoit plusdeliberté. Chez eux,la première loi de la
�M OK U R S. 465 Ja guerre et la plus inviolable étoit de ne jamais fuir, quelque supérieure que fût en nombre l'armée des ennemis; de ne jamais quitter son poste,de nepoint livrer ses armes;enun mot, de vaincre oude mourir.Cettemaxime leur paroissoitsi capitale, que le ^oeteArchiloqueétant venu à Sparte, ils l'obligèrent dans le moment même d'en sortir,parce qu'ils apprirent qne dans un de ses ouvrages il avoit dit qu'il valoit mieux jeter bas ses armes y quede s'exposer à perdre la vie.Ceux qui avoientprisla fuite dans un combat étoient diffamés pour toujours. Non-seul ementonles excluoitde toutes sortes décharges etd'emplois,des assemblées, des spectacles; mais c'étoit encore une hon te de s'allier avec eux par les mariages , et on leur faisoit impunément mille outrages en public. Ils ne commencoient une action qu'après avoir imploré le secours des dieux par des prières publiques : ils combattoient comme si la divinité eût été présente; et, quand ils avoient rompu et mis en fuite leurs ennemis, ils ne les poursuivoient qu'autant qu'il le falloit pour s'assurer la victoire ; après quoi, ils se retiroient, estimant qu'il n'étoit ni glorieux ni digne de la Grèce, de tailler en pièces des gens qui cèdent et qui fuient; aussi préféroit-on une prompte retraite à la résistance, quand on combattait avec eux. l^.Minos, que la fable nous donne pour fils de Jupiter, ayantconquis l'île deCrète, et plusieurs autres contrées voisines , songea à donner, par de sages lois, une consistance solide aux états dont il s'é toit rendu maître par la force des armes. Le but qu'il se proposa fut de rendre ses sujets heureux, en les rendant vertueux. Il écarta de son royaume l'oisiveté , la volupté , le luxe , les délices,sources fécondes de tous les vices. Sachant que la liberté est regardée comme le plus doux et le plus grand des biens , et qu'elle ne peut subsister sans une parfaite union, il donna tous ses soins à resserrer ses sujets les uns, aux autres par les liens les plus étroits. Ilordonna que tous les enfans fussentnourris etélevés ensemble par troupes et par bandes, afin que, de bonne heure,on leurensei^mâtlesmêmespiïncipes etlesmêmes maximes.Leurvie étoit dure etsobre.Onlesaccoutunioit Tome IL G g
�^66 M ÔE ïl R s. à se passer de peu , à souffrir le chaud et le froid , J marcher dans des endroits rudes et escarpés , à faire entre eux de petits combats , bande contre bande , à souffrir courageusement les coups qu'ils se portaient l'un l'autre , et à s'exercer à une sorte de danse qui se faisoit les armes à la main, afin que, jusqu'à leurs divertissemens, tout ressentît la guerre, et les y formât. On leur faisoit aussi apprendre de certains airs de musique , mais d'une musique mâle et militaire. Us n etoient point instruits à monter à cheval , ni à porter des armes pesantes ; mais, en récompense , ils excelloient à tirer de l'arc, et c'étoit-là leur exercice le plus ordinaire. Minos crut devoir établir dans la Crète la communauté des tables et des repas. Outre plusieurs autres grands avantages qu'il y trouvoit, comme d'introduire dans ses états unè sorte d'égalité , les riches et les pauvres ayant la même nourriture, d'accoutumer ses sujets à une vie sobre et frugale, de cimenter l'amitié et l'union entre les citoyens par la familiarité et la gaieté qui régnent à la table, il avoit aussi en vue les exercices de la guerre , où les soldats sont obligés de manger ensemble. G'étoit le public qui fournissoit aux dépenses de la table. Des revenus de l'état, on en employoit une partie pour ce qui regarde les frais de la religion et les honoraires des magistrats ; l'autre étoit destinée pour les repas communs. Ainsi , femmes , enfans, hommes faits, vieillards, tous étoient nourris au nom et aux dépens de la république. Après le repas, les vieillards parloient des affaires d'état. La conversation rouloit le plus souvent sur l'histoire du pays , sur les actions et les vertus des grands hommes qui s'étoient distingués par leur courage d'ans la guerre , ou pour leur sagesse dans le gouvernement ; et l'on exhortait les jeunes gens qui assistoient à ces sortes d'entretiens, à se proposer ces héros comme des modèles sur lesquels ils dévoient former leurs moeurs , et régler leur conduite. Une des lois deMinos que Platon admiroit le plus., étoit celle par laquelle il étoit ordonné d'inspirer debonne heure aux jeunes gens un grand respeetpour les maximes de l'état, pour les coutumes et les usages de la
�M ÔË U R S. Lfr} patrie, sans souffrir qu'ils missent jamais en question si elles étoient sagement établies on non, parce qu'ils dévoient les regarder non comme prescrites et imposées par les hommes, mais comme émanées de la Divinité même. En effet , il avoit eu grand soin d'avertir son peuple que c'étoit Jupiter qui les lui avoit dictées. 11 eut la même attention par rapport aux magistrats et aux personnes âgées , qu'il recommandoit d'honorer d'une manière particulière ; et afin que rien ne pût donner atteinte au respect qui leur est dû , il voulut que si l'on remarquoit. eu eux quelques défauts , on n'en parlât jamais en présence des jeunes gens. 5. Les Scythes vi voient dans une grande innocence et une grande simplicité. Tous les arts leur étoient inconnus jmaisilsne connoissoient pointnon plus les vices. Ils n'avoient point partagé entre euxles terres :les campagnes étoientcitltivéesparrîucertainnombre de citoyens, mais pour un an seulement; après quoi ils étoient relevés par d'autres qui leur succédoient auxmêmes conditions. Ils n'avoient point de maison, point de demeure fixe;ils erroient sans cesse de campagne en campagne avec leurs troupeaux. Us transportoient avec eux leurs femmes et leurs enfans dans des chariots couverts de peaux, qui leur tenoient lieu de maisons. La justice y étoit observée et maintenue par le caractère propre de la nation, non par la contrainte des lois qu'ils ignoroient. Aucun crime parmi eux n'étoit puni pl us sévèrement que levol;car leurs troupeaux,quifaisoient toutes leurs richesses, n'étantjamais renfermés, comment auroientils pu subsister, si le vol n'eûtété rigoureusement interdit ? Us ne désiroient point l'or et 1 argent, comme le reste dcshommes-,et ces funestes métaux, source de tant décrimes, il leslaissoient cachés dans les entrailles de laterre.Lelaitetlemiclétoientleur principale nourriture. Usne connoissoient point l'usage delalaine et des étoffes;etpoursedéfendredesfroidsviolens etcontinuels de leur climat, ilsn'empfoyoientquedes peauxde bêtes. Ce mépris de tontes les commodités de la vie leur avoit donné une droiture de mœurs, qui les empêchoit de jamais rien désirer du bien d'autrui. S'ils faisoient la Gg 2
�468
M OE U R S.
guerre, c'^é toit pour repousser un injuste agresseur, jamais pour aequérir.Uu heureux naturel destitué des secours de l'éducation , leur avoir donné cette modération, cette sagesse où les Grecs n'ontpu parvenir, ni par les établissemens de leurs législateurs, ni par les préceptes de leurs philosophes ; et les mœurs d'une nation qu'ils appeloieutbarbare, étoient préférables à celles de cespeuples cultivés etpolis parles arts etparlessciences. Les pères croyoient, .avec raison, laisser à leurs enfans une succession précieuse, en leur laissant la paix et l'union entre eux. Un de leurs rois, nomme Scylure, se voyant près de mourir, fit venir ses enfans, et leur présentant à tous successivement un faisceau de dards liés fortement ensemble , les exhortaà les rompre.Quelques efforts qu'ils fissent, ils n'en purent venir à bout. Quand le faisceau fut délié, ils rompirent tous les dards sans peine: «Voilà, leur dit-il, l'image de ce quepour« ra parmi vous la concorde et l'union. «Pour fortifier et étendre ces avantages domestiques, ils y joignoient le secours des amis. L'amitié, chez eux, étoit regardée comme une alliance sacrée et inviolable, qui approchoit beaucoup de celle que la nature a mise entre les frères , et à laquelle on ne pouvoit donner atteinte, sans se rendre coupable d'un grand crime. 6.LesGoths se croyoient nés pour la gixerre, et n'e'toient curieux que de belles armes. lisse servoientde piques et de javelois, de flèches, d'épées et de massues : ils combattaient à pied et à cheval, mais plutôt à cheval. Leurs divertissemens consistaient à se disputer le prix de l'adresse et la force dansle maniement des armes. Ils étoient hardis et vaillans, mais avec prudence ; constans et infatigables dans leurs entreprises ; d'un esprit pénétrant et subtil. Leur extérieur n'avoit rien de rude ni de farouche; c'étoient de grands corps, bien proportionnés , avec une chevelure blonde, un teint blanG, et une physionomie agréable. Les lois de ces peuples septentrionauxn'étoientpoint, comme cellesdesRomainSj chargées d'un dé tail pointilleux, s uj ettes à mille changemens divers, et si nombreuses, qu'elles échappent à la mémoire laplus étendue : elles étoient inv ariables, sim-
�4b9 pies, courtes, claires, semblables aux avis d'un père de famille. La forme de leur législation communiquent à leurs lois une solidité inébranlable. Elles étoient discutées par le prince et par les principaux personnages de tous les ordres. Rien n'échappoit à tant de regards pénétrans. On pratiquoit avec zèle et avec constance ee que le consentement commun avoit établi. Pour les charges publiques , ces peuples ne connoissoient point les titres purement honorifiques et sans fonctions; tout étoit en action chez eux. Dans toutes les villes, et jusquesdans les bourgs, étoient des magistrats choisis par le suffrage du peuple, qui rendoient la justice, et faisoient la répartition des tributs. Chacun se marioit dans son ordre : un homme libre ne pouvoit épouser Une femme de condition servile, ni un noble une roturière. Les femmes n'apportoient pour dot que lai chasteté et la fécondité. Toute propriété étoit entre les mains des mâles, qui étoient le soutien de la patrie. Il n'etoitpas permis à une femme d'épouser un mari plus jeune qu'elle. Les parens avoient la tutelle des mineurs ; mais le premier tuteur étoit le prince. Les transports de propriété , les engagemens, les testamens se faisoient en présence des magistrats, et à la vue du peuple. Les conventions, appuyées de tant, de témoins, en étoient plus authentiques ; et le public étant instruit de ce qui appartenoit de droit à chacun, il ne restoit plus de lieu aux chicanes , au stellionat, aux prétentions frauduleuses.Les affaires s'expédioientsans longueurs, parce qu'elles se discutoient sans frais. Pour arrêter la témérité des plaideurs, on les obligeoit dé consigner des gages. Le sang des citoyens étoit précieux ; on ne le répandoit que pour les grands crimes : les autres s'expioient par argent, ou par la perte de la liberté. Le criminel étoit jugé sans appel par ses pairs. L'adultère étoit puni de la peine la plus sévère : la femme coupable étoit livrée à son mari, qui devenoit maître de ses jours. Les enfans nés d'un crime n'étoient admis ni au service militaire, ni à la fonction de juges, ni reçus en témoignage. Une veuve avoit le tiers des biensfonds du défunt, si elle ne se remariait pas : autrement Gg3
M OE U R S.
�4"Q
M OE V H S.
elle n'emportait que le tiers des meubles. Si elle se déclarait enceinte, on lui donnoit des gardes; et l'enfant né dix mois après la mort de son père, étoit censé illégitime. Celui qui avoit débauché un fille , étoit obligé de l'épouser, si la condition étoit égale; sinon il falloit qu'il la dotât, car une fille déshonorée ne pouvoit se marier sans dot : s'il ne pouvoit la doter , on le faisoit mourir. Les Goths regardoient la pureté des mœurs comme le privilège de leur nation. Ils en étoient si jaloux, que, selon un auteur de ce tempslà , punissant la fornication de leurs compatriotes , ils la pardonnoient aux Romains , comme à des. hommes foibles et incapables d'atteindre au même degré de vertu. y. Jamais peuple n'eut des mœurs plus singulières que les anciens Germains, long-temps rivaux, et enfin destructeurs de la puissance romaine. La guerre étoit leur unique passion. Ils étoient toujours armés, soit qu'ils entrassent au conseil, ou qu'ils sacrifiassent dans les temples. Au milieu de leurs assemblées, c'était par le choc de leurs armes qu'ils témoignoient leur contentement. Chez eux , celui qui perdoit son bouclier dans le combat , étoit regardé comme infâme ; et il n'avoit aucun accès , ni dans le conseil public , ni dans les temples. La première fois que l'on armoit un jeune homme, c'étoit une cérémonie publique , que les suffrages de tout le canton rendoient solennelle. Dans une assemblée générale , quelqu'un des chefs , ou le père , ou un proche parent le présentait; et, du consentement de tous les spectateurs, il lui donnoit le bouclier et la lance. C'était là le premier degré par lequel un jeune citoyen entrait dans la carrière de l'honneur: jusqu'à ce moment, il appartenoit à sa famille; alors il devenoit membre de l'état. En allant au combat, ces intrépides guerriers échauffoient leur courage par des chansons qui contenoient les éloges des héros de la nation, et des exhortations à combattre, ou à mourir, comme eux, pour la gloire de la patrie. Ce chant militaire étoifc
�471 en même temps pour eux un présage du succès de la bataille ; car , selon la grandeur et la nature du son qui résultait de leurs voix, ils concevoient des craintes ou des espérances. On croira sans peine qu'ils n'y mettaient pas beaucoup d'harmonie : un son rude , un murmure rauque , grossi encore et enflé par la répercussion de leurs boucliers qu'ils placoient à dessein devant leurs bouches ; voilà ce qui charmoit délicieusement leurs oreilles, voilà ce qui leur annonçoit la victoire. Us n'avoient point de temples ; persuadés , comme les Perses, que c'est avilir la majesté divine , que de la circonscrire dans l'enceinte étroite d'un édifice , et sous un toit, ou de lui donner une figure humaine. Us exerçoient leurs cérémonies de religion dans le plus épais de leurs forêts. Le silence et l'ombre des bois leur formoient des sanctuaires qui les pénétraient d'une religieuse frayeur, et où leur respect étoit d'autant plus grand, que leurs yeux n'étaient frappés d'aucun objet visible. Us avoient une espèce de divination qui leur étoit propre, et qu'ils tiroient de leurs chevaux. On faisoit paître dans les bois sacrés , et l'on nourrissoit aux dépens du public, des chevaux blancs, que l'on n'assujettissoit à aucun travail quï eût pour objet le service des hommes. Lorsqu'il s'agissoit de consulter par eux les ordres de la Divinité, on les atteloit à un char sacré ; et dans leur marche , le prêtre , avec le chef du canton , les accompagnoient, en observant les frémissemens et les hennissemens de ces animaux , comme autant de signes des volontés du Ciel. Us pratiquoient encore une autre manière de deviner l'événement des guerres importantes : ils tâchoient de faire quelque prisonnier sur l'ennemi, et ils l'obligeoient ensuite de combattre contre quelqu'un des leurs, armés l'un et l'autre à la mode du pays de chacun. Le succès du combat singulier étoit regardé comme un présage du sort général de la guerre. Us s'imaginoient aussi que les femmes, avoient quelque chose de sacré , de divin, de propre à les rendre les interprètes des volontés du Ciel : toujours quelque
M OE TT R S.
�4~2
M OE U R S.
prétendue prophétesse avoit leur confiance ; ètsi, par tin heureux hasard, l'événement se trouvoit conforme à ses réponses , ils alloient jusqu'à l'honorer comme déesse. Us laissoient en friche la pins grande partie de leur pays. La nécessité les contraignoit d'en cultiver seulement quelque portion pour avoir du blé ; c'étoit là l'unique tribut qu'ils exigeassent de la terre : point de jardins , point de fruits , aucun soin des prairies. Ils ignoroient jusqu'au nom de l'automne , bien loin d'en connoître les dons. L'hiver, le printemps et l'été faisoient le partage de leur année : ils ne s'attachoient pas même assez à la portion de terre qu'ils cultiVoient, pour être curieux d'en avoir la propriété. Un champ labouré par eux une année, étoit ensuite abandonné au premier occupant, sauf à en aller labourer lin autre , lorsque la diminution de leurs provisions les avertissoit du besoin. Cette pratique n'étoit pas chez eux une simple coutume introduite par les "mœurs ; c'étoit une loi , à l'observation de laquelle les magistrats tenoient la main. Us la fondoient sur différentes raisons qui par toi ent toutes de l'amour de la guerre, et de la vue des avantages que procuroit une vie simple et pauvre. En permettant à leurs citoyens de posséder des héritages, ils craignoient que le goût de l'agriculture n'émoussât celui des armes ; que Ton ne souhaitât d'étendre ses possessions , ce qui ouvriroit la porte aux injustices des puissans contre les foibles ; que l'on ne s'accoutumât à bâtir avec plus de soin et plus d'attention aux commodités ; que l'amour de l'argent, source inépuisable de factions et de querelles, ne trouvât entrée dans les cœurs : enfin , ils aliéguoient l'avantage de contenir plus aisément le commun du peuple, qui ne pouvoit manquer d'être content de son sort, en le voyant égal à celui des premiers et des grands de la nation. Leurs bestiaux, petits, maigres, sans beauté, mais en grand nombre , faisoient toute leur richesse. Ou ils n'avoient point d'or ni d'argent, ou ils n'en faisoient aucun cas. Si l'on voyoit chez eux quelque
�M OE U R S.
47^
pièce d'aï-genterie , qui leur eût été donnée en présent dans une ambassade , ou bien envoyée par quelque prince étranger , jaloux de leur alliance, ils n'en tenoient pas plus de compte que de la vaisselle dé terre dont ils usoient communément. Us dormoient volontiers jusqu'au jour. Après le sommeil, ils prenoient le bain : au sortir du bain , ils se mettaient à table; leurs mets étoient le lait, lé fromage , la chair de leurs bestiaux, et celle du gibier qu'ils tuoient à la chasse. Us traitaient, dans les repas, les affaires les plus sérieuses : réconciliation entre ennemis-, mariages, élection de leurs princes, ce qui regardoit la paix et la guerre ; nul lieu ne leur paroissoit mieux convenir que la table , soit pour ouvrir les cœurs avec franchise, soit pour élever les esprits à de grandes et de nobles idées , et les pénétrer d'une chaleur toujours heureusement active. Ce peuple , sans art et sans feintise, n'avoit point alors de secrets. Lé lendemain , quand le sommeil avoit dissipé les nuages que les vapeurs bachiques avoient portées au cerveau, on pesoit mûrement les avis libres de la veille. Cette conduite , comme le remarque Tacite , étoit trèssage. Us délibéraient dans le temps où l'on ne pouvoit déguiser ses sen timens , et décidoient lorsqu'ils pouVoient le moins se tromper. Ils avoient des maisons dont l'assemblage forinoit des bourgades ; mais ces bourgades n'étaient point composées d'édifices contigus. Chaque maison était isolée , et faisoit un tout. Un particulier s'établissoit dans l'endroit qui lui avoit plu, selon que Pattiroit le voisinage d'un bois, d'une fontaine , d'un champ labourable : le terrain étoit fait pour l'homme; l'homme ne se rendoit point l'esclave des lieux qu'il avoit choisis. Là, il se construisoit un logement sans y faite entrer ni pierres ni tuiles : il n'y employoit que des pièces de bojs coupées grossièrement, sans aucune attention à l'agrément ni à la commodité ; seulement quelques endroits étaient enduiis d'une terre si propre et si brillante, qu'elle imitait les couleurs de la peinture. Us creusoicnt aussi des souterrains qu'ils cou-
�4/4
M OE U R S-
vroient d'une grande quantité de fumier ; c'étaient pour eux des asiles contre la rigueur du froid , et en même temps des magasins où ils mettaient leurs grains en sûreté contre les incursions des ennemis. Ce genre de vie leur paroissoit plus heureux que de tourmenter sans cesse , par la crainte et par l'espérance , sa fortune et celle d'autrui : aussi parvinrentils à ce rare avantage , de n'avoir pas besoin même de désirs. Leurs "spectacles étoient convenables à leurs inclinations militaires. Des jeunes gens sautaient au travers des amas de lances et d'épées nues, qui présentaient leurs pointes menaçantes ; et ils faisoient ainsi preuve de leur agilité et de leur adresse. L'unique salaire d'un badinage si hasardeux étoit le plaisir des spectateurs. La naissance faisoit leurs rois 5 le courage et l'intrépidité faisoient leurs chefs. La puissance des premiers n'était point arbitraire et sans bornes : ils étoient maîtres des hommes ; les lois étoient maîtresses des souverains. Les chefs commandoient principalement par leur exemple. Ils marchoient à la tête des troupes, ils combattaient pour la victoire; les soldats combattoient pour les chefs : c'étaient la confiance et l'admiration qu'ils inspiroient , qui précipitaient les guerriers au milieu des plus grands hasards de la guerre. Les crimes qui regardoient l'Etat étoient punis chez eux avec la dernière sévérité. Les traîtres à la patrie, les déserteurs étoient pendus à des arbres. Les lâches , ceux qui, dans les combats, avoient pris une fuite honteuse , étoient noyés sous la claie dans des bourbiers fétides. Les crimes qui n'attaquoient que les particuliers, n'étaient pas traités, à beaucoup près, avec autant de rigueur : le coupable , même dans le cas de meurtre, en étoit quitte pour un certain nombre de chevaux ou de bestiaux , qui varioit selon la grandeur de l'offense, et qui se partageoit entre le roi et la commune, d'une part ; et de l'autre, l'offensé , 0 u ceux qui poursuivoient la vengeance de sa mort. Dans cet état heureux , on ne plaisantait point sur
�M OE V R s. ^y5 les vices ; être corrompu ou corrompre , ne s'appeloit pointle train du siècle. Les bonnes mœurs avoieutplus de force parmi ces peuples , que les lois armées de la puissance n'en ont ailleurs. La polygamie était inconnue. Le mari dotoit sa femme; mais les présens qu'il lui faisoit ne tendoient ni aux délices, ni à la parure, ni au luxe ; c'étoit un attelage de bœufs , un cheval avec sa bride et son mors, un bouclier, une lance et une épée. La femme apportait réciproquement à son mari quelque pièce d'armure : voilà ce qui formoit entre les époux le lien le plus étroit et le plus sacré. La eonduite des femmes germaines étoit irréprochable. Si pourtant quelqu'une se déshonoroit par un adultère, la peine suivoit de près le crime, le mari en étoit lui-même le juge et le vengeur. En présence des deux familles , il coupoit les cheveux de sa coupable moitié ; il la dépouilloit; et après l'avoir chassée de sa maison , il la traitoit ignominieusement dans toute l'étendue de la bourgade. Aucune nation n'a jamais porté plus loin les droits et l'exercice de l'hospitalité. Refuser sa maison et sa able à qui que ce fût d'entre les mortels, c'étoit parmi es Germains un crime et une espèce d'impiété. Tout omme étoit bien venu chez eux, et traité le mieux u'il étoit possible, selon les facultés de chacun. Lorsu'elles se trouvoient épuisées, le maître du logis meoit son hôte à la maison la plus voisine, sans aucune uvitation préalable; on l'y recevoit avec une franchise areille, avec une cordialité aussi aimable. Lorsque étranger s'en alloit, s'il demandoit quelque chose qui ui eût plu , c'étoit l'usage de l'en gratifier ; et euxnèmes, à leur tour, ils demandoient avec la même implicite ce qui pouvoit leur convenir dans son équiage. Ce commerce réciproque de présens leur étoit gréable , sans que les sentimens du cœur,y entrasent pour rien. Ils n'exigeoient point de reconnoisance pour ce qu'ils avoient donné, et ne se tenoient oint obligés pour ce qu'ils avoient reçu.
�476
MORALE.
MORALE.
i. « x ^ ous ne pouvons pas faire les hommes tels que « nous voudrions , disoit souvent l'empereur Marc« Aurele ; il faut donc les supporter tels qu'ils sont, « et tirer d'eux le meilleur parti qu'il est possible. » 2. On demandoit à Thaïes un moyen sûr de régler sa conduite. « Ne faites jamais ce que vous blâmez « dans les autres , » répondit ce grand philosophe. 3. Athénodore, après avoir fait admirer long-temps sa profonde sagesse à la cour d'Auguste, demanda à ce prince la permission de retourner dans sa patrie, sous prétexte qu'il étoit trop vieux. Auguste la lui accorda; mais il le pria de lui laisser avant de partir quelque sentence morale qui pût servir à régler sa conduite : « Je le veux, répondit Athénodore ; retenez bien cette « maxime.... Toutes les fois que vous serez en colère, « répétez en vous-même les vingt-quatre lettres de Pal« phabet grec , avant de rien faire ni de rien dire. » 4- Caton l'ancien recommandoit sans cesse au magistrat d'employer toute la sévérité possible, pour réprimer les désordres qui se commettent dans une république. Son sentiment étoit que rien n'est plus dangereux pour un état que la licence des mœurs. « Un « magistrat, disoit-il, qui pourroit réprimer cette « peste de tout bon gouvernement, et ne le feroitpas, « seroit, à mon avis, digne d'être lapidé. » Tant Famé austère de ce grand homme supportoit avec peine ce qui s'écartoit de la règle ! 5. Une femme vaine et ambitieuse demandoit à Théano, épouse de Pythagore, par quel moyen elle pourroit se rendre illustre. «En filant votre quenouille, lui ré« pondit-elle , et en prenant soin de votre ménage. » 6. Les grands besoins , disoit le philosophe Favorin, naissent des grands biens 5 et souvent le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque, est de s oter celles qu'on possède. C'est à force de nous
N,
�MORTIFICATION.
477
travailler pour augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère : tout homme qui ne voudroît que vivre , vivroit heureux. 7. Lorsque Platon voyoit quelqu'un commettre une mauvaise action, il ne s'arrêtoit point à le blâmer; il rentrait en lui-mênm|; et se disoit intérieurement,: « N'ai-je jamais rieniait de semblable ? » 8. Un homme chargé d'un emploi important, demandoit au philosophe Démonax, comment il devoit se conduire: « Parlez peu, lui répondit-il, et écoutez beaucoup. » Voyez MAXIMES , MŒURS , PHILOSOPHIE. ■
MORTIFICATION.
SAINTE Paule, dit S. Jérôme, étendoit des cilices sur la terre la plus dure, et dormoit dessus, si toutefois on peut dire qu'elle dormoit; puisqu'elle passoit presque toutes les nuits entières à prier Dieu, accomplissant à la lettre cette parole du prophète-roi : «Je laverai mon « lit de mes pleurs ; toutes les nuits je l'arroserai de « mes larmes. » Il sembloit qu'il y en eût une source dans ses yeux. Elle pleuroit pour de légères fautes avec tant d'abondance , qu'on eût cru qu'elle avoit commis les plus grands crimes ; et , lorsque nous l'engagions avec instance aménager un peu sa vue, et à la conserver pour lire l'Ecriture -Sainte, elle nous répondoit : « Il faut que je défigure ce visage que j'ai « coloré autrefois avec du fard, contre le commande« ment de Dieu. Il faut que j'afflige ce corps qui a « joui de tant de délices. Il faut que je répare, par des « pleurs continuels , la longueur des ris et des diver« tissemens. Il faut que la rudesse et la dureté du ci« lice succède à la mollesse des toiles fines, et à la « magnificence des belles soies. Autrefois, je voulois « plaire à mon mari et au monde ; maintenant je veux « plaire à Jésus-Christ. » Voyez AUSTÉRITÉ.
�NAÏVETÉ.
NAÏVETÉ.
i. de Milet, $at engagé les Ioniens dans une révolte contre le roi de Perse, parcourut toutes les principales villes de la Grèce , pour engager les peuples à secourir ses compatriotes. Il vint iLacédémone , et pria Clêomhne, qui étoit pour lors sur le trône , de lui donner audience.D'abord, le monarque Spartiate refusa d'entrer dans la confédération, etconimanda au plénipotentiaire d'Ionie de sortir de Sparte avant le coucher du soleil. Aristagoras ne se rebuta point. Il suivit Cléombne jusques dans sa maison ,etemploya une autre voie pour se le rendre favorable ; ce fut celle des présens. Il commença par lui offrir dixtalens, et allant toujours en augmentant, il poussa ses offres jusqu'à cinquante. Gorgo, fille du roi, âgée pour lors de huit ou neuf ans, et à laquelle le prince n'avoit pas fait attention , s'écria , lorsqu'elle entendit toutes ces propositions : «Fuyez, mon père, fuyez : ce petit « étranger vous corrompra. » Clêomhne se mit à rire de la naïveté de sa fille , et se retira en effet. Cette même princesse, voyant un étranger qui se faisoit chausser par un domestique,dit à Cléomène : « Cora« ment, monpère,cethommen'adoncpointdemains?» Une autre fois, son père lui ayantrecommandé de bien recevoir un étranger deses amis, et deluidonnerunecertaine quantité de hlé,parce qu'il lui avoit appris unsecref pour rendre le vin plus doux : « Le beau secret ! mon « père , répondit-elle, qui nous fera boire plus de vin, et nous rendra plus délicats et moins sobres ! » 2. Le duc de Rispernon étoit sujet à beaucoup de distractions : ses naïvetés passoient en proverbe. A l'âge de dix-huit ans, il écrivit à son père une lettre sur laquelle il mit cotte adresse : « A monsieur mon père, mari de « madame ma mère , demeurant chez nous. » Il sortoit du collège des Jésuites ; il demanda à ses parens où il avoit fait ses études. Une fois il pria un astronome de lui
AHISTAGORAJ
�470 dire ce que devenoient les vieilles lunes, quand il y en avoitde nouvelles. Se trouvant un jour dans une compagnie de chasseurs, où l'onparloit avec éloge de la meute du roi, il demanda si les chiens du monarque alloient à pied à la chasse. Un homme lui racontoit la mort de Ji/les-César,assassiné dans le sénat. «Mais pourquoi,dit« il, cet empereur est-il mortsans sacremens ?Il y a tant « de prêtres à Rome ! Assurément, quoi qu'on en dise , « iln'étoit chrétien que de nom.» On van toit en sa présence l'admirable él oqu ence de Cicéron: « Oh ! cela n'es t « pas surprenant, dit-il; il a sans doute éludié chez les « Jésuites. » Une dame lui disoit qu'elle n'avoit jamais eu d'enfans. « Votre mère en a-t-elle eu?lui demanda« t-il : Ne seriez-vous point stérile de race ?» 11 alla de Toulon à Tours , où il devoit épouser une très-riche héritière ; il avoit mis sur ses tablettes en gros caractères : « Mémoire pour me faire souvenir que je dois « me marier à Tours. » En parlant d'une tempête sur mer, il dit que le vaisseau qu'il montoit prit le mors aux dents. Il,, racontoit un combat naval : il dit qu'il resta plus de trente galères sur le carreau. Uu écolier voulant voir s'il avoit bonne grâce à dormir, se regardoit dans un miroir les yeux fermés. Un homme ayant une cruche d'excellent vin, la cacheta. Son valet fit un trou par-dessous, et buvoit le vin. Le maître ayant décacheté la cruche, fut fort surpris de voir son vin diminué, sans en pouvoir deviner la cause. Quelqu'un lui dit qu'on devoit l'avoir tiré par-dessous. « Eh ! gros sot, reprit le maître , ce n'est pas par« dessous qu'il manque , c'est par-dessus. » Une autre personne étant allée voir un de ses amis malade , celui-ci ne lui répondit rien. « J'espère , dit « l'autre , que je serai aussi malade quelque jour , et « je ne vous répondrai pas non plus. » Il y avoit deux frères jumeaux , dont l'un vint à mourir : un écolier rencontrant celui qui avoit survécu à son frère , lui demanda lequel de lui ou de son frère étoit mort. Une dam e de quali té voyant lapompe funèbre de son mari, s'écria : « Ah ! que le pauvre défunt seroit aise « de voir cela, lui qui aimoit tant.les cérémonies!»
NAÏVETÉ.
�480
NAÏVETÉ.
Un concert de musique ne s'exécutoit pas Lien. Le musicien dit que c'étoit parce que le clavecin étoit trop bas. « Eh bien ! dit un homme de conseil, iln'y a qu'à « le mettre sur cette table ; il sera plus haut. » Un homme faisant un inventaire, décrivit ainsi une tapisserie de Flandres : « Item, une tapisserie àper» sonnages de bêtes. » Un bon moine chargé de faire le catalogue d'une bibliothèque, et rencontrant un livre hébreux , écrivit : « Plus, un livre dont le commencement est à la fin. » Le gouverneur d'une certaine ville répondit à son cuisinier , qui lui demandoit comment il vouloit qu'il accommodât un canard : « Faites-m'en du bœuf à la « mode. » Il acheta un tombeau, et dit qu'il ne vouloit pas qu'on y mît ames vivantes que celles de sa famille. Il étoit d'une cotterie où l'on donna un repas sans l'inviter; piqué de ce mépris: «Oh! jem'envcn« gérai, dit il ; je vais donner un grand repas où je « serai tout seul. » Voyant un jour dans sa basse-cour un amas d'ordures, il se fâcha qu'on ne les fît pas ôter. Un domestique s'excusant sur la difficulté de trouver des charretiers : « Que ne faites-vous, dit-il, une fosse «à côté, où l'on enterre roit les ordures? — Mais, « monsieur, où mettroit-on la terre qu'on tircroit de « la fosse ? —Î Eh ! grand sot, faites la fosse si'grande « que tout y puisse entrer. » Dans un souper qui fut poussé bien avant dans la nuit, on demanda à un Suisse quelle heure il étoit. 11 tire sa montre, et voit qu'il est plus de minuit. « Oh ! « oh ! messieurs , dit-il, il est déjà demain. » Cléon dit à son valet un matin : « Regarde par la fe« nêtre s'il est jour. » Le valet lui vient dire : « Mon« sieur , je ne vois point de jour. — Animal , reprit « Cléon, prends la chandelle, afin que tu voies si le jour « se lève. » Le comte de*** lui dit :. « Je viens de dîner « avec un poète qui nous a régalé au dessert d'une ex<l cellente épigramme. » Aussitôt Cléon fait venir son cuisinier : « D'où vient donc, lui dit-il, ne m'as-tu pas « encore fait manger des épigrammes ? » 3. Les rapides changemens que les fameux billets de banque,
�N A ï V E T É.
48l
banque opérèrent dans les fortunes des citoyens , au commencement du règne de Louis X V, donnèrent lieu à des scènes plaisantes,et naïves, qui peuvent ici trouver leurplace. Un particulier de basse naissance,ayan t pour toute ressource une somme cîe dix mille livres en billets d'état, les employa en actions de la première main. Il lesfit travailler avec tant de suceès,qu'en moins de trois mois il se vit en état d'avoir un équipage. C'est ce qu'il souhaitoit depuis long-temps. Pour satisfaire sa vanité , il court chez un fameux carrossier, pour commander un, carrosse des plus beaux. «Dansquel goûtle voulez-vous, «monsieur? demanda le carrossier, Le doublera-t-on, «de velours cramoisi? Y me ttra-t-on des épine ttes d'or « et d'argent ? — Oui, oui, de l'or, de l'argent, du ve« lours cramoisi ; n'importe : vous ne sauriez le faire ;< trop beau;» et tirant en même temps quatre mille livres en billets de banque : « Tenez, mon ami, ajouta«t-il, voilà des arrhes; je m'appelle un tel,.et je de« meure dans telle ru£. Je vous recommande de me le «faire livrer le plus promptement que vous pourrez. « Adieu. » Endisantces mots,il disparoît, Le carrossier courtaprèslui:«Monsieur,luicrie-t-il,monsieur,quelles. « armes voulez-vous ?—Toutes des plus belles, mon ami, >i toutes des plus belles : » puis il poursuit son chemin. Unautre favori delafortune,devenumillionnaii'e par les mêmes voies, invita quinze ou vingtpersonnes à dinerchez lui. Etant entré sur les dix heures dumatindaris son nouvel hôtel, il dit à sa femme : « Qu'on prépare « vingt couverts. — Comment ! vingt couverts ? Où vou« lez-vous que je les prenne? Vous voilà bien embar« rassée, ma mie; donnez toujours vos ordres pour notre « dîner, et j'aurai soin du reste. » Tandis que l'on travaille au festin, il monte dans son carrosse de nouvelle emplette, et va chez ûn orfèvre pour acheter de la vaisselled'argent. L'orfèvre lui ouvre ses armoires, et le prie de voir ce qui l'accommodera. Comme ilfalloitquelque temps pour lui étalersa marchandise,notre homme s'impatientant, etcroyantden'avoirpas le temps d'examiner pièce à pièce, lui dit brusquement : « Combien voulez« vous me vendre toute votre boutique ? —Mais, mon,Tome II ^ Hh
�482
N A ï V E T É.
4 sieur, vous n'y pensez pas, avec voire permission.— « Eh. ! mon dieu ! que de raisonnentens ! En un mot, * qu'est-ce que tout cela Vaut / » L'orfèvre , après avoir Vu son livre , lui dit en conscience qu'il ne pouvoitpas le lui donner à moins de quarante mille éeus, et que c'étoit le dernier mot. « Eh bien ! que de façons, monsieur, « pour si peu de chose ! » et tirant en même temps les cent vingt mille livres en billets : « Tenez, monsieur, « êtes-vous content ? Allons , dépêchons ; emballez« moi au plutôt Cette argenterie, et qu'on m'aille cher« cher quatre ou cinq fiacres. » Ses ordres furent exécutés si promptement, qu'à midi la vaisselle arriva. On la déballe, on met le service; et tous les convives arrivés, on se place à table. Lè maître ayant aperçu que les sucriers et les poivrières n'étoient que de fayence, s'emporta fort contré l'ordonnateur de son repas. « Qu'est-ce « que cela signifie ? Il me semblé què mon buffet doit être « assez bien garni, pour que l'on me serve tout en vais« selle d'argent.—Èh ! vraiment, monsieur, cen'estpas « ma faute , mais plutôt la vôtre : apparemment que « vous avez pris pour des sucriers et des poivrières, les « navettes et les encensoirs que vous avez achetés. » Un éx-laquais devenu plus riche que son maître, lui acheta toute sa maison avec des billets de banque. Les deux ou trois premiers jours de sa nouvelle fortune furent employés à courir les rues pour le plaisir de la nouveauté. Il sefaitconduireenfindanslarueQuihcampoix, où étoit le bureau de la banque, et ordonne à ses gens et à son cocher de l'attendre dans la rue Bourg -l'Abbe.Les laquais entrent dans un cabaret : pour lui, après avoir acheté ou vendu quelques actions, il se met en chemin po ur regagner son équipage. L a pluie survenant, il cou rt de toute sa force ; et oubliant dans l'instant qu'il est le maître du carrosse, il monte par habitude derrière. Son -cocher s'en étant aperçu, lui crie : «Eh ! monsieur, à « quoi pensez-vous? — Ne vois-tu pas, maraut, reprit « le maître en descendant, que je ne l'ai fait que pour « voir par moi-même combien il peut tenir à peu près « de laquais? car il m'en faut encore au moins deux.» Une blanchisseuse, à l'insu de son mari qui étoit cocher, ayant gagné quelque argent à force de travail.
�NAÏVETÉ.
4^3
avoit engagé un agent de change à lui faire avoir des premières soumissions. Ce fond ayant produit cent mille écus, cette femme ne put taire plus long-temps sa fortune à son époux. Cet homme, transporté de joie, court chez son maître pour lui demander son congé. Comme il entroit, un ami du maître lui dit : « Mon pauvre la « Tulipe, fais-moi le plaisir de me chercher un bon « cocher.—Ah ! monsieur, répondit la Tulipe, je suis « dans le même embarras que vous ; car je pense ac« tuellement à en chercher un pour moi, tel que vous « le demandez , et charité bien ordonnée commence •K par soi-même. Charlotte, ma femme, vient de gagner « plus de cent mille écus à la banque ; je ne puis plus « en douter, je les ai vus, et je venois tout hors d'ha« leine prier mon maître de se pourvoir ailleurs. Je « vais lui annoncer cette nouvelle. Adieu, monsieur.» Un monsieur de la Verdure, qui avoit troqué sa livrée pour un habit de broderie, jugea à propos d'emballer sa seigneurie dans un carrosse qu'il avoit acheté depuis peu. llétoitdevenuriche actionnaire : cette circonstance 'suffit pour ne point lui chicaner son équipage. Il avoit pris à son service un cocher de bonne mine, et deux grand laquais fort bien faits 5 car il s'y connoissoit. Ce cocher, aussi insolent que celui de quelque grand seigneur, voulut couper la file d'une suite de carrosses^ mais n'ayant pu gagner la tête des autres chevaux, par l'adresse du cocher à qui il vouloit faire cet affront, ils prirent bientôt querelle ensemble ; ce qui fut accompagné , de part et d'autre , de coups de fouet redoublés. L'actionnaire ex-laquais mettant la tête hors de la portière : « Coquin, cria-t-il au cocher adversaire, « veux-tu me donner la peine de descendre , pour « l'appliquer vingt coups de canne?» A peine eut-il prononcé le mot de canne, qu'un officier qui avoit été jusqu'alors tranquille spectateur du différent , saute de son carrosse, et oblige le menaçant de mettre pied à terre. Celui-ci fit d'abord bonne contenance ; mais quand il vit son homme mettre l'épée à la main, il fut si épouvanté , qu'il prit la fuite , en criant de toute sa, force : « A moi la livrée ! à moi la livrée ! » Hh 2
�484
NAÏVETÉ.
Ces fortunes soudaines étonnèrent ceux même qui les avoient faites. Des gens nés et nourris dans la misère , devenus tout-à-coup excessivement riches , ne pourvoient se familiariser avec leurs millions. Quelquesuns en moururent de surprise, d'autres de joie ; et plusieurs, à force de calculer, en perdirent la raison. Les femmes sur-tout d'un certain étage, l'eurent entièrement dérangée. Comme elles sont persuadées que le bien seul fait presque la différence des conditions, elles crurent qu'avec un équipage de duchesse, et un certain air de confiance, on devenoit tout-à-coup femme de qualité. Une de ces femmes fortunées alla se nicher un jour dans une des premières loges de la comédie, avec trois petites filles qui l'appeloient sa mère. Comme elle étoit superbement mise, elle fixa tous les regards. On se demandoit qui ce pouvait être, mais en vain; c'étoit la première fois qu'on la voyoit au spectacle. Quand on eut baissé la toile, elle attendit que la foule fût écoulée; après quoi, elle quitta sa loge avec ses enfans, pour aller regagner son équipage. Quelques pe-'jj tits-maîtres, qui vouloient la connoitre et la voir de près l'avoient suivie jusqu'à la porte. Quelle fut leur surprise , quand ils l'entendirent appeler ses gens du ton le plus grossier ? Elle ne fut pas plutôt montée dans une berline aussi superbe que celle d'un ambassadeur, qu'un des laquais de sa suite lui demanda : «Oùmadame « souhaite-t-elle qu'on la conduise?—Cheus nous, ré« pondit-elle d'une voix aigre et haute, cheus nous. » Aussitôt toute la livrée étrangère répéta comme par écho : Cheus nous, cheus nous ! « Quelqu'un de vous « autres , dit un des petits maîtres , connoît-il cette « dame?—Comment, sinouslaconnoissons ! c'est une « blanchisseuse en linge fin, qui s'est laissée tomber du « quatrième étage dans un carrosse, sans se blesser.» Croiroit-on que , dans ce temps de merveilles , un bossu trouva le secretde gagner unesommeconsidérable avec sa bosse , qui alloit en pente douce , à peu près comme un pupître ? Cet homme, après avoir long-temps réfléchi sur les moyens de tirer parti de son infirmité, s'avisa de la faire servir en guise de bureau portatif : en effet, il l'offrit de si bonne grâce aux actionnaires qui
�NAÏVETÉ.
4°^
cherchoient quelque lieu propre pour écrire ou pour signer , que Fou n'en fit point de façon. Sa bosse lui rapporta plus de cinquante mille livres. Cependant ces phénomènes trouvoient des incrédules. Un Parisien écrivit à son.ami, retiré en Gascogne , que M. son frère avoit gagné des sommes immenses. « A d'autres ! récrivit le provincial ; quand je « le verrai, je le croirai. » Cet ami étant allé voir le frère de cet incrédule , lui montra la lettre qu'il en avoit reçue. <? Ah ! pour le coup , dit le frère action« naire , j'ai un moyen sûr pour le détromper ; je lui « enverrai, parle premier ordinaire, deux ou trois mil« lions en billets de banque, dont je ne sais que faire : « et nous verrons qui des deux aura tort ou raison. » Il le fit, comme il l'avoit promis ; encore eût-il bien de la peine à faire revenir son frère de son préjugé : il ne crut la réalité de ce prodige qu'après avoir acheté de ce papier deux ou trois grandes seigneuries qui environnoient une petite terre dans laquelle il vivoit. Ce fut aussi dans le temps du système que le célèbre abbé Terrasson, lié de l'ami tié la plus étroite avec des personnes d'un crédit supérieur, donna la scène naïve d'un homme désintéressé, devenu tout-à-coup tropopu-*' lent.Toute son ambition se tourna aussitôtà rendresensibles les principes qui, étendant les richesses par leur circulation, bannissentl'oisivetéetl'avarice, deuxfléaux pernicieux à la société. Ce fut là tout l'empire que l'abondance prit sur lui. Il ne pouvoit s'accoutumer à être ce qu'on appelle riche. Ilsedemandoitquelquefois àluimême des besoins, des goûts nouveaux, et il ne lui en étoit point venu. Enfin il désespéroitd'en acquérir, lorsque ce superflu s'évanouit presque entièrement. « Me « voilà tiré d'affaire , dit-il alors 5 je revivrai de peu, « cela m'est plus commode. » Durant le cours de cette opulence passagère, comme il traversoit Parisien carrosse , il aperçut un de ses amis à pied. Il fit arrêter, et l'invita à monter dans sa voiture. « Quoi , lui dit son « ami en plaisantant, vous me reconnoissez encoredans « votre grande fortune?—Oh! luiréponditl'abbésurle « même ton, je réponds de moi jusqu'à deux millions. » Hh 3
�Frédéric Moul travaille-il à traduire Libanlus, lorsqu'on vint lui dire que sa femme , qui languissoit depuis quelque temps , étoit bien malade T et qu'elle vouloit lui parler : « Un instant,, un instant, je n'ai " plus que deux périodes à traduire, etpuis j'y cours.» Un second commissionnaire vint lui annoncer qu'elle est à l'extrémité. «Je n'ai plus que deux mots, et j'y « vole. » Un moment après , on lui rapporte qu'elle vient de rendre l ame. « Hélas ! j'en suis très-marri, « c'étoit la meilleure femme du monde. » Après celte courte oraison funèbre , il continua son travail. 5. Un jeune homme, à qui Corneille avoit accordé sa fille en mariage , ctan t, par le triste état de ses affaires, obligé d'y renoncer, vient le matin chez le père pour retirer sa parole, perce jusques dans son cabinet, e t lui expose les motifs de sa conduite. « Eh ! monsieur, ré« plique Corneille, ne pouvez-vous, sans m'interrom« pre , parler de tout cela à ma femme ? Montez chez « elle , je n'entends rien à toutes ces affaires. » Ceci rappelle la naïve indifférence du savant Budè. Un domestique court, tout effrayé, dans le cabinet de ce littérateur, et lui dit que le feu èst dans sa maison: « Eh bien ! lui répondit-il, avertissez ma femme; vous « savez bien que je ne me mêle pas du ménage. » ii. Brueys, auteur du Grondeur etAeYAvocatPatelin, avoit la vue si mauvaise , qu'il mangeoit avec des lune I les. Loutis XIV, qui l'aimoit, lui demanda un jour comment il se trouvoit de ses yeux : « Sire, répondit '« Brueys, mon neveu dit que je vois un peu mieux.» 7. Racine ayant mené La Fontaine, son ami, à ténèbres , et s'aperçevant que l'office lui paroissoit long, lui donna, pour l'occuper, un volume de la Bible, qui contenoit les petits prophètes. Il tombe sur la prière des Juifs dans Baruch, et ne pouvant se lasser de l'admirer , il disoit à Racine : « Quel beau génie que Baruch! « Qui étoit-il? » Le lendemain et plusieurs jours suivans , lorsqu'il rencontroit dans la rue quelques personnes de sa connoissance , après les complimens ordinaires , il élevoit sa voix pour dire : « Avez-vous '< lu Baruch ? Oh ! que c'étoit un beau génie ! »
436 4-
NAÏVETE.
�NAÏVETÉ. 4°VUn jour il vint trop tard à l'académie , et, suivant l'usage, il ne devoit pas avoir part aux jetons de cette séance. Les académiciens, qui l'aimoient tous, dirent, d'un commun accord , qu'il f'alloit, en sa faveur, faire une exception à la règle : « Non, messieurs, leur dit« il, cela ne seroit pas juste. Je suis venu trop tard, « c'est ma faute. » Etant à table chez un de ses amis, il s'ennuie de la conversation, et se lève. On lui demande où il va. Il répond : « A l'académie. » On lui représente qu'il n'est encore que deux heures. « Je le « sais bien , dit-il : aussi je prendrai le plus long. » Il s'étoit brouillé avec sa femme, etBoileau luipersuadad'aller «\ Château-Thierry seréconcilieravec elle. Il part dans la voiture publique, arrive , demande avoir sa femme, et on lui répond qu'elle est au salut. En l'attendant , il va voir,un ami qui le reçoit avec plaisir. Se trouvant bien traité , il ne désire plus rien , ne songe plus à rien, passe deux jours et deux nuits chez cet ami. La voiture repart ; il y entre et revient à Paris. Boileau, en le voyant, lui demande des nouvelles de sa réconciliation, et comment son épouse l'a reçu.«Bon, « dit-il., je n'ai pas pu la voir ; elle étoit au salut. » Quoiqu'il ne vécût point avec cette épouse, et qu'il s'inquiétât peu de sa conduite, un jour pourtant on lui inspira des soupçons ; on lui persuada même qu'il devoit se battre avec Poignan , ancien capitaine de dra^ gons , retiré à Château - Thierry , et pour qui , lui disoit-on , madame de la Fontaine avoit d'excessives complaisances. Le trop crédule fabuliste va trouver ce prétendu rival dès quatre heures du matin ; et, d'un ton menaçant, le presse de le suivre avec son épée. Poignan se lève, le suit sans savoir pourquoi ; et tous deux arrivés hors de la ville : « Je veux me battre contre .« toi , lui dit La Fontaine , on me l'a conseillé pour « mon honneur. // A ces mots, il metl'épée à la main. D'un coup de poignet son adversaire le désarme , et tous deux vont se réconcilier en déjeûnant ensemble. Se trouvant dans une maison avec son fils , qu'il n'avoit pas vu depuis long-temps , il ne le reconnut point. « Ce jeune homme a de l'esprit et du goût ». Hh4
/
�438 NAÏVETÉ. « dit-il à un voisin. — C'est votre fiis. — Ah ! ah ! « j'en suis bien aise. » Etant chez le docteur Dupin, ce même^eune homme se présenta. « Ah! voilà votre fils, dit le doc« teur. — Effectivement, répondit La Fontaine, après « avoir un peu consulté sa mémoire , je crois l'avoir « vu quelque part. » On parloit devant lui de S. Augustin. «Croyez-vous, « demandât il très sérieusement au docteur Vàlincourt, « croyez-vous que ce saint eût plus d'esprit que Rabe« lais??> Ledocteur,le rcgardantdelatèteauxpieds,lui répondit : « Prenez garde, M. de la Fontaine : vous avez « misundevosbasàl'envers;» etla remarque étoit juste. Malgré l'apparente apathiede LaFontaine, quand on le faisoit sortir de ses rêveries, et qu'on pouvoitl'intéres■ser à la conversation , il montroit autant de chaleur et d'esprit que ceux qui d'ordinaire en faisoientl'objet de leur railleries ; et il y avoit un moment du repas où Boileau crioi t : « Gare La Fontaine ! — Nos beaux esprits « ontbeaufaire, disoit Molière, il ira plus loin qu'eux. » Madame de la Sablière , qui le logeoit chez elle , étant morte, le poète se trouva sans domicile. Il rencontre un ami, riche financier , qui fait arrêter sa voiture, et lui dit : « J'ai su le malheur qui vous est -a arrivé, et j'ai lois vous prier de venir loger chez moi. « — J'y allois , » répond La Fontaine, avec une naïveté charmante qui fait honneur à l'un et à l'autre. Etant tombé mal ade, il fut confessé par le père Pouget de l'Oratoire, qui voulut l'entretenir des preuves de la religion. « Je me suis mis depuis peu, lui dit La Fonts, taine, à lire le Nouveau-Testament; jevousassure que « c'est un fort bon livre; par ma foi, c'estun bon livre.» Ce même confesseur lui conseilla défaire des aumônes, en expiation de la licence de quelques-tins de ses écrits. « Je n'ai rien, répondit le bon La Fontaine; mais on fait « une nouvelle édi tion de ces mêmes écrits, et le libraire « s'estengagé àm'en donnercentexemplaires;je vous les « enverrai pour les faire vendre au profit des pauvres. » 8. Un vieux magistrat, qui n'avoit jamais été à la comédie, s'y laissa entraîner par une compagnie, qui, pour l'y déterminer, l'assura qu'il verroit jouer VAndro-
�NAÏVE T'É. 4^9 maqueàeRacine .11 fùttrès attentifauspectacle,quifinissoitparlcsP/«zJewA?.En sortant, il trouva l'auteur, et lui dit : « Je suis, monsieur, très-content de votre Andro«maçz^c'estunebonnepiècesjesuis seulement étonné « qu'elle finisse si gaiement. J'avois d'abord eu quelque « envie depleurer ; mais la vue des petits chiens m'a fait « rire. » Le bon homme s'étoit imaginé que tout ce qu'il avoit vu représenter sur le théâtre, étoit Andromaque. 9. Un des parens de Boileau, à qui ce poète avoit fait présent de ses œuvres , lui dit, après les avoir lues : « Pourquoi , mon cousin , tout n'est-il pas de « vous dans vos ouvrages ? J'y ai trouvé deux lettres « à monsieur de Vwonne, dont l'une est de Balzac, « et l'autre de Voiture. » Ces deux lettres sont des pai'odies du style de ces deux écrivains ; et le cousin n'imaginoit pas qu'elles fussent du satirique. Un homme des plus distingués de la cour lui demanda par quelle raison il avoit fait un traité sur le sublimé. Il n'avoit fait qu'ouvrir le volume de ses oeuvres , dont Boileau lui avoit fait présent, et ayant lu sublimé pour sublime , il ne pouvoit comprendre qu'un poète eût écrit sur un tel sujet. Boileau , allant toucher sa pension au trésor royal, remit son oi'donnance à un commis, qui, y lisant ces paroles : « La pension que nous avons accordée à « Boileau, à cause de la satisfaction que ses ouvrages « nous ont donné ; » lui demanda de quelle espèce éloient ses ouvrages. « De maçonnerie , répondit-il : « je suis un architecte. » 10. Des bouchers portèrent des plaintes à un juge de ce qu'on n'amenoit point de veaux. Le juge, homme simple, prononça le décret suivant : « Sur la plainte à « nous faite par les bouchers, dans laquelleils ontallé« gué qu'il n'y avoit point de veaux au marché , nous « avons ordonné que nous nous y transporterions. » Quelque temps après , il condamna un voleur aux galères. A peine eut-il prononcé ce jugement, que , faisant réflexion sur la fatigue que ce criminel, qui étoit d'une complexion délicate, essuieroit, dans le chemin, il opina , touché de compassion , qu'il seroit pendu , pour lui épargner les peines et les dangers du voyage.
�/(.90
NAÏVETÉ.
par Reims, fut harangué par le maire, qui lui présenta des bouteilles, de vin , des poires de rousseletsèches, en lui disant: «Nous apporte tons à votre majesté notre vin, nos poires et nos « cœurs : c'est tout ce que nous avons de meillcurdans « notre ville. » Lemonarque luifrappasur l'épaule d'un air de satisfaction : « Voilà , voilà , lui dit-il, comme « j'aime les harangues. » 12. Le prince de Condé arrêta un orateur d'une petite ville au milieu de son discours, en lui disant: « Qui êtes-vous?— Monseigneur, lui répondit le ha« rangueur, je suis le second consul de la ville.—Eh! « pourquoi le premier s'est-il dispensé de me rendre « le devoir que vous remplissez ? — Que votre altesse « ait la bonté de l'excuser ; il en a une raison indis« pensable , c'est qu'il mourut hier. » Alors le prince ordonna à ce consul de continuer. 13. Charles-Quint, allant voirie cloître des Dominicains à Vienne en Autriche, rencontra sur son chemin un paysan, portant un cochon de lait, qui par ses cris incommodoit beaucoup l'empereur. Ce prince ne ponvantplus les souffrir, dit enfin au rustique: «Mon ami, « n'as-tu jamais appris à faire taire un cochon?» Ce pauvre homme lui répondit ingénument qu'il n'en savoit pas le moyen, et qu'il seroit charmé de l'apprendre. L'empereur lui dit : « Prends-le par la queue, et « tu verras qu'il ne criera plus. » Le paysan , voyant qu'ilayoitraison : «Ma foi,monsieur, lui dit-il, il faut « bien que vous ayez appris votre métier plus long« temps que moi, puisque vous l'entendez mieux.» Ce trait naïf fitrirel'empereur et tous ceux de sa suite. i4-M. Bontems'avoil placé à l'une des portes du parc -de Versailles un Suisse, avec ordre de ne laisserentrer personne.Louis XIVse présenta ;mais leSuisse lui opposa une barrière invincible. On avoit beau l«i crier : Ne voyez-vous pas que c'est le roi?«Moi le voir bien, « répondoit-il, mais lui n'entrir point; Bonterris l3a «. défendu. « Il fallut aller chercher M. Bontems pour faire entrer le roi. ] 5. Au siège deNamur , en 1.692 , un boulet de canon emporta la tête à l'un des Suisses de l'armée fran-
W.houisXIV,passant
�491 caise , qui montoient la tranchée. Un autre Suisse t son camarade, qui étoit auprès de lui, se mit à rire de toute sa force , en disant : « Ho ! ho ! cela est plaisant« il reviendra sans tête au camp. » • 16. Un capitaine suisse faisoit enterrer pêle-mêle , sur le champ de bataille , les morts et les mourans. On lui représente que quelques-uns des enterrés respiroient encore , et ne demandoient qu'à vivre. «Bon ! « bon ! dit-il, si on vouloit les écouter , il n'y en au« roit pas un de mort. » 17. U y avoità la ménageriede Versailles un fort beau dromadaire. Cet animal} transporté dans une terre étrangère, languissoitloin de son climat, beaucoup plus chaud que le nôtre.Pour ranimer sa chaleur presque éteinte, on ordonna de lui donner par jour quatre bouteilles de bon vin, avec du pain. Le soin du malade fut confié à un Suisse de la ménagerie, qui étoit exact àlui faire avaler l'ordonnance, dont il se seroit très-bien accommodé.Cependant,,m al grésonattentionscrupuleuse l'animal dépérissoit de jour en jour, et l'affaissement général de tous ses membres annoncoit une mort prochaine. Alors le bon Suisse alla, d'un air suppliant, solliciter unerécompensedessoinsqu'ilavoitrendusaumoribond. «Eh ! que voulez-vous ?lui demanda le roi. — «Sire,la survivancedu dromadaire.»Le roi ritbcaucoup de cette requête naïve, qui fut sur-le-champ appointée. 18. Louis XIf^dit à un Suisse que M.Bontems avoit posté à Marly : « Il me semble que tu es bien ivre—■ « Je vous l'avoue , sire , dit-il ; mais je vous supplie de ne le pas dire à Bontems : il me chasseroit. » 19. Madame de Montespan, qui venoit de suceéder àladuchesse delaf^allière dans le cœur de Louis X If, alla voir une de ses amies qu'elle ne trou va point. Elle recommanda bien au Suisse de dire à la dame du logis , qu'elle étoit venue pour la voir : «Me connois-tu bien ? « lui dit-elle.—Oh ! fraiment oui, mon dame,répon« dit-il ; fous l'y avoir achety la charge de mon dame « la Fallière. » 20. Un valet fort simple fut chargé par son maître de porter à son ami deux belles figues avec une lettre : il
NAÏVETÉ.
�4,92
NAÏVETÉ.
mangea une des figues en chemin ; en sorte que l'ami, instruit par la lettre qu'il y en avoit deux, lui demanda l'autre. Le val et lui dit qu'il l'avoit mangée. «Comment « donc, as-tu fait ? » Le valet prit la figue qui restait, et l'avalant : « J'ai fait comme cela. » 21.Un Gascon, qui n'étoit jamais venuàParis, etqui venoit de quitter l'habit de paysan pour porter celui de livrée, se trouva avec son maître dans une occasion où cernonsieur, accompagné de plusieurs gentilshommes, après plusieurs civilités , avoit été obligé de passer le premier dans une maison. Le nouveau débarqué, croyant qu'il étoit de son devoir de suivre son maître , pensa culbuter toute la compagnie pour aller à sa suite. Etant de retour au logis , le maître lui fit une sévère réprimande, et lui dit que, dans une pareille circonstance , il ne s'avisât pas de passer que tous les honnêtes gensnefussententrés.Quelque temps après , sonmaître allant à la rue S. Jacques par le pont Notre-Dame, etse trouvant devant l'église de S. Yves, regarda par hasard derrière lui pour voir si son laquais le suivoit ; et ne l'apercevant pas, il crut qu'il s'étoit égaré, ce qui le fit retourner sur ses pas pour savoir ce qu'il étoit devenu. Surpris de le trouver au coin du petit Châtelet, son chapeau sous son bras, illuidit en colère : « Maraut, à quoi « t'amuses-tu Pet pourquoi ne me suis-tupas ?» Lui qui avoit pris le petit Châtelet pour une porte de maison ordinaire , répliqua à son maître : «Je n'ai eu garde, « monsieur, de vous suivre, comme vous me l'avez or« donné, que tous ces honnêtesgens nefussent entrés.» 22. Un célèbre menteur, qui prenoit plaisir à débiter des aventures extraordinaires et romanesques, avoit fait présent d'une culotte à son valet Jean ,afin qu'il confirmât dans le besoin toutes les merveil les qu'il raconterait . Etant un jour dans une compagnie nombreuse , il dit que dans un de ses voyages , un vent, qui s'éleva toulà-coup, enleva le carrosse où il étoit, et les six chevaux qui le traînoient, et les' porta à deux cents pas de là. Comme on ne pouvoit point croire cette aventure, pour lui donner le sceau de la vérité,il dit: « Demandez « à Jean, mon valet ; il y étoit. » Ce domestique, qui
�49^ fut épouvanté de ce récit, commença à défaire sa culotte,en disantà son maître: «Monsieur, j'aime mieux « vous la rendre ; je n'ai pas la force de soutenir un 'i pareil mensonge. » 23. Un Seigneur, qui aimoit beaucoup la salade, dit un jour à ses métayers : « Ecoutez bien ce que j'ai à « vous dire ; je veux que dans tous mes champs on « plante des noyers pour faire de l'huile d'olive. » 24. Un particulier qui se piquoit d'esprit, voyant un tableau dans lequel étoit peint Moïse avec une grande barbe blanche comme on a coutume de le représenter, tenant en ses mains le décalogue, avec ces mots : Exode 20, s'imagina qu'Exode étoit le nom de cet homme , et que 20 étoit la marque de son âge. «Oh ! oh ! dit-il., « voilà un beau vieillard pour vingt ans ! » 25. Harcane voulut essayer lui-même si une planche, qu'il avoit fait mettre à sa fenêtre en dehors, pourroit soutenir un pot de fleurs. 11 s'assit sur l'ais qui se rompit. 11 tomba de la hauteur d'un premier étage , et se cassa le bras. «Je suis ravi, dit-il, de cette expérience; « mon pot de fleurs l'a échappé belle : je l'aurois ha« sardé , et il se seroit fracassé entièrement. » 26. Quand on ne sait pas le trictrac, rien n'est plus ennuyeux que d'y voir jouer. Un homme, qui en ignorait jusqu'aux termes , passa toute une nuit à côté de deux autres qui jouoient avec attention.Vers le matinr il survint un coup singulier. D'un commun accord , ils s'en rapportent au tiers qui les regardoit jouer 5 mais ils furent bien surpris quand il leur dit qu'il ne savoit pas le jeu. « Eh ! pourquoi donc êtes-vous resté là si « constamment? lui dirent-ils. — C'est que je vous ai « entendu dire à tout moment, je m'en vais (terme de « trictrac ;) je vous attendois pour m'en aller avecvous.» 27. Un paysan alla trouver un avocat pour consulter une affaire. L'avocat, après l'avoir examinée , lui dit qu'elle étoit bonne. Le rustique paya la consultation, et lui dit ensuite: «A présent que vous êtes payé, M. « l'avocat, dites-moi franchement, trouvez-vous en« core mon affaire bonne ? » 28. Deux paysannes se trouvant sur le quai de la
NAÏVETÉ.
,
�I
494
NAÏVETÉ.
Mégisserie, se demandèrent l'une à l'autre ce qu'elles y venaient faire: l'une dit qu'elle venoit acheter une linotte , et l'autre un corbeau. «Un corbeau ! hé fi ! ma « commère, vous cherchez-là un bien vilain oiseau.— « Il est vrai, répondit l'autre, qu'il n'èst pas beau;mais « on dit qu'il vit sept ou huit cents ans ; et j'voulons, « mon mari et moi, le voir par nous-mêmes. » 29. Un homme se trouvant dans une compagnie, où une dame, qui parloit bien , contoit une histoire trèsdivertissante , vit tranquillement'que sa robe brûloit sans l'en avertir, qu'après qu'elle eut fini son agréable narration. «Je voyois bien que votre robe brûloit, dit-il, « pour lors naïvement; mais j'ai remarqué que l'on pre« noit tant de plaisir à Vous entendre, que j'ai appré« hendé de vous interrompre en vous avertissant. » 30. Deux paysans furent députés par leur village pour aller dans nne grande ville choisir un habilepeinlre qui entreprît le tableau du maître-autel de leur église: le sujet devoit être le martyre de S. Sébastien.Le peintre à qui ils s'adi^essoient, leur demanda si l'intention des habitans étoit qu'on représentât le saint vivant ou mort. Cette question imprévue les jeta dans un grand embarras. Ils délibérèrent long - temps. Enfin l'un d'eux dit au peintre : « Le plus sûr est de le repré<i senter en vie ; si on le veut mort, on pourra tou<L jours bien le tuer. » 31. Deux religieux de l'ordre de S. Augustin, dont l'un étoit d'une communauté où l'on revêtoit un surplis sur la tunique , et l'autre d'une communauté où le surplis n'étoit pas en usage, se disputaient entre euxl'honneur de porter le véritable habit de S. Augustin. Ils citèrent plusieurs passages, ils firentunvain étalage d'érudition pour se convaincre l'un l'autre. Us s'avisèrent, dans un esprit de plaisanterie, de prendre pour juge un paysan qui tomba sous leur main. Le villageois leur demanda si S. Augustin avoit de l'esprit? «Belledemande! « répondirent-ils tous deux ensemble. — Ehbien ! re« prit le rustique, en s'adressant aureligieuxquiportoit « le surplis, vous avez donc tort ; car je ne puis croire « que S. Augustiu, qui n'étoit pas bête,;à ce que vous « dites, eût voulu mettre sa chemise sur son, habit- »
�N A ï V E T É. 495 32. Un paysan , étonné de voir le soleil se coticher fous les jours à une extrémité du ciel, et de le voir le lendemain se lever à l'autre , en demanda la raison ■V son compère , qui passoit pour le plus bel esprit du village. « C'est, lui répondit celui-ci, qu'il s'en re« tourne pendant la nuit, pour se trouver le lende« main à l'endroit où tu le vois.—Bon ! repartit le « paysan , si cela étoit, on le verroit s'en retourner. « — Eh ! grosse bête , répliqua le compère, comment « pourrois-tu le voir ? c'est la nuit. » 33. Un grand pénitencier ayant confessé un paysan, lui donna pour pénitence de jeûner pendant un mois. « C'est trop , monsieur, lui répondit le villageois ; je « ne puis vous promettre de jeûner plus de huit jours.» Il se leva du confessional et s'en alla. Ayant fait quelques pas, il revint lui dire : « Monsieur, voulez-vous « encore huit jours? — Mon enfant, reprit le péniten« cier , on ne marchande pas ici comme au marché, » et il lui fit des remontrances. « Oh bien ! monsieur , « puisque vous le Voulez, dit le rustique, je hausserai « encore d'un jour ; » et enfin, ayant été sévèrement repris de son obstination , il s'engagea de jeûner un mois ; mais à condition que ce seroit pendant Février, parce qu'il n'a que vingt-huit jours. 34. Le fils de l'intendant de l'évêqué de*** se présenta à l'examen de ce prélat, pour être admis aux ordres. Le père avoit prié l'évêque de ne pas proposer à son fils des questions difficiles, parce qu'il étoit d'un génie fort borné. Le prélat lui promit de faire tout poîir le mieux; en effet, il lui fit simplement cette question : « Sem , Chant et Japhet , erifans de Noë leur « père , de qui sont-ils fils ? » Quelque aisée que fût cette demande , le postulant ne put y répondre. L'évêque le renvoya. Il sortit donc , et trouva dans une antichambre son père , à qui il raconta la demande du prélat, et l'embarras où elle l'avoit jeté. Son père, ne pouvant s'empêcher de rire, lui dit que rien n'étoit plus facile ; c'est la même chose , ajouta-t-il, que s'il vous eût dit : « Le fils du gouverneur, de qui est-il « fils? Vous auriez répondu : Il est fils du gouverneur.»
�NAÏVETÉ.
Le jeune homme l'interrompit, en lui disant qu'en effet rien n'étoit plus facile à concevoir ; et il retourna aussitôt vers l'évêque, qui lui demanda de nouveau en riant : « Sem, Cham et Japhet, enfans de Noë leur « père , de qui sont-ils fils ? — Monseigneur , lui ré« pondit l'ordinand avec fermeté, ils sont fils du gon« verneur. » 35. Un jeune homme fort ignorant n'osoit se présenter à l'examen pour les ordres. « Afin de vous tirer « d'embarras, lui dit quelqu'un, retenez les réponses « de ceux qui seront examinés avant vous. » L'avis parut bon ; et le jeune homme va se présenter à la suite de plusieurs ordinands. L'évêque demande à l'un d'entre eux ce qu'il feroit si une araignée tomboit dans son calice après la consécration. L'ecclésiastique interrogé répondit qu'il falloit prendre l'araignée bien proprement avec les deux doigts, la mettre sur la patène, et en faire bien dégoutter le sang précieux ; qu'ensuite il falloit se consulter soi-même; que si l'on ne se sentoit pas une extrême répugnance , on devoit sans hésiter avaler l'araignée ; mais que si l'on ne pouvoit se vaincre là-dessus, il falloit brûler l'insecte, et en jeter les cendres dans la piscine. Le prélat vint ensuite au jeune ignorant, qui avoit été fort attentif à cette réponse. « Et vous, lui demanda-t-il, que feriez - vous <i si un âne buvoit dans le bénitier?—Monseigneur, « répondit-il, je prendrais l'âne bien proprement avec « les deux doigts; je le mettrais sur la patène , et lui <i ferois rendre gorge de toute l'eau bénite qu'il au« roit prise.Ensuite je me consulterais moi-même; et, « si je n'avois pas une extrême répugnance, je n'en « ferois pas à deux fois , je l'avaler ois ; mais si je ne « pouvois me vaincre la-dessus, je brûlerais cetinsec« te » et j'en jetterais les cendres dans la piscine. »
OBÉISSANCE-
�OBÉISSANCE.
497
^VVX^VlXVXXXXXXXXXXXXXXXYXXXXXXXXXXXXXX^XXXXXXX^XXXXXXVVXXXXVXXXXXXWVfc
OBÉISSANCE.
IGNACE de Loyola répétait souvent que, dans toute société religieuse, si un supérieur commandoit à son inférieur de s'embarquer dans un vaisseau quin'eût ni pilote, ni gouvernail, il devoit obéir sans résiter. On luiditalors : Oùseroitlaprudence dans ce religieux qui obéiroit ? «La prudence, répondit le saint, n'estpas la « vertu de celui qui obéit, mais de celui qui commande.» 2 Dieu, voulant éprouver Abraham, lui dit : <i Prenez « Isaac, votre fils unique, qui vous est si cher,et allez « me l'offrir en sacrifice sur une montagne que je vous « montrerai. » Abraham se leva donc avantle j our : ilprit avec, lui deux serviteurs et Isaac son fils ; et ayantcoupé le bois qui devoit servir au sacrifice, il se mit en chemin pouralleraulieuqueDieuluiavoitmarquéLe troisième jour il aperçut la montagne. «Attendez-nous ici, dit-il « à ses serviteurs : nous allons, monfils etmoi,offrirun « sacrifice sur cette montagne ; après cela, nous revien« drons vous trouver. » Il prendle bois pour le sacrifice, etlemetsurles épaules d'£î«tfc:lui-mêmeportelefeuet le couteau. Lorsqu'ils marcboient ensemble, Isaacàxth. Abraham : « Mon père, voici le feu et le bois ; mais où « est la victime ?—Mon fils, répondit^mA<zTO,Dieuy « pourvoira.» Quand ils furent arrivéssurlamontagne , le saint patriarche dressa un autel. Il arrangea dessus le boispourle sacrifiee,etliasonfilsI.raa£:etl'ayantmissur le bois, il pritle couteau pour l'immoler. Mais dansl'instantl'ange du seigneur l'appela, et lui dit : «Abraham, « ne touchez point à votre fils. Je connoismaintenantque « vou s craignez Dieu,puisque pour m'obéir vous n'avez « point épargné votre filsunique.Je jureparmoi-même, « ditle Seigneur, que,parceque vous avez fait cette ac« tion, je vous bénirai, et je multiplierai votre posté« rité comme les étoiles du ciel, et comme le sable qui « est surleborddelamer.» Kliméme ternes, Abraham aperçut derrière luiunbélier,dontl^s cornes étaient emTome II. Ii
i.
S.
�OBÉISSANCE.
barrassées dans un buisson : il le prit, et Fimmola au lieu de son fils. 3. Un saint solitaire, nommé Jean, servant son supérieur dès sajeunesse,s'appfiquoitàluiobéirjusques dans les choses superflues , et même impossibles , qu'il lui ordonnoit quelquefois pour éprouver sa vertu. Ce bon vieillard trouvant doncun jour un bâton sec, il l'enfonça danslaterre en présence de son disciple, etluicommanda d'al 1er de ux fois le j ou r chercher d e lix fois de l'eau à une demi-lieue de làponr l'arroser. Pendant un an entier, Jean obéit sans murmurer et sans raisonner. Enfin, son supérieur, charmé de sa persévérance, s'approcha de ce bâton, et demanda à Jean il Mon fils, ce bois commence« t-il àpousser?» Ayant répondu que non, le vieillard, comme pour vérifier le fait, et voir s'il tenoit ferme par les racines , l'arracha devant lui, presque sans aucun eiTort,et le j eta,en lui commandant de ne le plus arroser. 4. Un soldat, prêt à percer un ennemi, entenditsonner la retraite , remit son épée dans le fourreau , et partit. «Il falloit donc expédier celui que tu tenois, lui « dit un de ses camarades. — Il vaut mieux, répondit le « soldat, obéir à son général, que de tuer un ennemi.» 5. Cyrus faisoit la revue de son armée; il lui vint un courrier de lapartdeCj-aa?are,roi des Mèdes, son oncle, l'avertir qu'il étoit arrivé des ambassadeurs du roi des Indes,et qu'il le prioitde venirle trouver prpmptement. « Pour ce sujet, lui dit-il, je vous apporte un riche vêle« ment; caril souhaitequevousparoissiczsuperbement « vêtu devant ces étrangers , afin de faire honneur à la « nation. » Cyrus ne perdit point de temps : il partitsurle-champavec ses troupes pourallertrouverleroi, sans avoir d'autre habit que le sien, fort simple à la manière des Perses, et gui, suivant l'expression de Xénophon, n'étoitpointsouillénigâtéparaucunornementétranger. Comme Cyaxare en parut d'abord un peu mécontent: « Vous aurois-je fait plus d'honneur, reprit Cyrus, sije « m'étoishabillé depourpre,si je m'étois chargé debras« selets et de chaînes d'or, et qu'avec tout cela j'eusse « tardé plus long-temps avenir, que je ne vous en fais « maintenant par la sueur de mon, visage , et par nia
�OBÉISSANCE.
499
« diligence, en montrant à tout le monde avec quelle « promptitude on exécute vos ordres ? » 6. Agésilas, roi de Lacédémone, ayant soumis plusieursprovincesd'Asie,résolutd'allertrouver lui-même le roi de Perse pour Pappaiser, et pour trai ter avec lui. Ce monarque , au lieu d'opposer la force àlaforce,n'avoit songé qu'à faire dans la Grèce, par ses présens, des ennemisaux Lacédémoniens.Trente mille dariquesque Timocrate avoit distribué de sa part, dans Athènes et dansThèbes, à ceux par qui le peuple se laissoit gouverner , avoient engagé ces deux villes à faire entrer leurs troupes dans laLaconie.Les éphoresrappelèrent.^ge,Hlas, pour qu'il vînt défendre la patrie.U alloit partir pour1 la cour du roi de Perse ; mais , docile à l'ordre des souverains magistrats de Sparte, il leur réponditsur-le-champ par cette lettre : « Agésilas aux éphores, salut. Nous « avons soumis une grande partie de l'Asie ; nous en « avons chassé les Barbares ; nous avons livré bien des « combats en Ionie : comme cependant, par l'autorité de « votre charge,vous nous ordonnez d'être àLacédémone « pourlejour que vous marquez, je suis cette lettre, et « peut-être la préviendrai-] e. Cen'estpas pourmoique « je suis roi, mais pour la république, pour ses amis, « pour ses alliés.Celui qui commande ne jouit d'une vé« ritable et légitime puissance, que quand il obéit lui« même à ce que lui commandent les lois, les éphores, « ou quiconque exerce dans la république la souveraine « magistrature. » Il partit sur-le-champ, au grandregret des Grecs-Asiatiques, auxquels il dit qu'un bon général devoit, pour bien commander , savoir bien obéir. y.LouisXIK, à la tête de son armée, marchoitle long d'une mare impraticable. Il donne quelqu'ordre à un jeune aide-de-camp languedocien.Dans l'ardeur d'obéir au roi, cet officier veut traverser la mare. Dès l'entrée, son cheval se trouve embourbé jusqu'aux sangles. Le monarque vient lui-même à son secours, et donne les ordres les plus prompts. Le danger augmentoit, et, la bourbe gagnoit déjàlaselle.Dans letemps qu'on fravailloit avec succès : « Est-ce que vous ne voyiez pas qu'onne « pouvoit point passer par là ? lui dit le roi avec bonté-—
Ii
2
�5ûO
OBLIGATION.
« Je le voyois bien, sire, répondit-il; mais quand il est « question d'obéir à votre majesté, ou de la servir, les a gens de mon pays ne connoissent point de périls qui « les arrêtent. » On dit pour lors au roi que ce jeune gentilhomme étoit intrépide, et qu'il s'étoit signalé dans plus d'une action. Le roi l'assura qu'il s'en souviendroit en temps et lieu. « Le temps est tout venu, sire, ré« pliqua-t-il, le lieu m'est favorable. » Il met la main dans sa poche , et en tire un plaeet qu'il présente au prince , en lui disant qu'il le tenoit tout prêt pour le donner dans l'occasion. « Pour la rareté du fait, lui ré« pondit le roi, je vous accorde ce que vous me deman« dez.—Etmoi, repartit le Languedocien, je vouspro« mets, sire, de vous servir toujours de mon mieux, et « de n'éviter jamais aucun danger en vous servant.» OBLIGATION. VI, dans les années où i\ fut maître de esprit, étoit doux, affable, et ne. refusoit audience à personne, même aux moindres du peuple. Il les saluoit, et les appeloit par leur nom. Jamais il n'oublioit les services qu'on lui avoit rendus ; et quelque sujet "qu'il eût de se fâcher , jamais il ne maltraitoit personne. Il ne croyoit pas facilement les rapports qu'on lui faisoit ; et, persuadé que la passion pouvoit prévenir les plus sages : «J'aime mieux, disoit-il , ne pas « croire le mal où il est, que de m'exposer à le croire « où il n'est pas. » Un jour on lui dit qu'un homme qu'il avoit comblé de grâces pari oit, mal de lui. « Cela « ne peut pas être , répliqlia-t-il ; je lui ai fait du « bien. » Dans une bataille qui se donna contre les Flamands , au commencement de son règne , fâché de voir beaucoup de ses gens tués, il vouloit s'avancer et charger lui-même ; mais le duc de Bourgogne l'en ayant empêché : « Ah ! faut-il, s'écria le monarque, « demeurer ici les bras croisés , tandis que tant de « braves gens meurent ici pour mon service ? » a. Charles IX ayant demandé au maréchal de Tai.
Son
CHARLES
�ECONOMIE
vannes à qui l'on pourroit donner le gouverne la Provence, qui vcnoit de vaquer : « Donnez-!« répondit le maréchal, à un homme de bien , lui dit qu il avoit prohte de ravis qu u lui avoit aonn», et qu'il avoit pourvu du gouvernement de Provence un homme tel qu'il avoit conseillé de le choisir : c'est vousqu même. « J'y consens , sire, répondit de Tavannes; et « sachez que je fais autant pour vous en l'acceptant, « que vous faites pour moi en me le donnant. »
(VXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXVXXXXxX
N roi de France, visitant le palais de son maîtred'hôtel, lui dit qu'il le trouvoit fort beau, et très-bien bâti ; mais qu'il y avoit un grand défaut, selon lui : c'est que sa cuisine étoit trop petite , et qu'elle ne répondoit pas à la grandeur et à la magnificence de ce bâtiment. Votre majesté ne doit pas s'en étonner, ré« pondit-il 5 c'est précisément la petitesse de ma cui« sine , qui m'a mis en état d'agrandir ma maison. » 2. Julien l'apostat, étant parvenu à l'empire , fit de grands changemens dans le gouvernement. Il réforma sur-tout le nombre des domestiques inutiles , dont le palais étoit rempli. On y comptait mille officiers de cuisine, autant de barbiers,beaucoupplus d'échansons : pour les eunuques,il n'étoit pas possible deles compter. En donnant une somme d'argent, on devenoit officier et pensionnaire de l'empereur , dont la maison servoit d'asile à l'oisiveté , et dont les revenus s'épuisoient à nourrir des fainéans qui fouloient le peuple sans servir le prince. Julien , ayant demandé un barbier pour lui faire les cheveux, il en vint un si magnifiquement vêtu, que ce prince lui dit d'un air étonné : «Ce K n'est pas un sénateur que je demande c'est un « barbier. » Il questionna cet homme, et apprit que son emploi lui yaloit par jour vingt rations de pain et de quoi nourrir vingtche.vaux,une grosse pension annuelle.
,u
ÉCONOMIE.
�502 OFFICE. avec beaHeoup de gratifie a lions. L'empereur pigea , par cet échantillon, qu'il en coûtoit plus pour les domestiquesdu palais, que pour lasubsis tance des année». Il les congédia tous , en disant qu'un barbier suffit à plusieurs personnes ; que, n'ayant point de femmes, ni d'envie d'en prendre, il n'avoit pas besoin d'eunuques, non plus que de cuisiniers, puisqu'il ne mangeoit que pour la nécessité. V"oyez DÉPENSE.
*xxxxxxx.xxxxxxxxxxxxxxxx\xxxxxxx>xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxvv
OFFICE.
I.PORSENNA , après avoir terminé la guerre contre les Romains, envoya son fils Aruns pour faire le siège d'Aricîe. Il remporta d'assez grands avantages sur les assiégés. Mais un secours considérable leur étantsurvenu , il se donna une bataille, où le jeune prince fut tué. L'armée des Etrusques ne put tenir après la mort de son général, et fut obligée de prendre la fuite. Les uns furent tués dans leur retraite, les autres cherchèrent un asile sur les terres des Romains qui étoient dans le voisinage. Les Romains les recueillirent dans leur déroute. Ils soulagèrent les blessés, donnèrent des chevaux aux uns , chargèrent les autres sur des chariots ; les conduisirent à Rome ; les logèrent chez eux ; les pourvurent de vivres et de médicamens. Enfin, ils leur fournirent avec bonté tous les secours qui leur étoient nécessaires. Plusieurs, charmés de ces bons offices, perdirent l'envie de retourner dans leur patrie , et préférèrent l'avantage de rester avec ceux dont ils avoient reçu tant de bienfaits. Le sénat leur assigna un terrain entre le mont Palatin et le Capitole, où ils se bâtirent des demeures : ce lieu s'appela la rue des Etrusques. Porsenna , pour reconnoître le favorable accueil que les Romains avoient fait à ses troupes , les remit en possession des terres au delà du Tibre, qu'ils lui avoient cédées par le dernier traité de paix. 2. Louis , comte de Flandres, obligé de quitter ses états parla révolte du peuple contre la noblesse , vint,, en i3^8 y implorer le secours de Philippe VI, ditefe
�OPINION. 5°3 Valois, son souverain. Le monarque franeais assemble son conseil -, toutes les voix se réunissoient contre cette entreprise. «Etvous, seigneur connétable, que pensez« vous de tout ceci ? Croyez-vous aussi qu'il faille at« tendre un temps plus favorable ?» Ceconnétable étoit le célèbre Gaucher de Châtillon, alors âgé de quatrevingts ans. « Sire, répondit-il, qui a bon cœur ,a tou« jours le temps à propos.—Qui m'aime , me suive, » s'écrie le roi en courant embrasser son cher connétable ; et aussitôt il donne l'ordre pour le départ de ses troupes. Elles arrivent dans les domaines du comte fugitif; elles remportentla célèbre bataille de Cassel ; Philippesoumet toute laFlandre, et dit à son vassal: «Beaucousin, « je suis ici venu sur la prière que vous m'avez faite. « Peut-être avez-vous donné occasion à toutes ces ré« voltes par négligence à rendre la justice que vous de« vez à vos peuples. Je vous rends vos états soumis et « pacifiés , et vous tiens quitte de tout, malgré les « grandes dépenses qu'il m'a fallu faire pour cette « expédition. Gardez-vous de me faire revenir pour un « pareil sujet , car j'aurois alors plus d'égard à mes « intérêts qu'aux vôtres.» Voyez SERVICES.
OPINION.
IGNARD , rival de Le Brun , premier peintre du roi sous Louis XIV, avoit si bien imité la manière du Guide, dans un tableau de la Magdeleine, que ce tableaufutvenduàun amateur,comme étantde cethahile maître. Mais Mignard, dans la vue de tendre un piège kLeBrun, que cet amateur connoissoit, fit naître des doutes sur ce tableau. Il avança même qu'il étoit bien inférieur aux ouvrages du Guide. Le Brun, consulté et prévenu en faveur de ce tableau , par la raison même que Mignard sembloit le mépriser, soutint non-seulementque le GuideYavoitpeint,mais encore qu'il étoit du meilleur temps de cemaîlre.ik%raar d,voyantl'affaire assez engagée pour sa propre gloire,découvrit lui-même h supercherie, et en donna, en présence de Le Brun,
�5Ô4
OPINION,
les preuves les plus convaincantes. Celui-ci , un peu piqué , lui répondit : « A la bonne heure ! faites donc « toujours des Guides , -et non des Mignards. » 2. II n'est que trop ordinaire d'estimer les gens a proportion des richesses , ou , comme dit un poète satirique, des vertus qu'ils ont dans leurs coffres. Quand Louis XI Vûl son entrée à Strasbourg , les Suisses lui envoyèient des députés. Un archevêque , qui étoit auprès du roi, ayant vu, parmi ces députés, Févêque de Basle , dit à son voisin : «C'est quelque misérable « apparemment que cet évêque ? —Comment ! lui ré« pondit-il, il a cent mille livres de rente Oh ! oh ! « dit l'archevêque, c'est donc un honnête homme 5 » et il lui fit mille caresses. 3. Quand les Fables de jLa_Mo^eparorent, bien des personnes alfectoient d'en dire du mal. Dans un souper au Temple,chez le çr'meedeVendôme }le célèbre abbé àeChauiieu; Févêque deLuçon, fils du célèbreBussiRabutin ;un ancien ami de La Chapelle , plein d'esprit et de goût ; l'abbé Courtin , et d'autres bons juges des ouvrages s'égayoient aux dépens du nouveau fabuliste. ^e^v'mce de Vendôme elle chevaliercZe Bouillonexicliérissoient sur eux tous. On accabloit le pauvre auteur. M. de Voltaire, qui se trouvoit à ce souper , leur dit : « Messieurs, vous avez tous raison ; vous jugez avec « connoissance de cause ; quelle différence du style de « La 3'Iothe à celui de La Fontaine ! avêz-vous vu la « dernière édition des Fables de ce charmant auteur ? « —Non , dirent-il. — Quoi ! vous ne connoissez pas « celte belle fable qu'on a trouvée parmi les papiers « de madame la duchesse de Bouillon ?» Il leur récita la fable. Us la trouvèrent charmante ; ils s'extasioient. « VoilàduLaT^o/i/ame/disoient-ilsjc'estlanalurepure: « quelle naïveté ! quelle grâce !—Messieurs , leur ré« pondit le lecteur,celte fable est àeLaMothe.»Alors ils la lui firent répéter, et la trouvèrent détestablc.Mais celle anecdote, que rapporte M.Je^oZtazVelui-même, ne prouve pas que LaMothe puisse être comparé à La ■Fontaine ; et ce n'est pas la simple opinion qui a élevé t>elui-ci sifort au-dessus de celui-là. ^oyezPiiR.suASioN.
Fin du Tome IL
�
PDF Table Of Content
This element set enables storing TOC od PDF files.
Text
TOC extracted from PDF files belonging to this item. One line per element, looking like page|title
InfoValue: I.C.S. v1.4.1.9 Copyright © 2009-2013 ISAKO|InfoKey: Creator|InfoKey: Producer
InfoKey: ModDate|InfoValue: iTextSharp 5.0.5 (c) 1T3XT BVBA|InfoValue: D:20130220115544+01'00'
InfoValue: D:20130208102513+01'00'|InfoKey: CreationDate|PdfID0: 1d2eed32df64b5faf732b2d78ba3e284
-
http://bibnum-bu.univ-artois.fr/files/original/dd325e9ca0a0376faa0d931cbb817a6d.pdf
000c11b15f938cc9408259d11aa3e421
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Ouvrages remarquables des écoles normales
Description
An account of the resource
Document
A resource containing textual data. Note that facsimiles or images of texts are still of the genre text.
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Dictionnaire historique d'éducation : tome premier
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et d'enrichier toutes les facultés de l'ame et de l'esprit, en susbtituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie
Subject
The topic of the resource
Education
Description
An account of the resource
Nouvelle édition, qui a été revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre d'articles, et sur-tout d'une Table historique des Personnages, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagnoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire. La citation "Longum per peaecepta, breve per exemplum iter" figure sur la page de titre. Orthographe d'époque.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Fillassier, Jean-Jacques (1745-1799)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Amable Costes, Libraire
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1818
Date Available
Date (often a range) that the resource became or will become available.
2013-02-22
Rights
Information about rights held in and over the resource
Domaine public
Relation
A related resource
http://www.sudoc.fr/002692171
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
1 vol. au format PDF (504 p.)
Language
A language of the resource
Français
Type
The nature or genre of the resource
Text
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
MAG 37 069
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Ecole normale de Lille
Rights Holder
A person or organization owning or managing rights over the resource.
Université d'Artois
PDF Search
This element set enables searching on PDF files.
Text
Text extracted from PDF files belonging to this item.
�VF-fit
m
DICTIONNAIRE
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION.
TOME PREMIER,
I &
:
£M
j.
\
:
tï§t /*
"fv'l^-v". • p£ y, iî; j
ÉfAS C
N5 de Catalogue^ J*</4^-f-~-
F //-
�IMPRIMERIE DE BRU NE T.
/
�DICTIONNAIR
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION,
Où, sans donner de préceptes, on se propose d'exercer et d 'enrichir toutes les facultésde Famé et de Pesprit, en substituant les exemples aux maximes, les faits aux raisonnemens, la pratique à la théorie.
NOUVELLE ÉDITION,
Qui a été revue, corrigée et augmentée d'un grand nombre d'articles, et sur-tout d'une TABLE HISTORIQUE DES PERSONNAGES, plus ample, plus exacte et plus intéressante que celle qui accompagnoit les précédentes éditions de ce Dictionnaire ;
ParlÀ FILLJSSIER , des Académies royales d'Arras de Toulouse, de Lyon, de Marseille, etc.
Longum per prcecepta, brève per exeniplum iter.
\). F.
TOME
PREMIER.
PARIS,
AMABLE COSTES, LIBRAIRE;
®J
RUE DE SEINE, N.° 12, FAUBOURG S.-G.
l8l8.
�i
�AVERTISSEMENT
SUR
CETTE NOUVELLE ÉDITION.
L'ACCUEIL dont le Public a daigné honorer cette COLLECTION, nous fait espérer qu'il la recevra
de nouveau avec la même indulgence. Nous n'avons rien négligé pour la rendre de plus en plus utile à la jeunesse.La multitude des faits qui la composent, l'attention scrupuleuse que nous avons apportée dans le choix de chacun d'eux, la simplicité avec laquelle nous les exposons , le soin que nous avons eu d'envelopper du voile de l'histoire les leçons de la morale même la plus austère ; tout,en un mot, doit la faire regarder comme le répertoire historique le plus ample, le plus exact, le plus agréable et le plus instructif que l'on ait publié jusqu'à ce jour. Il y avoit long-temps que l'on se plaignoit de n'avoir point de livres historiques à mettre entre les mains de la première jeunesse. En effet, les grandes .histoires sont trop considérables pour cet âge, peu susceptible d'une lecture de longue haleine ; et d'ailleurs , dans les historiens même les plus circonspects , il se rencontre quelquefois des traits dangereux pour des cœurs encore foibles : le vice y parle souvent aussi haut que la vertu. Les recueils de traits intéressans, d'anecdotes trèscurieuses , etc. etc. qui , par leur forme et leur objet, sembleraient devoir entrer dans un cours d'éducation , en sont écartés , avec un soin justement scrupuleux, par tous les sages Instituteurs.
�AVERTISSEMENT. Sans parler des négligences et des absurdités dont la plupart de ces compilations éphémères sont ordinairement remplies, combien n'y trouve-t-on pas de traits licencieux , d'anecdotes libertines , de saillies lubriques , de réflexions téméraires , et capables de pervertir le plus heureux naturel, sur-tout dans cet instant de la vie où les passions commencent à essayer leur empire ! Les Rédacteurs de ces pernicieuses collections ont-ils donc cru que , pour mériter les suffrages du Public , il falloit offenser ses regards , en leur offrant les tristes preuves de la foiblesse du cœur humain ? Jugeons mieux de notre siècle : quelque perverti que nous le supposions, il aime, il prêche , il encourage la vertu , il en connoît tous les charmes ; et c'est lui payer le tribut de respect que lui doit tout homme qui écrit pour ses semblables , que de lui présenter des productions dont le but est d'en perpétuer la pratique. On a daigné mettre de ce nombre le DICTIONNAIRE HISTORIQUE D'ÉDUCATION ; on l'a jugé digne de son titre , et c'est pour nous l'encouragement le plus flatteur, l'unique récompense que nous attendions, le seul mérite que nous pouvions attacher à cette sorte d'ouvrage. Les modèles que nous offrons à nos Elèves , peuvent, en excitant en eux le noble désir de les imiter , les prémunir contre les exemples dangereux qui viennent de toutes parts attaquer leur foiblesse. Par l'heureuse habitude qu'ils contracteront à l'école des héros et des sages de tous les siècles et de tous les pays , ils apprendront sans peine à discerner le faux éclat dont se pare le vice , d'avec la gloire réelle de la vertu. En voyant marcher, pour ainsi dire , à leur tête, dans les sentiers de l'honneur, des rois, des princes
�AVERTISSEMENT.
vij
des généraux, des Saints, un sublime enthousiasme saisira leur ame. Accoutumés à ne voir que des traits frappans de magnanimité, de sagesse, de bienfaisance , etc., ils deviendront magnanimes , sages,bienfaisans, etc., par émulation ; et c'est le principal avantage qu'ils puiseront dans la lecture assidue de ce DICTIONNAIRE. 11 est d'autres avantages accessoires qui ne sont pas à négliger. La variété des faits piquera-leur curiosité sans fatiguer leur attention. Ils trouveront dans presque tous les articles,} et sur-tout sous les titres BONS MOTS , NAÏVETÉ , PLAISANTERIE , REPARTIE, etc., une foule d'anecdotes récréatives et décentes, qui enrichiront leur mémoire sans offenser leurs mœurs, et qui donneront à leur esprit cette urbanité piquante , qui est comme le sel de la société. Notre but a été , non pas de faire un Ouvrage volumineux, nous n'eussions écrit que pour un petit nombre d'opulens ; mais de composer un Livre d'une acquisition facile. Ainsi, nous n'avons point épuisé le vaste champ de l'histoire mais de toutes les fleurs qui la décorent, nous avons choisi les plus apparentes , et celles qui pouvoient répandre plus efficacement la bonne odeur de la vertu. Au reste , tout ce que renferme notre DICTIONNAIRE , suffit pour donner aux jeunes gens une connoissance plus que générale de 1 histoire ancienne et moderne , sacrée et profane. Nous le terminons par une Table historique et alphabétique de tous les personnages dont nous avons rapporté les actions ou les paroles : on y trouvera même ceux dont on n'a pu parler que par occasion. C'est une autre sorte de DICTI ONNAIRE , qu'il étoit indispensable de joindre au
�viij AVERTISSEMENT. premier , pour rappeler à des points fixes les faits épars dont il est composé ; et ce n'est pas, comme dans les précédenteséditions,unesimpleindication sèche et monotone du siècle et du pays que tant de grands hommes ont illustrés :nous nous sommes appliqués à tracer en peu de mots le tableau de leur vie , et souvent nous peignons leur caractère , en rapportant quelques faits iutéressans , qui n'avoient pu entrer dans le corps de l'Ouvrage. Nous faisons mention des principaux écrits de ceux qui se sont distingués dans les sciences ou dans les lettres; nous en marquons les éditions pi*éférables; quelquefois même nous essayons d'apprécier leurs productions les plus célèbres ; mais notre but est moins de les juger , que de les faire connoître plus en détail à nos Lecteurs.
DICTIONNAIRE
�<-W\VlVVW
DICTIONNAIRE
HISTORIQUE
D'ÉDUCATION.
ABSTINENCE.
i. JLiE PRINCE de Conti , frère du grand Condé , quoique accablé d'infirmités, serefusoit aux goûts les plus innocens, à ceux même quipouvoientle distraire et faire un peu diversion à ses continuelles douleurs. La princesse son épouse, toujours attentive à soulager Pennui de ses maux, le pressoit vainement de se permettre quelques récréations : « En se livrant à un « goût, lui répondoit-il, on s'accoutume à se livrer à « tous les autres. Il faut savoir , ou ne pas tout dési« rer, ou se passer souvent de ce qu'on désire. » 2. On envoya à S- Macaire d'Alexandrie un panier de fort beau raisin, qui tenta son appétit; mais songeant en lui-même que s'il satisfaisoit ce désir innocent, cette facilité pourroit réveiller des passions assoupies plutôt qu'éteintes, il ne voulut point goûter de ce fruit délicieux , et l'envoya à un autre solitaire , que ce présent tenta pareillement. Le solitaire fit comme Macaire ; et tous les autres anachorètes auxquels le raisin fut porté successivement , imitèrent ces deux saints personnages, et ne voulurent point y toucher. Ce raisin passa de la sorte de main en main; et celui Tome I. A
�2
ABSTINEN CE.
qui le reçut le dernier le fit porter à Macaire, croyant lui faire un grand présent. Ce saint homme , louant Dieu d'une si rare abstinence, fit distribuer le raisin aux pauvres qu'il nourri ssoit. 3. S. François de Sales ayant été en conférence , pour une affaire de piété , avec une dame de la cour, quelqu'un «lui demanda si cette femme étoit belle : « Je n'en sais rien, répondit le saint prélat. — Mais « ne l'avez-vous pas vue ? — Oui, je l'ai vue ; mais « je ne l'ai point regardée. » 4- David, étant dans la caverne d'Odollam, témoigna , en présence de ses gens, qu'il boiroit avec plaisir de l'eau de la citerne de Bethléem, assez éloignée de là. Aussitôt trois de ses plus vaillans hommes, passant au travers du camp des Philistins, allèrent puiser de Peau de cette citerne , et la lui apportèrent. Mais la réflexion ayant éteint le désir , ce prince refusa d'en Loire, et l'offrit au Seigneur. « Dieu me garde, dit-il, « de faire cette faute J Quoi ! boirois-je fe sang de ces « braves ? boirois-je une eau qu'ils ont achetée au « péril de leur vie ? » 5. Pendant une marche longue et pénible dans un pays aride, Alexandre et son armée souffraient extrêmement de l'a soif. Quelques soldats envoyés à la découverte, trouvèrent un peu d'eau dans le creux d'un rocher, et l'apportèrent au roi dans un casque. Alexandre fit voir cette eau à ses soldats, pour les encourager à supporter la soif avec patience, puisqu'elle leur annoncoit une source voisine. Ensuite , au lieu de boire, il la jeta par terre, aux yeux de toute l'armée. Les Macédoniens applaudirent, par de grandes acclamations , à cette abstinence héroïque ; et ne pensant plus à leur soif, ils dirent au monarque qu'il pouvoit les mener par-tout où il voudrait ; que jamais ils ne se lasseraient de le suivre. Caton d'Utique , au milieu des sables brûlans de la Lybie , fit la même chose à la tête de son armée ; il répandit un peu d'eau qu'un de ses soldats avoit trouvée avec peine. Cette eau , si elle eût été bue , n'eût pas suffi pour étancher la soif d'un seul : étant
�ABSTINENCE.
3
répandue , elle leur rendit à tous la soif plus aisée à supporter. Ce grand homme avoit hérité de l'abstinence et de la frugalité de Caton l'ancien, son bisaïeul, qui, dès sa jeunesse, et faisant encore ses premières armes, s'était accoutumé à ne boire que de l'eau. Quand sa soif étoit excessive, il se permettait seulement de répandre deux ou trois gouttes de vinaigre dans son eau ; et dans la., suite, lorsqu'il étoit exténué de travail, il se contentoit de boire trois ou quatre doigts de vin pur, pour rappeler ses forces épuisées. Chez lui, au sein de l'hiver, il ne portait qu'une tunique sans manches : dans l'été , il travailloit presque nu avec ses esclaves ; et après leur avoir donné l'exemple de la promptitude et de la dextérité, il se mettait à leur table , mangeoit et buvoit avec eux, et n'avoit point d'autres alimens que ceux qui leur étaient destinés. Cet austère Romain regardoit l'ivresse comme une folie volontaire. 6. On demandoit à Alphonse, roi de Sicile et d'Aragon, pourquoi il ne buvoit pas devin, et pourquoi, lorsque par hasard il en prenoit, il y mettait tanjt d'eau? « Ce n'est pas là, ajoutoit-on, l'usage des rois, ni de « ceux qui les environnent. — Je le sais bien , répon« dit-il, mais ils ignorent sans doute que le vin fait « éclipser la sagesse , et que cette liqueur traîtresse , « prise sans modération, éteint ce feu de l'esprit, cette « énergie de l'ame qui soutient la dignité d'un roi, et « le rend digne d'en porter le nom. — L'ivresse, di« soit-il à un autre courtisan , qui lui faisoit la même « question , l'ivresse est la mère de la fureur et de la « lubricité ; et ces deux vices doivent être bannis du « cœur comme du palais des princes. >> Il fut une fois forcé de se poster sur le bord d'un fleuve, pour empêcher l'ennemi de le passer : la nuit approchoit; l'armée dépourvue de vivres, n'avoit rien pris depuis le matin. Il avoit aussi faim qu'elle. Alors un de ses officiers lui offrit un morceau de pain, un radis et un peu de fromage. Dans la circonstance , il y avoit là de quoi faire un festin délicieux : « Je vous remercie, dit le « prince ; il ne me convient pas de manger, quand A 2
�4
ABSTINENCE.
« mon armée est à jeun 5 » et effectivement il ne mangea qu'après elle. 7. Lysandre , capitaine lacédémonien, se rendoit, avec quelques troupes, en Ionie : des amis qu'il avoit dans cette contrée de la Grèce, lui envoyèrent, entre autres choses, un bœuf et un gâteau aussi appétissant que volumineux : « Qu'est-ce que cette friandise ? de« manda-t-il, en regardant le gâteau. — Seigneur, « répondit le porteur , c'est une tarte au miel et au « fromage. — Va, mon ami, répliqua Lysandre, re« porte ta tarte à ceux qui l'envoient : ce n'est pas « là la nourriture d'un brave soldat, ni d'un homme <i libre. » Quant au bœuf, il le fit tuer et apprêter à la Lacédémonienne , et il fut mangé avec un plaisir égal à la simplicité de l'assaisonnement. 8. Zenon étant tombé malade, le médecin lui conseilla de manger un pigeonneau. « Prescririez - vous « cette nourriture à un esclave? — Non. — Cruériroit« il néanmoins ? — Il est probable : ces sortes de gens « n'ont pas besoin d'alimens si délicats pour être rap« pelés à la santé—:0 philosophie, n'aurois-je suivi tes « leçons que pour être plus efféminé qu'un esclave ! » Il rejeta , avec une sorte d'indignation , l'avis du médecin , et ne voulut user que des alimens les plus communs. 9. Le grand Pompée étant malade , le médecin lui ordonna de manger une grive ; mais les grives étoient fort rares alors. Les esclaves du général romain, après bien des perquisitions, vinrent lui rapporter qu'on ne pouvoit trouver de grives que chez Lucullus, qui en nourrissoit pendant toute l'année. « Quoi ! dit Pompée, « je mourrois donc, si Lucullus ne vivoit pas dans la « mollesse ! » Il crut indigne de lui de prolonger sa vie à ce prix. Il ne mangea point de grives , malgré l'ordonnance du médecin , ce qui ne l'empêcha pas de guérir. 10. Louis VIII, roi de France , étant malade , les médecins lui proposèrent un remède dont ils assuraient l'efficacité ; mais il étoit contraire à la loi de Dieu et aux bonnes mœurs. Le pieux monarque le
�ABSTINENCE. 5 rejeta avec horreur. Cependant, malgré son refus, on fit mettre auprès de lui, pendant qu'il dormait, mie jeune fille qui, à son réveil, lui exposa le motif pour lequel on l'avoit introduite dans son appartement. « Non, ma fille, répondit-il, j :aime mieux mourir que « de sauver ma vie par un péché mortel. » Aussitôt il appelle Archambault de Bourbon, qui étoit son confident , et lui ordonne de procurer un établissement honorable à cette jeune personne. 11. S. Antoine, patriarche des cénobites, ne mangeoit qu'une fois le jour, après le soleil couché, ou de deux jours l'un : souvent même il passoit trois jours dans une abstinence générale. Sa nourriture n'étoit que du pain et du sel : il ne buvoit que de l'eau. S. Jean Chrysostàme ne se trouvoit jamais aux festins dont il étoit prié ; mais il mangeoit toujours en particulier, regardant tous les repas de société, même les plus modestes, comme des occasions dangereuses. La veuve sainte Paule, dont S. Jérôme a si justement célébré les vertus, s'interdit entièrement l'usage de la viande, du vin , du poisson, du lait, des oeufs et du miel ; et elle n'usoit d'huile qu'aux jours de fête: abstinence d'autant plus admirable , que cette sainte femme sortoit d'une des familles les plus nobles et les plus opulentes de l'empire , et qu'elle avoit été élevée avec une délicatesse égale à sa naissance12. M. le duc d'Orléans invita le célèbre Boileau à dîner : c'était un jour maigre, et l'on n'avoit servi qtie du gras. On s'aperçût qu'il ne touchoit qu'à son paùîj « Il faut bien, lui dit le prince, que vous mangiez gras « comme les autres : on a.oublié le maigre. — Vous « n'avez qu'à frapper du pied , monseigneur, lui ré« pondit Boilefl-u, et,les poissons^m'tiront de terre. » Cette réponse plut aivpjfince ; et,,s^a. constance à ne vouloir point toucher auk^ras/rit honneur à sa religion. ■* aSgns doute-on lui donna -dûj'maigr.e. Qu'importe ? en ||^-il moins le mérite de son. abstinence ? 13. On conduisoit S- Fructueux, évèque deTarragone en Espagne , à la place publique, pour y être Lrùlç vif. Quelques chrétiens , par un mouvement de
�6
ACTIVITÉ.
charité , lui offrirent à boire , afin de le soulager un peu. Mais c'était un jour de jeûne , et il n'était point encore heure de rompre l'abstinence. Le fidelle martyr de Jésus-Christ, délicat jusqu'à la mort sur l'observance des pratiques religieuses, répondit : « Non, mes « frères , nous jeûnons , je ne veux point boire : il. « n'est pas encore temps. Jamais je ne violerai la loi « sacrée du jeûne ; et la mort même ne me fera point « perdre le fruit de mon sacrifice. » Voyez AUSTÉRITÉ , FRUGALITÉ , SOBRIÉTÉ , TEMPÉRANCE.
ACTIVITÉ. 1. JULES-CÉSAR disoit ordinairement que dans les entreprises hardies et périlleuses , il faut agir et non délibérer , parce que la promptitude contribue plus que tout le reste à les faire réussir : «La réflexion, ajou« toit-il, refroidit le courage, etrend l'homme timide. » Cet illustre Romain, le plus grand homme de son siècle , s'il eût été meilleur citoyen, prouva bien, durant les guerres civiles allumées par son ambition, qu'il se conduisoit suivant ses principes. Après avoir vaincu l'armée républicaine, il parcourt une étendue immense de pays : de l'Italie il vole dans le Pont, en Asie ; il y attaque Pharnace, fils de Mithridate, en triomphe dès le premier choc , et fait rentrer les rebelles dans les fers de la république. C'est pour exprimer cette étonnante célérité , qu'il écrivit à ses amis ces mots , devenus si fameux : « Je suis venu , j'ai vu , j'ai vaincu. » 2. Lacédémone était menacée par les républiques rivales de sa puissance, tandis qw'Âgêsilas, par ses victoires, humilioit, dans le fond de l'Asie, le faste etl'orgueil du roi de Perse. Sparte instruit son roi de l'orage qui se forme contre elle , et ce prince part aussitôt avec son armée. Il passe l'Hellespont, traversela Thracé, el se contente d'envoyer demander aux différens peuples qu'il trouve sur sa route, s'il marche en pays d'amis ou d'ennemis. Sans attendre la réponse , il s'avançoit
�7 touiours.Ceux qu'on appeloit Troaden se s, qui àvoient vendu bien cherà.X'e/vcè.s' la liberté de passer chez eux, voulurent arrêter le monarque Spartiate, exigeantcent talenset cent esclaves pour la liberté du passage. « le « vais les leur porter , répondit en riant l'intrépide Agésilas. Il marche contre eux, les bat, les dissipe, passe tranquillement; et n'ayant mis que trente jours à parcourir tant de contrées, par son arrivée soudaine , il déconcerte les Grecs conj urés , et sauve sa patrie. 3. Annibal, vaincu plusieurs fois parle consul Nér on n'étoit plus soutenu que par l'espérance de voir bientôt son frère Asdrubal à la tête d'une nombreuse armée. Il en attendoit des nouvelles avec une impatience proportionnée à ses besoins. Asdrubal ayant été forcé de lever le. siège de Plaisance, par le coxmALivius, collègue de Néron, avoit envoyé quatre cavaliers gaulois et deux numides , pour porter à Annibal les lettres qu'il lui écrivoit. Ces cavaliers , après avoir traversé heureusement toute la longueur de l'Italie, cherchoient à joindre le général carthaginois , qui se retiroit vers Métaponte ; mais s'étant engagés dans des chemins qu'ils ne connoissoient pas , ils s'approchèrent de Tarente.Là,ilsfurentpris pas desfourrageurs de l'armée romaine , qui couroient la compagne , et conduits au consul Néron , qui saisit les lettres qu'ils portaient. En les ouvrant, ce général voit que le projet àAsdru~ bal est de joindre son frère dans l'Ombrie. Aussitôt il forme le dessein le plus hardi,le plus extraordinaire , dont le succès devoit être le salut de Rome, mais qui auroit causé sa perte, s'il n'eûtpas réussi.Ilentreprend de tromper Annibal, c'est-à-dire, lecapitaine le plus vigilant, leplus attentifde son siècle, enlaissant auprès de lui son camp toujours dans lemême état,demanière qu'il pût croire que le consul étoit présent; de traverser lui-même toute la longueur de l'Italie ; d'aller se joindre à son collègue, pour accabler Asdrubal,etde revenir ensuite, avantqu'Annibalse fût aperçu de son. absence.Il choisit, pour cet effet,les meilleurs soldats de son armée ;il en forme un corps de six mille hommes de pied et de mille chevaux, part de nuit, et prend ta A 4
ACTIVITE.
�8 ACTIVITÉ. route de la Marche dJ An cône. Il avoit dépêché des ca~ valiers dans tous les pays par où il devoit conduire ses troupes,pour ordonner aux habitans des villes et des campagnes de tenir sur le chemin des vivres tout prêts, et d'y faire conduire des chevaux et d'autres bêtes de somme : ainsi rien ne retarda la marche ; et il arriva en peu de temps au camp de Livius. Pour mieux tromper l'ennemi,Néron entra dans les retranchemensdesoncollègue, àlafaveurdes ténèbres. Le lendemain on sortit du camp en ordre de bataille. Asdrubalse mit aussi en devoir de combattre; mais, en habile général, attentif atout, ayant remarqué de vieux boucliers qu'il n'avoit pas encore vus , des chevaux plus fatigués et plus efflanqués que les autres , et jugeant même, à l'œil, que le nombre des ennemis étoit plus grand que de coutume, il fit sonner la reteaite, et retourna dans son camp. Après y avoir bien pensé , il comprit que les deux consuls étoient réunis ; ce qui lui causa une mortelle inquiétude sur le sort de son frère. Il ne pouvoit s'imaginer , ce qui pourtant étoit très-: véritable, qu'au capitaine comme Annibal se fut laissé faire illusion au point d'ignorer où étoient le général et l'armée à qui il avoit affaire. «Assurément , disoit-il , « mon frère a reçu quelque échec considérable; » et il craignit fort d'être venu trop tard à son secours. Occupé de ces tristes réflexions , il fait éteindre tous les feux , et ordonne à ses troupes de décamper. Dans le désordre d'une marche nocturne et précipitée , ses guides lui échappent ; son armée , qui ne connoissoit pas le pays , erre d'abord à l'aventure au travers des champs ; et bientôt après, la plupart des soldats, accablés de sommeil et de lassitude , abandonnent leurs drapeaux , et se couchent çà et là le long du chemin. Asdrubal, en attendant que le flambeau du jour pût éclairer sa marche , ordonne à ses guerriers de côtoyer les rives du Métaure, daus le dessein de passer ce fleuve.Mais il ne trouve point de gué.Les Romains ont le loisir de le joindre. Toutes les troupes réunies se rangent en bataille. Néron étoit à la droite , Livius à la gauche. D'abord Asdrubal s'empara d'une hauteur
�ACTIVITE-. 9 voisine , pour s'y retrancher ; mais un instant après , il vit qu'il lui était impossible d'éviter le combat, et Lit tou t ce qu'on pouvoit attendre de la présence d'esprit et du courage d'un grand capitaine. Il prend un poste avantageux, étrange ses troupes dans un terrain étroit, pour leur procurer plus de profondeur. Ensuite il -donne le signal , résolu de vaincre ou de mourir en celte occasion , qu'il regardoit comme décisive. Il marche contre l'aile gauche des Romains. Livius le reçoit avec une bravoure invincible. Le choc est terrible, la résistance est furieuse. Départ et d'autre, des troupes aguerries et pleines de courage, animées encore par la présence de généraux qui, les premiers, 'affrontant les périls et la mort, font long-temps balancer la victoire. Cependant, Néron fait d'inutiles efforts pour monter sur la colline qui le masque : les Carthaginois l'en écartent toujours par d'horribles décharges de traits et de pierres. Voyant qu'il n'étoitpas possible d'aller aux ennemis par ce chemin : « Quoi donc ! » s'écria-t-il, en s'adressant à ses troupes -, quoi ! nous » serons venus ici de si loin, et avec tant de diligence, 1> pour être les spectateurs oisifs du triomphe de nos >' compatriotes ! » Il dit, et part comme un trait avec la moitié de l'aile droite , passe derrière là bataille , fait le tour de l'armée , et vient fondre obliquement sur l'ailé droite des ennemis, qu'il attaque bientôt par les derrières. Jusque-là le succès avait été douteux ; mais quand l'armée d'Asdrubal se vit chargée à la fois de front, en flanc et en queue, la déroute fut entière. Asdrubal s'aperçoit que la victoire se déclare pour les Romains ; il ne veu t pas survivre à son malheur , et se jette au milieu d'une cohorte romaine , où il périt en digue frère d'Annibal.Dès la nuit qui suivit le combat, Néron partit pour rejoindre son armée ; et faisant encore plus de diligence , après dix jours de marche, il arrive dans son camp. Aussitôt il fit jet er dans les retranchemens àAnnibal la tête de son frère , et lâcha deux prisonniers , qui l'instruisirent amplement de la malheureuse journée du Métaure. Annibal , voyant la tête de son frère , attendri et consterné , s'écria :
�ÎO
ACTIVITÉ.
» Hélas ! j'ai perdu toute mon espérance , tout mon » bonheur ! » Il décampa , et se retira aux extrémités de FItalie , dans le Brutium , vaincu sans ressource par l'activité de Néron. 4- La ville de Rennes étoit assiégée par le duc de Lancastre; et, sans un prompt secours, cette place importante alloit succomber sous les efforts des Anglais. Lefameux-Dw Guesclin résolut de la sauver. Une foule d'obstacles s'opposoient à son courage : il en triompha par sa célérité. Il prend cent hommes déterminés , qui ne respiroient que le sang et les combats. Il fait, en moins de douze heures , dix-huit lieues de chemin , arrive , à la pointe du jour, à l'entrée du camp des Anglais , et se dispose à le traverser. Tout y étoit encore enseveli dans le sommeil : la garde avancée veilloit seule. Du Guesclin fond sur ces soldats , les presse , les pousse, et entre avec eux dans le camp.Une partie de sa troupe égorge, pendant que l'autre renverse ceux qui accourent aux cris des blessés. En même temps > ils mettent le feu aux tentes : l'incendie se répand ; et l'ennemi, nu en chemise, fuit à la fois le fer et la flamme. Enfin , le vainqueur se voit aux portes de Rennes, qui lui sont ouvertes à l'instant. Mais apercevant, à quelque distance, deux cents charrettes chargées de vivres destinés pour l'armée ennemie, il attaque ïes Anglais qui les défendoient, les met en fuite , et entre dans la ville à la tête de ce convoi, presque aussi utile à la place, que cette victoire inattendue et rapide. 5. Jamais peut-être aucun prince ne fut plus actif que Charles XII, roi de Suède. Durant son séjour à Bender , il s'occupoit, soit à monter à cheval, soit à exercer ses soldats. Toujours levé avant le soleil, il lassoit trois chevaux par jour. Seulement il jouoit quelquefois aux échecs avec le général Poniatowski, ou avec Grothusen son trésorier. Ceux qui vouloient lui plaire , l'accompagnoient dans ses cavalcades , et étoient en bottes tout le jour. Un matin , qu'il entroit chez son chancelier Mullern encore endormi, il défendit qu'on l'éveillât, et attendit dans l'antichambre. Il y avoit un grand feu dans la cheminée , et quelques paires de
�11 souliers , que Mullern avoit fait venir d'Allemagne pour son usage. Le roi les jeta tous dans le feu , et s'en alla. Quand le chancelier sentit , à son réveil , l'odeur du cuir brûlé , et en eut appris la raison : « Voilà un étrange roi, dit-il, dont il faut que le chan» celier soit toujours botté. » Ayant quitté les états du Grand-Seigneur , il prit sa route par l'Allemagne ; et après seize jours de course , non sans danger d'être arrêté plusd'une fois, il arriva, Ie2i de novembre 1714* à une heure après minuit, aux portes de la citadelle de Stralsund. Le roi cria à la sentinelle , qu'il étoit un courrier dépêché de Turquie par le roi de Suède , et qu'il falloit qu'on le fît parler , dans le moment , au général Ducker, gouverneur de la place. La sentinelle répondit qu'il étoit tard ; que le gouverneur étoit couché ; qu'il falloit attendre le point du jour. Le roi répliqua qu'il venoit pour des affaires importantes , et déclara que , si l'on n'alloit pas réveiller le gouverneur , il y en auroit plusieurs de pendus le lendemain matin. Un sergent alla enfin réveiller Ducker , qui s'imagina que c'étoit peut-être un des généraux du roi de Suéde. On fit ouvrir les portes, et l'on introduisit le prétendu courrier dans la chambre. Ducker , à moitié endormi, lui demanda des nouvelles du roi. Charles le prenant par le bras : « Eh quoi 1 dit-il, mes plus fidèles sujets » m'ont-ils oublié ? » Le gouverneur reconnut le monarque. Il n'en pouvoit croire ses yeux. Il se jette en bas du lit ; il embrasse les genoux de son maître , en versant des larmes de joie. La nouvelle en fut répandue à l'instant dans la ville. Tout le monde se leva. Lés soldats vinrent entourer la maison du gouverneur. Les rues se remplirent d'habitans , qui se demandoient les uns aux autres : « Est-il vrai que le roi7est ici ? » On fit des illuminations à toutes les fenêtres : le vin coula dans les rues, à la lumière de mille flambeaux, et aubruitde l'artillerie. Cependant, onmena Charles XII au lit. Il y avoit seize jours qu'il ne s'étoit couché. Il fallut lui couper ses bottes sur les jambes, qui s'étoient enflées par l'extrême fatigue. Il n'avoit ni linge , ni habit. On lui fit à la hâte une garde-robe de tout ce
A C T I V I T E,
�12
ADORATION,
qu'on put trouver de plus convenable dans la ville. Quand il eut dormi quelques heures , il ne se leva que pour aller faire la revue de ses troupes , et visiter les fortifications. Le jour même , il envoya de tous côtés ses ordres pour recommencer une guerre plus vive que jamais contre tous ses ennemis.
ADORATION.
i. tous les temps, chez tous les peuples, on a senti qu'il devoit y avoir nécessairement un commerce entre Dieu et les hommes ; et l'adoration suppose la conviction intime où sont ceux qui la rendent à l'Etre-Suprême , que sa bonté est attentive aux désirs des mortels, et qu'elle daigne les remplir quand ils ne sont pas contraires à sa justice. Dans les premiers siècles du paganisme, lorsque le soleil et la lune recevoient les hommages des nations , la distance de ces astres parut être un obstacle à ce commerce. Les hommes aveugles crurent diminuer l'intervalle en portant la main à leur bouche , et en l'élevant ensuite vers ces fausses divinités , pour leur témoigner qu'ils voudraient s'y *nir , mais qu'ils sont retenus par leur impuissance. Voilà la véritable origine du verbe latin adorare ( adorer ), qui n'est en effet que l'abrégé de ces mots , ad os manum admovere , « porter la » main à la bouche. » C'est de cette coutume impie , usitée dans tout l'Orient, que Job se trouvoit heureux d'avoir été préservé , lorsqu'il disoit : « Je n'ai pas « regardé le soleil dans son grand éclat, ni la lune « lorsqu'elle étoit dans toute sa majesté ; mon cœur « n'a point été séduit en secret , et je n'ai point << porté la main à ma bouche. » « Pourquoi êtes - vous né ? » demandoit - on à Anaxagore. « Pour regarder le ciel , » répondit ce philosophe. « Mais , ajouta-t-on , quelle est votre » patrie ? — La voici , » répliqua-t-il, en montrant du doigt cette Voûte immense dont l'éclat instruit la terre à révérer son auteur. <,
DANS
2.
�l3 3. S.Fructueux, évêque deTarragone en Espagne* fut arrêté par Emilien , gouverneur de cette ville , avec deux de ses diacres , Augure et Euloge. Le magistrat dit au saint Prélat : « Savez-vous ce que les « empereurs ont ordonné ? — Non , répondit Fruc« tueux ; mais ce que je sais , c'est que je suis chré« tien. — Il ont ordonné qu'on adorât les dieux. « — J'adore un seul Dieu , créateur de l'univers : « il mérite seul mes hommages. — Vous ignorez donc « qu'il y a des dieux ? — Je vous l'ai déjà dit , je « n'en connois qu'un seul. — Tantôt je vous prou« verai le contraire. » Fructueux regarda ces dernières paroles comme son arrêt de mort. Il leva les yeux vers le Tout-Puissant, pour le supplier d'agréer son sacrifice. Emilien, plein de colère , s'écria : « Qui « écoute-t-on , qui craint-on , qui adore-t-on , si l'on « ne sert pas les dieux, si l'on n'adore point le visage « des empereurs ? » Puis il dit au diacre Augure : « Ne suivez pas les discours de Fructueux. •— J'adore « un Dieu tout-puissant, répondit Augure. » Le gouverneur dit enfin à Euloge : « Et toi, jeune homme, «adores-tu aussi Fructueux? —Je n'adore point « Fructueux , répondit le diacre ; mais , comme lui, « j'adore le Dieu qui, seul a créé le ciel et la terre. » Emilien fatigué de cette résistance , revient à Fructueux : « Es-tu de ceux que vous appelez évêques ? « — Oui, je le suis. —Eh bien, dis que tu l'as été , « et que tu ne l'es plus. » Aussitôt il commanda que ces trois illustres confesseurs fussent brûlés vifs. 4- « O mon fils , disoit Cambyses à Cyrus, en l'en« voyant à son aïeul Astyage; ô mon fils, souvenez« vous bien de ne jamais rien entreprendre avant « d'avoir adoré l'Etre - Suprême. Que de ferventes « prières précèdent toutes vos actions, soit pubhques, « soit particulières ; et attachez-vous en toutes choses « à connoître la volonté des dieux. Notre esprit est « environné de ténèbres épaisses , l'erreur s'insinue « dans notre ame plus aisément que la vérité. La « lumière des dieux est sans nuage : le passé et « l'avenir leur sont aussi connus que le présent, et
ADORATION.
�ADORATION.
quand on les invoque , leur éternelle sagesse dirige les desseins des hommes 5 ils en récompensent l'humble piété , en leur inspirant dans l'occasion et ce qu'ils doivent faire, et ce qu'ils doivent éviter. » 5. Alfonse, roi d'Aragon et de Sicile, faisant marcher son fils contre les Florentins avec une grande armée , lui dit entre autres choses : « Le principal « conseil que je vous donne, est de compter moins sur « votre courage et sur l'intrépidité de vos soldats , « que sur le secours du Dieu tout-puissant. Croyez« moi, mon fils, ce n'est pas la capacité du général, « ni la docilité des troupes , mais la volonté de Dieu « qui donne la victoire. Si sa main ne vous dirige , « toute votre expérience militaire vous sera inutile ; « et c'estparune piété solide , par une vie innocente « et sans reproches , qu'on se le rend favorable. « Adorez donc l'Etre - Suprême , mon cher fils ; « n'ayez de confiance qu'en lui seul , puisque c'est « à lui seul que vous devrez vos succès et tout le bien « que vous pourrez faire. » L'exemple de ce grand prince donnoit de l'énergie à ses conseils , et jamais roi ne fut plus attentif à rendre à la Divinité l'honneur que lui doit tout ce qui respire. Telle étoit sa prière ordinaire : « Je vous re« mercie humblement , ô mon Dieu ! de ce qu'au « lieu de m'avoir placé au nombre des animaux dé« pourvus de raison , non - seulement vous m'avez « créé homme , mais vous m'avez fait chrétien , et « maître d'un royaume où je puis être l'instrument de « votre bienfaisance. » 6. Le célèbre Scipion l'Africain ne se livroit chaque jour à l'administration des affaires pubbques, qu'après avoir passé quelque temps dans une chapelle de Jupiter, pour y adorer la divinité, et consulter, par la prière, sa volonté suprême. La piété de ce grand homme étoit si connue des Romains , qu'ils ne le désignoient souvent qu'en disant : Voilà le fils de Jupiter. 7. Philippe IV, roi d'Espagne, commença son règne par une action de piété bien digne de mémoire. Le jour même de la mort de Philippe III son père , allant
« « « <s
�ADORATION.
i5
du palais de Madrid au monastère de San-Jeronimo del passo , dans un carrosse fermé , afin de passer incognito, il en descendit pour accompagner le SaintSacrement que l'on portoit à un malade. Le comte à'Olivarez lui ayant remontré que la mort du roi son père ne lui permettoit pas de paroître en public, il lui répondit : « Cet usage ne sauroit me dispenser de » rendre à Dieu l'honneur que je lui dois. » 8. Sous le règne d'Alexandre Sévère , le christianisme , depuis si long-temps persécuté , commença enfin à jouir d'un certain calme ; et ceux qui le professoient osèrent même donner une sorte de publicité aux cérémonies de la religion. Pour prier en commun, des chrétiens.s'établirent dans une vaste maison qui, peu de temps auparavant, étoit un cabaret très-fréquenté. Le concours des Fidèles qui s'y rendoient de tous les quartiers de la ville , attira l'attention des anciens locataires 5 ils crurent devoir réclamer la maison pour y recommencer leur commerce 5 et ne doutant pas du succès de leur requête, ils se présentent devant l'empereur , alléguant que les chrétiens sont d'autan t plus dignes d'animadversipn, qu'ils n'ont fait choix de ce lieu que pour y perpétuer un culte réprouvé de l'empire. « Quel est donc le but de ce « culte ? interrompit le prince ; n'est-ce pas d'y adorer « Dieu ? — Oui, seigneur ; mais la manière dont ils << l'adorent n'est pas légitime. — Qu'importe la ma« nière , si le motif est bon ? Je décide qu'il vaut en« core mieux adorer Dieu dans cette maison, quoique « d'une manière imparfaite , que d'y vendre du vin , « et d'y préparer un asile à la débauche. » 9. S. Jean l'aumônier, ne souffrait pas qu'on parlât dans l'église. Il chassoit publiquement tous ceux qui se rendoient coupables de cette irrévérence : « Si « vous êtes venus ici pour prier , leur disoit le reli« gieux Prélat, n'employez point à autre chose votre « esprit et votre langue ; si c'est pour parler de choses « inutiles et profanes , écoutez , mes frères , écoutez « ce que Jésus-Christ dit lui-même dans l'Evangile : « La maison de Dieu sera nomniée la maison de prière;
�l6
ADRESSE
ESPRIT.
« gardez-vous doue bien d'en faire une caverne de « voleurs. » 10. Anne, mère du prophète Samuel , étant prosternée dans le temple , pour demander un fils au Tout-Puissant , ne prioit pas d'une voix haute ni éclatante, mais tout bas et modestement dans le secret de son cœur. « Elle remuoit les lèvres , dit l'Ecriture; « mais on n'entendoit point ce qu'elle disoit. » 11. Un solitaire d'Egypte vint demander à S. Macabre , comment il devoit prier ? « Mon frère , lui ré« pondit le saint abbé , il n'est pas besoin d'employer « beaucoup de paroles ; il suffit d'étendre les mains « vers le ciel , et de dire : O mon Dieu ! que voire « volonté soitfaite ! Et quand vous vous sentirez com« battu par quelque tentation pressante, dites du fond c de votre cœur : O mon père ! secourez - moi ! car « Dieu sait bien ce qui vous est nécessaire. » 12. Abdalcader , fameux docteur musulman , faisoit ordinairement la prière suivante : « O Dieu tout« puissant, si, prosterné sans cesse humblement de0. vant ton Etre-Suprême , je ne m'occupe qu'à te « rendre un culte digne de toi , daignes quelquefois « jeter un regard de bonté sur ce vil insecte qui « t'adore. » Voyez PIETÉ , RELIGION.
ADRESSE D'ESPRIT. î. SAINT AMPHILOQUE , illustre évêque d'Icône , vovant que 2 'héodose écoutait trop favorablement les Ariens , qui nioient la divinité du Fils de Dieu , se transporta au palais de cet empereur ; et s'approchant du jeune Arcadius , son fils, qui venoit d'être déclaré César , le caressa comme un enfant ordinaire, et sans lui rendre le respect qu'exigeoit le rang où il était placé. Le prince regardant cette familiarité comme une injure faite à lui - même en la personne de son fils , ordonna qu'on chassât ce prélat incivil. Pendant qu'on poussoitle saint évêque pour le faire sortir, il se tourna vers
�ADRESSE
D'E S P Î I T.
ij
vers Théodose, en s'écriant : « Quoi! seigneur, vous « vous emportez parce que je ne rends pas à votre « fils l'hommage que je dois à sa naissance et à son « rang, et vous souffrez ceux qui blasphèment le Fils « unique du Tout-Puissant ! Je n'ai offensé qu'un simple « mortel comme moi ; vous me chassez : eux, ils outra« gent le Fils de l'Eternel, et vous leur prêtez « l'oreille ! » L'empereur comprit alors la sagesse du prélat : il le rappela, lui demanda pardon, et publia, peu de temps après, des lois sévères contre les assemblées de ces nouveaux hérétiques. 2. Démosthène , orateur athénien, s'arrêta un jour au milieu de son discours, voyant que le peuple ne Fécoutoit pas, et se mit à débiter ce conte : « Pendant » les chaleurs de l'été, un jeune homme avoit loué un i> âne , pour aller d'Athènes à Mégare. A l'heure de » midi, le jeune homme, afin de se dérober aux ardeurs » du soleil, voulut se mettre sous l'âne; mais celui » qui l'avoit loué lui disputa ce droit, soutenant qu'il » avoit loué l'animal, et non pas son ombre. Le jeune » homme, au contraire, disoit qu'en louant l'âne, il » avoit aussi loué son ombre. » Démosthène finit là son conte, et descendit de la tribune ; mais le peuple le retint, et lui demanda avec empressement comment la dispute s'ëtoit terminée. Alors le sublime orateur, élevant cette voix foudroyante qui faisoit trembler le roi de Macédoine : « Dieux protecteurs d'Athènes , » s'écria-t-il, voyez-vous avec quelle avidité votre » peuple écoute des contes frivoles et puériles, et la » coupable indifférence avec laquelle il reçoit nos » conseils sur les plus chers intérêts de la patrie ? » 3. A la faveur du manteau philosophique , les sophistes de la Grèce trafiquoient de leur prétendu savoir, s'intriguoient dans les affaires du monde , et tro'uvoient mille moyens de satisfaire leur ambition et leur avarice. Ils alloient de ville en ville ; ils s'yfaisoient annoncer comme des oracles. Ils marchoient accompagnés d'une foule de disciples , qui, par une espèce d'enchantement, abandonnoient le sein de leurs parens , pour se livrer à ces maîtres orgueilleux qu'ils Tome I. B
�1,8 ADRESSE D'ESPRIT. payoient au poids de For. Il n'y avoit rien que ces docteurs n'enseignassent, théologie, physique, morale, arithmétique, astronomie, grammaire, poésie, musique , rhétorique , histoire. Ils possédoient toutes les sciences humaines. Leur fort étoit la philosophie et Véloquence. La plupart se piquoient de satisfaire sur-lechamp à toutes les questions possibles. Les jeunes gens » emportoient de leurs instructi ons qu 'une sotte estime d'eux-mêmes , et qu'un mépris général pour tous les autres ; et de ces écoles il ne sortoit aucun disciple qui ne fût au moins aussi impertinent que son maître. Socrate entreprit de décréditer dans l'esprit de la jeunesse Athénienne la fausse éloquence et la mauvaise dialectique de ces pédans orgueilleux. Le projet étoit beau, mais difficile , et demandoit une merveilleuse adresse. Il feignit d'être un homme fort simple , qui cherchoit à s'instruire ; et, sous cette ignorance affectée , il cacha toute la beauté , toutes les richesses de son esprit. Quand il se trouvoit dans une compagnie avec quelqu'un de ces Sages , il proposoit ses doutes d'une manière timide et modeste ; et, comme s'il n'eût pu se faire entendre autrement , il usoit de comparaisons triviales , et prises des métiers les plus vils. Le Sophiste l'écoutoit avec une attention dédaigneuse, et au lieu de donner une réponse précise, il recourait aux lieux communs , et discourait beaucoup sans rien dire. Socrate , après avoir applaudi pour ne pas effaroucher son homme , le prioit de vouloir bien se proportionner à sa foiblesse , et descendre jusqu'à lui, en satisfaisant à ses demandes en peu de mots, parce que ni son esprit, ni sa mémoire n'étoient capables de comprendre et de retenir tant de choses si belles et si élevées , et que toute sa science se réduisoit à interroger et à répondre. Cela se disoit devant une assemblée nombreuse; et le docteur ne pouvoit reculer. Quand, une fois, Socrate l'avoit tiré de son fort, en l'obligeant de répondre succinctement à ses questions , alors, par la justesse de sa dialecùque,ille conduisoit, de l'une à l'autre, jusqu'aux conséquences les plus absurdes ; et, après l'avoir forcé
�AD R E S S É
D'ÈSPRI T»
si Se contredire lui-même, ou à se taire, il se plaignoit de ce que ce savant homme ne daignoitpas l'instruire. Cependant les jeunes gens apercevoient le foible de leur maître ; et l'admiration qu'ils avoient eue pour lui se tournoit en mépris. Par cet ingénieux artifice , le nom de sophiste devint bientôt odieux et ridicule. 4-Michel-Ange, indigné de lapréférence injuste que les prétendus connoisseurs de son temps donnoient aux ouvrages des anciens sculpteurs; piqué d'ailleurs de ce qu'on lui avoit dit à lui-même, que la moindre des figures antiques étoit cent fois plus belle que tout ce qu'il avoit fait, ou pourroit jamais faire, imagina un moyen sûr de les confondre. Il sculpta secrètement un Cupidon de marbre , ou il épuisa tout son art et tout son génie. Quand cette charmante statue fut achevée , il lui cassa un bras ; et, après avoir donné au reste de la figure, par le moyen de certaines teintures rousses , la couleur vénérable des statues antiques , il alla l'enfouir, durant la nuit, dans un endroit où l'on devoit bientôt jeter lesfondemens d'un édifice. Le temps venu, les ouvriers trouvèrent le Cupidon ; la multitude des curieux accourut pour admirer. Jamais ils n'avoient rien vu de si beau. C'est un chefd'œuvre de Phidias , disoient les uns ; il est de Policlète, disoient les autres. Qu'on est éloigné, s'éerioientils tous, de faire aujourd'hui rien de pareil ! Mais, quel dommage qu'il lui manqua un bras !.... Ce bras, je l'ai, Messieurs, dit enfin Michel-Ange, qui écoutait ces folles exagérations. On le regarde avec pitié ; mais quelle fut leur surprise quand ils virent ce bras tout neuf se joindre parfaitement à l'épaule de la figure ! Ils reconnurent alors malgré eux qu'ils possédoient des Phidias et des Polyclete en état de lutter contre les Anciens ; et si leur prétention ne fut pas détruite, elle fut du moins réduite à garder le silence. 5. Aristide, ayant été élu trésorier général de la république d'Athènes , voulut dévoiler les déprédations de ceux qui l'avoient précédé dans cette charge, et même celles de Thêmistocle ; car celui-ci, avec toutson mérite, n'était pas sans reproche de ce côté-là,
�■20
ADRESSE
D'ESPRIT.
Aussi, lorsqa'Aristide rendit ses comptes , Themistocle , qui avoit soupçonné son projet, se hâta de le prévenir, et Paccusant de ne s'être targué d'une intégrité si sévère, que pour mieux cacher ses vols secrets , il vint à bout de le faire condamner. Les principaux de la ville, et les plus gens de bien réclamèrent contre un jugement si inique : non-seulement l'amende lui fut remise, mais on le nomma encore trésorier pour l'année suivante. Alors Aristide feignit de se repentir de sa première administration. Il se montra plus traitable et plus facile , et trouva le secret de plaire à tous ceux qui pilloient la république. Il ne les reprenoit point; iln'examinoit point scrupuleusement leurs comptes. Ils combloient de louanges l'indulgent trésorier , et firent à leurjour des brigues auprès du peuple pourle continuer une troisième année dans la même charge. Mais le jour de l'élection étant venu, comme tous les suffrages se réunissoient pour le nommer, Aristide prit la parole ; et, s'adressant aux Athéniens : « Quoi ! leur dit-il , « quand j'ai administré vos finances avec la fidélité, la « vigilance d'un homme de bien, j'ai essuyé de votre « part les traitemens les plus durs etles plus humilians ; « et aujourd'hui que je les ai abandonnées à la voracité « de ces sangsues publiques, je suis un homme admi« rable et le meilleur des citoyens ! Je vous déclare « donc que j'ai plus de honte de l'honneur que vous '< me faites en ce jour, que je n'en eus, l'an passé, delà « condamnation que vous prononçâtes contre moi ; et « je vois avec douleur, qu'il est plus glorieux ici d'user « de complaisance avec les méchans, que de ménager « et de conserver les biens de la république. » Par ce discours digne de lui, ce grand homme ferma la bouche aux brigands de l'état, et mit le comble à l'estime que tous les bons citoyens avoient déjà pour sa haute vertu. 6. Les Egyptiens avoient tiré de la poussière le célèbre Amasis, pourle placer sur le trône. Mais à peine eut-il ceint le diadème, que ce monarque, issu d'une famille obscure, tomba dans le mépris de ses sujets : ' peut-être même que sa grandeur soudaine l'auroit pré-
�ADRESSE
D ESPRIT.
2i
cipité dans un abîme de maux, s'il n'eût enfin gagné l'estime de son peuple, plutôt par son adresse que par son mérite. Il avoit un bassin d'or dans lequel lui-même et ses convives lavoient leurs pieds , suivant l'usage, avant de se mettre à table. On le fondit par son ordre ; et le plus habile artiste d'un pays qui en produisoit tant, changea le bassin en une statue magnifique , qui représentoit un des dieux de l'Egypte. On érige un superbe temple à l'idole : on accourt en foule se prosterner aux pieds de la divinité nouvelle ; on implore sa redoutable puissance ; on lui fait à l'envi les plus riches offrandes. Amasis , instruit du succès de sa ruse , crut qu'il étoit temps de donner à son peuple la leçon qu'il méditoit. Il l'assemble ; et, revêtu des ornemens royaux : « Egyptiens , leur dit-il « avec majesté, ce dieu, l'objet de votre culte, servoit, « il y a quelque temps , à me laver les pieds; et, placé « dans un coin de mon palais, il n'étoit connu que par « son usage. Sa matière est tou jours la même, sa forme « seule a changé; et c'est cette forme qui attire aujour« d'hui vos adorations et vos hommages. Egyptiens , « ouvrez les yeux, et voyez en moi une semblable mé« tamorphose. Je n'étois autrefois qu'un homme du « peuple, inconnu, ignoré comme mes pères. Aujour« d'hui, je suis votre maître et votre roi. Rendez-moi « donc l'honneur et le respect qui sont dus à votre sou« verain.» L'Egypte entière reconnut son erreur : Arnaj^devint, depuis ce moment, l'objet de sa vénération. 7. Louis XIV étant encore enfant, ne pouvoit se résoudre à porter le cordon bleu. Le maréchal de Villeroi, son gouverneur, employa cette adresse pour l'obliger à ne point quitter le ruban de cet ordre illustre. Il rendit ses respects à Monsieur, qui avoit le cordon bleu, et lui parla comme s'il se fût adressé au roi. LouisXIV, piqué de cette méprise, lui dit fièrement : « C'est moi qui suis le Roi. —Bon ! répondit le « maréchal, voilà ce que vous ne me persuaderez « point : si vous étiez le Roi , n'auriez-vous pas le « cordon bleu ? » Le jeune monarque l'alla prendre au plus vite , et paraissant un instant après , le gouB 3
�22
ADRESSE
D'ESPRIT,
verneur lui dit : « Sire, je vous reconnois à présent. » On a remarqué que, depuis ce moment, Louis XIV ne quitta plus le cordon bleu. 8. Le philosophe Aristide s'était embarqué ; et -lorsqu'il fut en mer, il s'aperçut que le vaisseau qu'il montait appartenoit à des corsaires. Alors il commença par é taler tout son argent ; il le compta ; puis le jeta dans les eaux, disant en lui-même : « Il vaut « bien mieux qu'Aristippe te perde , que tu perdes « Aristippe.» Il feignit ensuite de l'avoir laissé tomber par mégarde. Ce stratagème ôta aux pirates l'envie de le voler , et lui conserva la vie. 9. Antiochus, battu par les Romains, fut obligé de songer à faire la pîiix. Annibal, qui craignoit que ce monarque ne le livrât à ses mortels ennemis pour faire ses conditions meilleures, ce qui n'auroit pas manqué d'arriver s'il fût resté à sa cour, prit le parti de passer en Crète dans la ville de Gortine, pour y délibérer sur le choix d'une retraite sûre. Mais le bruit s'étant répandu qu'il avoit beaucoup d'argent, l'avarice des Cretois lui donna de nouvelles craintes. Pourse mettre à l'abri des suites de leur avidité, il fit remplir de plomb de très-grandes cruches , mit quelques pièces d'or et d'argent sur le plomb , et fit porter ces vases dans le temple de Diane, à la vue de tous les habitans , feignant de confier ainsi toute sa fortune à leur bonne foi. Quant à son argent, il le mit dans des statues d'airain qu'il laissa couchées à terre dans le vestibule de sa maison. Les Gortiniens gardèrent avec une extrême exactitude le temple de la déesse, non pas tant contre les autres, que contre Annibal lui-même , de peur qu'il n'ôtât, à leur insu, quelque chose de son dépôt, et qu'il ne l'emportât. Dès que l'occasion s'en présenta, il s'embarqua secrè tement avec ses richesses, et chercha un asile chez des peuples qui savoient tnieux respecter la propriété d'autrui. 10. Alcibiade connoissoit bien le génie du peuple d'Athènes, qui se plaisoit à s'entretenir sur les actions des gens considérables, et qu'une bagatelle aussi pouvait détourner d'objets importans-. Dan? un temps, où
�ADRESSE D'ESPRIT. 25 sans doute il convenoit à ses vues que les langues médisantes ne s'exerçassent point sur sa conduite , il fournit à ses compatriotes un sujet ridicule d'entretien. Il avoit un chien très - beau, qu'il avoit acheté six mille drachmes : il lui coupa la queue, et le laissa se promener dans la ville. Il dit ensuite à ceux qui lui demandoient avec étonnement la raison d'une telle bizarrerie : « J'ai voulu qu'en parlant de mon chien , « les Athéniens suspendissent leur curiosité sur toute <i autre chose. » 11. La ville d'Enguine, située sur les monts Hézéens, vers le milieu de la Sicile, célèbre par son antiquité , et sur-tout par un temple de Cybèle qui y étoit honorée d'un culte particulier, favorisoit, an temps de la seconde guerre punique, le parti des Carthaginois. Mais un de ses citoyens les plus distingués , appelé Nicias, faisoit tous ses efforts pour la retenir dans les intérêts de Rome. Il donnoit ouvertement ce conseil dans toutes les assemblées, et démontrait clairement que c'étoit le parti le plus sûr et le plus avantageux à la patrie. Ceux qui étaient portés pour Annibal, craignant l'autorité et la réputation de cet homme , délibérèrent de se saisir de sa personne, et de le livrer aux Carthaginois. Nicias, ayant été instruit de ce complot, dissimula, et chercha à se précautionner contre ses ennemis. Voici le stratagème qu'il employa pour y réussir. Il sema dans le public des propos injurieux à la déesseCybèle, et traita de fable tout ce qu'en disoient les prêtres. Ses ennemis furent ravis de voir qu'il leur fournissoit ainsi de lui-même les raisons les plus capables d'autoriser et de justifier tout ce qu'ils feroient contre lu i. Le jour qu'ils dévoient exécuter leur dessein étant arrivé, les citoyens, par hasard, s'assemblèrent sur la place pour délibérer de quelque affaire. Nicias y étoit aussi, haranguant le peuple, et lui donnant des conseils. Tout-à-coup, au milieu de son discours , il se jette à terre ; et après avoir demeuré quelque temps sans parler, comme s'il eût été ravi en extase, il lève la tête, et la tourne çà et là ; articulant quelques mots d'une voix fpible et tremblante qu'il haussa peu
�24
ADRESSE
D'ÎSPKIT.
à peu. Quand il voit toute l'assemblée saisie d'horreur , et gardant un profond silence , il se lève, jette son manteau , et déchirant sa tunique , il prend sa course demi-nu, et gagne une des issues de la place, en criant que la déesse Cybèle le poursuit. Personne n'ose ni le toucher, ni se mettre devant lui , par un scrupule de religion. Ainsi tout le monde se détournant et lui faisant place , il arrive à l'une des portes de la ville. Sa femme, qui étoit d'intelligence avec lui, et qui aidoit au stratagème, prend ses enfans entre ses bras , et va d'abord se prosterner aux pieds de l'autel de Cybèle 5 ensuite, feignant d'aller chercher son mari, elle sort de la ville en sûreté, sans que personne l'en empêche ; et ils se sauvent ainsi tous deux a Syracuse vers Marcellus. 12. Lorsque Caïus Marius fut obligé dé sortir de Rome pour se dérober au ressentiment de Sylla, il se retira d'abord à une petite maison de campagne, d'où il envoya son fds dans les terres de Mutius, son beaupère , afin d'y prendre les provisions dont il avoit besoin. Le jeune Marius, étant arrivé chez son aïeul, s'empressa de ramasser tout ce qui lui étoit nécessaire , et en fit plusieurs paquets. Pendant qu'il étoit occupé à ce travail, quelques cavaliers , qui cherchoient Marius , s'avancèrent de ce côté. Le fermier de Mutius, les ayant aperçus d'assez loin , cacha promptemént le jeune homme dans une charrette charée de fèves ; et attelant en même temps ses bœufs , alla au devant de ces cavaliers, comme menant sa charrette à Rome. Cette ruse hardie sauva le jeune Marius, qui fut conduit dans la maison de sa femme, où il acheva ses provisions ; et dès que la nuit fut venue , il se rendit sur le bord de la mer, où, ayant trouvé un vaisseau prêt à partir pour l'Afrique, il s'y embarqua. i5. Galère, empereur romain , jaloux des vertus de Constantin , fils de Constance Chlore, et qui, dans la suite, mérita le surnom de Grand , cherchoit tous les moyens de le perdre. Sous prétexte de lui procurer de la gloire, il l'exposa aux plus grands périls► Dans
S
�ADRESSE D'ESPRIT. 25 une guerre Contre les Sarmates, les deux armées étant en présence , il lui commanda d'aller attaquer un capitaine , qui, par sa grande taille, paroissoit le plus redoutable de tous les Barbares. Constantin court droit à l'ennemi , le terrasse , et le traînant par les cheveux , l'amène tout tremblant aux pieds de l'empereur. Une autre fois, il reçut ordre de se jeter à cheval dans un marais , derrière lequel étoient postés les Sarmates , et dont on ne connoissoit pas la profondeur. Il le traverse , montre le passage aux Romains, renverse les ennemis, et ne revient qu'après avoir remporté une glorieuse victoire. Le tyran désespéré l'obligea de combattre un lion furieux : Constantin sortit de l'arène vainqueur de ce terrible animal , et des mauvais desseins de Galère. Constance avoit plusieurs fois redemandé son fils , sans pouvoir le retirer des mains de son collègue. Enfin , étant sur le point de passer dans la GrandeBretagne pour aller faire la guerre aux Pietés , le mauvais état de sa santé lui fit craindre de le laisser, en mourant, à la merci d'un tyran ambitieux et sanguinaire. Il parla d'un ton plus ferme. Le fils , de son côté , sollicitait vivement la permission d'aller rejoindre son père ; et Galère , qui n'osoit rompre ouvertement avec Constance , consentit enfin au départ du jeune prince. Il lui donna, sur le soir, le brevet nécessaire pour prendre des chevaux de poste , en lui enjoignant expressément de ne partir, le lendemain matin, qu'après avoir reçu de lui de nouveaux ordres. Il ne laissoit échapper sa proie qu'à regret, et il n'apportait ce délai, que pour chercher encore quelque prétexte de l'arrêter, ou pour avoir le temps de mander à Sévère qu'il eût à le retenir lorsqu'il passeroit par l'Italie. Le lendemain, Galère affecta de rester au lit jusqu'à midi ; et ayant fait appeler Constantin , il fut étonné d'apprendre qu'il étoit parti dès le com• mencement de la nuit. Frémissant de colère, honteux de se voir moins adroit que son rival., il ordonne de courir après h à et de le ramener ; mais la poursuite devenoit impossible. Constantin, fuyant à toute bride,
�26 ADRESSE D'ESPRIT. avoit eu la précaution de faire couper les jarrets à tous les chevaux de poste qu'il laissoit sur son passage ; et la rage impuissante du tyran ne lui laissa que le regret de n'avoir pas osé commettre le dernier crime. Constantin traverse, comme un éclair, PIllyrie et les Alpes, avant que Sévère puisse en avoir des nouvelles, et arrive au port de Boulogne lorsque la flotte mettoit à la voile. A cette vue inespérée , on ne peut exprimer la joie de Constance. Il reçoit entre ses bras ce fils que tant de périls lui rendent encore plus cher 5 et mêlant ensemble leurs larmes , se donnant les marques de la plus vive tendresse, ils arrivent dans la Grande-Bretagne, où Constance, après avoir vaincu les Pietés, et déclaré son fils Auguste , abandonna la pourpre et la vie. i4- La femme du célèbre Grotius ayant été mise en prison avec ce savant républicain, s'illustra par son amour, et par une ruse que sa tendresse lui suggéra. Grotius travailloit aux ouvrages qui lui ont acquis tant de réputation. Il avoit besoin d'une grande quantité de livres. Il obtint la permission d'emprunter tous ceux qu'il pourroit se procurer. Ses amis lui fournissoient tous ceux qu'il demandoit. Il les envoyoit chercher dans une caisse fort grande , dans laquelle il faisoit mettre aussi son linge et celui de sa femme. Quand il avoit fait usage de ces livres , on les reportait, et on lui en donnoit de nouveaux. Marie de Reigesberg, son épouse, s'étant aperçue que les gardes , ennuyés de ne trouver dans cette caisse que des livres et du linge sale , ne la fouilloient plus , engagea Grotius à se mettre dans la caisse à la place des livres. Il y consentit. Deux jours avant l'exécution de ce projet, elle le fit rester auprès de son feu dans un fauteuil, affublé d'un bonnet, et feignit d'être très-affligée de la maladie de son mari. Au jour marqué pour venir prendre les livres, ayant fait mettre Grotius dans la caisse, elle tint les rideaux de son lit bien fermés, et recommanda à l'homme qui vint enlever le ballot, de le faire le plus doucement qu'il pourroit. Il le charge avec beaucoup de peine sur ses épaules , et s'en va, jurant contre la
�ADRESSE D'ESPRIT. 27 pesanteur de son fardeau. Marie prit alors les habits et le bonnet de Grotius , et se mit auprès du feu, de crainte que le geôlier n'entrât. Lorsqu'elle le crut en sûreté , elle alla elle-même avertir les gardes de l'évasion de son mari , leur reprochant le peu de soin qu'ils prenôient de leurs prisonniers. On eut honte de lui faire un crime de cet innocent stratagème , et on lui permit de rejoindre son époux. 15. Ambroise Spinola, passant à Paris en 1604, eut l'honneur de souper à la table de Henri IV. Sur la fin du repas , le monarque lui demanda en particulier quel étoit son dessein dans la campagne qu'il alloit faire. Spinola lui exposa fîdellement tous ses projets ; comment et quand il se mettroit en campagne ; le pont qu'il devoit jeter sur l'Escaut pour le passer; le lieu où il devoit, de l'autre côté, construire un petit fort : en un mot, il n'oublia rien. Henri, qui s'intéressoit pour les Hollandois, écrivit au prince d'Orange tout ce qu'il avoit appris , lui mandant qu'il falloit prendre le contre-pied de ce que lui avoit dit le général espagnol; n'étant pas vraisemblable ajoutoit-il, que Spinola , qui se défie de moi , m'ait révélé ses vrais desseins. Cependant ce capitaine habile fit tout ce qu'il avoit dit; et il n'avoit été franc avec Henri IV, que parce qu'il étoit persuadé que ce prince ne le croiroit pas. Aussi ce grand monarque disoit-il : « Les autres trompent en mentant, mais Spinola « m'a trompé en disant la vérité. » 16. Quand les Perses eurent été chassés de la Grèce, les Athéniens, qui, pour leur résister, avoient abandonné leur patrie , y revinrent avec leurs femmes et leurs enfans, et songèrent à rétablir cette ville que les Barbares avoient presque entièrement détruite, et à l'environner de bonnes murailles pour la mettre hors d'insulte. Les Lacédémoniens en ayant eu avis, entrèrent en jalousie, et commencèrent à craindre qu'Athènes, déjà trop puissante sur mer , venant à se fortifier de jour en jour, n'entreprît de leur faire la loi, et de leur enlever l'autorité et la prééminence qu'ils avoient toujours eue jusque-là dans la Grèce. Ils députèrent
�28 ADRESSE D'ESPBIT. donc vers les Athéniens , pour leur représenter que l'intérêt commun de la Grèce demandoit qu'on ne laissât hors du Péloponnèse aucune ville fortifiée, de peur que dans le cas d'une seconde irruption , elle ne servît de place d'armes aux Perses, qui ne manqueroient pas de s'y établir, comme ils avoient fait auparavant à Thèbes, et qui de là infesteroient tout le pa}rs, et s'en rendraient bientôt maîtres. Thémistocle, qui, depuis la bataille de Salamine, avoit un grand crédit sur l'esprit de ses concitoyens, pénétra sans peine le véritable dessein des rivaux de sa patrie, quoiqu'ils le cachassent sous le prétexte spécieux du bien public. Mais comme ils étoient en état, en se joignant aux alliés , d'empêcher par la force l'ouvrage commencé , si on leur donnoit une réponse absolue et négative, il conseilla au Sénat d'user d'adresse aussi-bien qu'eux. La réponse fut donc qu'on enverrait des députés à Lacédémone, pour satisfaire la république sur les craintes et les soupçons qu'elle avoit. Il se fit nommer parmi les députés , et avertit le sénat de ne pas faire partir ses collègues avec lui, ni tous ensemble, afin de gagner du temps et d'avancer l'ouvrage. Tout fut exécuté comme il l'avoit prescrit. Il arriva le premier à Lacédémone ; mais il laissa passer plusieurs jours sans rendre visite aux magistrats, et sans se transporter au sénat; et sur ce qu'on le pressoit de le faire, et qu'on lui demandoit les raisons d'un si long délai, il répondit qu'il attendoit que tous ses collègues fussent arrivés , pour se rendre conjointement avec eux dans le sénat, et témoigna beaucoup de surprise de ce qu'ils étoient si long-temps à venir. Ils arrivoient lentement les uns après les autres. Pendant tout ce temps-là on pressoit extrêmement l'ouvrage à Athènes ; les femmes , les enfans, les étrangers, les esclaves, tous, en un mot, étoient occupés à ce travail, et l'on ne se donnoit de repos ni jour , ni nuit. On ne l'ignorait pas à Lacédémone , et l'on en fit de grandes plaintes à Thémistocle, qui nia absolument le fait, e t pressa les Lacédémoniens d'envoyer à Athènes de nouveaux députés, pour s'assurer par eux-mêmes de ce qui en étoit, et de ne point
�ADRESSE
D'ESPRIT*
20,
s'arrêter à des bruits vagues et confus , qui n'avoient aucun fondement. Il fit donner avis sous main à Athènes d'y retenir les députés jusqu'à leur retour, comme autant d'otages, craignant, avec raison, qu'on ne l'arrêtât, lui et ses collègues, à Lacédémone. Pour lors , quand tous ses collègues furent arrivés , il demanda audience, et déclara, en plein sénat, qu'il étoit vrai que les Athéniens avoient résolu d'environner et de fortifier leur ville de bonnes murailles ; que l'ouvrage étoit presque fini ; qu'ils Pavoient jugé d'une nécessité absolue, et pour leur propre sûreté, et pour le bien commun des alliés ; qu'après tout ce qui s'étoit passé, on ne pouvoit pas les soupçonner de manquer de zèle pour l'intérêt commun ; mais que la condition de tous les alliés devant être égale, il étoit juste que les Athé niens pussent, comme tous les autres, pourvoir à leur propre sûreté par tous les moyens qu'ils jugeroient nécessaires ; qu'ils l'avoient fait , et qu'ils étoient en état de défendre leur ville contre quiconque oseroit l'attaquer ; qu'au reste, les Lacédémoniens avoient fort mauvaise grâce de vouloir établir leur pouvoir, non sur leur propre force et leur courage, mais sur la foiblesse de leurs alliés. Ce discours déplut beaucoup aux Lacédémoniens ; mais , soit par un sentiment d'estime et de reconnoissance pour les Athéniens , qui avoient rendu de si grands services à la patrie , soit par impuissance de s'opposer à leur entreprise, ils dissimulèrent ; et les députés , renvoyés de part et d'autre avec honneur , retournèrent dans leur ville. 17.Adhab-Eddoulat, sultan de Perse, ayant dessein de s'attirer l'estime et la vénération des princes étrangers , et sur-tout de renouveler l'alliance que les anciens rois de Perse avoient faite avec les empereurs grecs , résolut d'envoyer une ambassade à Constantinople. Il choisit, pour cet effet, un marchand, homme d'esprit, qui avoit beaucoup voyagé, et lui donna des instructions sur ce qu'il devoit faire , avec plusieurs sortes de marchandises rares et précieuses qu'il tira de son trésor. Cet homme étant arrivé à Constantinople, se présenta, comme un marchand particulier, à l'em-
�3o ADRESSE D'ESPRIT. pereur. Il gagna d'abord ses bonnes grâces par les riches présens qu'il lui fit ; et il acquit aussi en peu de temps , par les mêmes voies , beaucoup de crédit auprès des plus grands de la cour. Après que le marchand eu t fait quelque séjour à Constantinople, il demanda la permission de faire bâtir une maison : il l'obtint 5 et on lui donna une place où il n'y avoit alors qu'une masure, pour en faire ce qu'il lui plairoit. Aussitôt qu'il en fut le maître, il fit enfouir, bien avant en terre , un rouleau de parchemin, qui contenoit ce qu'il avoit projeté ; et après avoir laissé couler Un temps considérable, il fit creuser les fondemens de son bâtiment. Lorsqu'on fut arrivé à la profondeur de quelques toises, on ne manqua pas de trouver le rouleau de parchemin ; et les ouvriers le portèrent aussitôt à la cour, ne doutant point que ce ne fut l'inventaire de quelque trésor caché. Mais quand il fut ouvert , on trouva seulement quelques lignes écrites en grec, sur line peau de cerf, dont le contenu étoit, qu'un grand astrologue avoit prédit qu'en un tel temps, qui se rapportait à celui du règne à'Adhad-Eddoulat, il devoit régner enPerseunmonarqueaussipuissantqu'^Zea;awdre-le-Grand, qui seroit le protecteur de ses amis, le fléau de ses ennemis, et dont tous les princes de la terre dévoient rechercher l'amitié. L'empereur ayant appris ce que portait le rouleau, fit appeler le marchand Levantin , et lui demanda s''ûcomidisso\t Adhad-Eddoulat, qui régnoit pour lors en Perse. Le marchand répondit qu'ilfaisoit profession d'être un de ses plus grandsserviteurs. Cette réponse fit qu'ilcontinua às'informer de lui, de la puissance de ce prince, et des qualités qu'il possédoit. Le marchand l'ayant satisfait pleinement sur ce point, l'empereur ne douta plus que ce ne fût celui dont avoit voulu parler Pastrolog ue, et résolut en même temps de lui envoyer une célèbre ambassade , pour faire alliance avec lui; et l'ambassadeur qui fut choisi, fut aussi chargé de présens dignes de la grandeur des deux princes. L'ambassadeur grec étant arrivé proche de Schiras, apprit que le sultan étoit à la hauteur de la source de Bendemir. Il l'y alla trouver ; et après lui
�ADRESSE
D1 E S P RIT.
3l
avoir exposé le sujet de son ambassade, il lui offrit les riches présens de son maître. Adhad-Eddoulat le fit loger dans son palais de campagne , où il fut régalé avec la plus grande magnificence. Un jour, pendant qu'il l'entretenoit, les grenouilles d'un étang voisin lui rompant la tête, il mit entre les mains d'un de ses officiers un papier dans lequel il y avoit quelques drogues qui avoient la propriété de les faire taire ; il lui dit : « Jetez ce papier dans l'eau , et dites en le jetant : « Voici l'ordre du sultan Adhad-Eddoulat, quidéfend « que vous troubliez davantage son repos. » En même temps , les grenouilles se turent, au grand étonnement de l'ambassadeur, qui dit en lui-même : il faut que ce prince ait la même puissance que Salomon, puisque les démons lui obéissent. Il en instruisit l'empereur, qui, plein d'admiration et de surprise, se hâta de conclure une paix durable avec un monarque si extraordinaire. 18. Denis l'Ancien s'étant rendu maître de la souveraine puissance, et gouvernant avec un sceptre de fer la ville de Syracuse, sa patrie, employoittous ses soins à découvrir les complots des mécontens qui conspiroient contre lui. Il vint à Syracuse un étranger qui se vantoit de posséder un secret infaillible pour découvrir les desseins cachés et les sourdes intrigues. Le tyran le manda dans son palais. L'étranger pria qu'on fit sortir tous les témoins 5 et resté seul avec le prince : « Seigneur, lui dit-il, faites croire en public que vous « avez un moyen sûr de prévenir les embûches qu'on « pourra vous fendre , personne n'osera en courir les « risques. Voilàtout mon secret. » Denis goûta beaucoup cette adresse , et il en fit heureusement usage. Ce même prince, voulant sonder les cœurs des Syracusains qu'il tyrannisoit, fit courir le bruit qu'il é toit en grand danger. Plusieurs , à cette nouvelle, se livrèrent aux transports d'une indiscrète joie. Mais le tyran , sortant de son palais , accompagné de ses gardes , se fit voir au peuple, et fit mourir tous ceux qui s'étoient trop hâtés de se réjouir. Une autre fois , ayant besoin d'argent, il voulut mettre un nouvel impôt sur ses sujets j mais ils s'y opposèrent, se plaignant qu'ils
�32 ADRESSE D'ESPRIT. étoient déjà trop chargés, et qu'ils n'avoient plus rien. Denis ne jugea pas à propos d'employer la violence. Quelques jours après, il fit enlever du temple d'Esculape les offrandes, les vases d'or et d'argent, et plusieurs autres ornemens précieux, et les fit vendre dans la place publique. Chacun s'empressa de les acheter 5 et cette vente produisit au tyran de très-grosses sommes. Lorsque ses coffres furent pleins, il porta un édit qui ordonnoit, sous peine de mort , à tous ceux qui avoient acheté quelques ornemens du temple d'Esculape , de les rapporter. 19. Antigonus, roi d'une partie de l'Asie, étant en guerre avec Eumène, fit répandre dans son armée des lettres, par lesquelles il promettait une grosse somme d'argent à qui tueroit Eumène. Ce général l'ayant appris , assembla ses soldats, et leur dit : « Je n'ai , jus« qu'ici, qu'à me louer de votre fidélité. Grâces aux « dieux, il n'en est pas un parmi vous, qui ne préfère « la vie de son général à toutes les richesses : je viens « d'en faire une heureuse épreuve. Elle me suffit : et « je ne veux pas vous laisser ignorer plus long-temps d que c'est moi-même qui ai fait courir parmi vous les <i lettres qui me regardent. » 20. Les Athéniens, fatigués de la longue et fâcheuse guerre-qu'ils avoient contre les habitans de Mégare , au sujet de l'île de Salamine, firent une loi quidéfendoit, sous peine de la vie, d'avancer, ni par écrit, ni de vive voix , qu'on dût recouvrer cette île. Solon ne pouvant souffrir cette foiblesse, et voyant que la plupart des jeunes gens ne demandoient qu'à recommencerlaguerre, mais qu'ils n'osoientla proposer, à cause de cette terrible ordonnance, s'avisa de contrefaire le fou , et fit répandre dans toute la ville , qu'il avoit perdu l'esprit. Jamais ce grand homme n'avoit été si sage. Il composa un beau poème , pour engager les Athéniens à reprendre Salamine, et ill'appritparcoeur. Un jour qu'on ne s'attendoit à rien moins, il sortit dp la maison avec un chapeau sur sa tête, et courut à la place, où, le peuple s'étant assemblé autour de lui, il monta sur la pierre d'où les héros avoient coutume
�33 de faire leurs proclamations , et se mit à réciter son poème. Les citoyens en furent si touchés, que la loi fut révoquée sur-le-champ, la guerre résolue, et Solon élu général. 21. Il y eut de grands difTérens entre Alcibiade et Thucydide, à l'occasion de la guerre qu'Athènes avoit contre Lacédémone. Thucydide fit la paix avec les Spartiates , au nom des Athéniens, et voulut qu'ils envoyassent à Athènes des ambassadeurs, pour la ratification du traité. Cette paix n'étoit point du goût à'Al-* cibiade : et pour l'empêcher, il alla trouver, de nuit, les ambassadeurs, feignit d'être ami des Lacédémoniens, et leur dit que le peuple d Athènes étoit fier; que s'ils lui parloient avec autant de douceur qu'au sénat, ce n'étoit pas le moyen de réussir ; qu'il regarderoit leur modération comme une preuve de la nécessité qui les forçoit de faire la paix, et qu'il proposerait encore de nouvelles conditions; qu'à son égard-, étant soupçonné d'être ami des Lacédémoniens, il étoit obligé de leur être contraire en public; mais qu'il les servirait fidellement, lorsqu'il le pourroit avec sûreté. Les ambassadeurs, dupesdecette trompeuse franchise, promirent de suivre son conseil. Il prévint ensuite le peuple, et lui persuada que le sénat ne cherchoitqu'à le jouer ; qu'il étoit faux que les Lacédémoniens acceptassent les conditions proposées , et qu'ils le feraient bientôt voir. Le lendemain, les ambassadeurs de Lacédémone parlèrent devant le peuple d'Athènes bien différemment qu'ils n'avoient fait dans le sénat ; ce qui surprit extrêmement Thucydide. Alcibiade, comme il en étoit convenu, parla pour les Athéniens ; et, de part et d'autre , les choses allèrent si loin , qu'il fut résolu de continuer la guerre. Alcibiade en fut chargé comme il le souhaitoit, après s'être servi des ennemis eux-mêmes pour la rendre plus vive que jamais. 22. Alexandre, roi d'Epire, faisant la guerre aux Ilîyriens, mit en embuscade une partie de son armée; et , ordonnant à l'autre de prendre des habits à l'IUyrienne , il les envoya ravager ses propres terres. Les Ilîyriens, témoins de ce qui se passoit, commencèrent. Tome I. C
ADRESSE ESPRIT.
�34
ADRESSE
D'E S P R I T.
à piller avec autant, d'assurance, qu'ils comptoient que ceux qui les avoient précédés avoient. reconnu le pays. Ceux-ci les ayant amenés dans le lieu de l'embuscade, ils y furent battus et mis en fuite. a3. Alcibiade ne pouvant emporter de force-la ville de Byzance qu'il assiégeoit, eut recours à la ruse , qu'il crut devoir être plus heureuse que ses inutiles tentatives. Il fit courir le bruit que les Athéniens le demàndoient, embarqua son armée, et mit à la voile ; mais il revint pendant la nuit, fit prendre .terre à la plus grande partie de ses soldats ; et luimême, avec le reste, partit dès la pointe du jour, pour aller recommencer le siège par mer. Les Byzantins effrayés, accoururent en armes sur le rivage pour écarter la flotte. Alcibiade les amuse , pendant •que les troupes débarquées , s'approchant des murailles par des chemins détournés, prennent la ville avant que les habitans s'en aperçoivent. Craignant, lorsque les Lacédémoniens assiégeoient Athènes , que les gardes ne se fissent pas avec assez d'exactitude pendant la nuit, il ordonna que dans tous les corps-de-garde on fût attentif aux flambeaux qu'il feroit voir de la citadelle, etque, sur-le-champ , on en élevât par-tout de semblables, ajoutant que quiconque y manqueroit seroit puni. L'attention qu'il fallut avoir aux signaux du général, fut cause que tout le monde passa la nuit. 24-Pendantque les peuples duPéloponnèse faisoient la guerre auxLacédémoniens, ceux-ci se trouvant dans la disette , Agis II, leur roi , fit passer dans le camp des ennemis de faux transfuges, qui leur dirent que les Lacédémoniens attendoient un grand secours. En même temps il fit museler toutes les bêtes du camp, afin qu'elles passassent la journée sans manger. Le soir, il les fit démuseler et lâcher pour aller paître. Ces animaux , pressés par la faim, coururent de tous côtés, en poussant de grands cris , que les échos grossissoient et multiplioient en les répétant. Dans le même temps, des poignées de soldats , épars dans les environs de son camp, allumèrent mie grande quantité de feux.
�ADRESSE D'ESPRIT. 35 Le tout ayant fait croire aux ennemis qu'il étoit effectivement arrivé du secours aux Lacédémoniens , ils prirent aussitôt la fuite. 25. Agésipolis II, roi de Sparte, assiégeoit Mantinée , avec le secours des alliés, qui, retenus par la. crainte dans le parti des Lacédémoniens, favorisoient les assiégés, en leur fournissant en secret tout ce qui leur étoit nécessaire. Il le sut, et distribua beaucoup de chiens autour du camp , et bien plus encore du côté de la ville, afin que la crainte d'être découvert par ces animaux vigilans , empêchât qui que ce fût de hasarder le passage. 26. AgésilasII, roideLacédémone , étant près, en Egypte , de livrer bataille, et voyant les troupes qu'il commandoit alarmées de leur petit nombre et de la multitude des ennemis, qui montoit à deux cent mille , fit offrir un sacrifice pour consulter les entrailles de la victime ; et, sans en faire part à qui que ce fût, il écrivit à rebours, dans sa main gauche, le mot victoire. Quand ensuite le sacrificateur lui remit le foie , il tint ses mains dessous jusqu'à ce que les lettres s'y fussent impriznées , affectant un recueillement profond ; puis, montrant les lettres aux soldats , il leur dit que les dieux annoncoient la Aictoire; ce qui les fit combattre avec l'assurance de vaincre. . Aussitôt après la fameuse journée de Leuctrès, les Thébains vainqueurs marchèrent en hâte pour assiéger Sparte, quin'avoitpointdemurailles. Quelques jeunes gens , saisis d'épouvante , résolurent de se rendre aux ennemis, et se retirèrent sur une colline hors de la ville. Agésilas, persuadé que Sparte étoit perdue sans ressource , si le peuple s'apercevoit qu'une partie de la jeunesse eût passédans le camp des Thébains, usa d'adresse ; et, feignant d'ignorer le dessein des déserteurs , il les alla trouver , à la tête de ses soldats. Comme s'il eût été certain qu'ils ne s'étoient retirés là qu'à bonne intention , il les loua de s'être emparés de ce poste , et leur dit qu'ils n'avoient fait en cela que le prévenir. En leur donnant cette approbation simulée, il les rendit tranquilles ; et, leur joignant une partie
�36 ADRESSE D'ESPRIT. des troupes qu'il avoit avec lui, il mit le poste en sûreté. Les jeunes gens, qui virent avec eux un grand nombre'de citoyens qui n'étoient point complices de leur complot, n'osèrent l'exécuter, et l'abandonnèrent d'autant plus volontiers, qu'ils crurent qu'on ne Favoit pas soupçonné. 27. Alexandre , suivi de près par les ennemis , et côtoyant avec son armée une rivière, s'aperçut que ses soldats altérés y jetoient les yeux. Craignant que, s'ils rompoientleurs rangs pour étancher leur soif, ils ne retardassent sa marche , il fit crier par un trompette : « Qu'on ne se fie point à cette rivière ; les eaux en sont mortelles ! » Les soldats épouvantés se gardèrent bien d'en approcher , et pressèrent leurs pas. Dès qu'on fut arrivé dans l'endroit où Fon devoit camper, le monarque but de l'eau de la rivière, et ses généraux avec lui. Les Macédoniens devinèrent aisément à quelle intention on les avoit trompés. Ils rirent , et burent sans crainte, comme leur prince. 28. Annibal, informé que quelques soldats avoient désertéJa nuit précédente , et que les ennemis avoient des espions dans son camp , dit tout haut, qu'on ne devoit pas appeler déserteurs une troupe de gens adroits qui, par son ordre , étoient allés observer les desseins des ennemis. Les espions ayant entendu ce qu'il disoit, le rapportèrent aux Romains, qui se saisirent des déserteurs , et les renvoyèrent après les avoir mutilés. La Trébie séparoit le camp d'Annibal de celui du consul Sempronius. C'étoit en hiver ; il faisoit un / froid rigoureux. Le général carthaginois mit en embuscade son frère Magon, avec une troupe d'élite. Ensuite, pour engager le crédule Sempronius au combat , il fit passer la rivière à la cavalerie numide, avec ordre de s'avancer jusqu'auprès des retranchemens des Romains, et dès le premier mouvement qu'ils feroient, de repasser la rivière par le gué qu'elle connoissoit. Le consul attaque et poursuit cette cavalerie avec une égale témérité. Ses soldats, encore à jeun > sont à peine entrés dans l'eau, que le froid les saisit. Annibal oppose sur-le-champ à ces troupes engourdies
�ADRESSE D'ESPRIT. 5y de froid et tourmentées de la faim, les siennes qui avoient mangé , et qui s'étoient chauffées, après s'être frottées d'huile. Ma, de son côté, prend les Romains en queue, et les taille en pièces. Près du lac de Trasimène , au pied d'une hauteur, étoit un défilé très-étroit, qui terminoit une plaine dans laquelle Annibal feignant de fuir, alla camper, après avoir passé le défilé. Pendant la nuit, il cache une partie de ses troupes sur les côtés du chemin, et sur la colline qui s'élevoit au-dessus ; et dès la première pointe du jour , à la faveur d'un brouillard , il se range en bataille. Le consul Flaminius s'engage dans le défilé , croyant poursuivre un ennemi qui fuyoit. Mais- tout-à-coup l'armée carthaginoise fond sur lui. Chargé à dos , en flanc et de front, avant d'avoir pu remarquer la disposition des troupes ennemies , il fut accablé avec les siens, et resta mort sur la place. Quinze mille Romains furent les victimes de sa témérité : ceux qui survécurent à cette défaite , devinrent esclaves des vainqueurs. Le dictateur Fabius Maximus avoit resserré Annibal dans les plaines de Casilin , non loin du Vulturne. Pour sortir de ce pas dangereux, le rusé Carthaginois n'avoit qu'un seul chemin : c'étoit un défilé fort étroit, assez semblable à celui de Trasimène, où il avoit défait Flaminius. Le dictateur, qui suivoit toutes ses démarches, sut bien mettre à profit celle que l'ennemi alloit faire ; et , pour .le prendre en quelque sortepar ses propres ruses, il fit occuper le passage qui conduisoit à Casilin par quatre mille hommes choisis, et se plaça lui-même, avec la plus grande partie de son armée , sur la colline qui commandoit le défilé. Les Carthaginois arrivent, et se campent au pied des montagnes. Il n'y avoit plus moyen de reculer. Derrière lui, Annibal avoit des sables arides et des marais affreux ; et l'armée du dictateur étoit trop avantageusement placée, pour ne pas remporter une victoire complète. Fabius étoit sûr de sa proie ; il ne délibérait plus que sur la manière de s'en saisir. Mais le grand génie et le fonds inépuisable du général carthaginois , C 3
�38
ADRESSE
D'ESPRIT,'
firent bientôt évanouir ces riaiités espérances. Il assembla , durant la nuit, environ deux mille bœufs , aux cornes desquels on attacha , par son ordre , de petits fagots de sarment et de bois sec. On y mit le feu, on chassa ces animaux sur les hauteurs , et sur-tout du côté des défilés dont les Romains s'étoient emparés. Les mesures ainsi prises, Annibal s'approcha du défile , pour être en état de profiter de tous les mouvemens. Cependant le bœufs que les flammes avoient mis en fureur, se dispersent dans les forêts et sur les collines , et mettent le feu a tous les arbrisseaux. Les Romains effrayés se persuadent que c'est l'ennemi. Ceux qui gardoient les passages prennent la fuite. Us aperçoivent les bœufs ; ils s'imaginent que ce sont des animaux qui jettent le feu par la gueule. Us fuient avec plus de vitesse encore. Cependant, à la faveur de cette terreur, Annibal s'échappoit ; et le matin , ■toute son armée étoit hors d'insulte. Ce grand général, obligé de quitter sa patrie, se retira auprès de Prusias , roi de Bythinie 5 et conservant la même haine contre les Romains, il fit tous ses efforts pour engager ce prince à leur déclarer la gu erre. Mais voyant qu'il n'avoitpas des forces suffisantes, il se donna de grands soins pour lui procurer l'alliance des rois du voisinage. Prusias étoit alors en guerre , sur terre et sur mer , avec Eumène , roi de Pergame, très-ami des Romains, et qui étoit beaucoup plus puissant que lui. Il résolut de s'en défaire ; et, pour exécuter ce projet, il prit le commandement de la flotte du roi de Bythinie. Il fit ramasser un grand nombre de serpens venimeux, qui, par son ordre, furent mis dans des vases de terre : puis il assembla les officiers des vaisseaux , et leur recommanda d'attaquer tous le vaisseau à'Eumène, et de se contenter de repousser les autres, en lançant leurs vases au milie u des combattans. Les deux flottes se mettent ensuite en ordre pour le combat. Mais avan t de donner le signal, Annibal, pour faire connoître aux siens le vaisseau du roi de Pergame, envoie dans un esquif un héraut, ayant en main le caducée , qui demande à parler au roi. Sur-le-champ,
�ADRESSE D'ESPRIT.3g on l'y conduit, parce qu'on ne douta pas qu'il n'apportât quelque proposition de paix. Le héraut ayant par-là fait connoître aux siens le vaisseau d'Eumène , revire de Lord , et s'en retourne sans avoir vu le roi. Quoique la chose parût étrange , Eumène ne laissa pas d'engager le comhat. Aussitôt tous les vaisseaux Bythiniens, suivant l'ordre qu'ils en avoient, attaquent celui de ce roi, qui, ne pouvant leur résister , pourvoit à sa sûreté , par une fuite qui même ne l'auroit pas sauvé , s'il ne se fût retiré dans le milieu de sa flotte. Cependant les autres vaisseaux de Pergame pressent vigoureusement ceux des ennemis , qui lancent tout-à-coup sur eux les vases dont on a parlé. Cette nouveauté d'ahord fait rire , et l'on ne conçoit pas quel en est le motif : mais dès que les ennemis voient leurs vaisseaux remplis de serpens , ils en sont effrayés ; et, ne sachant ce dont ils doivent principalement se garantir, ils présentent leurs poupes aux Bythiniens , et regagnent leurs ports. 29. Eumène, roi de Cappadoce, rencontra dans une marche les hag&ges d'Antigonus, roi d'Asie, son mortel ennemi. Ils étoient assez mal escortés. Il pouvoit aisément s'en emparer , et, par ce moyen , acquérir des richesses immenses ; mais il craignit que ses guerriers , chargés d'un si grand Lutin , n'en devinssent moins propres à supporter les fatigues militaires. Il étoit difficile d'arrêter des soldats avides qui voyoient devant eux de riches dépouilles étalées, et qu'ils n'auroient eu que la peine de saisir. Pour y réussir, il recourut au stratagème. Il commanda à ses troupes de se reposer, et de prendre quelque nourriture, promettant de les conduire ensuite au pillage. Pendant ce temps, il envoya un exprès à Ménandre qui commandoit l'escorte des Lagages d'Antigonus , pour lui dire que l'amitié qu'il conservoit pour lui l'oLligeoit à l'avertir de se mettre ensureté, de quitter au plus vite la pi aine où l'on pouvoit aisément l'envelopper, et de se retirer au pied d'une montagne voisine , où la cavalerie ne pourroit l'approcher, ni le prendre par derrière. Ménandre profita de l'avis , et se posta sur la montagne. C4
�4
-Ô
ADRESSE
D'ESPRTT.
Aussitôt Eumène envoie les coureurs reconnoîtrè les ennemis, et ordonne qu'on prenne les armes, comme n'attendant que le moment d'attaquer. Les coureurs reviennent, et annoncent que Mênandre est retiré dans un poste avantageux et sûr. Eumène feint d'être au désespoir d'avoir perdu une si belle occasion, et emmène son armée. 30. Les Rhodiens , en guerre avec Ptolémée , roi crEgypte, dont la flotte avoit Chrémonide pour amiral, étoientàlahauteurd'Ephèse, lorsqu:A'gathostrate qui les commandoit, se voyant à portée des ennemis, retourna mouiller à l'endroit qu'il venoit de quitter. Les ennemis crurent qu'il n'osoit risquer le combat, et rentrèrent dans le port d'Ephèse, en jetant de grands cris. Aussitôt Agathostrate, revirant de bord, et partageant sa flotte en deux ailes , fit force de rames , tomba sur les ennemis lorsqu'ils débarquoient auprès du temple de Vénus , et remporta la victoire. 31. Tarquin-le-Superbe, ne pouvant s'emparer par force de la ville de Gabies , résolut d'employer l'artifice pour s'en rendre maître. Sextus , l'aîné de ses enfans, de concert avec lui , se jeta dans la ville , en se plaignant amèrement de la cruauté de son père, et en priant tous les citoyens de lui ouvrir un asile contre sa fureur implacable. Les Gabiens, plus compatissans que précautionnés, le reçurent avec bonté, essuyèrent ses larmes feintes; et, charmés ensuite de sa douceur et du zèle qu'il témoignoit pour eux, ils lui donnèrent le commandement de la ville. Quand il eut bien reconnu l'état de la place et le caractère des principaux citoyens , il envoya à son père une personne de confiance pour savoir sa volonté. Tarquin , pour toute réponse , se promenant dans son jardin d'un air taciturne , s'amuse à abattre les plus hautes tiges des pavots , et renvoie le député. Sextus entendit le mot de cette énigme. Il fit mourir, sous différens prétextes, ceux qui avoient le plus d'autorité à Gabies ; et, s'en rendant le maître par cette cruelle adresse, il la livra enfin à son père. Les Gabiens s'attendoient aux traitemens les plus durs et les plus inhumains. Ils furent
�ADRESSE tl'ESPHIT.
4
1
agréablement trompés. Tarquin parut oublier son caractère pour prendre celui de roi. Il ne fit mourir ni exiler aucun d'eux. II ne dépouilla personne de ses biens , ni de ses dignités ; et, pour mettre le comble à ses bienfaits, il leur rendit leur ville et leur liberté. Ce prince rusé affectait cette douceur pour s'assurer de plus en plus l'empire de Rome , en se procurant des appuis étrangers. Que ne traitoit-il ainsi les Romains ? Son autorité , fondée alors sur l'amour et la reconnoissance , eût été inébranlable. 32. Sertorius se servit d'une ruse singulière pour s'attirer la confiance et le respect de ses soldats. Un habitant du pays, nommé Spanus , qui passoit sa vie à la campagne, rencontra, dansson chemin, une biche qui venoit de mettre bas son faon. La biche fuyoit si rapidement, qu'il ne pensa point à la prendre 5mais, surpris et charmé de la beauté du faon qui étoit tout blanc , il le poursuivit et le prit. Sertorius étoit alors campé près de là ; tous les petits présens qu'on lui offroit, il les acceptait avec plaisir , et récompensoit libéralement ceux qui lui faisoient ainsi leur cour. Cet homme donc lui porta l'animal nouveau né ; c'étoit une petite biche. Le capitaine romain la reçut avec joie , selon sa coutume, sans y faire plus d'attention ; mais dans la suite il la rendit si privée et si familière, qu'elle accouroit quand il l'appeloit , qu'elle le suivoit partout quand il sortoit ; il l'accoutuma même au bruit des soldats et à tout le tumulte du camp : en sorte que rien ne l'effarouchoit ; peuàpeu il la consacra en quelque manière , et en fit un objet de religion. Il dit que c'étoit une biche-dont Diane lui avoit fait présent , et sema par-tout le -bruit qu'elle lui découvroit une infinité de choses cachées 5 car il savoit que les Lusitaniens qui composoient son armée, étaient naturellementportésàlasuperstition.Quandil avoit eudesavis secrets que les ennemis s'étaient jetés sur quelque endroit de sa province, ou qu'ils travailloientà lui enlever quelque place , par les intelligences qu'ils y entretenoient, ilfeignoit que sa biche l'en avoit averti la nuit pendant son sommeil, et lui avoit ordonné de tenir des
�42 ADRESSE- D'- E S PRIT. troupes sous les armes.Une autre fois, lorsqu'il avoi^ eu des nouvelles de quelque avantage remporté par ses lieutenans, il faisoit cacher le courrier, et produisons en public sa biche couronnée de bouquets de fleurs, en signe de réjouissance ; et il assurait à ses soldats que c'étoit une marque qu'ils apprendraient bientôt Une heureuse nouvelle. Par cette adresse , il les contenoitdans une crainte religieuse ; et , dans toutes les occasions , il les trouvoit dociles et pleins de zèle. 33. Narsès , général de l'empereur de Constantinople, assiégeoit la ville de Lucques, en Italie. Il la réduisuit bientôt à l'extrémité ; et la garnison convint de se rendre, si, dans trente jours , elle n'étoit secourue par une armée puissante. Des otages furent délivrés en conséquence ; mais, le terme étant expiré, lesLucquois refusèrent d'ouvrir leurs portes. Na?sès , pour les intimider, fait conduire aux pieds des murailles les otages suivis de plusieurs bourreaux-et de tout l'appareil du dernier supplice. Avant de donner ses ordres pour l'exécution , il envoie sommer les assiégés de tenir leur parole , et leur fait dire que leur réponse va décider de la vie ou de la mort de leurs parens et deleurs amis.Ces menaces sont in utiles. Al ors les bourreaux , par l'ordre du général, frappent les malheureuses victimes qui leur sont livrées. On les voit tomber sous leurs coups.Les assiégés éclatent en regrets, et se reprochent le triste sort de leurs compatriotes. Mais le spectacl e qui verruitde frapper leurs regards, n'étoit qu'une vaine illusion. Narsès, trop humain pour se souiller du sang de l'innocence, avoit fait garnir le cou des otages de colliers de bois rembourrés , et les avoit instruits de ce qu'ils dévoient faire. Ne dou tant plus du succès de cet innocent artifice , il envoie promettre aux Lucquois de rendre la vie à leurs concitoyens , s'ils consentent à tenir leurs engagement. Tous le promettent. Au même instant les prétendus morts se relèvent , et jettent les assiégés dans cette agréable surprise qu'inspire une joie vive et inattendue. 34. Sigismond , roi de Pologne , vouloit s'emparer de Zachmar, ville de Hongrie,en i564-Une infinité
�ADRESSE
D' ESPRIT.
4^
d'obstacles sembloient s'opposer aux desseins du monarque ; mais il en triompha par son adresse. Il fit marcher de nombreux troupeaux qui , en passant sous les murs de la place avec leurs bergers , excitèrent une poussière si épaisse, que la garnison ne put rien Voir. Mclchior Balazzo , auquel la forteresse appartenoit , voulut connoître la cause de cette espèce de nuage. Comme ceux qu'il envoya lui rapportèrent qu'ils n'avoient vu que des bestiaux, il les crut; et sa garnison resta , comme lui, dans la plus profonde sécurité. Mais les troupeaux étant passés , des soldats qui les suivoient s'approchèrent à la faveur de la poussière dont l'air étoit encore osbcurci. Avant qu'on les eût aperçus , ils attaquèrent la ville de tous côtés. La ter-* reur, inséparable de la surprise, se répandit par-tout. Les assaillans se rendirent sans peine maîtres de la place , enlevèrent Balazzo , sa famille et ses trésors. 35. Courzola est une petite ville dans une île du même nom, qui appartenoit autrefois à la république de Raguse, et dont les Vénitiens se sont emparés d'une manière assez plaisante. Les Ragusiens étoientbrouillés avec les Vénitiens, maîtres d'un petit écueil appelé Saint-Marc , qui commande la ville de Raguse , avec un petit rocher encore plus voisin , qui n'a pas plus de terrein qu'il en faut pour les fondemens d'une maison médiocre. Les Vénitiens y envoyèrent, pendant une nuit , des ingénieurs qui y bâtirent un petit fort de carton , peint en couleur de terre , et y portèrent quelques canons de bois fabriqués à la hâte. Au lever de l'aurore , le premier objet qui frappa les Ragusiens fut ce fort. A ce spectacle, saisis de l'épouvante la plus vive , ils demandèrent à parlementer. Ils furent trèscharmés d'en être quittes pour l'île de Courzola, qu'ils cédèrent aux Vénitiens en échange de ce méchant rocher ; mais pour l'écueilde Saint-Marc qu'ils demandoient encore , on ne voulut pas en entendre parler. 36. Les Anglais s'étoient emparés d'Angoulême.Le duc de Normandie, à la tête de soixante mille hommes , fut chargé de les en chasser en i545. John Lord Norwich commândoit dans la place. Réduit aux der-
�r»' ESPRIT.. mères extrémités , ce capitaine usa d'un stratagème adroit pour éviter de se rendre à discrétion avec ses soldats. Il se montra sur les murailles , et dit qu'il vouloit parler au général ennemi. Le duc vint, et lui demanda s'il désiroit capituler. «Point du tout, ré« pondit Norwich. Mais comme c'est demain la fête « de la Vierge , (c'étoit la Purification) à laquelle je « sais , monseigneur , que vous avez , ainsi que moi, « grande dévotion , je vous propose une cessation « d'armes pour ce jour. » Le prince y consentit. Norwich , le soir même , fait plier tous ses bagages ; et dès la pointe du jour , il sortit de la place , à la tête de sa garnison. Ayant été arrêté par les premières gardes de l'armée française : « Seigneurs , dit-il , ne « faites nul mal aux nôtres ; car nous avons trêve « aujourd'hui tout entier , ainsi que savez , accordée « de monseigneur le duc de Normandie et de nous. « Si ne le savez , allez le voir ; car nous pouvons « bien , sur ces trêves , aller et chevaucher quelque <J part, que nous voulions. » Lorsqu'on vint faire ce rapport au général français , il ne put sempêcher de rire : « Laissons-les aller , de par Dieu ! dit-il , leur « éhemin quelque part qu'ils voudront ; car nous ne « les pouvons de rien contraindre à demeurer. Je leur « tiendrai ce que je leur ai promis.» Il les laissa passer , et entra dans Angoulême. 07. L'empereur Charles-Ouint, ayant rompu toutà-coup la paix conclue avec François I, lit marcher trente-cinq mille hommes vers la Champagne. Les villes frontières de cette province n'étoient point en état de résister; etles Impériaux pouvoient sans peine pénétrer, en peu de temps, dans le centre du royaume. Le monarque français , à cette nouvelle, assembla son conseil de guerre , pour délibérer sur la parti qu'il falloit prendre dans une circonstance si pressante. Après bien des avis, on conclut qui'l falloit brûlerMézières, ville qui auroit la première à soutenir les efforts de l'ennemi , et dévaster tous les environs pour affamer les soldats de l'empereur. Bayard seul s'opposa fortement à cette résolution désespérée. « Sire , dit-il au
ADRESSE
44
�^5 « roi, il n'y a point de place foible là où il y a des « gens de bien pour la défendre ; j'irai moi-même « m'enfermer dans Mézières , et je vous en rendrai « bon compte. » On applaudit au généreux projet de l'intrépide chevalier. Une foule de braves, et l'élite de la noblesse se disputent l'honneur de le suivre. Ilspartent, et, en peu de jours, arrivent dans Mézières, qu'ils trouvent hors d'état de soutenir le siège dontjus étoient menacés. Bayard commença par faire sortir toutes les bouches inutiles. Ensuite , ayant fait rompre le pont de laMeuse , il ordonna de rétablir les anciennes fortifications, et d'en construire de nouvelles. Il encourageoit les travailleurs ; il leur distribuoit des récompenses pécuniaires ; il partageoit avec eux leurs pénibles fonctions. «Camarades, leur disoit-il souvent, nous « sera-t-il reproché que cette ville soit perdue par « notre faute, vu que nous sommes si belle compagnie « ensemble, et de si gens de bien ? Il me semble que « si nous étions dans un pré , n'ayant devant nous « qu'un fossé de quatre pieds , encore combattrions« nous un jour entier avant que d'être défaits. Dieu « merci , nous avons fossés , murailles et remparts , « où , je crois, avant que les ennemis mettent le pied, « beaucoup des leurs dormiront au fossé. « Ces paroles animoient tous les cœurs ; et chacun se croyoit invincible sous un chef si courageux. Il n'y avoit que deux jours que les Français étoient, entrés dans la place , lorsqu'on aperçut l'armée impériale qui s'approchoit de deux côtés , en deçà de la Meuse , sous les ordres du capitaine Sickengen , et au delà , sous les auspices du comte de Nassau. Le lendemain ils envoyèrent un héraut sommer Bayard de leur remettre la ville. Ce député lui dit « que ceux qui « messageoient par devers lui estimoient la grande et « louable chevalierie qui en lui étoit, et seroient mer« veilleusement déplaisans, s'il étoit pris d'assaut; car « son honneur en amoindrirait ; et, par aventure, lui « coûteroit-il la vie.—Dites à ceux qui vous envoient, «répondit en riant le chevalier Sans-Peur et Sans« Reproche , qu'avant que j'abandonne un place que
ADRESSE D' ESPRIT.
�46
ADRESSE DJESPRIT.
« le roi mon maître a bien voulu confier à ma foi , « j'aurai fait , des corps de ses ennemis entassés , le « seul pont par où il me soit permis d'en sortir. » Le héraut congédié avec cette réponse , la rendit à ses maîtres en présence d'un capitaine français, nommé Jean Picard, qui leur dit : « Messeigneurs, je connois « Bayard, et j'ai servi sous lui. Ne vous attendez pas « d'entrer dans Mézières tant qu'il sera vivant. J'aime« rois mieux qu'il y eût dans la place deux mille hom« mes de guerre davantage, et que sa personne n'y fût « point. Capitaine Picard, demanda le comte de fi Nassau , ce seigneur de Bayard es t-il de bronze ou « d'acier ? S'il est si brave, qu'il se prépare ?t nous le « faire voir; car, d'ici à quatre jours , je lui enverrai « tant de coups de canon , qu'il ne saiira de quel côté « se tourner. A la bonne heure , dit Picard ; mais « vous ne l'aurez pas comme vous croyez. » Aussitôt les généraux de Charles-Ouint font dresser leurs batteries , et, en moins de deux jours, plus de cinq mille boulets tombèrent dans la ville. «Ce n'étoientde dehors, « dit Mézerai, que canonnades, que bombes , que « boulets enflammés. De dedans il pleuvoit des lances « et des cercles à feu , de l'huile bouillante , des fas« cines goudronnées , des fusées qui mettoient le feu « par-tout.» Dès les premières décharges, millehommes épouvantés prirent la fuite. « Tant mieux, à'ilBayard! « j'aime mieux de tels coquins dehors que dedans : pa.« reille canaille n'étoit pas digne d'acquérir de l'hon« neur avec nous. » La place étoit vivement attaquée depuis plus de trois semaines. Le canon avoit renversé une partie des murailles ; et les ennemis se flattaient d'avoir bientôt entre leurs mains le chevalier et ses soldats.Mais-Bayard, quiréunissoitdans un degré éminentles deux qualités d'un grand capitaine, le courage et la ruse , imagina l'expédient le plus singulier pour se débarrasser de Sickengen, qui Fincommodoit beaucoup. Il chargea un paysan d'aller porter au seigneur de la Mardi., qui étoit à Sedan, une lettre conçue en ces termes : « Il me semble que depuis un an vous « m'avez ditque vous vous proposiez d'attirer le comte
�n' ESPRIT, ùçj « de Nassau au service du roi notre maître , et qu'il « est votre parent. Je le désirerais autant que vous, sur « la réputation qu'il a d'être gentil-galant. Si vous « croj'ez que cela puisse se faire , je vous donne avis « d'y travailler plutôt aujourd'hui que demain , parce « qu'avant qu'il soitvingt-quatre heures, lui et tout son « camp sera mis en pièces. J'ai avis que douze mille « Suisses, et huit cents hommes d'armes doivent cou« cher ce soir à trois lieues d'ici, qui, demain au point « du jour , fondront sur lui, pendant que de mon côté « je ferai une vigoureuse sortie, et sera bienheureux « celui qui en échappera. J'ai cru devoir vous en pré« venir ; mais il faut me garder le secret. » Par l'ordre du chevalier, le villageois prend sa route du côté du camp de Sickengen. A peine s'est-il éloigné de la ville , qu'on l'arrête. On le conduit au général ; on le questionne ; on le menace. Le bon homme intimidé découvre son secret, pour éviter la mort qu'il croyoit voir au-dessus de sa tête. Il donne la lettre à Sickengen. Ce capitaine la lit ; et, plein d'indignation, il la communique à son conseil. La fureur s'empare de tous les esprits. On s'écrie que le comte de Nassau est un traître : on bat le tambour ; on lève l'étendard ; on plie le bagage 5 on passe la rivière. En vain le comte , instruit de cette résolution précipitée , veut retenir son collègue. Ses différentes députations ne servent qu'à augmenter les soupçons. On décampe de part et d'autre , et Mézières est délivrée. Durant ce tumulte , le porteur de la lettre étoit rentré dans la ville , et avoit appris au chevalier tout ce qui lui étoit arrivé. Bayard éclata de rire en voyant l'heureux succès de son stratagème ; et dans l'excès de sa joie , il dit : « Puisqu 'ils «n'ont pas voulu commencer le jeu, ce sera donc moi 5» et dans l'instant il leur envoya plusieurs volées de canon , qui leur firent beaucoup de mal. C'est ainsi que , par la merveilleuse adresse de Bayard , fut levé le siège de Mézières : exploit éternellement mémorable , puisqu'il sauva la France , où il n'y avoit point alors d'armée en état d'arrêter celle de l'empereur , et qu'il mérita au valeureux chevalier les preuves les
ADRESSE
�48
ADRESSEE1 ESPRIT.
plus sensibles et les plus glorieuses de la reconnolasance de tous les ordres de l'Etat. 38. Alexandre, fils de Lisimachus et de Mécride , voulant s'emparer d'une ville en Phrygie, cacha, pendant la nuit, des troupes près de la place , dans une gorge enfoncée. A la pointe du jour , vêtu comme les paysans du pays , couvert d'un large chapeau qui lui cachoit le visage, et suivi de deux enfans qui portoient chacun un fagot sur l'épaule , il entra dans la ville au moment qu'on en ouvroit la porte , et trompa les gardes par son déguisement. Alors il ôta son chapeau ) se fit connoitre ; et, prenant la main à tous ceux qui l'environnoient, il leur dit qu'il étoit venu pour sauver leur ville. Pendant ce temps , ses gens de guerre , conformément à ses ordres , arrivèrent par les différentes portes , et le rendirent maître de la place. 3g. La surprise d'Amiens , en 1097 , est un de ces coups d'adresse qui font honneur aux généraux , et qui moirtreat combien la peau du renard est souvent plus utile à la guerre que celle du lion. Un petit homme , mais rempli de courage, nommé Hernadès- Teillo-Porto-Carerro, vieux officier espagnol, forma le hardi projet d'entrer dans la capitale de Picardie , et vint à bout de l'exécuter heureusement. S'étant mis à la tête de sept mille hommes d'infanterie et de sept cents chevaux, il s'avança, la nuit du 10 au 11 de Mars , vers la place dont il convoitoit la conquête, et fit toutes les dispositions nécessaires à la réussite de ses desseins.Sur lai-route , et dans tous les sentiers qui conduisoient à la ville, il plaça de petits pelotons de soldats , pour arrêter tous ceux qu'ils renconlreroient.il prit cinq cents hommes choisis, qu'il fit cacher dans des haies et dans des masures très-voisines delà ville.Trente autres, habillés en paysans et en paysannes , armés sous leurs habits, les uns portant des hottes, et les autres des paniers , comme des gens qui vont au marché, s'avancèrent jusqu'à la porte. Ils conduisoient trois chariots, l'un desquels devoit s'arrêter à l'endroit qui répond à laherse,pourlasoutenirlorsqu'onl'abattroit. La porte étant ouverte., deux des chariots entrèrent. Quatre soldats
�ADRESSE
D5ESPRIT.
ly§
dais de ceux qui conduisoient le troisième, s'arrêtèrent au lieu marque, et les autres soldats s'introduisirent à leur tour. L'un d'eux ayant pris un sac , le délia , et répandit les noix qu'il contenoit devant le corps-degarde. Aussitôt les bourgeois accoururent, en faisant des huées sur le prétendu paysan , et se jettent sur les noix. Les soldats déguisés prennent-les armes , tuent quelques bourgeois, mettent les autres en fuite. L'un d'entre ces soldats sehâte d'avertir ceux de l'embuscade, qu'il étoit temps de se montrer. Ils arrivent, tuent les sentinelles, et secondés par quatre compagnies de cavalerie qui surviennent dans ce moment, ils se répandent dans la ville, sans trouver aucune résistance. On étoit en carême, et les citoyens , renfermés dans les églises , écoutaient tranquillement le sermon. Tout-à-coup on sonne le tocsin. La frayeur saisit les esprits ; on abandonne les temples ; on rouit aux armes ; maisiln'étoit plus temps : les Espagnols, en moins d'une demi-heure, s'étaient saisis des places, de la maison-de-ville et des remparts. Il fallut céder à la fortune, et mettre bas les armes dont on s'étoit pourvu trop tard. Les richesses des bourgeois, l'artillerie, les munitions, l'argent que le roi Henri I/^avoit fait transporter dans la ville, tout devint la proie des vainqueurs, qui ne furent chassés de leur conquête , qu'après plusieurs mois de siège. 4°- L'empereur Henri II étant en voyage , s'arrêta à Verdun , et alla rendre visite à Richard , abbé de S. Vannes. En entrant dans le cloître , il prononce ces paroles du psaume i3i ; « C'est ici mon repos pour « toujours, c'est l'habitation que j'ai choisie. » L'évêque Heimon, qui Faccompagnoit, va rapporter ces mots à. l'abbé. « Prenez garde, lui dit-il, à ce que vous ferez. « Si vous admettez l'empereur parmi vos religieux ; « comme il le demandera, vous perdez l'empire. » L'abbé reçoit l'empereur , et le conduit avec respect au chapitre : là devant tous les religieux, il ose l'in-> terroger sur le dessein qui l'amène dans cette solit ude». , Henri lui répond, le visage baigné de larmes , qu'il veut faire.pénitence parmi eux , quitter le monde et l'empire, et prendre l'habit monastique. « Voulez-vous, Tome I. D
�5o ADRESSE D'ESPRIT. « dit l'abbé, selon la règle , et à l'imitation de Jésus« Christ, être obéissant jusqu'à la mort ? » L'empereur répond avec humilité , qu'il n'a pas d'autre dessein. « Eh bien ! reprend l'abbé , je vous recois « pour moine ; je me charge du soin de votre ame : « mais je veux que vous fassiez tout ce que je vous « ordonnerai. » Henri promit tout ; et Richard réplique aussitôt : « Je vous ordonne de continuer à « gouverner l'empire , d'être ferme en rendant la « justice , et d'user de toute votre autorité , pour « procurer aux peuples la paix et la tranquillité. » Henri n'insiste pas davantage , et se retire. /(.i. Un poète grec, dans le dessein d'exciter la libéralité d'Auguste, lui présenta si souvent des pièces de vers, que le prince importuné, pour se défaire de cet enfant d'Apollon , le paya en même monnaie , et lui donna une épigramme grecque. Le poète l'ayant lue, en exagéra la beauté ; et s'approchant de l'empereur, il tira quelques deniers qu'il lui présenta, en disant : « Pardonnez-moi, César, la modicité de mon présent ; « je sens bien qu'il est indigne d'un aussi grand prince, « et bien au-dessous de l'excellent ouvrage dont vous « m'honorez ; mais ma pauvreté ne me permet pas de « vous donner davantage : accusez-en la fortune , et « non la reconnoissance. » L'ingénieuse tournure de cette remontrance plut à Auguste ; et reconnoissant qu'un grand prince travaille pour sa propre gloire en encourageant les talens qui peuvent illustrer son règne et éclairer son peuple , il fit donner au poète une somme d'argent, qui, le tirant de l'indigence, le rendit moins fécond , et peut-être moins importun. 42. Praxitelles permit à Phriné de choisir dans son atelier celui de ses ouvrages qu'elle croiroit le plus excellent : mais cette courtisane , se défiant de son discernement, ne voulut s'en rapporter qu'à celui du •sculpteur même ; et pour qu'il ne dissimulât point, elle usa de cette adresse. Elle vint lui annoncer , quelques jours après , que le feu étoit à son atelier : « Eh ! vite , s'écria-t-il aussitôt, qu'on sauve mon « Cupidon préférablement à tout le reste ! » Phriné?
�ADRESSE
D'ESPRIT.
sur-le-champ, alla chercher le Cupidon, etl'e On prétend que cette statue , chef-d'œuvre d'i plus célèbres artistes anciens, enrichit aujourd' musée du grand-duc de Toscane. Le dieu est, ditreprésenté avec tant d'art, que dès qu'on lui met sur les yeux le bandeau qui le caractérise ordinairement > on n'y voit plus aucune trace des grâces riantes qui l'embellissent et l'animent quand le bandeau est ôté. 43.Les Grecs se seroient crus déshonorés s'ils s'étoient prosternés devant le roi des Perses, comme le faisoient les sujets de ce prince. Isménias, député des Thébains, se présenta à l'audience du monarque : il avoit à solhciter une grâce importante ; mais on lui répondit qu'il ne seroit point admis s'il ne se prosternoit , comme tous les autres , devant le grand roi, car c'est ainsi qu'on appeloit le monarque persan. « A cela près , dit-il, « faites que je parle au prince. » Il entra 5 et quand il fut près du trône , il laissa tomber son anneau , et se baissa ensuite pour le ramasser. Le roit prit cette inclination pour un prosternement ; et plus content de ce prétendu hommage d'un homme libre , que de tous les respects de sa cour, il lui accorda tout,ce qu'il voulut. 44. Le cardinal Mazarin prit , dans une cérémonie , le pas au-dessus du duc de Lorraine. L'aumônier de ce ministre , qui le suivoit, se retira par respect , pour laisser passer le prince : « Non , passez , « monsieur l'aumônier, dit le duc ; je cède le pas aux « gens d'Eglise , même aux moindres clercs ; » et il fit passer cet ecclésiastique. Par cette adroite civilité, il ménageoit le cardinal, dont il avoit besoin , et sauvoit L'honneur de son rang. 45. Cambyse ayant pris la ville capitale de Psamrnénite , roi d'Egypte , l'abandonna au pillage. Le monarque vaincu, voyant les soldats courir cà et là, demanda au roi de Perse ce qu'ils faisoient ? « Ils pillent « votre ville et vos biens. — Vous vous- trompez , « Prince , il n'y a plus rien ici à moi ; tout est à vous « par le droit de la guerre, et c'est votre bien qu'ils « pillent. » Cette adroite réflexion frappa Cambyse } qui fit aussitôt cesser le pillage.
�5a ADRESSE D'ISPRIT. 46. Un aveugle avoit cinq cents écus , qu'il cacha dans un coin de son jardin ; mais un voisin qui s'en aperçut , les déterra et les prit. L'aveugle, ne trouvant plus son argent, devina quel pouvoit être le voleur. Comment s'y prendre pour le ravoir ? Il alla trouver son voisin , et lui dit qu'il venoit lui demander un conseil. « J'ai mille écus , dont la moitié est cachée « dans un lieu sûr : je ne sais si je dois mettre le reste « au même endroit. » Le voisin le lui conseilla, et se hâta de rapporter les cinq cents écus, dans l'espérance d'en retirer bientôt mille : mais l'aveugle ayant retrouvé son argent, s'en saisit, et appelant son voisin, lui dit : « Compère , l'aveugle a vu plus clair que « celui qui a deux yeux. » Au milieu d'une nuit fort obscure, un autre aveugle marchoit dans les rues , avec une lanterne à la main et une cruche pleine sur le dos. Quelqu'un qui couroit, le rencontra : « Simple que vous êtes, lui dit-il, à « quoi vous sert cette lumière ? La nuit et le jour ne « sont-ils pas la même chose pour vous ? — C'est pour « éclairer ma cruche et lesétourdis qui te ressemblent.» ' 47- Un curé de village, pour écarter quelques gentilshommes affamés, usa de cette adresse. Il les reçut à bras ouverts , et après les complimens ordinaires , il feignit de commander à ses domestiques d'aller, l'un à la cave , l'autre au colombier , afin de préparer un festin digne des hôtes qui lui faisoient l'honneur de le visiter. Cependant il prit son surplis et son bréviaire, et se mit en devoir de sortir. « Où allez-vous donc , « monsieur le curé ? — Ah ! messieurs , je vous de« mande pardon 5 je suis à vous dans un moment : je «. vais , pendant que le dîner s'aprêtera, réconcilier « un pauvre pestiféré que j'ai confessé ce matin ; » et en disant ces mots, il sortit. Les parasites étonnésse regardent, et, de concert, se retirent aussilôt chez eux, tremblant d'avoir respiré l'air funeste qui pouvoit leur donner la mort. 48. Un docteur étant dans sa chambre occupé à travailler, fut interrompu dans ses méditations , par une jeune fille qui lui demanda du feu. « Eh ! dans
�53 << quoi , ma mie , voulez-vous le mettre ? lui de« manda-t-il. — Ici, monsieur, » répondit la petite , qui prit un peu de cendre dans sa main, sur lesquelles elle posa quelques charbons. Le docteur surpris jeta par terre ses livres , qui ne lui auraient jamais fourni une pareille ressource : « Avec toute ma science , « dit-il, aurois-je eu cet esprit-là ? » 49. On pilloit la maison d'un riche négociant. Un auvre Arabe ayant mis la main sur un sac plein 'or, et craignant que les gens attroupés dans la naisoU et dans la rue ne lui enlevassent sa proie , "avisa de le jeter dans une des marmites qui étoient uprès du feu dans la cuisine ; ensuite, ayant mis la armite sur sa tête , il se retira en grande diligence, ^eux qui le virent rirent beaucoup de ce qu'il s'étoit rrêté à une marmite pleine de viande , pendant que ous les autres emportoient des choses plus précieues. Le pauvre continu oit son chemin sans s'arrêter, t leur disoit : « J'ai pris ce qui est„présentement le < plus nécessaire à ma famille 5 » et il passa de cette anière , sans perdre son butin. 50. Deux bourgeoises qui se piquoient de noblesse , 'appeloient toi ites deux Colin, sans être pareil tes. L'une it à l'autre : « Au moins, madame, vous ne descendez :< pas des bons Colins , comme moi. » Celle-ci lui épondit avec vivacité : « C'est vous, madame, qui descendez des faux Colins ; pour moi je suis de la bonne roche. » Enfin , après bien des disputes fort ives, elles convinrent de prendre pour juge un célère avocat, qui connoissoit parfaitement leurs familles, 'et arbitre fut fort embarrassé. Il ne vouloit fâcher ni une ni l'autre, ni entretenir la folie d'aucune. Un tour îgénieuxle tira d'affaire. «Mesdames,leur dit-il, voici le moyen de vous accommoder. Il y a deux Colins aussi anciens l'un que l'autre ; Colin-Maillard et Colin- Tampon. Que l'une de vous deux se fasse descendre de Colin-Maillard ; l'autre reconnoîtra ColinTampon ; et vos deux familles seront également anciennes. » 51. Le cardinal de Bar, Napolitain, avoit à Verceii "«* D 3
ADRESSE D'ESPRIT»
�54 ADRESSE D'ïSPRIT. un hôpital dont il tiroit fort peu de profit, parce qu'il y avoit beaucoup de malades à entretenir. Il envoya un jour son intendant pour y rétablir un peu l'ordre , et en fixer les revenus. Cet officier, voyant une foule immense de gens inutiles, qui, sous prétexte de maladie , consumoient tous les biens de la maison, s'avisa de ce tour. Il se déguisa en médecin , fit assembler tous les malades , s'informa de leurs maladies , et finit par leur déclarer d'un ton docte , qu'on ne pouvoit les guérir qu'avec un onguent de graisse humaine. « Il faut donc , dit-il, que vous tiriez au sort entre « vous , à qui sera cuit dans l'eau bouillante , pour « le salut de tous les autres. » Il leur donna trois jours pour y songer sérieusement. Les réflexions furent bientôt faites ; car , au bout de vingt-quatre heures , tous les malades enrayés vidèrent l'hôpital. 52. Un homme avoit un chien qu'il aimoit beaucoup, parce qu'il lui rendoit de grands services et qu'il lui étoit fort attaché. Cet animal vint à mourir , et son maître en fut inconsolable. Pour soulager sa douleur, il l'inhuma avec pompe dans son jardin , et convia , le soir, ses amis à un banquet, pendant lequel il leur fit l'oraison funèbre du défunt ; et ainsi finirent ses obsèques. Le lendemain , quelques gens mal intentionnés allèrent rapporter au cadi, ou juge du lieu, tout ce qui s'étoit passé le soir, et ajoutèrent à la vérité du fait, un détail de toutes les cérémonies funèbres des Musulmans , qu'ils disoient avoir été pratiquées aux funérailles de l'animal. Le cadi , fort scandalisé de cette action , envoya ses huissiers se saisir de l'accusé , et après bien des réprimandes , il lui demanda s'il étoit du nombre de ces infidelles qui adoroient les chiens, puisqu'il avoit fait plus d'honneur au sien , que l'on n'en avoit rendu à celui des sept dormans , ou à l'âne A'Ozaïr ou d'Es-dras. Le maître du chien lui répondit sans s'émouvoir : « Seigneur, l'histoire de mon chien « seroit trop longue à vous raconter ; mais , ce qu'on « ne vous a peut-être pas dit, c'est qu'il a fait un tes« tament, et, entre autres choses dont il a disposé , il, « YOUS a fait un legs de deux cents aspres que je vous
�55 « apporte de sa part. » A ces mois, le cadi, agréablement surpris , se tourna vers les huissiers , et dit : « Voyez comme les gens de bien sont exposés à l'en« vie , et quels discours on faisoit de cet honnête « homme ! » Puis , s'adressant à l'accusé , il lui dit: « Puisque vous n'avez pas fait les prières pour le dé« funt , je suis d'avis que nous commencions (a). » 53. Le calife Mahadiaimoïl passionnément la chasse. Egaré de sa route, il entra chez un paysan , et lui demanda à boire. Celui-ci lui apporte une cruche de vin dont le calif but quelques coups. Mahadi lui demanda ensuite s'il le connoissoit : « Non , répondit l'Arabe. « — Je suis un des principaux seigneurs de la cour du « calife. » Il but ensuite un autre coup , et demanda encore au paysan s'il le connoissoit. Celui-ci lui répondit qu'il venoit de lui dire qui il étoit. « Ce n'est « pas cela, reprit Mahadi, j e suis encore plus grand que « je ne vous l'ai dit. » Là-dessus il but un autre coup, et répéta la première demande. L'Arabe, fatigué de cette question, lui répliqua qu'il venoit de s'expliquer lui-même à ce sujet. « Non , dit le prince , je ne vous « ai pas tout appris ; je suis le calife , devant qui tout « le monde se prosterne. » A ces paroles, l'Arabe , au lieu de se prosterner, prit la cruche pour la reporter à sa place. Le calife étonné, croyant qu'il n'emportoit ce vase qu'à cause de sa présence, vouloit le rassurer contre la crainte d'avoir transgressé la loi de Mahomet, qui défend le vin. « Oh ! ce n'est point cela, répondit « l'Arabe ; mais c'est que , si vous buviez encore un « coup, j'aurois peur que vous ne fussiez le prophète, « et qu'enfin , à un dernier coup , vous ne prétendiez « me faire accroire que vous êtes le Dieu tout-puis« sant. » Mahadi sentit toute l'adresse de cette réponse , et fit à l'ingénieux Arabe un présent magnifique. 54. Un seigneur de la cour jouant au piquet avec le cardinal de Mazarin , le réduisit, pour éviter d'être
ADRESSE D'ESPRIT. (a) L'expression dont se sert ici le juge est e'quivoque en langue turque : elle signifie également, commencer des prières , et ouvrir un- sac d'argent,
D 4
�56 . "* .4:b SI S SE D'ESPRI T. capot, à ne savoir lequel il garderoit de deux as qu'il avoit encore à la main. Le ministre attendoit, que quelque courtisan officieux lui donnât un avis salutaire : il interrogeoit tous les regards ; et après avoir longtemps balancé, il étoit sur le point de jeter celui qui lui étoit inutile , lorsque son adversaire lui marcha sur le pied, comme pour l'avertir de n'en rien faire. Mazarin suivit ce prétendu conseil, et fut capot. Le jeu fini, il se plaignit , en disant : « Qui est celui qui m'a marché « sur le pied, et qui m'a fait faire une sottise ? — C'est « moi, monseigneur , lui répondit le joueur : je ne « crois pas être obligé de vous donner de bons avis. » 55. Un voyageur du comté de Kent en Angleterre, qu'un orage avoit transi de froid, arrive dans une hôtellerie de campagne , et la trouve si remplie de monde, qu'il ne peut approcher de la cheminée. « Que « l'on porte vite à mon cheval une clayère d'huîtres, « dit-il à l'hôte. — A votre cheval, monsieur ! et « croyez-vous qu'il veuille en manger ? — Faites ce « que j'ordonne. » Le patron obéit : tous les assistans le suivent à l'écurie ; et notre voyageur se chauffe. « Monsieur , dit l'hôte en revenant, je. Faurois gagé « sur ma tête ; le cheval n'en veut pas. — Il faut donc « que je les mange, » répond le voyageur, qui s'étoit bien chauffé et avoit choisi une bonne place. 56. Jean II, roi de Portugal , fut prié par un seigneur , nommé Ruy-Soi/za, qui étoit accablé de dettes, de vouloir bien lui parler dans la rue, et il obtint ce qu'il demandoit. Souza sortit avec le roi, qui Y avoit à son côté , et s'entretenoit avec lui ; et comme il lui demanda si cet honneur lui suffisoit, Souza le remercia très-humblement. Le lendemain, des marchands, qui ne doutaient point de sa faveur , lui prêtèrent cinq ou six mille écus, dont il avoit le plus pressant besoin, pour se retirer du malheureux état oii il se trouvoit. 5y:. L'abbé de Baignes , chef de la musique de Louis XI, étoit un homme fertile en inventions , et qui savoit adapter son génie industrieux aux circonstances les moins attendues. Le monarque lui demanda un jour un concert exécuté par des pourceaux. Il
�n' ES PRIT. 5j CMÊ'oit , par la bizarrerie de celte demande , réduire l^Sfroitabbé à l'impossible. Cependant il l'entreprit, et en vint même à bout, à la satisfaction du roi. Il rassembla quantité de pourceaux de différens âges , et dont les cris, par conséquent, dévoient produire différens tons. 11 les mit tous sous un pavillon de velours magnifique , au devant duquel étoit une table de bois, où l'on moirtoit par plusieurs degrés qui formoient une espèce de jeu d'orgue. Différens aiguillons qu'il toucboit, aboient piquer ces pourceaux, et ces animaux aiguillonnés poussoient des cris qui formoient une harmonie dont la nouveauté devoit faire le plus grand mérite , et qui ne laissa pas de donner du plaisir au monarque. 58. Kiuperli Nuuman, qui fut grand-visir en 1710, avoit contracté une fantaisie qui tenoit de la folie. Il croyoit avoir toujours une mouche sur le nez. Il la chassoit de la main , elle s'envoloit ; mais un instant après , elle revenoit encore. Les plus fameux médecins furent consultés et employés , sans pouvoir déraciner cette mouche imaginaire. Un médecin français, nommé Le Duc, eut l'honneur de cette cure. Il ne s'y prit pas comme les autres , et n'alla point raisonner doctement avec le visir, pour le convaincre qu'il n'y avoit rien de ce qu'il croyoit. Au. contraire , la première fois qu'il fut introduit chez lui, il se récria , en, apercevant Nuuman', sur la grandeur et la grosseur de cette mouche importune , qui venoit impudemment siéger sur le nez du. visir ; et par là,il gagna sa confiance. Il lui ordonna d'abord des juleps et d'autres potions innocentes, sous prétexte de le purger. Enfin, un beau jour il se mit en devoir de lui couper sa mouche. Il tire son petit couteau, et le lui passe légèrement sur le nez. Après cette feinte opération, il lui montre une mouche morte, qu'il tenoit à dessein cachée dans sa main. Kiuperli s'écrie aussitôt que c'est la mouche même qui le tourmentoit depuis si longtemps ; et par cette adresse , sa fantaisie fut parfaitement guérie. 5g. Le comte de Grammont, voyant que Louis XIV
ADRESSE
t
�58
ADRESSE
D'ESPRIT*
ne dônnoit aucun bénéfice à l'abbé de Feuquieres, son neveu , lui dit : « Sire, j'avois toujours cru l'abbé de « Feuquieres homme d'une conduite à engager votre « majesté à penser à lui. Mais comme votre choix est « la récompense du mérite, et qu'il n'est point encore « tombé sur lui, je suis porté à croire qu'il n'est digne « que du dernier mépris. Si votre majesté l'oublie dans « la première nomination, trouvez bon que je le fasse « enfermer dans un séminaire pour le reste de ses « jours. » Louis XIVouvrit les yeux sur cet abbé , et lui donna bientôt un riche bénéfice. 60. Un roi montroit des vers à un courtisan , qui lui demanda quel étoit l'ignorant qui les avoit faits ? « C'est moi, lui dit le prince. — Vous avez donc voulu « mal faire , sire , reprit le courtisan , et vous avez « parfaitement réussi. On voit bien que votre majesté « a le don de faire tout ce qu'elle veut. » Par cette adroite repartie , il calma l'amour-propre du monarque , et prévint l'irascibilité du poète. 61. M. de Besemeaux, de l'ancienne maison deMonlezun, étoit dans les bonnes grâces du cardinaUe Mazarin. Un de ses parens , bon serviteur du roi, mais peu favorisé de la fortune , le pria de le présenter au ministre. Il en prévint l'éminence , l'assurant que ce parent, n'avoit que deux mots à lui dire : « Pour deux « mots , dit le cardinal, je le veux bien ; mais deux « mots, et pas davantage. » M. de Besemeaux fit entrer son parent, après lui avoir bien recommandé de ne dire que deux mots. « Soyez tranquille , » dit celui-ci, en approchant du cardinal. On étoit en hiver; il se contenta de dire : « Monseigneur, froid et faim. « — Feu et pain , » répondit le ministre ; et il lui fit donner une pension. 62. Un jeune seigneur envoyé par le duc de Vendôme pour porter à Louis XIV la nouvelle de la victoire de Luzara, s'embarrassa dans le récit qu'il en fit. La duchesse de Bourgogne rioit de l'embarras du narrateur ; mais le roi ne perdoit rien de sa gravité , ce qui augmenta encore le trouble du député. Enfin, il termina comme il put sa narration, dont il fit excuser
�ADRESSE D'ESPRIT. 5g le désordre et la foiblesse , en ajoutant adroitement : « Il est plus facile à M. de Vendôme, Sire, de gagner « une bataille , qu'il n'est aisé de la raconter. » 65. LouisXIV£a\soit]& revue des gardes Françaises, et voyant un soldat d'un port noble et majestueux, lui prit son épée pour l'examiner , puis la lui rendit. Le soldat, en la recevant, dit au roi avec une hardiesse respectueuse : « Sire , quand on prend l'épée d'un « homme qui sert un aussi grand roi, on la lui remet « ordinairement à son côté. » Le prince, un peu surpris , lui dit gaiement : « Eh bien , j'y consens, » et remit l'épée dans son fourreau. « Sire , reprit alors lé « soldat, j'ai assez lu pour savoir que vos prédéces« seurs n'anoblissoient leurs sujets qu'en leur mettant « l'épée au côté. » Le roi lui envoya le lendemain des lettres de noblesse. 64. Mahomet , roi de Khouristan , dans la Perse , avoit pour premier ministre un homme d'une probité à toute épreuve. Les femmes de ce prince et son favori , ne pouvant rien sur l'esprit de ce sujet fidelle , et n'espérant rien de son amitié, se liguèrent contre lui, et le firent disgracier. En quittant la cour, il supplia son souverain de lui accorder , pour prix des services qu'il avoit rendus à l'état, quelques morceaux de terres incultes, où il pût passer le reste de ses jours, et s'occuper à les faire valoir. Le roi donna ordre qu'on fît des recherches , et qu'on lui apportât un aperçu des terres en friche qui se trouveroient dans les pays de sa domination. On obéit ; mais on n'en put pas même trouver une seule mesure, tant l'administration du ministre disgracié avoit été sage et attentive. Mahomet ouvrit alors les yeux ; et retenant à sa cour ce serviteur intelligent et intègre, le rétablit dans ses dignités, ordonnant à ses femmes de ne plus , à l'avenir , s'immiscer dans les affaires publiques. 65. Il est assez ordinaire que les ouvrages des peintres se vendent beaucoup plus cher après la mort que pendant la vie de leurs auteurs. Teniers le jeune ne pouvant tirer des siens tout le parti dont ils étoient dignes, s'avisa de cesser de vivre en apparence. Afin
�60 ADRESSE D'ESPRIT. d'exécuter ce singulier stratagème, il s'absenta quelque temps de la ville d'Anvers, où il demeuroit, et fit répandre le bruit de sa mort. Pour donner plus de vraisemblance à cette nouvelle, sa femme et ses enfans prirentle deuil, et affichèrent la plus grande affliction. On ouvrit alors les yeux sur le mérite du peintre : les amateurs se présentèrent en foule à la vente posthume de ses tableaux , et on les acheta au poids de l'or. 66. Un prédicateur ne savoit qu'un sermon, et l'alloit débiter dans les villages. L'ayant prêché dans un endroit , le seigneur du lieu le retint pour le lendemain , qui étoit fête encore , dans l'espérance qu'il donnerait un discours aussi beau que celui de la veille. Cette invitation étoit glorieuse ; mais elle mettoit le prédicateur dans une position bien incommode. Se répétera-t-il ? Que pourra-t-il dire qui n'ait été déjà entendu ? Pour qui va-t-il passer dans l'esprit des auditeurs? Au lieu de répondre à cette flatteuse prévention dont on l'honore , il se rendra la fable de l'auditoire choisi. Que faire cependant ? il faut prêcher. L'heure approche ; il monte en chaire : « Messieurs , dit-il , « quelques personnes m'ont, accusé de vous avoir dé« bité hier des propositions contraires à la foi, et d'a« voir mal interprêté quelques passages des livres saints. « J'en appelle à cet auditoire éclairé : pour les con« vaincre d'imposture, et pour vous prouver la pureté « de ma doctrine , je vais vous répéter mon sermon. « Daignez , je vous supplie, m'écouter avec toute l'at« tention qu'exige une cause dont vous êtes juges. » 67. Plusieurs gens de lettres , et Chapelle entre autres, se trouvoienl à souper chez Molière h Auteuil. Ce dernier , depuis quelques temps, ne vivoit que de lait, et se couchoit de bonne heure. Il quitte les convives pour se mettre au lit, et son absence ne refroidit point la gaieté du festin. Le vin , largement servi , échauffa peu à peu toutes les têtes , et la conversation tomba sur les malheurs attachés à la vie. On trouva qu'il n'étoit rien de si triste que notre existence icibas ; que nos jours sont , ou monotones , ou livrés aux chagrins : mille épines très-piquantes , pour une
�ADRESSE D'ESPRIT. 61 rose foible et passagère. On conclut que la vie n'est qu'une chaîne de maux douloureusement gradués, et qu'il est de la sagesse de s'en débarrassertoutd'un coup. On applaudit à cette sombre philosophie ; et en avalant une dernière rasade , on s'écrie unanimement : Allons, amis, mourons avec courage. On se lève, on quitte la table ; tous courent à l'envi à la rivière. Le jeune Baron, l'un des convives, et qui, peut-être, avoit moins bu, ou dont le vin étoit moins triste, prévient Molière, avant de suivre les autres. Molière, qui connoissoit le vin de ses amis, effrayé de cet extravagant projet, s'élance hors de son lit : mais tandis qu'il s'habille , nos philosophes arrivent à la rivière, et s'emparent d'un bateau pour prendre le large et se noyer tout au milieu. Quelques paysans et des domestiques du voisinage , instruits de leur dessein par leur conversation qui étoit assez bruyante, se jettent avec eux dans le bateau, pour les retenir. Furieux de cet obstacle , ils mettoient l'épée à la main, lorsque Molière se montre : « Eh ! que vous ont donc fait ces gens-là, leur « crie-t-il ? —• Comment, lui répond l'un d'eux , ces « coquins veulent nous empêcher de nous jeter dans « la rivière. Ecoute, mon cher Molière, tu as de l'es« prit ; vois si nous avons tort- Fatigués des peines de « ce monde-ci, nous avons résolu de passer en l'autre, « afin d'être mieux. La rivière nous a paru le plus court « chemin pour nous y rendre , et ces marauds nous « l'ont bouché. — Fort bien, s'écrie Molière; le des« sein est beau : mais je vous croyois de mes amis. « Quoi ! messieurs, vous entreprenez une action qui « doit vous immortaliser, etvous oubliez de m'associer « à votre gloire? — Il a raison, répond Chapelle ; nou$ « agissons mal avec lui : oublie cette faute, mon cher « ami, et viens te noyer avec nous. — Oui-dà , c'est « mon dessein : mais un moment ; songeons à ce que « nous allons faire. Nous voulons nous illustrer , et « nous nous y prenons nuitamment ! N'est-ce pas don« ner des armes à l'envie , toujours prête à déprimer « les belles actions ? Ne pourra-t-elle pas dire, si nous « y procédons immédiatement après souper, que c'est
�62 ADRESSE DU CORPS. « plutôt le vin que notre raison qui nous a conduits ? « Non , mes amis , c'est demain , à jeun, de jour, en « plein midi, qu'il faut nous jeter dans la rivière. — « C'est fort bien raisonné, s'écria Chapelle. Morbleu ! « Molière a toujours plus d'esprit que nous.» Ils allèrent tous se coucher; et le lendemain, on n'eut plus besoin de se battre avec eux pour les empêcher de se noyer. * 68. Le marquis de Saint-André sollicitoit un petit gouvernement ; mais M. de Louvois , ministre de la guerre , qui avoit reçu quelques plaintes contre cet officier , le lui refusa. « Si je recommencois à servir , « je sais bien ce que je ferois , repartit le marquis un '< peu ému. — Et que feriez-vous ? demanda le mi« nistre d'un ton sévère. — Je réglerois si bien ma « conduite , que vous n'y trouveriez rien à redire. » M. de Louvois fut si agréablement surpris de cette réponse adroite, qu'il accorda ce qu'on lui demandoit. Voyez PRÉSENCE D'ESPRIT.
ADRESSE DU CORPS.
1. LE grand Alexandre, encore fort jeune , voyant son père rebuter comme inutile un cheval excessivement rétif et fougueux : « Quel cheval , s'écria-t-il, « perdent ces gens-là , qui , par ignorance ou par « timidité , ne savent pas s'en servir ! » Aussitôt il s'approche du coursier farouche, le flatte, le caresse, l'adoucit, le monte avec adresse, le promène quelque temps ; puis, lui faisant sentir l'éperon, le met au galop et le fatigue. Enfin, tournant bride doucement, il le ramène au pas devant le roi son père , et saute à bas. Philippe l'embrassa tendrement ; et se livrant en père aux grandes espérances que donnoit le jeune prince : « O mon fils, lui dit-il, cherche un royaume digne de « ta grande ame ; la Macédoine ne peut te contenir. » Le nom du cheval dompté par l'adresse d'Alexandre devint aussi célèbre que celui de son maître, dont il partagea, pour ainsi dire, la brillante carrière. On l'ap-
�ADRESSE DtJ CORPS. 63 pela Bucéphale, parce que sa tête avoit la conformation de celle d'un bœuf. 2. Le fameux chevalier Bayard partant du château paternel pour se rendre à la cour du duc de Savoie, après avoir reçu les adieux de ses parens , monta à cheval en leur présence. Son cheval , qui étoit fougueux , commença alors à s'agiter avec violence ; mais le jeune cavalier se tint ferme, et ne fut point ébranlé. Le seigneur du Térail, son père, admirant en vieillard l'adresse de son fils, courut vers lui les bras ouverts, et lui demanda s'il n'avoit pas eu peur. « Et de quoi « aurois-je peur , mon père , entouré de personnes « qui me sont si chères, et dont je suis aimé, moi qui « me sens incapable de crainte au milieu des enne« mis de mon roi et de ma patrie ? » La supériorité qu'il avoit acquise dans l'exercice du cheval, fut la première cause de sa fortune. Le duc de Savoie, dont il étoit page , étant à Lyon avec Charles VII, roi de France , voulut s'en faire honneur devant ce monarque. Bayard et son cheval occupèrent plus d'une heure deux puissans souverains et toute leur cour, et le page revenant au bout de sa carrière , le roi , charmé de son adresse, lui cria : « Or ça, cavalier, bon courage ! « piquez ! piquez encore une fois ! » Les pages du monarque , ou jaloux des éloges qu'il recevoit, ou l'admirant eux-mêmes, s'écrièrent ensemble : « Piquez ! pi« quez ! » et ces cris répétés lui valurent, pendant plusieurs années , le surnom de Biquet. A peine âgé de vingt ans , très-grand pour son âge , mais pâle et maigre , et en apparence incapable de grands efforts, il vainquit à Lyon , dans un tournois , le seigneur de Vaudrey , dont le bras redoutable avoit terrassé tous les chevaliers qui s'étoient mesurés avec lui. Tous les spectateurs en furent surpris ; et lorsque , suivant l'ordre de la joiite, les combattans passèrent, la visière levée, devant les dames de Lyon, rangées le long de la lice , elles s'écrièrent en leur patois, le voyant si maigre et si pâle : « Vey vô ces tous malotru ? il a mieux « fait que tous les autres. » 3. L'un des athlètes qui se distingua le plus parmi
�64 ADRESSE DU CORPS. les Gi-ecs , par son adresse et par sa vigueur , fut lè célèbre Folydamas. Seul et sans armes , il tua sur le mont Olympe un lion des plus furieux, se proposant en cela le grand Hercule pour modèle. Une.autre fois, ayant saisi un taureau par l'un des pieds de derrière , cet animal ne put échapper qu'en laissant la corne de son pied dans les mains de l'athlète. Lorsqu'il retenoit un chariot par derrière, le cocher fouettoit inutilement ses chevaux pour les faire avancer. Darius Notlius , roi de Perse , sur le bruit de cette force prodigieuse de Folydamas , le voulut voir , et le fit venir ?i Suse. On lui mit en tête trois soldats de la garde du prince, très-vigoureux et très-aguerris. Il les battit , il les tua, sans même vouloir se servir d'aucune arme. 4- A peine ose-t-on croire ce que les historiens rapportent de l'adresse surprenante, et de la force prodigieuse de Milon de Crotone , ce fameux athlète qui vivoit l'an 512 avant J. C. Pausanias dit qu'il fut sept fois victorieux aux jeux Pythiens, une fois étant encore très-jeune, qu'il remporta six victoires aux jeux Olympiques , toutes à la lutte , l'une desquelles lui fut adjugée aussi pendant sa première jeunesse ; et que s'étant présenté une septième fois à Olympie pour la lutte, il ne puty combattre faute d'antagonisle. 11 empoignoit une grenade de manière que , sans l'écraser , il la serroit suffisamment pour la retenir , malgré les efforts de ceux qui tâchoient de la lui arracher. Il se tenoit si ferme sur un disque , espèce de ialet de forme plate et ronde , qu'on avoit huilé pour e rendre plus glissant , qu'il étoit impossible de l'y ébranler. Il ceignoit sa tête d'une corde comme d'un diadème ; après quoi, retenant fortement son haleine, les veines de son front s'enfloient jusqu'au point de rompre la corde. Lorsque appuyant son coude sur son côté ; il présentait la main droite ouverte , les doigts serrés l'un contre l'autre, à l'exception du pouce qu'il élevoit, aucune force humaine ne pouvoit lui écarter le petit doigt des trois autres. Un jour qu'il écoutait les leçons de Pythagore, car
Ï
�ADRESSE DU CORPS. 65 il étoit l'un de ses disciples les plus assidus, la colonne qui soutient le plafond de la salle où l'auditoire étoit assemblé, ayant été lout-a:coup ébranlée, il la soutint lui seul, donna letempsaux auditeurs de seretirer; et, après avoir mis les autres en sûreté , il se sauva luimême. Ce qu'on raconte de la voracité de cet homme étonnant, n'est pas moins capable de surprendre. Il étoit à peine rassasié de vingt mines ou livres de viandes , d'autant de pain, et de quinze pintes de vin en un jour. Athénée dit qu'une fois ayant parcouru toute la longueur d'un stade , portant sur ses épaules un taureau de quatre ans , il l'assomma d'un coup de poing , et le mangea tout entier dans la journée. Milon, dans sa vieillesse, voyant les autres athlètes s'exercer à la lutte, et considérant ses bras, autrefois si robustes, mais que l'âge avoit extrêmement affoiblis: « Hélas ! s'écria-t-il en pleivrant, maintenant ces bras « sont morts ! » Cependant il oublia , ou du moins il se dissimula son affoiblissement 5 et l'aveugle confiance qu'il avoit mise en ses forces lui devint enfin funesteUn jour, passant dans une forêt , il voulut éprouver sa vigueur émoussée , et entreprit de séparer un arbre en deux. Mais les forces lui manquèrent au milieu de son action; les deux parties de l'arbre sè réunirent, et enfermèrent les mains du malheureux athlète : un lion sortit du bois , et le dévora. 5. L'historien Josèpherapporte un trait remarquable de l'adresse et de la force de corps d'un cavalier romain , qui, au siège de Jérusalem , poursuivant un Juif, le saisit par le talon , l'enleva ; et le tenant en l'air , le porta ainsi tout vivant à son général. 6. Pendant que Louis XIV étoit en Flandres , son carrosse traversant un chemin très-mauvais, se trouva tellement embourbé , que les bœufs et les chevaux qu'on y attela firent d'inutiles efforts. Le moyen d'une roue étoit entièrement enfoncé dans la boue. Un garde du roi, nommé Barsabas , impatient d'être témoin oisif de ces vaines tentatives, descend de cheval, soulève la roue , fait signe au cocher et aux postillons , qui , fouettant les chevaux, piquant les bœufs, Tome I. E
�66
ADRESSE
DU
CORPS.
dégagent enfin la voiture. Louis XIV donna une pension à ce garde , qui devint bientôt major de Valenciennes. Il étoit revêtu de ce grade, lorsqu'un Gascon lui cherchant querelle, lui proposa de se battre. « Je « le veux bien , dit Barsabas , en 1 ai présentant fa « main ; touchez-là. » Le Gascon lui tendit la sienne. Le major en la serrant, lui fracassa les os , et le mit hors de combat. Un autre Gascon profita de cet exemple dans une circonstance semblable. Au lieu de répondre à l'invitation de Barsabas qui lui tendoit la main, il lui plongea son épée dans le corps, en disant: a Voilà comme je pare la trahison d'un homme comme « vous. » Le coup ne fut pas mortel. Etant dans un village , le major de Valenciennes entra dans la bouti~ que d'un maréchal pour y demander des fers. Il rompit sans peine tous ceux qu'on lui montra , disant qu'ils étoient aigres etcassans. Le maréchal en voulut forger d'autres. Barsabas prit alors l'enclume , et la cacha sous son manteau. L'ouvrier, voulant battre son fer, fut bien surpris de ne plus voir son enclume ; et son étonnement augmenta lorsqu'il l'aperçut sous le bras du major. Il crut avoir affaire à un démon 5 il prit la fuite , et ne voulut rentrer chez lui que quand on lui eut assuré que le prétendu diable n'y étoit plus. Barsabas avoit une sœur aussi forte que lui; mais il ne la connoissoit pas, parce qu'il avoit quitté de très-bonne heure la maison paternelle , pour chercher fortune dans les airnes, et qu'elle étoit née durant son absence. Il la rencontra dans une petite ville deFlandres _, où elle étoit cordière. Il lui marchanda les plus grosses cordes qu'elle eût. Il les rompoit comme les plus pelits filets, en disant qu'elles ne valoient rien. « Je vous en « donnerai de bien plus fortes, dit la cordière ; mais « voudrez-vous y mettre le prix? — Je les paierai « tout ce" que vous voudrez, » répondit-il, en montrant plusieurs écus. Elle les prit, en rompit deux ou trois. <c Vos écus, lui dit-elle, ne valent pas mieux que mes « cordes ; donnez-moi de l'argent de meilleur aloi. » Barsabas surpris, lui demanda son pays, son nom, sa famille , et reconnut qu'elle étoit sa sœur. Le grand
�AD RT.SSÏ DU CORPS. 67 Dauphin , fils de Louis XIV, voulut voir des preuves de la force prodigieuse de cet homme. 11 se jeta sous son cheval, le souleva , le porta sur son dos plus de cinquante pas; et se baissant ensuite, il le posa à terre avec autant de tranquillité que s'il n'eût pesé que vingt livres. 7. L'Indigne fils de Marc-Aurèle, le barbare Commode , partageoit tout le temps qu'il devoit consacrer au gouvernement de l'empire , entre la plus infâme débauche, et les méprisables combats auxquels il s'exercoit contre les gladiateurs et contre des bêtes. Il v réussissoit très-bien , et joignoit la force avec l'adresse. On rapporte qu'il tua cinq hippopotames à la fois, deux éléphans, un rhinocéros, un autre animal, moitié chameau, moitié panthère, en deux jours différens. Il tiroit avec tant de justesse et de dextérité , qu'un jour dans un spectacle , voyant une panthère qui s'éiançoit sur un malheureux destiné à combattre contr'elle , il prit son arc, et d'une flèche subitement lancée, il abattit la tête à l'animal sans toucher à l'homme. C'est peut-être le seul acte d'humanité qu'il ait fait, et il faut l'attribuer à son adresse, non à son cœur. 8. L'empereur Maximin étoit si fort qu'il traînoit seul des chariots chargés. D'un seul coup de poing il faisoit sauter les dents d'un cheval . Quelques historiens ont dit qu'il écrasoit des pierres assez grosses entre ses doigts, et qu'il fendoit de gros arbres avec les mains. Il n'y avoit nul homme au monde qu'il craignît. II avoit huit pieds de hauteur , et mangeoit quarante livres de viande par jour. 9. Auguste , roi de Pologne, a aussi passé pour un prodige de force. A la table de l'empereur, il prit une assiette d'argent où il y avoit du vin ; en la serrant dans la main il en lit une boule , où la liqueur se trouvoit renfermée : il la comprima ensuite tellement, que le vin rejaillit jusqu'au plancher. 10. Un jour l'empereur Adrien exercoit ses troupes, et chaque soldat exécutoit en particulier les évolutions militaires, analogues aux fonctions qu'il avoit E 2
�68 ADRESSE DU CORPS. dans les armées. Un archer batave, nommé Soranus, parut à son tour. Ce guerrier , déjà connu par son adresse, voulut surpasser sa réputation. Il décoche une flèche ; et avec une seconde, il coupe la première qu'il atteint au milieu de son vol. Adrien, rempli d'admiration, prit les Bataves et Soranus en si grande amitié, que de ce moment il en composa sa garde; et lorsque cet habile archer fut mort, il lui éleva un magnifique mausolée. n. Gésier, homme bizarre et cruel, qui commandoit dans la Suisse au nom de la maison d'Autriche , fit mettre un chapeau au bout d'une perche que l'on planta sur la place d'Altorf, avec ordre auxpassans de saluer ce chapeau avec autant de respect que le gouverneur même. Un laboureur nommé Guillaume Tell, homme dont l'ame étoit au-dessus de sa fortune, ayant manqué à cette formalité , Gésier le manda pour le punir de sa désobéissance. Le paysan s'excusa, en disant qu'il n'avoit aucune connoissance de cette loi, à laquelle il se seroit conformé. Peu content de cette réponse , le ministre autrichien ordonne au laboureur d'abattre d'un coup de flèche une pomme sur la tête de celui de ses enfans qu'il aimoit le plus; ajoutant que s'il manquoit son coup , il lui feroit donner la mort. Ce père malheureux n'ayant pu adoucir son juge ni par ses pleurs, ni par ses prières, prit la flèche et la décocha avec tant de bonheur et d'adresse, qu'il abattit la pomme à cent vingt pas de distance, sans faire de mal à son fils. La joie du père fut égale au dépit du gouverneur , qui , toujours dans le dessein de perdre Guillaume , lui suscita une autre querelle sur ce qu'il avoit une deuxième flèche dans son carquois. Il voulut savoir à quel usage elle étoit destinée: « A te tuer toi-même , » lui répondit le laboureur ; ce qu'il exécuta , tandis que le gouverneur donnait ses ordres pour le faire conduire en prison. Plusieurs citoyens se réunirent à Guillaume ; et cette alliance fut le fondement de la République Helvétique , qui s'est soutenue avec tant de gloire depuis plus de quatre cents ans.
/
�AFFABILITÉ.
69
1UUUXUIWWV \\\\\\Xt\Vl\\\\\\\\\\lV\\\\\llV\VV\\\\\\\l\\\VV\V
AFFABILITÉ.
1. SES os TRIS, roi d'Egypte , méditant la conquête de toute la terre , crut que pour exécuter ce vaste projet, il devoit avant tout gagner le cœur de son peuple par une bienveillance et une affabilité sans bornes. 11 donnoit aux uns de l'argent ou des terres ; il pardonnoit aux autres ; il parloit avec bonté à tous ceux qu'il rencontrait ; en un mot, il se fit tellement aimer de tous ses sujets, qu'ils regardèrent comme un bienfait d'être enrôlés sous ses drapeaux, et qu'en le suivant dans les batailles, ils croyoient combattre plutôt pour la défense de leur père, que pour la gloire de leur roi. 2. Le tyran Pisistrate, si toutefois ce prince mérite un nom si odieux , fit oublier son usurpation par les vertus dont il donna l'exemple sur le trône. Il se distingua sur-tout par son affabilité. Il regardoit tous les citoyens comme ses frères ; il les écoutoit avec joie ; il les faisoit manger à sa table ; il jugeoit leurs différens avec la tendre sollicitude d'un père , et le zèle désintéressé d'un ami véritable. Enfin , pour donner , en quelque sorte , tout ce qu'il possédoit à ses sujets , il ouvrit ses jardins et son palais à tout le monde , et chacun, y étoit reçu avec attention et les égards qu'on auroit eus pour le prince. 3. C'est «à son affabilité que le fameux Thêmistocle dut, en partie , la haute fortune à laquelle il s'éleva. Ce grand homme, qui penchoit naturellement vers le gouvernement populaire, ne négligea rien pour se rendre agréable au peuple , et pour se faire des amis, se montrant affable à tous, complaisant, toujours prêt à rendre service aux citoyens , qu'il connoissoit par leurs noms ; et même il n'étoit pas fort délicat sur les moyens qu'il employoit pour leur faire plaisir : aussi quelqu'un lui dit qu'il gouverneroit parfaitement, s'il conservoit l'égalité parmi les citoyens, et qu'il ne
�•/O
AFFABILITÉ.
penchât pas plus pourl'un que pour l'autre. « ADieu « ne plaise , répondit-il , que je sois jamais assis sur « un tribunal où mes amis n'aient pas plus de crédit « et de faveur que les étrangers ! » 4- Le duc de Joyeuse, favori de Henri III, avoit un coeur digne de sa grande fortune ; et son affabilité envers tout le monde prévenoit les traits piquans de l'envie. Un jour , ayant fait attendre trop long-temps deux secrétaires d'Etat dans l'antichambre du roi, il leur en fit ses excuses , et leur abandonna un don de cent mille écus que le roi venoit de lui faire. 5. Lorsque Gustave III, roi de Suède , parcouroit la Finlande , une vieille femme l'aborda une lettre à la main. Le monarque étoit simplement vêtu , et se disposoit à monter à cheval pour partir d'Abo. La femme , qui ne le connoissoit pas , le prit par le bras. « Voilà une lettre que je dois faire tenir à Stockholm, « lui dit-elle; elle est très-importante pour moi; vous « retournez sans doute ; faites-moi le plaisir de vous « en charger ; vous épargnerez le port. Quant à l'a« dresse, il vous sera facile de la trouver; car je pense « bien que vous connnoissez cette ville. » Le roi accueillit cette demande en souriant avec bonté. Il prit la lettre , fit ses adieux à cette bonne femme , et lui promit de s'acquitter de sa commission. 6. Un jour, le fameux abbé Terrasson passoit dans les rues, vêtu d'une manière bizarre et négligée. Quelques enfans et des gens du bas peuple le suivoient avec des huées. Un de ses amis de rencontra, et voulut écarter ces insolens. « Eh! mon ami, laissez-les faire, « dit l'abbé : cela les amuse ; et je ne peux'leur faire « que ce bien-là. » 7. Dans le temps que l'armée, conduite par S. Louis contre les infidelles , étoit en proie à la peste , aux maladies les plus cruelles, à la famine la plus affreuse, Gaugelme, un des valets-de-chambre du monarque , fut attaqué comme les autres du fléau, épidémique, qui bientôt le réduisit à l'extrémité. Son confesseur l'exhortoit à mourir chrétiennement. ;« Non, dit-il, je ne « mourrai point que je n'aie vu mon saint roi : j'attends
�A F F A B I L I T É.
7I
« qu'il m'honore de sa visite. » Ces paroles furent rapportées au prince , mais tout le monde lui représenta l'imprudence qu'il y auroit à satisfaire le désir d'un domestique , et qu'il s'exposeroit à gagner la maladie qui le mettoit au tombeau. « Ce domestique est mon « sujet; il est mon frère, répondit le monarque : allons « nous acquitter de nos devoirs à son égard. » Il dit; et dans le moment, il se montre aux yeux étonnés de Gaugelme. Ce fidèle serviteur veut se précipiter aux pieds de son maître. La foiblesse le retient. Louis le console et l'encourage, et Gaugelme meurt satisfait. 8. L'impératrice - reine , Marie-Thérèse, étant à Laxembourg , y reçut un message de la part d'une femme âgée de cent huit ans, qui, pendant plusieurs années, n'avoit pas manqué de se présenter le jour du ' jeudi-saint, pour être au nombre des pauvres auxquels cette auguste princesse la voit les pieds. Depuis deux ans ses infirmités l'avoient empêchée de se rendre au palais. Elle fit dire à l'impératrice qu'elle avoit le plus vif regret de n'avoir pu se trouver à cette pieuse cérémonie, non pas tant à cause de l'honneur qu'elle auroit reçu, que parce qu'elle avoit été privée du bonheur de voir une souveraine adorée. La princesse, touchée du message et des sentimens de cette bonne femme , se rendit elle-même dans le village qu'elle habitoit. Elle ne dédaigna pas d'entrer dans une misérable cabane. Elle la trouva sur un grabat où la retenoient ses infirmités, compagnes inséparables de l'âge. «Vous « regrettez de ne m'avoir point vue ! lui dit la géné« reuse Marie-Thérèse : consolez-vous , ma bonne ; « je viens vous voir. » Elle fut attendrie de la situation et de l'air pénétré de la vieille femme , qui gémissoit de ne pouvoir sortir de son lit pour se jeter à ses pieds. Elle l'entretint long-temps, et lui laissa, en se retirant, une somme d'argent nécessaire pour lui procurer les secours dont elle avoit besoin. 9. L'empereur Josephll, auguste fils de cette illustre souveraine, et héritier de ses vertus autant que de sa puissance, s'est montré dans tous les temps accessible à tout le monde. S'il se promène dans sa capitale , rien
E 4
�72 A F F A B I L I T Éi ne l'annonce, rien ne le distingue ; il n'est escorté que de sa bienfaisance et de cette royale aménité qui relève la majesté du prince, et le rapproche de son peuple. A peine fut-il revêtu du souverain pouvoir , qu'il parcourut tous les pays soumis à sa domination ; s'arrêtant sur les chemins pour laisser approcher lafouledes spectateurs qui se trouvoit à son passage , et recevant'avec bonté toutes les requêtes qu'on lui présentoit. Parmi celles qu'on lui donna , il s'en trouva une conçue en ces termes : Très-gracieux empereur, quatre jours de corvée, le cinquième à lapécke, le sixième à la chasse pour le seigneur du village, et le septième àDieu: jugez., empereur très-magnifique , s'il nous est possible de payer les impôts. 11 consola ces infortunés vassaux ; et peude temps après il rendit leur servitude plus supportable. Dans une ville de Croatie, les habitans assemblés autour de leur souverain, témoignoient leur allégresse >ar des acclamations redoublées, lorsqu'au milieu de a joie publique on entendit des sanglots. C'étoit un soldat qu'un coup de feu avoit privé de la vue dans la guerre de 1758. Il se désespéroit d'être privé du plaisir de voir l'empereur; et poussant la multitude pour se faire un passage, il disoit, en versant des larmes, qu'il désiroit au moins le toucher. Un officier l'aperçoit, T'entend, avertit le prince, qui le fait approcher et lui présente ses deux mains. Le soldat les saisit avec empressement, les serre avec tendresse, les arrose des larmes de l'amour : «Me voilà donc heureux, s'écria« t-il ! Je le serois davantage , si pouvant vous voir « un instant, le Ciel ensuite m'ôtoit une vie inu« tile à votre service , et que je ne regretterais plus « après avoir vu mon empereur et mon père. » Ce rince attendri lui fit remettre une somme pour les esoins pressant , et lui fixa une pension annuelle. Se promenant à cheval dans Vienne , il vit tomber son palefrenier dans un trou couvert de neige ; il descend aussitôt pour lui prêter secours ; mais ne pouvant y réussir, il remonte à cheval , vole jusqu'au premier village où sa suite étoit déjà, et revient avec du monde pour sauver l'infortuné valet. Quelques
f
�?3 seigneurs de la cour se plaignirent de ce qu'on nepouvoit jouir décemment des promenades du château , parce qu'elles étoient sans cesse remplies cle petite noblesse et de peuple. Enfin , ils s'adressèrent à l'empereur , et le supplièrent d'ordonner que l'entrée dé ses jardins ne fût permise qu'aux personnes qualifiées. « Votre requête m'étonne , répondit le monarque. « Eh quoi ! si je ne voulois voir que mes égaux, il « faudroit que je m'enfermasse dans le caveau où repo« sent les cendres de mes ancêtres.Messieurs, j'aime « tous les hommes, et je préfère la vertu et les talens, « à l'avantage accidentel de compter des princes parmi « ses aïeux. » Etant un jour incognito dans une auberge , accompagné de deux personnes, et attendant le dîner commandé , survient un officier qui demande à loger , et prie le maître de l'hôtellerie de le faire manger avec quelqu'un. On lui répond qu'il ne se trouve que trois cavaliers arrivés avant lui, et qui paroissent militaires. L'officier les prie de l'admettre à leur compagnie : on le reçoit. On se met à table ; on parle de l'art militaire , et bientôt l'officier racontant ce qu'il avoit vu , dit qu'il étoit né dans les états de la maison d'Autriche en Italie ; qu'il avoit été réformé à la fin de la dernière guerre ; quedurantla paix il étoit devenu père d'une nombreuse famille , aux besoins de laquelle son bien ne suffisoit pas ; qu'il avoit pris la résolution de se remettre au service , et qu'il entreprenoit le voyage de Vienne pour solliciter de l'emploi. Un des convives parut prendre un très-grand intérêt à ce qu'il disoit ; et après lui avoir représenté combien il étoit difficile de réussnr à la cour , parce qu'il y a plus dè sujets à placer que déplaces à remplir , il lui oflritnne lettre de recommandation pour le général Lascy, président du conseil de guerre. L'Italien l'accepta , plus par politesse , que par confiance dans la recommandation.La lettre fut écrite et cachetée sur la table après le dessert, et on se sépara. Arrivé à Vienne , l'officier va faire sa cour au président du conseil ; il est très-assidu aux audiences ; il sollicite , il parle, il importune ; il
AFïABILITÏi
�74
AFFABILITÉ.
emploie ses anciennes connoissances ; mais tout cela sans succès. Confondu dans la foule des demandeurs,il commençoità desespérer, lorsque se rappelant la lettre du militaire avec lequel il avoit dîné , il se hasarda de la présenter au ministre. « Connoissez-vous celui qui « vous a donné cette lettre , lui dit M. de Lascy ? — « Non, monseigneur.—Elle est de l'empereur", et « il m'ordonne devons donner tel emploi. Il est facile de deviner ce qui se passa en ce moment dans l'ame de cet officier , et avec quelle affection on doit servir un prince qui dispense ainsi ses bienfaits. Dans le séjour que Joseph II fît en Lombardie, il se trouva logé dans une auberge de village , et y reçut l'hommage d'une multitude de gentilshommes, dont il retint la pluparta dîner. Leur nombre étoit si grand, qu'on lui représenta qu'il n'y avoit pas assez d'argenterie pour tant de monde. « Qu'importe ? répondit « l'empereur ; on trouvera ici suffisamment d'étain ; « ces messieurs voudront bien excuser un voyageur.» Vêtu, d'un su rtout gris, il faisoit seul avec un domestique un tour de promenade en voiture. Il étoit dans la campagne. Un enfant de dix ou douze ans accourut , en criant: «Monsieur , je suis fort las ; permettez-moi « de monter sur l'arrière-train. » L'empereur le fit asseoir à côté de lui , et lui demanda son nom , celui de ses parens , et ce qu'il avoit mangé à midi. « Je « vous le donne à deviner, » lui répondit l'enfant. Le prince lui nomma plusieurs sortes d'alimens. « Bien « deviné, » s'écria l'enfant, lorsqu'il entendit le nom de celui dont il avoit fait son repas. L'empereur lui demanda à son tour pour qui il le prenoit ? « Pour un « officier , répondit-il. — Mais , pour quel officier ? « — Pour un lieutenant; car vous n'avez aucun galon. « —Devinez mieux. » L'enfant nomma tous les grades ; et voyant qu'il n'y étoit pas encore , il ôta son chapeau , en disant : « Vous êtes donc l'empereur « même?—Bien deviné,» répondit le prince en riant. Aussitôt il le reconduisit dans la cabane de son père , et lui fit présent de quelques pièces d'or. Durant le séjour de ce prince à Paris , il alla visiter
�AFFABILITÉ.
jB
le pont de Neuilly. On le reconnoît ; on accourt. Le soleil étoit ardent 5 il se retourne 5 il ne voit que des tètes découvertes, il en paroît surpris. Lui-même ôte son chapeau ; et après une pause, dit aux spectateurs: « Messieurs , couvrons-nous , le soleil est trop fort. » Il entre au café de la Régence, voisin du palais-Royal, et veut jouer aux échecs. Uu joueur se présente, à condition qu'ils ne seront pas long-temps.La partie ne fmissoit point ;le joueur étoit inquiet ; l'empereur lui demande ce qu'il a : — « C'est , dit-il avec impa« tience, que cette maudite partie est éternelle. L'em« pereur vient à l'opéra ; l'heure se passe. Si vous « vouliez , nous reprendrions le jeu après le specta« cle. — Vous êtes bien bon , reprit le prince. Eh ! « que verrez-vous ? Un homme comme un autre.— « Oui ; mais cet homme est le bienfaiteur d'un gi'and « peuple , et l'exemple des monarques.—Eh bieu ! « regardez-moi et achevons notre partie. » Il va seul à la ménagerie. Le suisse chargé de la montrer, lui dit d'attendre la messagerie qui doit arriver. «Elle arrête « ordinairement, et ceux qu'elle voiture s'amusent à « voir les animaux : vous les verrez ensemble.—Vo« lontiers. » Il attend complaisamment , et entre avec les curieux, du nombre desquels étoit un étranger connoisseur,qui, satisfait d'entendre le prince, le prenoit par la manche , en lui disant : « Monsieur, vous avez « du savoir fort bien Expliquez-moi cela « Répétez , je vous prie. » Il s'égare sur sa route en venant à Paris, suivi d'un seul homme. Un château se présente. Il demande à parler au maître 5 il n'y est point, mais madame est dans son salon. Ils sont introduits. On leur sert à dîner, et la maîtresse les prie de vouloir bien lui permettre d'aller au devant de l'empereur.— « Il ne passera point « encore 5 nous le savons, parce que nous sommes à lui. « —J'attendrai donc sur votre parole; mais,Messieurs, « neme trompez pas ; c'est un si bon prince !Je meurs « d'envie de le voir. — Voilà son portrait sur cette « tabatière , que vous voudrez bien accepter de sa « part. L'étonnement de cette dame , les larmes de
�76 AFFABILITÉ. sa reconnoissance , sa joie , furent un spectacle bien touchant pour ce prince affable et débonnaire. 10. Henri IV étoit environné d'une multitude de peuple, et les gens de sa suite vouloient faire écarter cette fonle incommode. « Gardez-vous-en bien , dit le « roi : j'aime mieux avoir plus de peine , et que mon « peuple me voie à son aise. «Une autre fois, le peuple criant vive le Roi ! avec une effusion de coeur un peu tumultueuse : « Hélas ! s'écria-t-il, je vois bien « que ce pauvre peuple a été tyrannisé ! » 11. Le marquis , depuis maréchal à'Uxelles, vint à la cour , après avoir été forcé de rendre au prince Charles, général de l'empereur, la ville de Mayence, qui avoit soutenu cinquante-deux jours de tranchée ouverte. Il craignoit les reproches de Louis XIV, et se jeta aux pieds de ce prince pour lui rendre compte de sa conduite. Le roi lui dit en l'embrassant: «Rele« vez-vous , marquis : vous avez défendu votre place « en homme de cœur,et vous avez capitulé en homme « d'esprit. » Cette généreuse affabilité releva le courage et les espérances du marquis , qui redoubla d'efforts pour mériter de plus en plus les bontés de son souverain. Un suisse des appartemens crioit de faire place , et repoussoit rudement les personnes qui se trouvoient sur Je passage de ce prince. « Doucement, lui dit le « roi : ne voyez-vous pas que voilà une femme qui a « un placet à me présenter ? » Louis le prit, le lut , et lui accorda la pension qu'elle demandoit. C'étoit la veuve d'un officier tué au service. 12. Le jour de son sacre, LouisXVI répondit d'une manière bien paternelle à l'amour que lui témoignoit son peuple. Ce bon prince, sans garde , sans cortège, seul avec la reine , se promena long-temps au milieu de la foule , se laissant toucher par les uns , prêtant l'oreille aux voeux des autres , y répondant aveC bonté,s'arrêtantmême avec complaisance si quelqu'un Yonîoit lui parler , donnant à tous par ses regards des témoignages de sa tendresse. Celte popularité si touchante avoit été annoncée à la ville de Reims par une
�A T^F E C T I O N. 77 réponse du roi , digne , comme toutes ses actions , d'être consacrée dansles fastes de l'histoire. On lui avoit demandé si, selonl'ancienusage, on tapisserait les rues par lesquelles Sa Majesté devoit passer. « Non , non , « point de tapisserie , dit-il : je ne veux rien qui em« pêche le peuple et moi de nous voir. » Voyez AGRÉMENS, ATTENTIONS , CIVILITÉ, EGARDS , POLITESSE , SAVOIR-VIVRE , URBANITÉ.
AFFECTION.
I.CONSTANCE-CHLORE , craignant de fouler les provinces que Dioclétien, qui l'avoit associé à l'empire , lui avoit données à gouverner, ne vouloit point accumuler , et son trésor étoit toujours vide. Dioclétien , qui aimoit l'argent , blâma beaucoup la conduite du César, et envoya quelques personnes de sa cour pour lui en faire des reproches. Le prince ne répondit rien à cette remontrance ; mais il pria les députés de l'empereur de demeurer quelque temps auprès de lui : ensuite il manda les plus riches citoyens de toutes les provinces de son département, et il leur ditqu'ilavoit besoin d'argent ; que le temps étoit venu pour eux de lui témoigner, par une libéralité volontaire, l'attachement qu'ils avoient pour son service. La proposition de Constance fut reçue avec joie. C'était pour ses sujets une heureuse occasion qu'ils cherchoient depuis long-temps , et qu'ils saisirent avec transport. Tous s'empressèrent de lui apporter de l'or, de l'argent, et toutes sortes d'effets précieux. Le trésor de Constance se trouvant ainsi rempli , il rappela les députés de Dioclétien , et leur montra cet amas prodigieux de richesses. « Je viens , leur dit-il, de les rassembler ; « mais il y a long-temps que j'en étais le maître : j'en « laissois la garde à mon peuple , qui , comme vous .« voyez, en étoit pour moi le fidelle dépositaire. » Les députés s'enretournèrentpleins d'admiration ; et Coustance, assuré de trouver une ressource toujours prête
�78 AFFECTION. dans le cœur de tous les cytoyens, fit reprendre à chacun ce qu'il avoit apporté. 2. Lucian Doria gagna une bataille navale sur les Vénitiens , en 1079 , auprès de Poli ; mais sa victoire lui fut fatale. Dans le fort de Faction , ayant levé la visière de son casque, il fut blessé d'un coup de lance; et ce général , la gloire de Gênes sa patrie , expira dans l'instant même. On cacha sa mort à ses soldats , dont il étoit adoré. Lorsqu'ils l'apprirent, ils firent retentir les airs de leurs plaintes et de leurs gémissemens. La plupart avoient vieilli sous ses ordres. Ils se rappellent alors , en sanglotant, les actions de courage et d'humanité de leur illustre chef. Ce sont des témoins qui parlent, et des témoins sensibles. « C'est lui, di<( sent-ils, c'est ce grand homme qui, se trouvant avec « nous sur les côtes de l'Esclavonie , manquant de « vivres et d'argent, nous distribua tout le sien, jus« qu'à sa vaisselle, pour nous mettre en état de fournir « à nos besoins.—Il a fait bien plus pour moi, s'écrie « un vieux matelot. Je mourois de faim dans le même « temps. Attaché à ma rame , je n'avois pu assister à « la distribution qu'il avoit faite de ses richesses. Enfin « je me traîne à ses pieds. Il n'avoit plus rien qui fût « de quelque prix, si ce n'est la boucle de sa ceinture. « Lève-toi, me dit-il , tes peines ont passé dans mon « cœur '■> prends ce qui me reste ; et il coupa cette « boucle , dont il me fit présent. » Jamais général ne reçut d'éloges plus flatteurs que Doria. Quelle oraison funèbre vaut celle que faisoient ces guerriers , dont il avoit gagné les cœurs par ses bienfaits ! 3. Le célèbre maréchal de Brissac étoit adoré de ses soldats. Quand il assiégeoit quel que ville, quand il livroit quelque bataille, ils s'efforcoientde l'empêcherde s'exposer aux dangers ; ilsse jetoient au devantde lui pour recevoir les coups qu'on lui auroit adressés. Brissac attendri leur disoit : « Eh quoi ! mes bons amis , vous « voulez donc que je vous doive toute ma gloire , et « que je ne fasse qu'aider à votre courage?» Ils lui répondoient par mille cris de vive Brissac ! et les officiers alloient lui baiser les mains.
N
�yg 4-Tous les soldats deM.fZe Turenne\ç, respectaient, le chérissoientcommeunpère.Etantun jour en marche pendant une saison fortrigourcuse , il fallut traverser des montagnes escarpées et des défilés très-étroits. Pendant que l'armée passoit un de ces défilés, le vicomte , épuisé de veilles et de fatigues, se coucha derrière un buisson pour dormir.QueJques soldats,voyant que la neige lomboit en abondance , coupèrent aussitôt des branches d'arbres, pour former autour de lui une hutte qu'ils couvrirent de leurs manteaux. Il se réveilla dans le temps qu'ils s'empressoient ainsi à le garantir des injures de l'air , et leur demanda à quoi ils s'amusoient, au lieu de marcher. « Nous voulons , di« rent-ils , conserver notre père ; et c'est notre plus « grande affaire.Si nous venions à le perdre , qui nous « ramènerait dans notre pays?»La dyssenterie s'étant mise dans son armée , on reconnut dans cette circonstance combien sa bonté le rendoit digne de l'affection de ses soldats. Le meilleur père ne se donna jamais plus de peines, plus de mouvemens pour la guérisonde ses enfans. Il ne se passoit point de jour qu'il ne visitât les malades : il les soulageoit, les encourageoitpar ses libéralités , pourvoyoit à tous leurs besoins,et leur parloit avec une noble familiarité. Dans ces occasions, lorsque l'argent lui manquoit, pour ne pas refuser, il empruntait du premier officier qu'il rencontrait, en le priant de se faire payer par son intendant.Celui-ci, soupçonnant que l'on exigeoit quelquefois plu s que l'on n'avoi t prêté à son maître, lui représenta qu'il falloit, à l'avenir , donner des billets de ce qu'il auroit emprunté. « Non , non, dit le vicomte ? donnez tout ce qu'on « vous demandera : il n'est pas possible qu'un officier « aille vous redemander une somme qu'il n'a point « prêtée, à moins qu'il ne soit dans un extrême be« soin ; et dans ce cas il est juste de l'assister. » Cette conduite remplissoit les soldats d'amour et de vénération pour lui. Quand il passoit à la tête du camp , ils sortaient de leurs canonnières pour le voir ; et on les entendoit se dire les uns aux autres : «Notre père « se porte bien j nous n'avons rien à craindre. »
AFFECTION.
�8o
AFFECTION.-
5. M. de Villars , n'ayant encore que le grade de colonel, en 1677 , rentrait dans son camp , après une action très-meurtrière. Le premier objet qui s'offre à ses regards est un cavalier de son régiment, qui, blessé d'un coup d'épée au travers du corps , se retire presque expirant. Il demande son chef, que l'on croyoit tué 5 et Villars se montrant : « Etes-vous content de « moi, mon colonel ? lui dit-il. Je ne voulois que la « consolation de vous voir avant de mourir. » 6. Les harengères delà Halle de Paris ont quelquefois eu la liberté de complimenter la famille royale. Lors de la convalescence de monseigneur, fils de Louis XIV, après une maladie qui faisoit beaucoup craindre pour ses jours , elles députèrent quatre de leur troupe à Versailles, pour luifaire compliment sur son heureuse guérison.- Ces ambassadrices se présentèrent à la porte de son appartement ; mais l'huissier ne jugeapas à propos deles faire entrer : ainsi elles s'en retournèrent fort mécontentes. Le soir, on rendit compte au roi du concours de monde ; et l'on ne manqua pas de lui parler des harengères. Sa majesté dit qu'on avoit eu tort de leur refuser la porte,et que leur zèle méritoit bien qu'on leur laissât voir monseigueur. Les harengèresfurent instruites, le lendemain, de ce qu'avoit ditle monarque.Elles assemblèrentleur conseil,et une nouvelle députationfutrésolue. Aussitôt que leurs excellences furent arrivées à Versailles, etqu'elles se présentèrent à la porté de monseigneur, on les introduisit en cérémonie dans son appartement, et l'on en avertit le roi, qui s'y rendit pour entendre leur harangue. Sa majesté les trouva à genoux devant monseigneur, qui étoit debout en robe-de-chambre. L'une lui baisoit les pieds , l'autre le bord de sa robe. Le prince souffroit ces caresses avec bonté. L'une d'entre elles s'écria : « Que serions-nous devenues, si notre cher dauphin fût « mort? Nous aurions tout perdu. — Oui, répliqua sa « voisine , tu as raison , nous aurions tout perdu 5 car « notre bon roi n'auroit jamais pu survivre à son fils, « et il serait sans doute mort de douleur. » On admira la politique de cette femme qui redressoit sa compagne
�A F F E C T I O N. 8t compagne , pour que ]e roi ne fût pas choqué de l'affection exclusive qu'elle paroissoit témoigner à monseigneur. Sa majesté commanda qu'on leur donnât un de ses carrosses pour les promener par-tout, et qu'on leur fit voir tout ce qu'il y avoit de beau à Versailles. Elles souhaitèrent d'aller entendre vêpres à la chapelle ; et on les plaça toutes les quatre dans un banc de duchesses. Monseigneur leur fit donner vingt louis, et le roi autant ; après quoi le carrosse du roi les ramena à Paris. On leur fit traverser la ville d'un pas d'ambassadeur , et on les conduisit de ce train-là à la Halle , où elles furent rendre compte à tout leur corps de l'heureux succès de leur voyage. On les conduisit ensuite chacune dans leur maison. Le lendemain elles s'assemblèrent de nouveau, pour voir à quoi elles emploieroient les quarante louis qu'on leur avoit donnés 5 et elles délibérèrent de les employer à faire chanter un Te Deum pour la convalescence de monseigneur ; ce qui fut exécuté avec la solennité la plus grande , en l'église de Saint-Eustache. 7. La naissance du Dauphin , fils du Titus de la France, a fait éclater l'affection des Français pour leur auguste monarque , de la manière la plus touchanteLa joie publique s'est manifestée sur-tout par des traits de bienfaisance sans nombre. Un citoyen qui n'a pas voulu se faire connoître , ayant appris la nouvelle de l'heureux accouchement de la reine , écrivit aux trésoriers de l'assistance des prisonniers , qu'il leur envoyoit quinze mille livres pour délivrer un nombre de ceux qui étaient détenus dans les prisons pour dettes de mois de nourrices. Cette somme procura la liberté de ig4 personnes , qui assistèrent , avant de sortir, à un Te Deum que l'on chanta dans la chapelle du For - l'Evêque. Elles reçurent encore quelque argent pour fournir à leurs premieis besoins en rentrant dans leur famille. Le 29 Octobre , les pensionnaires du collège d'Harcourt firent célébrer une messe solennelle , suivie d'un Te Deum , et délivrèrent six prisonniers , parmi lesquels se trou voit une femme qui n'étoit en prison que de la veille , mais bie,n Tmoe I. F
�82 A F F F C T I 0 N. intéressante par le motif qui l'y détenoit. Etant venue voir son mari , elle le trouva souffrant et malade : aussitôt elle s'offrit à demeurer à sa place», et força son mari de retourner chez lui, pour y trouver un repos qu'il ne pourrait avoir en prison. La compagnie des receveurs généraux des finances forma une somme de 28,800 liv. , pour être distribuée dans les villages et hameaux des vingt - quatre généralités du royaume , aux malheureux qui ont souffert des incendies ou d'autres calamités , pendant le cours de la grossesse de la reine. Les écoliers des collèges de Lisieux et de Mazarin délivrèrent aussi sept prisonniers. M. le Pelletier , intendant de Soissons , voulant honorer l'agriculture, invita les principaux laboureurs à souper chez lui , avec la noblesse , les officiers de judicature , et les plus notables citoyens , pour célébrer , comme en famille , la naissance de l'auguste enfant. Les laboureurs , voulant donner une preuve éclatante de leur zèle , se sont tous obligés , d'une voix unanime , à nourrir et entretenir un orphelin , auquel ils procureraient respectivement un état civil, et à qui ils donneraient le surnom d'Antoine , par allusion à celui d'Antoinette , que portoit la reine. Le régiment d'infanterie de la reine distribua de l'argent aux pauvres , en fit habiller d'autres , et fit choix de deux enfans nés à la même époque que le Dauphin , et les a dotés. Le revenu de la dot doit leur être compté annuellement ; et lorsqu'ils prendront des métiers ou se marieront , ils pourront en toucher le capital , qui est réversible au survivant , si l'un des deux meurt avant son établissement. Une loge de francs-maçons , qui se distingue par sa bienfaisance , voulant que le jour de la naissance du Dauphin hit un jour de bonheur pour les malheureux qui, au même instant que lui , avoient vu la lumière , a adopte sept jeunes infortunés , dont elle a arrêté de prendre soin : elle les élèvera , les entretiendra , et leur donnera un état en raison des talens qu'ils pourront annoncer. En Franche-Comté , M. de la Corée , intendant
�83 de cette province , fit distribuer aux prisons et aux hôpitaux de Besançon les secours les plus abondans , et dota sept filles , qui furent mariées dans la cathédrale j par M. l'évêque de Rosy. Après la célébration , les nouveaux époux revinrent à l'intendance , où M. et madame de lu Corée leur donnèrent un repas somptueux , auquel assistèrent les principales personnes de la ville. M. Moriot, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, prieur-recteur de la paroisse de Mohon , diocèse de Sainl-Malo , paya une partie de la capitation des plus pauvres de ses paroissiens , et s'est engagé", par un acte inscrit aux registres des délibérations , de continuer toute sa vie cette action de bienfaisance ; il a même pourvu à ce que les collecteurs de l'année dans laquelle il viendrait à mourir avant d'avoir rempli cet engagement, eussent le droit de répéter, comme une dette , la somme de 5oo liv. sur sa succession. Le bureau de l'hôpital-gé aérai délibéra , sous le bon plaisir du roi , d'appliquer les fonds d'aumônes qu'il en avoit reçus , à faire retirer des Enfans - Trouvés ceux qui étoient nés en légitime mariage , et qui n'avoient été exposés que par l'indigence de leurs pères et mères. Cette délibération fut publiée par la voie des gazettes et autres papiers périodiques, et les enfans furent rendus , sans qu'on exigeât aucun remboursement des dépenses faites pour la nourriture. 'Un curé des environs de Montmédi , réduit à la portion congrue, mais aussi vertueux qu'il est pauvre, voulant rendre grâces à Dieu du bienfait qu'il a répandu sur la France , en lui donnant un Dauphin, fit chanter le Te Deum , avec toute la pompe que son indigence et celle de son église pouvoient lui permettre. Ensuite, ayant rassemblé ses paroissiens, il leur dit : « Mes chers amis , vous n'ignorez pas que j'ai peu ; « mais ce peu doit servir à célébi'er ce jour de fête. « Après avoir élevé nos ames a Dieu, exprimons, par « des témoignages d'allégresse , notre attachement « pour le roi. Je n'ai qu'une pièce de vin ; je vais vous « la distribuer. » Ce bon pasteur partagea la joie de F 2
AFFECTION.
�84
AFFECTION.
son peuple , et la maintint, par sa présence, dans les bornes de la décence, sans lui rien faire perdre de sa vivacité. A Saint-Léonard, dans laLomagne, M. de la Pujade> chevalier de S, Louis , ancien aide-major des gardesdu-corps , lit/chanter une messe solennelle , à laquelle tous les pauvres , à qui il avoit donné de l'argent, ont été à l'offrande, et lui après. Il retourna à son château , escorté de trente des plus indigens qu'il avoit choisis , et leur lit servir un dîner abondant, après lequel il donna à chacun un pain et un écu. A la suite d'un feu d'artifice tiré sur le soir, il fit asseoir à sa table plus de deux cents paysans. Tout ce monde, en le quittant, embrassoit ses genoux, le nommoit le père et l'ami des pauvres, et faisoit retentir l'air des cris de vive le roi f CeM. de la Pujade, vieillard octogénaire, nourrit tous les jours quinze pauvres , et ne forme d'autre plainte que celle de n'être pas assez riche pour étendre ses bienfaits sur un plus grand nombre de malheureux. Au moment où l'on apprit la naissance du Dauphin à r\icey-le-Haut, bourg de Bourgogne, renommé par ses vins , M. le chevalier de Berray, ancien capitaine d'infanterie, retiré avec le grade de lieutenant-colonel, se rendit chez M. de Charmes - Maron, avocat au parlement. « Nous avons un Dauphin, lui dit-il , et « votre régisseur me doit cent écus : pensez-vous que « dans un jour où le Ciel nous donne un héritier du « trône , j'irai exercer mes droits sur un malheureux ,« père de famille , chargé de six enfans ? Faites-lui « savoir que j'ai lacéré devant vous le titre de ma « créance. » En même temps il le déchire.Le régisseur se présente ; il veut parler ; ses larmes coulent. Le généreux militaire confirme son bienfait -, et en ce moment , on lui annonce que son fils unique , chevalier de S. Louis, arrive de l'Amérique, échappé aux dangers de la mer et des combats : « Je vais renaître, « s'écrie le vieillard ! je reverrai mon fils ! il pourra, « comme moi, verser son sang pour nos rois! Le Ciel « met le comble à mon bonheur : je viens dé faire un « heureux , et je vais embrasser mon lils ! »
�AFFECTION. 85 Les officiers municipaux de la ville de Poligny, en Franche-Comté, ayant reçu de la part de M. à'Astorg, enseigne des vaisseaux du roi, une somme de 600 liv pour être distribuée aux pauvres de leur ville, demandèrent au père de ce jeune officier, âgé de douze ans > la publicité de sa lettre, qui est conçue en ces termes ' « Je vous avois prié de trouver bon que je vous fisse « passer une partie des fonds provenant de ma part de « la prise du convoi de S. Eustache, comme une foible « preuve de ma reconnoissance de tous les sacrifices « que vous avez faits pour moi : vous vous êtes refusé « à cette prière , et vous m'avez laissé la disposition « entière de cette somme. Votre générosité m'est « d'avance un sûr garant de l'approbation que vous « donnerez à l'usage auquel j'en destine une portion. « L'événement heureux de la naissance du Dauphin, « dont nous recevons aujourd'hui la nouvelle , m 1ns« pire l'idée d'en faire partager la joie générale aux plus « pauvres de mes compatriotes , en soulageant leur « misère de mon superflu. Je vous prie donc, mon cher « papa , de vouloir bien leur faire compter la somme <i de 600 liv. , que vous remettrez aux officiers muni« cipaux , qui les emploieront à payer les impôts des « plus indigens , dont ils doivent plus aisément con« noître les besoins. Vous m'avez si souvent persuadé, « en le pratiquant, que le plus grand plaisir est défaire « des heureux, queje seroisbiencoupabledel'oublier, « lorsque la circonstance me permet de vous imiter. » 8. UnDalécarlien vint à Stockholm, présenter auroi Gustave III, un mémoire pour le village qu'il habitoit. Il entre dans la salle d'audience, s'approche du chambellan, tire de sa pochele mémoire, etle lui présente, en disant : « Je te prie de le donner au roi, et de me dire « sa réponse. Je reviendrai demain, après-demain, ou « quand tu voudras; mais n'oublie pasmonpaquet dans « ta poche, et porte-le sur-le-champ à notre souverain. « ■— Je ne puis me charger de ce mémoire ; le roi me « l'a défendu : il veut qu'on remette à lui-même toutes; « les requêtes qu'on lui adresse. J'ai pris ton nom, et « tu lui parleras à ton tour. — Je verrai le roi ? je lui F S
�86 A F P E C T I O N. « parlerai ? il m'écoutera et me répondra lui-même? « — Oui. — Voilà qui est nouveau. » Le Dalécarlien admis à son tour , et reçu avec bonté , obtint sa demande. Le roi le congédia, après lui avoir fait sentir, pâr son affabilité , qu'il étoit autant son père que son maître. « Adieu , bon roi, dit le Dalécarlien ; je pars : « on ne m'attend pas sitôt dans mon pays. Que je vais « étonner mes compatriotes ! Je raconterai ce que j'ai « vu , ce que tu m'as dit : ce papier , que tu viens de « signer, leur fera seul croire ce que je leur dirai. « Us verront que tu es un bon père. Si jamais tu as « besoin de tes enfans , tous ceux que tu as dans les « trois vallées sont prêts à marcher au premier ordre.» g. Un habitant de Saint-Domingue avoit un nègre , nommé Louis Desrouleaux , qui, depuis long-temps, sollicitait sa liberté. Il l'avoit méritée par ses services, et son maître la lui avoit promise plus d'une fois ; mais cet esclave fidelle et laborieux lui étoit trop nécessaire ; et le nègre se voyant toujours frustré de son espérance, prit la résolu tion d'amasser de quoi se racheter lui-même. Dans quelques quartiers de SaintDomingue , on abandonne aux nègres , pour leur vêtement et leur nourriture, une certaine portion de terre, pour la culture de laquelle on leur accorde deux heures par jour. Ceux qui sont laborieux en retirent non-seulement le nécessaire, mais encore un superflu qui les met à portée de faire un commerce plus ou moins considérable, selon qu'ils ontplus ou moins d'intelligence. En peu d'années , Desrouleauoc amassa beaucoup plus d'argent qu'il ne lui en falloit pour se racheter. Il va trouver son maître, offre de lui payer sa rançon , et de lui procurer un autre nègre. « Va , lui « dit l'habitant , j'ai assez trafiqué la liberté de mes « semblables ; jouis de la tienne : tu me rends à moi« même. » Il ne tarda pas, en effet, à vendre ses habitations ; et ayant touché ses fonds , soit en argent, soit en papier, il passa en France. Le séjour de Paris devint funeste à sa fortune ; et voulant soutenir l'idée d'opulence attachée au seul nom d'Américain , il se livra sans ménagement à toutes les occasions de dépenses,
�A 6 R
É
M E N S.
87
et se vit bientôt ruiné. Tous ses prétendus amis disparurent. Seul désormais et sans ressource , il fut contraint d'aller montrer samisère dans le pays même où il avoit puisé sa première opulence. Il n'y trouva pas plus de secours qu'à Paris, et il fut réduit à vivre dans les plus pauvres auberges du port. Cependant Desrouleaux , auquel il ne pensoit plus , apprit ses malheurs, et découvrit sa retraite. Il court aux pieds de son maître, qu'il appelle son bienfaiteur, et lui fait tant d'instances , qu'il l'oblige à venir s'établir dans l'hôtel qu'il tenoit, le suppliant de s'en regarder comme le propriétaire. Mais ensuite , se mettant à sa place , il voit l'amour-propre humilié , le mépris inséparable de l'indigence , la peine intérieure que cause toute espèce de dépendance. 11 crut donc devoir donner une autre forme à son attachement et à sa reconnoissance. « Mon cher maître, lui dit-il un jour en « embrassant ses genoux , je vous dois tout ce que je « suis : disposez de tout ce que j'ai. Quittez ce pays , « où vos malheurs vous en suscitent de nouveaux. « — Eh ! comment veux-tu que je vive en France ? « — Ah ! mon cher maître , votre esclave seroit-il « assez heureux pour vous faire accepter sans peine « un léger tribut de sa gratitude ? Lui ferez-vous cette « grâce ? » Le maître attendri ne sait que répondre. Le nègre continue : « Quinze cents livres de rente « pourront-elles vous suffire ? — Ah ! c'en est trop , « répond le maître en fondant en larmes. » Aussitôt Desrouleaux le quitte , et lui remet à son retour un acte en bonne forme , qui lui assure , sa vie durant, quinze cents livres de rente. Cet habitant repassa en France , et sa pension lui étoit exactement payée , chaque aimée , six mois d'avance. A G R E M E N S.
1. A PRÈS la défaite de Persée, dernier roi de Macédoine , Paul-Emile donna à ses officiers et aux Grecs v.n magnifique festin. Tous les convives ne se lassoient F 4
�88 A G R É M E N S. point d'admirer l'ordre, le bon goût et la magnificence qui y régnoient. Us ne croyoient pas qu'un guerrier , uniquement occupé de sièges et de combats , pût joindre tant d'agrément, tant de délicatesse, à tant de valeur. Les vertus guerrières, suivant eux, excluoient ordinairement, ces finesses d urbanité , qui ne doivent être connues que des personnes qui ne cherchent qu'à plaire. Le général romain remarqua leur surprise : « Apprenez , leur dit-il, que le même talent « qui fait bien ranger une armée en bataille , fait « aussi bien ordonner un festin. » 2. Henri If^ s'étant égaré àlachasse, s'arrêta dans un hameau. Il descenditchez une vieille femme, àlaquelle il dit simplement, qu'il étoit un seigneur de la cour que le mauvais temps obligeoit à chercher un asile. La bonne femme courut vite chez son voisin , et revint, Tin moment après, avec un air fort triste. Henrihù demanda la cause de son chagrin, «Je viens de chez mon « voisin , répondit-elle , lui demander quelques pro« visions , afin de vous traiter un peu plus convenable« ment;mais il n'a qu'une dinde, qu'il n'a jamais voulu >> me donner , à moins qu'il n'en vînt manger sa part. » — Et pourquoi ne lui avez-vous pas permis de venir? >> — C'est parce que c'est un plaisant qui vous choque« roit peut-être par ses contes et ses airs familiers. « Faites-le venir , nia bonne , faites-le venir , » dit le roi, qui voulait égayer son frugal repas. La femme sort, et revient un instant après avec le voisin , qui tenoit à sa main une belle dinde. On l'apprête, on se met à table. Le voisin réjouit le prince par plusieurs contes fort plaisans. Henri voulut savoir pourquoi il s'étoit obstiné à venir manger sa dinde avec un seigneur de la cour : « Ah ! répondit-il avec transport, c'est que « je n'ai pu résister à l'envie de souper avec mon roi, « Oui, sire, continua-t-il en se jetant à ses pieds , je « vous ai reconnu. J'ai servi sous vqûs : j'ai combattu « pour mon roi à la journée d'Arqués. Eh! quel Fran« çais ne paierait de son sang l'honneur que je recois « aujourd'hui! » Le roi attendri le relève, lereconnoît, iui demande quelle est la chose qu'il désire le plus
�/
AGREMENS. 89 vivement. « Sire , je supplie votre majesté de m'ano« blir. — Vous anoblir ! Y pensez-vous ? Malgré vos « sentiments , votre naissance est obscure. Vous ano« blir, ventre - saint - gris ! Eh ! quelles seraient vos « armes ? —■- Mes armes ? je n'en suis pas en peine. — « Eh bien,quelles seront-elles ? Ma dinde, sire. » Le prince ne put s'empêcher de rue. « La dinde soit, « dit-il ; je vous accorde ce que vous me demandez. » On assure que la famille de cet homme subsiste, et porte encore une dinde dans ses armes. 3. Le prince de Conti passoit une grande partie de l'année en Languedoc. Un jour il s'écarta de son équipage de chasse , et vint à une hôtellerie où logeoitZe Pays, auteur du siècle dernier. 11 demanda à l'hôte s'il n'y avoit personne chez lui. Celui-ci lui répondit qu'il y avoit un galant homme qui faisoit cuire une poularde dans sa chambre pour son dîner. Le prince, qui aimoit à s'amuser , y monte ; et trouvant le Pays occupé à parcourir ses papiers , s'approcha de la cheminée, et dit : « La poularde est cuite , il faut la manger. — Elle « n'est pas cuite , et n'est que pour moi, » répondit brusquementZeP«yj,quinereconnoissoitpas le prince. Ce dernier insiste ; l'auteur s'opiniàtre : la dispute s'échauffoit, lorsque la suite du prince se montre et le nomme. Aussitôt le Pays quitte sespapiers, sejette aux genoux du prince , en répétant : « Monseigneur , elle « est cuite, elle est cuite. » Le prince qui trouvoit cette aventure agréable , le relève avec bonté , et lui dit : « Puisqu'elle est cuite, il faut la manger ensemble. » 4. Louis XI ayant reçu dix mille écus d'or en présent , fit étaler cette somme sur une grande table, et pour animer les désirs et l'espérance de ses courtisans : « Or cà , dit-il, voilà bien de l'argent ; on m'en a fait « présent : je ne veux pas que cela entre dans mes « coffres. Tous ceux qui m'ont bien servi n'ont qu'à « parler. » A l'instant, chacun fit àl'envi le détail des services qu'il avoit rendus au roi et à l'état. Le prince, avec une bonté engageante, donnoit son suffrage à ce qu'on lai disoit : puiss'adressantàsonchancelier, Pierre de Marvilliers, il lui demanda pourquoi seul de tant de
�9° AGRÉMENS. gens il gardoit le silence : « Sire , répondit-il modes« tement, je suis plus occupé de ma reconnoissance « que de mes désirs : Lien moins en peine d'obtenir « de nouveaux bienfaits , que de me rendre digne de « ceux dont votre majesté m'a prévenu. — Oh ! à ce « qne je vois, mon chancelier n'a besoin de rien : je « suis ravi d'avoir un homme si riche à moi-, » et se retournant vers lui : « Souffrez , monsieur, que j'a« joute à vos richesses : acceptez cette somme entière, « elle est à vous , et je veux qu'elle vous soit envoyée « sur-le-champ. » Puis s'adressant avec bonté aux autres courtisans : « Quant à vous , mes amis , atten« dez , et réservez-vous pour une autre occasion. » 5. En 1667 , Louis XIV mit le siège devant Lille. Le comte de Brouai , gouverneur de la place, fit demander où étoit le quartier du roi : « Il est dans le « camp entier, répondit le monarque, et on peut tirer « par-tout. » A cette politesse , le gouverneur en ajouta une autre , qui fut d'envoyer tous les matins de la glace , parce qu'il avoit appris qu'il n'y en avoit pas dans le camp du roi. Louis dit un jour au gentilhomme qui la lui apportoit : « Je suis bien obligé à « M. de Brouai de sa glace ; mais il devrait m'en en« voyer un peu davantage. — Sire-, répondit l'Es« pagnol, il croit que le siège sera long , et il la mé« nage , afin que vous n'en manquiez point. » Il fit aussitôt une révérence, et s'en alla. L e duc de Charost, qui , comme capitaine des gardes , étoit derrière le roi , cria à l'envoyé : « Dites à Brouai qu'il n'aille « pas faire comme le commandant de Douai, qui s'est « rendu comme un coquin. » Louis se retourna, -et lui dit en souriant : « Charost, êtes-vous fou ? — Com« ment, sire, répliqua-t-il, Brouai est mon cousin. » 6. Louis de Boucherat, chancelier de France, étant mort le 2 Septembre 1699, âgé de 84 ans, Louis XIV lui donna pour successeur M. de Pontchartrain, secrétaire d'état, qui avoit été contrôleur-général. Le roi prenant les mains du nouveau chancelier entre les siennes, lors delà prestation du serment, suivant l'usage, lui dit : « Monsieur, je voudrais avoir une charge
�A G R É M E N S'. 91 « encore pins éminente à vous donner , pour vous « marquer mieux mon estime, et la reconnoissance que « j'ai de tous les bons services que vous m'avez rendus. » Le comte de Marivaux, lieutenant-général, homme d'un caractère si dur qu'il ne l'avoit pas même adouci à la cour la plus polie de l'Europe , venoit de perdre un bras dans une action, et se plaignoit à Louis XIV, qui néanmoins l'avoit déjà récompensé. « Je voudrois, « lui dit-il, avoir perdu l'autre, et ne plus servir votre « majesté. — J'en serois bien fâché , et pour vous , « et pour moi » , répondit le roi, qui, peu de temps après , l'honora de nouveaux bienfaits. 7. Despréaux soutenoitlibrement son opinion devant Louis XIV, sans sortir néanmoins du respect qui lui étoit dû. « Votre majesté auroit pris vingt villes , lui « dit-il un jour , avant de mé persuader cela ; » et comme tous ceux qui étoient présens paroissoient étonnés de ce qu'il avoit osé disputer contre le roi : « Cela est assez beau , lui dit-il, que, de toute l'Eu« r'ope , je sois le seul qui résiste à votre majesté. » 8. Arland, né à Genève , avoit enseigné le dessin au duc de Chartres, depuis duc d'Orléans, et régent du royaume. Ce prince ne fut pas plutôt à la tête du gouvernement, qu'il s'empressa de combler de bienfaits les excellens artistes. Arland venoit souvent lui faire sa cour , et avoit la satisfaction d'être distingué dans la foule. « Je n'ai point oublié que je vous dois « les premiers principes du dessin, lui dit un jour le « duc 5 je suis trop reconnoissant pour ne pas récom« penser mon maître : allez choisir dans ma galerie les « tableaux qui vous plaisent davantage, et faites-les « emporter, je vous les donne. » Le peintre eût beau protester qu'il avoit assez reçu de la générosité de son altesse , et qu'il étoit d'ailleurs assez récompensé par la gloire d'avoir eu un tel élève'; il fallut se rendre. Arland entre dans la galerie , où sont rassemblés les chefé-d'reuvre des plus grands artistes de toutes les écoles, et fixa son choix sur deux tableaux peints par le régent lui-même. Ce trait adroit d'un fin courtisan fut admiré de tous les seigneurs, gens pourtant très-
�/
92
A G R É M E N S.
verses dans le manège des cours. « Je suis fâché, lui « dit le prince, que vous vous contentiez de si peu de « chose. —C'est, monseigneur, ce qui pouvoitnretre « le plus précieux » , répondit Arland, qui trou va, en arrivant chez lui, deux excellens tableaux , et vingt mille francs en or, que lui envoyoit son auguste élève, pour récompenser ses soins et son désintéressement. 9. Le duc de Saint-Aignan ajoutoit à la grandeur de sa munificence, par les grâces dont il accompagnoit ses bienfaits. Boursault lui aj'ant dédié sa tragédie de Marie Stuart, il la reçut comme un présent de grand prix , et l'assura que cette brochure seroit désormais le livre de sa bibliothèque qu'il aimeroit le plus, line s'en tint pas à ce compliment, et pria Fauteur d'accepter cent louis, comme une foible preuve de sa gratitude : « C'est moi, monseigneur, répondit Boursault, « qui vous dois de la reconnoissance. Je suis au déses« poir de m'acquitter si mal des grâces dont je vous « suis redevable..Il n'est pas juste que vous achetiez « si chèrement un hommage si peu digne de vous ; et « l'ouvrage que je prends.la liberté de vous offrir, est « trop payé par la bonté que vous avez de le rece« voir. — Je vois ce que c'est, répliqua le duc : Vous « ne me croyez pas assez riche pour vous donner cent « louis tout d'un coup : eh bien ! puisque vous voulez « avoir la complaisance de vous accommoder àmafor« tune , souffrez au moins que je vous en donne vingt « maintenant, et que je continue jusqu'à ce que je sois « quitte.» Boursault eut beau faire, il fallut accepter. Pendant quatre mois , le duc ne manqua pas , le premier , ou tout au plus tard le second , de lui envoyer un gentilhomme avec vingt louis, et mille honnêtetés dont il les accompagnoit ; et quand l'auteur alla lui présenter l'hommage de sa reconnoissance , ce fut le duc lui-même qui le remercia d'avoir étésicomplaisant, 10. L'humeur agréable dePoissonle faisoitaccueillir chez tous les grands ; et s'il leur demandoit des grâces, il employoitune urbanité si délicate et si adroite, qu'en accordant le bienfait , le bienfaiteur croyoit ne payer qu'une dette. Un jour, il présentait des vers au grand
�93 Colbert, qui avoit été parrain d'un de ses enfans. Le ministre refuse , et ajoute : « Vous n'êtes faits, vous « autres poètes , que pour nous incommoder de la « fumée de votre encens. — Monseigneur , reprit « Poisson, je vous assure que celui-ci ne vous montera « pas à la tête. » M. de Maulevrier, et plusieurs autres seigneurs qui étoient présens , prièrent instamment M. de Colbert de les lui laisser dire : enfin, le ministre y consentit , mais avec là condition expresse qu'il n'y auroit point de louanges. Poisson commença :
A.GRÉ MENS. Ce grand ministre de la paix, Colbert, que la France révère , Dont le nom. ne mourra jamais....
« Vous ne me tenez pas parole : cessez , ou je me « retire » , s'écria le ministre. La compagnie le retint ^ et Poisson , après avoir répété les trois vers , ajoute •
Eh bien , tenez , c'est mon compère. Fier d'un honneur si peu commun, On est surpris si je m'étonne Que de deux mille emplois qu'il donne, Mon fils n'en puisse obtenir un.
Colbert sur-le-champ lui donna , pour son fils , l'emploi de contrôleur-général des aides. 11. On avoit envoyé de Paris à Cambrai un homme savant , qui , sous prétexte de rendre visite à M. de Fênêlon, devoit examiner de près sa conduite, la critiquer en tout, et en faire le rapport. Cet homme resta plusieurs mois dans la ville , et fut à la fin tellement pénétré du mérite de l'archevêque , de ses manières affables et de sa conduite édifiante , qu'un jour , parlant au prélat, il lui avoua , fondant en larmes , le mystère odieux de son voyage. Il revint à Paris, rempli d'indignation contre la cabale qui vouloit rendre cet archevêque Suspect. M. de Fênêlon recevoit les étrangers avec la même affabilité que les Français. H prenoit plaisir à les entretenir des mœurs, des lois, du gouvernement, des grands hommes de leur pays. Il ne leur faisoit jamais sentir ce qui leur manqnoit dans la délicatesse des mœurs françaises : au contraire , il
�g4
/
A G R É M E N S.
disoit souvent : « La politesse est de toutes les nations; « les manières de l'expliquer sont différentes, mais « indifférentes de leur nature. » 12. Dans un dîner chez madame de Tencin, il fut question de faire un académicien ; et la compagnie se trouvoit partagée entre M. l'abbé de Bernis ,' aujourd'hui cardinal, et l'abbé Girard. Piron , l'un des convives , étoit de la consultation. Comme il se disoit consolé de tous les fauteuils académiques par une pension de cent pistoles, on lui demanda auquel des deux il donneroit sa voix : « A l'abbé Girard; c'est un « bon diable. » Ayant la vue basse, il ne s'étoit pas aperçu que M. de Bernis n'étoit pas loin de lu i : on l'en avertit à l'oreille ; et alors se retournant de son côté : « Y pensez-vous , M. l'abbé , de vous mettre sur les « rangs ? Vous êtes trop jeune, ce me semble , et vous « avez trop de talens pour demander les invalides. » 13. Fontenelle avoit beaucoup connu le cardinal de Fleury avant son ministère. Surpris, dans une visite qu'il lui fit quelques années après , de lui voir la même aménité et la même sérénité : « Quoi ! mon« seigneur , lui dit-il , est-ce que vous seriez encore « heureux ? » Ce célèbre académicien étant devenu sourd sur la fin de sa vie , laissoit ceux qui venoient le voir s'entretenir ensemble ; et toute la part qu'il prenoit à la conversation , étoit de temps en temps d'en demander le sujet, ou , comme il le disoit, le titre du chapitre. A sa surdité se joignit l'affoiblissement de la vue : au lieu de s'attrister de ces effets inévitables de l'âge , il disoit agréablement : « J'envoie « devant moi mes gros équipages. » i4- M. d'Argenson avoit une gaieté naturelle, une vivacité d'esprit heureuse et féconde , qui seules auraient fait une réputation à un homme oisif. Elles rendoient témoignage qu'il ne gémissoit pas sous le poids énorme qu'il portoit. Quand il n'étoit question que de plaisirs, on eût dit qu'il n'avoit étudié toute sa vie que Part si difficile , quoique frivole , des agrémens et du badinage. Il ne comioissoit point, à l'égard du travail, la distinction des jouçs et des nuits. Les affaires avoient
�AMITIÉ. g5 seules le droit de disposer de son temps ; et il n'en donnoit à tout le reste que ce qu'elles lui laissoient de momens vides , au hasard et irrégulièrement. Il dictoit à trois ou quatre secrétaires à la fois ; et souvent chaque lettre eût mérité , par sa matière , d'être faite à part, et sembloit l'avoir été. Il a quelquefois accommodé , à ses propres dépens , des procès même considérables; et un trait rare en fait de finances, c'est d'avoir refusé à un renouvellement de bail, cent mille écus qui lui étoient dus par un usage établi. Il les fit porter au trésor royal , pour être employés au payement des pensions les plus pressées des officiers de guerre. Il a souvent épargné des événemens désagréables à qui n'en savoit rien ; et jamais le récit du service n'alloit mendier la reconnoissance. Autant que par sa sévérité , ou plutôt par son apparence de sévérité , il savoit se rendre redoutable au peuple , dont il faut être craint ; autant, par ses bons offices et par ses manières douces , polies , affables , il savoit se faire aimer de ceux que la crainte ne mène pas. Voyez AFFABILITÉ , ATTENTIONS , GRÂCES , MANIÈRES , POLITESSE , SAVOIR-VIVRE , URBANITÉ.
A M* 1.
I T I
É.
« « « «
« I_J'HOMME entièrement seul , disoit l'illustre chancelier Bacon , est celui qui n'a point d'amis. Le monde n'est pour lui qu'un vaste désert, un lieu d'exil et de tristesse , qu'il partage avec les animaux errans. » 2. Deux philosophes de la secte de Pythagore , Damon elPythias, s'étoientunis entre eux parles liens d'une amitié si étroite et si constante, qu'ils étoient disposés à mourir l'un pour l'autre. Denis l'ancien, tyran de Syracuse, condamna Damon à la mort. L'infortuné supplia le prince de lui permettre d'aller quelques jours dans sa famille pour régler ses affaires , promettant de revenir. Denis y consentit, à condition quePythias
�96 A M I T I K. resteroit caution de son retour. Ce généreux ami se rendit volontiers dans la prison publique. Tout le monde , et le tyran sur-tout, attendoient avec impatience le dénouement de cette scène intéressante. lie 'our approchoit ; et Damon ne revenoit point. On dàmoit la folie du garant téméraire : on plaignoit son aveugle tendresse. Cependant on apprêtoit les instrumens du supplice. Déjà le peuple s'assembloit en foule ; déjà l'on se préparait à conduire l'innocent Pythias à la mort. Tout-à-coup Damon arrive : Damon délivre son ami. Tout Syracuse étonné pousse des cris , et demande la grâce du criminel. Le tyran la lui donne sans peine ; et touché d'une union si grande, il les prie de le recevoir en tiers d'une union si belle. Sainte amitié ! c'est ici ton triomphe. Le coeur le plus dur, Famé la plus barbare rend hommage à tes ineffables douceurs , et veut aussi les goûter. 3. Eudamidas de Corinthe touchoit à sa dernière heure , et laissoit sa mère et sa fille exposées à la plus cruelle indigence. Il n'en fut point alarmé. Il jugea des cœurs à'Arêthus et de Carixhne, ses fidèles amis, par le sien propre. Il fit ce testament qui ne doit jamais être oublié : « Je lègue à Aréihus de nourrir « ma mère, et de l'entretenir dans sa vieillesse ; à « Carixhne de marier ma fille., et de lui donner la plus « grande dot qu'il pourra 5 et au cas que l'un des deux « vienne à mourir, je substitue en sa part celui qui « stirvivra. » Ces deux citoyens généreux se montrèrent les dignes amis du vertueux Eudamidas, en remplissant, avec un noble scrupule, ses dernières intentions. 4- Trois Arabes étoient unis par les liens d'une amitié si étroite, qu'ils paroissoient n'avoir qu'une seule ame.L'un deux, nommé Vaked, étoit dans la dernière indigence, lorsqu'une des fêtes les plus solennelles du nmsulmanisme approchant, sa femme lui dit : « Je ne « murmure point contre la Providence de ce qu'elle « nous a réduits dans une situation si déplorable, et je « supporte avec résignation toutes nos disgrâces. Mais « voici la fête qui arrive , et je vous avoue que j'aurai « beaucoup de peine à. voir mes enfans avec des habits « déchirés ,
J
�AMITIE.
« déchirés, tandis que ceux de nos plus proches parens « seront vêtus avec magnificence. Trouvez , je vous « prie , s'il est possible , quelque expédient qui nous « mette à couvert de cette honte. » Vaked , après avoir long-temps réfléchi sur la demande de safemme, résolu t d'écrire à l'un de ses deux amis ces paroles : « Je « suis dans une extrême nécessité, et la fête approche.» Aussitôt que ce généreux ami eut reçu la lettre de Vaked, il lui envoya, pour toute réponse, une bourse remplie d'or. Vaked, surpris de ce présent, se rendit dans le moment chez son ami, pour apprendre de luimême s'il n'y avoit point de méprise. Mais dès que cet homme généreux l'eut aperçu , il fit apeler leur troisième ami , et leur dit à tous deux : « Voici tout « l'argent que je possède ; trouvez bon que nous le « partagions entre nous , pour subvenir à nos besoins « communs. » 5. Le célèbre Voiture , l'un des beaux esprits du siècle de Louis XIII", ayant perdu tout son argent au. jeu , eut besoin de deux cents pistoles. Il écrivit en conséquence , à l'abbé Costar, son fidelle ami. Cette lettre admirable nous présente un trait de cette confiance et de cette franchise qu'inspire la sincère amitié. La voici : « Je perdis hier tout mon argent, et deux cents pis- « tôles au-delà, que j'ai promis de rendre dès aujour« d'hui. Si vous les avez, ne manquez pas de me les « envoyer : si vous ne les avez pas empruntez-les. De « quelque façon que ce soit, il faut que vous me les « prêtiez ; et gardez-vous bien de souffrir qu'un autre « vous enlève sur la moustache cette occasion de me « faire plaisir : j'en serois fâché pour l'amour de vous. « Comme je vous connois , vous auriez de la peine à « vous en consoler. Afin d'éviter ce malheur, vendez « plutôt ce "que vous avez Vous voyez comme l'a« mour est impérieux. Je prends un certain plaisir à en « user de la sorte avec vous , et je sens bien que j'en « aurais encore un plus grand , si vous en usiez ainsi « avec moi ; mais vous êtes un poltron : jugez s'il n> i fout pas que je m'assure bien de vous.... Je donnera Tome T.. G
�t)8 A M I T I É. << ma promesse à celui qui m'apportera votre argent. « Bon jour.;» .... ... L'abbé Castar 1 ui fit cette réponse : «J'ai une extrême « joie d'être en état de vous rendre le petit service que « vous exigez de moi. Jamais je n'eusse pensé qu'on « eût tant de plaisir pour deux cents pistoles. Après « l'avoir éprouvé y je vous donne ma parole que j'aurai *< toute ma vie un petit fonds tout prêt aux occasions « où vous en aurez affaire Ordonnez-moi donc har« diment ce qu'il vous plaira : vous ne sauriez prendre « tant de plaisir à me commander, que j'en aurai à « vous obéir ; mais quelque soumis que je sois, je me « révolterai, si vous vouliez m'obliger à prendre une « promesse de vous. » • • • 6. M. S*** perd un ami qui, en mourant, laisse des dettes, et deux enfans en bas âge, sans biens, sans espérances, sans ressources. L'ami qui luisurvitretranche s6n train , son équipage , et va se loger dans un faubourg, d'où tous les jours il venoit suivi d'un laquais au palais , et y remplissoit les devoirs de sa charge. Il est aussitôt soupçonné d'avarice , de mauvaise conduite ; il est en butte à toutes les calomnies. Enfin, au bout de deux ans, M. S*** reparoît dans le monde. Il avoit accumulé une somme de vingt mille livres, qu'il plaça au profit des enfans de son ami. 7. M. Freina1, premier médecin de la reine d'Angleterre , aVoit assisté au parlement en 1732, comme député du bourg de Lanceston, ets'étoit élevé avec force contre le ministère^Cette conduite hardie ayant indisposé la cour, on suscita à Freina1 un crime de haute»trahison, et il fut enfermé, au mois de Mars, dans la tour de Londres. Environ six mois après, le ministre tomba malade, et envoya chercher Richard Méad, autre médecin anglais , et le plus grand ami de Freind. Après s'être instruit à fond de la maladie du ministre, il lui di t qu'il répondoit de sa guérison ; mais qu'il ne lui donneroitpas seulement un verre d'eau, qu'il n'eût rendu la liberté qu'on avoit si injustement ravie à M. Freind. Le ministre, quelques jours après, voyant sa maladie augmentée , fit supplier le roi d'élargir le prisonnier.
1
�99 L'ordre expédié, le malade crut que Mëad alloit ordonner ce qui convenoit à son état : mais ce médecin persista dans sa résolution, jusqu'à ce que son ami fût rendu à sa famille. Alors il. traita le ministre , et lui procura bientôt une guérison parfaite. Le soir même il porta à Freind environ cinq mille gainées qu'il avoit reçues pour ses honoraires en traitant les malades de son ami pendant sa détention , et le contraignit de recevoir cette somme, quoiqu'il eût pu la retenir légitimement , puisqu'elle étoit le fruit de ses peines. 8.L'historienPolybe se trouvoitsouventavec Fabius et Scipion, fils de Paul Emile. XJn jour que Scipion se vit seul avec lui, il lui ouvrit son cœur avec une pleine effusion , et se plaignit, mais d'une manière douce et tendre , de ce que dans les conversations qu'on avoit à table , il adressoit toujours la parole à son frère préférablement à lui. « Je sens bien, lui dit-il, que cette « indifférence pour moi vient de la pensée où vous êtes , « comme tous nos concitoyens , que je suis un jeune « homme inappliqué , et que je n'ai rien du goût qui « règne aujourd'hui dans Rome , parce qu'on ne voit « pas que je m'attache aux exercices du barreau , et « que je cultive le talent de la parole. Mais comment « le ferois-je ? On me dit perpétuellement que.ee n'est « point un orateur que l'on attend de la maison des « Scipions , mais un général d'armée. Je vous avoue , «pardonnez-moi la franchise avec laquelle je vous « parle , que votre indifférence pour moi me touche « et m'afflige sensiblement. » Polybe , surpris de ce discours , auquel il n'avoit pas licù de s'attendre d'un jeune homme de dix-huit ans, le consola du mieux qu'il put 5 et l'assura que, s'il adressoit ordinairement la parole à son frère, ce c'était point du ton t faute d'estime ou d'affection pour lui, niais uniquement parce que Fabius étoit l'aîné ; et que d'ailleurs, sachant que les deux frères pensoient de même, et étoient fort unis, il avoit cru que parler à l'un, c'étoit parler à l'autre. « Au « reste, ajouta-t-il, je m'offre de tout mon coeur à votre « service ; et vous pouvez disposer de moi. Par rapport « aux sciences de l'étude desquelles on vous occupe
AMITIÉ.
�ÎOO
AMITIÉ.
« actuellement, vous trouverez assez de secours dans ce « grand nombre de savans qui viennent tous les jours « de Grèce à Rome. Mais pour le métier de la guerre, « qui est proprement votre profession, aussi-bien que « votre passion, je pourrai vous être de quelqu'utilité. » Alors Scipion lui prenant les mains, et les serrant avec les siennes : « Oh ! dit-il, quand verrai-je cet heureux « jour, où, libre de tout autre engagement, et vivant « avec moi, vous voudrez bien vous appliquer à me <i former l'esprit et le cœur ? C'est alors que je me « croirai véritablement digne de mes ancêtres. » Depuis ce temps-là, Polybe , charmé et attendri de voir dans un jeune homme de si nobles sentimens, s'attacha particulièrement à lui. Scipion , de son côté, ne pouvoit le quitter : son grand plaisir étoit de s'entretenir avec lui. Il le respectoit comme un père 5 et Polybe , de son côté , le chérissoit comme son fils. g. Philippe, roi de Macédoine , père à'Alexandrele-Grand, faisoitvendre des prisonniers de guerre, et assistoit lui-même à cette enchère, ayant la robe retroussée d'une manière indécente. Un des prisonniers s'en étant aperçu, s'écria : « Excusez-moi, seigneur; « je suis un ancien ami de votre père. » Le monarque surpris , lui demanda comment il avoit fait cette amitié ? « Je vais vous l'apprendre , » répondit-il ; et s'approchant comme pour lui parler en secret : « Baissez « votre robe , » lui dit-il. Philippe aussitôt donna la liberté à cet homme, ajoutant qu'il venoit de lui faire connoître qu'il étoit en effet son ami. 10. Quelqu'un souffroit impatiemment d'être repris par son ami, et, pour cette raison , vouloit rompre avec lui. « Songez. , lui dit Caton l'ancien, qu'on ne « hait pas l'abeille à cause de son aiguillon, et qu'on « la conserve à cause de son miel. » 11. Pisistrate , tyran d'Athènes , abandonné par quelques-uns de ses amis , s'informa du lieu où ils s'étoient retirés -, puis, ayant fait un gros paquet des choses les plus nécessaires à la vie, il les chargea sur son dos , et alla les trouver. « Eh ! que voulez-vous « donç, luicria-t-on, dès qu'on l'aperçut? — Je viens.
�AMITIÉ.
« répondit-il, vous prier de revenir anprè « Si je ne puis y réussir, je resterai avec « apporté tout exprès mon bagage. » 12. Deux Arcades , étroitement liés par les n de l'amitié, faisant voyage ensemble, arrivèrent à Mégare, ville de Grèce. L'un alla , par droit d'hospitalité , loger chez un citoyen de la ville, et l'autre dans une hôtellerie. Celui qui logeoit chez le citoyen vit en songe son ami , qui le prioit de venir le tirer du piège où le cabaretier l'avoit fait tomber ; parce que, s'il accourait promptement, il pourrait le soustraire au danger qui le menaçoit. Réveillé par ce songe , il saute en bas du lit, et se dipose à courir à l'hôtellerie de son ami. Mais ensuite , par une sorte de fatalité , il condamne , comme inutile, l'acte d'humanité qu'il se proposoit de faire ; et prenant ce songe pour une vaine illusion du sommeil, il se remet au lit, et se rendort. Il voit alors son ami blessé, couvert de sang, qui, d'une voix lamentable , le supplie, puisqu'il a négligé de le secourir vivant, de ne pas refuser au moins de venger sa mort. Actuellement même son corps massacré par le cabaretier-est conduit, couvert de fumier, dans un chariot à la porte de la ville. Cette vision, plus effrayante encore que la première, rompt tout-à-coup son sommeil , le trouble, alarme sa tendresse. Il vole à l'instant à la porte désignée , arrête le chariot qu'il avoit vu dans son songe, conduit le cabaretier au, magistrat, et venge par le supplice du coupable, l'assassinat de son ami. Si ce fait est vrai, l'amitié feroit-elle naître entre ceux qui réprouvent, cette sympathie physique dont la nature paraît fournir quelques exemples ? Voyez SYMPATHIE , n.° 41,3. Pendant qu'on faisoit le procès à Henri II, due de Montmorenci , qui avoit été pris les armes à la main contre son prince , Paul du Hay, seigneur du Châtelet, son ami, sollicita en sa faveur d'une manière fine et ingénieuse, qui fît honneur à son esprit et à son cœur , et qui fut applaudie de toute la cour. Toutes les fois que les grands imploraient la clémence du roi Louis XIIIy en faveur de l'infortuné Montmorenci, G 3
�102
A' M I T I É.
du Châtelet mêloit ses supplications, à leurs prières; et ses regards parloient éloquemment, quand il n'osoit parler lui-même. Un jour que le roi le vit dans cet embarras : « Je pense , dit le monarque , que M. du « Châtelet voudrait avoir perdu un bras pour sauver « M. de.'Montmorenci- —Je voudrais, Sire, répliqua « le généreux ami , en avoir perdu deux inutiles à « votre service , et en sauver un qui vous a gagne des « batailles , et qui vous en gagnerait encore. » î4s Laurent de Médicis, l'un des plus illustres souverains de Florence , ne souhaitait rien tant que de se faire des amis de ses ennemis même ; et souvent il disoit que le moyen le plus sûr d'être bien servi, et de pourvoir à ses intérêts, c'était d'obtenir la bienveillance de ceux qui nous avoient été le plus contraires. Philippe de Valois lui présenta un jour un Florentin, nommé Giacomini Thebalducci, qui avoit conspiré plusieurs fois contre la vie du prince, et le pria de lui rendre ses bonnes grâces. Laurenthiï dit avec bonté : «Philippe, « je ne vous aurais aucune obligation, si c'eût été un « ami que vous m'eussiez recommandé ; mais je ne puis « trop vous remercier de m'avoir procuré un ami dans « la personne de Giacomini, ci-devant mon ennemi : je « vous prie de me rendre souvent de pareils services.» Il embrassa tendrement le coupable, lui jura un attachement sincère , et s'en fit, par cette conduite généreuse , un ami fidelle et zélé. i5. Aleottandre , après s'être emparé du camp de Darius, roi des Perses , s'achemina, suivi d'Iléphestion qu'il aimoit tendrement, vers la tente où s'étoit enfermée la famille du monarque vaincu et fugitif. La mère de Darius reprenant courage à l'arrivée du roi de Macédoine, et relevant sa tête penchée vers la terre, s'approcha û'Hépheslion ; et comme il avoit une taille majestueuse, mie figure noble et agréable, le flattant de la main à la manière des Perses, elle le prit pour Alexandre. Avertie de son erreur , elle cherchoit, extrêmement troublée , des termes pour s'excuser, lorsque le conquérant de la Perse lui dit : « 11 ne faut « pas que cela vous mette en peine 5 car celui que
�AMITIÉ. l,o3 « vous voyez est Alexandre aussi. » Qui faut-il féliciter davantage , ou celui qui prononça ces paroles , Ou celui qui les entendit ? Le roi, dont Famé étoit si grande, et qui se voyoit par ses victoires,:ou par ses espérances , maître du monde entier , se partageoit lui-même avec son ami. y 6. Pausanias de Cramine avoit pour Agathon, poète tragique et comique, l'amitié laplus tendre. Ils allèrent ensemble à la cour d'Archélails , roi de Macédoine , prince qui aimoit à protéger les lettres. Ce monarque voyant qu' AgathonetPau san ias se broui 11 oient souvent, imagina qu e l'un méprisoit l 'autre', et leur demanda la raison de leur conduite : « Seigneur, répondit Agathon, « je ne refuserai pas de vous l'apprendre : je ne suis pas « querelleur 5 ët ce n'est ni par mauvaise humeur, ni « par impolitesse que j'en agis de cette manière avec « monami.Lapoésieàlaquelle je m'applique,etl'usage « du monde m'ont appris à connoître les hommes ; et « j'ai vu que le comble du plaisir pour eux est là'ré« conciliation qui termine une brouillerie avec cëux « qu'ils aiment. J'ai donc souvent dès querellés avec « Pausanias, pour lui faire goûter le plus grand de tous « les plaisirs. Il est pénétré de joie, quand, après une « querelle, je me hâte de cesser de bouder, et de me « réconcilier avec lui. Si ma conduite à son égard et « mon humeur étoient toujours uniformes , notre ma« nière de vivre ne seroit pas assaisonnée du sel de la « diversité. » Ce raffinement d'amitié plut beaucoup au roi, qui ne l'aima guère moins que Pdusanias. 17. L'amitié que les empereurs Dioclétien et Maximien eurent Pun pour l'autre, est aussi rare que singulière. Dioclétien choisit son ami Maximien', quoique barbare de naissance, pour le faire asseoir sur le siège auguste de l'empire , où tous ses prédécesseurs avant lui n'avoient fait monter que leurs fils ou leurs frères ; encore ne leur laissoient-iîs qu'une autorité bornée, et soumise à la leur. Ces deux princes régnèrent dans une union, dans une concorde qu'on cherche souvent en va] n entre les parens les plus proches. Dioclétien abdique l'empire ; et quoique son ami eût déjà goûté les dou*
�1C
-4
AMITIÉ.
ceurs du commandement, son exemple le touche; il l'excite. Du faîte de la grandeur, il redescend dans la foule pour y trouver son ami. Ni les prières , ni les menaces de son fils , ni les instances de Constantin son gendre , ne purent l'obliger dans la suite de reprendre l'empire. Son amitié pour Dioclétien eut plus de force sur son ame , que le plaisir de commander à plusieurs millions d'hommes ; et ce prince, barbare d'ailleurs , et accoutumé aux pénibles travaux de la guerre , préféra son ami à cet état immense qui embrassoit presque toute la terre alors connue. 18. Le duc de Sully, couvert des blessures qu'il avoit reçues à la bataille d'Ivry, s'étoitfait porter à sa terre de Rosny. Henri IV, qui chassoitaux environs, le vit arriver. Il piqua droit à lui ; et plein de joie de revoir un ami qu'il avoit cru perdu : « Je suis très-aise, lui dit« il, de vous voir avec un meilleurvisage que je ne m'at« tendois pas , et j'aurai une plus grande joie , si vous « m'assurez que vous ne courez point risque de la vie, « ni d'être estropié. » Sully remercia le monarque de ses bontés , et lui dit qu'il s'estimoit d'avoir souffert pour un si bon maître. Sur quoi le roi repartit : « Brave soldat et vaillant chevalier , j'avois toujours « eu bonne opinion de votre courage , et conçu de « bonnes espérances de votre vertu; mais vos actions « signalées et votre réponse modeste ont surmonté mon « attente ; et partant, en présence de ces princes , « capitaines et grands chevaliers qui sont ici près de << moi, vous veux-je embrasser des deux bras....... « Adieu, mon ami, portez-vous bien, et vous assurez « que vous avez un bon maître. » Dans le temps que les ennemis de ce seigneur s'attachoient à le décréditer dans l'esprit de Henri, ce prince , pour consoler et rassurer son ministre , lui dit qu'il vouloit aller passer quelques jours à sa terre avec toute la cour. Sully n'étoit pas naturellement magnifique ; mais il n'épargnoit rien lorsqu'il é toit question de briller. Il fit donc de grands préparatifs, et rassembla chez lui tou t ce qu'il put trouver de plus rare tilde plus exquis, Ses soins ne furent pas heureux. Une
�AMITIÉ.
105
pluie violente survint : l'eau entra dans sa maison, pénétra dans les caves et dans les chambres basses , submergea tout ce qui s'y trouyoit ; en sorte qu'après beaucoup de dépenses , il ne put faire servir au roi que des choses fort communes. Le prince le voyant sensiblement touché de cet accident, lui dit en badinant : « Tu tiendras bien , mon ami , si tu ne « tombes, puisque tu as le ciel et la terre ligué contre » toi 5 mais tu as un bon maître pour te soutenir. » 9. Stanislas Leczinski, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, prince dont les vertus sublimes seront éternellement gravées dans la mémoire des Français, réglant un jour l'élat de sa maison , mit sur la liste un officier français qui lui étoit fort attaché. « En quelle « qualité votre majesté veut-elle qu'il soit sur sa liste , « lui dit le trésorier ? — En qualité de mon ami, » répondit le monarque. Malheureusement cette qualité semble être1 ignorée dans les cours. 20. Quelqu'un a dit : « Voulez-vous vous débar« rasser de certaines personnes ? Piêtez-leur de l'ar» gent. » Un homme ayant prêté une somme assez considérable à un de ses amis, celui-ci fut peu exact à la lui rendre : il fuyait son créancier , qui, l'ayant rencontré , lui dit : « Ou remettez-moi mon argent , « ou rendez-moi mon ami. » 21. Socratc, revenant un jour de la place publique, ditàquelques-unsde ses amis qu'Urencontra : « J'aurois « acheté un manteau , si j'avoiseude l'argent: »Aussi« tôt chacun d'eux s'empressa de lui offrir sa bourse; « mais , comme dit Séneque, celui qui se hâta le plus « donna toujours trop tard. » Un ami véritable sait prévenir les besoins : il éj)argne la honte de les découvrir. 22. « Les vrais amis, disoit Démétrius de Phalère , « attendent qu'on les appelle dans la prospérité. Dans « l'adversité , ils se présentent d'eux-mêmes. » 23. Alcïbiade , voulant éprouver ses amis , plaça dans une chambre obscure une figure d'homme mort, qu'il leur fit voir à tous l'un après l'autre. « C'est un « homme que j'ai tué , leur disoit-il. Ah ! mes amis, « aidez-moi, je vous conjure, à dérober mon crime aux
�10GAMITIÉ. « yeux de la justice ! » Tous, à la réserve de Caillas i refusèrent de se charger de son dangereux secretAyant reconnu par Là qu'il n'avoit de véritable ami que Caillas , il découvrit sa ruse pour se venger d e ses faux amis ; et depuis ce moment, Caillas devint Phomme de son cœur , et le cher confident de ses pensées. 24. Dans le temps que les triumvirs , Antoine , Auguste et Lépidus , pour cimenter léur tyrannie , inondoient Rome de sang et de carnage , on vit un bel exemple de cette amitié généreuse, qui sait braver les horreurs des supplices pour sauver un ami. Les tyrans avoient prononcé des arrêts terribles contre ceux qui recevrai ent chez eux les proscrits, et leur donneraient quelque secours. Ils promettaient, au contraire , de grandes récompenses à ceux qui les décèleraient. Cependant Calénus , noble romain , sans être effrayé des menaces , sans être tenté de la cupidité , cacha quelque temps dans sa maison le philosophe Varron, son ami, qui étoit au nombre des proscrits. Antoine alloit souvent se promener dans cette maison ; mais la présence de cet homme sanguinaire n'intimida point le généreux courage du magnanime Calénus : sa fidélité ne se démentit jamais. 25. Protogène , peintre célèbre , vivoit à Rhodes, connu du fameux Apelle, seulement de réputation et parle bruit de ses tableaux. Celui-ci, voulant s'assurer de la beauté de ses ouvrages par ses propres yeux , fit un voyage exprès à Rhodes. Arrivé chez Protogène, il n'y trouva qu'une vieille femme qui gardoit l'atelier de son maître , et un tableau monté sur le chevalet, où il n'y avoit rien de peint. La vieille lui demanda son nom : « Je vais le mettre ici » , lui dit-il; et prenant un pinceau avec de la couleur , il dessina quelque chose d'une extrême délicatesse. Protogène à son retour, ayant appris ce qui s'étoitpassé, et considérant avec admiration les traits qui avoient été dessinés, ne x futpaslong-tempsà en deviner l'auteur. «C'est Apelle, « s'écria-t-il ; il n'y a que lui au monde qui soit capa« ble d'un dessin de cette finesse et de cette légèreté;» et prenant d'une autre couleur, il fit sur les mêmes
�AMITIÉ. 10.7. traits un contour plus correct et plus délicat, et dit à sa gouvernante que si l'é tranger revenoit, elle n'avoit qu'à montrer ce qu'il venoit de faire , et l'avertir en même temps que c'étoit là l'ouvrage de l'homme qu'il étoit venu chercher. Apelle , honteux de se voir inférieur à son émule , prit d'une troisième couleur ; et parmi les traits qui avoient été faits , il en conduisit de si savans et de si merveilleux , qu'il y épuisa toutela subtilité de l'art. Protogène , ayant distingué ces derniers traits : « Je suis vaincu , dit-il, et je cours « embrasser mon vainqueur. » En effet, il vola dans le moment au port, où ayant trouvé son rival , il lia avec lui une étroite amitié , qui depuis ne se démentit jamais : exemple rare entre deux personnes du premier mérite, qui courent la même carrière , et que, pour l'honneur des beaux arts , les artistes devraient renouveler plus souvent. 26. L'amitié de R,acine et de Despréaux est d'autant plus digne d'éloges, qu'une union aussi constante.est un phénomène entre les gens d'un génie supérieur , ordinairement divisés par une rivalité funeste. Lorsque Racine fut persuadé que sa maladie finirait par la mort , il chargea son fils aîné d'écrire une lettre à M. de Cavoye, pour le prier de solliciter le payement de ce qui lui étoit dû de sa pension , afin de laisser queîqu'argent comptant à sa famille.Le jeune homme fit la lettre , et vint la lire à son père. « Pourquoi , « lui dit-il, ne demandez-vous pas aussi le payement « de la pension de Boileau ? Il ne faut point nous « séparer. Recommencez votre lettre , et faites con« noîlre à Boileau que j 'ai été son ami jusqu'à la mort.» • Lorsqu'il lui fit son dernier adieu , il se leva sur son lit, autant que pouvoit lui permettre son extrême foiblesse, et lui dit en l'embrassant : « Je regarde comme « un bonheur pour moi de mourir avant vous. » 27. Le philosophe Aristippe s'étoit brouillé avec Eschine , son ami. « Qu'est devenue votre amitié , « lui dit quelqu'un ? — Elle dort 5 mais je vais la « réveiller. » Aussitôt il court chez Eschine : « Ne '< cesserons-nous pas de faire les enfans ? Attendions-
�108
AMITIÉ.
« nous , pour nous réconcilier, que le bruit de notre « rupture se soit répandu dans tous les carrefours ? j « ■ - Je suis tout prêt à renouer avec vous.—{N'oubliez « pas au moins que j'ai fait les premiers pas , quoique « plus ancien que vous , reprit Aristippe : vous avez « commencé la querelle , et j'ai voulu la finir. » 28. « Il vaut mieux, disoit Anacharsis , prince et « philosophe scythe , n'avoir qu'un seul ami qui soit « utile, qu'une foule d'intimes qui ne servent à rien.» 29. Deux Scythes, nommés l'un Bélilas, et l'autre Bathes, liés d'une étroite amitié , s'amusoient ensemble à la chasse. Tout-à-coup un lion sort de la forêt voisine , s'élance avec fureur sur Bathes , le renverse de dessus son cheval , et commence à le dévorer. Bélitas aussitôt met pied à terre , attaque le terrible animal , l'irrite , et fait tant par ses efforts , qu'il abandonne Bathes presque sans vie, vient fondre sur lui et le met en pièces. Cependant Bathes mourant , se traîne auprès du lion , lui plonge son cimeterre dans les flancs, et expire avec lui sur les restes sanglans du corps de son ami. 30. Au siège delà Capelle, en i65o, par les Français, un Espagnol apprend que son ami a été renversé d'un coup de mousquet dans la tranchée. Il voie aussitôt à son secours : il le trouve mort , étendu sur la poussière. Son premier mouvement est de se jeter sur son ami. Il l'embrasse : il le tient quelque temps pressé contre son sein palpitant ; et bientôt accablé de sa propre douleur , il expire un moment après. L'archiduc , instruit de cet événement, en fut attendri. Il voulut qu'on renfermât dans le même tombeau deux amis que la mort n'avoit pu séparer ; et après les avoir fait transporter en grande pompe à Anvers , il leur fit élever un mausolée en marbre. 31. Le philosophe Anascagore, qui s'étoit réduit volontairement à une extrême pauvreté , pour mieux s'appliquer à l'étude, se voyant dans sa vieillesse négligé par Périclès son ami, lequel accablé d'affaires, n'avoit pas toujours le temps de penser à lui , se coucha la tête couverte de son manteau, clans la résolution de
�AMITIÉ.
lOg
se laisser mourir de faim. Périclès, en ayant été averti par hasard , courut à sa maison tout éperdu et désolé. Il employa les prières les plus tendres elles plus louchantes pour le porter à vivre , ajoutant que ce n'étoit pas lui qu'il pleuroit , mais qu'il se pleuroit lui-même , s'il éloit assez malheureux pour perdre un ami si sage , si fidelle , si capable de lui donner de bons conseils dans les pressans besoins de la république. Alors Anaxagore découvrant un peu la tête, lui dit : «Périclès, ceux qui ont besoin de la lumière. « d'une lampe ont soin d'y verser de l'huile. » Le reproche étoit doux, mais vif et pénétrant. Périclès auroit dû. le prévenir. Que de lampes s'éteignent ainsi dans un état, par la faute et la négligence de ceux qui devroient les entretenir ! 32. Antigonus , roi d'Asie , l'un des capitaines d'Alexandre-le-Grand , avoit dessein de faire périr Mithridate. Il s'en ouvrit à son fils Démétrius, snrnomméPoliorcètes, ou le preneur de villes, après lui avoir fait jurer qu'il garderoit fidèlement ce secret. Démétrius étoit ami de Mithridate. Se promenant avec lui sur le bord de la mer , il traça du bout de sa lance, ces mots sur le sable , Fuis, Mithridate. Celui-ci en comprit le sens. Il se retira en Cappadoce; els'étanlrenfermé dans un fort château, il jeta les premiers fondemcns du royaume de Pon t, qu e Mithridate III.e du n om, un de ses successeurs, rendit dans la suite si célèbre. 33. Lucilius , ami de Brutus, étoit avec ce Romain à la bataille de Philippes. Antoine et Auguste, se voyant vainqueurs , cherchèrent à prendre Brutus , comme le chef le plus à craindre du parti contraire. On couroit de tous côtés pour le trouver; et il ne pouvoit long-temps se dérober à ces vives recherches. Lucilius se présenta aux soldais ; et se faisant passer pour le général vaincu , il se laissa conduire à Marc-Antoine. « Voilà, lui dit-on, Brutus qu'on vous amène. — Gra« ces aux Dieux, répondit Lucilius,Brutus est encore » libre. » Antoine reconnoissant l'artifice, fut charmé de la générosité de Lucilius. Il l'embrassa , et dit aux soldats qui l'avoient pris : « Vous pensiez m'amener « un ennemi, et vous ^n'avez amené un ami. »
�HO
AMITIÉ.
54- Un gentilhomme nommé Saint-Phal, piqué
contre le célèbre du P lessis-Mornay, gouverneur de Saurmïr , lui donna des coups de bâton , et. le laissa pour mort. Mornay , l'un des chefs des Calvinistes , avoit rendu de grands services au roi Henri IV, pour qui il avoit employé sa plume et son épée ; et le monarque l'honoroit du titre d'ami. Il demanda justice 5 et le prince lui répondit : « M. du Plessis, j'ai un « extrême déplaisir de l'outrage que vous avez reçu, « auquel je participe, et comme roi, et comme votre « ami. Pour le premier, je vous en ferai justice et à .« moi aussi. Si je ne portois que le second titre, vous « n'en avez nul de qui l'épée fût plus prête à dégainer, '« ni qui y apportât sa vie plus gaiement que moi. « Tenez cela pour constant, qu'en effet je vous rendrai « office de roi , de maître et d'ami. » 35. Deshayes de Courmenin , ayant été arrêté par ordre du roi Louis XIII, son père , gouverneur de Montargis, se rendit au Pont-Saint-Esprit, et se logea chez M. de Brienne , son ami, qui se chargea de solliciter avec lui la grâce du prisonnier. Le généreux ■Brienne en parla d'abord au cardinal de Richelieu , qui gouvernoit la France sous le nom de Louis. « Pourquoi votre maison sert-elle d'asile à cet homme, « lui dit froidement le ministre ? — Ma maison , ré« pondit. M. de Brienne , ne peut être fermée à mon « ami. Il m'eût outragé s'il en eût pris une autre ; et « votre émincnce a l'âme trop belle et trop grande « pour ne pas approuver ma conduite. » 36. Henri IV haïssoit beaucoup la Trimouille. Cependant le célèbre d'Aubigrié se déclarait publiquement l'ami de ce seigneur. Le monarque lui en fit un jour des plaintes. « Sire , lui répondit-il, j'ai été élevé « avec votre majesté; et c'est d'elle que j'ai été appris « de bonne heure à ne pas délaisser les personnes « affligées, et accablées par une puissance supérieure. « Approuvez en moi cet apprentissage de vertu que » j'ai fait auprès de vous. » La Trimouille s'étant retiré à Thouars , et Henri ayant fait avancer des troupes pour l'y investir, ce seigneur écrivit ce billet
�A M I T I É.
111
à d'Aubigné : « D'Aubigné , mon ami , je vous « convie , suivant vos juremens , à venir mourir avec votre affectionné, etc. » D'Aubigné répondit : «Votre « lettre sera bien obéie 5 je la blâme pourtant d'une « chose ; c'est d'y avoir allégué mes sermens qui « dévoient être crus trop inviolables pour les rap« peler. » Il se rendit ensuite à Thouars ; et ils se mirent ensemble à courir le pays pour assembler leurs amis , afin de soutenir la Trimouille contre la haine de ceux qui s'armoientdu nom du roi pour le perdre. 37. CArt^ea«raew/',garde-des-sceaux sous LouisXIII, soupçonné de quelque intrigue contre l'Etat, ayant été arrêté, le chevalier du Jars, son intime ami, son confident, futmis à la Bastille, et l'on s'efforça de tirer de lui le secret de son ami. D'abord on essaya de l'éblouir par de belles promesses ; mais ce moyen n'ayant pu réussir , on employa , pour le faire parler , la crainte de la mort. On lui fit son procès comme à un coupable ; et les juges, à qui l'on assura qu'on lui accorderont sa grâce sur l'échafaud , le condamnèrent à mort. Le généreux chevalier fut conduit au supplice. Sa constance ne se démenti point dans cet affreux moment. Il sembloit , au contraire , souffrir la mort avec satisfaction , pour soutenir l'innocence de son ami. Quelqu'interrogations qu'on lui fit, il gardoit toujours un silence profond ; et s'il le rompoit , c'étoit pour attester le zèle et la fidélité de Châteauneuf. Monté sur l'échafaud , et n'attendaut plus que le coup mortel , le chevalier entend crier Grâce ! grâce ! Alors un juge s'approche ; et lui faisant valoir la clémence du roi , l'exhorte à révéler les desseins coupables du garde-des-sceaux. « Je vois , lui dit le che« valier, votre bas et criminel artifice. Vous prétendez « tirer avantage de la frayeur que le péril de la mort « peut m'avoir causée Connoissez mieux vos gens. « Je suis aussi maître de moi-même que je l'ai jamais « été. M..de Châteauneuf est un fort honnête homme, « qui toujours a bien servi le roi. » Richelieu, auteur de la disgrâce de Châteauneuf, eût souhaité sans % • -vn milieu de sa fortune, d'avoir un pareil ami.
�112
A M I T I É.
38. Darius , roi de Perse , fils à'Hystaspes , assié* geoit depuis long-temps Babylone , sans pouvoir s'en rendre maître. Rebuté par l'inutilité de ses efforts, il alloit abandonner son entreprise , lorsque l'amitié lui ouvrit les portes de la place. Zupire, un de ses amis , car les plus puissans monarques en avoient alors , se coupa le nez , les oreilles , se mutila dans toutes les parties du corps : et couvert de sang , vint se présenter aux postes de Babylone , détestant la cruauté de Darius , qui l'avoit , disoit-il , ainsi défiguré. Les Babyloniens le reçoivent ; et connoissant son expérience , ils le choisissent pour leur chef. Zopire , à la première occasion , livre la ville à Darius ; mais le roi n'eut pas plu tôt vu son favori réduit, pour le servir , dans cet état affreux , qu'il s'écria , saisi de douleur : « J'aimerois mieux revoir mon cher Zopire sain et « entier, quede prendre cent villes comme Babylone.» Depuis ce moment , l'amitié dù prince devint sans bornes. Le généreux Zopire fut comblé de bienfaits ; et Darius voulut qu'il fût considéré comme un autre lui-même. Un jour ayant ouvert une grenade fort grosse : « Vous voyez , dit-il à ses courtisans , les « grains innombrables de ce fruit ; plût aux Dieux « que j'eusse autant de Zopire ! » car ce nom et celui d'ami étoient devenus synonymes pour ce prince. 3g. Cambyse , roi des Perses , ayant fait prisonnier ' Psamménite, roi d'Egypte , fit habiller en esclave la fille de ce malheureux prince , et l'envoya puiser de l'eau en présence de son père. A ce spectacle, le monarque égyptien baissa les yeux sans rien dire. Le vainqueur fit ensuite passer devant lui son fils chargé de chaînes. Psamménite ne donna encore aucune marque de douleur ; mais apercevant un de ses amis réduit à mendier son pain , il répandit un torrent cle larmes, et s'arrachales cheveux. CVzmZ>y\ïe lui demanda pourquoi, paraissant insensible auxmalheurs de ses enfans, il pl eïiroit la dis'grace de cet homme ? « Fils de Cyrus, répon« dit l'auguste prisonnier, les maux de ma famille son' « trop grands pour être pleures ; et je nS&i pu trouve « de larmes que pour déplorer le sort d'un ancien ami « réduit j
�AMITIÉ.
Il3
« réduit dans son extrême vieillesse, à la plus affreuse « misère. » 4o. Madame la princesse de Conti, étant fort affligée de la perte de M. Dodard : « Quel sens , lui dit le « roi , y a-t-il de pleurer de la sorte son médecin et « son domestique ? — Ce n'est ni mon médecin ni « mon domestique , c'est mon ami1 que je pleure , » répondit-elle. 4i • Bias , l'un des sept philosophes à qui les Grecs donnèrent le nom de Sages, avoit sur l'amitié des sentimens que Cicéron condamne , mais que l'expérience ne justifie que trop souvent. « Avec ses amis, « disoit-il, il faut se comporter comme s'ils devoieiit « être un jour nos plus cruels ennemis. » Cependant personne n'avoit plus de franchise que Bias, dans ce doux commerce du cœur; personne ne s'otivroit à ses amis plus volontiers que ce philosophe. 42. Un ami de Rutilius, Romain célèbre , lui ayant demandé une chose injuste, il la lui refusa avec fermeté. « Si je ne puis rien obtenir de vous, reprit cet « ami indigné , à quoi me servira donc votre amitié ? « — Eh ! quel fruit retirerai-je de la vôtre , répondit « vivement Rutilius, s'il faut la conserver aux dépens « de la vertu et de la justice ? » 43. Antipater, roi de Macédoine, vouloit exiger de Phocion , l'un des plus grands hommes de la Grèce, quelque chose d'injuste. « Prince, lui dit-il avec une « noble hardiesse , vous ne pouvez pas m'avoir en « même temps pour flatteur et pour ami. » 44- M. de Cinq-Mar j proposoi t au maréchal deFabéft d'entrer dans le complot qu'il formoit pour perdre le cardinal de Richelieu. « J'ai pour maxime , lui dit « Fabert, d'entrer dans les intérêts de mes amis , et « jamais dans leurs passions. Quiconque me méprise # assez pour exiger de moi ce que je crois contraire « à mon honneur et à mon devoir , me dispense , par « cette insulte , des égards et de la considération que « je lui dois. » 45. Alexandre-le-Grand, après avoir porté dans les Indes la terreur de ses aimes toujours victorieuses , Tome I. H
�Il4
AMITIÉ.
étoit revenu dans la ville d'Ecbatane , capitale de la Médie. Hépkestion, cet ami qu'il che'rissoit comme un autre lui-même, mourut pour avoir trop mangé , pendant qu'il avoit la fièvre. Le vainqueur de l'Asie en conçut une douleur qu'il porta jusqu'à l'extravagance, et l'on vit alors jusqu'où peut aller l'amitié , quand elle est excessive. Il fit pendre le médecin Glaucus, pour avoir quitté son malade , qui n'avoit trop mangé qu'en son absence 5 et voulant que tout le monde, et même les animaux , prissent part à son affliction, il ordonna que sur-le-champ , en signe de deuil, on coupât les crins des chevaux et des mulets ; que l'on abattît les créneaux des murailles de toutes les villes, et qu'on ne jouât dans le camp d'aucun instrument de musique ; ce qui dura jusqu'à ce qu'il vint un oracle de Jupiter Ammon, qu'il avoit envoyé consulter : cet oracle ordonnoit de révérer Héphestion , et de lui sacrifier comme aux demi-dieux. Alexandre ensuite , pour faire diversion à sa douleur , alla faire la guerre aux Cosséens ou Scosséens , qu'il extermina tous, sans épargner même les enfans. Cette expédition barbare fut appelée le sacrifice des funérailles d'Héphestion. C'est ainsi que les plus belles vertus dégénèrent en vices , quand on franchit les bornes que la sagesse et la raison prescrivent. 46. Epicure blàmoitbeaucoup Pythagore de ce que,, pour suivre à la lettre la maxime entre amis tout est commun, il obligeoit ses disciples à mettre en commun tout ce qu'ils possédoient. « Car enfin , disoit-il, si « j'ai un véritable ami, ne suis-je pas aussi maître de « ses biens , que s'il m'en eût fait le dépositaire ? « Y a-t-il moins de mérite à donner son cœur que ses « richesses ? Je ne dois pas abuser de sa tendresse 5 « ce qu'il possède , je dois le ménager comme ma « propre fortune ; mais je l'outrage , si j'exige qu'il « la confie à un tiers pour nos besoins communs. »* 4?- « Quand on est mécontent de son ami , disoit « Caton le Censeur , il faut s'en détacher insensible« ment, et dénouer plutôt que rompre le lien de l'ami« lié. » Voyez AFFECTION, SENSIBILITÉ, TENDRESSE.
�AMOUR.
,
Il5
*\\ V\VX'VX'\,\V'V'\X\\XVX\'V\l.XXXXXl.%\'tVVXVVX\'VVXVV'V'».\\XX'tX\'V\'V'VVX'V%\V'VHt
AMOUR. i. « LA faim , le temps , la corde, voilà les remèdes « de l'amour , » disoit le philosophe Craies ; mais il n'y a que les fous qui se servent de la troisième recette. 2. Nos anciens pensoient que l'amour perfectionne les ames bien nées ; qu'il est entrepreneur des grandes choses : aussi étoit-iï de l'essence de l'ancienne chevalerie d'avoir sa dame, à qui, comme à un être supérieur , on rapportait tous ses sentimens , toutes ses pensées , toutes ses actions. « Ah ! si ma dame me « voyoit, » disoit Fleuranges en montant à l'assaut. Mais on ne sauroit trop prévenir les jeunes gens contre ce dangereux maître. Son abord est doux et riant ; son école paroît être celle des plaisirs :* que d'amertume ! que de chagrins recèlent ses trompeuses caresses ! que d'épines cachées sous les roses qu'il fait naître ! Il ne nous flatte que pour nous tyranniser cruellement ; et c'est de lui qu'on peut dire : Laissez-lui prendre un pied chez vous, Il en aura bientôt pris quatre. 3. Parmi les prisonniers de guerre que Cyrus avoit faits dans une bataille , se trouvoit une jeune princesse d'une rare beauté , qu'on avoit réservée pour le vainqueur. Elle se nommoit Panthêe , et étoit femme à'Abradate , roi de Susianne. Sur le récit qu'on fit à Cyrus des charmes de celte belle captive, il refusa de la voir. Cette grande retenue venoit sans doute de l'excellente éducation qu'il avoit reçue ; car c'est un irincipe chez les Perses, de ne jamais parler devant es jeunes gens de tout ce qui pouvoit avoir rapport à l'amour, de peur que la violente inclination qu'ils ont naturellement pour la volupté, jointe à la légèreté de leur âge, ne fût réveillée par ces discours dangereux, et ne les jetât insensiblement dans les dernières débauches. Araspe , jeune seigneur d« Médie , favori de H 2
Ï
�Il6
AMOUR.
Cyrus, et qui étoit chargé de la garde de Panthée, se défiant moins de sa foiblesse, prétendoit qu'on est toujours maître de soi-même. Cyrus lui donna de sages avis, en lui confiant le soin de cette princesse. «J'ai vu, « lui dit-il,beaucoup depersonnesquisecroyoientbien « fortes, succomber néanmoins, comme malgré elles, « à cette violente passion , et avouer ensuite , avec « honte et douleur, que l'amour est un esclavage dont « on a peine à secouer le joug ; une maladie à laquelle « on trouve rarement de remède efficace ; une espèce « de lien plus difficile à rompre que les chaînes de fer « les plus fortes. — Àh ! ne craignez point > reprit « Araspe ; je suis sûr de moi, et je vous réponds sur ma « vie, que je ne ferai rien de contraire à mon devoir. » Il connoissoit bien peu son cœur. D'abord il vit, ou crut voir la princesse avec indifférence. Bientôt, malgré lui, ses yeux la fixèrent avec plus d'intérêt. Enfin , peu à peu sa passion s'alluma jusqu'au point que , la trouvant invinciblement opposée à ses désirs , il étoit près de lui faire violence. Panthée en instruisit Cyrus , qui chargea aussitôt Artabase d'aller trouver Araspe de sa part. Cet officier lui parla avec la dernière dureté , et lui reprocha sa faute d'une manière propre à le jeter dans le désespoir. Araspe , outré de douleur , ne put retenir ses larmes , et demeura interdit de honte et de crainte, se croyant perdu. Quelques jours après, Cyrus le manda. Il vint tout tremblant. Cyrus le prit à part; et au lieu, de violens reproches auxquels il s'attendoit, il lui parla avec douceur, reconnoissant que lui-même avoit eu tort de l'enfermer imprudemment avec un ennemi si redoutable. Une bonté si inespérée rendit la vie et la parole à ce jeune seigneur. La confusion, la joie , la reconnoissance l'agitent tour à tour. << Ah ! je me connois maintenant, dit-il en « versant des larmes , et j'éprouve sensiblement que « j'ai deux ames, l'une qui m'excite aubien, l'autre qui « m'entraîne vers le mal. La première l'emporte quand « vous venez à mon secours, quand vous me parlez ; « je cède à l'autre, je suis vaincu quand je suis seul. » il répara sa faute ,'et fut désormais plus prudent.
�AMOUR-PROPRE.
117
, 4- Antigonus Dozon , roi de Mace'doine , ayant
trouvé la prêtresse du temple de Diane parfaitement belle , se hâta de sortir d'Ephèse : il se craignoit plus encore que les charmes de cette femme ; et il savoit que si la souveraine autorité met le prince criminel à l'abri de l'animadversion des lois , elle ne le garantit pas des remords , d'autant plus cuisans , qu'ils sont les seuls bourreaux.
A M O U R-P ROPRE.
i. I_/'AMOUR-PROPRE est le défaut de tous les âges ; mais il se montre sur-tout dans la jeunesse. Les jeunes gens d'Athènes, éblouis de la gloire de Thémistocle , de Cimon, de Périclès, et pleins d'une folle ambition , après avoir reçu pendant quelque temps les leçons des sophistes , qui leur promettaient de les rendre de très-habiles politiques , se croyoient capables de tout, et aspiroient aux premières places. L'un d'eux, nommé GZawcora,s'étoitmissifortement en tête d'entrer dans le maniement des affaires publiques , quoiqu'il n'eût pas encore vingt ans , que personne dans sa famille , ni parmi ses amis , n'âvoit eu le pouvoir de le détourner d'un dessein si peu convenable à son âge , à sa capacité. Socrate , qui l'afFectionnoit, fut le seul qui réussit à lui faire changer de résolution ; et voici comment ce grand homme s'y prit pour corriger , sans le choquer , l'amour-propre de ce jeune ambitieux , qui en avoit tant. Un jour l'ayant rencontré , il parla avec tant d'adresse , qu'il l'engagea à l'écouter : c'était avoir déjà beaucoup gagné. « Vous avez donc envie de « gouverner la république , lui dit-il ? — U est vrai, « répondit Glaucon. — Ce dessein est beau ; car si « vous y réussissez , vous vous mettrez en état de « servir utilement vos amis , d'agrandir votre maison , « d'étendre les bornes de votre patrie. Vous vous « ferez connoître, non-seulement dans Athènes , mais H 3
�Il8
AMOUR-PROPRE.
par toute la Grèce; et peut-être que votre renommée volera jusques chez les nations barbares , comme celle de Thémistocle. Enfin, vous fixerez tous les regards , et vous attirerez sur vous les respects et l'admiration de tout le monde. » Un début si insinuant , si flatteur, plut extrêmement au jeune homme , qui se trouvoit pris par son foible. Il resta volontiers , sans qu'ilfût besoin de l'en presser, et la conversation continua. « Puisque vous « désirez de vous faire estimer et honorer, il est clair « que vous songez à vous rendre utile au public. « — Assurément. — Dites-moi donc , je vous prie , « quel est le premier service que vous prétendez « rendre à l'état ? » Comme Glaucon paroissoit embarrassé , et songeoit à ce qu'il devoit répondre : « Apparemment, reprit « Sot-rate,ceseradel'enrichir,c'est-à-dire,d'augmen« ter ses revenus ? — C'est cela même. — Et, sans « doute , vous savez en quoi consistent les revenus « de l'état, et à combien ils peuvent monter ? Vous « n'aurez pas manqué d'en faire une étude particulière, « afin que, si un fonds vient à manquer tout-à-coup, « vous puissiez aussitôt le remplacer par un autre. « — Je vous jure que c'est à quoi je n'ai jamais songé. « — Marquez-moi du moins les dépenses que fait la & république; car vous savez de quelle importance il « est de retrancher celles qui sont superflues. — Je vous « avoue que je ne suis pas plus instruit sur cet article « que sur l'autre. — Il faut donc remettre à un autre « temps le dessein que vous avez d'enrichir la répu« blique ; car il vous est impossible de le faire, si vous « ignorez quels sont ses revenus et ses dépenses. » Cette conversation commencoit à n'avoir plus les mêmes charmes pour le jeune politique, parce qu'elle l'obligeoit de faire l'humiliant aveu de son ignorance. Cependant le philosophe pouvoit recommencer ses paroles obligeantes : l'espérance soutint la vanité ; et Glaucon , profitant d'une idée qui lui paroissoit victorieuse : « Il me semble , dit-il, que vous passez sous « silence un, moyen aussi efficace que celui dont vous
« « « « «
�AMOUR-PROPRE.
lig
« parlez. Ne peut-on pas enrichir un état par la ruine « de ses ennemis ? — Ah ! vous avez raison 5 mais pour <i l'employer ce moyen, il faut être le plus fort, autre« ment on court risque soi-même de perdre ce que « l'on a. Ainsi , celui qui parle d'entreprendre mie « guerre, doit connoître les forces de l'un et de l'au« tre , afm que , s'il trouve son parti le plus fort, il « conseille hardiment la guerre ; s'il le trouve le plus « foiblc , il dissuade le peuple de s'y engager. Or, « savez-vous quelles sont les forces de notre républi« que , tant par mer que par terre , et quelles sont « celles de nos ennemis ? En avez-vous un état par « écrit ? Vous me ferez plaisir de me le communi« quer. — Je n'en ai point encore. — Je Vois bien « que nous ne ferons pas sitôt la guerre si l'on vous « charge du gouvernement ; car il vous reste bien des « choses à savoir , et bien des soins à prendre. » Il parcourut ainsi plusieurs autres articles, sur lesquels il le trouva également neuf ; et il lui fit toucher au doigt le ridicule de ceux qui ont la témérité de s'ingérer dans le gouvernement , sans y apporter d'autre préparation qu'une grande estime d'euxmêmes et une ambition démésurée de s'élever aux premières places. «Craignez, mon cher Glaucon, ajouta« t-il en finissant, craignez qu'un désir trop vif des hou« neurs ne vous aveugle , et ne vous fasse prendre un « parti qui vous couvriroit de honte , en mettant au « grand jour votre incapacité, votre inexpérience. » 2. Socrate voyant qu'Alcibiade, son disciple, s'énorgueillissoit de ses biens et des belles terres qu'il possédoit, lui fit apporter une carte de la Grèce : « Jeune « homme , lui dit-il, montrez-moi sur cette carte où « est l'Attique. — La voilà. — Montrez-moi mainte« nant où sont vos terres et vos maisons de campagne. « — Je ne les y vois pas ! — Ainsi, reprit le philoso« phe , quelques pouces de terre , dont on ne daigne « pas faire mention , sont l'objet de votre orgueil ! » 3. Un docteur allemand , dans une assemblée où il vouloit réfuter le discours , ou plutôt la satire du célèbre J. J. Rousseau contre les sciences et les arts, H 4
�120
A 31 O V R - PROPRE.
commença son oraison par cet exorde modeste : «Mes « chers frères , si Socrate rcyenoit parmi nous , et « qu'il vît l'état florissant où les sciences sont en « Europe ; que dis-je en Europe ? en Allemagne ; que « dis-je en Allemagne ? en Saxe ; que dis-je en Saxe ; « à Leipsic ; que dis-je à Lcipsic ? dans cette univer« sité : alors , saisi d'étonnement, et pénétré de res« pect, Socrate, lefameuxiSocrate, s'assiéroitmodes« fement parmi nos écoliers; et recevant nos leçons « avec une humble docilité, il perdroilbientôtaveenous « cette ignorance dont il se plaignoit si justement. » 4- Après la fameuse bataille de Salamine , remportée sur-tout par la prudence et l'habileté de Thémistocle , on obligea tous les capitaines de déclarer ceux qui avoient eu le plus de part à la victoire. Chacun s'y donnant la première part, adjugea la seconde à Thémistocle ; mais le peuple qui voyoit mieux les choses, parce que l'amour-propre nel'aveugloitpoint, crut devoir décerner !a première récompense à celui que chacun des capitaines avoit regardé comme le plus digne après lui. 5. Le duc d'Ossone , vice-roi de Naples , alla sur les galères d Espagne le jour d'une grande fêle , afin d'user du droit qu'il avoit d'en délivrer quelque força I. Il en interrogea plusieurs, et leur demanda ce qui les avoit réduits au truste état où ils se trouyoient ? Tous lui répondirent que l'injustice avoit prévalu , et qu'on les avoit condamnés sans avoir bien examiné leur ;ilfaire. Il n'y en eut, qu'un qui lui dit naïvement tous les crimes qu'il avoit commis ; et il avoua qu'il avoit mérité une plus grande punition que celle qu'il souffrait. « Qu'on chasse ce méchant homme, dit le duc, « en lui faisant donner sa liberté , de peur que sa « compagnie ne gâte tous les gens de bien que voilà. » 6. Louis XlV ayant fait l'honneur à madame de Sêvigné de danser avec elle , celte dame se remit à sa place, auprès du comte de Bussi-Rabutin. Elle ne fut pas plutôt assise , qu'elle lui dit : « Ah ! mon cher « comte , avouez que le roi a de grandes qualités : « j'en suis sûre , il obscurcira la gloire de ses prédé- -
�A IVï 0 U R-P R O P R E.
■
121
« cesseurs. — Qui en doute , madame , ne vient-il « pas de danser avec vous , » lui répondit le comte , en riant du motif qui lui inspiroit cet éloge animé ? A peine , dans l'enthousiasme qui la pénétroit, put( 'l'c s "empêcher de crier : Vive lé roi ! y. Charles IX prenoit plaisir à la conversation de Guillaume Pastel, qu'il honoroit du titre de son phir losophe. Ce prince ayant reçu des lettres du roi d'Or mit s, les lit porter à Postel pour les expliquer. 11 les interprêta devant toute la cour ; puis , lier du. savoir dont il venoit de faire preuve : « Sire , dit-il , « d'un ton que ne dictoit pas sa modestie , je puis « aller sans truchement-de votre royaume jusqu'à la « Chine. Les langues de tous les peuples me sont « aussi connues que la vérité. » Vous noterez que cet humble docteur , après avoir long-temps écrit en visionnaire , finit par être aussi fou que sa conduite , qu'il est extravagant dans ses livres. P». Duperrier avoit eu qu elqu es succès dans la poésie latine ; et s'il se fût borné à ce genre de littérature , il eût pu mériter un rang distingué parmi les modernes qui se sont appliqués à marcher sur les traces de Vir^ gile. Mais il voulut figurer sur le Parnasse français; et se dissimulant sa foiblesse , il osa prendre tout d'un coup Malherbe pour modèle. Etonné lui-même de la grandeur de son audace , prenant déjà ses timides essais pour des chefs-d'œuvre, à peine avoit-il enfanté péniblement une tirade froide et monotone , qu'il la récitoit avec emphase à tous ceux qu'il rencontroit. Un jour il accompagna Despréaux à l'église ; et pendant tou te la messe , il ne cessa de lui parler d'une ode qu'il avoit présentée à l'Académie française pour le prix.de l'année 1671. « On m'a fait la plus grande 8 injustice , répétoit-il. Oui ! morbleu ! le prix m'étoit « ciù. Ah ! quelle ode ! Eh ! qui m'a-t-on préféré ? Je « veux vous la réciter. » Despréaux ne savoit comment calmer son orgueilleuse effervescence. Il eut peine à le contenir durant l'élévation ; et la sonnette n'avoil pas cessé de se faire entendre , que reprenant IU parole avec d'autant plus de véhémence qu'il s'étoit
�122
AMOUR
CONJUGAL.
contraint un instant : « Croiriez-vous , dit-il assez « haut pour se faire regarder de tous les assistans ; « croiriez-vous qu'ils ont dit que mes vers étaient trop « malhersbiens ? » Ce même Duperrier et Santeuil, qui ne lui cédoit pas en amour-propre , parioient à qui feroit mieux des vers latins. Ménage , qu'ils choisirent d'abord pour arbitre , ne voulut point juger cette modeste querelle. Ils s'en rapportèrent au père Rapin, qu'ils rencontrèrent au sortir d'une église , et qu'ils firent dépositaire de leur enjeu. Le bon jésuite leur reprocha leur vanité, méprisa leurs vers, et rentrant dans le temple , jeta dans le tronc des pauvres l'argent qu'ils lui avoient consigné. g. Racine, avouoit à son fils aîné , pour le détourner de la poésie , que la plus mauvaise critique lui avoit toujours plus causé de chagrins , que les plus grands applaudissemens ne lui avoient fait de plaisir. « Ne « crois pas , mon ami, lui disoit-il, que ce sont mes « pièces qui m'ont attiré les caresses des grands. « Corneille a fait des vers cent fois plus beaux que « les miens , et cependant personne ne l'a regardé : « on ne l'aimoit que dans la bouche de ses acteurs ; « au lieu que sans fatiguer les gens du monde du « récit de mes ouvrages , dont je ne leur parlois « jamais , je les entretenois de choses qui leur plai« soient : mon talent , avec eux , a été de leur faire « apercevoir leur esprit plutôt que le mien. » AMOUR CONJUGAL.
i. V_JN demandoit à Valérie , dame romaine , pourquoi , jeune encore , elle refusoit de prendre un second époux : « Le premier, répondit-elle , n'est mort que « pour les autres : il vit, il vivra toujours pour moi. » 2. Le duc de Wirtemberg s'était vivement opposé à l'élection de Conrad III, proclamé empereur en n38 ; et, quand le nouveau monarque eut ceint le diadème, refusant de le reconnoître , il se renferma
�123 dans la petite ville de Weinsperg, la plus forte place de ses états. Il y fut assiégé par l'armée impériale. Le rebelle soutint toutes les attaques de son souverain , avec une bravoure héroïque. Enfin il fut obligé de céder à la force. L'empereur irrité voulait mettre tout à feu et à sang : cependant il fit grâce aux femmes, leur permit d'emporter ce qu'elles avoient de plus cher , et de sortir de la ville. L'épouse du duc profita de cette permission pour sauver les jours de son mari. Elle le prit sur ses épaules. Toutes les femmes en firent autant ; et Conrad les vit sortir, chargées de ce fardeau précieux, la duchesse à leur tête. Il ne put tenir contre un spectacle si touchant ; et, cédant à l'admiration qu'il lui causoit, il fit grâce aux hommes en faveur des femmes. La ville fut sauvée. 3. Thesca , sœur de Denis le tyran, avoit épousé un seigneur illustre de Syracuse. Cet homme ne pouvant supporter l'orgueil du despote , et redoutant sa cruauté qui n'épargnoit personne , prit la fuite. Denis irrité accusa Thesca d'être complice de son évasion. « Tyran, lui répondit-elle, me crois-tu l'ame « assez lâche pour n'avoir pas accompagné mon époux « dans sa fuite , si j'avois connu son dessein ? » 4- Les habitans de Parme, voulant se défendre contre leurs ennemis, élurent, vers i4o4 > Gisberlde Coregio et Roland de Rossi pour souverains. Ces deux princes se jurèrent une fidélité fraternelle. : pour la cimenter, Pioland donna sa sœur en mariage à Gisbert ; mais bientôt il s'ennuya d'avoir un collègue , et gagnant le peuple par des présens, les grands par des promesses, il fit chasser de Parme son beau-frère. Gisbert étoit doux , équitable et généreux. Quantité de citoyens murmurèrent ; bientôt il se forma un parti puissant qui demanda son rappel , et Parme se vit exposée à tous les malheurs de la guerre civile. Roland , le fer à la main , parcouroit les rues , pour exterminer les partisans de son rival. La femme de Gisbert soutenoït ces derniers ; pour animer de plus en plus leur courage , elle se jeta au milieu d'eux , et fut rencontrée par son frère, qui l'invita à se réfugier dans son palais. « Traître,
AMOUR CONJUGAL.
�le
A M
- , O U R
CONJXJGA L.
« lui répondit-elle avec indignation , ta pitié m'offense. « J'atteste la Divinité que je n'entrerai jamais dans une « maison souillée par un parjure : tu ne m'as donnée « pour épouse à Gisbert qu'afin que je fusse , disois-tu, « le gage de ta fidélité, et j e ne servois qu'à mieux voiler « ta perfidie. Mais je vais le trouver au milieu des sol« dats qu'il a rassemblés pour soutenir ses droits et te << punir. Je l'exciterai à la vengeance , et j'oublierai que « tu es mon frère. » Elle se retire, rejoint son époux , et se présentant les pieds nus, les cheveux épars , elle se prosterne et lui dit : « Je viens vous offrir une vic« time ; c'est par ma mort que vous pouvez: vous ven« ger de l'outrage que vous a fait mon frère, et qu'il « vous préparait en me mariant avec vous.— Chère << compagne, interrompit Gisbert, en la serrant dans « ses bras, ta douleur prouve ton innocence , et mon « amour est le gage de ta sûreté. En te joignant à ton « époux , tu te couvres de gloire , et tu prouves com« bien Roland est coupable. » A l'instant il conduit ses troupes vers Parrne ; il y trouve ses amis qui se défendoient encore ; et, secondant leurs efforts , il chasse Roland, et est reconnu seul souverain des Parmesans. 5. Sabinus , prince gaulois , étant entré dans une révolte contre l'empereur Vcspasïen, fut entièrement vaincu , et obligé de chercher un asile contre le courroux du prince victorieux. Il pouvoit aisément s'enfuir en Germanie ; mais sa tendresse pour sa vertueuse épouse , nommée Eponine , l'empêcha de prendre ce part i. Il avoit des grottes souterraines fort profondes et fort larges, qui lui servoient de refuge pour mettre en sûreté ses trésors , et dont personne n'avoit connoissance. Résolu de s'y cacher, il envoya tout son monde, comme s'il eût eu dessein de s'ôter la vie. Il ne garda que deux affranchis , d'une fidélité inviolable. Avec eux il mit le feu à sa maison de campagne , pour faire croire que son corps avoit été consumé par les flammes i et, s'étant retiré dans sa caverne , il dépêcha l'un d'eux à sa femme pour lui annoncer qu'il n'étoit plus. 11 savoit quel cruel coup ce seroit pour cette tendre épouse ; et son dessein étoit de persuader dans
�AMOUR CONJUGAL. 125 le public la vérité du bruit de sa mort, par la sincérité de la douleur d'Eponine : ce fut effectivement ce qui arriva. Eponine désespérée se jeta par terre , s'abandonna aux cris, aux pleurs, aux gémissemens, et passa dans cet état trois jours et trois nuits sans manger* Sabinus instruit de sa situation, en craignit les suites, 11 la fit avertir secrètement qu'il n'étoit point mort., qu'il se tenoit caché dans une sûre retraite, mais qu'il la prioit de continuer les démonstra tions de sa douleur, pour entretenir une erreur qui lui étoit salutaire. Eponine joua parfaitement son rôle. Elle alloit voir son mari pendant la nuit : ensuite elle reparoissoit, sans donner le moindre soupçon d'un si étrange mystère. Peu à peu elle s'enhardit ; ses absences devinrent plus longues : enfin elle s'enterra toute vive avec Sabinus. Etant devenue enceinte, elle se délivra elle-même, et nourrit de son lait deux fils qu'elle mit au monde dans ce triste séjour. Après avoir passé neuf ans dans cette ténébreuse retraite, Sabinus fut découvert, : on le prit avec sa femme et ses enfans, et on les mena tous prisonniers à Rome . Lorsqu'ils furent présentés à l'empereur, Eponine lui parla avec courage 5 et, lui montrant ses enfans : « César,lui dit-elle, j'ai mis au monde ces tris tes « fruits de notre disgrâce , et je les ai allaités dans « l'horreur des ténèbres , afin de pouvoir vous offrir « unplusgrandnombredesupplians.» Vespasienversa. des larmes de pitié ; mais bientôt, étouffant dans son coeur cette compassion stérile ; il fît trancher la tête aux deux époux , et ne fit grâce qu'à leurs enfans. 6. Après l'entreprise malheureuse du roi Jacques pour remonter sur le trône d'Angleterre , les seigneurs anglais qui avoient embrassé son parti, furent condamnés à périr par la main du bourreau. On les exécuta le 16 Mars 1716. Le lord Nilhisdale devoit subir le même sort ; mais il se sauva par la tendresse ingénieuse de son épouse. On avoit permis aux femmes de voir leurs maris la veille de leur mort, pour leur faire leurs derniers adieux. Milady Nilhisdale entre dans la tour , appuyée sur deux femmes-de-chambre, un mouchoir devant les yeux, et dans l'attitude d'une
�126 AMOUR CONJUGAL." femme désolée. Lorsqu'elle, fut dans la prison, elle engagea le lord, qui étoit de la même taille qu'elle , de changer d'habits , et de sortir dans la même attitude qu'elle avoit en entrant. Elle ajouta que son carrosse le conduirait au bord de la Tamise , où il trouverait un bateau qui le mèneroit sur un navire prêt à faire voile pour la France. Le stratagème s'exécuta heureusement. Milord Nilhisdale disparut , et arriva à trois heures du matin à Calais. En mettant pied à terre, il fit un saut, en s'écriant: « Vive Jésus,f me voilà sauvé ! » Ce transport le décéla ; mais il n'étoit plus au pouvoir de ses ennemis. Le lendemain matin, on envoya un ministre pour préparer le prisonnier à la mort. Ce ministre fut étrangement surpris de trouver une femme au lieu d'un homme. La nouvelle s'en répandit dans le moment. Le lieutenant de la tour consulta la cour, pour savoir ce qu'il devoit faire de milady Nilhisdale. 11 reçut ordre de la mettre en liberté , et elle alla rejoindre son mari en France. y. Octave, Antoine et Lépide, ayant formé cette ligue fameiise connue sous le nom de triumvirat, proscrivirent tous ceux quipouvoientrésisterpar leurs ambitieux projets, et condamnèrent à mort quiconque donnerait asile aux proscrits. Le nom de Ligarius se trouvant sur la liste que les tyrans avoient fait afficher , sa femme , aidée p„ar une de ses esclaves , le tint caché dans sa maison, et le déroba pour quelques temps aux recherches des ministres de la cruauté des triumvirs ; mais la crainte de la mort et l'espoir des récompenses rendirent l'esclave perfide : elle indiqua le lieu delà retraite de Ligarius à ceux qui le cherchoient. Il fut arraché d'entre les bras de son épouse, qui le suivit, malgré tous les efforts qu'on faisoit pour la retenir f« C'est moi, « crioit-elle aux bourreaux, c'est moi qui ai mérité la « mort : j'ai violé les ordres en cachant un proscrit ; ■ « c'est moi qu'il faut conduire au supplice. » Elle courut aux triumvirs, non pour implorer leur miséricorde, mais pour provoquer leur vengeance. On la força de se retirer chez elle : alors , se refusant toutes sortes d'aliment, elle mourut accablée sous te poids de sa douleur,
�AMOUR
CONJUGAL.
127
8. Pauline, épouse de Sénèque, ne voulant point survivre à son mari, dont le cruel Néron avoit ordonné la mort, se fit, à son exemple , ouvrir les veines. Mais le tyran ayant envoyé des gens pour la sauver de gré ou de force , elle porta , le reste de sa vie , sur son visage une pâleur qui fut, dit Tacite, un glorieux témoignage de son chaste amour pour son époux. 9. Cécina Pétus , noble Romain, sous Pempiçe de Claude, et un jeune fds qu'il avoit, étaient en même temps malades, et tous deux dangereusement. Le fds mourut; jeune homme aimable et par la figure et par les sentimens. La célèbre et tendre Arria, mère du défunt, déroba à son époux la connoissance de la mort et des funérailles de son fds. Bien plus , lorsqu'elle entrait dans la chambre du malade, elle ne laissoit paraître sur son visage aucune marque de tristesse. Pétus ne manquoit pas de demander des nouvelles de son fils. Arria répondoit qu'il se portoit mieux. Si les larmes, trop long-temps retenues , la suffoquoient, elle sortait pour leur donner un libre cours ; et quand elle avoit satisfait à la tendresse maternelle / elle reparoissoit avec un air de gaieté qui en imposoit au malade. Pétus s'étant trouvé impliqué dans une co2ispiration contre l'empereur Claude, fut arrêté en Dalmatie, ej; mis sur un vaisseau pour être conduit à Rome. Sur le point d'entrer dans le navire , Arria conjura l'officier chargé de la garde du prisonnier, de ne la point séparer d'avec son époux. « Assurément, lui dit-elle , vous « donnerez à un homme de son rang, à un consulaire, « quelques esclaves pour le servir à table , pour l'ha« biller, pour le chauffer : moi seule je remplirai tous « ces offices. » Elle ne put rien obtenir; mais l'amour y suppléa- Elle loua une barque de pêcheur, et suivit le vaisseau qui renfermoit ce qu'elle avoit de plus cher. Quand l'équipage fu t arrivé à Rome , désespérant de la vie de son mari, elle parut déterminée à ne lui point survivre. Les femmes qui la servoient , la gardèrent avec les précautions les plus grandes. Elle s'en aperçut , et leur dit : « Vous n'y gagnerez rien ; vous pou« vez faire que je meure misérablement ; mais ; m'em,-*
�128 AMOUR CONJUGAL. « pêcher de mourir, c'est ce qui passe votre pouvoir. » En disant ces mots, elle s'élance de dessus sa chaise , et va se frapper rudement la tête contre la muraille qu'elle avoi t devant elle. Elle tombe évanouie du coup; et lorsqu'elle eut repris ses sens : « Eh bien ! dit-elle, « ne vous avois-je pas averties que si vous me refusiez « un moyen facile de mourir, j'en imaginerais un « violent ? » Cependant elle potivoit, après la mort de son époux , vivre dans la plus grande considération. Elle avoit de la jeunesse , de la beauté , du crédit: elle étoit chérie de Messaline, femme de Claude. Mais , fidelle à son mari jusqu'au dernier moment, elle voulut descendre avec lui dans le tombeau. Ayant aperçu un couteau , elle se leva brusquement, le saisit , l'enfonça dans son sein ; le présentant ensuite à son mari : « Prends , Pétus, lui dit-elle , « il ne m'a point fait de mal. » 10. Portia , fille de Caton d'Utique , et femme du célèbre Brutus , voyant son époux rêveur et pensif, remarquant pendant la nuit ses agitations, ses soupirs étouffés , et l'espèce de délire où le jetoit la grandeur de son entreprise , jugea qu'il avoit formé quelque projet important et périlleux , dont il ne lui avoit point parlé. La veille du jour où César fut tué , Brutus étant sorti de sa chambre de grand matin, Portia se lève, prend un rasôir qui se trouva sous sa main, se fait une blessure assez considérable , et tombe évanouie. Au bruit des femmes qui s'empressoient de la secourir , Brutus étonné , alarmé , vole clans son appartement. Il aperçoit son épouse ensanglantée qui lui dit : « J'ai vouhi, cher époux, éprouver mon cou« rage. Si la fortune ne couronne pas ton projet, ne « crains rien , Portia saura te suivre. » Cette généreuse et tendre épouse , après la mort de son mari, ne mit point de bornes à son deuil. « Quand cesserez « vous donc de pleurer, lui disoit-on ? — Quand je « cesserai de vivre. » On prit la précaution d'écarter d'elle toute espèce de fer ; mais ces soins furent inutiles : elle avala des charbons ardens , et mourut. 11. Blanche de Ptossi étoit d'une beauté achevée. Elle
�AMOUR CONJUGAL. 12g Elle fut mariée à Baptiste de la Porte , que le tyran Ezzelin fit mourir, après avoir pris la ville de Padoue, où ils demeuroient. Il traita plus humainement l'infortunée Blanche, pour laquelle il conçut une violente passion. Mais , voyant que la douceur ne pouvoit rien sur l'esprit de cette généreuse femme qui s'étoit souvent mise en danger de perdre la vie , afin de conserver la chasteté conjugale , il eut enfin recours à la force pour assouvir ses infâmes désirs. Blanche ne voulut point survivre à ce déshonneur : elle alla au tombeau de son mari , en leva la pierre, s'y précipita, et rendit l'esprit en baisant tendrement son cadavre. 12. Charles-Emmanuel, duc de Savoie, qui avoit des prétentions sur la ville de Genève, tenta, au commencement du dernier siècle , de s'en emparer par surprise. Il la fit escalader de nuit ; mais le succès ne répondit point à ses vues. L'alarme commença avant qu'il y eût un assez grand nombre d'assiégeans sur les murailles. Les citoyens coururent aux armes , et repoiissèrentles ennemis, trop foiblespour leur résister. Ceux qui tombèrent entre leurs mains furent livrés à une mort ignominieuse. Du nombre de ces prisonniers étoit un officier de marque. La nouvelle de son malheur est portée à son épouse : cette dame étoit enceinte. Elle vole vers le lieu où son mari va périr, et demande à l'embrasser pour la dernière fois. On lui refusa cette grâce ; et l'officier, fut pendu, sans qu'elle eût pu l'approcher. Elle suivit néanmoins le corps de son malheureux époux au lieu où il devoit être exposé. Là, elle s'assit devant ce triste objet, et y demeura , sans vouloir prendre aucune nourriture, ni cesser d'y fixer ses regards. La mort qu'elle demandoit, qu'elle attendoit avec la plus vive impatience , vint enfin lui fermer les yeux en cette situation. 13. L'empereur du Japon ayant fait mourir secrètement un officier de mérite , dont tout le crime étoit d'avoir pour épouse une femme aussi belle que vertueuse , fitvenir, quelques jours après, cette dame, et voulut l'obliger de demeurer avec lui dans le palais. « Je dois me réjouir et m'estimer heureuse, lui réponTome I, I
�l3o
AMOUR
CONJUGAL.
« dit-elle, de ce que vous m'avez jugée digne de votre « amitié:je reçois cette grâce comme je le dois; mais « j'ose prendre la liberté de vous demander un inter« valle de 3o jours pour achever de pleurer la mort de « mon mari. Permettez encore, ajouta-t-elle, qu"après « cedélai,jepuisse assemblersesparens,etleurdonner « «à manger dans l'une des tours de votre château. » L'empereur accorde tout à ses prières. Le jour du festin arrive ; il est donné avec la plus grande somptuosité. L'empereur, qui avoit voulu s'y trouver , y boit avec excès et s'enivre. La dame profite de ce moment ; et, sous prétexte de prendre l'air sur un des balcons de la tour , elle se précipite du haut en bas. 14. Sinorioc,prince de Galatie, amoureux de Camma, dame d'une grande beauté, assassina, pour la posséder , Sinatus son époux. La vertueuse veuve voulut; tirer vengeance de ce forfait énorme. Après avoir résisté long-temps aux présens et aux prières du meurtrier , elle craignit qu'il ne mît le comble à son crime , en y ajoutant la violence , et feignit de consentir enfin à l'épouser. Elle le fit venir dans le Temple de Diane dont elle étoit prêtresse, comme pour rendre leur union plus solennelle. C'étoit l'usage que l'époux et l'épouse bussent ensemble dans la même coupe. Camma après avoir fait le serment ordinaire et prononcé les paroles consacrées, prit la première la coupe qu'elle avoit remplie de poison, et, après avoir bu , la présenta à Sinorix , qui, ne soupçonnant aucun artifice., avala sans crainte le funeste breuvage. Alors Camma transportée de joie : « Je meurs contente , « s'écria-t-elle : mon cher Sinatus est vengé ! » Ils expirèrent bientôt l'un et l'autre. 10. Lêarque, d'autres disent Crateras , favori d'Archélaùs, roi de Macédoine , empoisonna ce prince , et s'emparade son n^aume. Ensuite il pressa Erizone, femme du monarque défunt , de l'épouser, lui promettant d'adopter le fds d'Archélaus. La reine lui témoigna que la proposition ne lui déplaisoit pas, mais qu'elle craignoi t que ses frères ne s'y opposassent.EUe lui demanda un entretien secret pendant la nuit, afin
�AMOUR .CONJUGAL. l3x de délibérer sur cette affaire plus à loisir. Léarque , aveuglé par son amour , vint au rendez-vous ; mais Erixone , fidelle à son premier époux , et voulant venger sa mort, fit tuer l 'usurpateur par deux hommes qu'elle avoit fait cacher à ce dessein. 16. Cyrus ayant défait les Babyloniens , fit prisonnière lacélèbre Panthée , femme d'Abradate,roi de la Susiane. Le vainqueur la traita avec tous les égards dus àson rang; et, sur le récit qu'on lui fit de sa beauté, il refusa même de la voir. Après avoir passé quelque temps dans le camp du roi des Perses, Panthée écrivit, à son époux de la venir trouver. Abradate se rendit aussitôt au camp victorieux, avec, deux millç chevaux* On le conduisit d'abord à la tente de Panthée, qui lui raconta, non sans verser beaucoup de larmes , avec quelle bonté , quelle sagesse le généreux vainqueur l'a voit traitée. «Eh! comment, s'écria. Abradate, com« ment pourrai-je reconnoître un pareil service ? — « En vous conduisant à son égard, lui dit Panthée , « comme il a fait au mien.»I1 alla sur-le-champ trouver Cyrus, et baisant la main de son bienfaiteur , l'as sura qu'il trouverait désormais en lui l'ami le plus zélé et l'allié le plus fi délie. Il se présenta bientôt une occasion d'accomplir ses promesses. Cyrus se préparant à fairela guerre à Crésus,xo\ de \jjdie,mit Abradate à la tête des chariots persans armés de faulx. Le roi de la Susiane se disposoit à partir , et étoit sur le point de mettre sa cuirasse, qui n'étoit que de lin piqué, selon, la mode de son pays, lorsque la tendre Panthée vint lui présenter un casque dor, desbrassarts et des brasselets d'or ,avecune cotte d'armes, de sa hauteur, plissée par en bas, et un grand panache de couleur de pourpre. Elle avoit fait préparer cette armure à l'insu da. son mari, pour lui ménager le plaisir de la surprise. Malgré les efforts qu'elle faisoit, elle ne put, en le revêtant de cette armure , s'empêcher de répandre des larmes.Mais, quelque amour qu'elle eût pour lui,elle l'exhorta h mourir plutôt les armes à la main, que de manquer à se signalerd une manière digne de leur naissance, et des bienfaits de Cyrus. « Souviens-toi, cher I 2
�l32 AMOUR CONJUGAL. « époux , lui dit-elle , qu'étant sa prisonnière , et , <i comme telle , destinée pour lui, il m'a cependant « gardée comme si j'avois été la femme de son propre « frère. C'est à toi de reconnoître aujourd'hui cette « grâce signalée. — O Jupiter ! s'écria Abradate , en « levant les yeux vers le ciel , fais que je paroisse en « cette occasion digne mari de Panthée, digne ami <i d'un si généreux bienfaiteur ! » En prononçant ces mots , il monte sur son char. Panthée ne pouvant plus l'embrasser, baise mille fois le char qui le porte. Elle le suit des yeux , et ne se retire que long-temps après qu'elle l'a perdu de vue. Abradate combattit en héros, et trou va dans la mêlée une mort glorieuse. Quelle fut la désolation de Panthée , quand on lui annonça la perte de ce cher époux ! Elle lit porter son corps dans un chariot , sur le bord du Pactole , et, appuyant sa tête sur ses genoux, elle resta fixée sur ce triste objet, et abîmée dans sa douleur. Cyrus accourut vers elle , mêla ses larmes à celles de cette épouse infortunée , fit ce qu'il put pour la consoler, et donna des ordres pour rendre au mort des honneurs extraordinaires. Mais à peine se fut-il retiré, que Panthée, succombant à sa douleur, se perça le sein d'un poignard, et tomba morte sur son mari. On leur éleva dans le lieu même un tombeau commun. Ces sortes de morts volontaires paroissoient héroïques aux payens : ils croyoient qu'il falloit beaucoup de courage pour s'ôter ainsi la vie ; et ils ne voyoient pas qu'il y a plus de magnanimité, plus de force d'ame à supporter avec constance le long fardeau de la tristesse , et le supplice d'une privation pénible. 17. Mausole, roi de Carie, étant mort, laissa l'autorité souveraine à la reine Artémise , son épouse. Cette princesse employa toute sa puissance à signaler la tendresse qu'elle avoit eue pour son mari. Voulant immortaliser ses regrets , elle fit élever, en l'honneur de son cher Mausole, un monument si magnifique, qu'il a. passé pour une des sept merveilles du monde, et qu'on a depuis appelé mausolées tous les ouvrages superbes, érigés à la mémoire des morts, Pour qu'il ne mauquàt
�l33 rien à la gloire de son époux, cette princesse , vrai modèle des femmes et des veuves , établit un prix destiné à celui qui réussiroit le mieux à faire l'éloge du monarque défunt. Théopompe de Chio fut le premier qui le remporta. Si l'on en croit Aulu-Gelle et plusieurs autres écrivains , Artémise ne se contenta point encore de ces preuves durables de son amour. Ayant recueilli les cendres de Mausole et fait broyer ses os, elle mettoit tous les jours de cette poudre dans sa boisson , voulant par là faire de Son propre corps le tombeau de son époux. Elle ne lui survécut que deux ans ; et sa douleur ne finit qu'avec sa vie. 18. Un homme, nommé Bournazel, avoit été condamné à perdre la tête, par arrêt du parlement de Bordeaux, pouravoir assassiné le sieur de la Tournes parens de Bournazel obtinrent sa grâce de CharleslX, malgré les plaintes et les prosternations de la veuve. Pour l'appaiser , le roi lui fit offre de tous les biens du coupable ; mais la veuve de la Tour, en lui montrant le fils du défunt, lui répondit: «Sire , à Dieu ne « plaise que je vende le sang de mon époux ! Puisque « le crédit du meurtrier est au-dessus de la justice et <i des lois , accordez à mon fils la grâce dont il aura « besoin pour venger la mort de son père , par celle « de l'assassin,à laquelle je l'exhorterai tous les jours.» 19. Catherine lierman, femme d'un matelot hollandois , avoit les traits si délicats, si réguliers, et relevés par un teint si éclatant, qu'on ne pouvoit la voir sans être épris de sa beauté. Son mari ayant été arrêté par les Espagnols , qui faisoient le siège d'Ostende , fut envoyé aux galères avec plusieurs de ses compatriotes. Catherine apprend cette triste nouvelle , se coupe les cheveux, se déguise en homme , se rend au camp d'Ostende , s'engage au service des Espagnols , et se fait remarquer autantpar les charmes de sa figure, que par son héroïque bravoure. Ayant, dans une rencontre , vaillamment combattu sous les yeux du comte de Bucquoi : « Beau soldat, lui dit ce général, « demande-moi ceque tu voudras, je te l'accorderai.— <i Mon général, reprit Catherine, si par hasard j'étois
AMOUR CONJUGAL;
�l34
AMOUR
C' O N J U G A L.
«femme vous dédiriez-vous ? — Non , j'irois peut« être même plus loin encore. » Alors elle se fit connoître pour être la femme du matelot, et se jetant à genoux , lui demanda la liberté de son mari. Le comte la releva sur-le-champ , lui rendit son époux ; et, respectant sa vertu , il la renvoya dans son village après l'avoir comblée de présens. 20. Guillaume-le-Conquérant laissa trois fils, Robert, Guillaume-le-Roux et Henri. Jamais coeur ne fut plus franc, plus généreux, plus humain que celui de Robert; jamais prince n'en eut un plus dur et plus féroce que Guillaume.''Leur j>ère régla leur partage sur la différence de leurs caractères. Il haïssoit les Anglais , il leur destina Guillaume, quoiqu'il ne fût que le cadet; il aimoit les Normands , il donna la Normandie à Robert, qu'il avoit marié à Sybille, jeune et aimable princesse , dont la douceur relevoit la beauté. Ayant été blessé d'une flèche empoisonnée , les médecins lui déclarèrent qu'il ne pouvoit guérir qu'en faisant promptcment sucer sa blessure. «Mourons donc, dit« il : je ne serai jamais assez cruel et assez injuste « pour souffrir que quelqu'un s'expose à mourir pour « moi. » Sy bille prit le temps de son sommeil, suça sa plaie , et perdit la vie en la sauvant à son époux. 21. Après la mort A' Auguste, on demandoit à l'impératrice Livie, son épouse, par quels moyens elle avoit pu captiver si constamment le cœur de ce prince : « Us « sont tout simples , répondit-elle ; j'ai vécu dans une « scrupuleuse chasteté ; j'ai prévenu tous ses désirs ; « je me suis empressée d'exécuter ses volontés ; jamais « je n'ai eu l'indiscrète curiosité de connoître ses « actions ; et je ne lui ai pas plus parlé de ses galan« teries , que si je les eusse entièrement ignorées'. » 22. Louis Vives rapporte, dans son second livre de la Femme Chrétienne, qu'il en a connu une digne des éloges de son siècle et de l'admiration de la postérité , mais il n'a pas eu l'attention 'd'en dire le nom , ni la patrie.Elle étoit jeune,belle, appliquée à son ménage, et d'une naissance distinguée.Son mari qui l'avoit éperdument aimée ayant leur union., se refroidit quelques
�AMOUR
CONJUGAL:
I35
mois après , et s'attacha à une autre femme qui, par l'a figure, les qualités du cœur et de l'esprit, étoit de beaucoup inférieure à la sienne. Il abandonnoit sa maison pour passer des jours entiers avec elle ; et sa vertueuse épouse n'ignoroit pas le motif de ses fréquentés absences. Elle borna sa vengeance à être vertueuse encore, et à n'opposer qu'une constante douceur , qu'une aimable prévenance à l'ingratitude de son infidelle époux : elle lui déroboit même les larmes que sa douleur la forçoit de répandre ; mais ses frères furent moins tolérans qu'elle : ils voulurent punir les outrages que lui faisoit son mari ; et, quoiqu'ils cachassent leur projet à celle même qu'ils avoient résolu de venger , elle apprit que , durant la nuit suivante , ils dévoient se mettre en embuscade , pour surprendre et assassiner son mari au sortir de chez sa maîtresse. Elle le prend aussitôt en particulier , et lui dit : « Je « vois, mon ami, que vous n'êtes plus maître de votre « coeur : ma rivale le possède tout entier. Je ne vous « en fais point un crime ; je ne me permets aucun re« proche : hélas ! vous êtes plus à plaindre qu'à blâ« mer : est-on maître de ses sentimens ? Mon devoir, « mon attachement pour vous me forcent de vous « avertir qu'on en veut à vos jours , et qu'on doit « vous attaquer la nuit, en sortant de chez cette « femme. Mettez , je vous en conjure , votre vie à « l'abri du danger ; et puisqu'il ne vous est pas possi« ble de renoncer à votre maîtresse , amenez-la ici ; « je la recevrai comme une soeur. Si vous sentez quel« que répugnance à v«ir votre femme à côté d'elle, je « lui abandonnerai la maison toute entière ; mais, au « nom de Dieu , hàtez-vous de suivre le conseil que « je vous donne. » Le mari , cédant en rougissant à sa crainte et à son amour , installa sa maîtresse auprès de son épouse , qui la reçut avec une bonté qui augmenta sa confusion , sans guérir son coeur. Elle eut pour cette concubine tous Tes égards , toutes le prévenances qu'auroit méritées une femme honnête ; elle poussoit même l'attention jusqu'à aller chaque jourrendre visite à son impudique rivale , et se contentoit de U
�l36
A M O U R PATERNEL.
dire quelquefois à son mari : «Vous pouvez à présent « jouir sans contrainte et sans danger de l'objet de « votre amour.» Une année entière se passa sans que cet époux ingrat allât voir sa femme , sans même qu'il lui donnât laplus légère marque d'amitié 5 toute sa tendresse étoit épuisée pour sa maîtresse : mais enfin sa raisonl'éclaira.Vaincupar l'héroïque générosité de son épouse , il ouvrit les yeux sur ses vertus, et sur la bassessed'ame de samaîtresse.Enlui rendant justice,il lui rendit son creur, chassa la concubine, et la détesta avec autan t d'emportem en t qu'il l'avoit aimée : mais son épouse, oubliant les chagrins qu'elle lui avoit causés, pour ne songer qu 'à l'affreuse misère où elle la voyoit )longéc , voulut lui assigner une somme qui la mît à 'abri de l'extrême indigence. Le mari y consentit. Etonné lui-même de son aveuglement, il chercha à réparerses torts parsessoins,scsassiduités etsatendresse.
J
AMOUR
1
PATERNEL.
"J'ÉTOTS avec le philosophe Phavorin , dit AuluGelle , lorsqu'on lui apprit que la femme d'un de ses Plus zélés disciples venoit de mettre au monde un fils. « Allons , dit le sage , allons visiter l'accouchée , et « féliciter le père. » G'étoit un sénateur d'une famille distinguée-Nous l'accompagnâmes etfmnesreçus avec Politesse. Phavorin , après avoir embrassé le maître du logis , et lui avoir fait son compliment , prit un s iége ; ensuite , il s'informa comment s'étoit passé l'accouchement ; et voyant que la dame, accablée de fatigue , prenoit quelque repos , il profita de ce moment pour converser plus au long. « Sans doute , dit« il, que votre épouse nourrira ce fils de son lait?»La mère , qui étoit présente , répondit qu'il falloit ménager sa fille, et faire venir des nourrices à l'enfant, de crainte qu'après les douleurs de l'enfantement on n'altérât sa santé , en y ajoutant la charge de nourir par elle-même. «Ahlmaclame, interrompit le philosophe, « laissez , je YOUS prie , à votre fille l'honneur d'être
�ï3/ « tout-à-fait l«i mère de son fils, car mettre au monde, « et écarter aussitôt son fruit loin de soi ; nourrir de sa « propre substance dans ses entrailles un être qu'on « ne voi t point ; et quand on le voit , lui refuser un « lait donné pour lui, et qu'il reclame par ses pre« miers cris , ce n'est être mère qu'à moitié. » 2. La mère de S. Louis, roi de France , la célèbre Blanche de Castille, allaita son fils avec un soin et une tendresse qu'elle porta jusqu'à la jalousie , ne voulant pas que le petit prince fût nourri d'un autre lait que le sien. Elle fut malade; et dans l'accès de sa fièvre , qui dura long-temps , une dame de la cour qui imitoit sa conduite , et nourrissoit aussi son fils , donna sa mamelle à Louis , qui la prit avidement. Blanche , à la fin de son accès , demanda le prince, et lui présenta le sein. Mais surprise qu'il le refusât, elle en soupçonna la cause , et demanda si l'on avoit donné à teter à son fils ? Celle qui lui avoit rendu ce petit office s'étant nommée , Blanche , au lieu de l'en remercier , la regarda avec dédain , mit le doigt dans, la bouche de l'auguste enfant, et lui fit rejeter le lait qu'il avoit pris. Comme cette action un peu violente, étonnoit ceux qui la virent : « Eh quoi ! leur dit-elle ,. « prétendez-vous que je souffre qu'on m'ôte le titre « de mère , que je tiens de Dieu et de la nature ? » 3. Jamais père ne fut peut-être plus sensible et plus tendre que Calon l'ancien. Ce thomme sévère, ce rigide, réformateur des mœurs romaines , n'éprouvoit point de satisfaction plus vive que celle de voir lever , nettoyer , emmaillotter son fils nouvellement né. Tous les soirs il assistoit à cette espèce de toilette. Souvent il y mettoit lui-même la main : il sourioit à l'enfant; ille caressoit,il i'endormoit lui-même dans son berceau.Lorsqu'il le vit en état d'être appliqué aux études, il voulut être son précepteur , son gouverneur , son maître , et ne permit jamais que personne partageât avec lui ce qu'il appeloit le premier, le plus essentiel de ses devoirs. Ln de ses amis lui conseilloit de se décharger sur un esclave instruit et honnête homme , d'une partie de ce soin pénible et rebutant : « Il n'est ni
AMOUR PATERNEL-
�l38
AMOUR
PATERNEL.
« pénible , ni rebutant, répondit-îl ; et quand il le « seroit; croyez-vous qne je verrois tranquillement un « esclave tirer les oreilles à mon fils '? » 4* Par quels tendres soins, par quelles douces complaisances l'amour paternel sait se manifester! Agé■silas, roi de Lacédémone, l'un des plus grands princes qu'ait jamais eu la Grèce , sembloit oublier dans le sein de sa famille toute la grandeur qui l'environnent, pour se livrer aux aimables caresses d'un fils encore ènfant ; et la Grèce voyoit avec surprise ce monarque, la terreur des ennemis de Sparte , courir à cheval sur un bâton, pour amuser l'héritier de son trôné. Un plaisant fut un jour témoin de cette scène, ridicule aux yeux d'une amc vulgaire , et s'avisa d'en rire en présence d'Agésilas. « Mon ami, lui dit ce prince, tais« toi pour le présent : attends que tu sois père pour << te moquer de ceux qui le sont. » 5. L'immortel Racine n'étot jamais si content, que quand , libre de quitter la cour où son génie l'avoit rendu nécessaire, il pouvoit venir passer quelques jours àvec ses enfans. En présence même des étrangers, il osoit être père. Il étoit de tous les jeux de sa jeune famille. Souvent il formoit avec elle des processions enfantines , dans lesquelles ses petites tilles étaient le clergé ; ses fds , le curé et le vicaire ; et l'auteur d'Athalie , chantant avec eux , portait le croix. Un jour qu'il revenoit de Versailles pour goûter auprès de son épouse et de ses enfans quelques instans de plaisir, un écuyer de M. le duc vint lui dire qu'on l'attendoit à dîner à l'hôtel de Condé. « Je n'aurai « point l'honneur d'y aller, lui répondit-il. Il y a plus « de huit jours que je n'ai vu ma femme et mes enfans-, « qui se font une fête de manger aujourd'hui avec moi « une très-belle carpe : je ne puis me dispenser de « dîner avec eux. » L'écuyer lui représenta qu'une compagnie nombreuse, invitée au repas du prince, se faisoit une fête de l'avoir, et que son altesse seroit mortifiée s'il ne venoit pas. Racine fit aussitôt apporter la carpe qui coûtait environ un écu 5 et la montrant à l'écuyer : « Jugez vous-même , lui dit-il, si je puis
/ !
'
' '
�AMOUR
PATERNEL.
J
%
« nie dispenser de dîner aujourd'hui avec ces pauvres « enfans qui ont voulu me régaler, et qui n'auroient « plus de plaisir, s'ils mangeoient ce plat sans moi. Je « vous prie de faire valoir cette raison à son altesse « sérénissime. » L'écuyer la rapporta fidellemcnt 5 et l'éloge qu'il fit de la carpe , devint celui de la bonté du père, qui se croyoit obligé de la manger en famille. 6. Henri d'Albret, roi de Navarre, quelque temps avant l'accouchement de Jeanne d'Albret, sa fille, tira de son cabinet une boîte d'or , et lui dit dans le langage simple et familier de son temps : « Ma fille , « cette boîte , avec ce qu'elle renferme , est à toi, si « en accouchant, tu me chantes une chanson gas« conne. » Le moment de l'accouchement arrivé , le roi Henri fut averti comme il l'avoit demandé ; et la princesse le voyant entrer, se mit à chanter ce cantique en langue Béarnoisc : Nostre-Dame de ou cap de ou pon , adjuda mi en aquesta houre. « Notre-Dame du « bout du pont, aidez-moi à cette heure. » A peine le cantique fut-il fini , que la princesse donna naissance à Henri IV. Le roi de Navarre mit aussitôt la chaîne au cou de sa fille , lui donna la boîte où étoit son testament, en lui disant : « Voilà qui est à vous , « ma fille ; mais , ajouta-t-il en prenant l'enfant dans « sa robe , ceci est à moi. » Il lui frotta les lèvres avec de l'ail : « Mon fils , lui dit-il , je veux que tu « sois un bon compagnon ; » puis il l'embrassa tendrement , et communiqua sa joie à tout son peuple. 7. Un homme ayant appris que son fils conspirait sa mort, commença par demander à sa femme si elle ne l'avoit point trompé , la conjurant de lui dire si ce fils étoit véritablement le sien. La femme l'en assura parles plus grands serrnens. S'é tant éclairei de là sorte, il mène avec lui ce fils dans un lieu désert ; et tirant de dessous sa robe un poignard : « Tiens , lui dit-il, << contente ta fureur ; ôlc la vie à celui qui te l'a « donnée. » Le fils, frappé de ces paroles comme d'un « coup de foudre , tombe aussitôt aux genoux de son père , et le conjure de se servir de ce poignard contre un fils coupable. Le père le relève , le console, l'embrasse; ctils reprennent ensemble le chemin delaville.
�i4° AMOUR PATERNEL. 8. Fabius Maximus , surnommé Rullianus , l'un des plus grands capitaines de l'ancienne Rome, après avoir rempli avec éclat les plus brillantes dignités de la république, après avoir été cinq fois consul, jouissoit dans sa vieillesse d'un repos honorable : cependant l'amour paternel l'engagea à se faire le lieutenant de son fds. H l'accompagna dans une guerre longue et difficile , l'aidant de sa prudence et de ses conseils. Le jeune homme l'ayant heureusement terminée , on vit ce vénérable vieillard suivre à cheval le char victorieux de son fils, qu'il avoit autrefois porté entre ses bras dans les jours de ses triomphes. g. Bajazet I, empereur de Turcs , ayant appris la mort de son fils Ortogule , à qui Tamerlan avoit fait couper la tête dans la ville de Sébaste , s'abandonna à la plus vive douleur. Il jura la perte de Tamerlan, et s'avança pour le combattre. On rapporte que pendant la marche de son armée , il vit un berger sur une colline voisine, qui, à l'abri de l'avidité du soldat '-par sa pauvreté , jouoit paisiblement de sa flûte. Le sultan s'arrêta quelques momens pour l'écouter. Pénétré de sa douleur, et enviant peut-être le sort de ce pâtre : « Berger, lui dit-il, je te prie que le refrein « de la chanson soit désormais de répéter ces mots : « Malheureux Bajazet, tu ne verras plus ton cher « Jlls Ortogule , ni la ville de Sébaste ! » 10. Antiochus, fils de Séleucus, roi de Syrie, épérdument amoureux de Stratonice sa belle-mère, n'osoit avouer cette passion désordonnée. Ne pouvant plus supporter le tourment que lui causoient ses aveugles désirs , il prit la parti de feindre line maladie inconnue, et de se laisser éteindre par le défaut d'alimens. Erasistrate , médecin du roi , passoit des journées entières dans la chambre du malade, pour lui dérober son secret, s'il étoit possible. Il observoit ses regards, il épioit ses mouvemens. Il aperçut à divers symptômes , que l'amour seul causoit la maladie du jeune prince. Pour en connoître l'objet, il fit approcher de son lit toutes les femmes du palais, et tenant en même temps son bras , il jugeoit par le battement du pouls,
�AMOUR
PATERNEL.
1^1
de l'impression que chacune faisoit sur son cœur. Il fut assez tranquill e à l'approche de toutes les autres femmes; mais dès que Stratoniee parut, tous ses sens commencèrent à s'agiter ; sa respiration devint embarrassée et plus fréquente ; ses joues s'enflammèrent, et une sueur froide se répandit par tout son corps. Le médecin ne douta plus qit1' Antiochus ne fût amoureux de Stratoniee. Il comprit que le respect l'avoit empêché de découvrir sa passion, et qu'il alioit hientôt être consumé par ce feu secret, si l'on n'en arrêtoit les progrès rapides. Pour procurer à ce jeune prince ce qu'il désiroit avec tant d'ardeur , il usa du stratagème le plus ingénieux. « Seigneur, dit-il à Séleucus, la maladie de votre fils « n'est autre chose qu'un amourtrès-violent, mais sans « remède, puisqu'il ne peut être satisfait.—Comment, « un amour sans remède! s'écria Séleucus étonné. — « Oui, seigneur, sans remède, car il est amoureux de « ma femme. — Quoi donc ! mon cher Erasistrate , « étant mon ami comme vous l'êtes, vous ne céderiez « pas votre femme à mon fils , ce fils que j'aime si « tendrement; ce fils, mon unique espérance; ce fils, « hélas ! que je vais perdre sans vous ? — Mais voiiSj « seigneur, vous qui êtes son père, lui abandonneriez« vous Stratoniee , s'il en étoit amoureux ? — Ah 1 « plût au ciel qu'un dieu favorable changeât la passion « de mon fils , et substituât la reine à la place de « votre femme ! Non-seulement! je sacrifierais mon « épouse ; mais je donnerois tout mon royaume , pour « sauver un fils qui m'est sicher. » Le roi prononça ces dernières paroles avec une si grande effusion de cœur, quJErasistrate ne balança plus à découvrir la vérité. « Seigneur, dit-il à Séleucus , vous n'avez ici besoin <i que de vous-même pour guérir votre fils. Il est « amoureux de Stratoniee ; il languit, il brûle , il « meurt pour elle : voilà son mal; le remède est entre « vos mains ; voyez ce que vous pouvez faire. » Le monarque , qui chérissoit tendrement son fils, ne balança point ; et n'écoutant que l'amour paternel qui parloit à son cœur, il lui fit épouser Stratoniee. Les lois payennes, moins sévères que celles de l'Evangile sur la
�AMOUR
PATERNEL,
sainteté du mariage et l'honnêteté des mœurs , ne le regardoicnt au fond que comme un contrat conditionnel et révocable , souvent arbitraire pour les princes. il. Foulques II, comte d'Anjou, avoitpour Géfroi son fils une amitié si tendre , qu'il lui céda la souveraineté, En le mettant sur son trône , il lui dit : « O « mon lîls, regardez la couronne dont je me prive pour « vous, comme la plus grande preuve de matendresse ; « mais prenez garde que ce sacrifice ne devienne pour « Foulques un motif de haine et d'horreur contre. « Géfroi. En vous cédant ma dignité, je vous rends le « père de tous vos su jets : vous devez répandre sur tous « indistinctement la féconde rosée de vos bienfaits : « vous ne devez faire connoître votre pouvoir qu'en « protégeantPinnocence et en punissant le crime. Vous « devez sacrifier votre intérêt personnel à l'intérêt « public , imposer silence à vos passions , donner « l'exemple de toutes les vertus, etprouver à tous ceux « qui vous obéissent, que vous êtes autant au-dessus « d'eux par votre sagesse que par votre dignité. Tels « sont vos devoirs, mon cher fils. Si vous les violez, « je ne vous connoîtrai plus, et vous ne trouverez en « moi qu'un père inexorable, autant appliqué à vous « faire du mal, qu'il l'est maintenant à vous faire du « bien.» Ayant dit ces mots, Foulques se retira dans un couvent, pour passer le reste de ses jours dans les exercices de piété, et se préparer à paroitre devant le juge des souverains. Géfroi oublia bientôt les conseils de son père , accabla ses sujets d'impôts , et les traita avec la plus horrible cruauté. Leurs plaintes et leurs gémissemens pénétrèrent jusques dans la retraite de Foulques. Ce vénérable vieillard sort du couvent, rassemble son peuple , l'excite à la vengeance, et lui promet de ranimer , pour le délivrer de l'oppression, tout ce qui lui reste de vigueur. A peine Géfroi fut-il instruit de la démarche de son père , que rentrant en lui-même, il courut se jeter à ses pieds pour implorer sa clémence. L'indignation de Foulques étoit à son comble : il ne fut pas maître des premiers mouvemens, et posant le pied sur son fils, il lui dit : « Je gémis de
�AMOUR PATERNEL. l/j3 «. nié voir forcé de te réduire à cette humiliation. >> Géfroi lui répondit : « O mon père, je ne suis point « affligé de la recevoir, mais de l'avoir méritée. Tout « autre que vous payerait de sa vie une telle leçon ; « mais en la recevant de vous , elle me corrige pour « toujours. » Foulques reprit : « Ta soumission, tes « promesses désarment mon courroux : recois de non« veau la couronne ; mais souviens-toi de ne choisir « désormais pour guides que la douceur et la prudence; « ô mon fils, c'est ton père qui t'en conjure. » Géfroi ne s'occupa plus que du bonheur de ses sujets : il, mérita leur amour et la tendresse de son père. 12. Conaxa, vieillard fort riche , plein d'un tendre amour pour ses deux fils , se défit en leur faveur de tous ses biens , espérant qu'ils continueraient de le respecter, et qu'il pourrait passer avec eux tranquillement le reste de ses jours. 11 ne fut pas long-temps sans s'apercevoir qu'il s'étoit trompé. Ses deux fils lui faisoient sentir à chaque instant qu'un homme dont on n'a plus rien à attendre , est un fardeau très-incommode. Le pauvre vieillard, au désespoir d'être la victime de sa trop grande bonté , se transporta secrètement chez un de ses amis, et lui fit part de sa triste situation. « Vous la méritez , lui dit cet ami : vous « avez fait une grande faute ; mais il faut tâcher de la « réparer. Voici comment nous devons nous y prendre. « J'enverrai tantôt chez vous un homme avec un sac « rempli d'argent : vous laisserez entrevoir aux deux «■ ingrats que c'est le fermier d'une terre que vous « vous êtes réservée , et s'ils se laissent pendre par ce « stratagème , vous pouvez compter qu'ils changeront « de conduite à votre égard. » Conaxa bien content, en revint à la maison. Tandis qu'il étoit à table avec es enfans , le prétendu fermier arrive, et demande à arler à Conaxa. Le vieillard se retire dans sa chambre vec le porteur de sac, ferme la porte, se met à compter es écus sur la table , et a grand soin de bien faire onner l'argent. Les deux fils , qui écoutaient à la Qrte , furent extrêmement surpris de voir que leur ère avoit encore des espèces. Quand le bon homme
�l/(4 AMOUR FILIAL. se fut remis à table , ils lui dirent : « Il paraît, moi « père , que vous ne nous avez pas cédé tout votre « bien , et que vous vous en êtes réservé une bonne « partie. — Vous ne vous êtes pas trompés , leur ré« pondit-il ; et j'aurois été bien à plaindre si je n'avois « pas pris une si sage précaution. J'ai voulu vous « éprouver , et j'ai eu la douleur de ne voir en vous « que des fils ingrats. Il me reste encore des biens « assez considérables ; mais je ne prétends les laisser « qu'à celui de vous deux qui aurales meilleures façons « pour moi. » Les deux fils promirentde se mieux comporter à l'avenir, et n'eurent garde de manquer de parole. Ils disputaient à l'envi à qui gagnerait les bonnes grâces de leur père. Jamais le bon vieillard n'avoit été si heureux. Lorsqu'il fut sur le point de mourir , il les fit venir, et leur dit, en leur montrant un coffrefort : « Vous trouverez là un testament par lequel je « déclare mes dernières volontés. » Aussitôt que Conaxa eut rendu les derniers soupirs, ils ouvrirent promptement le coffre-fort , où ils espéraient puiser l'or et l'argent à pleines mains. Quelle fut leur surprise , quand ils ne trouvèrent qu'une massue, avec un écrit concu-en ces termes : « Je laisse cette massue pour « casser la tête à tous les pères qui feront la folie de se « dépouiller de leur bien en faveur de leurs enfans. »
,
^\XX\\\'V'VX'VX-V%%-V*-V'V'tX'\\-VX'V'V'V'V'V'V'V'V\X'V \.XV'VXV\'V'V'V'V\'V"\,'VXXX'V'V-V"\.XA,'\.V'V\\\l
A M,0 U R
F I L I A L.
i. APRÈS la lecture d'une lettre à'Antipater, Vu des capitaines à' Alexandre-le-Grand, qui contenoi beaucoup de plaintes contre Olympias , mère du m" narque : « Antipater, dit ce conquérant, ignore san. « doute qu'une seule larme de ma mère peut efface « tous ces reproches. » 2. Le célèbre Coriolan, par son caractère inflexibl et hautain, avoit soulevé contre lui tous les habitans d Rome. Une cabale puissante le fit condamner à l'exil Le fier patricien sortit de l'assemblée avec la mêi» tonquillil
�ti î 1 L. l/p tfanqùillité que s'il eût été absous; et roulant dans sou esprit des sentimens de vengeance , il quitta sa patrie sans rien dire , et se réfugia chez les Volsques. On 1» reçut à bras ouverts : il offrit ses services ; On les accepta avec joie ; on le choisit pour général. A la tête d'une armée nombreuse, il se met en campagne.Tout se soumet à son approche. La fortune, qui jusqu'alors avoit accompagné les étendards romains , passe toutà-coupsousles dràpeauxde Coriolan. Les villes ouvrent leurs portes : les peuples se dispersent, ou reçoivent le joug des nouveaux Vainqueurs. Bientôt il ne reste >lus aUx Romains que Rome même; Coriolan en formé e siège : la consternation se répand dans la viîle< Lè sénat et le peuple conviennent également d'envoyer des députés pour demander la paix. Les personnages les plus respectables, sénateurs, consulaires, prêtres, augures , sont chargés tour-à-tour de cette difficile ambassade. Trois fois ils se prosternent aux pieds du vainqueur, qui les reçoit avec la fierté d'un ennemi qui vent donner la loi : leurs supplications sont inutil es. Ils s'en retournent sans avoir rien obtenu. On croit la république à la veillé de sa ruine. Le désespoir est à son comble ; on ne sait plus quel parti prendre. Les dames romaines prièrent alors Véturie, mère de Coriolan, et sa femme Volomnië, d'aller elles-mêmes faire un dernier effort sur ce cœur inflexible. Ces deux dames accompagnées de plusieurs autres, montèrent dans des chariots que les consuls leur avoient fait préparer , et prirent sans escorte le chemin du camp. On vint dire à Coriolan que sa mère, son épouse, et un grand nombre d'autres femmes s'avançoicnt vers lui : il comprit que c'étoit la dernière ressource que l'on employoit pour le fléchir , et résolut d'avoir pour ces femmes vénérables, tous les égards qui leur étaient dûs ; mais de ne leur accorder au fond aucune de leurs demandes. Il comptait sur une dureté dont son cœur ne fut point capable. Il n'eut pas plutôt reconnu sa mère et sa femme à la tête de cette troupe de Romaines, que, saisi et ému, il courut avec précipitation les embrasser. Jjçs uns et les autres n'exprimèrent d'abord la joiequ'ils Tome £ R
ÀMOÙR El
f
�l46 AMOUR FILIAL, avoien t de se revoir que par 1 es larmes. Mais après qu'oa tonne quelques instans à ces premiers mouvemens, de la nature , Véturie voulant entrer en matière , Coriolan , pour ne pas se rendre suspect aux Volsques , fit appeler les principaux officiers de son armée , afin qu'ils fussent témoins de ce qui se passerait dans cette négociation. Ils ne furent pas plutôt arrivés, que Véturie prenant la parole , le conjura, ou nom des Dieux, de procurer la paix à sa patrie, et de tourner ailleurs l'effort de ses armes. Coriolan lui répondit qu'il offenserait ces mêmes Dieux qu'il avoit pris à témoin de la foi qu'il avoit donnée aux Volsques , s'il lui accordoit une demande aussi injuste. Véturie ne se rebuta point: elle le pressade nouveau par un discours pathétique, ou elle fit parler la patrie et la nature, et qu'elle termina par ces mots : « Si mes prières et mes larmes ne sont « pas capables de te fléchir, ô mon fils ! vois ta mère « à tes pieds qui te demande le salut de ta patrie. » En même temps elle lui embrassoit les genoux, fondant en larmes : sa femme et ses enfans en firent autant, et les femmes romaines qui les accompagnoient, demandèrentgrace parleurs larmes et par leurs cris. Coriolan. transporté, et comme hors de lui-même de voir Véturie à ses pieds , s'écria : « Ah ! ma mère , que faites« vous ?.... » et lui serrant tendrement la main en la relevant : « Rome est sauvée , lui dit-il ; mais votre « fils est perdu ; » prévoyant bien que les Volsques ne lui pardonneraient pas la déférence qu'il alloit avoir pour ses prières. Il la prit ensuite en particulier avec sa femme, et il convint avec elles, qu'il tâcherait de faire consentir les principaux officiers de son armée à lever le siège. 11 se sépara ensuite de ces deux personnes chéries , après les avoir tendrement embrassées , et ne songea plus qu'à procurer une paix honorable à sa patrie. Il assembla le lendemain le conseil de guerre. Il y représenta la difficulté de former le siège d'une place où il y avoit une armée redoutable pour garnison, et autant de soldats qu'il s'y trouvoit d'habilans ; et il conclut à se retirer. Personne ne contredit son avis, quoiqu'après cequis'étoit passéon ne put pas ignorer
�AfflOCR
f I t I AL.
je motif de sa retraite. L'armée se mit en marche ; et les Volsques, plus touchés de ce respect filial que de leurs propres intérêts, se retirèrent chacun clans leurs cantons. On ignore la manière précise dont Coriolan finit ses jours. Les uns veulent qu'il mourut dans une extrême vieillesse, estimé, honoré, chéri de ses nouveaux compatriotes. Les autres prétendent qu'il fut tué dans une émeute ; et c'est le sentiment le plus suivi. 3. La victoire de Leuctres avoit attiré sur Epaminondas les yeux et l'admiration de tous les peuples voisins , et le faisoit regarder comme l'appui et le restaurateur de Thèbes , comme le vainqueur et le triomphateur déJSparte, comme le libérateur de toute la Grèce; en un mot, comme le plus grand homme et le plus habile capitaine qui eût jamais existé. Au milieu de cet applaudissement universel, si capable de causer dans l'esprit d'un général d'armée une sorte d'ivresse , Epaminondas, peu sensible à une gloire si flatteuse et si bien méritée : « Ma joie , dit-il, est « celle que je sais que causera à mon père et à ma « mère la nouvelle de ma victoire. » 4- Pendant qn'Antigonus, roi d'une partie de l'Asie, donnoit audience à des Ambassadeurs, son fils Démétrius, qui revenoit de la chasse , le vint trouver , le salua, l'embrassa, et s'assit auprès de lui. Le monarque alors , arrêtant les ambassadeurs qui se retiraient : « Seigneurs, leur dit-il, vous ajouterez à ce quejevous « ai répondu, que voilà comment nous vivons , mon <(. fils et moi. » Son union avec son fils lui paraissant le plus ferme appui de sa puissance, il vouloit qu'elle fût bien connue de ceux avec qui il avoit quelque intérêt à démêler. C'est de ce Démétrius que descendirent les princes qui régnèrent en Macédoine , jusqu'à Persée, sur qui les Romains conquirent ce royaume ; et le judicieux Plutarque observe que cette maison royale fut la. seule de toutes celles issues des capitaines à'Alexandre où l'on ne vit point les pères se défaire de leurs fils , ni les fils attenter auxjoursde leurs pères, jusqu'à Philippe, père de Persée, qui fit mourir son t]]à]Qëftiètrius. ï>,Ebusse, veuve du consulMénénius-Agrippa, possé*
�AMOUR
FÎLlAL.
dant un bien très-considérable, institua saûllePétrohia seule héritière, et ne laissa que vingt-mille écus aux fils à'Afranie, son autre fille, quoique les deux sœurs fussent également dignes, par leur mérite, de la tendresse de leur mère, Afranie ne voulut point opposer à sa sœur la ressource que la loi lui fournissoit , de rouver devant les centumvirs , qu'elle avoit été déséritée sans aucune cause. Elle aima mieux honorer les dernières A'olonlés de sa mère , que de les faire déclarer nulles par les juges ; et pleine de tendresse pour celle qui lui avoit donné le jour , elle fit voir aux hommes , par son exemple , qu'on doit chérir ses parens » lors même qu'ils n'ont point observé à notre égard lès lois d'une équité rigoureuse. 6. Ferdinand , roi d'Aragon , père à'Alphonse V, étant sur.le point de mourir, pria ce fils aîné , qu'il laissoit héritier de sa couronne, de souffrir que Jean, son cadet, eût le royaume de Castille pour son partage. « Mon père , répondit Alphonse , la gloire de vous « obéir me sera toujours plus chère que mon droit « d'aînesse. Si vous jugez que mon frère remplisse « mieux votre place que moi, je consens que vous lui « donniez tous vos royaumes : je suivrai vos ordres « comme ceux de Dieu même. » Ces paroles attendrirent si fort le cœur de Ferdinand , qu'il mourut en versant des larmes de reconnoissance sur ce bon fils. 7. Antigonus I, roi de Macédoine, surnpmmé Gonatas, avoit une tendresse extrême pour le roi Démétrius JPoliorcètes son père. Ce prince ayant été pris dans une bataille, lui fit dire par un de ses amis, de n'avoir aucun égard à ce qu'il pourroit ordonner dans ses lettres , si par hasard Séleucus, dont il étoit prisonnier, le forçoit de lui écrire, et de se bien garder de lui livrer aucune des villes qu'il tenoit. Antigonus, agissant plus en bon fils qu'en politique habile, écrivit à Séleucus, qu'il lui céderoit tout ce qu'il possédoit, et se donneroit luimême en otage s'il vouloit remettre Démétrius en liberté. Cette négociation fut inutile, etDémétrius mourut dans sa prison. Dès qu'Antigonus en eut reçu la triste nouvelle, il demanda le corps de son père à Sé-
E
\
�AMOUR
FILIAL.
l4#
hucus, etpartitavectoutesaflotte,pourl'al]errecevoirI] rencontra dans la route le vaisseau qui Fapportoit. A sa vue, il répandit tant de larmes, que tout lé monde en fut saisi d'admiration et de pitié. Pendant le reste du voyage, il se tint debout sur la poupe , vêtu de deuil, sans détourner les yeux de dessus l'urne d'or qui renfermoitla cendre de son père. Des musiciens chantoient d'un ton lugubre les louanges du mort : le bruit des rames sembloit s'accorder avec cette triste harmonie ; et tout, jusqu'aux cris des nochers, exprimoitla douleur. 8. Ferdinand II régnoit à Léon , vers l'an 1 r5/ : il épousa Urraquefilleà? Alphonse I, roi dePortugal,eten eut plusieurs enfans, du nombre desquels îvxtAlphonse VI, qui lui succéda au trône de Léon. Ferdinand vécut jusque dans un âge fort avancé, et fut accablé de toutes les infirmités qui suivent la vieillesse. Alphonse remplissoit auprès de lui les devoirs du fils le plus tendre, et ne le quittoit que pour aller veiller aux besoins de l'état, dont son père lui avoit confié le gouvernement. Ferdinand, pour ne point attrister ce prince , lui cachoit une partie de ses maux : quand ses douleurs lui donnoient un peu de relâche, il se faisoit transporter dans les jardins du palais, disant à son fils que ses forces revenoient, et que sa santé étoit meilleure qu'elle ne >aroissoit.Un jour, il apprit qu'Alphonse ayant vaincu es Maures, revenoit triomphant, et qu'il approchoit de la capitale.L'auguste vieillard ordonna qu'on le mît dans une litière, qu'on le portât au-devant de son fils, afin qu'à la satisfaction que lui causoit sa victoire, se joignît celle de voir que son père jouissoit d'une aussi bonne santé que son âge le permettait. Aussitôt qu'^Zphonse l'aperçut, il descendit de cheval, courut à sa rencontre , la joie peinte sur le visage : il accompagna la litière à pied. En vain son père lui fit les plus vives instances pour l'engager ài-emonter sur son cheval; en. vain il lui dit qu'il n'étoit pas juste qu'il allât à pied , quand tous ceux qui l'accompagnoient étoient à cheval. « Ils ne sont pas vos fils, » répondit Alphonse; et il continua de marcher à pied. Lorsqu'ils furent arrivés au palais, il prit lui-même son père entre ses bras ,Je-
{
�j5d
AMOUR
FILIAL,
transport a de la litière dans son appartement, lui fit les caresses les plus tendres, et lui dit : « Mon père, vous « connoissez ju squ'où va votre tendresse pour moi ; mais « vous ignorez jusqu'où va la mienne pour vous. Elle « ne se Lornoit pas à vous accompagner à pied : j'étois « jaloux du service que vous rendoient vos dômesti« ques , en portant votre litière. J'ai été plusieurs fois « tenté de leur dire de s'arrêter , et de vous prendre « sur mes épaules , afin que mes pieds servissent à « vous porter, » Ferdinand ne répondit que par des larmes. Son fils jouit encore quelque temps du bonheur de le posséder; mais énfin il le perdit. Il lui fit faire de pompeuses funérailles : il en étoit lui-même le plus touchant ornement ; il suivoit le corps de son ère en habit de deuil , les cheveux épars , la tête aissée , et versant un torrent de larmes, g. Louis de Bourbon, comte de Montpensier, étapt entré en Italie avec l'armée française , n'eut rien de plus pressé que de se rendre à Pouzzoles, au tombeau de son père mort en i4Q6< H y fait faire un service magnifique , et ordonne de lever la tombe, afin d'avoir la consolation d'arroser de ses larmes les cendres d'un père qu'il avoit tant aimé. Ce spectacle le frappe si vivement, qu'il en expire de douleur. Le corps de ce jeune prince, réuni à celui de son père, fut apporté en France , et déposé dans la chapelle de S. Louis d'Aigue-Perse.Samort répandit la tristesse dans toute l'armée : on y louoit sa rare bravoure, et l'on admiroit encore plus la bonté de son cœur. On l'appeloit le héros de la tendresseJiliale. IO. Après avoir soutenu sa patrie contre les efforts des Perses , après avoir bravé mille fois la mort pour sa grandeur et pour sa gloire, Miltiade se vit accuser de trahison pour prix de ses services , condamner à perdre la vie , malgré son innocence , et à être jeté dans le Barathre , lieu terrible , où l'on précipitoit à Athènes les coupables convaincus des plus grands crimes.Le magistrat s'opposa à l'exécution d'un jugement si inique. Toute la grâce qu'on fit au libérateur , au défenseur de la patrie, fut de commuer la sentenee de
�AMOBR FILIAL^/^"SkSîN en une amende de cinquante mille écus.ÇommV" il étoit hors d'état de la payer, il fut mis. en pr^lteJ où bientôt il mourut des blessures qu'il^oi^reçueé;' en combattant. Cimori, fils de cet illustre oc^dàmne^' quoique très-jeune encore , signala dans ceuenrCcasion sa piété , comme il signala dans la suite son courage. Il ache ta la permission d'ensevelir le corps de son père , en payant pour lui les cinquante mille écus ; somme qu'il ramassa du mieux qu'il put dans la bourse de ses parens et de ses amis. 1 x. Le fameuX Manlius Torquàtus , l'un des plus grands capitaines de Rome, païoissoit, dans sa jeunesse, imbécille et stupidè. Son père, le voyantpeu propre aux emplois de la république , l'avoit rélégué à la campagne. Les tribuns prirent de là occasion de l'accuser de cruauté envers son fils. Le jeune homme ayant appris le danger de son père , vint secrètement à Romé , et cachant un poignard sous sa robé , il se rendit chez l'accusateur. L'ayant trouvé seul, il tire son poignard, et le lui appuyant sur le sein : « Tu. es mort, dit-il, « si tu ne jures de te désister de ta poursuite contre « mon pè're. » Le tribun, effrayé , jura tout ce qu'on voulut, et le jeune Manlius s'en retourna à la campagne , que son mérite lui fit bientôt abandonner.. 12. Après la bataillé d' Actium, Auguste, vainqueur t fit la revue des prisonniers. Métellus , un de ses plus cruels ennemis", étoit du nombre. Quoique la misère et le chagrin l'eussent horriblement défiguré, son fils,, qui servoït dans l'armée victorieuse , le reconnut, et courut se jeter dans ses bras. Se tournant ensuite, les larmes aux yeux, vers Auguste : « Seigneur, lui dit-il, « mon père a été votre ennemi , et comme tel il mé« rite la mort, mais je vous ai servi fidellcmcnt, et je' « mérite une récompense : pour prix de mes services, « accordez la vie à mon père , et faites-moi mourir à « sa place. » Auguste, touché dé la piété du jeune Métellus ,. pardonna à son père. 13. Cyrus , roi de Perse, ayant pris Sarde, capitale déLydie, ses troupes victorieuses se répandirent clans te-Yraé', potir froùver^anj hf pillage la récompense
mort
�152 AMOUR FILIAL; de leurs fatigues. Quelques soldats se jetèrent dans le Palais du roi Crésus , afin d'arrêter ce monarque. Ils l'aperçoivent ; ils l'environnent sans le connoître ; ils se disposent à le mettre à mort. Déjà l'un des guerriers levoit le sabre pour le frapper, lorsqu'^ij, iîls de Crésus, et muet dè naissance , fit un si grand effort, qu'il rompit les liens quicaptivoient sa langue, et s'écria : « Arrête , barbare , épargne le roi mon « père. » Ce cri sauva la vie à Crésus, qui fut conduit au prince victorieux. i4- Un mandarin chinois avoit été condamné à mort pour avoir prévariqué dans sa place. Son fils , âgé de quinze ans , alla se jeter aux pieds de l'empereur , et offrir sa vie pour conserver celle de son père. L'em^ pereur, touché de la piété de ce généreux enfant, lui accorda la grâce de son père, et voulut lui donner des marques personnelles d'honneur. Il les refusa , en disant qu'il ne vouloit point d'une distinction qui lui rappelleroit l'idée d'un père coupable, i5. Une dame romaine, accusée d'un crime capital devant le prêteur, fut condamnée à mort, et livrée au bourreau pour être étranglée dans sa prison, Les larmes de la coupable touchèrent vivement cet homme , qui résolut de la laisser périr de misère dans la prison, plutôt que de lui arracher la vie. Par une suite de cette compassion, il permit à la fdle de cette femme de venir de temps en temps la visiter; mais après avoir examiné avec le soin le plus scrupuleux si elle n'apportoit point de vivres avec elle. Plusieurs jours se passèrent de la sorte, etle bourreau, surpris de ce que cette criminelle vivoit si long-temps , observa sa fille avec plus d'attention encore. Quel spectacle alors s'offrit à ses regards ! quels sentimens il fit naître dans son ame ! il vit cette généreuse fille allaiter elle-même son infortunée mère , pour la soustraire au trépas funeste dont elle ctoit menacée. Il en instruisit aussitôt le prêteur ; ce magistrat alla le raconter au consul ; bientôt toute la Aille en fut informée. On courut en foule à la prison ; on en fit sortir, comme en triomphe, la coupable et sa fille ; et le peuple romain, pénétré de cet acte inouï
�AMOUR
FILIAL-
l53
de piété filiale , pardonna à l'une, et assigna à l'autre une pension considérable sur le trésor public. 16. IvanlV, ou Jean Basilowitz, czar de Moscovie, après avoir fait de grandes conquêtes , se livra à une indolence qui fit murmurer les Russes. Les Boyards s'assemblèrent, et le prièrent de mettre son fils à leur tète. Le lendemain, il se montra dans la place publique, sans gardes, jeta §a couronne au milieu du peuple; et se dépouillant de sa robe impériale : « Donnez, « dit-il fièrement, cette couronne et cette robe à quel« qu'un qui sache mieux commander que moi, et à qui « vous saurez mieux obéir. J'ai conquis les royaumes « de Casan , d'Astracan, la Livonie ; j'ai vaincu les « Turcs; j'ai toujours soutenu la gloire de ma nation: « jamais les Russes, sous mon règne, n'ont été insultés « impunément. Aujourd'hui, pour me remercier de « tout ce que j'ai fait pour vous, vous voulez un autre « empereur! Cherchez donc qui vous gouverne. «La multitude étonnée attendoit en silence la fin de cette singulière scène. Quelques Boyards crièrent : « Vous « êtes notre maître ; nous n'en voulons point d'autre que « vous. » Cette acclamation fut répétée avec enthousiasme. On lui présenta sa couronne et sa robe ; mais il dit qu'il ne les reprenoit que pour punir les auteurs de cette révolte. Le czar se tourna ensuite vers son fils Ivan ; il l'accusa d'avoir causé la sédition ; et comme le jeune prince, se jetant à ses genoux, alloit se justifier,, le monarque furieux lui donna sur la tête un grand coup du bâton qu'il portoit ordinairement. Ivan, moins affecté du coup que de la colère de son père , se lève pour disparaître; mais, tout couvert de sang, il tombe évanoui. La colère du père fait alors place à la nature; il regarde son fils pâle et mourant : « Voilà donc, grand « Dieu ! s'écrie-t- il, le dernier trait de vengeance qu e « tu me préparois ! Je suis moi-même le meurtrier de « mon fils ! Prince barbare et malheureux, tu te prives « toi-même du fruit des soins et des peines que t'a « coûté son enfance ! » et se précipitant sur le corps du jeune prince : « Mon fils , lui dit-il, tu es plus « heureux que moi : tu meurs, et moi, je ne vis que
�l54
AMOUR
FILIAL.
« pour te regretter et m'abhorrer ; tous les instans de « ma vie seront plus cruels que la mort. » Ivan ouvre des yeux presque éteints , et les attachant avec tendresse sur le czar': « O mon père ! lui dit-il, je meurs « content, puisque votre coeur m'est encore ouvert , « etque votre amour vous fait verser des larmes. Jamais « je n'ai formé le projet dont vous venez de m'accuser; « j'en prends le Ciel à témoin. C'est lui qui veut que « je périsse ainsi, ne vous reprochez point ma mort; « mais j'aurois mieux aimé la recevoir pour vous au « milieu de vos ennemis. » Il expira cinq jours après ; et le czar, depuis ce moment, mena toujours une viê triste.Rien ne pôuvoit dissiper sa douleur: il répandoit souvent des larmes au milieu des conversations; il les interrompoitpoiir s'écrier: Monjils! mon cher Ivan } II craignoit la colère du Ciel. Il se condamna à une triste solitude ; et le chagrin affoiblissant ses forces , it en devint la victime le 18 Mars i58417. Une femme japonoise étoit restée veuve avee trois garçons , et ne subsistoit que de leur travail. Quoique le prix de cette subsistance fût peu considérable , cependant les travaux de ces jeunes gens ne 1 suffisoicnt pas toujours pour y subvenir. Le spectacle d'une mère qu'ils chérissoient, en proie aux besoins,• leur fît un jour concevoir la plus étrange résolution. On avoit publié depuis peu , que quiconque livreroità la justice le voleur de certains effets , recevroit une somme assez considérable. Les trois frères conviennent ; entr'eux qu'un des trois passera pour le voleur, et quo les deux autres le livreront au juge. I1& tirent au sort pour savoir qui sera la victime de l'amour filial ; et le sort tombe sur le plus jeune , qui se laisse conduire comme un criminel. Lémagislrat l'interroge. Il répond qu'il a volé. Oh l'envoie en prison ; et ceux qui l'ont livré touchent lasommepromise. Leur coeur s'attendrit alors sur le danger de leur frère. Ils trouvent le moyen d'entrer dans la prison , et croyant n'être vus de personne, ilsl'embrassent teridremcntetl'arrosentdeleurs? larmes. Le magistrat-, qui les aperçoit par hasard, surpris d'uftïspectablesi nouveau, donjie commissioh àu»
�AMOtR
FILIAL.
l55
de ses gens de suivre les deux délateurs. Il lui enjoint expressément de ne les point perdre de vue , qu'il n'ait découvert de quoi éclaircir un fait si singulier. Le domestique s'acquitte parfaitement de sa commission , et rapporte qu'ayant vu entrer ces deux jeunes gens dans une maison , il s'en étoit approché , et les avoit entendus raconter à leur mère tout ce que l'on vient de lire 5 que la pauvre femme , à ce récit, avoit jeté des cris lamentables , et qu'elle avoit ordonné à ses enfans de reporter l'argent qu'on leur avoit donné , disant qu'elle aimoit mieux mourir de faim , qoe de se conserver la vie au prix de celle de son. cher fiàfc. Le magistrat, pouvant à peine concevoir ce prodige de piété filiale, fait venir aussitôt son prisonnier , l'interroge de nouveau sur ses prétendus vols, le menace même du plus cruel supplice ; mais le jeune homme , tout occupé de sa tendresse pour sa mère , reste immobile. Le magistrat, pénétré d'une action si héroïque , embrasse le jeune homme , et va dans le moment instruire l'empereur. Le prince , saisi d'admiration à ce récit , voulut voir le prisonnier. Dès qu'il l'aperçut : « Enfant vertueux , lui dit-il, en lui ten« dant la main , votre conduite mérite les plus grands1 « éloges, toute la terre la célébrera : moi, je veux la « récompenser. » Aussitôt il lui assigne une grosse pension , fait venir ses deux frères et leur mère , les comble de caresses, et les retient à sa cour. 18. Un enfant de très-bonne naissance , placé à l'Ecole royale militaire , se contentoit , pendant plusieurs jours, démanger delà soupe et du pain sec avec de l'eau. Le gouverneur , averti de cette singularité , l'en reprit, attribuant cette abstinence à quelque excès de dévotion mal entendue.Le jeune enfant continuoit toujours sans dévoiler son secret. M. Pâris-Duvernei, instruit par le gouverneur de cette persévérance, le lit venir ; et après lui avoir doucement représenté combien il étoit nécessaire d'éviter toute singularité , et de se conformer à l'usage de l'Ecole ; voyant que cet enfant ne s'expliquoit point sur les motifs de sa conduite, fut contraint de le menacer , s'il ne la réformoit, de le
�l56
AMOUR
FILIAL.
rendre à sa famille. « Hélas ! monsieur, dit alors l'en« fant, vous voulez savoir laraisonquej'aid'agireomme «je fais : la voici. Dans la maison de mon père, jeman« geois du pain noir, et en petite quantité ; nous « n'avions souvent que de l'eau à y ajouter. Ici , je « mange de bonne soupe : le pain y est bon, blanc et à « discrétion. Je trouve.que je fais grande chère, et je ne « puis me déterminer à manger davantage , par l'im« pression que me fait le souvcnirde l'état de mon père « et de ma mère. » M. Duvernei et le gouverneur ne « pouvoient retenir leurs larmes , par la sensibilité et « la fermeté qu'ils trouvoienten cet enfant. «Monsieur, « reprit M. Duvernei, si votre père a servi, n'a-t-il pas « de pension? — Non : pendant un an il en a sollicité « une ; le défaut d'argent l'a contraint d'en abandonner « le projet; et pour ne point faire de dettesàVersailles, « il a mieux aimé languir. — Eh bien , si le fait est « aussi prouvé qu'il paroît vrai dans votre bouche , je « promets de lui obtenir cinq cents livres de pension. « Puisque vos parens sont si peu à leur aise , vraisem« blablcment ils ne vous ont pas beaucoup garni le « gousset : recevez, pour vos menus plaisirs, ces trois « louis que je vous présente de la part du roi; et quant « à M. votre père, je lui enverrai d'avance les six pre« miers mois de la pension que je suis assuré de lui ob« tenir.—Monsieur, commèntpourrez-vous lui envoyer « cet argent ? — Ne vous inquiétez point, nous en « trouverons les moyens. — Ah ! monsieur, puisque « vous avez cette facilité , remettez-lui aussi les trois « louis que vous venez de me donner. Ici j'ai tout en « abondance ; ils me deviendraient inutiles , et ils fe« ront grand bien à mon père pour ses autres enfans.» 19. M. de... allant rejoindre son régiment, il y a dix ou douze ans , s'occupa pendant sa route à faire quelques recrues dont il avoit besoin pour compléter sa compagnie. Il trouva plusieurs hommes dans une petite ville où il demeura une semaine. La surveille de son départ, il se présenta encore un jeune homme de la plus haute taille, et de la figure la plus intéressante.. Il avoit un air de candeur et d'Jiomiéteté qui prévenait
�ÀMOUR
FILIAL.
l57
pour lui. M. de... ne put s'empêcher , à la première vue , de souhaiter d'avoir cet homme dans sa compagnie. Il le vit trembler , en demandant qu'on l'engageât. Il prit ce mouvementpour l'effet de la timidité, et peut-être de l'inquiétude que peut avoir un jeune homme qui sent le prix de la liberté, et qui ne la vend pas sans regret. Il lui montra ses soupçons,- en tâchant de le rassurer. « Ah ! monsieur, dit le jeune homme, « n'attribuez pas mon désordre à d'indignes motifs. « Vous ne voudrez peut-être pas de moi ; et mon « malheur seroit affreux. » Il lui échappa quelques larmes , en achevant ces mots. L'officier ne manqua pas de l'assurer qu3il seroit enchanté de le satisfaire , et lui demanda vite quelles étoient ses conditions ? « Je ne vous les propose qu'en tremblant, répondit le « jeune homme : elles vous dégoûteront peut-être. Je « suis jeune : vous voyez ma taille. J'ai de la force : « je me sens toutes les dispositions nécessaires pour « servir ; mais la circonstance malheureuse dans la« quelle je me trouve , me force de me mettre à un « prix que vous trouverez sans doute exorbitant : je « ne puis rien en diminuer. Croyez que, sans des rai« sons très-pressantes , je ne vendrais point mon ser« vice ; mais la nécessité m'impose une loi rigoureuse. « Je ne puis vous suivre, àmpins de cinq cents livres; « et vous me percez le coeur , si vous me refusez. « — Cinq cents livres ! La somme est considérable, je « l'avoue ; mais vous me convenez : je vous crois de « bonne volonté ; je ne marchanderai point avec vous. « Je vais vous compter votre argent; signez , et tenez« vous prêt à partir , après-demain , avec moi. « Le jeune homme parut pénétré de la facilité de M. de... Il signa gaiement son engagement, et reçut les cinq cents livres avec autant de reconnoissance que s'il les avoit eues en pur don. Il pria son capitaine de lui permettre d'aller remplir un devoir sacré , et lui promit de revenir à l'instant. M. de... crut remarquer quelque chose d'extraordinaire dans ce nouveau soldat. Curieux de s'en éclairçir , il le suivit sans affectation. Il le vit voler à la prison.de la ville avec un empressement
�l58
AMOttR
FILIAL.
qui ne lui permit pas d'apercevoir son capitaine ; frapper , avec la plus grande vivacité , à la porte , et se précipiter dedans aussitôt qu'elle fut ouverte. Il l'entendit dire au geôlier : « Je vous apporte la somme « pour laquelle mon père a été arrêté ; je la dépose « entre vos mains. Conduisez-moi vers lui, que j'aie « le plaisir de briser ses fers. » L'officier s'arrête un moment, pour lui laisser le temps d'arriver seul auprès de son père, et s'y rend ensuite après lui. Il voit ce jeune homme dans les bras d'un vieillard qu'il couvre de ses caresses et de ses larmes , à qui il apprend qu'il vient d'engager sa liberté, pour lui procurer la sienne. Le prisonnier l'embrasse de nouveau. L'officier attendri s'avance : « Consolez-vous , dit-il au vieillard ; je « ne vous enlèverai point votre fils : je veux partager « le mérite de son action. Il est libre, ainsi que vous; « et je ne regrette point une somme dont il a fait un « si noble usage. Voilà son engagement, et je lui re« mets. » Le père et le fils tombent à ses pieds. Le dernier refuse la liberté qu'on lui rend. Il conjure le capitaine de lui permettre de le suivre. Son père n'a plus besoin de lui : il ne pourroit que: lui être à charge. Le généreux officier y consent enfin. Le jeune homme remplit les années de son service , épargnant sur sa paie quelques petits secours qu'il faisoit passer à son père ; et lorsqu'il eut son congé, il s'empressa d'aller servir ce même père , et de le nourrir du travail de ses mains. 20. Un vieillard presque centenaire en 1776 , avoit douze fils , tous soldats , et qui n'avoient que leur solde pour vivre. Ils obtinrent un congé , dont ils profitèrent pour venir voir leur père, qu'ils trouvèrent sans pain : « Quoi ! s'écria l'un d'eux , point de pain , « et avoir donné douze défenseurs à la patrie ! Il faut « que notre bon père soit assisté. — Mais comment ? « — N'y a-t-il pas un lombard ici ? — Un lombard; ! » Qu'en ferions-nous ? Avons-nous quelque chose à y « porter ? Dans ces sortes d'endroits, on ne prête rien « sans sûreté ; et nous n'avons rien. — Nous n'avons, « rien ! vous allez voir. Notre père a été tailleur ; H
�o ti a FILIAL. i5a « a exercé long-temps ce métier ; il meurt de faim ; << cela prouve sa probité. Nous sommes tous au service « depuis quelques années; personne ne peut nous re« procher la moindre chose contre l'honneur : mettons « cet honneur en gage : on nous confiera bien cin« quante livres sur ce dépôt. » Cette idée est unanimement approuvée , et sur-ie-champ les frères écrivent et signent ce singulier mandat : Douze Anglais, Jils d'un tailleur réduit à la plus grande pauvreté , à l'âge de près de cent ans, servant tous douze le roi et la patrie avec zèle, demandent à la direction du lom;> lard la somme de cinquante livres pour soulager leur infortuné père. Four sûreté de cette somme , ils engagent leur honneur, et promettent le remboursement dans le terme d'une année. Ils firent porter ce billet à la direction du lombard , et allèrent euxmêmes en chercher la réponse ; elle fut favorable : on leur donne la somme ; on déchire le billet, et on promet de fournir aux besoins du vieillard pendant sa vie. A peine cette anecdote fut-elle rendue publique, que grands , petits , riches et pauvres , se sont transiortés chez le tailleur pour le voir; personne n'y vint es mains vides , et bientôt le vieillard fut assez à son aise pour laisser après lui un petit fonds capable de récompenser la piété filiale de son honnête famille. 21. Un jeune homme , nommé Robert, attendoit Sur le rivage à Marseille que quelqu'un entrât dans son batelet. Un inconnu s'y place; mais un instant après, il se préparoit à en sortir malgré la présence de Robert, qu'il ne soupçonnoit pas d'en être le patron. Il lu; dit que puisque le conducteur de cette barque ne se montre point, il va passer dans une autre. « Monsieur, « dit le jeune homme, celle-ci est la mienne : voulez« vous sortir du port? — Non, monsieur r il n'y a plus « qu'une heure de jour ; je voulois seulement faire « quelques tours dans le bassin, pour profiter de la « fraîcheur et de la beauté de la soirée... Mais vous « n'avez pas l'air d'un marinier, ni le ton d'un homme « de cet état? — Je ne le suis pas en effet; ce n'est que « pour gagner de l'argent que je fais ce métier les fêtes
À M
E
�i6o AMOùft FÏLUL; « et les dimanches. ---Quoi ! avare à votre âge ! cela « dépare votre jeunesse , et diminuel'intérêt qu'ins« pire d'abord votre heureuse physionomie. — Ah ! « monsieur, si vous saviez pourquoi je désire si fort de ■i& gagner de l'argent, vous n'ajouteriez pas à ma peine, ■« celle de me croire un caractère si bas.—J'aipu Vous « faire tort ; mais vous ne vous êtes point expliqué. Finissons notre promenade, et vous me conterez votre (< « histoire. »L'inconnu s'assied. «Ehbien, poursuit-il, << dites-moi, quels sont vos chagrins ? vous m'aVezdis« posé à y prendre part. — Je n'en ai qu'un , celui « d'avoir un père dans les fers, sans pouvoir l'en tirer. Il « étoit courtier dans cette ville ; il s'étoit procuré de ses « épargnes, etde celles de manière dans le commerce <i des modes , un intérêt sur un vaisseau en charge pour « Smyrnc. Il a voulu veiller lui-même à l'échange de « sa pacotille , et en faire le choix. Le vaisseau a été « pris par un corsaire , et conduit à Tétuan , où mon « malheureux père est esclave avec le resté de l'équi« page. Il faut deux mille écus pour sa rançon ', mais ■« comme il s'étoit épuisé, afin de rendre son entreprise << plus importante, nous sommes bien éloignés d'avoir « cette somme. Cependant, ma mère et mes sœurs « travaillent jour et nuit ; j'en fais de même chez mon « maître dans l'état de jouaillcr que j'ai embrassé , et « je cherche à mettre à profit, comme vous voyez, les « dimanches et les fêtes. Nous nous sommes retran« chés jusques sur les besoins de première nécessité. « Une seule petite chambre forme tout notre logement. « Je croyois d'abord aller prendre la place de mon père, « et le délivrer en me chargeant de ses fers ; j'étois « prêt à exécuter ce projet, lorsque ma mère, qui en « futinformée, je ne sais comment, m'assura qu'il étoit « aussi impraticable que chimérique , etfit défendre à « tous les capitaines du Levant, de me prendre sur leur «bord. — Et recevez-vous quelquefois des nouvelles « de votre père? Savez-vous quel est son patron à Té« tuan? quels traitemens il y éprouve ? — Son patron « est intendant des jardins du roi ; on le traite avec « humanité , et les travaux auxquels ou l'emploie ne « sont
�AMOUR
FIL I A L.
î6l
« sont pas au-dessus de ses forces.Mais nous ne som« mes pas avec lui pour le consoler, pour le soulager; « il est éloigné de nous , d'une épouse chérie, et de « trois enfans qu'il aima toujours avec tendresse. —« Quel nom porte-t-il à Tétuan ? — Il n'en a pas « changé : il s'appelle Robert, comme à Marseille.— « Robert chez l'intendant des jardins ? —. Oui, « monsieur.—Votre malheur me touche ; mais , d'a« près vos sentimens, j'ose vous présager un meilleur « sort,et je vous le souhaite bien sincèrement En « jouissant du frais, je voulois me livrer à la solitude : « ne trouvez donc pas mauvais, mon ami , que je sois « tranquille un moment. » Lorsqu'il fut nuit, Robert eut ordre d'aborder. Alors , l'inconnu sort du bateau , lui remet une bourse entre les mains; et sans lui laisser le temps de le remercier, s'éloigne avec précipitation. Il y avoit dans cette bourse huit doubles louis en or , et dix écus en argent. Une telle générosité donna au jeune honimelaplushauteopinion de celui qui en étoit capable ; mais ce fut en vain qu'il fit des vœux pour le rejoindre et lui en rendre grâce. Six sefeaines après eette époque , cette famille honnête , qui continuoit sans relâche à travailler pour compléter la somme dont elle avoit besoin, prenoit un dîner frugal, composé de pain et d'amandes sèches : elle voit arriver Robert le père, très-proprement vêtu, qui la surprend dans sa douleur et dans sa misère. Qu'on juge de l'étonnement de sa femme et de ses enfans , de leurs transports, de leur joie ! Le bon Robert se jette dans leurs bras , et s'épuise en remercîmens sur les cinquante louis qu'on lui a comptés en s'embarqnantdans le vaisseau, où son >assage et sa nourriture étoient acquittés d'avance, sur es habillemens qu'on lui a fournis, etc. Il ne sait comment reconnoître tant de zèle,tant d'amour.Une nouvelle surprise tenoit cette famille immobile : ils se regardoient les uns les autres. La mère enfin rompt le silence ; elle im agine que c'est son fils qui a tout fait : elle raconte au père avec quel zèle, dès le moment de son esclavage, il a voulu aller prendre sa place, et comment elle l'en avoit empêché. 11 falloit six mille francs Tome I. L
f
�162 AMOUR FILIAL. pour la rançon : « Nous en avions , poursuivit-elle, un « peu plus de la moitié, dont la meilleure partie étoit « le fruit de son travail. Il aura trouvé des amis qui « l'auront aidé.» Tout-à-coup , rêveur et taciturne, le père paroît consterné ; puisVadressant à son fils : «Mal« heureux !qu'as-tufait?Commentpuis-jete devoir ma « délivrance sans la regretter ? Comment pouvoit-elle « rester un secret pour ta mère , sans être achetée ail « prix de ta vertu ?A ton âge, fils d'un infortuné, d'un « esclave , on ne se procure point naturellement les « ressources qu'il te falloit. Je frémis de penser que « l'amour filial t'a rendu coupable. Rassure-moi, sois « vrai , et mourons tous si tu as pu cesser d'être hon« nête.—Tranquillisez -vous , mon pere, votre fils n'est « pas indigne de ce titre , ni assez heureux pour avoir « pu vous prouver combien il lui est cher. Ce n'est « point à moi que vous devez cette liberté : je connois « notre bienfaiteur. Souvenez-vous , ma mère , de cet « inconnu qui me donna sa bourse : il m'a faitbien des « questions. Je passerai ma vie à le chercher ;jeletrou« verai, et" viendra jouir du spectacle de ses bien« faits. » Ensuite il raconte à son père l'anecdote de l'inconnu , et le rassure ainsi sur ses craintes. Rendu à sa famille, Robert trouva des amis et des secours.Les succès surpassèrent son attente. Au bout de deux ans, il acquit de l'aisance ; ses enfans , qu'il avoit établis , partageoient son bonheur entre lui et sa femme : il eût été pour eux sans mélange , si les recherches continuelles du fils avoient pu lui faire découvrir ce bienfaiteur qui se déroboit avec tant de soin à leurreconnoissance et à leurs vœux. Il le rencontra enfin un dimanche matin , se promenant seul sur le port. Ah ! mon Dieu tutélaire ! C'est tout ce qu'il peut prononcer , en se jetant à ses pieds , où il tombe évanoui. L'inconnu s'empresse de le secourir , et de lui demander la cause de son état. « Qnoi ! monsieur, pou« vez-votis l'ignorer ? Avez-vous oublié Robert, et sa « famille infortunée que vous rendîtes à la vie , en lui « rendant son père? - Vous vous méprenez, mon ami , « je ne vous connois point ; et vous ne sauriez me con-
�AMOUR
FILIAL."
lC3
« nôître ; étranger à Marseille, je n'y suis que depuis « .quelque jours.—Tout cela peutêtre ; mais souvenez« vous qu'il y a vingt-six mois que vous y étiez aussi. « Rappelez-vous cette promenade dans le port, l'in« térêt que vous prîtes à mon malheur, les questions « que vous me fîtes sur les circonstances qui pourvoient *: vous éclairer, et vous donner les lumières nécessaires « pour être notre bienfaiteur. Libérateur de mon père, « pouvez-vous oublier que vous êtes le sauveur d'une « famille entière quine désire plus rien que votre pré« sence?Nevous refusez pas à ses vœux,et venez voir les heureux que vous avez faits.... venez.~~Je vous « l'ai déjà dit, mon ami ; vous vous méprenez.—Non, « monsieur , je ne me trompe point 5 vos traits sont « trop profondément gravés dans mon cœur , pour que « je puisse vous méconnoitre : venez, de grâce. » En même temps , il le prenoit par le bras , et lui faisoit une sorte de violence pour l'entrainer. Une multitude de peuple s'assembloit autour d'eux. Alors l'inconnu, d'un ton plus grave et plus ferme: «Monsieur , « cette scène commence à être fatigante. Quelque « ressemblance occasionne votre erreur ; rappelez; « votre raison , et allez dans votre famille profiter de « la tranquillité dont vous me paraissez avoir besoin.—■ « Quelle cruauté ! Bienfaiteur de cette famille , pour>*. quoi altérer, par cette résistance, le bonheur qu'elle ". ne doit qu'à vous ?Resterai-je en vain à vos pieds ? « Serez-vous assez inflexible pour rebuter le tribut « que nous réservons depuis si long-temps à votre « sensibilité ? Et vous qui êtes ici présens , vous que « le trouble et le désordre où vous me voyez doivent « attendrir , joignez-vous tous à moi, pour que l'au<? teur de mon salut vienne contempler lui-même soit « propre ouvrage.»Acesmots,l'inconnuparoîtse faire quelque violence ; mais , lorsqu'on s'y attendoit le moins, réunissant toutes ses forces , et rappelant sou courage pour résister à la séduction de la jouissance délicieuse qui lui est offerte , il s'échappe comme un trait du milieu de la foule, et disparaît en un instant. Cet inconnu le seroit encore aujourd'hui, si ses gens L a
�i64
AMOUR
FRATIRttEL.
d'affaires ayant trouvé dans ses papiers, à la mort de leur martre , une note de 7,5oo liv. envoyées à M. Mayn , de Cadix, n'en eussent pas demandé compte à ce dernier ; mais seulement par curiosité , puisque la note étoit bâtonnée , et le papier chiffonné, comme ceux que l'on destine au feu. Ce banquier répondit qu'il en avoit fait usage pour délivrer un Marseillois , nommé Robert, esclave à Tétuan, conformément aux ordres de Charles de Secondat,haron de Montesquieu, président à mortier au parlement de Bordeaux.
AMOUR FRATERNEL. i. « (QUELLEdouceur n'y a-t-il point dans cette pen« sée , dit Valere Maxime : nous avons été formés « dans le même sein, et reçus dans le même berceau; « nous avons donné aux mêmes parens les doux noms « de père et de mère : ils ont fait pour nous les mêmes « vœux ; et la gloire que nous tirons de nos ancêtres « nous est commune ! Une femme est chère , les « enfans sont aimables, les amis sont précieux ; mais « comme nous ne connoissons tous ces objets de notre « affection que dans la suite de notre vie , les senti« mens que nous avons pour eux, ne peuvent avoir « la profondeur de ceux qui sont nés avec nous. » 2. On demandoit à Caton d'Utique, encore enfant, quel étoit son meilleur ami dans le monde ? « C'est « mon frère, répondit-il.—Eh bien ! quel est celui qui « tient le second rang dans votre cœur ?— C'est mon « frère.—Et le troisième ? C'est aussi mon frère ; » et il ne cessa de faire cette réponse , que quand on eut cessé dé le questionner. Se trouvant en Asie, il apprit que ce frère , nommé Cépion , étoit tombé malade à Thessalonique.Quoique la saison ne fût pas favorable, et qu'il n'eût point de bons vaisseaux, l'amour fraternel lui fit braver les dangers delà mer pour voir encore une fois ce frère qu'il chérissoit tendrement. L'aj ant trouvé expirant, il ne se contenta pas de répandre des
�l65 larmes qui décorent toujours le visage d'un philosophe humain et sensible, il lui fit faire à grands frais de magnifiques obsèques ; et lorsqu'il partagea l 'héritage avec sa nièce, il ne lui compta point cette dépense. 3.Parmi les garçons de la communauté de Heimersdorf, qui tiroient la milice , se trouvoient deux frères , Xavier et Jean Rousbourger- L'aîné tomba milicien. Le cadet pria le commissaire de le recevoir à sa place. Alors il s'éleva entre les deux frères un combat qui attendrit tous les spectateurs. Quand l'un se mettoit sous la toise, l'autre le repoussoit, et cherchoit à prendre sa place. Ils sollicitoient la préférence avec une égale vivacité, lorsque le commissaire , pour terminer cette dispute attendrissante, décida que celui qui étoit désigné par le sort, resteroit milicien. Cette décision désespéra Jean Pwusbourger ; mais bientôt son amour industrieux lui suggéra un moyen de réparer ce qu'il appeloit le plus grand des malheurs. Il vint trouver le commissaire pour se faire inscrire au lieu et place du nommé Jean Weldi , milicien pour la communauté de Carspach, disant qu'il ne vouloit pas vivre sans son cher frère. 4- On tiroit la m'iice à Villeloin,bônrg de la généralité de Tours. Il y avoit trente-un billets. Trois frères , appelés Plazenelle , fils d'un marchand drapier d'Ecueillé , près des contins du Berry , étoient du nombre des tireurs. L'aîné , nommé François y avoit environ trente-deux ans ; et le plus jeune, appelé Louis , n'en avoit pas dix-huit. François Plazenelle demanda , et obtint de tirer le trentième ; mais son tour étant venu, il fut interdit ; et comme il hésitoit à prendre son billet, le plus jeune de ses deux frères , Louis Plazenelle , qui avoit déjà tiré , se présenta de nouveau pour tirer en sa place.. Il exposa que si le sort tomboit à son aîné , il ne pourrait s'établir de longtemps ; que pour lui, il étoit encore jeune , et élorgné de songer à un établissement ; que d'ailleurs en tirant pour son frère , il auroit la satisfaction de l'avoir soustrait au sort qui sembloit le menacer , et par-là , de devenir l'instrument de son bonheur. Après ces. L 3
AMOUR FRATERNEL.
�l66 A* M 9 b' R F R A T E R W E L. mots , il tira avec la plus ferme constance % et amena le Lillet de milicien. Il se fit ensuite inscrire pour son aîné , et prit la cocarde en l'embrassant. 5. Scipion avoit pour son frère la plus vive tendresse, et voulut servir sous lui en qualité de lieutenant. On vit alors l'aîné se soumettre au cadet; m* grand général, à un homme qui n'avoit point encore faitla guerre ; en un mot , Scipion l'Africain , à Scipion qui n'avoit pas encore obtenu la surnom d'Asiatique ; ainsi il mérita l'un de ces surnoms, et procura l'autre ; il triompha de l'Afrique , et fit triompher son frère de l'Asie. 6. Intaphernes, l'un des plus grands seigneurs de Perse , s'étant révolté contre Darius , ce prince se rendit maître de sa personne , et le condamna à mort avec toute sa famille. Il accorda cependant aux larmes de son épouse la vie d'un seul d'entre eux qu'il remit a.son choix. Cette femme choisit, son frère. Le monarque étonné , lui demanda la raison d'un tel choix.: « Je puis , dit-elfe , avoir un autre époux , d'autres « enfans ; mais mon père et ma mère étant morts , « ]e ne puis espérer d'avoir un autre frère. » Quel parti prit Darius ? L'histoire ne le dit pas avec précision ; mais on devine ce qu'aurait fait un prince humain et généreux. Les intérêts de la politique ne doivent marcher qu'après ceux du cœur ; et le pardon souvent ramène plus de coupables, que les chàtimcns et l'horreur des supplices. .• y. Auguste fit prisonnier Andiatorigcs , avec sa femme et ses enfans ; et après les avoir conduits àRome en triomphe , il ordonna qu'on fît mourir le père , avec l'aîné des deux fils.Les bourreaux chargés de cette triste fonction ,dem and oient quel étoit l'aîné des deux frères ? Alors tous deux assurèrent en mêmes temps : « Je suis le pins âgé ; c'est moi qu'il faut tuer. » L'un •et l'autre vouloient mutuellement se conserver la vie. Ce pieux combat ayant duré long-temps , l'aîné , qui se nommoit, Dyctêntus, se laissa vaincre enfin parles larmes et les instantes prières de sa mère qui espéroit tirer de lui plus de secours , et consentit, en sanglotant, à la mort de son jeune frère. Cet exemple singu-
�ÀMOtï FRATERNEL. 167 lier d'un amour aussi tendre fut admiré même des ennemis de cette famille infortuné ; car Auguste l'ayant appris, ne se contenta pas seulement de verser des larmes stériles sur cette action, dont il étoit l'auteur ; il fit venir ce généreux frère à sa cour, le combla d'honneurs, ainsi que sa mère , et répara , autant qu'il étoit en lui, la barbarie de son procédé. 8. Il s'étoit répandu un faux bruit qu'Eumène, roi d'Asie et de Pergame, avoit péri par les artifices de Persée, roi de Macédoine. Attale, son frère , le crut; et en conséquence prit possession de son royaume , et épousa même sa femme. Eumène étant de retour quelque temps après , Attale alla au devant de lui., non sans appréhender son ressentiment.Mais.Ez/7nè7ie, sans s'émouvoir, se contenta de lui dire à l'oreille : « Ceci « doit vous apprendre à n'épouser la femme d'un au« tre , que quand vous serez bien sûr de la mort de « son mari. » Etant mortpeu de temps après, quoiqu'il eût un fils, il légua cependant sa femme et son royaume à son frère qu'il aimoit tendrement. Attale ne se laissa •pas vaincre en générosité. Quoiqu'il eût beaucoup d'enfans,il éleva comme son héritier, le seul fils qu'£'z/~ mène avoit laissé; et lorsqu'il fut en âge de régner, il lui céda la couronne , et vécut en simple particulier. 9. Henri, le plus jeune des trois fils de Guillaume-le~ Conquérant, força ses deux frères a marcher contre lui à la tête d'une forte armée. Trop foible pour leur résister en plaine campagne, il se renferma dans le mont Saint-Michel, dont Robert et Guillaume-le-Fioux firent le siège.Bientôt le prince assiégé manqua d'eau : il en fit demander à ses frères. Le généreux Roberthii en envoya aussitôt avec un tonneau de vin : Guillaume murmura: «Eh ! quoi, lui répondit Robert, quelque « tort que notre frère ait avec nous, devons-nous sou« haiter qu'il meure de soif ? Il s'y obstineroit peut« être, plutôt que de se rendre. Nous pouvons par la « suite avoir besoin d'un frère , où en retrouverons« nous un autre , quand nous aurons perdu celui-ci ? » Ceprince magnanime, quinze ou seize ans après, paya cher cet acte de tendresse fraternelle : car avant été
' L 4"
�l68
AMOUR DE LA PATRIE.
vaincu par Henri, et dépouillé de ses états, ce vainqueur barbare l'arrêta prisonnier , le relégua dans le château de Cardiff , et le priva de la vue , en lui faisant passer devant les yeux un bassin de cuivre ardent. 10. Le philosophe Euclides , disciple de Socrate, ayant entendu proférer à son frère cette parole barbare : « Que je meure, si je ne me venge de toi ! » répondit : « Et moi , que je meure , si je ne t'engage à quitter « ton ressentiment, et à m'aimer comme auparavant.» Tendresse fraternelle , que ton empire a d'énergie ! Pourquoi trouve-t-on si peu d'hommes qui sachent apprécier et goûter tes ineffables douceurs ? 11. Pierre et Thomas Corneille avoient épousé les deux sœurs : il y avoit entre elles la même différence d'âge qui se trouvoit entre leurs maris. Il y avoit des enfans de part et d'autre en pareil nombre. Us ne formoient qu'une même maison , un même domestique. Jînfin, après plus de vingt ans de mariage , les deux frères n'avoient pas encore songé à faire le partage des biens de leurs femmes , biens situés en Normandie , dont elles étoient originaires comme eux : et ce partage ne fut fait que par une nécessité indispensable , à la mort de Pierre Corneille.
wwwtwmuwwwuwwutvwnwwuwivvwtwwvwiwuwvvw
AMOUR DE LA PATRIE.
S'EXPOSER aux plus grands dangers , braver la mort même pour rompre les fers de ses concitoyens, c'est le comble de l'amour patriotique ; c'est un effort dont les héros seuls sont capables. Denys le jeune avoit succédé tranquillement au despotisme de son père , et Syracuse vit son nouveau tyran ceindre le diadème , sans oser songer à la liberté qu'elle avoit perdue. Le ,rince, il est vrai, donnoit de flatteuses espérances ; et es leçons de Platpn faisoient présumer que, par une administration sage, Denys effaceroit la mémoire des cruautés de son prédécesseur. Mais bientôt, corrompu par de vils adulateurs, toutes ses démarches devinrent
Ï
�169 des injustices criantes ; les esprits s'aliénèrent : la tyrannie fut maudite d'abord en secret; enfin, le désespoir chercha des protecteurs et des armes. Dans cette fermentation générale, tous les yeux se fixèrent sur Dion, beau-frère du tyran, et le plus grand homme qui fût alors en Sicile. Exilé de sa patrie à cause de ses vertus, dont le trop grand éclat alarmoit le despote , il vivoit au sein de la Grèce parmi les philosophes : il s'en faisoit admirer par l'égalité de son ame, par la grandeur de sa constance, par sa magnanimité, sa bienfaisance , sa profonde sagesse , sa prudence consommée , enfin par toutes ces qualités heureuses qui font l'homme de la postérité. A peine le cri de ses compatriotes se fut-il fait entendre , qu'il s'arracha tout à-coup à la vie douce et paisible dont il jouissoit dans cette retraite fortunée, et ne s'occupa plus désormais que du noble projet de délivrer sa patrie du joug sous lequel elle gémissoit depuis si long-temps. Jamais peut-être entreprise ne fut ni formée avec tant de hardiesse , ni conduite avec tant de prudence. Dion commence à lever en secretdes troupes é trangères par des personnes interposées, pour mieux cacher son dessein. Plusieurs citoyens de la première distinction se joignent à lui. Mais ce qui doit surprendre, de mille bannis, tristes victimes des craintes du tyran, à peine vingt-cinq osent partager les périls du vengeur de la liberté publique. On se rend dans l'île de Zacynthe. Dion se voit, avec une joie.secrète, à la tête de près de huit cents hommes , tous éprouvés dans de grandes occasions, tous merveilleusement exercés et robustes, tous d'une audace etd'une expérience capables d'affronter les dangers les plus effrayans, et de fixer la fortune sous les étendards de leur parti. Dion les encourage : ils répondent à son discours par des cris d'allégresse. On offre un sacrifice au dieu des arts et de la lumière : on s'embarque sur deux vaisseaux de charge; et cette généreuse troupe , si foiblc en apparence, court attaquer un prince redoutable, qui avoit quatre cents navires de guerre, cent mille hommes de pied, dix mille chevaux et des trésors immenses. Mais avant, la fortune
AUTOUR DE LA PATRIE.'
�170 AMOUR DE LA PATRIE. sembla vouloir faire acheter ses faveurs. On arrive au promontoire dePachynum, après treize jours de navigation.Une tempête s'élève, lorsqu'on est près du bord : les vagues s'enflent, la mer écume, le tonnerre gronde. On lutte contre les élémens déchaînés. Vingt fois l'espérance de Syracuse est sur le point d'être engloutie idans les flots : un coup de vent jette les deux bâtimens sur les côtes orientales de l'Afrique. Us alloient être brisés sur la pointe des rochers : un vent du midi s'élève tout-à-cqup. Us déploient toutes leurs voiles, et cinq jours après , ils entrent dans le port de ?»linoa , petite ville de Sicile, de la domination des Carthaginois , et dont le commandant, nommé Synatus, étoit ami particulier et hôte de Dion. Us y furent parfaitement bien reçus , et y seraient restés quelques jours pour se délasser des rudes fatigues qu'ils avoient essu}rées, s'ils n'eussent appris que Denys étoit allé en Italie avec quatre-vingts vaisseaux. Les soldats demandèrent avec instance qu'on les fît partir sur-le-champ ; etDion ayant prié Synatus de lui envoyer ses bagages, quand il en seroit temps , marcha droit à Syracuse. A mesure qu'il s'avançoit, sa troupe grossissoit considérablement par le grand nombre de ceux qui venoient de tous côtés se joindre à lui. Le bruit de son approche s'étant répandu promptement dans Syracuse, Timocj*ate, qui commandoit dans la ville en l'absence du tyran, lui dépêcha un courrier en Italie, avec des lettres qui l'instruisoient des malheurs dont il étoit menacé. Mais ce messager, près d'arriver, se trouva si abattu , qu'il fut forcé de s'arrêter pour dormir quelques momens. Cependant un loup , attiré par l'odeur d'un morceau de chair qu'il avoit attaché à son sac , accourut, et emporta la chair et le sac où étoiént les lettres. Ainsi, Denys ne put apprendre que lard, et par d'autres, la nouvelle de l'arrivée de Dion. Quand celui-ci fut près de l'Anape, qui n'est qu'à une demi-lieue de la ville, il fit halte, offrit un sacrifice sur le bord de la rivière, et adressa ses prières au soleil levant. Il s'étoit couronné de fleurs. Tous ses compagnons, déjà au nombre de cinq mille, se couronnent
�AMOUR
D E
I, A
PATRIE.
Ï71
somme lui ,' et marchent sous ses auspices vers les portes de la ville. Ils y sont reçus en triomphe par les principaux habitans. Le peuple pousse à l'envi des cris d'allégresse ; et s'armant de tout ce gue sa fureur rencontre, il immole les amis et les satellites du tyran, qui ne peuvent se précipiter dans la citadelle. Au milieu de ce tumulte , la trompette se fait entendre : le calme renaît. On environne Dion et ses soldats : on les accueille comme les pères de la patrie", enfin, la joie publique est à son comble , lorsque la voix du héraut annonce « que Dion et ses compagnons , venus « pour abolir la tyrannie, affranchissoient les Syracu« sains et tous les peuples de Sicile, du joug du tyran. » Dion et Mégacles son frère , sont élus, d'une voix unanime, capitaines-généraux avec une autorité souveraine. A. leur prière on leur donne vingt collègues ; et ces généreux citoyens se mettent aussitôt en devoir de répondre au choix de la patrie par les plus grands services. Sept jours après, DenysreVmvX d'Italie, et entre par mer dans la citadelle. Il envoie des ambassadeurs à Dion et aux Syracusains, et leur fait des propositions qui paroissoient fort avantageuses. On lui répond qu'avant tout, il faut abdiquer la tyrannie. Denys ne s'en montra pas éloigné. On en vint à des conférences •, mais toutes ces démarches n'étoient qu'une feinte. Il cherchoit à gagner du temps, pour saisir l'occasion quand elle scroit favorable. En effet, ayant retenu et fait prisonniers les députés qu'on lui envoyoit pour négocier,» il attaqua tout d'un coup, avec la plus grande partie de ses troupes , le mur dont les Syracusains avoient environné la citadelle, et ses béliers y firent plusieurs brèches. Une attaque si vive , à laquelle on ne s'attendoit pas , jeta le trouble et la confusion parmi les soldats républicains, qui prirent aussitôt la fuite. Dion fit de vains efforts pour les arrêter. Il crut que l'exemple seroit plus efficace que les discours : il se précipite, tête baissée , au milieu des ennemis ; il soutient leur choc avec un courage intrépide; il répand par tout la mort, le carnage et la terreur. Une pique k blesse à la main : tous les traits sont dirigés sur
�172
.AMOUR
DE
LA
PATRIE.
lui ; sa cuirasse peut à peine résister à cette grêle meuFtrière ; enfin il tombe accablé par le nombre qui afflùoifc et refluoit sans cesse autour de lui, comme les flots d'une mer orageuse. Ses soldats redoublent d'efforts pour le sauver. Ils l'environnent, ils le protègent ; ils l'enlèvent enfin du milieu des ennemis. Dès qu'il se voit libre , il monte à cheval, court par toute la ville, rallie les Syracusains, prend les troupes étrangères qui n'avoient point encore combattu, les mène contre les soldats du tyran déjà fatigués. Ce n'est plus un combat, c'est une affreuse déroute. Dion est vainqueur, son triomphe est complet: Syracuse est sauvée. Quelque temps après cette action sanglante, il vint de la part de Denys, des hérauts chargés d'une lettre de ce prince. Dion la. fit lire en pleine assemblée. Elle étoit tournée en forme de prière et de justification, mêlée cependant de terribles menaces contre les personnes qui dévoient être les plus chères à Dion, contre sa sœur, contre sa femme, contre son fils ; et elle étoit écrite avec un art et une adresse merveilleusement propres à rendre suspect le vengeur de la liberté publique. Denys lui rappeloit tout ce qu'il avoit fait autrefois avec tant d'ardeur et de zèle pour le maintient de la tyrannie. Il l'exhortoit en termes couverts et cachés, mais assez clairs pour ê tre entendus, à ne pas l'abolir entièrement, à la garder pour lui-même ; à ne pas mettre en liberté des hommes qui, dans le fond du cœur, ne l'aimoient point ; enfin, à ne point abandonner au caprice d'une multitude inconstante et farouche, son propre salut, celui de ses amis , celui de ses parens. Cette lettre artificieuse produisit l'effet que le tyran s'étoit proposé. Les Syracusains, sans être touchés de la générosité de Dion, de cette grandeur d'ame qui lui faisoit oublier ses plus chers intérêts , et étouffer la voix du sang et de la nature, pour les affranchir d'une odieuse servitude, prirent ombrage de sa trop grande autorité, et conçurent contre lui d'injustes soupçons. L'arrivée à'Héraclide acheva de les déterminer. C'étoit un des bannis, homme de guerre, et fort connu dans les troupespar lescommandemens considérables qu'ilavoit
�AMOUR DE LA PATRIE. *J% eus sous les tyrans, plein de hardiesse et d'ambition, enfin l'ennemi secret de Dion , avec lequel il s'étoit brouillé dans le Péloponnèse.Il étoit arrivé à Syracuse avec sept galères à trois rangs de rames, et trois autres vaisseaux , non pour se joindre à ce capitaine , mais résolu de marcher contre le tyran avec ses seules forces. Il le trouva réduit à se tenir enfermé dans sa citadelle. Il chercha d'abord à gagner les bonnes grâces du peuple, que l'austère gravité de Dion commencoit à rebuter. Bientôt il s'en fit aimer, au point qu'on le nomma grand amiral de Syracuse. Dion survint dans l'assemblée, et se plaignit hautement qu'on eût démembré sa charge pour en revêtir Héraclide. Les Syracusains confus révoquèrent leur nomination. Mais Dion, content de la justice qu'on lui avoit rendue, nomma, dans une nouvelle assemblée du peuple, son rival grand amiral , et lui fit donner des gardes, comme il en avoit lui-même. Il prétendoitle vaincre à force de bienfaits ; mais Héraclide ne cessa de cabaler contre cet ennemi généreux; et l'amour de la patrie ne put étouffer dans son cœur ni son ambition ni sa haineCependant Denys, vivement pressé dans son fort, et redoutant les extrêmes malheurs auxquels Fexposeroit une plus longue résistance, fit offrir à Dion de lui remettre la citadelle, les armes qui y étoient, et les troupes , avec tout l'argent nécessaire pour les soudoyer pendant cinq mois, si l'on vouloit, par un traité, lui permettre de se retirer en Italie pour y passer le reste de ses jours , et lui accorder le revenu de certaines terres qu'il désignoit. Les Syracusains , qui se flattoient de le prendre en vie, rejetèrent ces propositions. Le tyran, déchu de cette espérance , laissa la citadelle entre les mains à'Apollocrate , son fils aîné ; puis ayant observé le moment d'un vent favorable, ii embarqua sur des vaisseaux ses trésors les plu s précieux, les personnes qui lui étoient les plus chères, et fit voile vers l'Italie. On sut bien mauvais gré à Héraclide, qui commandoit les galères, de l'avoir laissé échapper par sa négligence. Afin de regagner les bonnes grâces du peuple , il fait proposer dans l'assemblée un nouveau
�174
AMOUR
D£
LA
P A TM'B.
partage de terres , insinuant que le commencement de la liberté étoit. l'égalité des biens, comme la pauvreté étoit celui de la servitude. Dion s'opposant à ce décret, Héraclide persuada au peuple de retrancher la paie aux soldats étrangers , dont le nombre étoit de trois mille ; d'ordonner de nouveaux partages , et de créer de nouveaux capitaines, en se délivrai!tune bonne fois de l'insupportable sévérité du grand général. On applaudit à ce projet ; on s'empresse de l'exécuter. En même temps on sollicite secrètement les soldats étrangers d'abandonner Dion, et de se ranger du côté des citoyens; mais ces généreux guerriers mettant au milieu d'eux leur capitaine,lui jurèrent une éternelle fidélité. Lui faisant un rempart de leurs corps et de leurs armes, ils le mènent hors de la ville, sans faire le moindre mal à personne ; mais reprochant vivement à tous ceux qu'ils rencontroient leur ingratitude et leur perfidie. Les Syracusains, qui méprisoientleur petit nombre , et qui rcgardoient leur modération comme un effet de leurcrainte, commencèrentàles charger, ne doutant point qu'ils ne remportassent une victoire complète. Dion, réduit à la triste nécessité ou de combattre contre ses concitoyens, ou de périr avec ses troupes, tondoit les mains aux Syracusains ; employant les prières les plus tendres et les plus affectueuses, et leur montrant la citadelle pleine d'ennemis qui contemploient avec joie les funestes effets de leur discorde. Les voyant sourds et insensibles à toutes ses remontrances, il commanda à ses soldats de marcher serrés , sans faire la moindre charge. Ils obéirent, se contentant de frapper leurs armes, et de pousser de grands cris, comme s'ils avoient dessein de commencer le combat. Ce mouvement soudain effraya les"Syracusains de telle sorte, qu'il n'en resta pas un seul : tous prirent la fuite , sans que personne les poursuivît. Dion obligea ses soldats à presser heur marche, et il les mena vers les terres des Léontins. Les officiers de Syracuse , devenus l'objet des railleries et des risées de toutes les femmes de la ville, et voulant réparer leur honte, firent reprendre les armes à leurs troupes, se remirent à poursuivre Dion; et
�17$ l'ayant atteint au passage d'une rivière, ils firent approcher leur cavalerie pour escarmoucher : niais quand ils virent que Dion songeoit sérieusement à repousser leurs insultes, et que, plein de feu, ilfaisoit tourner tête à ses soldats , ils furent saisis de frayeur , et s'abandonnant a une fuite plus honteuse encore que la première , ils se hâtèrent de regagner la ville. Les Léontins recurent Dion avec de grandes marques de distinction et d'honneur. Ils firent aussi des largesses à ses soldats, et les déclarèrent citoyens. Peu de jours après , ils envoyèrent des ambassadeurs aux Syracusains , leur demander justice pour ces troupes qu'ils avoient si mal traitées. Ceux-ci, de leur, côté , envoyèrent aussi des députés aux Léontins, pour se plaindre de Dion.Syracuse étoitdansl'enivrementd'une joie aveugle et d'une prospérité insolente , qui ne laissoitaucunlieu à laréflexion ni au jugement. Tout conspiroit à nourrir et à enfler son orgueil. La famine étoit si grande dans la citadelle, que les soldats de Denys , après avoir beaucoup souffert, se résolurent enfin de la livrer aux Syracusains. Ils envoyèrent, la nuit, faire cette proposition, et le lendemain matin ils dévoient se rendre. Mais au point du jour, comme ils se préparoient à remplir le traité , Nypsius, général plein de prudence et de valeur , que Denys avoit envoyé de Waples pour porter du blé et de l'argent aux assiégés, arut avec ses galères, et aborda près d'Are thuse. 'abondanse succédant tout d'un coup à la disette , Nypsius met à terre ses troupes , convoque une assemblée, ranime le courage abattu des soldats , et la citadelle est sauvée contre toutes espérance. CependantlesSyracusains montent à lahâte sur leurs galères, et vont attaquer la flotte ennemie. Ils coulent à fond quelques vaisseaux ; ils en prennent quelques autres ; ils poursuivent le reste jusqu'aux rivages 5 mais cette victoire devient bientôt la cause de leur perte. Abandonnés à leur propre conduite, sans chef, sans conseil , les officiers comme les soldats, tous se livrent aux transports d'une joie insensée , aux festins , à l'ivrognerie , à la débauche, à toute sorte de licence. Nypsius
AMOUR DE LA PATRIE.
E
l
�176 AMOUR DE LÀ PATRIEI profite de cet. enivrement général. Tont-à-coup il attaque la muraille qui environnoit la citadelle ; il s'en rend maître ; il l'abat en plusieurs endroits ; il lâche ses guerriers dans la ville, qu'il abandonne aupillage.Tout étoit dans la confusion et dans le désordre. Ici , les citoyens ^encore plongés dans le sommeil, sont égorgés sens résistance : là, les maisons deviennent la proie des soldats avides , insatiables : plus loin, on emmène les femmes et les enfans ; on les fait entrer dans la citadelle , malgré leurs pleurs et leurs cris.Un seul homme pouvoit remédier à ce malheur, et sauver Syracuse : tous l'avoient également dans l'esprit ; mais personne n'osoit le nommer, tant on rougissoit de la manière indigne dont on l'avoit chassé. Comme le danger augmentait de moment en moment, et qu'il approchoit déjà de l'intérieur de la ville, dans l'extrémité, dans le désespoir où l'on setrouvoit,une voix s'écria : «Ilfaut « rappeler Dion, et faire venir les troupes duPélopon« nèse, qui sont sur les terres des Léontins.» A peine a-t-on entendu cette parole, que, par un mouvement unanime , tous les Syracusains se mettent à prier les dieux, avec des larmes de joie et dé douleur, de leur ramener ce citoyen généreux, qui peut seul briser le joug qui les accable. Les débutés partent : leur course est si rapide, qu'à l'entrée de la nuit ils arrivent à Léontium. Dion vient au devant d'eux. Ils se jettent aux pieds de cet illustre proscrit; et, les yeux baignés de pleurs, ils lui exposent l'extrême danger où se trouve sa patrie. Dion les conduit à l'assemblée, qui se forme dans le moment. Alors cet excellent patriote, ayant calmé la douleur qui lui coupoit la parole : « Guerriers « du Péloponnèse, dit-il, et vous , fidcllcs alliés , je « vous assemble ici pour que vous délibériez sur ce qui « vous regarde ; car pour moi, dès que Syracuse a « parlé, je dois obéir. Si je ne puis la sauver , je vais « périr avec elle, et m'ensevelir sous ses ruines. Si les « justes sujets de plaintes que vous avez contre mes con« citoyens vous portent à les abandonuer dans l'affreux « état où les a jetés leur imprudence, puissiez-vous au « moins recevoir des Dieux une digne récompense de
« l'affection
�AMÔtIR t) E L À PATRIE* \JJ « l'affection généreuse que vous nous avez témoignée! « Dion n'oubliera jamais tout ce qu'il vous doit. La re« connoissanee n'est un fardeau que pour les ames vul« gaires. » Il n'avoit pas cessé de parler, qu'on l'interrompt par de grands cris : « Allons délivrer Syracuse ! » On presse Dion de partir , son activité répond à peine à l'impétueuse ardeur de ses soldats. On vole à Syracuse, où la passion donnoit encore de nouvelles scènes. Après s'être rassasiés de sang et de butin, les soldats de Denys s'étoient retirés dans la citadelle. Leur retraite avoit rendu le courage aux républicains. Les flatteurs du peuple, adversaires de Dion , persuadés que les ennemis demeureroient en repos après toutce qu'ils venoient de faire , exhortèrent les citoyens à ne pas céder en courage aux étrangers que leur libérateur conduisoit avec lui, et à leur fermer l'entrée de la ville. On applaudit. De nouveaux députés partent pour arrê ter la marche et confondre les desseins du sauveur de Syracuse, tandis que d'autres factieux se saisissent des portes de la place, pour en défendre l'accès. Dans ce moment, Nypsius, bien averti de tout ce qui se pas-^ soit dans la ville , fait sortir de la citadelle ses soldats, en plus grand nombre, et encore plus détenminés.qu'auparavant. Ils achèvent d'abattre la muraille qui les enfermoit, courent par toute la ville et la saccagent.De tous côtés, ce n'étoitque meurtre et que sang répandu. Peu s'amusoient au pillage ; on ne pensoit qu'à tout ruiner, à tout détruire.On eût dit que le fds de Denys, réduit au désespoir , et plein d'une haine implacable, vouloit enterrer la tyrannie sous les débris de Syracuse. Cependant Dion approchoit. On vient lui dire que sa patrie est presque réduite en cendres. Il hâte sa course , il arrive ; il présente le combat ; il attaque les troupes du tyran , et les taille en pigces. Ensuite, pressant avec ardeur le siège de la citadelle , il force bientôt Apollocrate à se rendre par capitulation. Ce moment si long-temps désiré, fit naître dans Syracuse les plus vifs transports d'allégresse; et quand le fils du tyran eut mis à la voile , femmes , enfans, vieillards , tous s'empressèrent de revenir au port, repaître leurs Tome I. M
�I78
A M O ÛR
DE
t A
PATRIE.
yeux d'un si agréabl e spectacle, e t de solenniser un si beau jour , où , après tant d'années de servitude, le soleil levant commencoit à éclairer, pour la première fois , la liberté publique. 2. Les Lacédémoniens s'étant rendus maîtres de la ville de Thèbes , y avoient établi des gouverneurs , ou plutôt des tyrans qui faisoient gémir les Thébains sous le joug de la plus cruelle servitude. Pêlopidas, trop fier pour souffrir l'esclavage, se retira à Athènes avec plusieurs autres Thébains. Là, il ne s'occupa que des moyens de rendre la liberté à sa patrie. Il entretenoit une étroite correspondance avec quelques amis vertueux, qui étoient restés à Thèbes ; il leur fit part de son dessein, et n'eût pas de peine à les engager à le seconder. Char on, qui étoit un des principaux de la ville , promit de donne sa maison pour retraite aux conjurés ; et un autre Thébain , nommé Philidas , trouva le moyen de se faire greffier à'Archias et de Philippe, deux des principaux gouverneurs Spartiates. Pêlopidas,assure du secours de ces deux amis fidèles, va trouver tous les Thébains réfugiés à Athènes ; leur représente qu'il est honteux pour eux de laisser leur patrie gémir dans l'esclavage :-il leur propose de s'unir à lui, et de marcher ensemble pour délivi'er Thèbes. « Nous entrerons , dit-il, le soir , dans la ville , nous « irons descendre à la maison de Char on , mon ami « fidèle. Ce soir-là même , Philidas , qui est aussi « dans ma confidence , donnera à nos tyrans un grand « festin. Lorsqu'ils seront dans le vin , nous entrerons « dans la salle , et nous les égorgerons au milieu de « l'ivresse. » Ce projet fut unanimement approuvé. Tous ces illustres exilés se mettent en marche , ayant Pêlopidas à leur tête.Lorsqu'ils furent près de la ville ils s'arrêtèrent, et convinrent que, de peur d'être reconnus , ils n'entreroient pas tous dans Thèbes , mais seulementqu'unpetitnombre des plus jeunes tenteroit d'abord l'entreprise ; que , s'il leur arrivoit d'être surpris par les ennemis , et de périr en cette occasion , les autres se chargeraient du soin de leurs familles. Pêlopidas fut le premier qui se présenta pour entrer
�AMOUR DE. LA PATRIE. 179 dans la ville : plusieurs autres imitèrent son courage. Ils étoient, en tout, au nombre de douze. Ils envoyèrent un courrier à Charon , pour l'avertir de leur arrivée ; et, après avoir embrassé leurs compagnons , ils se mirent en marche, vêtus de simples vestes, menant avec eux des chiens de chasse, et tenant à la main des rets , atîn que ceux qui les rencontreroient les prisent pour des chasseurs qui s'étoient égarés. Pêlopidas, et ceux de sa bande, étant arrivés aux portes de la ville, prirent des habits de paysans, et, s'étant partagés, entrèrent par différons endroits. On étoit alors au commencement de l'hiver : la rigueur de la saison , le mauvais temps , la neige qui tomboit en abondance, tout sembla concourir à les dérober aux regards. Us allèrent droit à la maison de Charon , où ils se trouvèrent, bannis ou autres, au nombre de quarante-huit. Philidas, aussi fidèle à ses engagemens , donnoit , ce soir là même, le festin funeste auquel il avoit invité ses deux supérieurs. Le repas étoit avancé , et déjà le vin éga}roit les convives , lorsqu'il se répand , on ne sait par quelle voie , que des gens suspects étoient entrés dans la ville. Philidas , sans marquer un air embarrassé, fait tons ses efforts pour détourner-la conversation ; mais Archias envoie un de ses officiers à Charon lui donner ordre de venirle trouver sur l'heure. Il étoit déjà tard. Pêlopidas et les conjurés se préparaient à partir , et s'étoient armés de leurs cuirasses et de leurs épées. Totit-à-coup on entend frapper à la porte : on l'ouvre ; et Charon apprend que les magistrats le demandent. A cette nouvelle , tous concluent que leur projet est déconvert ; ils se croient perdus avant d'avoir pu signaler leur courage et leur amour pour la patrie. Néanmoins l'avis unanime est que Charon doit obéir au commandement, et se présenter aux tyrans avec assurance, comme n'ayantrien, ni à craindre , ni à se reprocher. Cet excellent citoyen étoit un homme ferme et intrépide dans les périls qui ne menaçoient que sa personne. Mais alors , effrayé du danger de ses amis., et craignant aussi qu'on ne le soupçonnât de quelque trahison , si tant M 2
�180 AMOUR DE LA PATRIE. de braves personnages venoient à périr , il va dans l'appartement de son,épouse , prend son fils unique , âgé tout au plus de quinze ans , le remet entre les mains de Pêlopidas , et lui dit : « Si vous venez à « découvrir que je vous aie trahi, et qu'à votre égard « j'aie usé de mauvaise foi , traitez en ennemi ce fils « unique que je vous abandonne , quelque cher qu'il » me soit , et vengez - vous sur lui de la perfidie du « père. » On ne put entendre ce discours sans être pénétré de la plus vive douleur. On conjura le généreux Charon de mettre en sûreté ce fils si tendrement aimé , et si digne de l'être, afin de conserver un vengeur à sa patrie, à ses amis, s'il étoit assez malheureux pour succomber sous les coups des tyrans. « Non , « répliqua le père , non , il demeurera avec vous , « et n'aura point d'autre sort que le vôtre. Eh quoi ! « s'il doit périr , quelle plus belle fin peut-il faire , « que d'expirer avec son père et les personnes qu'il « chérit le plus ? Et toi, mon cher enfant, élève ton « ame au niveau de la nôtre : apprends de bonne » heure à tout sacrifier à la patrie ; montre un cou« rage digne de toi, digne de moi. Tu vois ici l'élite « de nos chxryens : fais , sous de tels maîtres , un « noble apprentissage de gloire ; et, dès ce moment, « accoutume - toi à combattre , et , s'il le faut , « à mourir , comme eux , pour la liberté. Au reste , « je ne suis pas sans espérance , et j'ose me flatter « que la justice de notre cause attirera sur nous les « regards et la protection du Ciel. » En même temps, il adresse sa prière aux Dieux , embrasse tous les conjurés l'un après l'autre , et sort. En chemin , il travaille à se remettre , il compose son visage et sa voix ; il prend un air plus assuré , capable de cacher le trouble intérieur de son ame. Quand il fut à la porte de la salle du festin , Archias et Philidas viennent au-devant de lui , et lui demandent ce que veut dire un bruit qui se répand qu'il étoit arrivé dans la vil'.a des gens mal intentionnés qui sont dans quelque maison. Il fait l'étonné , et jugeant par les réponses des tyrans qu'ils ne savoient
�AMOUR DE LA PATRIE. , 181 rien de précis , il prend un ton plus ferme , et leur dit : « Il y a de l'apparence que ces bruits , dont vous « me parlez, ne sont qu'une fausse alarme qu'on aura « voulu vous donner pour troubler vos plaisirs. Ce« pendant il ne faut rien négliger, et sans perdre de « temps , je vais faire l'enquête la plus exacte qu'il « sera possible. » Philidas le loua de sa prudence et de son zèle ; et, ramenant Archias dans la salle , il le replonge dans les plaisirs, et lui promet de faire venir à la fin du repas les plus belles femmes de la ville. Charon , de retour chez lui , trouve ses amis tout préparés , non à vaincre ni à sauver leur vie , maisà mourir glorieusement, après avoir fait un grand carnage de leurs ennemis. Le calme et la joie qui régnoient sur son visage leur annoncèrent par avance — qu'il n'y avoit rien à craindre. Il raconte tout ce qui s'étoit passé , et l'on ne songe plus qu'à exécuter promptement un dessein auquel le moindre retardement pouvoit apporter mille obstacles. En effet,. dans le moment même , survient tout-àcoup un second orage bien plus violent et plus dangereux encore que le premier , et qui paroissoit devoir faire échouer infailliblement l'entreprise. Un courrier, parti d'Athènes , arrive en grande hâte , chargé d'un paquet qui renfermoit un détail circonstancié de toute la conjuration , comme on le reconnut dans la suite. Ce courrier fut mené d'abord à Archias qui étoit déjà noyé dans le vin , et qui ne respiroit que la joie. En lui rendant sa dépêche , il dit : « Seigneur , « celui qui vous écrit ces lettres vous conjure de les« lire sur-le-champ , parce qu'elles parlent d'affaires « très-sérieuses. » Archias se mettant à rire : « A de« main, dit-il ,, les affaires sérieuses-; » paroles qui passèrent depuis en proverbe parmi les Grecs ; et , prenant les lettres , il les mit sous son chevet (1) et continua la conversation et le repas.
(1) Les Grecs, et presque tous les anciens, mangeoienfc„ comme on sait, couchés sur des lits ; attitude gênante, que les siècles modernes ont réformée»
M 5
�l82
AMOUR DE
LA
PATRIE.
Déjà les conjurés étoient sortis , partagés en deux troupes : les uns, sous la conduite de Pêlopidas, marchoient contre Léontide et ïlypatas , deux, autres gouverneurs lacédémoniens , qui n'avoiènt point été invités au festin ; les autres contre Archias et son collègue, ayant à leur tête l'intrépide Charon. Ceuxci avoientmis surleurs cuirasses vdes robes de femmes, et sur leurs têtes des couronnes de pin et de peuplier, qui leur couvroient tout le visage. Dès qu'ils furent à* la porte de la salle du festin , tous les convives1 firent un grand bruit, et jetèrent de grands cris de joie.Mais on leur déclara que les femmes ne vouloient point entrer qu'on eût auparavant congédié tous les valets ; ce qui fut sur-le-champ exécuté. On les fit passer dans des maisons voisines où le vin ne leur fut pas épargné. Les conjurés , devenus par ce stratagème maîtres du champ de bataille , entrent l'épéé à la main , se montrent pour ce qu'ils sont , font main-basse sur tous les convives , et égorgent-sans peine avec eux les magistrats, qui tous étaient pleins de vin , et hors d'état de se défendre. Pêlopidas ne remporta point une victoire si facile. Il avoit affaire à des gens braves , et dont la raison n'étoit point troublée. 11 alla d'abord à la maison de Léontide, dont il trouva la porte fermée , parce qu'il étoit. couché. Les conjurés heurtèrent long-temps , sans que personne répondît. Enfin, un esclave les ayant entendus , se lève , et descend pour ouvrir. Il n'eut, pas plutôt entr'ouvert la porte, que les conjurés entrent enfouie , renversent l'esclave , et montent à la chambre du tyran. Celui-ci s'éveille au bruit, saute de son lit, et va l'épée à la main, au-devant d'eux , pour défendre la porte. Il frappe d'abord un des conjurés , nommé Céphisodore , qui entroit le premier, et l'étend mort à ses pieds. Pêlopidas se présente ensuite. La porte qui étoit étroite , et le corps de Céphisodore , qui embarrassoit l'entrée , rendirent ce combat long et difficile. Mais enfin, la valeur de Pêlopidas fut couronnée parla fortune : son bras courageux immola Léontide à la liberté thébaine. Animés
�iMOtlR-DÏ
LA PATlIKr
>
l83
par ce succès , ils courent ensemble chez Hypatas* En vain il veut éviter par la fuite un funeste trépas,* On le poursuit : on l'égorge , et la tyrannie de La— cédémone expire avec cette dernière victime. Après avoir exécuté cette grande affaire avec tant de bonheur et de promptitude , on dépêche dans le moment des courriers au4? bannis qui étoient restés hors de la ville : on force les portes des prisons ; onen tire cinq cents citoyens ; on appelle tous les Thébains à la liberté ; on arme tous ceux qui se rencontrent 5 on enlève des portiques les dépouilles qui y étoient attachées ; on enfonce les boutiques des armuriers et des fourbisseurs. Epaminondas et Gorgidas viennent au secours des vainqueurs avec un assez grand nombre de citoyens courageux. Toute la. ville étoit remplie dé frayeur et de trouble : toutes les maisons étoient éclairées de flambeaux , et les rues pleines de ■ gens qui couraient çà et là. Le peuple , tout consterné de ce qui venoit d'arriver , et n'étant pas encore bien informé de son sort, attendoit le jour avec impatience. Aussi blâma-t-on beaucoup les capitaines Spartiates de n'avoir pas profité de ce désordre; car la garnison étoit de quinze cents hommes, sans compter plus de trois mille bourgeois , ou autres qui s'étoient réfugiés dans la citadelle. Effrayés des. cris qu'ils entendoient, des feux qui paroissoient partoutes les maisons, et du tumulte affreux qui régnoit dans la ville , ils demeurèrent en repos , et se conr tentèrent de garder la citadelle , après avoir expédié à Sparte des courriers pour y porter la nouvelle de ce qui venoit d'arriver , et pour demander qu'on leuj? envoyât promptemeDt du secours. Le lendemain , au lever dè l'aurore , les bannis arrivent avec leurs armes. On convoque une assemblée du peuple. Epaminondas et Gorgidasy mènent Pêlopidas et sa troupe , environnés de tous les sacrificateurs qui portent dans leurs mains les bandelettes sacrées , et qui exhortent les citoyens à secourir leur patrie etleurs dieux. A ce spectacle, toute l'assemblée se lève avec des cris et des battemens de mains x eË
M4
'
�1
84
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
reçoit les conjurés , comme ses bienfaiteurs et ses libérateurs. Pêlopidas, Charon, etquelques autres,sont nommés aussitôt souverains magistrats : la république renaît de sa cendre; unnouveau jour brille dans Thèbes. L'arrivée des bannis fut suivie de près de celle de cinq mille hommes de pied et de cinq cents chevaux, que les Athéniens envoyèrent à Pêlopidas , sous les auspices de Démophon. Ces troupes , avec celles qui arrivèrent bientôt après de toutes les villes de la Béotie , firent une armée de douze mille fantassins , et de deux mille cavaliers. Sans perdre de temps , on forma le siège de la citadelle, pour s'en rendre maître avBnt qu'il put arriver du secours de Sparte. Les assiégés cependant se défendoient avec courage , et mroissoient déterminés à mourir plutôt que de céder a place : du moins c'étoit la disposition des Lacédémoniens ; mais ils ne faisoient pas le plus grand ïiombre. Quand les vivres commencèrent à manquer, et qu'on se sentit pressé de la faim , les troupes étrangères et les citoyens les obligèrent de capituler. Toute la garnison eut la vie sauve , et on lui permit de se retirer où bon lui semblerait. A peine étoit-elle sortie , que le secours arriva ; mais il étoit trop tard : Thèbes avoit recouvré sa première liberté , et avec elle un courage invincible. Pêlopidas eut tout l'honneur de ce grand exploit, le plus mémorable de tous ceux qui ont été exécutés par surprise et par ruse. Ce fut lui qui forma le hardi projet de heurter avec une petite poignée de gens une puissance formidable ; qui triompha des obstacles par son courage ; qui déconcerta l'ennemi par sa prudence , et qui soutint ses compagnons par son héroïque intrépidité. En vain , dans la suite , Lacédémone arma tous ses guerriers pour asservir de nouveau la patrie de ce grand"homme ; tous ses efforts échouèrent. Pêlopidas , dans cette nuit , à la tête de douze citoyens , sans prendre ni château ni place , humilia l'orgueil de cette fière république , lui enleva l'empire de la terre et de la mer, et brisa pour jamais les fers dont elle enchaînoit la Grèce*
Î
�AMOUR
DE
LA
PATRIE.
l85
3. Lysandre, général lacédémonien, s'étant rendu maître d'Athènes, confia l'autorité souveraine à trente magistrats qui bientôt devinrent d'insupportables tyrans. Tout ce qu'ily avoit alors de citoyens un peu considérables , et qui conservoient encore quelqu'amour de la liberté, sortirent d'une ville réduite à une dure et honteuse servitude , et allèrent chercher ailleurs un asile où ils pussent vivre en sûreté.Ils avoient à leur tête le célèbre Trasibule,citoyen d'un rare mérite, etqui sentoit avec une vive douleur les maux de sa patrie. LesLacédémoniens eurent l'inhumanité devouloirôter cette dernière ressource à ces malheureux fugitifs. Ils défendirent aux villes de la Grèce, par un décret public , de leur donner retraite ; ordonnèrent qu'on les livrât aux trente tyrans, et condamnèrent à une amende decinqnùlle écus quiconque s'opposeroit à l'exécution decetéditbarbare.Deux villes seules méprisèrent cette ordonnance inique , Mégare et Thèbes ; et cette dernière fit un édit contraire, qui décernoit. des peines rigoureuses contre quiconque verroit un Athénien aftaquéparses ennemis sans lui prêter main-forte. Lysias, orateur de Syracuse, que les trente avoient exilé, leva à ses dépens cinq cents soldats , et les envoya au secours de la patrie commune de l'éloquence. Trasibule ne perdit pas de temps. Après avoir pris Phylé , petit fort de l'Attique, il marcha vers le Pirée , et s'en rendit maître. Les trente y accoururent aussitôt avec leurs troupes. Il se donna un combatqui fut assez rude. Mais comme les soldats combattaient, d'un côté, avec force et vigueur pour leur propre liberté, et de l'autre, avec mollesse et nonchalance , pour la domination d'autrui, le succès ne fut pas douteux , et suivit la bonnecause.Les tyrans furent vaincus. Critias, un des plus cruels d'entre eux, demeura sur la place 5 et comme le reste de l'armée prenoit la fuite : «Pourquoi, « s'écria Thrasibule, me fuyez-vous comme vainqueu r, « plutôt que de m'aider comme vengeur de votre li« berté ? Ce n'est point à la ville , mais aux trente « tyrans que nous avons déclaré la guerre. » Il les fit souvenir ensuite qu'ils avoient tous même origine ,
�l86
AMOUR
DK
LA
PATRIE.
même patrie, mêmes lois , mêmes sacrifices. II le* exhorta à avoir compassion de leurs concitoyens exilés, à leur restituer leur patrie , à rentrer eux-mêmes en possession de leur liberté. Ce discours fit impression sur les esprits. L'armée , de retour à Athènes, chassa les trente qui se retirèrent à Eleusis : de là , ils députèrent à Lacédémone pour demander du secours. Lysandre , qui y fut envoyé avec des troupes , fit le* plus grands efforts pour rétablir les tyrans. Mais le roi Pausanias, qui marcha aussi contre Athènes, touché de Tétat pitoyable où cette ville , autrefois si florissante , étoit réduite, eut la générosité d'en favoriser secrètement les citoyens, et enfin leur procura la paix. Elle fut scellée du sang des tyrans, qui, ayant pris les armes pour recouvrer leur injuste puissance , et en étant venus à un pour-parler, furent tous égorgés, et laissèrent Athènes daus une plaine liberté. On rappela tous les bannis ; et ce fut alors que Thrasibule proposa cette amnistie fameuse, par laquelle les citoyens s'engagèrent, avec serment, d'oublier tout le passé. On rétablit le gouvernement tel qu'il étoit auparavant ; on remit en vigueur les lois anciennes , on nomma des magistrats selon la forme ordinaire ; et ces merveilles furent l'ouvrage de Thrasibule. Athènes sentit vivementtoute l'étendue d'un tel service, et combla de louanges son généreux libérateur. Un de ses amis lui dit : «Après un « si grand bienfait, que ne vous devra point la patrie ? « —Heureux plutôt, répondit Thrasibule, si par ce « foible témoignage de mon zèle, je puis m'acquitter « moi-même d'une partie de ce que je lui dois ? » 4- G "'étoit le sort des petites républiques de l'antiquité , d'être asservies de temps en temps par des citoyens ambitieux, qui, foulant aux pieds l'amour de la patrie, sacrifioient à leur propre grandeur, les lois, la religion et les hommes. Un de ces tyrans , appelé NicocLes, avoit écrasé la liberté des Achéens ; et Sicione , capitale de ce peuple de la Grèce, gémissoit sous le joug d'un despo tisme odieux,lorsque des citoyens généreux, que l'oppresseur avoit exilés, résolurent de briser; sous la conduite du célèbre Aratus, les fers qui
1
�AMOUR
DE
L A
PATRÎE
1S7
enchamoient la république.Les premiers qui formèrent un si noble projet, furent Aristomaque, banni de Sicione, eiEcdéluque, banni de Mégalopolis en Arcadie. Ce dernier, philosophe académicien, étoit un homme de cœur, propre aux entreprises les plus hasardeuses. L'un et l'autre étant entrés dans les vues à'Aratus,Wen fil part à tous les bannis deSicione, qui se trouvoientà Argos. Quelques-uns consentirent de se joindre à lui, parce qu'ils auroient rougi de ne point prendre part à ce qui ponvoit être utile à leur patrie. Les autres tâchèrenlde lui faire abandonner un dessein dont l'exécution leur paroissoit impossible, et qu'il n'avoit à cœur, que parce que sa jeunesse ne lui permettait pas d'en prévoir les dangers. Mais Aratus, ferme dans sa résolution , vit,sans se déconcerter, les obstacles qu'il avoitàfranchir ; et plein de ce zèle patriotique , qui fait braver aveuglément les plus grands périls, il voulut commencer par s'emparer de quelque place du territoire de Sicione,pour faire au tyran une guerre cruelle, avec les secours qu'il espéroitsc procurer. 11 s'y préparait, lorsque Xénoclès, un des bannis, lui vint amener son frère, nouvellement échappé des pinsons àeNicoclès, qui leur dit qu'à l'endroit par lequel il s'étoit sauvé, le terrain, au dedans de la ville, étoit presque aussi haut que les créneauxdesmurailles,lesquellespouvoient être aisément escaladées. Sur cette ouverture, Aratus changea son plan d'opération, et résolut de surprendreSicione même 5 ce qui lui parut préférable aux risques d'une guerre qui pouvoit être longue, et tourner au désavantage des bannis qui n'auraient pas autant de moyens que le tyran de la soutenir. Il envoya donc Xénoclès, avec deux de ses domestiques, pour reconnoître la muraille. Xénoclès revint après en avoir pris la mesure , et lui dit qu'on pourrait sans peine monter par cet endroit ; mais qu'il ne serait pas si facile d'en approcher sans être découvert, parce que des petits chiens d'un jardinier voisin jappoient au moindre bruit , et qu'il étoit impossible de les faire taire Cet inconvénient n'intimida point Aratus. Ses amis et lui firent provision d'armes, ce qui ne donna point de soupçon,
�l88
AMOUR
DE
E A
PATRIE.
parce que tous les chemins étant infestés de bandits et de voleurs , on étoit obligé de s'armer pour voyager. Un banni de Sicione , grand ingénieur, fit publiquement , sans causer aucun ombrage, les échelles dont on aurait besoin. Quelques Argiens, amis particuliers d''Aratus, lui fournirent chacun dix hommes armés. Lui-même arma trente de ses domestiques ; et par Fentrcmise de Xénophile, capitaine de bandits, il prit à sa solde un petit nombre de soldats auxquels on fit entendre qu'il s'agissoit d'aller dans le territoire de Sicione , enlever les haras du roi de Macédoine. Ils furent envoyés, les uns par un chemin, les autres par un autre , avec ordre de se joindre tous à la tour de Polignote. Les échelles qui se brisoient, furent mises dans des tonnes à transporter des grains, et chargées sur des chariots qu'on fît partir devant. Ce fut avec ce peu de ressources , et sans aucune intelligence dans Sicione même , qu'Aratus entreprit d'y détruire la tyrannie , et d'y établir l'ancien gouvernement. Caphésias, suivi de quelques conjurés, sans armes, alla, comme passant, loger chez le jardinier, afin de le renfermer avec ses chiens dans sa maison. Nicoclès cependant avoit plus que jamais dans A rgos des espions en grand nombre , qui , se promenant de tous côtés dans la ville , et ne paraissant songer à rien , observaient soigneusement toutes les démarches à'Aratus. Ce dernier en étoit instruit: c'est pourquoi le jour même de l'exécution de son projet, il sortit dès le grand matin, et s'alla promener sur la place avec ses amis , suivant sa coutume. 11 se rendit ensuite au lieu des exercices, se déshabilla, se fit frotter d'huile, et s'exerça quelque temps à la lutte.Ilprit ensuite plusieurs jeunes gens avec lesquels il étoit en usage de se divertir , et les emmena dîner.On vit aussitôt sur la place un de ses esclaves qui portoit des couronnes de fleurs. Un autre vint acheter des torches et des flambeaux. Un troisième s'accosta de danseusesetdejoueuses d mstrumehs qu'on avoit coutume d'appeler dans les festins. Les espions du tyran examinoient tout avec soin. Ils sedirent les uns aux autres, en riant, que tout cela faisoit voir qu'il n'y avoit
�AMOUR
DE
LA
PATRIE
189
rien de si lâche et de si craintif qu'un tyran, puisque Nicoclès, maître d'une grande ville, et d'ailleurs trèspuissant , redoutoit un jeune homme qui dépensoit tout son bien en débauches et en plaisirs. Trompés de cettemanière, ces espions aidèrent au succès del'entreynsed'Aratus, en ce qu'ils ne purent donner à Nicocles aucun avis qui l'engageât à se tenir sur ses gardes. Aussitôt après le dîner, Aratus partit d'Argos pour se rendre à la tour de Polignote. Il y trouva ses soldats qu'il conduisit un peu plus,loin. Alors il les instruisit de son dessein, les engagea par ses prommeses à le suivre; et leur ayant donné pour mot Apollon propice, il marcha droit à Sicione, réglant sa marche sur la lune qui l'éclairoit, afin de n'arriver à la maison du jardinier,que quand la lune seroit couchée. Comme il en approchoit, Caphésias vint lui dire qu'on n'avoit pas pu prendre les petits chiens qui s'étoient enfuis ; mais que le jardinier étoit renfermé dans sa maison. La plupart, découragés à cette nouvelle, voulurent s'en retourner. Aratus les retint, en leur promettant de se retirer avec eux si lescris des chiens les exposoient à quelque danger. Il fit aller devant Ecdélude et Mnasithée , avec ceux qui portaient les échelles, et les suivit lentement. Ces braves citoyens, quoique les chiens du jardinier aboyassent très-fort, ne laissèrent pas d'approcher en sûreté de la muraille , et de planter leurs échelles.Comme ils commençoient à monter , le capitaine de la garde de nuit, que celui de la garde de jour venoit de relever , passa par là, visitant les corps-de-garde , précédé d'une clochette, entouré de torches allumées, et suivi de beaucoup de gens qui faisoient grand bruit. Ceux qui montoientsetapirentsur leurs échelles,et.ne furent point aperçus. Mais la garde du jour , qui venoit à l'opposite, leur fit craindre d'être découverts.Elle passa pourtant sans les apercevoir; et dès qu'elle fut passée , Ecdélude et Mnasithée sautèrent sur la muraille, en envoyant avertir Aratus de se hâter d'approcher. La maison du jardinier n'était pas loin d'une tour où l'on tenoit un grand chien de chasse pour faire le guet. Ce chien epeendant ne les ayoit pas sentis ; mais les petits
�\
1QO A M 0 UR DE LA PATRIE.
chiens du jardinier continuant d'aboyer, l'éveillèrent enfin. Il ne leur répondit d'abord qu'en grondant, niais quand Ecdélude et Mnasitée , avec ceux qui les suivoient, passèrent auprès de la tour , il fit retentir tout le quartier de ses aboiemens , ce qui fut cause que la sentinelle avancée appellale chasseur qui prenoit soin de l'animal, et lui demanda ce qui le faisoit aboyer si fort ?Cct homme répondit de dedans la tour, qu'il n'y avoit rien , et que son chien , qui s'étoit réveillé , n'avoit aboyé que parce qu'il avoit entendu la clochette , et vu les flambeaux de la garde avancée, qui se retiroit. Aratus étoit alors au pied de la muraille , et ses soldats entendant ce que le chasseur disoit, en furent encouragés. Us crurent que cet homme étant du complot, ne parloit ainsi que pour cacher leur entreprise, et qu'il y avoit dans la ville une foule de citoyens prêts à les seconder : mais ils coururent un assez grand danger quand il fut question de montersurla muraille. Les échelles pliant sous le faix, ils furent obligés d'aller les uns après les autres , ce qui rendit l'opération très-peu sûre , parce que les coqs commencoient à chanter, et que les gens des villages voisins couvroient déjà les chemins , pour venir vendre leurs denrées à la ville. Il n'y avoit pas un moment à perdre. Aratus se presse de monter sur la muraille , et suivi seulement de quarante hommes , il marche droit à la maison du tyran , en attendant le reste de sa troupe. Les soldats que Nicoclès payoit pour sa garde , se voyant pris au dépourvu , sont tous arrêtés , sans qu'on en immole un seul à la liberté publique. Afors Aratus envoie parla ville appeler ses amis, qui se joignent aussitôt à lui. Le jour commencoit à paraître ; et le peuple, réveillé par le bruit qui se faisoit entendre , courut en foule au théâtre, pour en connoître la cause. Un héraut y vient crier à haute voix qn'Aratus , fils de Clinias, invitoit ses concitoyens à secouer le joug de l'esclavage. Certain alors que ce qu'il attendoit depuis si long-temps étoit enfin arrivé, le peuple vole à la maison du tyran, à laquelle il met le feu. Nicoclès cependant se sauve par des soulerain?
�AMOUR
DE
LA PATRIE.
îgi
qui conduisoient hors de la ville. Dès qu'on en est averti, le peuple et les soldats éteignent le feu pour iller la maison. Loin de les empêcher ,Aratus faitpulier que tous les autres biens deNicoclès appartiennent au peuple. Ce qui doitsurprcndre, c'est que cette révolution s'opéra sans qu'il y eût un seul homme tué d'aucune part. Aratus ne se contenta pas d'avoir rendu la liberté à sa patrie , il lui consacra tous les instans de sa vie ; et la manière sage dont il la gouverna, fit de Sicione l'une des principales villes de la Grèce. 5.Xerccès,roi des Perses , étantentré dans laGrèce avec, sa formidable armée,s'avancoit dans la Phocide, brûlant et saccageant toutes les villes qu'il rencontroit sur sa route. Les peuples duPéloponnèse, ne songeant qu'à sauver leur pays , avoient résolu d'abandonner tout le reste , et d'assembler toutes les forces de la Grèce au dedans de l'isthme, qu'on prélendoit fermer d'une grosse muraille, depuis une mer jusqu'à l'autre. Cet espace étoitdeprès de deux lieues.Les Athéniens, irrités d'une si lâche désertion , se voyoient tout près de tomber entre les mains des Perses, ét de porter tout le poids de leur colère et de leur vengeance. Ils avoient cous ulté qnelque temps auparavant l'oracle de Delphes , qui leur avoit répondu que la ville ne trouveroit son salut que dans des murs de bois. Cette ex^ pression ambiguë partagea les esprits. Quelques-uns î'interprétoient delà citadelle , parce qu'autrefois elle avoit été environnée de palissades de bois. Thémistocle lui donnoit un autre sens bien plus naturel, l'entendant des vaisseaux, et montrait que le seul parti qu'ils eussent à prendre étoit d'abandonner leur ville, et de s'embarquer. Mais c'est à quoi le peuple ne vouloit nullement entendre , comme ne se souciant plus de vaincre , et ne voyant aucun moyen de se sauver , après avoir abandonné les temples de leurs dieux et les tombeaux de leurs ancêtres. Thémistocle eut besoin de toute son adresse et de toute son éloquence pour ébranler le peuple. Après leur avoir représenté qu'Athènes ne consistoit ni dans les murs, ni dans les maisons, ruais dans les citoyens , et que conserver
E
�I92
AJtOÙIlDÏLA PATRIE
ceux-ci c'étoit sauver la ville, il chercha à le toucher par le motif le plus capable de faire impression sur eux , dans l'état de malheur, d'affliction et de danger où ils étoient, celui de l'autorité divine ; leur faisant entendre , par les paroles mêmes de l'oracle, que la volonté des dieux étoit qu'ils s'éloignassent d'Athènes pour un temps. On fit un décret par lequel, pour adoucir ce qu'il y avoit de dur dans la résolution d'abandonner la ville , il étoit ordonné : « Qu'on mettrai I Athènes en dépôt entre les mains et sous la sauvegarde de Minerve , patronne de la république 5 que tous ceux qui étoient en état de porter les armes monteraient sur les vaisseaux , et que chacun pourvoirait, comme il pourrait, au salut et à la sûreté de sa femme, de ses enfans et de ses esclaves. » • Une démarche singulière de Cimon , encore jeune pour lors, fut d'un grand poids dans cette occasion. On le vit, suivi de ses camarades , et avec un visage gai, monter à la citadelle , pour y consacrer , dans le temple de Minerve , un mors de bride qu'il portoit à la main ; voulant faire entendre, par cette cérémonie religieuse et frappante , qu'il n'étoit plus question de troupes de terre , et qu'il falloit se tourner du côté de la mer. Après avoir fait l'offrande de ce mors , il prit un des boucliers qui étoit appendu aux parois du temple , fit ses prières à la déesse , descendit sur le rivage , fut le premier qui, par son exemple , inspira la confiance à la plupart des autres,.et leur donna le courage de s'embarquer. Presque tous les citoyens firent passer leurs pères et leurs mères qui étoient âgés , avec leurs femmes et leurs enfans , dans la ville de Trézène , dont les habitans les reçurent avec beaucoup de générosité et d'humanité 5 car ils firent ordonner qu'ils seraient nourris aux dépens du public , et leur assignèrent à chacun deux oboles par jour, qui valoient à peu près trois sous et demi de notre monnaie. Ils permirent, outre cela , aux enfans de prendre des fruits par-tout ,\ et établirent encore un fonds pour le payement des maîtres qui les instruiraient. Quand tonte la ville vint à s'embarquer
�AMOUR DE LA PATRIE". 1Q3 barquer, ce spectacle, le plus triste et le plus touchant qui fut jamais , tiroit des larmes à tous les assistans p et excitoit en même temps des sentimens d'admiration pour la fermeté et le courage de ces hommes qui envoyoient ailleurs leurs pères et leurs mères, et, sans être ébranlés par leurs gémissemens, ni par les tendres adieux de leurs enfans et de leurs femmes, abandonnoient généreusement leur patrie pour la défendre. Mais ce qui augmenloit infiniment la compassion , étoit un grand nombre de vieillards qu'on étoit forcé de laisser dans la ville , à cause de leur âge et de leur foiblesse, et dont plusieurs même voulurent y rester, par un motif de religion , entendant de la citadelle ce que l'oracle avoit dit des murailles de bois. Cependant Xerxes s'avancoit vers Athènes abandonnée de ses citoyens. Celte ville fut prise sans ré^ sistance. Le petit nombre de citoyens qui s'étoient retirés dans la citadelle , s'y défendit jusqu'à la mort, avec un courage incroyable , sans vouloir entendre à aucun accommodement. La flamme et le fer furent les instrumens de la vengeance du monarque, qui ne fit de cette fameuse cité qu'un monceau de cendres et de ruines. 6. Jamais on ne vit mieux qu'à Sparte combien l'amour de la patrie a d'empire sur les belles ames. Hommes, femmes , enfans , vieillards, tous les âges, toutes les conditions se disputoient la gloire de lui faire les plus grands sacrifices ; et les deux sexes , également animés d'un beau zèle, se dévouoient sans réserve au salut, au bonheur , à la gloire de l'état. Voici plusieurs traits que l'histoire a consacrés, et qui feront connoître le génie patriotique de ces républicains fameux. Une mère de Lacédémone armant son fils pour un combat, et lui remettant son bouclier « Rapportes-Je, « dit-elle , ou qu'on te rapporte dessus. » Une autre, voyant son fils qui revenoit de la guerre, lui demanda des nouvelles. « Tous mes compagnons « sont morts, lui dit-il. » Cette mère indignée lui jeta aussitôt une tuile , et le tua , ejn lui disant : « C'est Tome I. .'. N
�10
,4
AMOUR
DE
PATERNEL.
« donc to'\, malheureux , qu'ils ont envoyé nous an« noncer ces disgrâces ? » Une autre , apprenant qu'un de ses fils étoit mort glorieusement dans le combat : « Je ne m'en étonne « pas, dit-elle; c'étoitmon enfant.» Apprenant ensuite que l'autre avoit fui lâchement : « Il n'étoit donc pas « mon fils ! » s'écria vivement cette généreuse mère. Une autre, ayant appris que son fils s'étoit sauvé du combat, Jui écrivit : « Il se répand un bruit injurieux « à ton honneur ; fais-le taire , ou meurs. » Une autre , entendant son fils raconter la mort glorieuse de son frère qui avoit été tué en combattant vaillamment : « Malheureux ! lui dit-elle, pourquoi « donc ne l'as-tu pas accompagné ? » Une autre avoit cinq fils à l'armée, et attendoit des nouvelles de la bataille. Elle en demande en tremblant à un Ilote qui reveiïoit du camp. « Vos cinq fils ont été « tués , lui dit-il. — Vil esclave , reprit-elle , est-ce « là ce que je demande ? — Nous avons gagné la « victoire,» réplique l'Ilote. La mère court au temple, et rend grâces aux dieux. Une autre voyant, au siège d'une ville, son fils aîné, qu'elle avoit placé dans un poste , tomber mort à ses pieds : « Qu'on appelle son frère pour le remplacer », s'écria-t-eile aussitôt. Lorsqu'on vint annoncer à Lacédémone la perte de la fameuse bataille de Leuctres, la ville célébrait une grande fête. Elle étoit. pleine d'étrangers, que la curiosité y avoit attirés. Les choeurs de jeunes garçons et de jeunes filles combattaient tout nus en plein théâtre, suivant les institutions àcLycurgue. Dans ce moment , les courriers arrivèrent de Leuctres. Il est remarquable qu'une si triste nouvelle n'interrompit joint le jeux , et ne fit point changer l'appareil de a fête. On envoya seulement, dans toutes les maisons , aux parens, les noms des morts qui leur appartenoient. Le lendemain matin , chacun savoit déjà tous ceux qui s'étoient sauvés ou qui étoient morts ; les pères et les parens de ceux qui avoient été tués , s'étant rendus à la place publique , se saluoient et
1
�AMOUR
DE
LA
PATRIE.
ig5
s'embfassoient les uns et les autres avec, un visage content ; au lieu que les pères et les parens de ceux " qui étoient échappés au fer de l'ennemi se tenoient cachés dans leurs maisons, comme dans un deuil. Si quelqu'un d'eux étoit forcé de sortir pour ses affaires , il paroissoit avec une figure , une voix et un regard qui marquoient sa tristesse et son abattement ; et dans le malheur commun de la patrie , il rougissoit d'avoir, un sujet de joie domestique. y. Archiléonide , femme lacédémonienne , ayant appris que son fils avoit été tue dans un combat, demanda s'il étoit mort en brave homme. Des étrangers, témoins de la valeur du jeune guerrier , en firent de grands éloges à sa mère, et lui dirent qu'ils ne croyoient pas qu'il y eût à Sparte un plus vaillant citoyen. « Vous « vous trompez, répondit cette généreuse mère : mon « fils , il est vrai , avoit du courage ; mais , grâces au « Ciel, il reste encore à ma patrie plusieurs citoyens « qui valent mieux que lui. » 8. Les Lacédémoniens ayant fait mourir les ambassadeurs du roi de Perse, l'oracle leur annonça les plus grands malheurs , s'ils n'expioient promptement ce crime. Deux braves Spartiates , Buris et Spartis , se dévouèrent pour le salut commun. Us allèrent d'euxmêmes se livrer à Xerxès, pour qu'il vengeât sur eux le meurtre de ses ambassadeurs. Le monarque admira leur courage ; et loin de leur faire aucun mal, il les pria de rester à sa cour; mais les deux Lacédémoniens lui répondirent : « Pourrions-nous vivre hors de notre « patrie , nous qui voulions mourir pour elle ? » 9. Après avoir établi àLacédémone les >o's les plus sages et les plus utiles à l'état, Lycurgue i'.ssembla le peuple , et lui fit entendre qu'il lui restoit encore un point, le plus important et le plus essentiel de tous, sur lequel il vouloit consulter l'oracle d'Apollon ; et en attendant, il les fit tous jurer qu'ils observeroient inviolablement ses lois jusqu'à son retour. Quand il fut arrivé à Delphes , il consulta le dieu , pour savoir si son ouvrage étoit bon et suffisant pour rendre les Spartiates heureux et vertueux, La prêtresse lui répondit
N a
�10y6
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
qu'il ne manquoit rien à ses lois, et que tant que Sparte y seroit attachée , elle jouiroit d'un bonheur parfait, et deviendrait la plus glorieuse ville du inonde. Alors ce grand législateur, persuadé que la mort même des hommes d'état ne doit pas être oisive ni inutile à larépublique,mais une suite de leur ministère, une de leurs plus importantes actions, et celle qui doit couronner toutes les autres, après avoir tout fait pour sa patrie, voulut encore lui sacrifier les années de sa vieillesse. Croyant son ministère consommé, et voulant obliger ses citoyens à garder toujours ses ordonnances, il leur envoya la réponse de l'oracle , et mourut volontairement à Delphes , en s'abstenant de manger. 10. On conseilloit à Callicratidas , général des La-, cédémoniens, de retirer sa flotte, et de ne pas risquer le combat contre les Athéniens : « Si cette flotte est « défaite, répondit ce généreux citoyen, Sparte pourra « sans peine en équiper une autre ; mais si en évitant « le combat, je perds l'honneur de ma patrie , com« ment réparer cette perte ? » 11. Les Athéniens , vers l'an 1071 avant J. C. , étoient en guerre avec les Héraclides qui s'étoient rendus maîtres du Péloponnèse. L'oracle annonça que les Athéniens seraient vainqueurs, si leur roi étoit tué par les ennemis. Les Péloponnésiens l'ayant su, convinrent entre eux de ne porter aucun coup à Codrus, alors roi d'Athènes ; mais Codrus, plein d'amour pour sa patrie , imagine un moyen de se faire tuer , avec autant d'adresse que d'autres en emploient pour sauver leur vie. Sur le soir, il se déguise en bûcheron, va couper du bois dans une forêt voisine ; des Péloppon; nésiens y viennent aussi pour le même sujet. Codrus leur cherche querelle ; des paroles on en vient aux coups, suivant l'usage : il en blesse un avec sa cognée ; Jes compagnons du blessé veulent le venger , et se jettent sur l'agresseur : Codrus est massacré. Les Athéniens vinrent aussitôt demander, avec des cris de joie , le corps de leur monarque ; et les Péloponnésiens , apprenant que c'étoit Codrus qu'ils avoient tué, .prirent la fuite , et s'avouèrent vaincus.
�AMOUR
DE
E A
PATRIE.
IQf-
12. Les Athéniens assiégeoient la ville de Thase dans la mer Egée. Les habitans étoient réduits à la plus affreuse famine ; mais personne n'osoit proposerde se rendre ; car il y avoit une loi qui défendoit, sous peine de mort, de proposer aucun traité avec les Athéniens. Hégétoridès , citoyen respectable par sa naissance et par ses vertus , touché des maux de sa patrie, résolut de se sacrifier pour elle. Il vint dans rassemblée du peuple avec une corde au cou : « Ci« toyen, je n'ignore pas le sort qui m'attend ; mais « je me croirai heureux de pouvoir acheter par ma' « mort votre conservation. Je vous conseille donc de « faire la paix avec les Athéniens. » Les Thasiens admirèrent sa générosité ; et loin de le punir , ils abrogèrent la loi qu'ils avoient faite. 13. Alexandre, roi de Macédoine , fut chargé par Mardonius, général de Xerxès, roi de Perse, de faire tous ses efforts pour engager les Athéniens à se déclarer en sa faveur contre le reste de ta Grèce , et d'offrir à cette république les plus grands avantages. Les Lacédémoniens , sur le premier bruit de cette négociation, envoyèrent des députés à Athènes, pour en détourner l'effet. Aristide étoit alors à la tête des archontes. « Sachez, dit ce grand homme au roi de Macédoine, en « lui montrant le soleil; sachez que, tant que cet astre « continuera sa course , les A théniens seront mortels « ennemis de Perses , et qu'ils ne cesseront de venger « sur eux le ravage de leurs terres, et l'incendie de « leurs maisons et de leurs temples. Ainsi, prince, si « vous voulez être véritablement notre ami, ne nous « faites plus désormais de semblables propositions. « Pour vous, seigneurs Spartiates, vous aviez donc une « bien petite idée du courage athénien , et de notre « amour pour la patrie ? Quoi ! vous venez nous sup« plier de l'aimer , nous qui avons tout sacrifié pour « elle ! Apprenez du moins à nous connoitre par ce « qui se passe aujourd'hui; et n'oubliez pas que, dans « cette ville, la Grèce trouvera toujours ses plus zélés « défenseurs. » Aristide ne se contenta pas d'une déclaration si forte et si précise. Pour inspirer encore plus
�îgo*
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
d'horreur de semblables propositions , et pour intérieure à jamais tout commerce avec les Barbares, par un motif de religion , il ordonna que les prêtres mauclissentet chargeassent d'anathêmes quiconque oseroitproposer de faire alliance avec lesPerses, ou d'abandonner celle des Grecs. Quelques jours après , un Athénien, nommé Lycidas, étant d'avis qu'on écoutât un nouveau député envoyé par le général persan , fut lapidé dans le moment ; et les femmes athéniennes, courant en même temps à sa maison, lapidèrent aussisafemmeetses enfans : tant la paix avec le Barbare paroissoit un crime détestable ! On poussa même cette haine jusqu'à laisser quelques temples dans l'état où les Perses les avoient mis, sans les rétablir, afin que ces ruines sacrées fussent des motifs toujours subsistans de l'éternelle inimitié qui devoit régner entre les Grecs et les ennemis de la patrie. i4- Toute l'Asie, sous la conduite de Xefxhs, étoit prête à fondre sur la Grèce ; et l'on songeoit à opposer à ce torrent un homme capable d'en arrêter le cours, ïl y avoit à Athènes un citoyen nommé Epicyde, qui avoit quelque talent pour la parole , mais d'ailleurs homme sans mérite, décrié pour son peu de courage, et plus encore pour son avarice. Cependant, on appréhendoit que dans l'assemblée lessnffrages ne lui fussent favorables. Thémistocle,quisavoitque, dans un grand calme , tout marinier presque est propre à conduire un vaisseau , mais que , dans un temps d'orage et de tempête , les pilotes les plus habiles ne le sont pas encore assez, comprit que la république étoit perdue, si l'on nommoit pour général Epicyde , dont l'ame vénale donnoit tout lieu de craindre qu'il ne fût point à l'épreuve de l'or des Perses. Il y a des occasions où, pour agir sagement, et si l'on peut ainsi parler , régulièrement, il faut s'élever au-dessus des règles. Thémistocle, qui sentoit bien que, dans l'état où étoient les affaires, il étoit le seul capable de commander , ne fit point de difficulté d'écarter son compétiteur, à force de présens et de libéralités ; et ayant ainsi trouvé moyen de dédommager l'ambition d'Epicyde , en satisfaisant son avarice, il se fit élire à sa place. .
�AMOUR
DE . E À
PATRIE.
1
9f)
Aristide et Thémistocle étoient ennemis , et toujours opposés dans Padministration de la république. Ayant été choisis tous deux pour mie ambassade importante , l'intérêt commun les réunit. Lorsqu'ils furent sortis des portes d'Athènes , Thémistocle dit à Aristide : « Laissons ici notre inimitié 5 nous la « reprendrons , si vous voulez-, à notre retour..» 16. Injustement condamné par des citoyens jaloux, le grand Phocion, l'un des plus célèbres personnages de la Grèce, étoit près de boire la ciguë, lorsqu'on lui demanda s'il ne vouloit rien dire à son fils. « Faites-le « venir , dit-il. » O11 va chercher le jeune homme ; on le conduit, on le présente au père : « Mon cher' « fils , lui dit-il, je vous recommande de servir votre « patrie avec autant de zèle et de fidélité que moi, « et sur-tout d'oublier qu'une mort injuste fut le prix « dont elle paya mes services. » 17. Après la célèbre bataille deChéronnée, gagnée par Philippe , roi de Macédoine, Isocrate, le plus fameux rhéteur de ce temps-là, qui aimoit tendrement sa patrie , ne put survivre à la perte et à la honte qu'elle venoit de recevoir. Dès qu'il en eut reçu la triste nouvelle, ne sachant point comment le monarqu e macédonien useroit de sa victoire, et voulant mourir libre , il avança sa fin , en cessant de prendre aucune nourriture. Il étoit âgé de quatre-vingt-dix-huit ans , lorsqu'il fit cë sacrifice à sa patrie. 18. Pour éviter les persécutions de ses ennemis, le célèbre Arnauld fut forcé de se retirer à Bruxelles. M.le marquis deGrana, gouverneur desPays-Bas, lui fit offrir sa protection , et témoigna un grand désir de voir un homme dont la réputation avoit rempli toute l'Europe. Arnauld l'assura de sa reconnoissance , accepta son appui , mais il le fît prier de le laisser dans son obscurité : « Il ne m'est pas permis, ajouta^ « t-il, de voir un gouverneur espagnol, pendant que « l'Espagne est en guerre avec ma patrie. » Le généreux marquis approuva la délicatesse de ce scrupule-.. M. Arnauld étant tombé , sur la fin de ses jours ,. dans un assoupissement que l'on crayoit dangereux
15.
�iOO
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
pour sa vie, ses amis ne savoient pas de meilleur moyen pour l'en tirer, que de lui crier qi te les Français venoient d'être battus, ou que le roi avoit levé le siège de quelque place. Il reprenoit alors toute sa vivacité naturelle pour disputer contre eux , et pour leur soutenir que la nouvelle ne pouvoit pa's être vraie. 19. Un citoyen de Milet, nommé Cilicon , avoit trahi sa patrie , et l'avoit livrée aux ennemis. Cette action l'avoit rendu odieux à tout le monde. Etant un jour allé au marché acheter de la viande, unboucher, nommé Théagènes, lui en offrit un morceau qu'il accepta ; mais comme il avancoit la main pour le prendre , le boucher la lui coupa avec son couteau , en lui disant : « Traître ! que ne puis-je te couper « ainsi par le milieu du corps ! » 2,0. Les Messéniens, peuple de la Grèce, et rivaux des Lacédémoniens, étant accablés tout à la fois'par la guerre, la famine et la peste, consultèrent l'oracle de Delphes, qui leur ordonna, pour appaiser la colère des dieux, de leur immoler une vierge du sang royal. Tous les princes de Messénie craignoient que la sort ne tombât sur leur famille ; et chacun étoit prêt de refuser le triste honneur de faire cesser, à un tel prix, les calamités publiques , 1 orsqu'^rzstoniène , de la noble race des Epitydes, offrit sa fille, jeune princesse, unique espoir de sa maison, sacrifiant ainsi son bonheur particulier à celui de ses concitoyens. 21. Tbnoléon , cet illustre capitaine qui chassa les tyrans de Sicile , se, distingua , dès sa première jeunesse , par son amour pour la patrie, et par une haine implacable contre les citoyens perfides qui vouloient l'asservir. Il avoit un frère aîné qu'il aimoit tendrement ; il le fit bien voir dans un combat où il le couvrit de sa personne, et lui sauva la vie au péril de la sienne; mais il chérissoit davantage Corinthe , où il avoit reçu le jour. Ce frère s'appeloit Timopliane , homme turbulent, ambitieux , dévoré du désir de régner , intrépide jusqu'à la témérité, prodigue de son sang, comme de ses biens. Par des qualités séduisantes, il avoit surpris l'estime de ses concitoyens quil'avoient
�AMOUR
DE
LA
P A TJl I E-
/'^l^^X
mis souvent à la tête des armées. Les Gôru^iiensV*0 > voulant pourvoir à la sûreté de leur ville'," fôÛfafçnt J ^ un décret pour lever et entretenir à leur sWfîe quâwfe^ , cents soldats étrangers : Timophane fut eiT^rVcbû*^^/ pour commander ces troupes. Cet importanKeSipioir mit le comble à l'ambition du fier Corinthien. Cessant alors de cheminer vers le trône par des voies obliques et tortueuses , il leva le masque , et s'avança ouvertement à la suprême autorité. Il commença par former des cabales ; fit mourir, sans aucune forme de Justice , plusieurs des principaux citoyens , et, après avoir essayé sa puissance par ces actes barbares , il acheva d'écraser la liberté publique. Timoléon, in± digné de cet attentat, et regardant le crime de son frère comme le plus sanglant affront qu'on pût lui faire à lui-même, tâcha plusieurs fois de lui parler pour le ramener à son devoir, et l'engager à briser le joug qu'il avoit imposé à sa patrie. On abandonne rarement le sceptre qu'on a ravi par un crime ; Timophane ne daigna pas seulement écouter son généreux frère, et rejeta avec mépris ses sages remontrances. Timoléon , outré de douleur , choisit deux amis sûrs et fidelles , auxquels il communique son dessein , et, croyant qu'en cette occasion les droits de la nature dévoient le céder à ceux de sa patrie, il se transporte avec eux chez Timophane. II veut faire un dernier effort sur ce cœur endurci 5 il se jette à ses pieds ; il le conjure, par tout ce qu'il a de plus cher, d'écouter la raison , et de rentrer en lui-même. Le tyran rit d'abord de sa simplicité ; puis, entrant en fureur , il repousse son frère avec indignation. Alors Timoléon se lève, s'éloigne un peu de lui, et se couvre la tête , fondant en larmes. Dans ce moment, ses deux amis tirent leurs épées , se jettent sur Timophane , et le tuent. Cette action fut admirée , applaudie , célébrée par les principaux citoyens de Corinthe, et par la plupart des philosophes , qui la regardoicnt comme le plus noble effort de la vertu humaine. Mais tout le monde n'en jugea pas de même ; et plusieurs la lui repro-
-5
�202
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
chèrent, comme un parricide abominable , qui ne manquerait pas d'attirer sur lui la vengeance des dieux. Sa mère sur-tout , pénétrée de la plus vive douleur, prononça contre lui les malédictions et les imprécations les plus effroyables , et, quand il vint pour la consoler, ne pouvant supporter la vue du meurtrier de son fils , elle le rejeta avec indignation, et ferma sa porte sur lui. 22. Dans un jour de fête , les Thébains , plongés dans l'ivresse , se livroient aux transports d'une joie insensée. Le seul Epaminondas , le plus grand homme de son siècle, se promenoit en silence. Un de ses amis Payant rencontré , lui demanda la raison de cette conduite : « Je songe à trouver les moyens pour « que vous puissiez vous réjouir et vous enivrer sans « crainte » , répondit-il. Tandis que ses concitoyens oublient au sein des plaisirs leurs intérêts les plus importans , Epaminondas y pense pour eux. Quelle générosité ! quel amour pour la patrie ! Ce zèle magnanime , il le conserva jusqu'au dernier moment de sa vie. Ayant été mortellement blessé d'un coup de flèche à la bataille de Mantinée , il se fit porter dans sa tente , et demanda si son bouclier étoit conservé ! On le lui montra ; puis il s'informa de l'état de la bataille : on lui répondit que les Thébains étoient vainqueurs. « J'ai assez vécu, s'écria-t-il, Thèbes est « triomphante » ; et , faisant aussitôt arracher le fer de sa blessure , il expira. 23. La peste faisoit de grands ravages dans la Perse et dans la Grèce, et tout l'art de la médecine ne pouvoit arrêter les progrès rapides de ce fléau destructeur. ArtaxerxèsLonguemain, qui avoit entendu parler de la grande réputation à'Hypocrate de Cos , le plus célèbre médecin qui fût alors, et qui ait été depuis, lui fit écrire par ses gouverneurs, pour l'engager à venir dans ses états traiter ceux qui étoient attaqués de cette maladie cruelle. Il lui faisoit les offres les plus avantageuses , ne mettant, du côté de l'intérêt, aucune borne aux récompenses dont il prétendoit le combler; et, du côté de l'honneur , promettant de l'égaler à
�AMOUR DE L A PATRIE. 2o3 ce qu'il y avoit de personnages les plus considérable8 dans sa cour. Tout l'éclat de l'or et des dignités qu'on fit briller aux yeux à'Hypocrate, ne fut point capable de le tenter, et ne put étouffer dans son esprit le sentiment d'aversion et de haine qui étoit devenu naturel aux Grecs à l'égard des Perses. Sa réponse fut donc qu'il étoit sans besoin et sans désir ; qu'il devoit ses soins à ses compatriotes , et qu'il ne devoit rien aux barbares ennemis déclarés des Grecs. Les rois ne sont pas accoutumés aux refus. Artaxerxes, outré de dépit, envoya somma' la ville de Cos , patrie à'Hypocrate, et où il étoit actuellement, de lui livrer cet insolent pour le punir comme il l'avoit mérité, menaçant, en cas de désobéissance , de détruire tellement la ville et l'île, qu'il n'en resterait pas de traces. Ceux de Cos ne furent point intimidés. Ils répondirent que les menaces de Darius et de Xerxes n'avoient pu autrefois les porter à leur donner l'eau et la terre , ni à suivre leurs ordres ; que celles à! Artaxerxes n'auroientpas plus d'effet; que, quoi qu'il pût leur arriver, ils ne livreraient point leur concitoyen, et qu'ils comptaient sur la protection des dieux. Hypocrate avoit écrit qu'il se devoit à ses compatriotes. EVi effet, dès qu'il fut mandé à Athènes, il s'y rendit, et ne sortit point de la ville que la peste ne fût cessée. Il se consacra tout entier au service des malades ; et, pour se multiplier en quelque sorte , il envoya plusieurs de ses élèves dans tout le pays, après les avoir instruits de la manière dont ils dévoient traiter les pestiférés. Un zèle si généreux pénétra les Athéniens de la reconnoissance la plus vive. Ils ordonnèrent , par un décret public , qu'Hypocrate serait initié aux grands mystères, de la même manière que l'avoit été Hercule ; qu'on lui donnerait une couronne d'or de la valeur de mille staters, ce qui montoit à cinq cents pistoles de notre monnaie, et que le décret qui la lui accordoit, seroit lu , à haute voix , par un héraut, dans les jeux publics, à la grande fête des Panathénées ; qu'il aurait le droit de bourgeoisie, et serait nourri dans le Prytanée , pendant toute sa
�204 AMOUR DE LA PATRIE. vie, s'il le vouloit , aux dépens de l'état ; enfin , que les enfans de ceux de Cos , dont la ville avoit porté un si grand homme, pourroient être nourris et élevés à Athènes comme s'ils y étoient nés. 24. Après les dieux, ce quejes Romains avoicnt de plus cher étoit la patrie. L'affection pour le lieu où l'on a reçu la naissance est naturelle à tous les hommes ; mais il semble que ce sentiment avoit quelque chose de plus animé et de plus vif dans lesRomains que dans aucune autre nation. Ils étoient toujours prêts à tout entreprendre et à tout souffrir pour son salut. Biens, repos , vie, gloire même, amis, parens, enfans, ils se croyoient obligés de lui tout sacrifier ; et il ne faut pas s'en étonner , ni juger des dispositions du peuple romain par celles1-des autres peuples. ARome, chaque particulier ayant part au gouvernement, avoit un intérêt personnel à la prospérité de l'état, d'où dépendoient sa sûreté et son bonheur. Les succès publics étoient son ouvrage, parce qu'il y avoit contribué par différentes voies, par la sagesse de ses conseils dans les délibérations, par la fermeté de son courage dans les combats , par le choix des généraux d'armée et des magistrats dans les assemblées : or il est naturel d'aimer son ouvrage, de s'applaudir avec complaisance sur le succès de ses entreprises , et de s'intéresser à la conservation de tout ce qui nous appartient et de tout ce que nous possédons. Les Romains trouvoient tout cela dans le salut de leur patrie; et c'était pour conserver tous ces avantages qu'ils sacrifioient tout pour elle. Aucun mauvais traitement ne pouvoit étouffer dans leurs coeurs cet amour que la nature y avoit imprimé de leur naissance, et que l'éducation avoit bien fortifié. On leur inculquoit, dès les premières années de l'enfance, qu'un fils ne peut jamais s'acquitter de ce qu'il doit à une mère, quand même elle oublieroit lessentimens de la nature ; et qu'un citoyen est toujours obligé àsa patrie, quelque ingrate et injuste qu'elle puisse être à son égard. Cette disposition étoit entretenue et cimentée par l'union particulière de citoyens entre eux. C'est à quoi les premiers rois, dès le commencement,
�AMOUR DE LA PATRIE. 2o5 donnèrent tous leurs soins et toute leur application, convaincus que de là dépendoit le salut de l'état. La distribution des artisans de différens corps , qui les réunissoit tous ensemble , chacun selon sa profession, les devoirs réciproques établis entre les patrons et les cliens, c'est-à-dire, entre les grands et les petits, tendoient à ce but, et contribuoient beaucoup à l'union des citoyens , malgré la différence d'emplois, et l'inégalité des conditions. 25. Pour terminer les différens continuels qui s'élevoient entre Albe et Rome, Tullus Ilostilius, roi des Romains, ehMétius Sufétius, chef des Albains, convinrent de faire combattre trois Romains et trois Albains. Le sort des combattans devoit décider de celui de leur patrie. Trois frères, appelés Curiaces, furent choisis parmi les Albains. Du côté des Romains, on fit aussi choix de trois frères, nommés Iloraces. Le champ de bataille étoit une large plaine, d'où les deux armées pouvoient voir l'action. Elle séparoit le territoire de Rome d'avec celui de sa rivale. L'espace qu'on laissa aux champions étoit de trois ou quatre stades. Le jour qui devoit assurer l'empire à l'une des deux villes étant arrivé, on immola des victimes ; et tandis qu'elles brûloient sur les autels, les Romains et les Albains firent serment qu'ils s'en tiendroient à ce qui seroit décidé par le combat, et qu'ils garderoient inviolabîement les conditions du traité , eux et leurs descendans. La cérémonie étant achevée, les troupes mirent bas les armes , et sortirent de leurs retranchemens pour voir le combat. Les Curiaces et les Iloraces, enflammés d'une sainte et noble émulation, et brûlant du désir de faire triompher la patrie, dont le sort é toit entre leurs mains, s'avancent les uns contre les autres, avec l'intrépidité, l'air menaçant et terrible de deux grandes armées dont les forces égaies vont balancer la fortune de deuxpuissans empires. De part et d'autre ils étoient revêtus d'une brillante armure , et ornés comme des victimes destinées à la mort. Dès qu'on les vit aux mains , on entendit des deux côtés, parmi les spectateurs, un bruit confus , mêlé d'acclamations , de vœux , d'exhorta-
�206 AMOUR DE LA PATRIE. lions, de gémisscmens. Tantôt les combaltans cédoient à leurs adversaires, et sembloient lâcher pied ; tantôt ils retournoient à la charge, et, parleur bravoure infatigable , rappeloient la victoire. Cette alternative tenoit les esprits suspendus entre la crainte et l'espérance. Us se battirent long-temps, sans que la fortune se déclarât. L'égalité de leurs forces, leur adresse, leur valeur respective, la bonté de leurs armes, tout rendoit le succès difficile, et retardoit la décision de cette querelle fameuse. L'aîné des Albains étant aux prises avec son adversaire, lui fit plusieurs blessures, et lui porta enfin un dernier coup qui l'é tendit mort sur la place. Un des 'deux. Iloraces, qui étoient accourus pour soutenir leur frère, fond sur le vainqueur ; et après lui avoir porté plusieurs coups, et en avoir reçu lui-même, il lui enfonce son épée dans la gorge , et le renverse par terre. Déjà les Romains reprenoient courage; déjà la joie des Albains commencoit à se dissiper, lorsqu'un revers de fortune replongea les Romains dans leurs premières terreurs. L'Albain, irrité par la mort de son frère, attaque le Romain qui l'avoit immolé. Acharnés l'un contre l'autre, ces deux formidables champions se percent réciproquement de plusieurs coups.LeRomain en reçoit un qui pénètre jusqu'aux entrailles. La mort glace ses sens : il est près d'expirer. Dans ce dernier moment, il recueille tout son courage : il fait les plus grands efforts ; et glissant son épée sous le bouclier de son ennemi , que la certitude de la victoire rendoit moins attentif, il lui coupe le jarret, et rend à ses pieds les derniers soupirs. L'Albain, malgré sa blessure, se soutient encore quelque temps. Il s'appuie sur son bouclier, et va joindre son frère qui luttoit vivement contre le seul Romain qui restoit encore. Celui-ci , attaqué par devant et par derrière, et désespérant de pouvoir tenir contre deux adversaires qui l'enveloppoient, résolut de partager leurs forces , afin de les combattre avec plus d'avantage. Il crut qu'il y réussirait en prenant la fuite , et qu'un des Curiaces étant boiteux, il. ne seroit poursuivi que par un de ses ennemis. Plein de cette espérance, il lâche le pied , et se met à courir de
�207 toutes ses forces. L'artifice lui réussit. Celui des deux Curiaces qui n'étoit point encore blessé dangereusement, le poursuit de près, tandis que l'autre reste loin derrière lui. Alors les Albains poussent des cris de joie : ils encouragent leurs guerriers ; ils leur applaudissent à l'envi ; ils veulent déjà les couronner comme vainqueurs. Les Romains, au contraire, abattus, consternés , déplorent leur disgrâce, et maudissent le perfide citoyen dont la coupable lâcheté va pour jamais asservir la fierté romaine au joug de son odieuse rivale. Cependant Horace se retourne contre son ennemi ; et sans lui laisser le temps de se mettre en défense, il lui décharge un coup si terrible, qu'il lui coupe le bras dont il tenoit son épée. Il redouble d'ardeur, lui porte un autre coup, et le renverse sur la place. De là il revient contre le dernier des Albains. Une lui restoit plus qu'un souffle de vie : Horace le lui arrache sans résistance, et met le comble à sa victoire et au triomphe de sa patrie. . Tous les Romains s'empressent d'environner le vainqueur. On lui prodigue les éloges dûs à son heureuse bravoure, on le couronne, à l'envi, des lauriers qu'il mérite ; on le conduit en pompe dans Rome , pour rendre aux dieux de solennelles actions de grâces. Horace marchoit à la tête de ses concitoyens, chargé des dépouilles qu'il avoit si glorieusement remportées. Sa sœur, qui avoit été promise en mariage à l'un des Curiaces , vint à sa rencontre devant la porte Capène. Ayant reconnu sur les épaules de son frère, une cotted'armes qn'elle avoit travaillée de ses propres mains, et dont elle avoit fait présent à son futur époux, elle déchire ses vêtemens, elle se frappe le sein; elle verse des torrens de larmes, et fait retentir le nom, le triste nom de son époux, avec des cris lamentables.Furieuse, elle lance*sur son frère des regards étincelans de colère, et lui fait les plus vifs reproches. Le jeune héros, piqué des lamentations et des invectives de sa sœur au milieu de la joie publique , lui passe son épée au travers du corps. « Vas , lui dit-il, sœur dénaturée, toi dont les <i indignes pleurs déshonorent ma victoire, toi qui ou« blies tes frères et ta patrie 3 va rejoindre celui pour
AMOÛR DE LA PATRIE.
�I
2o8 AMOUR DE LA.PATRIE. « qui seul tu marques tant d'amour. Qu'ainsi périsse « toute Romaine qui pleurera l'ennemi de Rome ! » L'action parut atroce aux sénateurs et au peuple ; mais l'éclat de la victoire récente parloit en faveur d'un guerrier que son trop grand amour pour la patrie avoit rendu coupable. TuLlus, roi de Rome, ne voulant pas prendre sur lui les suites d'une affaire qui paroissoit si odieuse, en laissa la connoissance à des commissaires qu'il nomma pour cet effet. Le crime étant manifeste, ils ne purent s'abstenir de condamner le fratricide à mort. Déjà le licteur se mettoit en devoir d'exécuter la sentence. Horace attendoit le coup fatal avec cette constance et cette intrépidité qui avoient fut triompher Rome. Le bras étoit levé. Un bruit soudain se fait entendre. Le père du guerrier infortuné s'avance dans l'assemblée ; et d'un ton pathétique , ce vénérable vieillard prend la défense de son fils : « Quoi ! Romains, « s'écrie-t-il ; quoi ! vous allez voir battre de verges, « et mettre à mort un citoyen dont vous venez d'ho« norer la victoire par des applaudissemens unanimes? '« Vous avez partagé son triomphe, vos mains ont cou« ronné sa tête, et vous ordonnerez son supplice ! Des « Albains même pourroient-ils voir, avec des yeux in« différens, un spectacle aussi triste? Va, licteur, lie « ce bras qui vient, il n'y a qu'un moment, d'affermir « et d'étendre l'empire du peuple romain. Va, cou« vre d'un voile funèbre la tête du vengeur de Rome. « Attache ce jeune héros à un infâme gibet : frappe-le « de verges, ou dans l'enceinte de ces murs, pourvu « que ce soit au milieu des trophées qu'il vient d'ériger « à sa valeur; ou hors de Rome, pourvu que ce soit au « milieu de cette pleine où le Curiaces ont succombé « sous son-glaive victorieux. En effet, Romains, pour« roit-on conduire ce guerrier en quelque lieu où « l'éclat de ses exploits ne parlât en sa faveur, et ne « réclamât contre l'indigne récompense qu'oniui pré« pare ? » Le peuple fut touché de ces plaintes. Les larmes du père firent paraître le fils moins criminel. On crut qu'en faveur du service qu'il venoit de rendre à la patrie, onpouvoit oublier la rigueur de la loi. On
le
r
�20g le renvoya donc absous, plus par admiration pour son courage, que par conviction de la justice de sa cause. 26. Tarquin-le-Superbe ayant été chassé de Rome, les jeunes nobles formèrent le projet d'y faire rentrer ce despote, qui les éblouissoit par les plus magnifiques promesses. La conspiration étoit secrète. Les deux fils de Br11 tus, fondateur de la liberté romaine, en étoient Famé. Un soir ils s'abouchèrent avec les ambassadeurs du monarque exilé , afin de concerter avec eux les moyens de réussir dans leur entreprise. Mais un esclave nommé Vindicius, qui avoit quelque soupçon, écouta en dehors de la salle où les conjurés tenoient leur conférence , et entendit tout, ce qu'ils disoient. Il courut aussitôt rapporter aux consuls tout ce qui se tramoit; et ces deux souverains magistrats étantpartis sur-le-champ avec main-forte , arrêtèrent les traîtres , qu'ils firent mettre en prison. Dès qu'il fut jour, Brutus monta sur son tribunal, et cita les coupables, qui comparurent dans l'instant. On entendit la déposition de Vindicius; après quoi l'on permit aux conjurés de parler , s'ils avoient quelque chose à dire pour leur défense. Ils ne répondirent que par des soupirs, des sanglots et des larmes. Toute l'assemblée tenoit les yeux baissés , et personne n'osoit ouvrir la bouche. Ce morne silci\ce ne fut interrompu que par un bruit sourd, qui fit entendre le mot d'exil, dont on auroit souhaité que Brutus se fut contenté pour punir les coupables. Mais, insensible à tout autre mo tif qu'à celui du bien public , il prononça contre eux l'arrêt de mort, et l'exécuteur les conduisit au supplice. Jamais il n'y eut d'événement plus capable d'inspirer en même temps et de la tristesse et de l'horreur. Brutus, père et juge des deux coupables , se vit obligé , par sa charge , de faire exécuter lui-même ses propres enfans. La fortune, qui eût dû, ce semble, épargner au moins à ses yeux un si douloureux spectacle, le mit dans la nécessité cruelle d'y présider lui-même. On voyoit un grand nombre de jeunes gens attachés aux funestes poteaux; mais onfaisoitanssi peu d'attention à tous les autres, que s'ils eussent été des inconnus. Les enfans du consul attiroient seuls tous Tome L O
AMOUR DE LA PATRIE.
�210
AMOUR
DE
LÀ
PATRIE.
les regards. Tous les spectateurs, touchés de compassion , plaignaient leur malheureux sort, et cette fureur indiscrète, qui avoit éteint en eux tout sentiment de raison, jusqu'au point de les engager, dès cette année même où l'on commencoit à goûter les douceurs d'un heureux changement, à trahir leur patrie , qui venoit d'être mise en liberté ; leur père, qui en étoit le libérateur ; le consulat., dont leur maison avoit les prémices ; le sénat, le peuple , tout ce qu'il y avoit de dieux et de citoyens dans Rome ; pour qui ? pour un tyran superbe , pour un misérable fugitif, dont les regards sanguinaires menacoicnt encore sa patrie , pour Tarquin / Les consuls parurent alors sur leur tribunal ; et pendant que le bourreau frappoit les deux criminel* , toute la multitude ne détourna point la vue de dessus le père, examinant ses mouvemens, son maintien , sa contenance , qui, malgré sa triste fermeté, laissoit entrevoir les sentimens de la nature, qu'il sacrifioit à la nécessité de son ministère , mais qu'il ne pouvoit étouffer. Tous les autres coupables subirent le même supplice ; et quoique Collatin fit quelques efforts pour sauver ses deux neveux, aucun n'échappa à la mort. Après le sacrifice de Brut-us, pouvoit-on , devoit-on espérer quelque grâce ? 27. La haine contre les Tarquins é toi t si violente dans le cœur des Romains, qu'elle passa de leur personne jusqu'à leur nom. Tarquin-Collatin, alors consul, fut la victime du nom qu'il portoit, quoiqu'il eût eu tant de part à l'expulsion des rois et à l'établissement de la liberté. Les esprits paroissoient s'indisposer de jour en jour à son égard. Cet objet faisoit la matière la plus ordinaire des conversations. On se communiquoit ses craintes et ses inquiétudes. Brutus, pour prévenir les suites fâcheuses de ce bruit sourd, qui se répandoit dans la ville , et qui y excitoit un murmure presque général, assembla le peuple. Il commença par faire lire le décret par lequel tous les ordres de l'état s'étoient engagés avec serment à ne souffrir jamais que qui que ce fût régnât dans Rome. Il ajouta que, quoiqu'il n'y eût rien actuellement à craindre pour la liberté , on ne
�211 pouvoit prendre trop de précautions pour assurer l'exéculion de ce décret ; qu'il étoit fâché de le dire , par rapport à son collègue dont il connoissoit le mérite et les bonnes intentions , mais que l'amour de la patrie l'emportoit sur son affection particulière ; que le peuple romain ne croyoit pas avoir recouvré entièrement sa liberté , pendant qu'il voyoit le nom et le sang de ces rois odieux , non-seulement subsistant dans Rome, mais revêtu du souverain pouvoir; que c'était un obstacle dangereux à la liberté. « Délivrez-nous de cette « crainte, poursuivit-il en s'adressant à CoLLatin, vaine « sans doute et, malfondée, mais qui inquiète le peuple. « Nous le savons, nous l'avouons : vous avez chassé « les rois. Mettez le comble à votre bienfait ; ôtez du « milieu de nous jusqu'à leur nom. Les citoyens non« seulement vous laisseront tout votre bien , mais ils « se feront un plaisir et un devoir de l'augmenter. Quit« tez la ville, en emportant avec vous leur estime et « leur affection. Ils imaginent que la royauté ne sortira « d'ici parfaitement qu'avec la famille des tyrans. » Collatin fut étrangement surpris d'un tel discours, auquel il n'avoit pas lieu de s'attendre. Il se préparoit à y répondre et à se justifier, lorsque tous les principaux de la ville l'environnent, et lui font la même prière avec beaucoup de force et d'instance. Il fut peu touché de leurs représentations. Mais lorsqu'il vit que SpuriusLucrétius , vieillard respectable par son mérite et par sa réputation, et qui d'ailleurs étoit son beau-père , se joignoit aux autres , et employoit auprès de lui tantôt les prières , tantôt les avis , mêlant l'autorité à la tendresse, pour l'engager à se laisser vaincre par le consentement de ses concitoyens, il ne put résister davantage : il abdiqua le consulat, sortit de la ville , et se retira à Lavinium avec tous ses effets. Le peuple le gratifia de vingt mille écus , et Brutus y en ajouta cinq mille, de son propre bien. 28. A la bataille de Veseris contre les Latins, le consul Decius-Mus, remarquant que les Romains plioient, et que le trouble se mettait dans l'armée, prit la généreuse résolution de se dévouer pour la gloire et la conO 2
AMOUR DE LA PATRIE.
�212
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
servation de sa pairie. 11 appela à haute voix le pontife , qui lui fit pratiquer les cérémonies usitées dans les dévouemens , et prononça contre les ennemis et contre lui-même les imprécations ordinaires. Ensuite il ordonne à ses licteurs de se retirer vers Manlius son collègue , et d'aller lui annoncer qu'il s'est dévoué pour le salut de la république ; puis il saute tout armé sur son cheval, et se jette, tête baissée, au milieu des ennemis. Il parut aux deux armées avec un air et une prestance au-dessus de l'humanité, comme étantenvoyé du Ciel pour appaiserla colère des dieux contre les siens, et la faire tomber sur leurs adversaires. La terreur et la consternation sembloient marcher devant lui. Par-tout où il se montroit, les Latins , oomme frappés de la foudre, étoient aussitôt saisis de frayeur. Enfin accablé de traits, il tomba mort. Dans ce moment, le trouble et le désordre redoublèrent parmi les ennemis. La mort du général, qui d'ordinaire est un sujet de découragement pour les soldats, inspira aux Romains une nouvelle valeur. Us firent un carnage horrible des Latins, et remportèrent une victoire complète. 2g. Un célèbre Romain , nommé Rutilius , ayant été injustement exilé , quelqu'un , pour le consoler, lui dit qu'il s'élèveroit bientôt une guerre civile dans Rome , et qu'à la faveur de ce désordre général, tous les exilés seroient rappelés. « Que t'ai-je donc fait , « lui répondit Rutilius, pour me souhaiter un retour «' plus triste encore que mon exil?» 3o. Des citoyens ingrats avoicnt banni de Rome le grand Camille , que ses services faisoient regarder comme le premier Romain de son siècle. Cet illustre proscrit chercha un asile dans Ardée, petite ville voisine , suppliant les dieux pour toute vengeance , que ses injustes compatriotes n'eussent jamais besoin de lui. Quand il apprit, quelque temps après, la conquête et le pillage de Rome par les Gaulois, oubliant l'injure qu'il en avoit reçue , il ne songea qu'à lui donner du secours ; mais, toujours soumis aux lois de sa patrie , lors même qu'elle n'existoit plus , il n'osa lever des Groupes sans avoir été rappelé et créé dictateur par
�AMOUR DE LA PATRIE. 2l3 le l'esté des Romains qui s'étoient retirés au CapitoleOn sait avec quel courage et quel bonheur il chassa Brennus et cet essaim de Barbares qui a voient inondé l'Italie. Ce grand homme eut le plaisir si doux , si sensible aux belles ames , de sauver une ville ingrate qui l'avoit outragé , et d'être le restaurateur de ces mêmes murs dont on l'avoit autrefois chassé. 31. Un illustre Romain , nommé Fulvius , ayant rencontré son fils qui partoit pour aller joindre Catilina, le poignarda, en disant : « Je ne t'ai pas donné le jour * « pour servir Catilina contre ta patrie , mais pour « servir ta patrie centre Catilina. » 32. Le fameux Attïlius-Règulus , après avoir remporté deux victoires complettes sur les Carthaginois , fut vaincu à son tour et fait prisonnier. Il demeura en captivité pendantquelqu.es années. La guerre continua cependant toujours, et les Romains reprirent bientôt l'avantage sur leurs ennemis.Les Carthaginois, affaiblis par les pertes considérables qu'ils avoient faites , résolurent d'envoyer à Rome des embassadeurs, pour y traiter de la paix, et en cas qu'ils n'en pussent obtenir une qui leur fût favorable, pour y proposer l'échange des prisonniers , e t particulièrement de certains d'entre eux qui étoient des premières familles de Carlhage. Us crurent que Réguluspourrait leur être d'un grand secours, sur-tout par rapport au second article. Il avoit à Rome sa femme et ses enfans, grand nombre de parens et d'amis dans le sénat : son cousin-germain étoit revêtu de la dignité de consul. On avoit lieu de présumer que le désir de se retirer du triste état où il languissoit depuis plusieurs années, de rentrer dans sa famille qui lui étoit fort chère, et d'être rétabli dans une patrie où il étoit généralement estimé et respecté , le porterait infailliblement à appuyer la demande des Carthaginois. On le pressa donc de se joindre aux ambassadeurs dans le voyage qu'ils se préparaient à faire. Il ne crut pas devoir se refuser à cette demande. La suite fera connoître quels étoient ses motifs. Avant de partir , on lui fit prêter serment, qu'en cas qu'il ne réussît point dans ses demandes, il reviendrait à Carlhage : on lui O 3
�2l/{.
AMOtfR
DE
LA
PATRIE.
fit même entendre quë'sa vie dépendoit du succès de sa négociation. Quand ils furent près de Rome, Regulus refusa d'y entrer, alléguant pour raison que la coutume de leurs ancêtres é toit de ne donner audience aux ambassadeurs des ennemis que hors de la ville. Le sénat s'y étant assemblé, les députés de Carthage, après avoir exposé le su jet de leur ambassade, se retirèrent, j Regulus vouloit les suivre , quoique les sénateurs le priassent de rester ; et il ne se rendit à leurs prières qu'après que les Carthaginois , dont il se regardoit comme l'esclave, le lui eurent permis. Il ne paraît pas qu'on fit mention de ce qui regardoit la paix. La délibération ne roula que sur ce qui regardoit les prisonniers. Regulus, invité parla compagnie à dire son avis, répondit qu'il ne pouvoit le faire comme sénateur , avant perdu cette glorieuse quali té, aussi-bien que celle de citoyen romain, depuis qu'il étoit tombé entre les mains des ennemis ; mais il ne refusa pas de dire , comme particulier , ce qu'il pensoit. La conjoncture étoit délicate. Tout le monde étoit touché du malheur d'un si grand homme. Il n'avoit qu'à prononcer un mot pour recouvrer , avec sa liberté , ses biens , ses dignités, sa femme, ses enfans et sa patrie ; mais ce mot lui paroissoit contraire à l'honneur et au bien de l'étal. H ne fut attentif qu'aux sentimens que lui inspiraient la force et la grandeur d'ame. Il déclara donc nettement qu'on ne devoit point songer à faire l'échange des prisonniers ; qu'un tel exemple aurait des suites funestes à la république ; que des citoyens qui avoient été assez lâches pour livrer leurs armes à l'ennemi, étoient indignes de compassion, et incapables de servir leur patrie ; que pour lui, à l'âge où il étoit, on devoit compter que le perdre, c'étoit ne rien perdre ; au lieu qu'ils avoient entre leurs mains plusieurs généraux carthaginois dans la vigueur de l'âge , et en état de rendre encore à leur patrie de grands services pendant plusieurs années. Ce ne fut pas sans peine que le sénat se rendit à un avis qui devoit coûter si cher à son généreux auteur, et qui étoit sans exemple dans le cas où se Ivoxivoit Regulus. Cet illustre captif partit de Rome
�AMOUR
DE
L A
PATRIE.
2l5
pour retourner à Cartilage, sans être touché ni de la vive douleur de ses amis, ni des larmes de sa femme et de ses enfans 5 mais avec la tranquillité d'un magistrat, qui, libre enfin de toute affaire, part pour sa maison de campagne. Cependant il n'ignoroit pas à quels supplices il étoit réservé. En effet, dès que les ennemis le virent de retour sans avoir obtenu l'échange , et qu'ils surent qu'il s'y étoit même opposé, leur barbare cruauté imagina des supplices inouis , et arma la main des bourreaux. Ils le tenoient long-temps resserré dans un noir cachot, d'où, après lui avoir coupé les paupières , ils le faisoient sortir tout-à-coup pour l'exposer au soleil le plus vif et la plus ardent. Ils l'enfermèrent ensuite dans une espèce de coffre , tout hérissé de pointes qui ne lui laissoient aucun moment de repos, ni jour ni nuit. Enfin , après l'avoir tourmenté par d'excessives douleurs et une cruelle insomnie, ils l'attachèrent à une croix, pour lui arracher le reste de vie que lui laissoient encore ces horribles souffrances. 33. A près avoir vaincu Persée, roi de Macédoine , PawZ-iimiZe se préparait à faire son entrée triomphante dans Rome. Cinq jours avant qu'il reçût cet honneur, il apprit la mort d'un de ses fils , âgé de quatorze ans : cinq jours après son triomphe , il fut témoin de la mort de l'autre , âgé de douze ans. Tout le peuple prit part à la douleur de ce grand homme ; lui seul , parut être insensible , et dit aux Romains affligés : « Après tant de prospérités, j'avois lieu de « craindre quelque grand malheur. Grâces aux dieux ! « il n'est tombé que sur moi; et la fortune ne se venge « que sur ma maison , des bienfaits qu'elle vous a « prodigués. » 34. Un soldat romain , appelé Pomponius, après avoir combattu en héros, fut fait prisonnier, et conduit à Mithridate, roi de Pont. Ce prince traita avec bonté ce guerrier plein de valeur , et' fit panser les blessures dont il étoit couvert. Lorsqu'il fut guéri, il lui demanda si , pour prix de ses soins , il pouvoit compter sur son amitié ? « Je suis votre ami , répon« dit Pomponius, si vous voulez l'être des Romains ;
�2l6
AMOUR
DE
L A
PATRIE.
« mais si vous persistez dans votre haine pour ma « patpie , vous trouverez toujours en moi un impla« cable ennemi. » 35. Un préteur romain , nommé Genucius-Cippus, sortant de la ville , sentit tout-à-coup , dit-on , des cornes croître et s'"élever sur son front. Etonné de ce prodige , il en demanda l'explication à d'habiles interprètes. « Vous serez roi, lui répondit-on , si vous « rentrez dans Rome. » Aussitôt ce bon citoyen, préférant le bonheur de sa patrie à son élévation particulière , se condamna à un exil perpétuel, pour lui conserver la liberté. ZQ. Saturninus, tribun séditieux, avoit fait recevoir, à force ouverte, une loi injuste, et qui n'avoit pour but que de renouveler les anciens troubles. Il étoit dit que le sénat seroit obligé de l'approuver dans cinq jours ; que chaque sénateiir en feroit un serment solennel dans le temple de Saturne , et que ceux qui refuseroient de le prêter seroient exclus du sénat et ; condamnés à une amende de vingt talens. Metellus, à qui la défaite du roi Jugurlha avoit fait donner le surnom de Numidique , homme ferme et inébranlable dans ses principes, persista courageusement à ne point prêter le serment exigé, malgré l'exemple de tous les antres sénateurs. L'audacieuxSaturninus, que ce refus désespéroit, lui fait commander par un huissier de sortir du sénat; mais les autres tribuns du peuple, qui n "étoient point de cette cabale , et qui révéroient la haute vertu de Metellus, s'opposent unanimement à l'insulte que l'on veut faire à ce grand-homme. Irrité de tant d'obstacles, l'impérieux Saturninus convoque une assemblée du peuple, dans laquelle Metellus est condamné à l'exil, si, dans le jour même, il ne prête le serment porté par la loi. Les grands de Rome, tout le sénat, et même les plus honnêtes gens du peuple, veulent résister à un plébiscite si tyrannique; plusieurs même, par attachement pour la personne de Metellus, s'arment secrètement sous leurs longues robes et sous leurs habits de ville. Mais ce généreux sénateur, qui chérissoit véritablement sa patrie , après les avoir re-
�AMOUR
DE
LÀ
PATRIE.
217
merciés tendrement de l'affection qu'ils lui témoij'iîoient, leur déclare qu'il ne souffrira jamais qu'à son occasion on répande le sang d'aucun citoyen. Résolu de subir son exil plutôt que de voir s'allumer ctans le sein de Rome les fureurs des guerres civiles il dit à ses amis particuliers , pour justifier le parti qu'il prenoit : « Ou bien le calme se rétablira dans la « république , et alors je ne doute point que je ne « sois rappelé ; ou bien le gouvernement demeurera « entre les mains de gens tels que Saturninus ; et , « dans ce cas , rien ne me peut être plus avantageux « que de demeurer éloigné de Rome.» 11 partit ensuite pour son exil. Sa vertu et sa grande réputation lui firent des concitoyens dans tous les lieux où il passa : il ne se trouva étranger en aucun endroit ; et, ayant fixé son séjour dans l'île de Rhodes , il y jouit, dans un doux repos , de cet empire naturel que la vertu donne , sans le secorus des dignités. 37. Il s'étoit élevé une grande dispute entre Cyrène, ville puissante, etÇarthage , au sujet des limites. On convint de part et d'autre , que deux jeunes gens partiraient en même temps de chacune des deux villes, et que le lien où ils se rencontreroient servirait de borne aux deux états. Les Carthaginois ( cé-» toient deux frères nommés Philènes) , firent plus de diligence : les autres prétendant qu'il y avoit de la mauvaise foi, . et qu'ils étoient partis avant l'heure marquée, refusèrent de s'en tenir à l'accord , à moins que les deux frères , pour écarter tout soupçon de supercherie , ne consentissent à être ensevelis tout vivans dans l'endroit même où s'étoit faite la rencontre. Ces deux citoyens généreux , préférant la grandeur et la gloire de leur patrie à la conservation de leurs jours , acceptèrent avec joie la proposition , et se laissèrent enfouir dans cette espèce de tombeau. Les Carthaginois y élevèrent en leur nom deux autels, et leur rendirent chez eux les honneurs divins. 38. Un Chinois, justement irrité des vexations des grands , se présenta à l'empereur , et lui porta ses plaintes, «Je viens, dit-il,m'offrir au supplice auquel
�2l8
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
« de pareilles représentations ont fait traîner six cents « de mes compatriotes , et je t'avertis de te préparer « à de nouvelles exécutions. La Chine possède encore « dix-huit mille bons patriotes , qui, pour la même « cause , viendront successivement te demander le « même salaire. » La cruauté de l'empereur ne put tenir contre cette héroïque fermeté. Il accorda à cet homme vertueux la récompense qui le flattoit le plus: la punition des coupables , et la suppression des impôts. 3g. L'histoire de la Chine nous fournit dans un» mère un exemple frappant de l'amour de la patrie. Un empereur , poursuivi par les armes victorieuses d'un citoyen , voulut se servir du respect aveugle qu'en ce pa}Ts un fils a pour les ordres de sa mère , afin d'obliger ce citoyen à mettre bas les armes. Il députe vers cette mère un officier qui , le poignard à la main , lui dit qu'elle n'a que le choix de mourir ou d'obéir. « Ton maître , lui répondit-elle avec un « sourire amer, croit-il que j'ai oublié les conventions « tacites, mais sacrées , qui unissent les peuples « aux souverains , par lesquelles les peuples s'enga« gent à obéir , et les rois à les rendre heureux ? Il « a le premier violé ces conventions. Lâche exécu« teur des ordres du tyran , apprends d'une femme « ce qu'en pareil cas on doit à sa patrie. » Elle arrache , à ces mots , le poignard des mains de l'officier , se frappe , et lui dit : « Esclave , s'il te reste «encore quelque vertu , porte à mon fils ce poi« gnard sanglant. Dis-lui qu'il venge sa nation , et « qu'il punisse le tyran. Il n'a plus rien à craindre « pour moi, plus rien à ménager : il est maintenant « libre d'être vertueux. » 4o.La célèbre révolution arrivée à Gênes en 1746, est un deces événemens qui prouvent combien l'amour de la patrie a de puissance sur les coeurs vraiment républicains. Quarante mille Autrichiens et vingt mille Piémontais s'étoient emparés de cette ville , et, par ordre de leurs souverains , l'avoient taxée à vingtquatre millions de livres. G'étoit la ruiner de fond en
�219 çomble.Lcs Génois épuisèrent leurs ressources. Ils donnèrent tout l'argent de leur banque de saintGeorge , pour payer seize millions, et demandèrent grâce pour les huit autres. Mais on leur signifia , de fa part de l'impératrice-rcine , que non-seulement il les falloit donner , mais qu'il en falloit payer encore environ autant pour l'entretien de neuf régimens répandus dans les faubourgs de Saint-Pierre des Arènes, deBisagno, et dans les villages circonvoisins. A la publication de ces ordres , le désespoir saisit tous les habitans.Leurcommerce étoit ruiné, leur créditperdu, leur banque épuisée ; les magnifiques maisons de campagne qui embellissoient les dehors de Gênes , étoient pillées ; les citoyens traités en esclaves parle soldat. Ils n'avoient plus à perdre que la vie 5 et il n'y avoit point de Génois qui ne parût enfin résolu à la sacrifier, plutôt que de souffrir plus long-temps un traitement si honteux et si tyranique. Quelques sénateurs fomentoientsourdementet avec habileté les résolutions désespérées que les habitans sembloient disposés à prendre. Leurs émissaires disoient aux plus accrédités du peuple : «Jusqu'à quand attendrez-vous que les A u« trichiens viennent vous égorger entre les bras de vos « femmes et de vos enfans, pour vous arracher le peu « de nourriture qui vous reste ? Leurs troupes sont « dispersées hors de l'enceinte de vos murs. Il n'y a « dans la ville que ceux qui veillent à la garde de vos « portes. Vous êtes ici plus de trente mille hommes « capables d'un coup de main. Ne vaut-il pas mieux « mourir , que d'être les spectateurs oisifs de lamine « de votre patrie ? » Mille discours pareils animoient le peuple. La voix delà patrie expirante pari oit encore plus haut à tous les cœurs ; mais personne n'osoit arborer l'étendard de la liberté. Les Autrichiens tiroient de l'arsenal de Gênes des canons et des mortiers, et ils faisoient servir les citoyens à ce travail. Le peuple murmuroit ; mais ilobéissoi t. Un capitaine autrichien ayant rudement frappé un habitant qui ne s'empressoit pas assez, ce moment fut un signal auquel le peuple s'assembla , s'émut, et
AlVTOtFR DE LA PATRIE,
�220
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
s'arma, en un instant, de tout ce qu'il put trouver : pierres , bâtons , épées , fusils , instrumens de toute espèce. Ce peuple , qui n'avoit pas eu seulement la pensée de défendre sa ville quand les ennemis en étoient encore éloignés, la défendit quand ils en étoient les maîtres. Le marquis de Botta , général des Autrichiens , crut que cette émeute se ralentirait d'ellemême , et que la crainte reprendrait bientôt la place de cette fureur passagère. Mais les jours suivans , le peuple s'attroupe en plus grand nombre, et vole vers un magasin d'armes, qu'il enfonce, et dont il s'empare. Une centaine d'officiers se distribuent dans la place. On se barricade dans les rues ; et l'ordre qu'on tâche de mettre autant qu'on le peut dans ce bouleversement subit et furieux , n'en ralentit point l'ardeur. On se saisit de plusieurs postes ; on s'y fortifie. Le succès anime les citoyens. La terreur passe du côté des tyrans. Ils veulent punir les prétendus rebelles. On les reçoit par des salves de canon et de mousqueterie. Le peuple de Gênes composoit alors une armée que l'ardeur qui la pénétrait rendoit redoutable. Onbattoit la caisse dans la ville au nom du peuple ; et l'on ordonnoit, sous peine de la vie , à tous les citoyens de sortir en armes hors de leurs maisons , et de se ranger sous les drapeaux de leurs quartiers. On attaqua les Allemands de tous côtés. Le tocsin sonnoit en même temps dans tous les villages des vallées. Les paysans s'assemblèrent au nombre de vingt mille. Un prince Doria , à la tête du peuple , fond sur le marquis de Botta dans Saint-Pierre des Arènes. Le général et ses neufs régimens se retirent en désordre, laissant quatre mille prisonniers et près de mille morts , tous leurs magasins , tous leurs équipages , au pouvoir de simples paysans, qui, sans expérience dans l'art de la guerre, les poursuivent sans cesse, et les obligent enfin à chercher loin de leur patrie un asile contre leurs coups. Cette nouvelle mit en feu le conseil de Vienne : croyant être bientôt en état de prendre Gènes, et de punir un peuple qu'il appeloit séditieux.il signifia au sénat qu'il eût à faire payer incessamment les huit millions res-
�AMOUR "DE
LA PATRIE.
221
tant de la somme à laquelle on I'avoit condamné ; à en donner trente pour les dommages causés à ses troupes ; à rendre tous les prisonniers, à punir les auteurs delà rébellion. Ces orgueilleuses conditions affermirent de plus en plus les Génois dans la résolution de se défendre, ét dans l'espérance de repousser de leur territoire ceux qu'ils avoient chassés de leur capitale. Cependant cette ville étoit menacée des plus grands périls. Elle n'avoit ni troupes régulières aguerries, ni aucun officier expérimenté , ni argent, faîne de la guerre. Nul secours n'y pou voit arriver que par mer, et encore au hasard d'être pris par l'amiral Medley, qui dominoit sur les côtes. Le roi de France fit d'abord tenir au sénat un million par un petit vaisseau qui échappa aux Anglais. Les galères de Toulon et de Marseille partirent bientôt après , chargées d'environ six mille, hommes. Enfin le duc de Boufflers vint animer, par sa présence, les défenseurs de Gênes. Sa sagesse rétablit par-tout l'ordre et l'abondance ; et la religion seconda ses mesures. Par son ordre, les confesseurs refusoient l'absolution à quiconque balançoit entre la patrie et les ennemis. Un hermite se mit à la tête des milices qu'il encourageoit par son enthousiasme en leur parlant, et par son exemple en combattant. Il fut tué dans un de ces petits combats qui se donnoient tous les jours pour chasser les ennemis de leurs postes, et mourut en exhortant les Génois à se défendre. Les dames génoises , semblables à celles de l'ancienne Rome, mirent en gage leurs pierreries chez les Juifs , pour subvenir aux frais des ouvrages nécessaires. Enfin la cour de Vienne, désespérant du succès de ses tentatives, consentit à la paix- Les ennemis se retirèrent, et les Génois conservèrent mie liberté d'autant plus précieuse, qu'ils l'avoient recouvrée par leur valeur. 4.1. Edouard, roi d'Angleterre, voulant se rendre maître de Calais, vint assiéger cette ville en i346.11 la bloqua pendant neuf mois, sans que l'invincible constance des citoyens, soutenue par l'intrépidité du brave Jean de Vienne, leur gouverneur, pût ralentir ses travaux. Tous les passages é toient fermés ; les provisions
�222
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
s'épuisoient dans la place; bientôt la misère devint extrême. On se vit contraint de manger les animaux les plus immondes : des chiens , des chats , des souris même étoient des mets délicieux; et quand on eut dévoré ces vils alimens, on se vit réduit à l'indigence la plus affreuse, la plus désespérante. Mais l 'amour de la patrie triomphoit de tant de maux. On aimoit mieux mourir, que de reconnoître un autre souverain que Philippe VI. Ce prince fit de vains efforts pour sauver de si braves guerriers etdessujetssifidelles. Il fut contraint de les abandonner à la discrétion d'un ennemi qu'une longue résistance avoit rendu implacable. Les habitans de Calais, au comble de la douleur, ne songèrent plus qu'à se rendre. A leur prière, Jean de Vienne monta a ux créneaux des murailles, et fit signe qu'il vouloit parler. Edouard envoya Gautier de Aîauni et le sire de Basset pour conférer avec lui. « Chiers seigneurs, leur dit le « gouverneur, vous êtes moult vaillans chevaliers en « fait d'armes, et savez que le roi de France que nous « tenons à seigneur , nous a céans envoyés , et com« mandé que nous gardassions cette ville et châtel, si « que blâme n'en eussions, et lui nul dommage : nous « en avons fait notre pouvoir. Or , est notre secours « failli, et nous si estraints, que nous n'avons de quoi « vivre ; si nous conviendra tous mourir, ou enrager « de famine , si le gentil roi votre seigneur n'a merci « de nous, laquelle chose lui veuillez prier en pitié, et « qu'ilnous veuille laisser aller tout ainsi que nous som« mes.—Jean, répondit Gautier, nous savons une par« tie de l'intention de monseigneur le roi ; car il nous « l'a dit : sachez que ce n'est mie son attente que vous « en puissiez aller ainsi ; mais son intention est que .« vous vous mettiez tous à sa propre volonté, ou pour « rançonner ceux qu'il lui plaira, ou pour faire mourir. » De Vienne redoubla ses pi'ières et ses instances auprès de Mauni, pour l'engager à fléchir le courroux du monarque. L'ame généreuse du chevalier anglais fut pénétrée de douleur. Il promit : il se flatta de. réussir. Tous les généraux se réunirent à lui pour calmer l'Inflexible Edouard ; et ce prince cédant enfin à leurs
�AMOUR
DE
1À PATRIE.
223
vives supplications, leur dit : « Seigneurs, je ne veux « mie être tout seul contre vous tous. Sire Gautier , « vous direz au capitaine de Calais, que la plus grande « grâce qu'il pourra trouver en moi, c'est qu'ils se par« tent de la ville six des plus notables bourgeois, les « chefs tous nus, et tous déchaussés, lesharts au cou, « et les clefs de la ville et du châtel en leurs mains j « et de ceux, je ferai à ma volonté , et le remanant « je prendrai à merci. » JMauni se hâta de porter ces ordres du vainqueur; et Jean de Vienne le pria d'assister à la déclaration qu'il en alloit faire au peuple. Tous les habitans assemblés sur la place, attendoient la réponse d'Edouard, avec cette inquiétude cruelle que donnent la crainte de la mort et l'espérance de la vie.Dès que l'arrêt eut été publié, un morne silence annonça l'anéantissement de tous les cœurs. On se regardoit en frissonnant : on cherchoit avec effroi ces six victimes du salut public ; on désespéroit de les rencontrer. Enfin, des cri s lugubres, entrecoupés de sanglots, de gémissemens et de pleurs, interrompirent tout-à-coup ce vaste silence. Mauni, témoin d'im spectacle si touchant, ne put retenir ses larmes, et confondit ses soupirs avec ceux de ces citoyens désolés. Cependant le moment fatal approchoit; il falloit se décider. Au milieu de ce peuple vaincu par la douleur, abattu , consterné , un héros dont le nom doit vivre éternellement dans la mémoire des hommes, l'honneur de sa patrie et la gloire de la France, Eustache de SaintPierre se présente, etsuspend,parses paroles, le désespoir de ses concitoyens. «Seigneurs, grands et petits, « s'écrie le zélé patriote, grand méchefseroit de laisser « mourir un tel peuple que cy est, par famine ou autre« ment, quand on n'y peut trouver aucun moyen ; et « seroit grande grâce devant Notre-Seigneur , qui de <i tel méchef le pourroit garder. J'ai en droit moi si « grande espérance d'avoir pardon envers Notre-Sei« gneur , si je meurs pour ce peuple sauver , que je « veux être le premier. » A peine eut-il cessé de parler, qu'il reçut le prix le plus pur de la rcconnoissance de ses concitoyens 3 chacun Falloit adorer de pitié. Ite
�224
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
se prosternèrent à ses pieds , en les arrosant de leurs larmes. Quel empire la vertu n'exerce-t-elle pas sur les cœurs ! Jean d'Aire , imitant le courage héroïque de son cousin, et voulant partager Fhonneur de mourir pour la patrie , vint se ranger à ses côtés. Jacques et Pierre Wisant, frères , et parens de ces généreux martyrs, brûlant du même zèle , se dévouèrent avec eux. Enfin , deux autres citoyens dont l'histoire n'a pas conservé les noms , ces noms sacrés, qu'on auroit dû graver en caractères ineffaçables , achevèrent le nombre de six victimes. Le gouverneur qui, courbé sous le poids des années et des maladies , pouvoit à peine se soutenir , monta à cheval, et les conduisit jusqu'à la porte de la ville. Là , il les remit entre les mains de Mauni, en le priant d'intercéder pour eux auprès de son roi. Ils parurent devant Edouard, et lui présentèrent humblement les ciels de Calais. Leur magnanimité inspira de l'admiration et de la pitié aux seigneurs anglais qui environnoient le roi. Ce prince resta seul insensible. Il lança sur eux un regard sévère, et commanda qu'on les conduisît au supplice. En vain le prince de Galles se jeta plusieurs fois à ses pieds, et s'efforça de le fléchir : il fut inexorable. « Soit fait venir le coupe« tête, » répéta-t-il d'un ton terrible. Ces illustres infortunés alloient perdre la vie; Edouard alloitflétrir ses laurierspar une indignevengeance,si la reine son épouse, héroïne généreuse, n'eût fait un dernier effort pour calmer son aveugle colère. Elle embrassa ses genoux, et le conjura, en répandant un torrent de larmes, de ne pas souiller sa victoire. Le monarque baissa les yeux. «Ah! « madame, s'écria-t-il après un moment de silence, je « aimassemieuxquevousfussiezautrepartquecy.Vous * me priez si à certes, que je ne puis vous éconduire : si « les vous donne à votre plaisir.» Aussitôt la magnanime princesse les emmena dans son appartement, leur fit apporter à dîner, les fit habiller, et les renvoya, sous une escorte sûre, après leur avoir fait donner à chacun six pièces d'or , pour leurs besoins. Le lendemain , Edouard entra triomphant dans Calais, dont il chassa tous les habitans , et qu'il peupla d'Anglais.
1
�AMOUR O E LA PATRIE. 225 42. Henri V, rai d'Angleterre , ayant déclaré la guerre à la France, assiège la ville de Rouen. Les habitans, fidèles à leur patrie, se défendent comme des lions. Trompés par les promesses du foible Charles VI et du duc de Bourgogne, ils résistent, avec leurs seules forces, aux nombreux bataillons du monarque assaillant. Durant près de six mois , ils font échouer ses efforts multipliés : enfin, épuisés et en proie à toutes les horreurs de la famine, ils sont obligés de se rendre à composition, le i3 de Janvier i^j-10,- Les articles de la capitulation contenoient en substance, que la garnison sorliroit sans armes -, que la ville conserveroit tous ses privilèges et immunités; qu'elle paierait trois cent quarante-cinq mille écus d'or au vainqueur; que tous les habitans lui prêteraient serment de fidélité, et qu'il pourrait en choisir trois, dont il disposerait à son bon plaisir. Ces trois victimes furent Piobert de Layet,Jean Jourdain et Alain Blanchard, qui s'étoient signalés par leur fermeté dans les conseils , et parleur valeur clans les combats. Les deux premiers fléchirent, à force d'argent, le monarque , aussi avare que cruel ; mais Blanchard, qui c toit pauvre et redouté, le trouva inexorable. Le bourreau lui trancha la tête. « Je n'ai pas de « bien, disoit ce héros en allant gaiement à la mort; « mais quand j'en aurais, je ne l'emploierais pas pour « empêcher un Anglais de se déshonorer. N'est-il pas « plus beau de mourir pour la patrie, que de ramper « lâchement devant un prince qui n'est pas mon roi ? » 43. Les Français avoient établi une petite colonie dans la Floride , en 10G2. Les Espagnols , jaloux de voir cet établissement si près d'eux, s'en étoient emparés , avoient massacré tous les Français ; et leur commandant Pierre Mêlanez, avoit fait graver le détail de cette action , en y ajoutant ces mots : « Je n'ai fait ceci « comme à des Français, mais comme à des Luthé- « riens. » Dominique de Gourgues , gentilhomme gascon, apprend que le massacre de ses compatriotes n'a point été vengé. Sensible h l'honneur de sa nation, il forme le projet de laver dans le sang des coupables l'affront qu'elle a reçu : il vend tout son bien, équipe Tome I, P
�226
AMOUR
DE
LA
PATRIE.
trois petits navires, s'embarque avec cent arquebusiers et quatre - vingts matelots , arrive dans la Floride , attaque et prend trois forts qu'il détruit. De quatre cents Espagnols qui défendoient ce pays, pas un seul ne lui échappe. N'ayant plus rien à faire, il assemble les prisonniers , leur reproche la barbare trahison qu'ils avoient employée , quatre ans auparavant , à l'égard de sa nation, et les fait tous pendre aux mêmes arbres où ils avoient pendu les Français. Il substitue cette inscription à celle que Mélanez avoit, laissée : « Je n'ai fait ceci comme à des Espagnols , mais « comme à des traîtres , à des voleurs et à des meur« triers. » Il remet à la voile , et arrive en France où on lui fit un crime d'avoir entrepris cette expédition sans ordre. Il s'agissoit alors d'un traité de paix entre la France et l'Espagne ; et de Gourgues fut sacrifié. Il se tint caché à Rouen pendant quelque temps , et mourut à Tours en i583.
44- L'immortel Du Guesclin avoit toujours à sa suite un grand nombre de gentilshommes bretons qu'il entretenoit à ses dépens. Clisson lui demanda ce qu'il vouloit faire de tant de monde ? — J'en veux faire des « ennemis aux Anglais , répondit Du Guesclin; des « vengeurs à ma patrie ; des défenseurs à mon roi : je « veux leur donner de quoi vivre , et les empêcher « de devenir voleurs et brigands : je vendrai , s'il le « faut , jusqu'aux bagues et bijoux de ma femme , « pour les entretenir plus long-temps. » 45. Dans la chaleur de la bataille de Neerwinde , gagnée par les Français en I6Q3, le maréchal de Luxembourg , qui commandoit, voyant revenir du combat un soldat aux gardes qui avoit quitté son corps , lui dit , d'un ton menaçant : « Où vas-tu ? « — Je vais , monseigneur , répondit le soldat , en g ouvrant son habit pour faire voir sa blessure 5 je vais mourir à quatre pas d'ici , ravi d'avoir exposé (< « et perdu la vie pour ma patrie, et d'avoir combattu « sous un aussi grand général que vous : je puis vous « assurer , à l'article de la mort où je suis , qu'il n'y « a aucun de mes camarades qui ne soit pénétré du « même sentiment. »
�AMOUR DE LA PATRIE. 227 46. La frégate du roi la Magicienne, de 32 canons , commandée par M. de la Bouchetière , capitaine de vaisseau, attaquée enNovembre 1781 par le Chaiham, vaisseau de guerre anglais de 62 canons , se rendit après trois heures d'un combat opiniâtre. Les officiers et. l'équipage avoient fait, pour la défense du pavillon français, tout ce que la bravoure et l'honneur peuvent suggérer; mais il fallut céder à la force. Un matelot, nommé Nicolas Dachicourt, natif de Boulogne , fut blessé à mort, au moment où l'on alloit se rendre. Ce brave homme , étendu sur le gaillard , et près d'expirer , saisit la main de son capitaine , et lui dit : « Je vais mourir ; mais je regrette moins la vie , que « de voir la frégate au pouvoir de l'ennemi. » 47. Un général français, à qui, dans la chaleur du combat, quelqu'un vint dire que son fils venoit d'être tué , répondit : « Songeons maintenant à vaincre « l'ennemi ; demain je pleurerai mon fils : la patrie '< doit passer avant moi. » Ce trait magnanime rappelle le patriotisme de M. de Saint-Ililaire, lieutenantgénéral de l'artillerie. 11 accompagnoit le vicomte de Turenne, lorsque le même coup de canon qui tua ce grand capitaine, le sauveur, la gloire de la France, lui emporta le bras. Son fils, qui se tenoit à ses côtés, saisi de frayeur à la vue de son père, se mit à pleurer et à jeter de grands cris : « Taisez-vous, mon fils » , lui dit-il , et lui montrant M- de Turenne étendu mort ; il ajouta : « Voilà celui qu'il faut pleurer avec « la France. » 48. M. de G***, maréchal des canrps et armées du roi, commandant les carabiniers , voit son fils aîné tué à côté de lui, à la bataille de Fontenoi. Il le recommande à quelques-uns des guerriers qu'il conduit; et sans songer davantage à ce malheur, il marche avec ses escadrons, et signale son bras redoutable par mille prodiges de valeur. Après la bataille, le roi, que l'on avoit instruit de ce qui venoit d'arriver à M. de G***, lui témoigna son admiration et .ra sensibilité. « Sire , répondit ce héros les larmes aux « yeux , mon fils a sacrifié ses jours à la patrie : il
�228 AMOUR DE LA PATRIE. « lui devoit ce tribut ; j'étois citoyen avant d'être « pèrci » 4g- Dans la dernière guerre du Canada, le marquis de Montcalm, après avoir remporté , comme général, plusieurs victoires sur les ennemis de la France , sacrifia sa vie en soldat dans la dernière action. Il y fut blessé mortellement de deux coups de feu : cependant il ne descendit point de cheval qu'il n'eût fait luimême la retraite de l'armée, sous le murs de Québec. Sur la réponse que lui fit son chirurgien que ses blessures étoient mortelles, il dit au lieutenant de roi et au commandant de Roussillon : « Messieurs , « je vous recommande de ménager l'honneur de la « France , et de lâcher que mon armée puisse se « retirer , cette nuit , au delà du Cap-Rouge ; pour « moi, je vais la passer avec Dieu, et me préparer à « la mort. » Il mourut le lendemain , à cinq heures du matin , et fut enterré dans un trou de bombe : digne tombeau de ce grand homme , qui avoit donné son dernier soupir à la patrie ! 5o. M. de Tourville, amiral français, méditoit une descente en Angleterre , dans le commencement du règne de Guillaume. Comme il se proposoit d'aborder \ Sussex, il fit venir un pêcheur de cet endroit, que ses vaisseaux avoient pris. Il espéroit d'en apprendre ce que le peuple pensoit du gouvernement : « Tes « compatriotes , lui demanda-t-il , aiment-ils le roi « Jacques? Sont-ils attachés au prince d'Orange, ou « au roi Guillaume , comme vous l'appelez ? Sont-ils « contens du gouvernement actuel ? » Le pêcheur resta interdit à ces questions. « Je n'ai jamais entendu « parler , répondit-il, des messieurs que vous me « nommez. Ils peuvent être de très-bons seigneurs 3" « je ne veux de mal ni à l'un ni à l'autre : ils ne m'en « ont jamais fait, et je ne les connoît pas : je souhaite « que le Ciel les bénisse. Quant au gouvernement, « comment voulez-vous qu'un homme qui ne sait ni « lire, ni écrire, puisse y entendre quelque chose ? Je « m'occupe de ma barque , de mes filets, de la vente « de mes poissons} et puis c'est tout. » L'amiral com-
�ADOUR DE LA PATRIE. 22g prit, à la manière dont ce*l liomme s'expiimoit, qu'il ]ie lui en imposoit pas sur son ignorance. « An. moins, « leur dit-il, vous m'avez Pair d'un h on matelot ; et « comme vous êtes indifférent pour les deux partis , « vous ne pouvez refuser de servir dans mon vaisseau, « — Moi, s'écria sur-le-champ le pêcheur, je com« battrois contre mon pays ! Je ne le ferois pas pour <c la rançon du roi. » 51. Les Français avoient gagné une des galeries souterraines qui communiquent à la citadelle de Turin. Les assiégeans , qui comploient par là s'ouvrir l'entrée de la citadelle, y avoient posté deux cents grenadiers. Un paysan piémontais , appelé Micha , qui avoit été forcé de servir comme prisonnier, et qui avoit été fait caporal, travailloit près de cet endroit,. avec vingt hommes, à une mine. Comme il entendit les Français sur sa tête, convaincu que la place était prise s'ils restoient en possession de ce souterrain, il se détermina à sacrifier sa vie pour sauver la place. 11 renvoya ses camarades, et les chargea de l'avertir par un coup de feu, dès qu'ils seraient en sûreté : aussitôt qu'il eut entendu le signal, il mit le feu à la mine, et se fit sauter avec les deux cents grenadiers français. Le rai de Sardaigne récompensa sa femme et ses enfans qu'il lui avoit fait recommander au moment où il s'étoit si généreusement sacrifié, et assura une pension à sa famille. 52. Les Français assiègent Castillan en i/po. Talbot, capitaine anglais, fameux par plusieurs bellesactions, et alors âgé de quatre-vingts ans, marche au secours de cette ville , l'une des plus fortes places-de la Guienne. Les Français, bien supérieurs en nombre, enveloppent de tous côtés la petite troupe de Talbot:. Ce héros , se voyant dans un si grand danger , dit au baron de Lille, son fils : « Retirez-vous , mon « fils , vous êtes jeune, vous pouvez encore servir la « patrie■;, réservez-vous pour de meilleurs temps. Pour « moi, je ne puis plus être utile à l'Angleterre que par « l'honneur que ma mort peut lui procurer 5 je vaister« miner ici ma carrière , en lui sacrifiant mon dernier-
�23o AMOUR HE LA PATRIE. « sotipir.»Le baron, aussibrave que son père, s'obstine rester à ses côtés. Talbot fut emporté d'un boulet de canon , et son généreux fils périt dans la mêlée. 53. Godina, duchesse de Mercie, en Angleterre, la princesse la plus célèbre de son siècle par sa beauté et par sa vertu , prouva son amour pour son pays par un acte bien singulier. Son mari avoit mis un impôt accablant sur les habitans de Coventri. Sa femme le sollicita de le lever. Mais cet homme bizarre ne lui accorda sa demande, qu'à condition qu'elle traverserait nue toute la ville. Godina se soumit à ce caprice ; etayant faitdéfendre aux habitans de la regarder, sons peine de mort, elle monta à cheval, et passa dans toutes les rues de la ville , sans autre voile que ses grands cheveux. Un homme , poussé par une aveugle curiosité , entr'ouvrit une fenêtre ; mais il fut mis à mort aussitôt ; et pour éterniser la mémoire, de cet événement, on a conservé dans cette ville, au même endroit, une espèce de statue dans l'attitude d'une personne qui regarde. 54. A la bataille de Sempach, un gentilhomme du pays d'Underwald, en Suisse, nommé Arnold de Winkelried, voyant que ses compatriotes ne pouvoient enfoncer les Autrichiens dont ils venoient de secouer le joug, parce que ces tyrans, armés de toutes pièces, ayant mis pied à terre , et formant un bataillon serré , présentoient un front couvert de fer, hérissé de lances et de piques, conçut, le généreux dessein de se sacrifier pour sa patrie : « Mes amis , dit-il aux Suisses qui « commencoient à se rebuter , je vais donner ma vie « pour vous procurer la victoire •, je vous recommande « seulement ma famille. Suivez-moi, et agissez en « conséquence de ce que vous me verrez faire. » A ces mots, il les range en forme de triangle dont il occupe la pointe, marche vers le centre des ennemis ; et embrassant le plus de piques qu'il peut saisir, il. se jette à terre , ouvrant à ceux qui le suivoient un chemin pour pénétrer dans cet épais bataillon. Les autrichiens , une fois entamés , furent vaincus , la pesanteur de leurs armes leur devenant funeste.
�AMOUR DE LA PATRIE, 23l 55. Au combat de Clostercamp, M. d'Assas, capitaine dans la régiment d'Auvergne, s'étant avancé pendant la nuit pour reconnoître le terrain , fut saisi par des grenadiers ennemis , embusqués pour surprendre Tannée française. Ces grenadiers l'entourent et le menacent de le poignarder sur-le-champ , s'il fait le moindre cri qui puisse les faire découvrir. M. d'Assas , sous la pointe de vingt bayonettes , se dévoue , et crie d'une voix généreuse : A moi, Auvergne ! ce sont les ennemis ! et tombe à Finstant percé de cent coups. On sait que le régiment d'Auvergne , instruit par ce moyen de la présence des ennemis , soutint leur premier effort, les repoussa y et qu'il s'ensuivit une victoire complète. 56. Le bourg de Bolbec , dans la généralité de Rouen , ayant été presqu'entièrement consumé par un incendie , en 1765, le sieur le Marcis , moins touché des pertes considérables que ce triste événement lui occasionnoit, que du malheur et de la désolation de ses infortunés compatriotes , vola dans le moment à leur secours, et sacrifia généreusement une partie des biens qui lui restaient, pour procurer à ces malheureux les plus pressans besoins. Le roi , qui se fit instruire de tous les détails de cet événement funeste , admira l'action héroïque du sieur le Marcis, loua son généreux désintéressement, et pour première récompense de ses soins bienfaisans qu'il avoit pris , sa majesté lui fit donner par M. le contrôleur-général, l'honorable commission de les continuer, en le chargeant de distribuer aux pauvres incendiés de Bolbec les secours que la bonté paternelle du monarque leur faisoit administrer. Cette commission fut suivie d'un brevet d'armoiries destinées à exprimer , d'une manière sensible], le zèle patriotique dont elles étaient le prix , et d'une médaille d'or envoyée par le ministère de M. Berlin, avec cette inscription : « Donnée par le roi à P. J. le Marcis, pour les secours « fournis aux habitans de Bolbec , lors de l'incendie « de ce bourg, en 1765. » Le corps-de-ville de Rouen » pour faire passer à la postérité la mémoire du s ieur
�232
AMOUR
DE
Ii A
PATRIE.
le Marcis , et les récompenses dont le monarque l'a honoré , en a fait registre dans ses archives, en arrêtant en même temps que sa Majesté seroit trèshumblement suppliée de permettre que ce zélé patriote jouisse dans cette ville de tous les privilèges des citoyens les plus distingués. 5y. Lorsque l'amiral Blacke commandoit la flotte anglaise, il obtint le commandement d'un vaisseau de guerre pour un de ses frères , s'imaginant qu'il avoit autant de courage que lui.Mais, à la première affaire, le jeune Blacke le détrompa : il montra la plus grande lâcheté, et se tint toujours hors de la portée du canon. L'amiral le renvoya aussitôt en Angleterre. « Je me « suis trompé , dit-il à ses officiers , mon frère n'est « point appelé à la guerre; mais s'il ne peut faire face « à l'ennemi sur un vaisseau , il peut du moins être « utile à son pays , auprès d'une charrue. » Il lui confia la culture de ses terres, comme le seul emploi qui lui convînt, et les lui laissa quand il mourut. 58. Jean II, roi de Portugal, avoit coutume de dire que le prince qui se laisse gouverner est indigne de régner. Lorsqu'il eut perdu son fils unique , qu'il aimoit tendrement : « Ce qui me console, dit-il, c'est « qu'il n'étoit pas propre à régner ; et Dieu , en me « l'ôtant, a montré qu'il veut secourir mon peuple. » 5g. Il y avoit cinq brèches aux murailles de SaintQuentin, et c'étoit le onzième assaut que lesEspagnols y donnoient, lorsqu'ils prirent cette ville en i557. Les chanoines refusèrent de profiter de la permission que le commandant espagnol leur accordoit, d'y demeurer, et de jouir de leurs canonicats. « Nous ne voulons « point, lui dirent-ils , rester dans une ville où il ne « nous seroit pas permis de prier Dieu publiquement « pour la prospérité de la France » ; et ils se retirèrent à Paris.
�AMOUR
DU PROCHAIN.
253
AMOUR DU PROCHAIN. i. PERSONNE n'aimoitplussapatriequeM. de Fénélon, mais il ne pouvoit.souffrir qu'on en cherchât les intérêts en violant les droits de Y humanité ; ni qu'on l'exaltât en dégradant le mérite des autres peuples : «J'aime « mieux ma famille que moi-même , disoit ce prélat ; « j 'aime mieux ma patrie que ma famille ; mais j'aime « encore mieux le genre humain que ma patrie. » 2. Tandis que Moïse recevoit sur le mont Sinaï la loi du Seigneur , le peuple d Israël , qui ne le voyoit point revenir, s'imagina qu'il étoit mort. Dans cette persuasion, oubliant tout-à-couples bienfaits du ToutPuissant, et les merveilles que son bras avoit opérées en leur faveur, ils environnèrent tumultuairement Aaro?i, frève de Moïse, etl'obligèrent de leur fabriquer un veau d'or, pour l'adorer. Les ingrats prostituoient leurs honmiages sacrilèges à cet objet insensible. Tout le monde étoit enivré d'une joie folle. Moïse descend; il apprend la prévarication de ses frères. Rempli d'une sainte indignation, il brise les tables sur lesquelles le doigt de Dieu même avbit gravé ses commandemens ; et faisant assembler tous les coupables : « Enfans de « Jacob , leur dit-il, vous avez commis un grand « péché; je vais monter vers le Seigneur, pour le sup« plier de vous pardonner votre crime. » Aussitôt il retourne sur la montagne : « Dieu d'Abraham, d'Isaac « et de Jacob , s'écrie-t-il, ou pardonnez à mon peu« pie , ou effacez mon nom du livre de vie. » Le Seigneur , touché de cette prière , lui dit : « Allez; « je ne punirai point l'innocent pour le coupable. Con« tinuez de conduire mon peuple dans la terre que je « lui ai promise : au. jour de la vengeance, je verrai, « et je punirai celui qui aura commis le crhne. » 3. Pompée , après avoir fait une grande provision de grains pour transporter à Rome , dont les citoyens étoient en proie aux horreurs de la famine , étant sur
�934 AMOUR DU PROCHAIN. le point de s'embarquer, fut surpris d'une si grande tempête , que les matelots iTosoient lever l'ancre. Mais Pompée , intrépide , et sachant le besoin de .Rome , leur commanda de mettre les voiles au vent. « Il n'est pas nécessaire que je vive , leur dit-il ; « mais il est nécessaire au peuple romain que je parte « pour le secourir. » 4- Le connétable de Montmorency avoit chez lui un gentilhomme, fils d'un père qui lui avoit été fort attaché , et qui , en mourant, l'avoit étroitement recommandé à ce grand homme. Le connétable ne se contentoit pas de l'avoir dans son palais; il lui faisoit encore une pension : cependant le jeune homme s'oublia jusqu'au point de prendre un bijou dans le cabinet de son bienfaiteur. Il eut le malheur d'être décou vert par un officier de la maison , qui, dans le moment, en instruisit son maître ; et l'on ne douta point que cet infortuné, qui avoit mis toute la maison en peine, ne fût promptement et ignominieusement chassé. Mais tout le monde se trompa dans ses conjectures. Le connétable fît entrer le jeune homme dans son cabinet ; et ce malheureux , se jetant à ses genoux pour implorer sa miséricorde, il le releva , en lui disant : « Monsieur, « je sais le malheur qui vous est arrivé ; je crois que « c'est par ma faute , et que la pension que je vous « donne n'est pas assez forte : je vous l'augmente de « la moitié ; et continuez de regarder ma maison comme « la vôtre. » 5. Henri IV ayant appris que quelques troupes qu'il faisoit marcher en Allemagne , avoient commis des désordres en Champagne , envoya des officiers , et leur dit : « Partez en diligence; donnez-y ordre. Quoi ! « si Pou ruine mon peuple , qui me nourrira ? qui « soutiendra les charges de l'Etat ? qui payera vos <x pensions, Messieurs? Ventre-saint-gris ! s'en prendre « à mon peuple , c'est s'en prendre à moi-même. » 6. Piotrou étoit revêtu de toutes les magistratures de la ville de Dreux, sa patrie , lorsqu'elle fut affligée d'une maladie épidémique. Pressé par ses amis de Parts de mettre sa vie en sûreté , et de quitter un lieu si
�AMOUR DU
PROCHAIN.
235
dangereux : « Ma conscience ne me permet point de « suivre ce conseil, répondit-il, parce qu'il n'y a que « moi qui puisse maintenir le bon ordre si nécessaire « dans les tristes circonstances où sont mes infortunés « compatriotes. Ce n'est pas que le péril où je me « trouve ne soit fort grand , puisqu'en ce moment les « cloches sonnent pour la vingt-deuxième personne « qui est morte aujourd'hui. Ce sera pour moi quand « il plaira à Dieu. » Il fut attaqué de la maladie quelque temps après , et en mourut en i65o y à l'âge de ai ans et quelques mois. 7. Le feu venoit de prendre à un village de la Fionie. Un paysan fut aussitôt porter des secours aux lieux où ils étaient nécessaires. Tous ses soins furent vains: l'incendie fit des progrès rapides. On vint l'avertir qu'il avoit gagné sa maison. Il demande si celle de son voisin était endommagée. On lui dit qu'elle brûloit, et qu'il n'avoit pas un moment à perdre , s'il vouloit conserver ses meubles. « J'ai des choses plus « précieuses à conserver , répliqua-t-il sur-le-champ : « mon malheureux voisin est malade , et hors d'état « de s'aider lui-même. Sa perte est inévitable , s'il « n'est pas secouru 5 et je suis sûr qu'il compte sur « moi. » Dans le même instant , il vole à la maison de cet infortuné ; et, sans songer à la sienne qui faisoit toute sa fortune , il se précipite à travers les flammes qui gagnoient déjà le lit du malade. Il voit une poutre embrasée , prête à s'écrouler sur lui. Il tente d'aller jusques-là : il espère que sa promptitude lui fera éviter ce danger qui , sans doute , eût arrêté tout autre. Il s'élance auprès de son voisin , le charge sur ses épaules, et le conduit heureusement en lieu de sûreté. Pour récompenser cette action généreuse , la chambre économique de Copenhague donna à ce paysan un gobelet d'argent, rempli d'écus danois : la pomme du couvercle étoit surmontée d'une couronne civique 4 aux côtés de laquelle pendoient deux petits médaillons sur lesquels cette action était gravée en peu de mots. 8. L'eau et toute espèce de vivres manquant dans un vaisseau : « Mes amis, dit un Français nommé Lachau,
�1 236 AMOUR o ÏT PROCHAIN . « je vous offre ma vie pour prolonger la vôtre de quel« ques jours; peut-être que durant cet intervalle , le « calme qui nous retient cessera, et que vous pourrez « aborder à quelque plage où vous trouverez des se« cours. » L'extrême nécessité fît accepter sa proposition : on le tua comme il le désiroit, et pendant la nuit, le vent avant changé , on aborda aux îles Antilles ; mais le généreux Lâchait étoit déjà mangé. 9. Un seigneur qui occupoit des charges à la cour A'Alfonse V', roi d'Aragon , et qui avoit de plus un des meilleurs gouvernemens du royaume , étant devenu fou par le moyen d'un breuvage , il se présenta aussitôt des gens tout prêts à le remplacer dans ses emplois. Ils les demandèrent au roi avec empressement , parce que , disoient-ils , il sembloit ridicule qu'un homme qui avoit perdu l'esprit continuât de les remplir. « Vous me paraissez bien plus ridicules , « leur répondit Alfonse, quand vous espérez que pour « vos intérêts , j'aille priver des biens de la fortune , « un homme qui est déjà assez malheureux d'avoir « perdu le sens et la raison. » Ce bon prince voyageoit un jour à cheval. Un page, qui marchoit devant lui, le blessa par étourderie, en tirant une branche d'arbre qui vint le frapper à l'oeil, et en fit sortir du sang. Cet accident effraya d'abord tous les seigneurs de sa suite, qui accoururent aussitôt, et s'approchèrent de lui. Le roi , malgré la douleur qu'il sentoit , les rassura , et leur dit ensuite d'un air tranquille : « Ce qui me fait le plus de peine , « c'est le chagrin de ce pauvre page qui est cause de « ma blessure. » Une autre fois , il aperçut une galère qui , chargée de matelots et de soldats , étoit dans le plus grand danger. Le péril empêchoit qu'on n'exécutât ses ordres avec promptitude. Il se met lui-même dans une chaloupe , pour voler au secours de la galère , disant à ceux qui lui représentoient combien il s'exposoit: « J'aime mieux être le compagnon que le spec« tateur de leur mort. » 10. Le célèbre cardinal d'Amboise avoit fait
�AMOUR DU PROCHAIN. 207 construire , avec beaucoup de soins et de dépenses , sa belle maison de Gaillon; mais il manquoit à ce château une dépendance plus étendue. Un gentilhomme voisin , possesseur d'une terre, dont l'acquisition eût beaucoup décoré celle du cardinal, la lui fitproposer. Le ministre répondit que le gentilhomme n'avoit qu'à venir , qu'ils parleraient ensemble de cette affaire. Celui-ci ne manqua pas de s'y rendre. Le cardinal , après l'avoir fait dîner avec lui, lui demanda poliment quelle raison l'engageoit à se défaire de sa terre ? « Je pourrai, répondit le gentilhomme , mériter par « là l'honneur de votre protection et de vos bonnes « grâces : je me verrai en état d'établir avantageuse« ment ma fille ; et du reste de la somme , je me « ferai une rente aussi forte que le revenu de ma « terre. » Le cardinal lui représenta alors que , sans avoir recours à un moyen qui le dépouilloit toutà-coup d'une terre si ancienne dans sa maison , il auroit dû emprunter à longs termes , et sans intérêts , de quoi marier sa fille. « On ne trouve pas aisément, « reprit le gentilhomme , de l'argent à emprunter de « cette manière. — C'est moi , répliqua le cardinal, « qui vous prêterai l'argent dont vous avez besoin ; « et je vous accorderai un assez long terme pour que « vous puissiez me le rendre sans vous incommoder , « et sans être obligé de vendre votre terre. » Aussitôt il lui fit compter tout l'argent dont il avoit besoin , avec obligation de le lui rendre dans l'autre monde. Quelqu'un ayant demandé au généreux prélat le succès de cette affaire : « Au lieu d'une terre , ré« pondit-il, j'ai acquis un ami. Pouvois-je la terminer « plus heureusement ? » 11. Henri, duc de Montmorenci, conserva , après la mort de son père , tous les domestiques qui lui avoient appartenu. La duchesse son épouse lui représenta qu'il n'étoit point en état d'avoir chez lui tant de monde , et qu'il étoit indispensable d'en congédier une partie. Le duc fit avec elle la revue de toute sa maison ; et aussitôt qu'elle nommoit un domestique dont on pouvoit se passer , il cherchoit à
�238 AMOUR DU PROCHAIN. prouver qu'il étoit nécessaire. Enfin , il s'"en Jrouva deux , de l'inutilité desquels il convint de bonne foi ; mais il ajouta : « Croyez-vous ma maison surchargée « par ces deux officiers .J Ne sont-ils pas assez mal« reux de n'être bons à rien , sans leur donner le « chagrin de les renvoyer ? » 11 voulut résoudre une question que l'on agitoit : savoir , si dans les conditions les plus bornées , on peut être plus heureux que dans le sein des honneurs et des richesses ? Il trouva quatre cultivateurs qui se reposoient à l'ombre d'un buisson , et leur demanda s'ils étoient heureux. Trois d'entr'eux l'assurèrent qu'ils ne désiraient rien -, et le quatrième avoua qu'il soupirait après une partie de son patrimoine, qui étoit passée en des mains étrangères : « Mais , si tu l'avois, « serois-tu heureux , demanda le duc ? — Autant , » monseigneur , qu'on peut l'être en ce monde. «— Combien vaut-elle? — Deux mille francs. « — Qu'on les lui donne ; et qu'il soit dit que j'ai fait « aujourd'hui un heureux. » 12. Souvent, dans la grandeur , on ne se rappelle ce que l'on a été, que pour le faire oublier aux au tres. La célèbre madame de Maintenon s'en ressouvenoit toujours , et ne s'en ressouvenoit que pour faire plus de bien. Ses entrailles s'attendrissoieut à la vue des malheureux. Elle n'avoit pas besoin , pour exciter sa pitié , d'aller dans ces lieux où se retire l'indigence : elle n'avoit qu'à se rappeler ses premières années. « Ma place, disoit-elle, a bien des côtés fâcheux; mais « aussi elle me procure le plaisir de donner. Pour se« courir les malheureux , il n'est pas nécessaire d'être « chrétienne. » lue bruit de sa charité vola jusques dans les provinces. De tous côtés, on recouroità elle, comme à l'asile des infortunés. Les petits avoient chez elle le même accès que les grands ; et l'on voyoit entrer dans son cabinet le prince avec tout son faste, et le pauvre couvert de haillons. Il parut un jour dans son antichambre , un homme qui fendit la foule, et qui, l'abordant avec une respectueuse hardiesse , lui dit : « Il y a quarante ans, madame, que je ne vous ai vue,
�AMOUR
DU
PROCHAIN.
23û,
(( et vous ne pourrez me reconnoître 3 mais vous ne « pouvez m'avoir entièrement oublié. Vous souvient« il qu'à votre retour des îles , vous vous rendiez , « tous les jeudis, à la porte des Jésuites de la Rochelle, « où, suivant l'usage delà plupart des communautés, « les jeunes pères dis tribu oient de la soupe auxpau« vres ? Employé à mon tour dans cette distribution, « je vous distinguai dans la foule des mendians. Je « vous rappelle sans crainte un fait que vous écoutez « sans rougir. Je fus frappé de la noblesse de votre « physionomie : vous ne me parûtes point faite pour « un état si vil ; j'observai votre embarras à vous « présenter pour avoir part à l'aumône ; et j'en eus «pitié. — C'est donc vous, monsieur, luiditmadame « de Maintenon, qui, pour m'épargner la honte d'être « confondue avec ces misérables , fîtes apporter la 1 soupe chez moi , en me témoignant mille regrets « d'être borné à un si médiocre secours ? Vous me « sauvâtes doublement la vie, et en me donnant cette « nourriture, et en compatissant à ce que je souffrois « d'être obligée de mendier publiquement. » Elle lui demanda ce qu'elle pouvoit faire pour lui , et le pria de passer dans son cabinet, comme pour lui épargner à son tour l'humiliation d'exposer tout haut ses besoins. Là , le vieillard lui dit que , quelques années après , il avoit quitté les Jésuites ; qu'il étoit actuellement maître d'école dans un village ; qu'il bornoit toute son ambition à une cure ; et que , d'après tout ce que la renommée lui avoit dit d'elle , il espéroit 1 obtenir de sa protection , et peut-être de sa reconnoissance. Madame de Maintenon le remercia d'une confiance si flatteuse pour elle , et lui dit qu'elle ne se mêloit point de la nomination des bénéfices ; qu'elle ne savoit pas s'il étoit propre à une cure, mais qu'elle savoit qu'il étoit charitable ; qu'elle le prioit donc de se contenter, pour le présent, d'une bourse de cent pistoles, qu'elle lui donna, en lui promettant; de la remplir toutes les années de cette somme modique. « Je voudrais faire davantage, ajouta-t-elle ; « mais je ne jouis pas encore de tous les avantages.
�Z^O
AMOUR DES SCIENCES.
« de ma place , à cause des secours que je dois à « mes pareils ; car ATOUS n'êtes pas le seul qui ayez « eu pitié de mon enfance. » Le roi étant entré chez elle en ce moment, elle lui dit : « Voilà mon père « nourricier ; et vous ne serez plus surpris , sire , « que je vous importune quelquefois pour les or« phelins. » En se rappelant diverses particularités de sa jeunesse , de ce temps pénible où elle n'avoit que des tapisseries d'emprunt, où elle alloit porter chez l'imprimeur les épreuves des ouvrages de Scarron , son mari, elle se ressouvint qu'un jour qu'elle devoit recevoir chez elle quelques femmes de qualité , une blanchisseuse lui avoit loué quelques meubles , et avoit refusé le payement du loyer. Honteuse de s'en souvenir si tard , elle ordonna à ses gens de chercher cette femme. Après bien des perquisitions , on la trouva dans un galetas , accablée de vieillesse et d'infirmités, prête à vendre sa dernière chaise , pour avoir encore un morceau de pain. Madame de Maintenon va la voir, lui rappelle le prêt des meubles , lui assure , pour le reste de ses jours , une petite pension dont elle lui donne le premier quartier. Voyez BIENFAISANCE ,
BIENVEILLANCE , CHARITÉ , HUMANITÉ.
AMOUR DES SCIENCES.
i. Î_JE philosophe Démocrite porta si loin l'amour des sciences , qu'il abandonna sa patrie , et voyagea dans la Chaldée pour apprendre l'astronomie : il passa de là en Perse , où il prit une connoissance profonde de la géométrie. Enfin , il vint à Athènes ; et là , anime plus que jamais du désir insatiable d'apprendre , il se creva les yeux , afin que les objets extérieurs ne pussent le distraire de ses méditations sublimes. Il vécut ainsi jusqu'à une extrême vieillesse , sans être sujet a aucune infirmité.
2,
�A M O 2.
TJ
R
ftiS
S
C I B N C È
SJ
2/f.l
Agnodice, jeune Athénienne, ne pouvant suivre' son attrait pour la médecine , en allant entendre ceux qui l'enseignoient, parce que les lois d'Athènes défendoient aux tilles d'exercer cet art quelquefois utile , prit un habit d'homme, et, déguisée de la sorte. Se fit disciple d'Hérophile, savant docteur , des leçons duquel elle sut bien profiter. Un jour , s'étant présentée à une femme qui étoit sur le point d'accoucher, celle* ci refusa ses services , prenant Agnodice pdur urï homme , à qui là pudeur l'empêchoit de se confier. La jeune artiste fit connoître son sexe : ses services furent acceptés 5 et l'heureux Succès de son opération la mit dans un grand crédit auprès des dames. Mais les médecins la calomnièrent; ce qui l'obligea de dire ce qu'elle étoit. Alors elle fut déférée à l'aréopage * comme infractrice de la loi ; et peut - être eût-elle été condamnée , si les dames , par leurs vives sollicitations i n'eussent fait abroger cette ordonnance injuste. 3. S'exposer à des refus insultans pour acquérir des connoissances, c'est porter l'amour de la science à son: comble. Diogène, ce cynique fameux, que son impu-' dente philosophie a immortalisé, se rendit à Athènes, attiré par la réputation à'Antisthène ; mais Ce philosophe ne recevbit point de disciples. Il rebuta Diogène ; et comme celui-ci persistait toujours à le suivre, Antisthène irrité leva son bâton pour le frapper. Diogène lui dit avec assurance : « Frappez si vous voulez; vous « ne trouverez; jamais de bâton assez dur pour me « chasser d'auprès de vous. » Le philosophe étonné l'embrassa et le retint avec lui. 4- On ne sauroit dire jusqu'où alloit la passion des disciples de Socrate pouf entendre ses leçons, etpout* en profiter. Ils quittaient père et mère, et renonçoient à toutes leurs parties de plaisir, pour s'attacher Sans réserve à ce sage qui formoit leurs cœurs, éclairait leur esprit, dirigeoit leurs pas dans les sentiers de la vertu* Aristippe, qui devint dans la Suite un célèbre philosophe, sur un entretien avec Isomachus, dans lequel il ,avoit recueilli quelques traits de la doctrine de Socrate} Terne 1 Q
�AMOUR
DES
SCIENCES.
conçut un si vif désir d'aller l'entendre, qu'il en devint tout maigre et tout pâle, jusqu'à ce qu'il pût aller puiser à sa source une philosophie , dont le fruit étoit de connoîtrc ses maux , et de s'en guérir. Athènes etMégare se faisoient une guerre cruelle. L'animosité des deux peuples étoit si grande , qu'on faisoit prêter serment aux généraux athéniens de ravager le territoire de Mégare deux fois l'année, et qu'il étoit défendu aux Mégariens , sous peine de la vie , de mettre le pied dans l'Attique. Cette défense ne put éteindre ni arrêter le zèle d:Euclide. Il sortoit de sa ville, sur le soir, en habit de femme, la tête couverte d'un voile, et se rendoit la nuit au logis de Socrate , où il se tenoit, jusqu'à ce que le jour approchant, il s'en relournoit dans le même état où il étoit venu. 5. Anacharsis , prince scythe , ayant connu toute l'utilitédes sciences auxquelles s'appliquoientlesGrecs, abandonna son pays pour venir puiser dans A thènes . alors séjour des beaux-arts, ces connoissances sublimes qui l'ont mis au nombre des sages. En arrivant, il alla chez Solon, il lui fit dire ce qu'il étoit, et qu'il venoit pour loger chez lui , si cela ne l incommodoit pas. Comme les Grecs avoient beaucoup de mépris pour les autres nations qu'ils appeloient barbares , et surtout pour les Scythes, Solon, lui ht répondre que l'usage étoit de se faire des hôtes dans sa patrie. Aussitôt Anacharsis entra dans la chambre du philosophe , et lui dit : « Je suis ici dans ma patrie; et la justice veut que« l'hospitalité nous unisse. » Solon, charmé de sa hardiesse ingénieuse, le reçut très-bien, le logea, conçut pour lui, dès la première conversation , une estime particulière ; et lui trouvant un esprit vraiment philosophique , il dirigea ses pas dans la carrière de la sagesse. Anacharsisyroûta. des leçonsd'imsigrandmaître: bientôt il s'acquit l'amitié des honnêtes gens et des philosophes d'Athènes, et sa réputation s'étendit au loin. 6. Pline l'ancien passa presque toute sa vie à l'armée , ou dans les exercices des magistratures : cependant il sut concilier ses occupations et ses affaires avec l'étude la plus opiniâtre. Le nombre deses ouvrages estsigrand,
�AMOUR DES SCIENCES; 243" qu'un hômme oisif pourroit à peine les lire tous. Outre son Histoire Naturel! e, ouvrage é tendu et d'une science très-vaste, il en a composé une infinité d'autres. Il n'étudioit pas seulement dans ses heures de loisir : k ial>le , il faisoit quelque lecture ; en voyage , il lisoit ou écrivoit dans sa litière ; étant à cheval, il dictoit à iin esclave. Il fut enfin la victime du désir d'apprendre. Curieux de connoître la cause des volcans du Vésuve, il s'avança trop près , et fut étouffé par la fumée. 7. Lorsque les soins de la guerre donnoient au célèbre Scipion l'Africain quelques momens de relâche , les lettres étoient son unique délassement : il s'y livroit avec tant d'ardeur , qu'il disoit souvent qu'il n'étoit jamais plus occupé , que lorsqu'il étoit de loisir. 8. Jules-César, ce fameux Romain qui porta les derniers coups à la liberté de sa patrie , aimoit tellement les lettres , et s'y appliquoit avec tant d'ardeur , que la guerre même n'interrompoit pas ses études : il lisoit même pendant les jeux et les autres cérémonies publiques. Au milieu du fracas des armes , parmi les embarras des guerres civiles et étrangères , il composa ses Commentaires , pour servir de matériaux à ceux qui voudroient écrire l'histoire ; mais ils sont écrits avec tant de grâce et d'élégance , que personne n'osa y toucher. Aucun écrivain ne se flatta de pouvoir même égaler cette pureté de style , cette éloquence simple et militaire qu'on y admire. On ne peut assez s'étonner que César , occupé , pendant toute sa vie , des soins qu'entraînent l'ambition et le désir de la gloire , ait pu trouver du temps pour amasser un si grand nombre de connoissances. 9. Le sophisteLucius étant venu à Rome, renconIra l'empereur Marc-Aurèle, et lui demanda où il alloit ? « Je vais, répondit le prince, entendre les leçons de « Sextus le philosophe. » Lucius étonné leva les mains au.ciel pour marquer sa surprise. « Il n'y a rien là qui « doive vous étonner, reprit JXIarc-Aurèle : à tout âge il « n' est point honteux d'apprendre ce qu'on ne saitpas. » 10. Alphonse V, roi d'Aragon, recherchoit avec ardeur les anciennes médailles des empereurs , sur-tout Q 2
�244
AMOUR
DES
SCIENCES,
celles de Jules-César. Chacun s'empressoit de lui en apporter , et il en reeevoit de toute l'Italie. En ayant ainsi amassé une collection très-considérable, il les fit ranger par ordre dans un riche médaillier , où il les gardoitprécieusement. Quelquefois,après s'être amusé des heures entières à considérer cette suite d'hommes illustres dont il possédoit même seul certaines têtes , il disoit : « Mon émulation se ranime à la vue de tant « de héros ; il me semble qu'ils m'invitent tous à les « suivre au chemin de la gloire , et à faire , comme « eux , des actions dignes de l'immortalité. » 11. Dans son enfance , Thémistocle employoit ses récréations, non pas aux bagatelles que l'on permet à cet «âge , mais à composer de petits plaidoyers, tantôt pour accuser, tantôt pour défendrè quelqu'un de ses condisciples. Il falloit user de contrainte pour l'appliquer aux études qui ne sont qu'agréables ; son esprit et sa mémoire ne se prêtoient qu'aux connoissances solides et véritablement utiles. Aussi son maître présagea-t-il dès-lors que cet enfant se rendroit un jour célèbre par de grandes vertus, ou par de grands vices12. Alcibiade se trouvant un jour avec un grammairien qui faisoit profession d'enseigner les règles du langage : « Avez-vous , lui demanda-t-il, quelqu'un des « ouvrages d'Homère ? — Non vraiment, » répondit le pédagogue, avec un ton dédaigneux. A ce mot, Alcibiade ne put retenir son indignation, et le repoussant d'un coup de poing vigoureusement appliqué : «Quoi', « s'écria-t-il, tu veux enseigner la langue , et tu n'as « pas celui de tous nos auteurs qui Taie mieux parlée ! » Une autre fois il fit la même question à un autre maître de langue; et celui-ci lui ayant dit que non-seulement il avoit Homère, mais qu'à l'exemplaire qu'il possédoit, il avoit corrigé lui-même des fautes échappées à ce poète célèbre : « Vous, reprit-il d'un ton ironique , « vous avez corrigé Homère , et après cela vous vous « abaissez à enseigner les enfans ? » 13. Alexandre-le-Grand aimoit les arts, et chérissoit les savans ; persuadé qu'en honorant ceux qui honorent eux-mêmes l'esprit humain , uii prince se rendoit à
�AMOUR
P E S
SCIENCES.
jamaisimmortel. Souvent on 1 "eutendoitdire qu'ilaimoit mieux être supérieur aux autres par la science, que par jes rie. esses et l'autorité. La lecture d'Homère lui faisoit tant de plaisir, qu'il l'apprit fout entier, et qu'en dormant il l'avoit sous son chevet. Tantôt il l'appeloit la divin panégyriste de la valeur, tantôt il le nommoit le poète des rois. Il croyoit qu'en chantant ses vers, il les falloit accompagner, non de la guitare , comme ceux des autres , mais de la trompette. « J'aimerois mieux « être, disoit-il, le Ihersite d'Homère, que l'Achille « de Chérile. » Ce Chêrïle étoit un poète à ses gages, dont la verve n'étoit pas heureuse. On rapporte qu'il avoit fait avec lui un marché , de lui donner pour chaque bon vers un philippe d'or, et pour chaque mauvais un souille t. En voyant le tombeau d'Achille sur le promontoire de Sigée : « Jeune homme heureux, « s'écria-t-il, d'avoir trouvé un Homère pour célébrer « ta valeur1 ! » Après l'entière défaite de Darius , on lui remit un coffret quitenoit le premier rang entreles bijoux de ce prince , et l'on*parla de l'usage qu'on en feroit : « Il sera très-bon, dit Alexandre, à serrer « mon Homère, » Un courrier lui venant annoncer une heureuse nouvelle , transporté de joie et tendant les bras : « Ah ! mon ami, lui dit-il, que vas-tu m'ap« prendre de si grand? Homère seroil-il ressuscité ? » Toute la gloire qu'il pouvoit acquérir lui paroissoit inutile , s'il n'avoit pas un Homère pour la chanter. i4- Prologène , fameux peintre rhodien , avoit son atelier dans le faubourg de Rhodes , et hors de la ville , lorsque Démétrius Poliorcète en vint former le siège. La présence des ennemis, au milieu desquels il se trouvoit, et le bruit des armes qui retentissoit sans cesse à ses oreilles , ne lui firent point quitter sa demeure , ni interrompre son travail. Le roi en fut surpris , et comme il lui en demandoit un jour la raison : « C'est que je sais, répondit-il , que vous avez déclaré « la guerre aux Rhodiens, et non pas aux arts. » Il ne se trompoit point. Démétrius, en effet, s'en montra le zélé protecteur. Il disposa une garde autour de son atelier , afin qu'au milieu du camp même il fut en
�2/j.6 AMOUR DES SCIENCES. repos, ou du moins en sûreté. Il alloit souvent l'y voir travailler, et ne se 1 assoit point d'admirer son application à l'ouvrage , et son extrême habileté. 15. Le célébré Lucullus , si connu dans l'antiquité par ses richesses immenses , en employa une partie à ramasser de tous côtés les meilleurs livres , dont il forma une nombreuse et magnifique bibliothèque. L'usage qu'il en fit fut encore plus estimable que l'acquisition , car cette bibliothèque étoit ouverte à tout le monde. Les portes de ses galeries, de ses portiques, de ses cabinets, n'étoient jamais fermées pour qui que ce fût. Les Grecs y alloient comme dans le palais des Muses, et y passoient des journées entières à s'entretenir sur la philosophie, quittant toutes leurs affaires pour se rendre, dans ce lieu délicieux. Souvent Lucullus lui-même se promenoit avec ces savans hommes dans ses galeries : il eonféroit, avec eux, et les àidoit dans leurs affaires, lorsqu'ils l'en prioient. Sa maison étoit, en un mot, l'asile de tous les Grecs, et des autres gens de lettres qui étoient a Rome. 16. Marguerite d'Ecosse, épouse de Louis XI, voyant \Alain Chartier, homme très-savant, mais très-laid , qui dormoit dans une salle par où elle passoit, s 'approcha de lui, et lui baisa la bouche. Ses dames, surprises de cette bonté pour un homme aussi mal-voulu des Grâces qu'il étoit bien-venu des Muses, lui en firent des reproches. « Ce n'est pas l'homme que j'ai baisé, « leur dit la princesse , mais la bouche d'où il sort « tous les jours tant de belles choses. >> 17. Charles-Ouint montra l'estime singulière qu'il faisoit des arts et des artistes, en décernant au Titien le titre de comte Palatin , en l'honorant de la clef d'or, et en le décorant de tous ses ordres de chevalerie. Le roi François 1, son illustre rival dans les actions de la paix aussi-bién que dans celles de la guerre, enchérit de beaucoup sur lui, lorsqu'il dit aux seigneurs de sa cour, en faveur de Léonard del Vinci, qui expiroit entre ses bras : « Vous avez tort de vous étonner <4. de l'honneur que je rends à ce grand peintre. Je puis
�AMOUR
DES
SCIENC ES."
« faire en un jour beaucoup de seigneurs comme vous; « mais il n'y a que Dieu seul qui puisse faire un homme « pareil à celui que je perds. » Ce monarque aimoit et respectoit même les savans. 11 avoit sur-tout une estime singulière pour Robert Etienne , cet imprimeur célèbre , auquel les lettres doivent tant de chefs-d'œuvre typographiques. François ne dédaignoit pas de visiter ce grand homme : il craignoit même d'interrompre ses travaux, et souvent on le vit attendre que l'imprimeur pût le recevoir sans se déranger de ses occupations. 18. Robert, roi de Naples, aimoit les lettres, et ne dédaignoit pas de donner du temps et des soins à des affaires purement littéraires. Les ouvrages du fameux Pétrarque, que ce prince honorait d'une bienveillance particulière , faisoient alors beaucoup de bruit dans le monde; et l'on parloit de tous côtés d'un poème intitulé l'Afrique, que le poète consacrait à la gloire du grand Scipion. Les chanceliers de l'université de Paris , et les sénateurs romains*]'invitèrent à venir recevoir dans leurs villes la couronne de laurier. Il reçut les lettres le même jour ; et après avoir délibéré avec ses amis, à laquelle des deux cités il donnerait la préférence, il se décida pour Rome, autrefois témoin de pareils triomphes. Ce^>enàantPétra?'que, plus modeste que ne le sont ordinairement les poètes , et ne se croyant pas digne des honneurs du triomphe , résolut de subir l'examen de quelque savant capable d'en décider. Le roi Robert fut le juge qu'il choisit. Il se rendit donc à la cour de Naples , et lut son poème de l'Afrique en présence du roi. Ce prince en fut si content, qu'il pria l'auteur de le lui dédier. Il le pressa même de recevoir dans sa ville capitale la couronne poétique , qu'il méritoit à juste titre ; mais Pétrarque s'en excusa, et persista à vouloir être couronné à Rome. Le roi de Naples ne pouvant assister à cette cérémonie, à cause de son grand âge, chargea un de ses favoris d'accompagner Pétrarque , qui fut solennellement couronné clans la capitale du monde chrétien.
Q4
�#48
AMOUR DES SCIENCES,
19. Auguste ne croyoit pas se dégrader en se familiarisant avec les gens de lettres, et en les traitant sur le pied d'amis. Il badinoit par lettres avec Horace , comme avec son égal. Il avoit offert à ce poète la charge de secrétaire de ses commandemens, avec sa table ; et Horace, infiniment jaloux de sa liberté , l'a^voit refusée, L'empereur ne lui en sut pas mauvais gré , et quelque temps après , il lui écrivit en ces termes ; « Septimius vous dira de quelle manière je lui « ai parlé de vous ; car , si vous avez été assez fier « pour dédaigner mon amitié, ce n'est pas à dire que « je me pique de fierté à votre égard. » Sur ce qn'Hoface ne lui avoit adressé aucune de ses pièces de poésie , il lui fit des plaintes tout-^à-fait obligeantes , et toujours dans le même style de familiarité badine. « Sachez , lui disoit-il , que je suis en colère contre « vous , de ce que ce n'est pas avec moi que vous « conversez dans la plupart de vos ouvrages. Avez« vous peur qu'il ne vous soit honteux chez la postée si, rite de paroi tre avoir été de mes amis ? » 20, On sait que le règne de Louis XIVîxA celui des gciences et de tous les hommes habiles dans tous les arts ; et c'est à la protection dont ce grand prince les honorait, qu'on doit tant de chefs-d'œuvre dans tous les genres ; ouvrages immortels , qui trouveront des admirateurs dans la postérité même la plus reculée, Il s'occupoit sans cesse d'attirer dans ses états tous les artistes étrangers qui pou voient contribuer à sa gloire; pt souvent même ses bienfaits alloient les chercher dans le sein de leur patrie, pour leur causer l'agréable Surprise de voir leurs talerïs récompensés par un prince dontilsne croyoientpas être si bien connus. «Je fiuis, » écrivoit-il un jour au comte d'Estrades , son ambassadeur en Hollande ; « je finis par un ordre à l'exécn« tion duquel vous me ferez plaisir d'apporter une « grande application. Prenez soin de vous enquérir , « (sans qu'il paroisse que j e vous, en ai écrit, mais comme i( par votre simple curiosité) quelles sont, dans toute « l'étendue des Provinces-Unies , et même dans les au-? <■! tr§§ des Pays-Bas de la domination du roi d'Espagne ;
�AMOUR
DES
SCIENCES.
S^O.
« les personnes les plus insignes, et qui excellent no« tablement par-dessus les autres, en tout genre de « professions et de science , et de m'en envoyer une « liste bien exacte , contenant les circonstances de « leur naissance, de leurs richesses, et de leur pau« vreté.; du travail auquel elles s'appliquent, et de « leurs qualités. L'objet que je me propose en cela, « est d'être instruit de ce qu'il y a de plus excellent « et de plus exquis dans chaque pays , en quelque « profession que ce soit, pour en user après, ainsi que « je l'estimerai à propos pour ma gloire et pour mon « service ; mais cette proposition doit être faite avec « grande circonspection et exactitude , sans que ces « personnes-là même, ni aucune autre, s'aperçoivent « de mon dessein, ni de votre recherche. » Voici la lettre qu'il fit écrire au célèbre Isaac Vossius : « Quoique le roi ne soit pas votre souverain , il « veut néanmoins être votre bienfaiteur, et m'a com« mandé de vous envoyer la lettre-de-change ci« jointe , comme une marque de son estime , et un « gage de sa protection. Chacun sait que vous suives « dignement l'exemple dufameux Vossius, votrepère_, « et qu'ayant reçu de lui un nom qu'il a rendu illustre « par ses écrits, vous en conserverez la gloire par les « vôtres. Ces choses étant connues par sa majesté , « elle se porte avec, plaisir à gratifier votre mérite ; j« et j'ai d'autant plus de joie qu'elle m'ait donné « ordre de vous le faire savoir, que je puis me servir « de cette occasion pour vous assurer que je suis, « monsieur , votre très-humble et très-obéissant ser« viteur , COLBERT. » Louis XIVavoit toujours à sa suite quelques savans illustres : on remarquoit sur-tout Racine et Boileau , pour lesquels il avoit un prédilection particulière , et qui la méritoient bien. Après la mort de Racine, Boileau , devenu vieux et infirme, se retira clans sa maison d'Auteuil, et ne parut que très-rarement à la cour. Le roi lui dit un jour, après avoir tiré sa montre qu'il lui dcmn.a : « Si votre santé vous permet de venir
�25o
AMOUR DE LA GLOIRE.
« quelquefois à Versailles, j'aurai toujours une heure « à vous donner. » Quel courtisan, quel prince même n'eût point brigué une pareille faveur? 21. Lorsque Ronsard mourut, on lui fit un service solennel, où une partie du parlement et plusieurs seigneurs assistèrent. Le roi y envoya sa musique. Duperron, qui fut depuis cardinal , prononça son oraison funèbre. Cette pompe fut honorée d'un concours si grand , que le cardinal de Bourbon , et plusieurs autres princes furent obligés de s'en retourner, n'ayant pu fendre la presse.
AMOUR DE
LA GLOIRE.
N roi de Lacédémonc, près de livrer bataille , voulut sauver du danger un vieillard de quatre-vingts ans : il le renvoie à Sparte. « Prince, » lui répondit le généreux vieillard , « vous me renvoyez bien loin « chercher un lit pour mourir : où pourrai-je en « trouver un plus honorable que ce champ de ba« taille ? » On lui permit de rester ; et, recueillant ses forces, il mourut en combattant pour sa patrie , auprès et sous les ordres de son roi. Un officier étoit commandé pour aller dans une occasion très-périlleuse. On lui conseilloit de se défendre d'exécuter l'ordre qui lui étoit prescrit. « Je « puis bien sauver ma vie , répondit-il ; mais mon « honneur , qui le sauvera ? » 2. Dans sa jeunesse, Thémistocle nfaimoit que le vin et la débauche ; mais, lorsque Miltiade eut remporté la fameuse victoire de Marathon, témoin des applaudissemens qu'on donnoit à ce grand homme, il sentit naître dans son ame une noble émulation. Depuis ce moment, l'amour de la gloire, comme un feu que rien ne peut éteindre, embrasoit son cœur, et le dévoroit nuit et jour. Souvent il disoit à ses amis : « Les tro« phées de Miltiade m'empêchent de dormir. » 3. Alexandre-le-Grand annonça, dès son enfance,
�AMOUR DE LA GLOIRE.
combien l'amour de là gloire avoit d'empire SA« cœur. Entendant parler des conquêtes continué Philippe, son père, il dit. d'un ton chagrin à. son âge avec lesquels il jouait-: « Mon père\ncNjje « laissera rien. — Il vous laissera , lui rcpondiN^oi*, « toutes les conquêtes qu'jl fait. Que m'importe , « répliqua-t-il, de posséder par succession de grands « états , si je ne puis me montrer un guerrier égal à « mon père ? ». Quand la fortune et ses victoires l'eurent conduit sur les bords de l'Océan, Anaxarque lui dit que Démocrite , son maître , lui avoit appris que l'univers renfermoit une infinité de mondes : « Helas ! » s'écria le vainqueur de l'Asie , en versant quelques larmes, « j'ai bien sujet de pleu« rer, puisque, de cette multitude de mondes, je n'en « ai point encore subjugué un seul. » Jules-César, étant questeur en Espagne , vit à Cadix une statue d'Alexandre-le-Grand. Il poussa , dans le moment, un profond soupir, songeant qu'à son âge ce héros étoit déjà maître de l'Asie , tandis qu'il n'avoit encore rien fait d'illustre. 5. Charles XII, roi de Suède , encore enfant, traduisoit la vie d'Alexandre , par Quinte-Curce , et puisoit dans ce livre ces idées d'héroïsme , qu'il mit ensuite en pratique. Il témoigna un jour à son précepteur le désir qu'il avoit de ressembler à ce conquérant de l'Asie ; et, sur ce qu'on lui objecta que la vie de ce prince avoit été bien courte , il répliqua, dans une espèce d'enthousiasme : « N'a-t-elle pas été « assez longue, puisqu'elle lui a suffi pour conquérir « tant de royaumes ? » 6. Un soldat envoyé par M. de Vauban pour examiner un poste, y resta long-temps, malgré le feu des ennemis, et reçut même une balle dans le corps. Il retourna rendre compte de ce qu'il avoit observé , et le fit avec toute la tranquillité possible , quoique le sang coulât en abondance de sa plaie. M. de Vauban voulut récompenser sa bravoure, et le service qu'il venoit de rendre; et ce général lui présenta de l'argent: « Non , monseigneur, lui dit le soldat en le « refusant, cela gàteroit mon action. »
4-
�202
ASSURANCE.
7. Qui a été plus sensible à la gloire que le maréchal de Villars? Ce grand homme disoit souvent qu'il n'avoit eu que deux plaisirs bien vifs en sa vie : celui de remporter un prix au collège, et celui de gagner une bataille. Voyez EMULATION.
ASSURANCE.
i. j\ LEXANDRE - LE - GRAND , étant sur le point de livrer la bataille du Granique , exhorta les Macédoniens à diner amplement : « Demain , mes amis 9 « ajonta-t-il , vous sonperez aux dépens des enne« mis. » Parménion lui conseillant d'attaquer Darius pendant la nuit, parce qu'il étoit dangereux de combattre de jour une armée que le bruit qu'ils entendoient de loin faisoit croire immense. «Oh! je ne veux « point dérober la victoire, répondit-il. » Son armée étant-rangée en bataille, ses généraux lui demandèrent s'il y avoit encore quelque chose à faire? « Rien, dit« il, sinon qu'on fasse la barbe aux Macédoniens. » Parménion s'e tonnant d'un pareil ordre , il ajouta : « Vous ignorez donc que, dans la mêlée , lorsque les « guerriers combattent corps à corps , rien n'est si « commode que la barbe pour se saisir ? » 2. Alexandre , tyran de Phères , s'étant uni aux Athéniens pour humilier Thèbes , promit à ces nouveaux alliés de fixer tellement la fortune sous leurs drapeaux, que bientôt, par ses victoires, l'abondance seroit si grande dans leur ville, qu'une mine de viande ne leur coûteroit qu'une demi-obole. Il faisoit allusion aux nombreux troupeaux qu'il se flattoit d'enlever aux Thébains. Cette rodomontade fut répétée à Thèbes ; on la rapporte à Epaminondas en présence de tout le peuple , qui n'était pas sans crainte : « Soyez tranquilles , dit-il aux citoyens : si Alexandre « donne de la viande aux Athéniens, nous leur four« nirons du 3>ois pour la cuire ; car s'ils se mêlent « davantage de nos affaires, j'irai avec vous abattre « toutes les forêts de l'Attique. »
�253 3. L'empereur Probus , ayant pris Ptolémaïs et Copte, reçut des ambassadeurs de la part de Narsès, roi des Perses, qui lui apportoient de grands et de magnifiques présens. Mais ce prince , plein d'une noble assurance, voulant rendre à l'empire son premier éclat, répondit à ces envoyés : « Dites à votre maître que « Probuss'étonne que de tant de biens qui vont bientôt « lui appartenir, et dont il veut faire un bon usage , « il ne lui en envoie qu'une si petite partie. » Les Perses qui, jusqu'à ce jour, avoient osé faire la guerre aux Romains, intimidés par cette réponse, demandèrent humblement la paix , et se soumirent au tribut. 4^ lTn Lacédémonien avoit fait peindre une mouche sur son bouclier. « Cet ornement est trop foible , lui « dit quelqu'un, pour être aperçu de l'ennemi. — Oh! « répondit-il, je lui montrerai cette mouche de si « près , quïl la trouvera encore plus grosse qu'elle « n'est réellement. » On rcprenoit un autre Spartiate de ce qu'étant boiteux , il osoit marcher contre l'ennemi : « Mon des« sein est de combattre , non de fuir, répondit-il. » Sur le point de livrer bataille aux Perses, on apprit qu'ils avoient une si grande quantité de flèches, qu'ils pouvoient, à chaque décharge , obscurcir le soleil : « Tant mieux, dit un soldat Lacédémonien , nous € combattrons à l'ombre. »■ 5. Dans le temps que le fameux Crassus se préparait à marcher contre les Parthes, il lui arriva des ambassadeurs de la part du roi qu'il alloit attaquer. Ils lui dirent en peu de mots, que si cette armée qu'il assemLloit étoit envoyée par les Romains contre les Parthes, ce seroit une guerre qu'aucun traité ne pourrait terminer, et qui ne finirait que par la ruine totale des uns ou des autres : que si, comme ils l'avoient ouï dire, c'étoit Çrassus seul qui, contre le sentiment de sa patrie , et pour assouvir son avarice particulière , avoit pris les armes contre eux, le roi leur maître vouloit Lien user de sa modération en cette rencontre , avoir pitié de la vieillesse de Crassus, et laisser aller, vies et bagues sauve*, les Romanis qui étoient dans ses états,
ASSURANCE.
�254
ASSURANCE.
Crassus ne répondit à ce discours que par une rodomon la de : « Je vous ferai savoir ma réponse dans Sé« leucie , leur dit-il. — Crassus , reprit aussitôt Va« hisès, le plus âgé des ambassadeurs, en lui montrant « la paume de sa main, tu verras plutôt naître du poil « dans le creux de ma main, que tu ne verras Séîeucie.» Les ambassadeurs se retirèrent, et allèrent annoncer à leur monarque qu'il falloit se disposer à la guerre. 6. Après avoir remporté un grand nombre de victoires , Pompée demandoit au dictateur Sylla les honneurs du triomphe. Son âge et la loi s'y opposoient. Il n'" avoit point été consul ; il n'étoit pas même encore sénateur. Sylla refusa. «Vous me refusez ? dit Pompée; « eh bien ! je vais l'obtenir du peuple romain. — Si « vous avez cette hardiesse , répondit Sylla , vous <H éprouverez ma colère. — Eh ! que m'importe votre « colère ? On adore plutôt le soleil levant que le soleil « couchant. » Cette repartie vigoureuse , soutenue d'une mâle assurance, déconcerta le dictateur, qui, pour des causes plus légères, avoit immolé des milliers de citoyens. « Triomphez donc, puisque vous le voulez » , s'écria-t-il ; et Pompée triompha. 7. Le parlement d'Angleterre, irrité contre Cromwel, qui continuoit d'agir avec trop de hauteur , résolut de le dépouiller de la souveraineté qu'il avoit envahie , sous le nom de Protecteur. Cromwel, averti de ce qui se passoit, commanda au major Ilolms de mettre , le matin suivant, quinze cents soldats de plus qu'à l'ordinaire autour de Westminster , tant dehors que dedans, et de les faire ranger en haie dans les coridors, et sur les degrés par où dévoient passer les députés. Le lendemain Cromwel se rendit au parlement, et après avoir pris sa place, parla en ces termes : « J'ai appris, messieurs, que vous aviez résolu « de m'ôter les lettres de protecteur. Les voilà, dit-il, « en les jetant sur la table : je serai bien aise de « voir s'il se trouvera parmi vous quelqu'un d'assez « hardi pour les prendre. » La frayeur se répandit dans l'assemblée: tous gardoient un profond silence. Cromwel continua son discours sur le même ton 5 et jetant
�ASSURANCE; 255 sur la table nne formule de serment qu'il avoit dressée exprès, il finit, en menaçant le parlement de le casser pour toujours, s'il refusoit d'y souscrire. Le secrétaire lut à haute voix cette formule, qui étoit conçue en ces termes : «Moi N. je promets et m'oblige, sincèrement « et de bonne foi , de demeurer toujours fidelle au « seigneur protecteur , et au gouvernement libre « d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande; etque, suivant « les conditions auxquelles j'ai été appelé, élu et dé« puté pour être membre du parlement, je ne propo« serai chose aucune', ni ne donnerai mon consenle« ment à aucune proposition qui puisse porter préju« dice au présent gouvernement établi sur l'autorité « du parlement, et sur celle que le protecteur a reçue « de lui. Ainsi m'aide Dieu et m'assiste ! » Cromwel se retira pour attendre dans son appartement la résolution de l'assemblée. Le parlement, aprèsavoirdélibéré quelque temps, conclut, à la pluralité des voix, qu'on refuserait de signer la formule, et envoya des députés à Cromwel, pour lui signifier son intention. Le protecteur indigné tira de sa poche une montre de grand prix, la jeta contre terre avec fureur en présence des députés : « Eh bien ! je le casserai, dit-il, comme je « casse cette montre. » Les députés ayant fait au parlement le rapport de ce qu'ils avoient vu, l'assemblée entière fut si épouvantée, qu'ils s'approchèrent tous de la table, e t. s'empressèrent à l'envi de signer la formule. 8. Agélisas étant encore enfant, mais déjà désigné roi de Lacédémone , fit briller cette noble assurance qui caractérise les héros dès leurs premières années. A Sparte, on exercoit en public, à certains jeux, tous les enfans à peu près de même âge. Un jour, celui qui pvésidoit à ces jeux , mit le jeune monarque dans une place peu distinguée. « Fort bien ! s'écria-t-il ; je ferai « voir que la place n'honore pas l'homme, mais que « l'homme honore la place. » Il tint parole. 9. Alexandre s'étant rendu maître du camp de Darius, traita Sysigambis, mère de cet infortuné monarque, et tous ceux de sa famille qui étoient tombés entre ses mains, comme il eût fait à ses parens les plus
�25b' ASSURANCE.chers. La princesse, pénétrée de toutes les marqués de bonté qu'il lui témoigna, ne put s'empêcher de lui en marquer sa vive reconnoissance. « Grand prince , lui «dit-elle, quelles actions de grâces puis-je vous « rendre , qui répondent à Votre générosité ? Vous « m'appelez votre mère, et vous m'honorez encore « du nom de reine 5 et moi, je confesse que je suis « votre captive. Je sais ce que j'ai été , et ce que je « suis: je comprends toute l'étendue de ma grandeur « passée , et je me sens en état de porter tout le « poids de ma fortune présente. Mais il est de l'intérêt « de votre gloire , que , pouvant tout sur nous , vous « ne nous fassiez sentir ce pouvoir que par votre clc« menée, et non pas par de mauvais traitemcns. » Le foi rassura la princesse et ses filles 5 puis , prenant entre ses bras le fils de Darius, ce petit enfant, sans s'étonner à la vue dit prince couvert de ses armes , et sur-tout de l'aigrette qui fïottoit sur sa tête , l'embrassa avec cette tendresse enfantine qui pénètre jusqu'au creur ; de sorte qu'Alexandre, touché de cette mâle assurance , surprenante à cet âge , dit à Ephestion qui l'accompagnoit : « Que je souhaiterois que Darius eût eu quelque chose de ce bon naturel ! » 10. Lucullus étant près de livrer bataille à Tigrane, roi d'Arménie, quelques officiers alarmés vinrent lui dire que ce jour étoit le même où l'armée de Scipion avoit été taillée en pièces 5 et qu'il étoit regardé par tous les Romains, comme un jour funeste et de mauvais augure : « Eh bien , répondit le général, je le « rendrai heureux par m'a victoire. » 11. On représentoit à Louis XII, lorsqu'il marchoit aux Vénitiens pour les combattre , que les ennemis s'étoient emparés du seul poste qu'il pouvoit occuper. « Où camperez-vous, Sire ? lui demanda un grand de « sa cour. — Sur leur ventre , répondit-il. » 12. En 1760, le prince Ferdinand de Brunsivik fit le siège de Giessen , petite place fortifié à la hâte , et que la valeur seule du baron du Blaisel, qui la défendoit, rendoit redoutable. Cet intrépide officier soutint en héros tous les efforts des ennemis de la France. Somme'
�ASSURANCE;
2$?
Sommé de se rendre au prince assiégeant, il répondit en deux mots : «Je suis ici pour me défendre , et nort « pour capituler ; » et sur ce que 1'"aide-de-camp lui insinua que, par une obstination déplacée, il s'cxposèroit peut-être à subir de fâcheuses extrémités, le baron ajouta : « Il y a trente ans que je sers le roi mon maî« tre , et quelque temps que je suis guéri de la peur* « Quand M. le prince Ferdinand voudra, nous com- • « mencerons 5 » et la place ne fut boint prise. i3. Avant la bataille d'Astcmbek, le marquis de Brehant, qui avoit toute la valeur et la noble franchise de l'ancienne chevalerie, vint trouver M. de Chevert. « Marquis , » lui dit ce capitaine , d'une voix animée, et le regardant fixément, «jurez-moi, foi de « chevalier, que vous , et tout le régiment de Picar« die , vous vous ferez tuer jusqu'au dernier, plutôt; « que de reculer: je vous donnerai l'exemple. —Je le « jure , » répondit M. de Brehant, d'un air et d'un ton qui rendoient le serment superflu. Jamais engagemens réciproques n'ont été mieux gardés. Les officiers du régiment de Picardie font prier M. de Chevert de prendre sa cuirasse. 11 répond > en montrant les grenadiers : « Et ces braves gens-là , en ont-ils ? » On lui vient dire qu'il n'y a plus de poudre : « Nous « avons , dit-il , des baïonnettes. » i4- Charles-Ouint s'étant un jour posté fort près du canon , et un capitaine lui disant de ne pas expo-ser ainsi sa personne : « Eh quoi ! lui répondit-il s « a-t-on jamais vu qu'un empereur ait été atteint « d'un boulet ? »' i5. A la bataille d'Aignadel,gagnée par LouisXIIy en 1009, sur les Vénitiens, la victoire balançoit sans se fixer pour l'un ni pour l'autre parti. Tout étoit dans une confusion affreuse. Les bataillons français et vénitiens s'entre-choqnoiènt, sans pouvoir presque se reconnoître ; et, dans ce tumulte horrible , le soldat avoit peine à distinguer la voix et l'ordre de sort général. Louis, sans ménager sa personne , s'exposoit au plus grand feu. Quelques courtisans le suppliant de considérer les dangers qu'il eouroit : « Rien ! rien, i Tome lt R-
�258 ASSURANCE. « leur répondit-il, je n'en ai point de peur ; et qui « conque en aura peur , qu'il se mette derrière moi : « il n'aura point de mal. » Cette néroïque assurance anima le courage abattu des guerriers , qui , redoublant d'efforts , triomphèrent enfin des obstacles. 16. Ce fut au siège de Royan , en 1622 , que Louis XIII alla, pour la première fois, visiter les tranchées. Il monta trois ou quatre fois sur la banquette pour reconnoître l'état de la place. Il s'y tint si long-temps, que les officiers frémissoient du péril où il s'exposoit, avec plus de sangrfroid et d'assurance que n'auroit fait le plus vieux capitaine. Un boulet lui passa deux pieds au-dessus de la tête. « Mon dieu ! sire /s'écria « Bassompierre , ce boulet a failli vous hier !—Non « pas moi , répondit le roi, mais M. d'Epernon ; » et voyant des gens de sa suite qui s'écartoient pour éviter le coup : « Comment ! leur dit-il , vous avez peur « que cette pièce ne tire ? Ne savez-vous donc pas « qu'il faut auparavant que l'on charge de nouveau ? » 17. Guillaume-le-Roux, roi d'Angleterre, s'embarque pour secourir la ville du Mans , assiégée par le comte de la Flèche, il est surpris par la tempête. Le pilote épouvanté , représente au monarque le péril évident qu'il court , et la nécessité de rentrer dans le port , pour éviter le naufrage. Guillaume rit de sa frayeur , et pour le rassurer , il lui dit d'un ton railleur : « Vas , tu n'as jamais ouï dire qu'aucun roi se « soit noyé. » A force de travail , on gagne la côte ; et la descente se fait heureusement. 18. Le duc de Savoie , toujours battu par Lesdiguières, qu'il appeloit le Renard du Dauphinê , voulut avoir, en 1097 , la gloire de bâtir un fort sur les terres de France, età la vue d'une armée française. Les officiers pressent Lesdiguières de s'y opposer, et se plaignentmême à la cour de l'inaction de leur général. Le roi lui écrit en termes assez vifs. Le capitaine fait cette réponse : «Votre Majesté a besoin d'une lionne « forteresse à Barreaux , pour tenir en bride la garui« son de Montmélian. Puisque le duc de Savoie veut <v bien en faire la dépense il faut le laisser faire. Dès
�ASSURANCE.
a5(j
« qu'elle sera en défense , et Lien fournie de canons « et de munitions , je vous promets de la prendre , « sans qu'il en coûte rien à votre épargne. » Le roi s'en rapporte à Lesdiguières, qui ne tarda point à tenir ses promesses. L'année suivante, il prit le fort de Bar» reaux par escalade. Au siège de Montauban, en 1G21, ce même général s'exposoit en simple soldat; on l'accusoit de témérité : « Bon ! dit-il , il y a soixante ans « que les mousquctadcs et moi nous nous cormois« sons ; ne vous en mettez pas en peine. » ig. Quelques seigneurs hongrois s'étoient révoltés contre l'empereur Sigismond. Ce prince l'apprend, et marche fièrement au devant d'eux : « Qui d'entre « vous, leur dit-il, mettra le premier la main sur son. « roi ? S'il y en a un assez hardi, qu'il avance. » Ces mots remplirent de terreur tous les séditieux qui les entendirent. Vaincus par cette mâle assurrance , ils rentrèrent aussitôt dans le devoir. 20. Henri VIII, roi d'Angleterre , voulant profiter des circonstances fâcheuses où se trouvoient les affaires de la France, depuis la funeste bataille de Pavie et la prison du roi François I, fit demander à ce prince les arrérages d'une pension qu'il prétendoit lui. être due, et dontl'origine remontoit à Louis XI, qui, sous ce nom de pension, payoit cinquante mille écus k l'Angleterre. Il joignoit à cette demande celle du comté de Boulogne , de quelques autres terres dont ii avoit , disoit-il, la propriété, qu'il étoit en état de justifier par de bons titres ; qu'autrement il passerait la mer, et viendrait rendre une visite aurai jusqu'au Louvre. «Dites à votre maître , réponditle monarque « français aux ambassadeurs qui faisoient cette de« mande ; dites-lui que s'il me vient voir comme ami, « je le recevrai de bon coeur 5 que s'il vient ai'mé, j'ai « cinquante mille hommes tout prêts à examiner ses « titres , et à lui en montrer les défauts. » 21. IIoclod-Khan , fils de Gengis-Khan , à la tête d'un corps immense deTartares, faisoit tremblerL'Europe , et jetoit l'alarme dans toute la Germanie. Un seigneur saxon en écrivit au duc de Brabant ; et laletB.2
�26o ASSURANCE tre , envoyée à Guillaume d'Auvergne , évéque de Paris , fut remise à la reine Blanche , mère de saint Louis. A cette triste nouvelle , la princesse alarmée s'écria : « Ah ! mon fils , mon cher fils ! quel parti « prendre dans une extrémité aussi funeste ? Que va « devenir l'Eglise ? qu'allons-nous devenir nous« mêmes ? — Quel parti prendre , madame ? répon« dit le jeune roi ; point d'autre que de chercher au « Ciel notre consolation et noire force. Ces Tartares, « qui passent dans la monde pour être sortis de l'enfer, « nous les y renverrons , ou ils nous mettront tous en « paradis. » Ce trait d'intrépidité fut recueilli, même par les étrangers ; et l'on n'y pouvoit réfléchir , sans qu'une mâle vigueur ne prît la place de la crainte qui tout-à-coup avoit saisi les esprits. 22. Les Français , en commençant la campagne de Piémont , en i5^5 , avoient ordre d'éviter tout combat un peu important : cependant on ne pouvoit la commencer avec quelque succès, sans livrer bataille. Biaise de Montluc fut. dépêché pour représenter à François 1 la nécessité d'en venir aux mains. Ce guerrier n'étoit point encore élevé à aucun des grades militaires qui, de simple soldat , le firent parvenir au bâton de maréchal de France. Il fut admis au conseil qui se tint sur la demande qu'il venoit de faire, et ne pouvoit se contenir, en voyant que les avis lui étoient contraires. Le roi s'en amusoit beaucoup , et lui accorda enfin la permission de parler. Montluc s'en acquitta avec beaucoup d'esprit, et d'autant plus d'assurance , que M. le dauphin , placé derrière le fauteuil du roi y l'animoit par des signes d'approbation. « Les messieurs qui ont parlé avant moi, disoit-il , « ont raison d'avancer que si nous perdons la bataille, « nous perdons tout ; mais ils n'ajoutent pas que si « nous la gagnons , nous gagnons tout ... Fiez-vous« en à nous, sire , et comptez qu?on ne défait point « une armée qui est dans la disposition où je vous « assure qu'est la vôtre. » Le roi répondit : « Allez , « et combattez au nom de Dieu.» Le comte de SaintPaul dit, en sortant, à Montluc : « Fou, enragé que
�A S U U K A N C t. 28î « tues, tu vas être cause du plus grand bien ou du plus « grand mal qui puisse arriver au roi. — Monsieur , « répond Montluc , soyez en repos, et assurez-vous « que la première nouvelle que vous recevrez , c'est « que nous les avons fricassés , et en mangerons , si « nous voulons.»Le combat se livra auprès deCérizoles; et les Français vainqueurs n'y perdirent que deux cents hommes. Les vaincus laissèrent sur le champ de bataille dix à douze mille morts , trois mille prisonniers , une partie de leur artillerie, et tout leur bagage. 23. Parmi les prisonniers faits à la journée dePavie, on remarquoit un brave officier, appelé LaRoche-duMaine. L'empereur Charles-Quint, qui estimoit son courage , s'entretenoit quelquefois avec lui. Un jour, voulant lui faire entendre qu'il avoit dessein d'attaquer la France , il lui demanda combien il y avoit de journées de l'endroit où ils é(oient jusqu'à Paris ? «De « journées ? répliqua vi vement La Roche ; si par jour« nées vous entendez des batailles , je vous assure « qu'il y en aura pour le moins une douzaine-, à moins « que les aggresseurs ne soientbattus dès lapremière.» Charles, pour lui donner une haute idée de ses forces, fit passer devant lui ses troupes en revue , et lui demanda ensuite ce qu'il pensoit de son armée : « Je suis « fâché de la voir si belle, répondit l'intrépide Fran« çais» Mais si votre majesté passe les monts , on lui « en fera voir une plus nombreuse, qui sera suivie , « quinze jours après , d'une autre plus leste , si la « première ne suffit pas. » 24. Charles XII, encore jeune , regardant un jour la carte d'une ville de Hongrie, que les Turcs ayoienfc prise sur l'empereur, au bas de laquelle étoit écrit ce passage du livre de J&b : «Dieu me l'a donnée , Dieu« me l'a ôtée ; que son saint nom soit béni !» le prince écrivit aussitôt au bas d'une carte qui étoit auprès , et qui représentoit la ville de Riga , capitale de la Livonie: « Dieu me l'a donnée, le diable ne- me « Fôtera pas. » 25. Le maréchal de Lesdiguièrss, connétable des France, ayant formé le siège de Garry ,. un officier R 3
�2(j2
ASSURANCE.
vint lui représenter que du temps de François I, le fameux Barberoz/sse n'avoit pu prendre cette place , quoiqu'il fût maître de la rivière de Gènes. Le connétable , qui a^ait alors plus de quatre-vingts ans, répondit : « Eh bien ! Garry n'a pu être pris par Barbe« rousse ; mais,Dieu aidant,Barbe grise le prendra.* La ville et le château se rendirent en fort peu de temps. 26. Anne de Montmorenci, premier baron et connétable de France , étant sur le point de mourir, un cordélier cherchoità le raâsurersur les frayeurs qu'inspire ; naturellement l idée de la mort. Le connétable lui dit d'un ton fier et hardi : «Pensez-vous ,mou père, qu'un « homme qui a vécu près de quatre- vingts ans avec hon« neur, n'ait pas appris à mourir un quart-d'heure ? » 27. Un officier français , qui commandoit un détachement , et marchoit, à la rencontre d'un gros d'ennemis , fut conseillé de les envoyer reconnoître avant de les attaquer , pour en savoir le nombre : « Bon « bon, dit-il , nous les compterons quand nous les « aurons défaits. » 28. T e comte d'IIarcourt disoit à M. d'Agzierre. « Le roi nous commande d'attaquer les îles. On com« mencera par celle de sainte-Marguerite. Croyez« vous pouvoir y descendre avec vos gens ?'— Dites« moi, mon général, le soleil entre-t-il dans celte île ? « — Eh ! oui, sans doute , il y entre. — S'il y entre , « mon régiment pourra bien y entrer. » Il tint parole. 20. Avant l'ouverture du concile de Nicée , les théologiens, par une epèce de prélude , s'exercèrent contre quelques philosophes païens, qui étoient venus, les uns par curiosité , pour s'instruire de la doctrine des chrétiens , les autres par haine et par jalousie , pour les embarrasser dans la dispute. Un de ces derniers, arrogant et avantageux, se prévaloit de sa dialectique , et traitoit avec mépris les serviteurs de J.C qui entreprenoient de le réfuter , lorsqu'un vieillard , du nombre des confesseurs, laïque simple et ignorant, se présenta pour entrer en lice. Sa prétention fit rire d'avance les païens qui le connoissoient , et fit crâin-
�ATTENTIONS.
• 263
cire aux chrétiens qu'il ne se rendît vraiment, ridicule ; cependant on n'osa , par respect, lui fermer la bouche. Alors, imposant silence au nom de Jésus-Christ, à ce superbe philosophe : « Ecoute , lui dit-il ; » et après lui avoir exposé en termes clairs et précis, mais sans entrer dans la discussion des preuves , les mystères les plus relevés de la religion, la trinité, l'incar* nation, la mort du fils de Dieu, son avènement futur: « Voilà, ajouta-t-il, ce que nous croyons sans curio« site. Cesse de raisonner en vain sur des vérités qui « ne sont accessibles qu'à la foi ; et réponds-moi, si tu « le crois aussi.» A ces mots , la raison du philosophe fut terrassée par une puissance intérieure. Il s'avoua vaincu /remercia le vieillard ; et devenu lui-même prédicateur de l'Evangile , il protesloit avec serment aux autres philosophes qui blàmoiênl son inconstance et se rioient de sa défaite , qu'il avoit senti dans son cœur l'impression d'une force divine, dont il ne pouvoit expliquer le secret. ^oyezBuAvouRE, CONFIANCE ,
INTRÉPIDITÉ, RÉSOLUTION.
ATTENTIONS. i. LES Pharisiens , faux dévots du peuple Juif, se scandalisoient de ce que Jésus-Christ mangeoit avec les Publicains et les gens de mauvaise vie. « Ce ne « sont pas les sains , leur répondit-il, mais les mala« des qui ont besoin de médecins ; c'est pourquoi , « apprenez ce que veut dire cette parole : j'aime « mieux la miséricorde que le sacrifice. Car ce sont « les pécheurs , et non les justes , que je suis venu « appeler à la pénitence. » On lui demandoit un jour , pourquoi ses disciples ne jeûnoient point, au lieu que les Pharisiens et les disciples de Jean-Baptiste jeûnoient souvent ? « Les« amis de l'époux , répondit ce divin Sauveur , peu« vent-ils être dans la tristesse et dans le deuil y
R
4
�264 ATTENTIONS. « pendant que l'époux est avec eux ? Un temps vien« dra où l'époux leur sera ôté ; alors ils jeûneront. » Dans une autre rencontre, les Pharisiens reprochèrent à ses disciples d'avoir violé le sabbat en rompant des épis de blé, pour les manger dans le besoin où ils étoient. « N'avez-vous point lu , leur dit-il, ce que fit « David, lorsque , pressé par la faim , il entra dans « la maison de Dieu , et mangea des pains exposés « en sa présence , dont il n'étoit permis de manger , « selon la loi , qu'aux prêtres seuls ? » Ils les accusèrent encore de violer la tradition des anciens, en prenantleurs repas sans laver leurs mains. Mais le Seigneur leur répondit : « Hypocrites , Isaïe « avoit bien raison de d>re de vous : ce peuple m'ho« nove des lèvres et à l'extérieur ; mais son cœur est « bien loin de moi. » 2,L'usage de jeûner , du temps de Charlemagne } étoit ne ne faire qu'un repas , à trois heures du soir. Ce monarque , par considération pour ses officiers , mangeoit , les jours de jeûne , à deux heures. Un évêque lui en fit quelques reproches. L'empereur l'écouta tranquillement , et lui dit : « Votre avis est « bon ; mais je vous ordonne de ne rien prendre, avant « que tous mes officiers aient fait leur repas. » Il y avoit cinq tables consécutives ; celle de l'empereur , à laquelle il admcttoit toute sa famille : les princes et les dues le servoient, et ne mangeoient qu'après lui ; les comtes servoient Jes ducs : après la table des çomtes , étoit celle des officiers de guerre ; et enfin celle des petits officiers du palais , en sorte que la dernière table ne fiuissoit que bien avant dans la nuit. Le prélat, obligé d'attendre si long-temps , reconnut bientôt que le prince avoit raison, et qu'il falloit louer «on attention pour ses officiers. 4- Ctésibius étoit pauvre , et il cachoit ce malheur comme vin vice honteux ; mais il ne put échapper aux regards pénétrans de l'amitié. Le philosophe Arcésilaiis remarqua son indigence , et voulut aussitôt le secour;r en secret, afin que s s bienfaits n'eussent rien d'humiliant pour Çtésihius* Ce sage indigent étoit ma-
�I
ATTENTIONS. 265 lade : Arcêsilaûs va le voir , l'entretient, le console ; et tout en parlant, il glisse adroitement une bourse remplie d'or sous l'oreiller de son ami, afin qu'il pût trouver sous sa main un moyen de soulager ses maux. Ensuite il se retira plein de joie ; et Ctésibiïis , ayant aperçu cette bourse , s'écria : « Voilà un tour d'Ar« césïlaùs. » 4- Le vicomte de Turennene distribuoit jamais ses bienfaits qu'avec une espèce de'pudeur; et l'on eût dit qu'il vouloit prendre tou te la confusion pour lui. Il étoit encore fort jeune , lorsqu'ayant su qu'un gentilhomme étoit devenu fort pauvre , pour avoir dépensé tout son bien à l'armée , il s'avisa de troquer des chevaux avec lui, et de lui en donner d'excellens pour , de très-médiocres, feignant de n'y pas connoître. Un jour, ayanttouché beaucoup d'argent d'une charge dont la cour lui avoit permis de disposer , il assembla cinq ou six colonels, dont les régimens étoient délabrés '; et leur laissant croire que cet argent venoit du roi, il le leur distribua à proportion de leurs besoins. Une autre fois , entendant un officier qui se plaignoit d'avoir eu deux chevaux tués sous lui dans une action, et d'être ruiné par là , il le conduisit à son écurie, et lui donnant deux de ses meilleurs chevaux , il lui recommanda très-expressément de n'en parler à personne, « de peur, disoit-il, qu'il n'en vienne d'autres; « car 'je n'ai pas le moyen de faire à tout le monde de « semblables présens. » Il vouloit cacher le mérite de cette action sous un prétexte d'économie ; car, autant il aimoit à donner , autant il craignoit qu'on ne divulguât le bien qu'il faisoit. 5. Gaston de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, étoit si jaloux des droits attachés à sa naissance, que , sur cet article , il ne faisoit grâce à personne. Pour avoir le plaisir de voir les princes chapeau bas en sa présence, il les retenoit le plus long-temps qu'il lui étoit possible , quand il trouvoit occasion de leur parler , et ne se découvrait jamais un seul moment, tant il avoit peur d'oublier ce qu'il étoit ! Louis XIII alloit un jour de Paris à Saint-Germain, par une cha-
�266 ATTENDIONS. leur excessive : Monsieur l'accompagnoit ; et les seigneurs , qui étoient nu-tete aux portières du carrosse , avoient beaucoup à souffrir de la violence du soleil. Le roi, qui s'en aperçut, eut la bonté de leur dire : « Couvrez-vous, messieurs ; mon frère le veut bien. » 6. Le roi Jean, ayant été fait prisonnier à la bataille de Poitiers , fut conduit à la tente du prince de Galles, général de l'armée victorieuse. Aussi tôt que ce généreux prince aperçut son auguste captif, il s'avança vers lui avec empressement, s'inclina profondément, le pria d'entrer dans son pavillon ; et pour dissiper quelques nuages de tristesse qui paroissoient sur son visage : « Chier sire , lui dit-il , ne veuillez mie vous « attrister, si Dieu n'a pas voulu aujourd'hui consentir « à votre volonté ; car certainement monseigneur mon « père vous fera tout honneur et amitié, et s'accor« dera avec vous raisonnablement, que vous demeu« rerez bons amis ensemble à toujours. A l'égard de « l'événement du combat, quoique la journée ne soit « pas vôtre , vous avez acquis la plus haute réputation « de prouesse , et avez passé aujourd'hui tous les « mieux combattans. Je ne le dis mie, chier sire, pour « vous louer ; car tous ceux de notre parti qui ont « vu les uns et les autres , se sont, par pleine con« science, à ce accordés, et vous en donnent le prix. » Ensuite il fit apporter des rafraîchissemens, qu'il présenta lui-même au roi ; et le soir , on lui prépara un superbe festin, auquel assistèrent les princes et les seigneurs français , assis à différentes tables. Le prince de Galles se fit Un devoir de servir le monarque, se tenant debout devant sa table. Jean le pria de se placer auprès de lui ; mais il s'en défendit toujours, avec autantde politesse que de modestie, en disant, « qu'ilne « lui appartenoit pas de s'asseoir à la table de si grand « prince et de si vaillant homme qu'étoitle roi. » 7. Le czarPïerre-/e-GrarcJétantvcnuenFrance,alla loger à l'hôtel de Lesdiguières, où il reçut la visite de toute la cour. Ce prince lit un accueil favorable à tous les officiers du royaume , et sur-tout à ceux de réputation,, dontil n'ignoroitni le nom, ni les belles actions.
�ATTENTIONS267 Lorsque le maréchal de Villars se présenta, il lui dit: « Monsieur, le bruit de vos exploits s'étend si « loin, par les services signalés que vous avez rendus « à votre patrie, que quand le feu roi vous auroit ac« cordé encore plus de grâces , On l'en loueroit da« vantage. » Le duc régent vint ensuite. Le czar l'embrassa tendrement , le conduisit dans son cabinet, et lorsqu'ils en sortirent, on remarqua que le souverain moscovite régla si bien ses démarches , qu'il surprit la gauche, etdonna la droite an duc d'Orléans. Son altesse royale se voyant à la droite , s'éloigna un peu pour prendre la gauche ; mais Pierre ne le souffrit pas , et le reconduisit jusques audelà delaportedeson antichambre. Le roi vint à son tour. Le czar alla le recevoir à la portière de son carrosse, lui donna la main pour descendre ; et après s'être inclinés l'un et l'autre profondément , et assez long-temps pour se saluer, le czar embrassa le roi, lui reprit la main, et ne la quitta pas, jusqu'à ce qu'il l'eût mis dans son fauteuil. Les gentilshommes de la manche a3rant voulu, selon le devoir de leur charge , s'approcher du roi pour lui aider à monter l'escalier, le czar leur fit signe , et leur dit: « Messieurs, j'aurai bien soin du roi; je le conduirai « sans l'abandonner : laissez-moi faire. » Ce monarque ayant prié M. le duc d'Antin de lui fournir une description de tout ce qu'il y avoit de plus curieux à Paris , deux heures après , ce seigneur lui apporta un cahier richement relié, qui contenoit toutes les raretés de cette grande ville. Il le recutsans l'examiner , s'entretenant pour lors avec plusieurs seigneurs de sa suite ; mais l'ayant ouvert, il fut agréablement surpris de le voir traduit en langue esclavone, et s'écria qu'il n'y avoit qu'un Français capable de cette politesse. Le czar étant allé voir le roi en cérémonie , il lui adressa ce petit discours : « Mon frère, il y a long-temps « que je souhaitois voir un roi de France dans la gloire « de sa majesté : j'ai aujourd'hui la satisfaction de voir « un jeune roi qui promet tout ce que ses ancêtres
�268 ATTENTIONS. « ont fait de grand. Je sais plusieurs langues : je vou« drois les avoir toutes oubliées , et ne savoir que la « fancaise pour entretenir votre majesté. » Le maréchal de Villars le conduisit aux Invalides, dont il admira et loua le magnifique établisement. Il entra dans le réfectoire , au moment où les soldats étaient à table. Il goûta de la soupe , et se fit verser du vin. 11 but à la santé des officiers, qu'il nomma ses camarades. Le duc d'Antïn lui fit voir le travail de la monnaie et les médailles, qui fixèrent la curiosité du monarque russien. Mais ce qui le frappa du dernier étonnement, ce fut de voir sortir de dessous le balancier une médaille d'or, sur laquelle il étoit représenté en buste ; et au revers étoit une renommée, avec cette légende: Vires acquirit eundo. « Il acquiert des forces enpar« courant la terre ; » délicate allusion à ses voyages. Une autre fois , examinant les médailles des rois de France , et la suite de l'histoire de Louis XIV, il s'arrêta beaucoup à la médaille de Louis XV, qui à pour revers un soleil levant, avec ces mots : Jubet sperare. « Il nous donne de grandes espérances. » Le directeur de la monaie la lui offrit. Il la reçut trèsgracieusement , marquant, en touchant sa poitrine , qu'il la conserverait toujours , comme un monument précieux à son cœur. AUoit-il chez les artistes, on mettoit à ses pieds tous les chefs-d'œuvre ; et on le supplioit de daigner les recevoir. Alloit-il voir les hautes-lisses des Gobelins, les tapis de la Savonnerie, les ateliers des sculpteurs, des peintres , des orfèvres du roi , des fabricateurs d'instrumens de mathématiques, tout ce qui sembloit mériter son approbation lui étoit offert de la part de sa majesté. En voyant le tombeau du cardinal de Richelieu, moins frappé de la beauté de ce chef-d'œuvre de sculpture, que de l'image d'un minis tre qui s'étoit rendu si célèbre , il embrassa sa statue, et s'écria : « Grand « homme , je t'aurais donné la moitié de mes états, « pour apprendre de toi à gouverner l'autre. » Pierre-le-Grand voulut encore visiter le cabinet mé-
�269 eanique du P. Sébastien, carme de la place Maubert. Il examina tout, et fit briller sa pénétration et son esprit, soit dans ses questions, soit dans ses réponses. Il resta plus .de trois heures dans l'appartement du vsavant religieux; et lorsque ce prince étoit près de partir, les PP. Carmes le prièrent de leur faire l'honneur de se rafraîchir dans leur couvent. Le czar accepta leur offre avec joie, et dit qu'on lui fit apporter une bouteille de vin et du pain de la maison. Il coupa lui-même un gros quartier de ce pain, qu'il mordoit d'un très-grand appétit, puis se fit verser un grand verre de vin , et but à la santé du P. Sébastien. Lorsqu'il eutbu , il voulut que ce père bût aussi ; et comme ce dernier alloit chercher un verre , le czar lui dit qu'il vouloit qu'il bût dans le sien. Ainsi, sans le rincer, il versa un grand coup au religieux, qui, embarrassé sur la cérémonie, demanda tout doucement comment il en falloit user. Le czar, qui comprit de quoi il s'agissoit, lui fit signe qu'il bût à sa santé ; ce que ce père fit. Ensuite le prince but un second coup , et s'en alla très-content de tout ce qu'il avoit vu. 8. Le duc d'Antin, courtisan de Louis XV, se distingua par un art singulier, non pas de dire des choses flatteuses , mais d'en faire. Le roi va coucher à PetitBourg , il y critique une grande allée d'arbres qui cachoit la vue de la rivière. Le duc la fait abattre pendant la nuit. Le monarque, à son réveil, est étonné de ne plus voir ces arbres qu'il avoit condamnés. « C'est « parce que votre majesté les a condamnés, qu'elle ne « les voit plus, » répond le fin courtisan. Le roi l'ayant nommé surintendant des bâtimens, ce seigneur faisoit mettre quelquefois ce qu'on appelle des calles entre les statues et les socles , afin que, lorsque Louis iroit se promener, il s'aperçût que les statues n'étoicntpas droites , et qu'il eût le mérite du coup-d'oeil. Le roi trouvoit le défaut : M. d'Antin contestait un peu, se rendoit ensuite , et faisoit redresser la statue, en avouant, avec une surprise affectée , que le roi se connoissoit à tout. Ce même duc donna , à Fontainebleau , un exemple d'adulation encore plus frappant.
ATTENTIONS.
�27O
AUMONE.
Louis avoit témoigné qu'il souhaitoit qu'on abattît un bois entier qui lui ôtoit un peu de vue. M. d'Antin fit scier tous les arbres du bois près de la racine, de façon qu'ils ne lenoient plus : des cordes étoient attachées au pied de chaque arbre 5 et plus de douze cents hommes étoient dans ce bois, prêts au moindre signal. M. le duc d'Antin savoit, le jour où le roi devoit se promener de ce côté , avec toute sa cour. Sa majesté ne manqua pas de dire combien ce morceau de forêt lui déplaisoit : « Sire , lui répondit-il, ce bois sera abattu « dès que votre majesté l'aura ordonné. — Vraiment , « dit le roi ; s'il ne tient qu'à cela, je l'ordonne ; et « je voudrois en être défait. —Eh bien ! sire , reprit « M. d'Antin, vous allez l'être. » Il donne un coup de sifflet, et la forêt tombe aussitôt. « Ah ! mesdames , « s'écria la duchesse de Bourgogne, si le roi avoit de« mandé nos têtes , M. d'Antin les feroit tomber de « même ! » Bon mot un peu vif, parce qu'il étoit mérité , mais qui ne tiroit,point à conséquence. Voyez
AGRÉMENS, CIVILITÉ, ÉGARDS, POLITESSE, SAVOIRVIVRE , URBANITÉ.
AUMONE.
1 E saint homme Tobie, captif dans l'Assyrie sous Salmanasar, n'abandonna point la voie de la vertu dans sa captivité même. Tout ce qu'il avoit, il le distribuoit chaque jour à ceux de sa nation , à ses frères captifs avec lui. Dieu lui ayant fait trouver grâce devant le prince , il eut le pouvoir d'aller par-tout où il voudroit, et la liberté de faire tout ce qu'il luiplairoit. Il n'en abusa point : il alloit visiter les captifs, et leur donnoit des avis salutaires ; aumône d'autant plus excellente , qu'elle a le salut des ames pour objet. 11 vint un jour à Ragès , ville des Mèdes, où, parmi le grand nombre des captifs, il trouva un nommé Gabélus, de sa tribu, qui étoit fort pauvre, a qui il donna, sous son seing, dix talens d'argent qui venoient des gratifie a-
.L
�I
AUMONE. 27X
lions du roi , mais sans en prendre aucun intérêt, et par un mouvement pur de charité. Après la mort de Salmanasar , son fils Sennachérib n'ayant que de la haine pour les enfans d'Israël, Tobie ail oit tous les jours visiter tous ceux de sa parenté, les consoloit, et distribuoit de son bien à chacun d'eux, selon son pouvoir. Il nourrisoit ceux qui souffroient la faim, revêtoit ceux qui étoient nus, et avoit grand soin de donner la sépulture à ceux qui étoient morts , ou qui avoient été tués. C'est ainsi que, jusqu'à l'extrême vieillesse, ce saint homme consacra tous les iustans de'Sa vie à l'aumône et à la charité. Se croyant près de sa fin, il fitvenir son fils, et lui dit : « Mon enfant, faites l'aumône de votre « bien , et ne détournez jamais votre visage d'aucun «pauvre ; car, en agissant ainsi, le Seigneurnedétour« nera point non plus son visage de dessus vous. Soyez « charitable en la manière que vous le pourrez. Si vous « avez beaucoup de bien , donnez beaucoup 5 si vous « avez peu , donnez de ce peu même de bon cœur : « vous amasserez de cette manière un grand trésor, et « une récompense pour Je jour de la nécessité, carl'au« mône délivre de tou t péché et de la mort, et elle ne « laissera point tomber l'ame dans les ténèbres. L'au« mône sera le sujet d'une grande confiance devant le « Dieu supuême pourtousceuxquil'aurontfaite.Man« gez donc votre pain avec les pauvres et avec ceux qui « ont faim : couvrez de vos vêtemens ceux qui sont « nus. Mettez votre pain et votre vin sur le tombeau « du juste ; et gardez-vous bien d'en manger et d'en « boire avec lespécheurs. Ne craignez point, mon cher « fils : nous sommes pauvres, il est vrai ; mais nous « serons très-riches , si nous craignons Dieu , si nous « fuyons le péché , si nous opérons de bonnes œuvres. » 2. La bienheureuse Mélanie, ayant entendu parler des grandes vertus de l'abbé Pambon , lui porta trois cents livres de vaisselle d'argent, et le supplia de vouloir bien, en les recevant, partager avec elle les grandes richesses queDieu lui avoit donné es. Le saint abbé étoit alors occupé à faire des cordes avec des branches
�272
AUMONE.
de palmier. « Ame généreuse , dit-il, en continuant « son travail , que Dieu incompensé votre charité ; » et se tournant vers son économe , il lui dit : « prenez « cette offrande, et distribuez-la aux monastères les « plus pauvres de la Lybie et des îles. » Cependant Mélanie attend oit que Pambon lui donnât sa bénédiction, et qu'il lui témoignât l'estime qu'il faisoit d'un si riche présent. Mais ne voyant rien de tout cela : « Mon père , lui dit-elle, j'ignore si vous faites atten« tion que ce que je vous ai donné se monte à trois « cents livres d'argent ? » Pambon, sans faire le moindre signe, sans jeter même les yeux sur les étuis qui renfermoient ces vases précieux, répondit: «Ma « fille , celui à qui vous avez l'ait ce présent, n'a pas « besoin de savoir combien il pèse ; puisque , pesant « même les montagnes et les forêts dans ses divines « balances, il ne peut ignorer quel est le poids de « votre argent. Si c'étoit à moi que vous l'eussiez. « donné, vous auriez raison de m'en faire remarquer « la valeur; mais l'ayant offert à Dieu, qui n'a pas dé« daigné de recevoir deux oboles des mains de la veuve « de l'Evangile, qui les a même plus estimées que les « présens des riches, n'en parlez pas davantage. » 3. On vint annoncer à Charlemagnc la mort d'un évêque. Ce prince demanda combien il avoit légué aux pauvres en mourant. On mi répondit qu'il n'avoit donné que deux livres d'argent. « C'est un bien petit « viatique pour un si grand'voyage, » dit un jeune clerc qui étoit présent. Le monarque , satisfait de cette réflexion, donna l'évêché à celui qui l'avoit faite, et lui dit : « N'oubliez jamais ce que vous venez de « dire , et donnez aux pauvres plus que celui dont « vous venez de blâmer la conduite. » 4- Rien n'égale la libéralité de S. Louis enversles pauvres. C'est à la charité active de ce pieuxmonarque ,que doivent leur naissance la plupart de ces établissemens utiles, où les pauvres, et sur-tout les infirmes, trou vent un asile contre l'extrême indigence, et des remèdes à leurs maux. L'Hôtel-Dieu de Paris, celui de Pontoise, de Compiègne, de Vernon, l'hôpital des Quinze-Vingts,
�AUMÔNE 27'3 îe reconnoissent pour leur fondateur ôu ieur restaurateur. Il suffisoit d'être malheureux pour exciter la compassion et mériter les bienfaits de ce généreux prince. Il envoyoit dans les provinces des commissaires qui dressoient un rôle des pauvres laboureurs de chaque paroisse , qui ne pouvoient plus travailler à cause de leur vieillesse ; et le saint monarque se chargeoit de fournir à leur subsistance! Ses ministres se plaignoiertt souvent qu'il faisoit de trdp grandes charités. Il les laissa murmurer, sans vouloir rien changer à sa manière d'agir* « Il est quelquefois nécessaire, « disoit-il, que les rois excèdent un peu dans la dé« pense; et s'ilya de l'excès, j'aime mieux que ce soit « en aumônes, qu'en choses superflues et mondaines. » 5; Saint Martin, encore soldat et catéchumène , donnoit tout son bien aux pauvres. Ayant vu à la porte d'Aminés, dans les grandes rigueurs de l'hiver, lin pauvre nu et abandonné, il coupa son manteau en deux parties , et lui en donna une. Jésus-Christ, dit l'auteur de sa vie , lui apparut en songe , revêtu de cette moitié dont il avoit couvert le pauvre ; et ce divin Sauveur disoit aux Anges : « C'est Martin qui, « n'étant que Catéchumène, m'a revêtu de cet habit.» Cette vision encouragea tellement le charitable Mar~ tin , qu'il donna aux indigens tout ce qu'il possédoit 3 et reçut le baptême. 6. On reprochoit un jour > au célèbre Artstote , d'avoir donné l'aumône à un vagabond, qui n'étoit dans la misère que par sa paresse et son libertinage i <i Ce n'est pas l'homme que j'ai secouru $ répondit « ce philosophe , c'est l'humanité souffrante. » 7. Uri homme vêtu d'un manteau, et portant de longs cheveux , et une barbe qui lui descendoit presque à la ceinture , vint trouver Hérode-Atticus , fameux orateur athénien , et maître d'éloquence de l'empereur Marc-Aurhle. Ce savant étoit alors en grande compagnie. Le personnage est introduit ; et f d'un air intrépide , il demande , en présence de tout le monde, quelque argent pour s'acheter du pain. « Qui êtes-vous ? lui dit Iiérode. » Cet homme, d'un Tome I, $
�'374 AUMÔNE. ton de reproche et d'indignation, répondit qu'il étoit philosophe , et qu'il lui paroissoit surprenant qu'on l'interrogeât sur ce qui s'apercevoit du premier coup-d'ceil. « Je vois bien, reprit lier ode , le man« teau et la barbe , mais non pas le philosophe : « prouvez-nous que vous en avez les caractères et les « vertus , plutôt que la livrée. » Alors quelques-uns de ceux qui étoient présens prirent la parole, et dirent qu'ils connoissoient ce prétendu philosophe pour un vagabond, un mendiant sans pudeur, dont la demeure ordinaire étoit la taverne , et qui, lorsqu'on lui refuSoit ce qu'il demàndoit, ne manquoit pas de s'en venger par des injures grossières , « Donnons-lui ce« pendant quelque chose , dit Hérode : faisons hon« neur à l'humanité, quoique celui-ci la déshonore. » 8. Abou Ismaël Rammad-Ben-Soliman , docteur musulman , étoit très-charitable. Il nourrissoit, tous les jours du mois de JAamadhan , pendant lequel tous les disciples de Mahomet jeûnent, cinquante pauvres qu'il habilloit de neuf, le jour du Bairam , qui est comme leur Pâquc, et leur donnoit cent drachmes d'argent par tête. Un fameux docteur , nommé BenZiad , l'étant venu voir pendant qu'il distribuoit ses aumônes, et s'étant rangé parmi les pauvres, Hamm ad lui demanda combien il vouloit avoir ? Ben-Ziad lui répondit, pour l'étonner , mille drachmes ; mais le généreux Hammad lui répliqua : « J'ai déjà com« mandé que l'on vous en donnât cinq mille , et je « ne révoquerai point mes ordres. — Magnifique Ham« mad, lui dit alors Ben-Ziad, continuez, et que Dieu « et son prophète vous récompensent au centuple. » 9. Charles II, roi d'Espagne, étant fort jeune , et faisant à pied les stations du Jubilé , trouva sur son passage un pauvre auquel il jeta une croix de diamans qu'il avoit devant lui, et personne ne s'aperçut de cette excessive libéralité du prince. Quand il fut à l'église , ses courtisans, ayant pris garde qu'il n'avoit plus sa croix , dirent qu'on avoit volé le roi. Le pauvre, qui suivoit, s'écria à l'instant: «Voilà la croix « du roi ; c'est sa Majesté qui me l'a donnée. » Le
�2r'5 îûonarque en convint. On ne jugea par à propos de laisser au pauvre celte croix qui faisoit partie des pierreries de la couronne ; mais il fut décidé dans le conseil, que de quelque manière que le roi fit ses dons , ils dévoient être sacrés. En conséquence , la .croix ayant été estimée douze mille écus , on les donna au pauvre. 10.mL'amiral de Châtillon , étant allé entendre la messe dans l'église des Jacobins, le jour de saint Dominique.» un pauvre vint lui demander l'aumône, dans le temps qu'il étoit le plus occupé à ses .prières ; il fouilla dans sa proche , et donna à ce pauvre un grand nombre de pièces d'or, sans les compter et sans y faire réflexion. Cette grosse aumône éblouit Je mendiant , qui en demeura tout surpris ; mais comme c'étoit un honnête homme , il vit' bien que l'amiral s'étoit mépris : il né crut pas pouvoir garder cette somme. Il attendit ce charitable seigneur à la porte de l'église ; et quand il le vit sortir, il s'approcha de lui, et lui dit : « Monseigneur , voilà ce que vous « m'avez donné ; vous vous êtes trompé, sans doute ; « reprenez , je vous supplie , ce qui ne m'étoit point « destiné.» L'amiral surpris de cette grandeurd'ame, regarda ce pauvre avec bonté. « 11 est vrai, mon ami, « lui dit-il, que je ne croyois pas vous tant donner; « mais puisque vous avez eu la générosité de vouloir « me le rendre , j'aurai bien celle de vous le laisser. » 11. Molière revenoit un jour de la campagne avec Chapelle, son ami. Un pauvre , sur Je chemin, lui demande l'aumône. Il met la main à la poche , et en tire une pièce de monnoie qu'il lui donne. Le pauvre, ayant regardé cette pièce , vole après lui pour la lut rendre, et lui dit : « Monsieur, vous vous êtes mépris : « vous m'avez donné un louis d'or. » A ces paroles , Molière tire un autre louis de sa poche , le lui donne encore , et se tournant vers son ami : « Où diaJfle , s'écrie-t-il, la vertu va-t-elle se nicher ? » 12. Un pauvre , demandant l'aumône à un soldat, lui disoit : <,< Donnez-moi quelque chose pour l'amour « de Dieu , et je le prierai pour vous. » Le soldat lui "' ' ' ' - ■ S2
AUMÔNE.
�AUSTÉRITÉ.
donna quelques pièces de monnoie , et lui dit : « Prends , et prie Dieu pour toi-même ; je ne prête « point mon argent à usure. » i3. M. Corbinelli, qui n'étoit pas bien dans ses affaires , et qui portait sur lui des marques parlantes du dépérissement de sa fortune , enfendoit la messe aux Minimes. Tandis qu'il prioit très-affectueusement , un homme bien vêtu vint se mettre à genoux près de lui, et lui présenta la main , en lui demandant l'aumône : « Ah ! monsieur , lui dit M. Corbi« nelli, vous m'avez prévenu , j'allois vous en faire « autant. » Voyez CHARITÉ.
AUSTÉRITÉ.
i. JLJA vie austère et pénitente de saint Siméon Sty~ lite est une de ces merveilles de la grâce que l'Eglise propose à l'admiration de ses enfans, moins pour les porter à les perpétuer dans un degré si éminent, que pour faire naître dans leurs cœursles sentimens d'une pieuse reconnoissance envers cet Etre suprême , qui souvent se sert des foibles pour confondre les forts. Fils d'un pauvre berger de Cilicie, Siméon remplissoit la profession de son père. Un jour que le troupeau ne pouvoit sortir, à cause de la neige, le jeune pâtre entra dans l'Eglise, lorsqu'on y bsoit ces paroles de l'Evangile : « Bienheureux sont ceux qui pleurent ! « bienheureux sont ceux qui ont le cœur pur ! » Frappé de cette vérité, Siméon voulut s'éclaircir ; et rencontrant un bon vieillard, il le pria de lui apprendre comment on pouvoit parvenir à ce bonheur. « En « jeûnant, mon fds , lui répondit cet homme , en « priant Dieu avec crainte , avec respect, aux diffé« rentes heures du jour , et pendant la nuit. Il faut « supporter la faim et la soif, la nudité, les injures « et les opprobres : il faut gémir , pleurer, veiller et « prendre à peine un peu de sommeil ; user de la « maladie comme de la santé ; renoncer à ce qu'on
�277 « aime le plus ; être humilié et persécuté par les « hommes , sans attendre de consolation. Voilà ce « qu'il faut faire , mon enfant, pour arriver à cette « divine béatitude. Vous serez heureux, si Dieu $ par « sa miséricorde , vous donne la volonté de pratiquer « ces moyens salutaires. » Siméon n'avoit alors que treize ans. Cependant ces paroles firent une telle impression sur son esprit, qu'après avoir prié Dieu de le conduire dans la voie d'une piété parfaite , il se retira dans un monastère composé de quatre-vingts moines qui s'exerçoiçnt aux travaux les plus pénibles de la pénitence. Siméon surjassa bientôt tous ses confrères en austérité ; car , au ieu que les autres mangeoient de deux jours l'un, lui seul ne mangeoit qu'une fois la semaine , et donnoit sa nourriture aux pauvres. A cette abstinence, il ajouta une macération bien extraordinaire. Un jour,, étant allé tirer de l'eau au puits , il prit la corde du seau, et s'en serra les reins si étroitement, qu'elle entra dans la chair 5 et l'on ne s'en aperçut qu'à l'odeur qu'exhaloit la plaie, et au sang qui en dégoût-* toit. Cette plaie fut plus de deux mois à guérir ; après quoi, le supérieur le pria de se retirer , de peur que son exemple ne nuisît aux autres. Siméon alors se confina dans, une petite loge abandonnée , où il forma le dessein d'imiter le jeûne de Moïse, d'Elie et de Jésus^Christ, et de passer les quarante jours du carême sans prendre aucune nourriture. Théodoret., évêque de Cyr, auteur contemporain, dans les ou-, vrages duquel nous avons puisé cet article , rapporte que Siméon avoit déjà passé vingt-huit carêmes de lasorte , quand il vint le voir pour la première fois.. Après avoir demeuré trois ans dans sa cabane, Siméon.. se retira sur le haut d'une montagne. Il y fit faire une enceinte de pierres sèches, et s'y renferma, résolu d'y vivre à découvert, exposé à toutes les intempéries des saisons. Il portait une grosse chaîne de fer , de vingt coudées de long, attachée par un bout à une pierre énorme , et de l'autre à son pied droit, afin de ne pouvoir sortir de là, quand il l'auroit voulu.
AUSTÉRITÉ.
f
�278
AUSTÉRITÉ:
Mais Mélhce, vicaire du patriarche d'Antioché, l'étant venu voir , lui remontra que ce qui devoit l'attacher à sa solitude étoit le mouvement libre de la volonté , plutôt que la contrainte d'une chaîne de fer. Siméon se rendit , et fît venir à l'heure même un ouvrier qui détacha la chaîne. Ce fut alors que sa réputation se répandit de tous côtés. On lui amenoit plusieurs malades : on le prioit de les guérir. Ceux qui avoient obtenu ce qu'ils demandoient, publioient par-tout ses bienfaits : ce qui en attiroit encore un plus grand nombre qui s'empressoit autour de lui pour le toucher. Afin de se délivrer de cette foule de monde qui înteiTompoit sa prière , Siméon s'avisa de se placer sur une colonne. D'abord il en fit faire une de six coudées de haut ; ensuite une de douze ; puis une de vingt-deux ; enfin une de trente-six. C'est ce qui lui a fait donner le nom de Stylite, d'un mot grec qui signifie une colonne. Le faîte de cette colonne n'avoit que trois pieds de diamètre. Il étoit fermé d'une petite enceinte , à hauteur d'appui, comme une chaire de prédicateur. Plusieurs blâmoient un genre de vie si extraordinaire : quelques-uns s'en moquoient ; d'autres outrageoient le saint comme -un imposteur. Les solitaires d'Egypte allèren t jusqu'à Vouloir se séparer de sa communion. Mais les pins sages d'entre eux jugèrent qu'avant toute chose, il falloit députer vers lui, au nom des évêques et. des solitaires , pour s'instruire des motifs de sa conduite. Le député eut ordre de lui due d'abord de descendre , et de se remettre dans la voie ordinaire des serviteurs de Dieu; que, s'il obéissoit, il falloit le laisser vivre à sa manière ; que s'il résistait, on le regarderait désormais comme un rebelle. Dès que Siméon eut entendu l'ordre des évêques et des solitaires, il avança un pied pour descendre. «Demeurez , lui dit l'envoyé ; « prenez courage , votre « état vient de Dieu. » Son occupation , sur cette colonne , était la prière , tantôt debout , tantôt incliné. Aux grandes solennités , il passoit les nuits debout, tes mains étendues. Sa prière duroit tous les jours ,
�AUSTÉRITÉ.
27g
depuis le coucher du soleil, jusqu'à trois heures après-midi du jour suivant. Depuis cette heure jus ■ qu'au soir, il instruisoit les assistans, répondoit à ceux qui le consultoient, guérissoit les malades, terminoit les differens , et réconcilioit les ennemis. Il étoit de facile accès, doux, agréable, répondant à tout le monde , même aux personnes les plus viles. Il étoit si humble, qu'il se croyoit le dernier des hommes. Il disoil à ceux qu'il avoit délivrés de leurs maladies : « Si quelqu'un vous demande qui vous a guéri de vos « maux , dites que c'est Dieu : gardez-vous de parler « de Siméon ; autrement, je vous avertis que vous « retomberez dans vos infirmités. » Parvenu à l'âge de soixante-neuf ans, dont il en avoit passé trente-sept sur sa colonne, sentant que son heure étoit proche, il s'inclina pour prier, et resta mort dans cette posture. 2. Sainte Geneviève ayant reçu le voile sacré des mains de l'évêque de Paris , vint dans cette capitale , après la mort de son père et de sa mère , et se retira chez une dame , sa marraine , qui l'avoit invitée à venir demeurer chez elle. Dès l'âge de quinze ans , elle ne commença à ne manger que deux fois la semaine , le dimanche et le jeudi ; et ces jours-là même^ elle prenoit pour toute nourriture du pain d'orge , avec des fèves cuites depuis une semaine ou deux, et ne buvoit jamais que de l'eau. Elle continua ce genre de vie si austère, jusqu'à l'âge de cinquante ans, où , par le conseil des évêques, pour qui elle eut toujours un profond respect, elle usa d'un peu de lait et de poisson. Un jeûne si rigoureux étoit soutenu par une prière fervente, et presque continuelle. Elle répandoit en présence de Dieu une si grande abondance de Jarnies, que le lieu où elle prioit ordinairement, disent les légendes , en étoit tout trempé. Elle passoit en prières la-nuit du samedi au dimanche, pour se- préparer à célébrer saintement le jour du Seigneur. Elle se disposoit à la fête de Pâques par une retraite qui duroit depuis l'Epiphanie jusqu'au samedi saint. 3. M. Hébert, célèbre curé de Versailles , traversa beaucoup les plaisirs imiocens que procurait aux deS
4
�380
AUSTÉRITÉ.
rnoiselles de Saint-Cyr les représentations de la tragé" die d'Esther, A une assemblée des dames de charité, QÙ madame de Maintenon assistait très-régulièrement, le discours , avant la conférence, tomba sur cette tragédie d'Esther. La flatterie renchérissoit sur tous les éloges qu'accordoit la vérité. Le curé attendoit, en gémissant, le moment de parler. Madame de Maintenon rapporta , d'un air satisfait1, le nom de tous les religieux qui avoient été spectateurs, ou qui demandoient à l'être. « Il n'y a plus que vous, monsieur, « dit-elle au curé, qui n'avez pas vu celte pièce : ne « vous y verrons^nous pas bientôt? » Hébert répondit par une profonde révérence. « Mais , dit madame de « Maintenon, répliquant au silence énergique du curé, << le père de Chantilly de l'Oratoire, vénérable par son « âge et par sa piété , brigue une place dans notre « parterre. Je voudrais bien , ajouta-t-elle en regarde dant Hébert, y aller aujourd'hui en si bonne cpm« pagnie, — Je vous supplie de m'en dispenser, re« partit Hébert, » en commençant son exhortation. Dès qu'elle fut achevée, mesdames de Chevreuse et de Beauvilliers grondèrent le curé de ce refus public. << Vous avez , lui dirent elles , mortifié madame de << Maintenon, Voir Esther est une faveur sollicitée : « elle vous y invite , et vous refusez du ton le plus « désapprobateur. On n'aura plus la même confiance « en vous : on vous croira outré sur la -morale ; vous « serez redouté comme le censeur des évêques : vous « perdrez un crédit utile à votre zèle. — Mes raisons, % interrompit Hébert, ne sont point de vains scrupule les ; je vous en rendrai compte , et j'en, ferai juge « madame de Maintenon elle-même. Si elle me con« damne , je me rendrai volontiers. « Le soir même, il lui dit : « Vous connoissez , madame, mon respect « pour vous ; mais vous savez aussi combien je dé« clame en chaire contre les spectacles. Esther n'est « point comprise dans cette proscription. — Pourquoi « donc, interrompit-elle, refusez-vous de l'entendre ? % Le peuple , reprit le curé , ne sait quelle diffé^ yence est entre cette comédie et une autre. J'irai $
TT
�AUSTÉRITÉ.
3oi
« il croira plutôt à mes actions qu'à mes paroles. La « réputation d'un ministre de J. G:»est trop délicate, « pour la sacrifier à la complaisance ou à la curiosité. « Eh ! pensez-vous qu'il soit décent à des prêtres d'as« sister à des jeux, exécutés par de jeunes filles bien « faites , aimables , que l'on est contraint de fixer « pendant deux heures entières ? C'est s'exposer à des « tentations. Des courtisans m'ont avoué que leurs « passions étoient plus vivement émues par la vue de « ces enfans, que par celle des comédiennes. L'in« nocence des vierges est un attrait plus dangereux « que le libertinage des prostituées. Le vice profane « tout. — Mais du moins, lui dit madame de Mainte« non, vous ne condamnez pas ces divertissemens si « utiles à la jeunesse? — Je crois, répondit-il, qu'ils « doivent être proscrits de toute bonne éducation. « Votre principal objet, madame, est de porter vos « élèves à une grande pureté de mœurs. N'est-ce pas « détruire cette pureté , que de les exposer , sur un « théâtre , aux regards avides de toute la cour ? C'est « leur ôter cette honte modeste , qui les retient dans « le devoir. Une fille redoutera-t-elle un tête-à-tête « avec un homme, après avoir paru hardiment devant « plusieurs ? Les applaudissemens que les spectateurs « prodiguent à la beauté , aux talens de ces jeunes « personnes , leur inspirent de l'orgueil. Je ne puis , « en exerçant un ministère qui combat toutes les « passions, me défendre de la vaine gloire de prêcher « devant mon souverain : comment des enfans se pré« serveroient-ils d'une vanité si naturelle? — Cepen« pendant, dit madame de Maintenon, ces exercices « sont autorisés de tout temps dans les collèges. — On « ne peut, répliqua le curé, en rien conclure pour les « collèges de filles. Les garçons sont destinés à rem« plir des emplois qui les obligent de parler en public. « Un homme de robe, un homme d'église, un homme « d'épée, ont également besoin de l'exercice de la dé« elamation. Les filles sont destinées à la retraite, et « leur vertu est d'être timides, leur gloire d'être mo« desles. Je ne parle point du temps qu'emportent les
�20*2
A(IS TE RÏT É.
« rôles qu'il faut apprendre , des distractions que « donne le charme du vers, de l'orgueil de celles qui « jouent, de la jalousie de celles qui ne jouent pas, des « airs de hau teur qu'on prend au théâtre, et qu'on ne « quitte pas dans la société, de mille choses contraires « à l'esprit de votre établissement. Je ne dis plus qu'un « mot : tous les couvens ont les yeux attachés sur Saint« Gyr : par-tout on s uivra l'exemple que Saint-Cyr aura « donné. On se lassera des pièces de piété ; on en jouera « de profanes. On invitera des laïques à ces spectacles. « Dans toutes les maisons religieuses, au lieu.de for« mer des novices, on formera des comédiennes.—J'en« tre dans tout cela, dit madame de Maintenon; mais « S. François-de-Sales est moins rigide que vous : il « permet à ses filles de représenter des pièces de dé« votion. — Il est vrai, reprit Hébert; mais ce grand « évêque ne le leur permet qu'entre elles, rarement, « et dans l'intérieur du monastère. A la Visitation , « c'est un amusement privé ; à Saint-Cyr , c'est un « spectacle public. » 4- Le grand Marins, né robuste et courageux, uniquement propre aux armes, apporta dans le commerce des hommes un naturel austère, et même farouche. Lorsqu'il fut revêtu de l'autorité souveraine , il se montra toujours intraitable. Jamais il ne voulut apprendre les lettres grecques,ni se servir de cette langue dans aucune affaire sérieuse et importante : trouvant qu'il étoit ridicule d'apprendre et d'employer la langue d'un peuple assujetti. Après son second triomphe, donnant aux Romains des jeux , à la manière des Grecs, pour la dédicace d'un temple, il entra au théâtre, mais il ne fit que s'asseoir, et sortit un moment après. 5. Le sénat romain, ayant donné de grands éloges à Caton d'Utique, pour avoir appaisé les mouvemens séditieux du peuple, par son austère éloquence ■: «Pour « moi, pères conscrits, dit-il, je ne vous louerai point « d'avoir abandonné, dans un aussi grand danger, Ca« ton, votre préteur. » Une autre fois, comme on délibéroit dans le sénat si l'on ordonnerait des prières publiques pour remercier les dieux de la victoire que
�AUSTÉRITÉ. 283 César venoit de remporter Sur lesUsipètes, peuple de Germanie : « Il faut, dit Caton, livrer César aux enne« mis, afin de purger la république du crime de per« fidie," et faire retomber sur leur auteur les exécra« tions dont ils ont chargé le peuple romain. » 6. Julien l'apostat vivoit en philosophe au milieu de sa cour et à la tête de ses armées. Ayant pour maxime ce mot du vieux Caton , qu'une ame occupée de la bonne chère s'occupe peu de ses devoirs; il avoit absolument banni de sa table les faisans et les autres mets délicats et recherchés. Il se contentoit de la nourriture du simple soldat : quelquefois il la prenoit deboiit , et même en si petite quantité , qu'on disoit qu'il vivoit d'air, comme les cigales. Il poussoit même l'amour de l'austérité, jusqu'à rougir des besoins inséparables de l'humanité , jusqu'à dire qu'un philosophe n'auroit. pas dû respirer. Il dormoit peu, et s'éveilloit à l'heure qu'il vouloit. Son lit étoit un tapis , et sa couverture une simple peau. Il se levoit toujours à minuit ; et après avoir fait secrètement sa prière à Mercure , il travailloit aux affaires, alloit visiter les sentinelles. Sa ronde finie, si les affaires le permettoient, il étudioit jusqu'au jour. Lorsqu'il n'étoit pas à la guerre, il employoit la journée à rendre la justice , et à s'exercer avec les soldats, quoiqu'il eût peu de goût pour cette dernière occupation , et qu'il n'y apportât qu'un air emprunté. On l'entendoit alors regretter son cabinet, et ses livres. Un jour qu'on lui montroit à danser, au. son des fifres, une danse appelée la Pyrrhique, qui faisoit partie des exercices militaires chez les Grecs et chez les Romains : « Ah \ Platon, Platon, s'écria-t-il, « quel métier pour un philosophe ! » Voyez ABSTINENCE, MORTIFICATION, PÉNITENCE.
�284
BIENFAISANCE.
BIENFAISANCE.
i .X_JN mortel bienfaisant est la plus fidelle image de la Divinité -, qui veut le bonheur des hommes. Les Scythes, poursuivis -ç^v Alexandre jusqu'au milieu des bois et des rochers qu'ils habitoient, dirent à ce conquérant, qui vouloit passer pour le fils de Jupiter-Ammon : « Tu « n'es pas undieu, puisque tufaisdumalauxhommes.» 2. Alphonse V, roi d'Aragon, n'ignoroit pas qu'il se trouvoit parmi ses sujets de certaines personnes qui parloient mal de lui ; et s'efforçoient en secret de le noircir par leurs lâches calomnies , quoiqu'elles eussent été comblées de ses bienfaits. Cependant, au lieu de les punir, il se contentoit de dire : « C'est le pro« pre des rois de faire des ingrats; mais ils auront beau « faire, ils ne m'empêcheront jamais d'être libéral et « bienfaisant. » 3. La bienfaisance dans un prince doit être réglée par une économie sage et raisonnée. Stanislas, roi de Pologne , duc de Lorraine et de Bar , surnommé le Bienfaisant, nous a donné un grand modèle de cette libéralité économique. Ce grand monarque déposa entre les mains des magistrats de la ville de Bar, dix mille écus pour être employés à acheter du blé , lorsqu'il étoit à bas prix, afin de le revendre aux pauvres à un prix médiocre, quand il est monté à un certain point de cherté. Par cet arrangement, la somme augmenta toujours , et bientôt on put la répartir sur d'autres endroits de la province. 4- L'empereur Tite, étant un soir à souper avec ses amis ( car ce prince en avoit ) , se ressouvint que ce jour-là il n'avoit fait de bien à personne; et, pénétré de douleur, il s'écria : « Ah ! mes amis , ce jour est « perdu pour moi. » 5. L'empereur Alexandre Sévère tenoit un registre exact des grâces qu'il avoit accordées à chaque citoyen. Lorsqu'ilenremarquoitquelques-unsqui ne lui deman-
�BIENFAISANCE. 285 doient rien ou peu de chose , il les faisoit venir : « Pourquoi, leur disoit-il , ne me demandez-vous « rien ? Vous voulez donc que je reste votre débiteur, « et vous m'enviez le plaisir de faire du bien à de « fidelles sujets. » 6. Un ministre, dit le sage Sadi, étoit bienfaisant. Un jour il déplut à son maître, et il fut mis en prison ; mais le peuple sollicita sa délivrance. Les gardes, lui rendoient sa prison agréable. Les courtisans parloient au roi de ses vertus ; le monarque lui pardonna. « Vendez le jardin de votre père, pour en acheter un seul cœur : brûlez les meubles de votre maison, si vous manquez de bois pour préparer le repas de votre amiFaites du bien à vos ennemis ; faites-leur des présens. Ne menacez pas le chien qui aboie : jetez-lui un morceau de pain. » 7. Lorsque l'empereur Antonin fut nommé César, il distribua la plus grande partie de ses biens à ses amis. Sa femme, qui étoit avare, lui en ayant fait des reproches : « Songez, 1 ui répondit-il, que du moment où. « nous avons été placés sur le trône, ce que nous « possédions a cessé d'être à nous. » 8. Philippe, père à'Alexandre-le-Grand, étant en otage à Thèbes, fut très-bien traité par son hôte, qui eut pour lui tous les égards possibles. Ce prince cherchoit à témoigner sa reconnoissance à cet homme généreux, mais l'hôte ne vouloit recevoir aucun présent. Philippe affligé lui dit : « Jusqu'ici, grâces au Ciel , « personne ne m'a Vaincu enbienfaits ; pourquoi voulez« vous' me ravir une gloire qui m'est si précieuse ? » On lui rapporta que Nicanor ne cessoit de dire du mal de lui. « Ce Nicanor, répondit le monarque, n'est « pourtant pas un méchant homme ; je le connois : « voyons si je ne lui aurois pas donné sujet de se « plaindre de moi. » 11 fit des informations, et il apprit que ce Nicanor, n'ayant reçu aucune récompense des services qu'il avoit rendus à l'Etat, étoit réduit à une extrême pauvreté. Aussitôt il lui envoya une somme d'argent considérable. Quelque temps après, il sut que «e même Nicanor publioit par-tout ses louanges:
�v
286 BIENFAISANCE. « Vous voyez , dit Philippe à ses courtisans , qu'il « dépend des rois de faire parler d'eux en Lien ou en , « mal. » 9. Le sire de la Rivière, chambellan et favori du roi Charles V, s'entretenoit avec ce prince sur le bonheur de son règne : « Oui, lui dit le monarque, je suis heu« reux, parce que j'ai la puissance de faire du bien aux « autres. » 10. Léopold , fils de Charles V, duc de Lorraine , auquel il succéda en 1690, a été l'un des plus petits souverains de l'Europe , et celui qui a fait le plus de bien à son peuple. Il trouva la Lorraine désolée et déserte : il la repeupla et l'enrichit. Il la conserva toujours en paix , pendant que le reste de l'Europe étoit ravagé par la guerre. Il eut la prudence d'être toujours bien avec la France, et d'être aimé dans 1 'empire0 tenant heureusement ce juste milieu qu'un prince sans pouvoir n'a presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. Il procura à ses peuples l'abondance qu'ils ne connoissoient plus. Sa noblesse , réduite à la dernière misère, fut mise dans l'opulence par ses bienfaits. Voyoit-il la maison d'un gentilhomme en ruine, il la faisoit rebâtir à ses dépens : il payoit ses dettes, et marioit ses filles. Ilprodiguoit les présens avec cet art de donner qui est encore au-dessus des bienfaits. 11 mettoit dans ses dons la magnificence d'un prince, et la politesse d'un ami. Un de ses ministres lui représentent que ses sujets le ruinoient : « Tant mieux ! ré•« pondit-il ; je n'en serai que plus riche , puisqu'ils « seront heureux. » Une autre fois , on lui faisoit le récit de quelques avantages, qu'un souverain venoit de faire à ses peuples : « Il le devoit, répondit le duc : je « quitterais demain ma souveraineté, si je ne pouvois « faire du bien. » Un gentilhomme qui ne lui avoit jamais rien demandé , quoiqu'il fût dans le besoin, jouoit avec le prince , et gagnoit beaucoup. « Vous << jouez bien malheureusement, monseigneur , dit-il « au duc. — Jamais, repartit Léopold , la fortune ne « m'a mieux servi ; mais je de vois seul m'en aperce« voir. » Un étranger qu'il avoit renvoyé dans sa
�BIENFAISANCE.
287
•patrie, comblé de bienfaits , osa lui manquer. On en parla au prince , qui dit avec bonté : « Je ne dois pas « lui faire un reproche de son ingratitude, puisque je « ne L'ai obligé que pour moi. » Un magistrat attendait qu'il sortît de son cabinet pour lui demander un emploi dontonvenoitde disposer en faveur d'un autre. Le duc, voulant sauver le désagrément d'un refus au solliciteur, l'interrompit au milieu de son compliment, et lui dit.v « Soyez content, monsieur , votre ami vient « d'obtenir la charge que vous venez me demander « pour lui. » Les arts, en honneur dans sa petite province , produisoient une circulation nouvelle , qui faisoit la richesse de son état. Sa cour étoit formée sur le modèle de celle de France. On ne croyoit presque pas avoir changé de lieu, quand on passoit de Versailles à Lunéville. A l'exemple de Louis XIV, il faisoit fleurir les belles-lettres : il établit dans Lunéville une espèce d'université sans pédantisme , où la jeune noblesse d'Allemagne venoit se former. On y apprenoit de véritables sciences dans des écoles où la physique étoit démontrée aux yeux par des machines admirables. Il chercha les talens jusque dans les boutiques et dans les forêts, pour les mettre au jour et les encourager: enfin, pendant tout son règne, il ne s'occupa que du soin de procurer à sa nation de la tranquillité, des richesses, des connoissances et des plaisirs. Aussi goûtat—il le bonheur d'être aimé ; et long-temps après sa mort, ses sujets versoient des larmes en prononçant son nom. 11. Pendant une marche en hiver , Alexandre regardoit, assis près du feu, les troupes défiler, quand il aperçut un vieux soldat demi-mort de froid. Il lui fit prendre sa place, en lui disant : « Né dans la Perse, « tu ferois un crime capital en t'asseyant dans le siège « du roi ; mais, né Macédonien, la liberté t'en est « donnée. » 12. [Jne jeune princesse avoit douze cents livres à employer dans un domino , pour une fêle dont elle devoit faire l'ornement et les honneurs. Dans une circonstance si brillante , son cœur , plus noble par ses
�288 BIENFAISANCE, sentimens généreux que par son auguste naissance, eut le courage de ne choisir qu'un domino de trois cents livres, et de donner neuf cents livres aux pauvres malheureux» 13. Le village d'Hamel-lès-Corbie, situé dans l'élection d'Amiens, donna, au commencement de l'hiver de 1768, un exemple de bienfaisance qu'on ne saurait trop louer , et qui semble appartenir à l'âge d'or , où les hommes étaient frères , et ne composoient qu'une même famille. Le 19 de Décembre , M» Lotin, curé, et les syndics , marguillers et habitans du village s'assemblèrent à l'issue de la messe paroissiale et après les vêpres, pour délibérer sur les moyens de remédier aux besoins des pauvres qui montaient à cent vingtneuf , et auxquels il convenoit de distribuer quatrevingt-dix-sept livres de pain par jour, jusqu'au dernier de Mars. Les aumônes ordinaires n'étant pas suffisantes pour fournir à cette distribution, on résolut de supplier M. Dupleix, intendant de Picardie, de leur permettre l'exploitation d'une portion de commune , qui ne pouvoit être mieux employée qu'au soulagement des pauvres. Alors le curé prial'assemblée de considérer aussi les besoins de la paroisse de Vassuré, succursale de celle d'Hamel, quin'avoit, à la vérité, aucun droit à l'usage des communes , ni à leur exploitation, mais dont les pauvres souffraient et appartenoient aux mêmes autels. Il proposa de les admettre à l'aumône projetée : les habitans y consentirent, et destinèrent quatre journaux de commune pour les pauvres de l'une, et de l'autre paroisse. Ils dressèrent en conséquence un. placet : il fut présenté à M. l'intendant, qui ne crut pas devoir se prêter à la générosité de la paroisse d'Hamel, fort pauvre, et qui avoit éprouvé de grandes pertes l'année précédente. Il prit d'autres moyens de soulager les pauvres, et se chargea même de faire fournir tout ce qu'il faudrait pour la culture annuelle de deux journaux de pommes de terres, au profit de toute cette généreuse communauté. 14. M. MarinFillassier, curé du diocèse de Paris, et mort en 1/33, chapelain, des dames de Miramion, reçut
�BIENFAISANCE:
Û%
reçut hii jour la visite d'un de ses paroissiens qui vivoit dans l'opulence. Cet homme fut surpris de voir qu'aucune des chambres de son pasteur n'étoit tapissée ; et comme on étoit au plus fort de l'hiver , il lui demanda pourquoi il n'avoit point fait tapisser ses murailles pour se garantir de la rigueur du froid ? M. Fillassier lui montrant deux pauvres dont il pre-*noit soin j répondit : « J'aime mieux revêtir ces mcm« bres de Jésùs-Christ , que mes murailles. » Ce trait de bienfaisance en rappelle plusieurs autres du même curé. Quelque temps après qu'il eut été installé dans son bénéfice; on lui en offrit un autre d'un, revenu bien plus considérable. Il le refusa, en disant : « Je ne puis répudier mon épouse , parce qu'elle est « pauvre.»Une maladie épidémique régnoit dans son village 5 et ce fléau, moins redoutable par ses effets que par ses suites, réduisit la plupart des habitans à la plus affreuse indigence; MiFillassie?'consacra tous ses revenus potvr leurprocurer desremèdes. Ilfitvenir dés médecins habiles, qui, par leurs soins,extirpèrcntle mal: mais comme le nombre des pauvres et des infirmes s'étoit considérablement augmenté dans cette triste circonstance , et que le généreux curé n'étoit point assez riche pour les secourir , il vendit un petit bien de patrimoine la somme de dix mille livres , qu'il employa toute entière à leur subsistance. Quand sesinfirmités l'eurent obligé de quitter sa cure , il Se réserva une pension de deux cents livres, qu'il alloit, tous les ans , distribuer lui-même à ces mêmes pauvres ; ce' qu'il fit jusqu'à là fin de sa carrière bienfaisante. i5;Un pauvre officier réformé saisit un moment où. il exposa au duc deBerri , âgé de quatorze ans, l'indigence extrême où il se trouvoit. Le jeune prince lui dit qu'il étoit aii désespoir de ne pouvoir point l'assister alors ; mais qu'il devoit toucher , le lendemain , son mois , et qu'il pourrait, ce jour-là , lui donner quelques secours à lâchasse où il lui dit de le joindre. L'officier fut ponctuel au rendez-vous. Dès que le prince le vit, il lui mit dans la main une bourse où il y avoit Wente louis : e'étoit tout ce au'il reeevoit pour ses Tome L T
�20,0
BIENFAISANCE.
menus plaisirs d'un mois. L'officier, dans la joie qu'il eut de cette libéralité , sentit une inquiétude. Il appréhenda qu'on ne l'accusât d'avoir séduit le1 prince : il prévint le duc de Noailles à qui il raconta'" le fait. Ce seigneur le rassura, en lui disant que les libéralités-dés fils deFrance ne sont jamais vaines.Le soir, les princes firent une partie de lansquenet. Le duc dê Berri -refusa d'y tenir son coin. Il allégua plusieurs raisons dont on ne se paya point : il fu t obligé de dire la véritable. On lui demanda alors l'usage qu'il avoit fait de l'argent qu'il avoit reçu. Il répondit qu'il l'avoit donné à un pauvre officier ruiné par la paix; qu'il avoit mieux aimé se priver de ses plaisirs , que de laisser mourir de faim un homme qui avoit bien servi le roi. 16.On avoit défendu anciennement, enDanemarck, aux étrangers d'aborder dans l'île d'Islande , pour y •porter des marchandises. Il leur étoit aussi défendu de pêcher aux environs de l'île. Cette dernière défense ayant été levée , des Calaisiens allèrent à la pêche de la morue ; mais un gros temps les ayant portés dans l'Islande, ils ne résistèrent pas à l'envie d'y aborder , et d'y faire la contrebande. On les arrêta: on leur fit leur procès. Ils furent condamnés , suivant Ja loi : ils en appelèrent au roi dont la bienfaisance, la justice et l'humanité sont si reconnues dans toute i'Europe. Le monarque donna d'abord la grâce aux prisonniers français. 11 leur fit rendre ce qu'on avoit saisi, et les fit reconduire.Ensuite , examinant la loi, il la jugea trop sévère , et l'abolit. Ce trait de bienfaisance , publié avec reconnoissance par les Calaisiens même qui en avoient été l'objet, fut représenté dans un tableau exposé dans une fête que le prince de Croy donna lors du séjour que le monarque fit à Calais , pour se rendre en Angleterre. Ce même prince , étant revenu à Calais pour aller à Paris, reçut un placet d'un déserteur qui imploroit sa médiation. Aussitôt le premier mouvement du monarque fut de dépêcher un courrier à Versailles , pour demander grâce 5 et il a eu le plaisir de le faire annoncer au déserteur. L'héroïsme d'un grand cœur est de secourir l'humanité.
�S I E N F A I S A N C É.
I 291
17iUn ]eune ecclésiastique d'ungrandmérite et d'un
savoir profond, mais sans emploi, prêcha, un jour > dans la cathédrale deWorcester, en présence de l'évê-» que, qui étoit le docteur Hough. Il fit un excellentdiscours, et montra des talens rares. Le prélat, curieux de le connoitre , lui envoya le bedeau de l'église , avec ordre de lui demander son nom, s'il avoit un faé* néfiee , et dans quel lieu il vivoit. « Présentez mes « respects à milord, répondit le prédicateur. Vous lui « direz que mon nom est Louis ; que je n'ai point de « bénéfice; que je demeure dans la province de Gal« les, où je ne vis pas, mais 011 je meurs de faim.» L'évêque ne se borna pas à plaindre cet ecclésiastique : il le plaça sur-le-champ d'une manière avantageuse. ift.Tamerlan étant en Syrie avec son armée victorieuse ; un pauvre homme trouva par hasard , au m lieu de son champ qu'il labouroit, un vaisseau plein de monnaie d'or. Il fut obligé de le porter au conquérant, parce que les trésors cachés, étant découverts , appartiennent de droit au seigneur du lieu. Tamerlan, ayant fait vider le vaisseau, s'enquit de ceux qui étaient auprès de lui, si, dans cette monnaie, ils remarquoient l'effigie de quelqu'un de ses ancêtres: «Toutes ces piè« ces sont romaines, lui répondit-on.— Cela étant, « dit-il en faisant rendre le trésor au laboureur , gar« dons-nous bien d'ôter à ce pauvre homme ce qui « semble lui avoir été envoyé de Dieu. » 19. Un poè'te célèbre , nommé Mohammed Demeschki, raconte qu'étant un jour en conversation chez le fameux Fadhel-Ben-lahia, favori du calife HarounAl-Raschid, dans le temps qu'on lui récitoit plusieurs pièces de vers qui avoient été faites sur la naissance de son fils , tous ces ouvrages ne plurent pas à ce seigneur, qui me demanda , dit-il, si je ne composerois pas bien quelque chose sur le même sujet. Je le fis , pour lui obéir ; et ma production lui plut de telle sorte, qu'il me fit donner dix mille écus pour récompense.Sa disgrâce étant arrivée dans la suite des temps, je me trouvai un jour dans le bain , où le maître me donna un garçon assez bien fait pour me servir. Je ne
�2g2 BIENFAISANCE. sais par quelle fantaisie alors les vers que j'avois faits1 sur la naissance du fils de mon bienfaiteur me revinrent dans l'esprit, et je les chantois,lorsque tout d'un coup le garçon qui me servoit tomba de son haut, puis, s'étant relevé , me quitta aussitôt. Je me trouvai fort surpris de cette aventure ; et, étant sorti du bain , je me plaignis au maître de ce qu'il m'avoit donné , iour me servir , un homme qni tomboit du haut mal. I me jura qu'il ne s'en étoit jamais aperçu , et fit venir ce garçon en ma présence. Le jeune homme me demanda d'abord quel étoit l'auteur des vers que j'avois récités ? « C'est moi, répondis-je. — Pour qui « lesavez-vous composés ? répliqua-t-il. — Pour le fils « de Fadhel, ajoutai-je. — Et savez-vous bien où est « maintenant ce fils de Fadhel ? — Non. — Eh bien ! « regardez-moi, Mohammed, vous le voyez. Vos vers « m'ont rappelé mon ancienne fortune ; la tristesse « s'est emparée de mon ame , et je suis tombé de « douleur.» A ces mots , touché de la plus vive compassion pour le fils d'un homme à qui je devois tout, je lui dis : « Infortuné jeune homme , fils du plus « généreux des mortels , vous voyez que je suis déjà « vieux ; je n'ai point d'héritiers : venez avec moi de« vant le cadi ; je vais , dès ce moment, vous passer « une donation de tout mon bien , après ma mort. » Mais le jeune Fadhel me répondit, en versant des larmes : « A Dien ne plaise que je reprenne ce que « mon père vous a donné ! » et quelqu'instance que je lui fisse d'agréer de ma part quelque preuve de ma sincère reconnoissance pour sa maison , il ne fut jamais en mon pouvoir de lui faire accepter la moindre chose. 20. A la prise de Bresse parles Français , en i5i2, le chevalier Bayard reçut une dangereuse blessure. Ce héros fut transporté dans la maison la plus proche et la plus apparente. La dame du logis vint elle-même ouvrir la porte , le conduisit dans un fort bel appartement.Là,fondant en larmes, elle se jette aux genoux du chevalier, le conjure de lui sauver la vie, et de protéger l'honneur de deuxgrandes filles qu'elle avoifc
Î
�2g3 cachées au grenier sous du foin. Boyard, attendri , la relève , la rassure , calme ses craintes , et la prie de faire revenir son mari qui s'étoit réfugié dans un monastère. Le chevalier Sans-Peur éi Sans-Reproche passa cinq semaines dans cette maison, après lesquelles il se disppsa à rejoindre l'armée. Le matin du jour fixé pour son départ, son hôtesse vint lui rendre visite , portant une boîte d'acier pleine de ducats. Elle se jette aux pieds de Bayard.~Le chevalier la relève ; et, bayant fait asseoir auprès de lui : «■ Monseigneur, lui « dit-elle , la grâce que Dieu me fit, à la prise de « cette ville , de vous adresser en cette maison , ne « me fut pas moindre que d:avoir sauvé la vie à mon « mari, la mienne et de mes deux filles , avec leur « honneur qu'elles doivent avoir plus cher. Et davan-« tage , depuis que y arrivâtes , ne m'a été fait, ne « au moindre de mes gens , une senle injure, mais « toute courtoisie ; et n'ont pris , vos gens , des biens « qu'ils y ont trouvés , la valeur d'un quatrin , sans « payer. Monseigneur , je suis assez avertie que mon « mari , moi, mes enfans, et tous, ceux de la maison, « sommes vos prisonniers, pour en faire et disposera « votre bozi plaisir, ensemble des biens quisont céans. « Mais , connaissant lanoblesse de votre cœur, à qui « nul autre ne pourrait atteindre , suis venue pour « vous supplier très-humblement qu'il vous plaise « avoir pitié de nous, en élargissant votre accoutumée « libéralité. Voici un petit présent que nous vous fai« sons : il vous plaira le prendre en gré....Alors prit « la boîte que le serviteur tenoit, et l'ouvrit devant « le bon chevalier qui la vit pleine de beaux ducats. « Le gentil seigneur, qui oneques. en sa vie ne fit cas « d'argent, se prit à rire, et puis dit a la madame : « Combien de ducats y a-t-il ? La pauvre femme eut; « peur qu'il fût courroucé d'en voir si peu. Si lui dit: « Monseigneur , il n'y a que deux mille cinq cents << ducats ; mais si vous n'êtes content, nous en trou« verons plus largement.Lors lui dit le bon chevalier: « Par ma foi , madame , quand vous me donneriez « cent mille écus , vous ne m'auriez pas fait tant do
BIENFAISANCE.
�20,4
BIENFAISANCE.
« bien que de la bonne chère que j'ai eue céans, et « de la bonne Visitation que vous m'avez faite , vous « assurant que, en quelque lieu que je me trouve , au« rez, tant que Dieu me donnera vie, un gentilhomme « à votre commandement. De vos ducals , je n'en « veux point , et vous remercie : reprenez-les. Toute « ma vie ai toujours plus aimé les gens qne les écus; « et ne pensez aucunement que ne m'envoise aussi « content de vous , que si cette ville étoit en votre « disposition, et me l'eussiez donnée.La bonne dame <i fut bien étonnée de se voir esconduite. Si se remit « encore à genoux : mais guères ne lui laissa le bon «chevalier; et, relevée qu'elle fut, dit : Monsei■« gneur, je me sentirais à jamais la plus malheureuse « femme du monde , si vous n'emportiez si peu de « présent que je vous fais , que n'est rien au prix de « la courtoisie que m'avez ci-devant faite , et faites « encore à présent par votre grande bonté....Quand « le bon chevalier la vit ainsi ferme, et qu'elle faisoit « le présent d'un hardi courage , lui dit : Bien donc« ques , madame, je le prends pour l'amour de vous; « mais allez-moi quérir vos deux filles ; car je leur « veux dire adieu. La pauvre femme , qui cuidoit « d'être en paradis , de quoi son présent avoit enfin « été accepté , alla quérir ses filles , lesquelles étoient « fort belles et bien enseignées , et avoient donné « beaucoup de passe-temps au bon chevalier, durant « sa maladie , parce qu'elles savoient fort bien chan« ter, jouer du luth et de Fépinette , et fort bien « besogner à l'aiguille. Si furent amenées devant le « bon chevalier , qui , cependant qu'elles s'accou« traient, avoit fait mettre les ducats en trois parties, « ès deux à chacune mille ducats , et à l'autre cinq « cents. Elles arrivées , se vont jeter à ses genoux ; « mais incontinent elles furent relevées : puis la plus « aînée des deux commença à dire : Monseigneur , ■<< ces deux pauvres pucelles, à qui vous avez fait « tant d'honneur que de les garder de toute injure , « viennent prendre congé de vous , en remerciant « très-huinbîement votre seigneurie delagrace qu'elles
�BIENFAïSAN CE.
2Cp
« ont reçue , dont à jamais , pour n'avoir autre puis« sance, seront tenues à prier Dieu pour vous...Le bon « chevalier , cpiasi larmoyant, en voyant tant de dou« ceur et d'humilité en ces deux belles filles, répon« dit : Mesdemoiselles , vous faites ce que je devrois « faire ; c'est de vous remercier de la bonne compas « nie que vous m'avez faite , dont je m'en sens fort « tenu et obligé. Vous savez que gens de guerre ne « sont pas volontiers chargés de belles besognes pour «présenter aux dames. De ma part, me déplaît bien « fort que n'en suis garni, pour vous en faire présent, « comme je suis tenu. Voici votre dame de mère qui « m'a donné deux mille cinq cents ducats que voyez « sur cette table : je vous en donne à chacune mille , « pour vous aider à marier ; et', pour ma récompense , « vous prierez, s'il vous plaît, Dieu pour moi : n'autre «chose vous demande,.., Si leur mit les ducats en « leurs tabliers , voulussent ou non ; puis s'adressa à « son hôtesse, à laquelle il dit : Madame , je pren« drai ces cinq cents ducats à mon profit, pour les « départir aux j pauvres religions des dames qui ont « été pillées , et vous en donne la charge ; car mieux « entendrez la nécessité que tout autre ; et sur cela , « je prends congé de vous. Si leur toucha toutes en la « main, à la mode d'Italie ; lesquelles se mirent à « genoux , plorant si très-fort, qu'il sembloit qu'on « les voulût mener à la mort. Si dit la dame : Fleur « de la chevalerie , à qui nul ne se doit comparer, le « benoît Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ , qui « souffrit mort et passion pour tous les pécheurs , le « vous veuille rémunérer en ce monde ici et en « l'autre!...Le gentilhomme du logis, qui jà avoit en« tendu , par sa femme , la grande courtoisie de son « hôte , vint en sa chambre , et, le genou en terre , « le remercia cent mille fois , en lui offrant sa per« sonne et tous ses biens, desquels il lui dit qu'il « ponvoit disposer comme siens , à ses plaisirs et vo« lonté 5 dont le bon chevalier le remercia, et le fiÉ « dîner avec lui. » Voyez. BIENVEILLANCE , BONTÉ >
GÉNÉROSITÉ , HUMANITÉ , LIBÉRALITÉ.
Ta
�BIENSÉANCE.
BIENSÉANCE. ï. Louis fit une loi de ne porter que des habits fort simples, excepté aux jours de cérémonies. Robert deSorbonne, naturellement railleur, en prit occasion de plaisanter en présence du roi, sur la magnificence du célèbre Joinville : « Ne seriez-vous point à blâmer , « lui dit-il, si vous alliez vous asseoir ici, et prendre « place au-dessus du roi?—Oui vraiment.—Or, ëtes« vous moins à blâmer, quand vous êtes vêtu plus ri« chement que lui ? — Non, maître Robert } car cet « habit que je porte nra été laissé par mes père et « mère , et je ne l'ai point fait faire de mon autorité ; « mais vous êtes , au contraire , fort à blâmer , vous « qui , étant fils de vilain et de vilaine (on appeloit « ainsi les personnes d'une naissance obscure), avez « laissé l'habit de vos père et mère, pour prendre des « étoffes plus fines que celles du roi. » Alors le sire de Joinville compara l'habit du roi avec celui du railleur, en disant : « Or , regardez si j'ai dit vrai. » Joinville , par cette naïveté , mit les rieurs de son côté , et 1» prince défendit un peu le docteur , en disant « qu'il '« convenoit de s'habiller honnêtement , et de telle « manière que les princes du monde ne pussent dire : « Vous en faites trop 5 n'aussi les jeunes gens : Vous « en faites peu. » 2. S, Thomas d'Aquin , mangeant un jour avec le roi S. Louis, étoit moins occupé de l'honneur qu'il recevoit, que d'un point de controverse contre le système des Manichéens. Il s'écria, par distraction : » # Gela est décisif pour battre Manhs en ruine. » Son prieur, qui l'accompagnoit, rougit de l'inadvertance ; mais le monarque loin de s'en offenser, voulut savoir quel étoit cet argument décisif, et le fit écrire sur-le-champ par un secrétaire. Voyez. ATTENTIONS >
ÇJVILITÉ x POLITESSE , SAVOIR-VIVRE , URBANITÉ*
S.
�BIENVEILLANCE,
297
BIENVEILLANCE.
N reprochoit à un seigneur anglais le soin servie puleux qu'il prenoit d'enrichir ses vassaux, et de ne les pas retenir dans la crainte et dans la soumission. « Oh ! répondit-il, si je voulois plus de respect de « mes vassaux, je sais comme vous que la misère a « la voix humble et timide; mais je veux leur bonheur; « et je rends graceau Ciel, puisque leur insolence m'as« sure maintenant qu'ils sont plus riches et plus heu« reux ! » La ville de Paris, vivement pressée par lïeriti IV, députa le cardinal/Ze Gondi, son évêque, et l'archevêque de Lyon, pour aller faire des propositions à ce bon prince. « Je ne suis point dissimulé , leur dit le « monarque ; je dis rondement et sans feintise ce que « j'ai sur le cœur. J'aurois tort de vous dire que je ne « veux pointune paix générale : je la veux, je ladésire, « afin de pouvoir élargir les limites dece royaume. Pour « avoir une bataille , je donneras un doigt ; et pour la « paix générale, deux. J'aime ma ville de Paris : c'est « ma fille aînée ; j'en suis jaloux. Je lui veux faire plus « de bien, plus de grâces, plus de miséricorde qu'elle « ne m'en demande ; mais je veux qu'elle m'en sache « gré, et à ma clémence, non pas au duc de Mayenne « ni au roi d'Espagne. Ce que vous demandez dedif« férer la capitulation et reddition de Paris jusqu'à « une paix universelle , qui ne se peut qu'après plu« sieurs allées et venues , c'est une chose trop pré« judiciable à ma ville de Paris, qui ne peut attendre « un si long terme. Il est déjà mort tant de personnes « de faim , que si elle attend encore huit à dix jours, « il en mourra un très-grand nombre, qui seroit une « étrange pitié. Je suis le père de mon peuple. Je res« semble à cette vraie mère de Salomon : j'aimerois « quasi mieuxn'avoir point de Paris, que de l'avoir rui« née et dissipée, après la mort de tant de Parisiens.., « Vous , M. le csS3&ë>^ or, devez avoirpitiéj ce s»nt;
�298
BIENVEILLANCE.
« vos ouailles.... Je ne suis pas bon théologien ; mais « j'en sais assez pour vous dire que Dieu n'entend point « que vous traitiez ainsi le pauvre peuple qu'il vous a « recommandé.... Et comment voulez-vous espérer de « me convertir à votre religion, si vous faites si peu de. « cas du salut et de la vie de vos ouailles ? C'est me « donner une pauvre preuve de votre sainteté: j'ense« rois très-mal édifié. » Tels étoient les sentimens de ce grand et généreux prince : les maux qui accabloient ses sujets rebelles pénétroient son cœur compatissant et tendre. Il ne put soutenir l'idée de voir cette ville, dont la Providence lui destinoit l'empire, devenir un vaste cimetière. Il donna les mains secrètement à tout ce qu'il crut pouvoir la soulager, et ferma les yeux sur tous les secours de vivre que ses officiers et ses soldats y faisoient entrer fréquemment, soit par compassion pour des parens et des amis , soit erî vue de faire acheter ce secours bien cher aux bourgeois. Il pouvoit emporter Paris l'épée à la main : ses soldats , et les huguenots sur-tout, lui demandoient cette grâce à grands cris. Il résista toujours à leurs instances. Le duc de Nemours, qui commandoitdans cette capitale , ayant fait sortir une foule de bouches inutiles,le conseil du roi voulait qu'on leur refusât le passage. Henri, vivement touché de leur sort, ordonna qu'on les laissât sortir. «Je ne m'étonne pas, dit-il, siles chefs delaLigue^ « et si les Espagnols ont si peu de compassion de ces « pauvres gens-là ; ils n'en sont que les tyrans : mais « pour moi, qui suis leur père et \e\iv roi, je ne puis « les voir sans être ému jusqu'au fond de l'ame. » 3. Le czar Alexis, qui régnoit sur la Moscovie en 1646 , fut un prince rempli de bonté et de bienveillance. Lorsqu'on l'obligeoit de signer la sentence des criminels : « Hélas ! disoit-il , suis-je donc souverain « plutôt pour faire périr mes sujets que pour les con« server ? » Un jour, voyant qu'un de ces arrêts, qu'on lui présentoit à signer, n'étoit rendu que contre un déserteur , il mit au bas : « J'accorde grâce ; » et signa son nom.
4- Le nom du duc de Montmorenci rappelle toujours
�BONNE
FOI
299 "
celui de la bienfaisance et de tontes ces vertus sublimes dont l'objet est de rendre les hommes heureux. Son épouse lui montrant un jour un article du compte de sa dépense, qui lui paroissoit excessif, et sur lequel l'intendant lui avoit fait de vives plaintes, le pria sérieusement de modérer ses prodigalités. Après bavoir écoutée tranquillement, le duc la pria de lui donner l'article, afin qu'il l'examinât de plus près, et prenant aussitôt la plume, il écrivit au bas ces paroles : « Je vou«drois être empereur, pour en faire davantage. » Voyez.
AFFABILITÉ , AFFECTION , AMOUR DU PROCHAIN, BIENFAISANCE , BONTÉ , CHARITÉ , HUMANITÉ.
\X\\XV'W\'V%VX'V\X'VVXVV\X'VXX'W,W'V\\*X'VV'VV%.V1'V\\W'VX'V'\.1*V\\X,V,lW%\\Wtr
BONNE
FOI.
1 la vérité et la bonne foi étoient perdues, di« « soit ordinairement le roi Jean , il faudrait les cher^ « cher dans le cœur et dans la bouche des rois. » 2. Marins , arrivé d'Afrique,où il avoit essuyé le$ derniers malheurs, étant venu comme un misérable fugitif, se réfugier auprès du consul Cinna , qui, accompagné de Sertorius, soutenoit la guerre civile en Italie, Sertorius conseilla à Cinna de ne pas recevoir un homme tel que ce capitaine, qui n'étoit propre qu'à ruiner leurs affaires par ses cruautés et ses violences, et qui vondroit avoir dans l'armée la principale autorité. Cinna lui répondit que ses raisons étoient trèsbonnes, mais qu'il avoithonte dere\eler Marius, après l'avoir appelé lui-même , et l'avoir sollicité de venir dans son armée. Sertorius , l'interrompant alors , lui fit cette admirable réponse : « Je croyois que Marius « étoit venu de son propre mou vement en Italie ; c'est « pourquoi, dans le conseil que je vous donnois , je « n'avois égard qu'à ce qui me paroissoit utile. Mais, « puisque c'est vous-même qui l'avez fait venir , il ne « vous est pas même permis de délibérer. Le seul parti « qui vous reste , c'est de recevoir : la bonne foi ne « souffre ni raisonnement ni incertitude. » 1.
«S
�3oo BONNE t O I. 3. Gélon, roi de Syracuse, se piquoit d'une bonne foi à l'épreuve de tout. Ayant besoin d'argent pour une expédition qu'il méditoit, il s'adressa au peuple, pour en tirer une contribution suffisante. Mais, voyant que les Syracusains avoient peine à prendre sur eux cette dépense, il dit que ce qu'il leur dernandoit n'étoit qu'un emprunt, et qu'il s'engageoit à le leur rendre aussitôt après la guerre. Dans l'instant, les sommes lui furent fournies ; et il les rendit exactement au temps marqué. Quelle "resource pour l'état, qu'une telle équité ! Quel malheur et quel aveuglement d'y donner Ja plus légère atteinte / 4- Les enfans à? Anaxïlaùs , qui avoit été tyran de Zanèle , étant parvenus à l'âge viril, Hiêroh I, roi de Syracuse, les exhorta à prendre en mains les rênes du gouvernement, après s'être fait rendre compte par leur tuteur, qui s'appeloitiWïcyt/îg. Cel ui-ci ayant assemblé lesplus proches parens et les meilleurs amis des jeunes princes, rendit en leur présence un si bon compte de sa tutèle , que tous ravis d'admiration, donnèrent des louanges extraordinaires à sa prudence, à sa bonne foi et à sa justice. La chose alla si loin, que les jeunes princes même le pressèrent.très-vivement de vouloir bien continuer à se chargerdu gouvernement, comme il avoit fait jusques-là. Mais le sage tuteur, préférant la douceur du repos à l'éclat du commandement, et d'ailleurs persuadé que l'intérêt de l'état dernandoit que les jeunes princes gouvernassent par eux-mêmes , prit le parti de la retraite. 5. M. de Tu-renne, passant une nuit surles remparts de Paris , tomba entre les mains d'une troupe de voleurs qui arrêtèrent son carrosse. Sur la promesse qu'il leur fit de cent louis d'or, pour conserver une bague d'un prix beaucoup moindre, ils la lui laissèrent; et l'un d'eux osabien aller, le lendemain, chez lui, au milieu d'unegrande Compagnie, luidemanderàl'oreillel'exécution de sa parole. Le vicomte fit donner l'argent, et, avantde raconter l'aventure, laissa le temps au voleur de s'éloigner, en ajoutant qu'il falloit être inviolable dans ses promesses, et qu'un honnête homme ne
�BONNE FOI. ' 3 devoit jamais manquer à sa parole, quoique donnée des fripons même. 6. S. Louis, prisonnier des Sarrasins, étoit cor? avec ces infidelles de leur payer deux cent mille pour sa rançon. Philippe de Montfort fut chargé de compter cette somme aux vainqueurs. Mais il eut l'adresse de les tromper, en leur retenant dix mille livres; |et, charmé d'une fourberie qui pouvoit être fort avantageuse dans l'état de disette où se trouvoit l'armée, Il vint en instruire le roi. Le religieux monarque, pcmétré d'indignation aux paroles du comte, lui fit une luste et sévère réprimande de cette action qu'il appeloit perfidie, et lui commanda de la réparer à l'inslant. «. Non, dit-il, malgré le danger où sont exposés M mes jours à toute heure, je ne partirai point que les I; deux cent mille livres ne soient payées. Quel triomI; plie pour les infidelles, de voir un roi chrétien per« iide et parjure ! » I 7. Le vice-roi, qui commandoit dans Barcelonnepour Whilippe V, obligé de se rendre, en 1705, à milord wéterborough, régloit avec ce général les articles de A capitulation. Ils n'étoientpas encore signés, lorsque «ut-à-coup des hurlemens et des cris affreux se »nt entendre. « Vous nous trahissez, milord, s'écrie «le vice-roi : nous capitulons de bonne foi, et voilà les «Anglais qui sont entrés dans la ville par les remparts, llls égorgent, ils pillent, ils violent. — Vous vous ^méprenez, ré^onà'iX.Péterborough; ce sont sans doute es troupes du prince de Darmstadt. Laissez-moi enrer sur-le-champ dans la place avec mes Anglais : 'appaiseraitout; et je reviendrai à la porte de la ville chever la capitulation. » Il persuade. Onle laisse enr. Il court avec ses officiers. Il trouve des Allemands efldes Catalans qui saccageoient les maisons des prin<â>aux citoyens. Illeschassenlleur fait quitter le butin 'ils enlevoient. Il rencontre la duchesse de Popoli è»re les mains des soldats, près d'être déshonorée. Il «■•end à son époux. Enfin, ayant tout appaisé, il retourne à cette porte, et signe la capitulation. Le maréchal de Biron ayant pris, par com-
�3o2 BONNE FOI. position , la ville de Saint-Jean-d'Angely , la garnie son sortit avec armes et bagages , selon les conditions de la capitulation. Birôn se mit lui-même à la tête, pour l'escorter et la conduire au lieu où elle devoit se rendre. Pendant la marche, on lui vint dire que quelquesuns de ses soldats attaquoient ceux de la garnison ennemie qui étoient à la queue. Il mit l'épée à la main, et, transporté de colère, fondit sur ces lâches. « Ah! « coquins, leur dit-il, il y a deux jours que vous n'o« siez pas les regarder en face ; et, à cette heure qu'ils « se sont rendus, vous les attaquez lâchement ! Oh! « je vous apprendrai bien à déshonorer votre roi, el « à faire dire qu'il manque de foi. » g. A'grippad'Aubigné, l'undesplnsgrandshômmos de France , faisant la guerre en Saintonge, tomba dans une embuscade, et fut fait prisonnier. Il obtint de Saint-Leu, (fax commandoit les troupes catholique! en cette province, la permission d'aller passer quelques jours à la Rochelle, sur sa parole. A peine étoitil sorti, que Saint-Leu reçut ordre de le transférer a Bordeaux, bien lié et bien gardé. Saint-Leu, qui Tavoit fait avertir secrètement de ne pas revenir, fui très-étonné et très-fâché de le voir arriver. « Monsieur, « lui dit à'Aubigné, je viens me mettre entre w « mains , conformément à la parole que je vous el « avois donnée, et parce que d'ailleurs, si je ne l'avoii « pas tenue, je vous aurois compromis avec une cou « soupçonneuse et cruelle. Je sais que ma mort y é « résolue. Mes ennemis satisfairont leur haine : j'aur « satisfait à ce que je devois à l'honneur et à la r « connoissanee. » 10. Le P. deLaurihre, Franciscain portugais, ayat été pris par les Indiens, avec plusieurs officiers , d manda qu'onlelaissâtpartir, pour aller traiter lui-mèn de l'échange des prisonniers. Le roi de Cambaye parois soit inquiet du retour : le religieux détacha son cordei et le lui mit en main, comme le gage le plus assure sa foi. S ur cette unique assurance,onlelaissapàrtirnégociation fut infructueuse; et il revint dans les ft Le roi fut si frappé de çette fidélité, et il conçut un
�BONNE F 0 ï 3o5 si haute opinion d'un peuple qxii produis oit des hommes capables de cet acte de vertu, qu'il renvoya tous les prisonniers sans rançon. 11. Les Hollandais avoient formé un établissement considérable dans l'île Formose. Le Chinois Coxinga arme en 1662, pour les en chasser, et prend à la descente, Hambroêck, leur ministre, qui est choisi entre les prisonniers pour aller au fort de Zélande , déterminer les assiégés à capituler. Incapable de déguiser ses sentimens, il tes exhorte, au contraire, à tenir ferme, et leur prouve qu'avec beaucoup de constance, ils forceront l'ennemi à se retirer. La garnison, qui né doutait pas que cet homme généreux, de retour au camp,, ne fût massacré, fait les plus grands efforts pour le retenir. Ses instances sont tendrement appuyées par deux de ses filles qui étoient dans la place : « J'ai pro« mis , dit-il, d'aller reprendre mes fers ; il faut dé« gager ma parole. Jamais on ne reprochera à ma mé« moire que, pour mettre mes jours à couvert, j'aie « appesanti le joug et peut-être causé la mort des com« pagnons de mon infortune. » Après ces mots, comme un autre Régulus, il reprend, accompagné de sa seule vertu, le chemin du camp chinois. 12. En 1763, un Anglais, nommé Guillaume Orrebow, fut condamné à mort avec quinze autres coupables. La veille du jour de l'exécution, il eut envie de voir sa femme, et de lui faire ses adieux. Il avoit del'argent: il fit venir du vin, et invita le geôlier à boire avec lui. Quand il l'eut à demi-enivré, il lui expliqua ses désirs ; lui demanda lapermission de sortir pendant deux heures, s'engageantà revenir aussitôt, parles scrmensles plus forts. Le geôlier, échauffé par le vin, incapable de réfléchir, pénétré de reconnoissance pour celui qui l'avoit si bien régalé, ose compter sur sa parole. Les portes furent ouvertes. Orrebow vole chez son épouse, qui fut très-surprise delevoir, etqui ncmanquapas de l'exhorter à profiter delacircons tance. Orrebowr&ppeïïe saparoleetattestelasainteté dureraient. Toutcequ'ilse permet, c'est de passer la nuit avec elle. Le geôlier ayant, par le sommeil, dissipe les iluisious bachiques,
\
�3o4 BONS MOTS. ne voyant pas revenir son prisonnier, étoit dans une inquiétude mortelle. L'heure de l'exécution approche. Les chariots sont arrivés. Il devoit y avoir seize criminels : on n'en trouve plus que quinze. On le demande aù geôlier, qui raconte sa triste aventure. On se moque de sa confiance. L'affaire étant de conséquence, on le fait monter dans le chariot à la place du coupable; et l'on part pour Tyburn. Orrebow s'étoit oublié dans ïesbras de sa femme. Il dormoit profondément. Il se réveille enfin, s'informe de l'heure. Apprenant qu'il est tard, il sehàte de s'habiller, court à la prison. On étoit déjà parti. Il prend le chemin de Tyburn, rencontre enfin les chariots ; s'approche , hors d'haleine , de celui où est le geôlier ; « Descendez, lui dit-il, vous àvez tenu « ma place assez long-temps ; je viens la reprendre. Si « l'on ne s'étoit pas tant pressé de partir, vous n'au« riez pas eu la peine de venir jusqu'ici ; et moi, je « ne me serois point fatigué en courant pour vous rejoindre. » Il monte en disant ces mots; s'assied, reprend haleine, remercie encore le geôlier, et se plaint amèrement de ce qu'on l'a cru capable de manquer à sa parole. Quel que fût son crime, une bonne foi si héroïque sollicitoit puissamment sa grâce ; et je souffre de ne pouvoir dire si elle lui fut accordée.
BONS
MOTS.
i. LE philosophe Uiaj est pris par des voleurs, et mis en vente comme un esclave. Un petit-maître s'approche et l'examine : « Achètes-moi, lui dit le sage ; tu « as besoin d'un homme chez toi. » Un jour il se trouve sur le même vaisseau avec une foule de scélérats. Une tempête survint ; tous ces misérables commencèrent à invoquer , à grands cris , le secours des dieux : « Taisez-vous , malheureux, leur dit le phi« losophe ; si les dieux s'aperçoivent que vous êtes ici, « nous voilà perdus !» 2. Le philosophe Anacharsis dernandoit quelle éioit l'épaisseur des planches d'un navire : — De quaue pouce*/
�BONS MOTS. 3o5 pouces, lui répondit-on. « Ceux qui naviguent, répli« qua-t-il, ne sont donc qu'à quatre pouces de la « mort ? » Quelqu'un le prioit de lui dire quels étoient les meilleurs navires : «Ceux qui sont à sec, » répondit-il. Il paroît que ce prince scythe étoit plus sage que courageux. 3. Un sophiste grand parleur,pour exalter son art, disoit, en présence à'Agis II, roi de Sparte , que le discours étoit la chose du monde la plus excellente. « Quand tu ne parles point, lui répliqua le nionar« que , tu n'as donc aucun mérite? » 4. Un musicien se plaignant de ce que Denys le tyran ne lui donnoit rien, après lui avoir fait de grandes promesses : «Noussommes quittes , lui dit ce prince: « tu m'as flatté l'oreille d'un doux son, et moi, je t'ai « nourri de douces espérances. » 5. Alexandre dernandoit au philosophe Aratès, s'il ne désiroit pas de voir rétablir les murs de Thèbes , sa patrie : «Cela est inutile , répondit le sage ; qnand « ils seront rétablis , un autre Alexandre viendra « peut-être pour les renverser de nouveau. » ■ 6. L'aréopage délibérait sil'onaccorderoità^Zeaîawdre les honneurs divins , qu'il exigeoit en maître qui veut être obéi. Tous les sénateurs opinoient pour la négative. «Eh ! messieurs, leur dit Démades , prenez « garde en voulant défendre le ciel , de perdre la « terre. » Ce bon mot éclaira le sénat athénien : on prit un tempérament pour satisfaire un monarque à qui Jupiter lui-même n'avoit pu résister. 7. Alexandre voulut voir Diogène ; arrivé dans la cabane du philosophe , il le salua avec bonté. « Qui « êtes-vous ? demanda Diogène.—Je suis Alexandre, « ce roi dont on parle un peu.—Moi, je suis Diogène, « ce chien dont on dit quelque chose.—Pourquoi « prenez-vous un nom si bas ?—Parce que je flatte « ceux qui me donnent, que j'aboie contre ceux qui « me refusent , et que je mords les méchans. » 6. Aristodème , courtisan d'Anligonus, passoit pour être fds d'un cuisinier. Un jour il conseilloit à ce prince de diminuer ses dépenses et ses libéralités : « Tais-toiTome I. V
�3o6
BONS
MOTS.
« lui répondit le monarque , ce que tu dis sent le « tablier de cuisine. » 9. Favorisé par une faction puissante , plus d'une fois Philémon avoit remporté sur Ménandre la couronne poétique. Une comédie très - médiocre de ce rival venoit encore d'avoir la préférence. A la sortie du spectacle , Ménandre le prit en particulier, et lui dit en souriant : «Parle-moi franchement, mon cher « Philémon : ne rougis-tu pas quand tu l'emportes « sur moi ? » 10. Un homme en place , qui s'était rendu coupable ■àe plusieurs infidélités chez les Macédoniens , souffroit impatiemment qu'on l'appelât traître. Il s'en plaignit à Archélaïïs , roi de Macédoine. « Eh quoi ! << lui répoi>dit le monarque , vous prenez garde à ce « que disent ces marauts ?Ne savez-vous pas qu'ils « sont si grossiers ; qu'ils appellent les choses par « leur nom ?» On prête ce bon mot à bien des princes, sans doute parce qu'il est piquant. 11 .Antiochus faisoit défiler, en présenceà'Annibal, la nombreuse armée qu'il avoit, rassemblée pour commencer la guerre contre les Romains, et faisoit remarquer avec complaisance son infanterie, dont les enseignes brilloient'd'or et d'argent ; sa cavalerie , dont les mors , les harnois , les selles , les housses étaient chargés d'ornemens d'or ; ses magnifiques chariots armés de faux, et ses éléphans chargés de tours. Puis, adressant la parole au général carthaginois , il lui demanda s'il croyoit que c'en fût assez pour les Romains. « Sans doute , répondit Annihal , quand « même ils seroient encore plus avares. » Il conseilloit à Prusias de livrer bataille à l'ennemi. « Je n'ose , répondit le prince ; les entrailles de la vic« time ne m'annoncent rien de bon.—Eh quoi ! re« prit vivement Annibal, en croyez-vous plutôt une « misérable charogne qu'un vieux général ? » 12. On demandoit au poète Actius pourquoi , traitant si bien dans ses tragédies la partie des preuves et du raisonnement, il n'employoit pas son éloquence à défendre des causes : « C'est, répondit-il, que dans
�DONS MOTS. 3oy «.mes tragédies on. ne dit que ce que je veux , et « qu'au barreau les avocats des parties adverses di« roient souvent ce que je ne voudrois pas. » i3. Sylla étant préteur, eut quelque différent avec César, et s'étant échauffé, lui dit qu'il useroit contre lui du pouvoir de sa charge : « Vous faites bien de dire « votre charge, répondit César ; elle est à vous, vous « l'avez bien achetée. » i4- Faustus, fils de Sylla, après avoir dissipé tous les biens de son père , fut obligé , pour acquitter ses dettes , de mettre en vente jusqu'à ses meubles. Cicéron, faisant allusion aux tables de vente , qui étoient ce que sont aujourd'hui nos affiches, dit plaisamment : « J'aime mieux les tables du fils que celles « du père. Les tables de proscription de Sylla ont fait « périr une infinité de citoyens et ruiné larépub'ique; « celles de son fils ne sont funestes qu'à lui-même. » Un Romain ayant passé du camp de César dans celui de Pompée , dit qu'il avoit été si pressé , qu'il n'avoit pas songé à prendre son cheval : « En ce cas, « dit Cicéron , vous avez mieux pourvu à la sûreté « de votre cheval qu'à la votre. » Après la défaite dé Pompée dans les plaines de Pharsale, Nonius disoit : « Ayons bon courage, nous avons encore sept aigles. « — Cela seroit bon , répondit l'orateur romain , si « nous avions à combattre contre des geais. » 15. César fit donner cent sesterces à tous ceux qui jouoiènt à la paume avec lui; le scnlCéciliusMétellus n'en eut que cinquante : « Quoi! dit-il à César, est-ce « que je ne joue avec vous que d'une main , pour « n'avoir que la moitié de ce que vous donnez aux « autres? » Cette réflexion plaisante lui valut sur-le~ « champ mille sesterces. 16. Un chevalier romain étant mort, on trouva que ses dettes excédoient de beaucoup son bien : on vendit cependant ses meubles pour en acquitter une partie. Auguste ordonna qu'on achetât pour lui le lit de cet homme : « Il faut, dit-il en riant, que ce lit « ait une vertu soporifique , puisqu'un homme qui « devoit plus qu'il n'avoit., dormait dessus fort tran-
�3o8 BONS MOTS. « quillement. Ce lit sera excellent pour moi, qui ne « puis dormir. » 17. Un Romain nommé Granius , conseilloit à un mauvais orateur qui s'étoit enroué en plaidant, d'user d'une certaine boisson froide. « Mais cette boisson « me fera perdre la voix, dit l'orateur. — Et ne vaut-il « pas mieux que vous perdiez la voix , que la cause « de votre client ? » 18. L'empereur Domitien, dans ses heures de loisir, avoit coutume de s'enfermer seul dans sa chambre; et là , il s'amusoit à percer des mouches avec un poinçon d'or. Un courtisan demandoit un jour s'il y avoit quelqu'un avec César. « Personne , lui répondit Vïbius« Crispus, pas même une mouche. » 19. Le philosophe Favorin dit à un jeune orateur qui affectoit une grande obscurité dans son style , et se servoit de termes anciens et inusités : « Si vous ne « voulez pas être entendu, qui vous empêche de vous <i taire ? » 20. L'empereur Constantin faisoit remarquer à Hormisdas, seigneur persan, la majesté de la ville de Rome, la magnificence de ses édifices, la vaste étendue de son enceinte , l'éclat et la richesse de tous les monumens publics , et le pria de lui dire ce qui le frappoit davantage. « Ce qui m'étonne le plus, sei« gneur, répondit Hormisdas , c'est de voir que dans « une ville si remplie de merveilles , les hommes y « meurent comme dans les plus viles bourgades. » 21. Frédéric , roi de Naples , demandoit à ses médecins cequipouvoit rendre la vue meilleure? Chacun dit son sentiment et donna sa recette. Le poète Sannazar , présent à cet entretien , dit qu'il savoit un moyen plus sûr que tous ceux que l'on avoit proposés : « Eh! quel est-il ? — C'est l'envie ; car elle fait voir « les choses plus grandes qu'elles ne sont. » 22. Charlemagne s'efforçoit d'attirer auprès de lui, par ses largesses , les plus savans hommes de toutes les parties du monde. Il se plaignoit un jour h.Alcuin, l'un des savans de sa cour , du peu de succès de ses recherches : «PlûtàDieu, lui dit-il, que j'eusse douze
�BONS MOTS. 009 hommes aussi savans que Jérôme et Augustin ! — Quoi ! prince, répondit Alcuin, le créateur du ciel et de la terre n'a eu que deux hommes de ce mérite , et vous en voudriez douze ? » 23. S. Thomas d'Aquin entroit dans la chambre du pape Innocent IV, pendant que l'on comptoitde l'argent : « Vous voyez , lui dit le pontife, que l'Eglise « n'est plus dans le siècle où elle disoit : Je n'ai ni « or ni argent. — Il est vrai, saint père , répondit le « pieux docteur ; mais aussi elle ne peut plus dire au « paralytique : Lève-toi et marche. » 24. Charles VII se trouva presque dépouillé de tous ses états au commencement de son règne, et il ne lui restoit qu'Orléans et Bourges : aussi ses ennemis l'appeloient-ils par dérision , le roi de Bourges. Cependant, tandis que les Anglais parcouroient ses provinces en conquérans présomptueux, Charles se livroitaux plaisirs, ctnesongeoitqu'à donner des fêtes. Un jour qu'il dansoit dans un ballet qu'il avoit imaginé lui-même , deux de ses courtisans , Potron de Saintrailles et Etienne Vignoles entrèrent dans la salle.Le monarque les ayant aperçus, leur dit : « Eh « bien ! mes amis, que pensez-vous de cette fête ? Ne « trouvez-vous pas que je me divertis bien ? — Oui , « sire, répondit l'un deux , il faut convenir qu'on ne « sauroit perdre une couronne plus gaiement. » 25. On vantoit, en présence de Louis XI, un magnifique hôpital qu'avoit fait bâtir un ministre connu par ses concussions et ses rapines : «Iln'a fait que ce « qu'il a dû, répondit ce prince : il étoit bien juste « qu'après avoir fait tant de pauvres pendant sa vie , « il leur donnât un logement après sa mort. » 26. François 1 se moquoit souvent de l'avarice et des rapines du chancelier Duprat. Ce ministre avoit faitbâtir à l'Hôtel-Dieu de Paris, cette salle que l'on appelle du Légat. « Elle sera bien grande, dit le roi , si « elle peut contenir tous les pauvres qu'il a faits. » 27. Après la bataille d'Ivry, Henri IV dit en plaisantant sur le grand nombre d'Espagnols restés parmi les .morts: « Quoi qu'en diselaLigue, jeconnoisbienque-
« « « «
�3lO
BONS
MOTS.
« je suis roi de France , car j'ai guéri bien des Espa« gnols des écrouelles. » On a cru j sur une tradition purement populaire , que nos rois a voient reçu le don de guérir les écrouelles , en prononçant ces mois, et en touchant les malades : Le roi te louche ; Dieu te guérisse ! A cette même bataille , Henri //^payoitde sa personne comme un simple soldat, et disoit , à chaque coup qu'il portoit: « Le roi te touche ; Dieu te guérisse ! » Dans cette journée , François de Pas reçut mie mort glorieuse , après avoir combattu en héros sous les yeux du roi. Ce prince , affligé de la perte d'un homme dont la famille s'étoit tonjours extrêmement distinguée, s'écria: «Ventre-saint-gris ! j'en suis fâché. « N'y a-t-il plus de cette race ? » On lui répond que la veuve est enceinte. « Eh bien ! répliqua-t-il, je « donne au ventre la même pension que celui-ci avoit.» Ce grand monarque apprenant que M. d'O , surintendant des finances , étoit dangereusement malade , en témoigna beaucoup de joie , et dit aux seigneurs de sa cour qu'il alloit enfin se trouver en état de récompenser leurs services , puisque d'O ne tiendrait plus les cordons de sa bourse. Un poète affamé 'ayant présenté à ce prince l'anagramme de son nom, dans l'espérance d'en recevoir une récompense , le monarque lui demanda quelle étoit sa profession : « Hélas f sire, répondit-il, ma « profession est de faire des anagrammes ; mais le « métier ne va pas , et je suis fort pauvre.—Oh ! je « le crois bien , reprit Je roi •■, car vous avez là un « pauvre métier. » Fatigué d'un long voyage , et passant par Amiens , on vint lui faire une-harangue.L'orateur la commença par les titres de très-grand, très-bon , très-clément , très-magnanime. «Ajoutez aussi, dit le roi, et très-las.» Unautre harangueur s'étantprésenté à l'heure de son dîner, et aj^ant commencé son discours par ces mots : « Agésilaïïs , roi de Lacédémone , sire : » le roi qui craignit que la harangue ne fût un peu longue, lui dit, en l'interrompant: Ventre-saint-gris ! j'ai bien entendu
�BONS
MOTS»
3ll
« dire quelque chose de cet Agésilaùs ; mais il avoit « dîné , et je suis à jeun , moi. » Un homme quimangeoit autant que six, se présenta devant lui, dans l'espérance que ce prince luidonneroitde quoi entretenir un si. rare talent. Le roi , qui avoit déjà entendu parler de cet illustre mangeur, lui demanda si ce qu'on disoit de lui étoit vrai, qu'il mangeoit autant que six : « Oui, sire , répondit-il.— « Et tu travailles à proportion , ajouta le roi ? — Je « travaille autant qu'un autre de ma force et de mon « âge , répliqua cet homme. — Ventre-saint-gris ! dit « le monarque , si j'en avois six comme toi dans mon « royaume , je les ferois pendre : de tels coquins l'au« roient bientôt affamé. » Quelqu'un lui disoit un jour que le maréchal de Biron jouoit fort bien à la paume. Henri IV , qui avoit découvert la conspiration que ce seigneur tra.moit secrètement contre l'état, répondit : « 11 est vrai « qu'il joue bien ; mais il fait mal ses parties. » Henri passoit par une petite ville. Plusieurs députés vinrent au devant de lui pour le haranguer. Un d'entre eux ayant commencé son discours , fut interrompu par un âne qui étoit à vingt pas de là, et qui se mit à braire. «Messieurs, dit le roi, parlez chacun à « votre tour, s'il vous plaît; je ne vous entends pas. » On représentoit à ce prince les difficultés qu'il alloit rencontrer dans son projet d'humilier l'Espagne. «Tout « peut me réussir , répondit-il, avec mon compère le « connétable ( Henri de Montmorenci ) qui ne sait, « pas lire , et mon chancelier ( Sillery ) qui ne sait « pas le latin. » Un président du parlement de Rouen s étant présenté pour lui faire une harangue , commença , et ne fut pas long-temps sans rester court. Le roi souriant, dit à ceux qui Faccompagnoient ; « Il n'y a rien d'ex« traordinaire ; les Normands sont sujets à manquer « de parole. » Henri dinoit un jour avec le duc de Mayenne, Charles de Lorraine, les ducs de Joyeuse aide Lesdiguihres :il n'y avoit qu'eux à table. «On trouve, leur dit-il , au
V4
�3l2 BONS MOTS. « monde des gens de toutes conditions et de toute « espèce ; mais on seroit bien embarrassé d'assembler << quatre personnes plus différentes : on trouve en nous « quatre, un pécheur converti (Henri IV lui-même), « un ligueur repenti (le duc de Mayenne), un capucin « diverti (le duc de Joyeuse qui avoit quitté le froc) , « et un huguenot perverti (le duc deLesdiguieres, qui, « par ambition , avoit quitté le calvinisme.) » Un Provençal, qui avoit acheté bien cher un office de président, et qui en avoit emprunté l'argent, étant venu le saluer, il dit tout bas à un seigneur qui étoit auprès de lui : « Voilà un bon magistrat! Je crois qu'il « s'acquittera bien de sa charge, et en peu de temps. » Un fameux médecin ayant quitté le calvanismepour embrasser la religion catholique, il dit au duc de Sully : « Sully , mon ami , ta religion est bien malade ; les <i médecins l'abandonnent. » 28, Louis XIII, encore enfant, avoit refusé de prier Dieu ; la reine-mère lui fit donner le fouet par M. de Souvrè, son gouverneur. Le jeune monarque résista d'abord ; puis il dit : « Je vois bien qu'il faut en passer « par là; mais, ajouta-t-il,'en s'adressant à son gou« verneur, M. de Souvrê, allez-y doucement, je vous « prie. » Le lendemain il alla voir la reine sa mère. Cette princesse se leva, et lui fit une profonde révérence : « Eh ! madame, lui dit-il, faites-moi moins de « révérences, et ne me faites pas donner le fouet. » 20. Le célèbre maréchal de Bassompierre, le plus intrépide buveur de son siècle, étoit fertile en saillies et en bons mots. Un pou s'étant trouvé sur son habit, Louis XIII le badina long- temps, sans qtie ce seigneur répondît rien. Le roi continuant ses reproches , Bassompierre lui répondit enfin : « Sire, ne craignez« vous pas qu'on ne pense qu'il n'y a que des poux « à votre service ? » 3o. Anne d'Autriche , mère de Louis XIV, avoit la peau si fine et si délicate, qu'on ne pouvoit trouver de batiste assez fine pour lui faire des chemises et des draps. Le cardinal Mazarin lui disoit : « que si elle alloit en « enfer} elle n'auroit pas d'autre supplice que celui de
�BONS MOTS. 3l3 « coucher dans des draps de toile de Hollande. » 31. La république de Gênes ayant osé braver Louis XIV, fut forcée d'envoyer en France , pour faire des excuses au monarque, son doge, accompagné de quatre sénateurs ; ce qui étoit sans exemple. On fit voir à ce doge , Versailles dans tout son éclat : on, lui demanda ensuite ce qui l'avoit le plus frappé dans ce lieu enchanté: « C'est de m'y voir, » répondit-il. 32. Des Hollandais disoient à un Français queMons leur seroit rendu par la paix de Riswick. «Je le crois, « répondit le Français : nous ne pourrions le garder ; « car lorsque nous l'avons pris, il y avoit plus de cin« qnante mille témoins. » 33. Un des derniers rois d'Espagne , auquel le sort des armes avoit enlevé plusieurs places considérables, recevoit cependant de la plupart de ses courtisans le titre de grand. « Sa grandeur , dit un Espagnol, res« semble à celle des fossés, qui deviennent grands à « proportion des terres qu'on leurôte.» 34. Dans une guerre de la France contre l'Espagne, les armes françaises avoicnt pris un ascendant dércidé sur les troupes espagnoles , et étoient en possession de les battre. La cour de Madrid , pour couvrir autant qu'il étoit possible les fautes de ses généraux, se donnoit un air de victoire après chaque bataille.Un Français osa en marquer sa surprise à la marquise de Grana. «Laissez-les se contenter tant qu'ils voudront, « lui dit finement cette dame : vos feux sont des feux « de joie , et les nôtres sont des feux d'artifice.» 35. Le duc de Roquelaure n'étoit pas beau. Il rencontra un joui un Auvergnat fort laid, qui avoit des affaires à Versailles. Il le présenta lui-même à Louis XIV, en lui disant qu'il avoit les plus grandes obligations à ce. gentilhomme. Le roi accorda 3a grâce qu'on lui demandoit, et s'informa du due quelles étoient les obligations qu'il avoit à cet homme : «Ah ! sire , ré« pondit-il , sans ce magot-là, je serois l'homme le « plus laid de votre royaume. » 26. M. de Valbelle , qui étoit vieux et cassé , demandoit ayeç beaucoup de vivacité d'être fait lieute-
�3l4
BONS
MOTS.
nant-général. «J'y penserai, dit LouisXIV. — Que « votre majesté se dépêche, reprit ce brave officier, « en ôtant à demi sa perruque ; elle doit voir à mes « cheveux blancs que je n'ai pas le temps d'attendre.» Ce bon mot hardi fut suivi d'un prompt succès. Zj. Un officier gascon sollicitoit le payement de sa pension auprès de M. Desmarets , ministre d'état, qui lui dit que sa pension étoit une chanson. Il se présenta devant le roi, tenant à sa main le brevet de sa pension et grondant un air entre ses dents. Le roi lui demanda ce qu'il vouloit : «Sire, dit-il, j'ai demandé « à M. Desmarets le payement d'une pension que vous « m'avez accordée : il m'a dit que c'étoit une chanson ; « j'en cherche l'air. » Le monarque se mit à rire , et fit payer la pension. 38. Uu abbé de qualité représentait au père de la Chaise, qui avoit la feuille des bénéfices, que depuis long-temps il lui demandoit un bénéfice. « Votre « heure n'est pas encore venue , lui dit ce Jésuite.— « Elle viendra, lui repartit l'abbé, quand il vous « plaira; car vous gouvernez le soleil. » Le soleil étoit l'emblème de Louis XIV. 3g. M. le Prince faisoit voir à Boileau son armée , qui étoit toute composée de jeunes gens, dont le plus âgé n'avoit pas dix-huit ans. « Eh bien ! qu'en pensez« vous ? dit M. le prince. — Monseigneur , répondit « Boileau, je crois qu'elle sera fort bonne quand elle « sera majeure. » 4°- Le président Le Coigneux dit à l'huissier Maillard de faire faire silence. Cet huissier, à tout moment d'une voix fort haute , disoit : « Taisez-vous donc ! « taisez-vous!» Lui seul troubloit l'audience. Le président lui dit à la fin : « Huissier , faites taire Mail« lard. » 41- Un moine vint à l'audience d'un ministre , avec une grande boîte sous son manteau. Quelqu'un demanda ce que c'étoit. « C'est , dit le moine , un mo« dèle de machine nouvelle de mon invention , qui , « à défaut d'eau et de vent, fera aller les moulins par « le moj'en de la fumée. » Un vieux militaire répon-
�BONS MOTS. 3l5 « dit : « Eh ! mon révérend , il n'y a là rien de nou« veau 5 c'est avec cela qu'on fait aller en avant les « bataillons.» 4-2. Roi , poète lyrique , tomba en sortant de la comédie , parce qu'il s'étoit embarrassé le pied dans la robe d'une dame. Comme celle-ci lui faisoit des excuses : « Ah ! madame, il n'y a pas de mal, lui dit Roi; « les auteurs sont accoutumés à tomber ici. » 43. Malherbe dînoit chez l'archevêque de Rouen. A peine fut-il sorti de table , qu'il s'endprmit.Le prélat qui devoit prêcher , et qui prêchoit très-mal,' l'éveilla et l'invita au sermon. « Ah ! monseigneur , dit « Malherbe, dispensez-m'en , s'il vous plaît 5 je dor« mirai bien sans cela. » 44- M. Boileau , doyen de l'église métropolitaine de Sens, voyant l'approbation de M. de Reims au livre de M. l'abbé de la Trappe, jdit : « C'est le mardi-gras « qui approuve le vendredi-saint.» 45. Jean de Launoi, savant docteur en théologie , détrompa de plusieurs erreurs dans le siècle dernier , et rechercha sur-tout l'existence des saints , dont il détrôna un très-grand nombre. Toutes les fois qu'il étoit rencontré par le curé de S. Eustache, ce pasteur lui ôtoit humblement son chapeau , et lui faisoit de profondes révérences : « Je tremble toujours, disoit« il, qu'il ne m'ôte mon pauvre S. Eustache , qui ne « tient presqu'à rien. » 46.L'abbé Régnier , secrétaire de l'académie française , y faisoit un jour dans son chapeau la collecte d'une pistole que chaque membre devoit fournir pour une dépense commune. Cet abbé ne s'étant point aperçu que le président Rose, homme fort avare , eût mis dans le chapeau , il le lui présenta une seconde fois : celui-ci protesta qu'il avoit donné : « Je le crois , «dit l'abbé Régnier, mais je ne l'ai point vu.—Et « moi , ajouta M. de Fontenelle qui étoit à côté, je « l'ai vu ; mais je ne le crois pas. » 47- Backtishua alla un jour faire sa cour au calife Mutevekkel, qui aimoit beaucoup ce médecin célèbre, et le trouva seul. Il s'assit près de lui, suivant sa cou-
�Ol6
BONS
MOTS.
tume. Comme sa veste étoit un peu décousue par le bas, le prince , en discourant, acheva insensiblement de la découdre jusqu'à la ceinture ; et dans ce moment, suivant le sujet dont ils s'entretenoient, il demanda au médecin à quoi l'on connoissoit qu'il étoit temps de lier un fou. Backtishua répondit : « Nous le « lions , lorsqu'il est venu au point de découdre la « veste de son médecin jusqu'à la ceinture. » 4B- Besme , assassin de l'amiral de Coligni, eut l'imprudence de passer par laSaintonge, où les huguenots avoienl des troupes : il fut pris et enfermé au château de Bouttevilie , dont Bertanvïlle étoit gouverneur. Besme, ayant gagné un soldat de la garnison, se sauve. Le gouverneur en ayant été informé, monte aussitôt à cheval, court seul après lui et l'arrête.Alors Besme , prenant un de ses pistolets , dit au gouverneur : «Tu sais que je suis un mauvais garçon : » en même temps il tire son coup , et le manque. « Je ne « veux plus que tu le sois, «répliquale gouverneur, en lui passant son épée au travers du corps. 4q. Un paysan , venu nouvellement à Paris, vit entrer dans un bureau de change beaucoup de monde, qui en sortoit sans rien emporter. Curieux , il y entre lui-même ; et n'apercevant plus ni acheteurs ni marchandises : «Je vous prie , monsieur, dit-il au maître « du bureau , de vouloir bien me dire ce que l'on « vend ici ? — Des têtes d'ânes. --Mais , monsieur, il « faut que vous en aviez bon débit, puisqu'il ne vous « en reste plus qu'une. » 50. Il vaudrait mieux ne point récompenser une belle action , que de la récompenser mal. Un soldat avoit eu les deux bras emportés dans un combat. Son colonel lui offrit un écu. Le soldat lui répondit, jurant en grenadier et demi: « Vous croyez sans doute , « mon colonel, que je n'ai perdu qu'une paire de gants. « 51. Un libertin , attaqué d'une maladie mortelle , fit son testament. Suivant la formule , il y mit ces mots: « Premièrement, je donne et lègue mon ameàDieu.» Aussitôt un plaisant s'écria « Oh ! je crains bien que « Dieu ne renonce à la succession. »
�BONS
MOTS.
Z\y
52. On disputait dans un repas , sur l'antiquité du
monde. Quelqu'un , qui avoit écouté paisiblement la dispute, la termina par ces mots : «Pour moi, je crois « que le monde ressemble à une vieille coquette qui « déguise son âge. » 53. Un cavalier battoit son cheval, qui lui donnoit des ruades, et ne vouloit pas avoir le dernier : « Eh ! « monsieur, lui dit un passant, montrez-vous le plus« sage.» 54- On parloit à un homme d'esprit d'une personne que l'on désiroit lui faire eonnoître ; et pour la faire valoir , on lui disoit qu'elle savoit tout Montaigne par cœur : « J'ai le livre ici, » répondit-il froidement. On invitoit un Lacédémonien d'aller entendre un homme qui imitoit parfaitement le rossignol. Il répondit: «J'ai souvent entendu le rossignol même. » 55. Un homme fort âgé , dont l'esprit étoit baissé, avoit néanmoins de temps en temps des saillies heureuses ; ce qui fit dire à quelqu'un , « que c'étoit un « vieux château où il revenoit des esprits. » 56. Un paysan avoit confié un procès à un procureur ; mais il ne se mettoit point en état de le payer. Le procureur lui dit : « Mon ami , ton affaire est si « embrouillée que je n'y vois goutte. » Le villageois , qui comprit le sens de ces paroles, tira deux écus de sa poche, et les présentant au suppôt de Thémis : « Monsieur , lni dit-il, voilà une belle paire de besi« cles ! » Effectivement le procureur y vit plus clair dès ce moment ; mais pour achever de lui rendre la vue , il fallut que le villageois entretînt les lunettes. 57. Un grand seigneur camard ayant donné l'aumône à un pauvre : « Dieu vous conserve la vue ! lui « dit ce misérable. —Pourquoi fais-tu cette prière ? — « Eh ! monsieur, si votre vue s'affoiblissoit, comment « pourriez-vous porter des lunettes?» 58. Une dame qui, par un trop grand usage de vin et de liqueurs , avoit le teint échauffé et le nez rouge, se considérant au miroir, s'écrioit : « Mais où donc « ai-je pris ce uez-là ? » Quelqu'un lui dit : «Au buffet, « madame , au buffet. »
�3*8
B O N/S
MOTS.
5c). Un ivrogne s'étoit pendu à un arbre ; quelques voyageurs demandèrent : «Qui est-ce qui s'est pendu « à cet arbre ? — C'est une bouteille , » leur dit quelqu'un qui connoissoit le défunt. 60. Un prélat ayant été long-temps à Rome pour solliciter le cardinalat, échoua dans son dessein. Etant de retour.à la cour de France, il fit un compliment au roi, que sa majesté n'entendit point, parce que le prélat étoit enrhumé. Un seigneur dit au monarque : « Sire, ce rhume ne doit pas vous étonner ; monsieur « est revenu de Rome sans chapeau. » 61. On demandoit à l'esclave d'un homme fort avare , ce que faisoit son maître. « Mon maître , ré« pondit-il, attend pour boire son vin, qu'il soit « devenu aigre. » 62. Un avare parloit beaucoup et fort mal. Sa bourse étoit toujours fermée, et sa bouche toujours ouverte; on lui dit : « Mettez votre or dans votre bouche, et « votre langue dans voire bourse. » Un sot railloit un homme d'esprit sur la grandeur de ses oreilles : « Il est vrai, répondit celui-ci, que « je les ai trop grandes pour un homme ; mais con« venez que vous les avez trop petites pour un àne. » 63. Un Gascon voulant prendre un perdreau dans un plat, en prit deux pour un , parce qu'ils étoient attachés ensemble. Une personne qui étoit auprès de lui, ayant essayé d'en faire tomber un dans le plat : « Non pas cela , dit le Gascon , quand ils devraient « s'égorger , je ne les séparerai pas. » 64- Un marquis disoit a un financier : « Vous devez « savoir que je suis homme de qualité. » Le financier répondit : « Et moi, je suis homme de quantité..» 65. Une Gasconne parlant d'un prédicateur dont elle avoit entendu le sermon de fort loin : « Il m'a , « dit-elle, parlé de la main , et je l'ai écouté des « yeux.» 66. Une bourgeoise prenoit le titre de marquise, afin de passer pour une dame de qualité. « Madame, lui « dit quelqu'un , prenez garde à ce que vous faites, a le sobriquet de marquise pourrait bien, vous rester.»
�! O K T, É, 3ig 67. Un médecin essayoit de démontrer devant Fontenelle , que le café est un poison lent: « Ah ! très« lent, docteur , reprit l'académicien ; car il y a près « de quatre-vingts ans que j'en use , et me voici « encore. Voyez PLAISANTERIE , REPARTIE.
^^\^'V\^'V"^xx\vx•v1•v^^\\^vv'V'v■v•vxx'V1■^■^.x■^.•».x\x'v\•v\l.v•v•».'vv■v'^xx•\xv■\1^■v•VT^\l.-^,
mérite le titre de bon, qui sait s'àrà propos de sévérité contre le vice ; autrement la bouté n'est qu'une foiblesse de famé, ou une paresse de la volonté. Des Grecs lonoient devant le roi de Lacédémone l'extrême bonté de Charïlaùs , son collègue : « Eh ! comment seroit-il bon , leur dit-il, s'il « ne sait pas être terrible au méchans ? » 7 2.Les amis de l'empereur J "espasienlui conseillèrent de se défier d'un certain Métius-Pomposianus, parce que le bruit s'étoit. répandu qu'il devoit un jour parvenir à l'empire. Vespasien , bien loin de pourvoir à sa propre sûreté, éleva au consulat ce même Métius; et voyant ses amis surpris de sa conduite : « Si Métius « doit régner , répondit-il, je veux me le rendre « favorable par des bienfaits. Il se souviendra de « moi , quand il sera empereur. » Ce prince avoit porté un édit qui bannissoit de orne tous les philosophes. Démétrius , philosophe ynique , refusa d'obéir. Il affecta même de se monrer devant Vespasien avec insolence , ne se levant j-oint pour le saluer, et ne lui rendant aucune marque de respect : « Mon ami, lui dit l'empereur, tu m fais tout ce qui est en toi pour que je t'ôtc la vie ; K mais je ne tue point un chien qui aboie. » I Z.Pysistrate étant à table, un des convives, échauffé Bar le vin, commença à lui dire des injures. Ses amis lii conseilloient de punir cet insolent, v mais Pysistrate ■ur répondit : « Si , lorsque je passe dans la rue, un I aveugle venoit heurter contre moi , me conseilleriea■ vous de le punir?»
mer
1
c
-^ELtri-LAseul
BONT É.
�320 BONTÉ. Des jeunes gens, échauffés par le vin , rencontrèrent la femme de ce prince, et l'insultèrent. Le lendemain, lorsque la raison leur fut revenue , ils allèrent se jeter aux pieds de Pysistrate, fondant en larmes, et lui demandant pardon. Il les releva avec bonté, et leur dit : « Allez , et soyez plus sobres. » 4- Un homme de la lie du peuple, insolent et querelleur , prit à tâche d'insulter Périclès, le plus illustre et le plus puissant Athénien de son siècle : tant qu'il resta dans la place publique, il ne cessa de l'outrager. Périclès , sans faire attention à ce qu'il disoit, expédia tranquillement ses affaires 5 et lorsqu'elles furent finies , et que le jour commença à baisser , il prit le chemin de sa maison. Notre homme ne lâcha point prise , et reconduisit Périclès, en vomissant mille injures contre lui. Cet illustre citoyen , pour toute vengeauce , étant arrivé chez lui , dit à l'un de ses esclaves : « Prends un flambeau , et conduis cet « honnête homme jusqu'à sa maison. » 5. Lorsque Lycurgue voulut établir la réforme dans Lacédémone, une foule.de citoyens s'éleva contre lui, et lui jura une haine éternelle. Unjeunehomme entre autres , nommé Alexandre , le poursuivit dans la place publique , et lui ereva un oeil d'un coup de bâton. Le peuple , indigné de cette violence, livra le coupable au législateur , afin qu'il en tirât vengeance. Lycurguel'emmeno chez lui , et le traita avec tant de douceur et de bonté , que le jeune homme, charme de sa vertu, fut depuis un de ses plus zélés partisans. 6. Pendant qu'Alexandre traversoit un pays voisin de la mer Caspienne , quelques Barbares se jetèrent à l'improviste sur ceux qui conduisoient le cheval Bucéphale, et le prirent. Le prince en eut un tel chagrin, qu'il envoya sur-le-champ un héraut déclarer à cens du pays, que s'ils ne lui ranvoyoient son cheval, il h feroit tous passer au fil de l'épée , sans épargner les femmes et les enfans. Intimidés par ces menaces, ib *e hâtèrent de lui ramener Bucéphale , et lui livrèrent en même temps toutes leurs places. Le monarqnf calmé les traita très-humainement , et paya mêm
�Ja rançon dè mené.
BôNTÈ. 3M son cheval à ceux qiû Pavoient râ*
7. Pyrrhus , roi d'Epire , apprit que deux jéUnesi gens, étant à boire ensemble, avoient tenti contre lui des propos téméraires et insolens ; il les fit venir en ià présence, et , d'un ton menaçant, leur demanda s'il étoitvrai qu'ils eussent osé parler de leur roi avec tarit d'impnïde'nce ? « Il est vrai -, prince , répondit l'un « d'eux , et nous en eussions bien dit davantage' , si « le viil ne nous eût Manqué. » Le monarque' rit beaucoup de cette saillie ; et leur pardonna. Denys l'ancien , tyran de Syracuse , n'avoit pas montré autant de clértlenée dans mie occasion semblable. On lui rapporta que deux jeuheS citoyens, au. milieu de la débauche , avoient parlé fort librement sur son gouvernement et sur sa personnel Le despote les fit venir dans son palais 3 et les fit diner avec lui. t Jn des jeunes gens s'enivra ; et Se mit à débiter mille extravagances s l'autre bitt peu , et fiit très-sobre durant tout le repas. Denys pardonna au premier, j ligeàwt qu'il ne devoit attribuer qu'à l'ivresse la liberté dé ses disedufs ; mais il fit mourir le second; 8. Un homme accusoit sort concitoyen de prétendre à l'empire, et ne se rebutoit point du silence de Julien l'apostat, qui, plusieurs jours de suite , avôit feint de ne le point entendre. Enfin , pOiir se délivrer de cet importun j le prinee lui deftiânda quelétdit cethpm'iïîd qu'il aôcusôit, et quelles preuves J1 avoitdesOn crime? « C'est 3 répondit l'accusateur, un des plus" riches! « bourgeois de ma ville ; et je suis en état de prouver « qu'il se fait faire ûn manteau de soie j teint en pour* « pre; » L'empereur, sans en vouloir entendre davanj tage, lui imposa silence , en disant : « Vous ckes bien-' « heureux que je né punisse pas un misérable tel « que vous , qui ose accuser sort pareil d'Une si haute « entreprise ; » èt, comme le délateur, dans l'espérance d'avoir pour récompense tous les biens de l'accrisé , côntinuoit d'insister, Julien appela un de ses officiers ; « Faites donner , lui dit-il, a ce dangereux babillard « une de mes ehaussvues de couleur de pourpre , eï Tom* Ii , X
�022
BONTÉ.
« qu'il la porte , de ma'part , à ce bourgeois qu 'il « accuse , pour assortir à son habit. » g. Les caractères les plus farouches laissent quelquefois échapper des vertus. Le cruel Néron donna dans sa jeunesse des marques de clémence et de bonté. Obligé, un jour, de signer la condamnation d'uncriminel, il s'écria : « Plût aux dieux que je ne susse pas écrire !» Caligula, dans les commencemens de son règne , avoit aussi fait pl usieurs actes de bonté, et de clémence ; il refusa même de lire une lettre par laquelle on luidccouvroit une conspiration formée contre lui, de peur, -disoit-il, d'être obligé de faire mourir quelqu'un. 10. Guillaume Rose, évêque de Senlis, si connu par ses écarts et ses emportemens , ayant eu la hardiesse de prononcer une satire, plutôt qu'un sermon, contre ■le roi Henri III et sa cour, où il représenta , avec les couleurs les plus odieuses, les plaisirs que le monarque avoit pris pendant les deux derniers jours du carnaval, ce prince l'envoya chercher, et lui dit sans émotion, et même en riant : « En vérité, M. Rose, vous n'épar« guez guère vos amis; vous feroit-on plaisir, si l'on « en usoit de la sorte avec vous ? Il a dix ans que je ■ « vous laisse courir les rues, sans rien dire ; et, pour « une fois que cela m'arrive, vous me diffamez dans un « lieu saint, où l'on ne doit prêcher que la parole de <i Dieu : n'y retournez pas, je vous prie ; il est encore « plus temps pour vous que pour moi de devenirsage.» Rose étoit sujet à une maladie hyponcondriaque, qui le réndoit quelquefois si furieux, qu'on étoit obligé de le garder à vue. Quelques jours après, il reçut un nouvel ordre d aller au Louvre ; «t le roi lui donna de sa main cinq cents écus d'or , en lui disant : « Voilà de « quoi acheter du miel et du sucre , pour vous aider « à passer votre carême , et pour adoucir l'aigreur de « votre ton. » 11. L'intendant d'une de nos provinces ayant fait construire à grands frais des chemins magnifiques pour l'utilité et l'embellissement de la capitale de son département , se fit beaucoup d'ennemis, parce que , pour le juste alignement de ces ouvrages , il fallut rogner
�B ONT é. 3a3 et couper des terres appartenant à divers particuliers. Un de ceux-ci, à qui Ton avoit donné des lettres de recommandation pour ce même intendant qu'il ne rormoissoit pas , et qui pouvoit l'aider puissamment dans une affaire qu'il avoit, vint à Paris , et se trouva par hasard dans une maison où il étoit. Ce magistrat ., curieux d'apprendre par lui-même ce que l'on pcnsoit sur son compte dans la principale ville de sort département, demanda à ce bourgeois ce qu'on disoifc de lui : « Rien de bon , répondit-il ; il m'a enlevé la « moitié d'une .maison et mon jardin tout entier , qui « m'étoit fort utile, pour redresser et élargir un che« min dont je n'ai que faire. — On m'a dit , continua « le magistrat, que votre intendant ne se faisoit guère « aimer.—Point du tout , repartit le bourgeois ; et, « en effet, il faudrait avoir de Pamitié à revendre , « pour en accorder à quelqu'un qui nous traite si « mal. » L'intendant prit congé du trop sincère bourgeois, qui, le lendemain , l'étant venu voir , fut surpris de reconnoitre la personne au sujet et en présence de laquelle il s'étoit si librement expliqué la veille. Il ne jput cacher son embarras : l'intendant se contenta d'en sourire , et l'appuyant de tout son crédit , lui lit gagner son procès. 12, Arrdn , fils du calife Haroun-Al-Raschild , demanda à ce prince la permission de punir un homme qui avoit mal parlé de Zébéidah sa mère. « Songez « que vous êtes prince,mon tils, lui dit le mqnarque , « et que le devoir d'un prince est d'être bon et clément. « Cependant, si ces vertus ne trouvent point d'entrée « dans votre cœur, si vous ne pouvez éteindre la co« 1ère qui l'enflamme , tout ce que jé puis vous per« mettre pour votre vengeance , c'est de dire autant « de mal de la mère de cet homme , qu'il en a dit de « la vôtre. » 13. Un soir qvL'Alfonse V, roi d'Aragon , revenoit d'une expédition , maichant à quelque distance de ses troupes, accompagné d'un seul officier , il entra dans un village , et descendit au premier gîte qu'il rencontra. Deux soldats , assis au coin du feu, se trouvoient
X2
�324 BONTÉ. alors en cette maison. Voyant entrer le roi, ils commencèrent à l'insulter sans le connoître , et lui dirent même qu'ils ne souffriraient point qu'il logeât dans cette auberge , qu'elle étoit déjà remplie , et que s'il ne se retirait promptement , ils alloient lui jeter les tisons à la tête. Aljonse, loin de se fâcher de ces injures , n'en fit que rire : l'officier qui étoit avec lui, alloit leur répondre d'une autre façon, s'il ne l'en eût empê ché.Là-dessus ses gardes arrivèrent, et aussitôt il fut reconnu. Ces soldats effrayés se jetent à ses genoux, et lui demandent pardon de leur insulte. Alfonse les fit relever avec douceur, et voulut qu'on les retînt à souper avec les domestiques de sa suite. réf. Jean II, duc de Bourbon , étant en otage en Angleterre pour le roi Jean , plusieurs gentilshommes de ses vassaux* cabalèrent contre lui durant son absence , et osèrent attenter à ses droits. Un des principaux officiers du duc en fit des mémoires exacts , qu'il présenta au prince à son retour , afin qu'il punît sévèrement de pareils forfaits. «Mais, lui demanda le « duc , avez-vous aussi une liste des services qu'ils « m'avoient rendus auparavant ? —Non , monseigneur, « répondit l'officier.—Eh bien ! il n'est donc pas juste « que je fasse aucun usage de celle-ci, » répliqua le prince , en la jetant au feu. 15. Une femme s'avisa de prendre Philippe , roi de Macédoine, à la fin d'un long repas, pour lui demander justice, .et pour lui exposer des raisons qu'il ne goûta pas. Il la juge et la condamne. Elle répond de sang froid : « J'en appelle ! — Comment , dit le « monarque , de votre roi ? et à qui ? — A Philippe à « jeun » , répliqua-t-elle. La manière dont il reçut cette réponse , ferait honneur au roi le plus sobre. Il examine l'affaire tout de nouveau, reconnoît l'injustice cl* son jugement, et se condamne à la réparer. 16. Quelqu'un ayant jeté de l'eau sm-Archélaùs, roi de Macédoine, ses courtisans le pressèrent de le faire punir : « Ce n'est pas sur moi, dit-il, qu'il a jeté celte « eau , mais sur celui pour lequel il m'a pris. » 17. Un des valels-de-chambre de S. Louis laissa
�B o rï T É. 3a5 tomber une goutte de cire enflammée sur une jambe où il avoit mal. « Vous deviez vous souvenir, lui dit« il, que mon grand'père vous donna autrefois votre « congé pour beaucoup moins. « C'est tout ce que la douleur lui arracha. : jamais on ne vit un si bon maître , si aisé à servir, si disposé à excuser les fautes de ses domestiques. 18. Téribaze ,- courtisan à'Artaxerxès Mnémon y étant à la chasse avec ce prince, lui montra sa robe toute déchirée : « Il faut en prendre une autre , lui « dit le monarque.. — Donnez-moi la vôtre, seigneur , « lui répondit Téribaze; car je n'en ai point. « Le roi la lui donna. « Je vous en fais présent, lui dit-il ; « mais je vous défends de la porter. » Téribaze, sans trop s'embarrasser de la défense , endossa prompte- ^ ment cette robe magnifique , et parut à la cour dans cet équipage flatteur. Le respect empêcha les courtisans de rire ; mais le prince en rit beaucoup, et dit, a Téribaze ; « Je veux bien vous regarder comme un. « fou ; et, comme tel, je vous laisse la liberté de vous. « habiller comme vous voudrez. » 19. En 1611 , Henri II, prince de Condê, père du grand Condé, voulut affermer la recette de sa terre de Muret en Valois, à deux particuliers. Pour éviter les sollicitations et les importunités à ce sujet, il se proposa de conclure seul, promptement et en secret. Il partit en conséquence incognito de Muret > pour aller à laFerté-Milon, chez un notaire nommé ArnoulCocault. Le prince, arrivé dans la maison de maître Af*< noul, demande à lui parler. Il dînoit : sa femme dit au prince de l'attendre , et de s'asseoir sur un banc. Le prince insiste : sa.femme lui répète, en se fâchant, et dans- son patois : « Il faut bien qa'Arnoul daine. » Le prince est obligé de céder. Il attend à la porte , assis; sur un banc , qUe maître Arnoul ait dîné. Le repas; fini, on introduit le prince dans l'étude du tabellion,. qui, croyant parler à quelqu'intendant de maison, nelui demanda point ses qualités. Il dressa le bail à loyer ; et lorsqu'il fut question de mettre le bail au net, le notaire pria le prince de lui dire ses qualités. « Elles ne-
�\
■
326 BONTÉ. « sont pas longues , dit le prince ; mettez : Henri de « Bourbon , prince de Condé, premier prince du « sang, seigneur de Muret. » A ces mots, le gardeïiote fut saisi de frayeur. Il se jeta aux pieds du prince, et lui demanda mille fois pardon de la manière incivile dont on l'avoit reçu. Condé le relève avec bonté, et, pour toute punition , se contente de lui dire : « Ne « craignez rien , brave homme 5 il n'y a point de mal: « il faut bien qu'Amoul daine. » 20. Un jour d'été, M. de Turenne étoit en petite veste blanche et en bonnet blanc, appuyé sur le balcon d'une fenêtre: un de ses domestiques, venant parderrière , le prit pour un des marmitons de sa cuisine, et lui appliqua avec force la main sur le derrière. ïPui^enne surpris se retourne. Le domestique, confus se jette à ses pieds , lui demande pardon de sa méprise, l'assurant qu'il l'avoit pris pour George le marmiton: « Eh ! quand c'eût été George , dit tranquillement « Turenne , il ne falloil pas frapper si fort. » 21. Auguste paroissoit souvent, comme témoin, devant les tribunaux, répondoitaux interrogations des magistrats, et souffroit qu'on le réfutât quelquefois même avec aigreur. Un général, nommé Primus, accusé d'avoir fait la guerre sans aucun ordre de l'empereur , en supposoit pour se justifier. Auguste se transporta , de son propre mouvement, au jugement de l'affaire ; et, interrogé par le préteur , il répondit qu'il n'avoit. donné aucun ordre semblable à Primus. L'avocat de l'accusé, Licinius Murena, entreprit sur ce point Auguste, avec hauteur , et, entre autres discours désobligeans : « Que faites-vous ici, lui dit-il, et « qui vous amène à ce jugement ? — C'est, répondit « le prince avec douceur, l'intérêt public, qu'il ne « m'est pas permis de négliger. » On voyoit bien ce qu'il pensoit de Primus; mais telle étoi t l'opinion que ion avoit de sa bonté, que plusieurs des juges opinèrent à renvoyer absous le coupable. A l'occasion d'un voyage que ce même empereur se préparoit à faire , un sénateur , appelé Ru/us , dit dans un repas, qu'il souhaitoit qu'Auguste n^en revînt
i
�BONTÉ. 327jamais ; et, plaisantant sur la multitude des victimes qu'on avoit coutume d'immoler en action de grâces de son retour, après une longue absence , il ajouta que tous les veaux et tons les taureaux faisoient le même vœu que lui. Le mot ne tomba pas à terre, et fut recueilli soigneusement par quelques-uns des convives. Un esclave de Rufus fit, le lendemain, ressouvenir son maître de ce qui lui étoit échappé la veille pendant qu'il avoit la tête échauffée par le vin- Il lui conseilla de prévenir l'empereur, et d'aller se dénoncer lui-même. L'imprudent Rufus, devenu sage par réflexion , suivit ce conseil. Il courut au palais, se présenta devant Auguste, et lui dit qu'il falloit qu'un esprit de vertige lui eût absolument troublé la raison. Il jura qu'il prioit les dieux de faire tomber son vœu téméraire sur sa tête et sur celle de ses enfans. Il finit, en suppliant l'empereur de lui pardonner sa coupable indiscrétion. Auguste y consentit. « César, reprit. « alors Rufus, personne ne croira que Vous m'ayez ren« du votre amitié , si vous ne me faites une gratifiea« tion ; » et il lui demanda une somme, qui n'eût pasété un don médiocre , si le prince eût eu à le récompenser. ^#g«,«e la lui accorda ; il ajouta seulement, err riant : « Pour mon intérêt, je me garderai bien une « autre fois de me mettre en colère contre vous. » Etant à Milan , il remarqua une statue de Brutus, monumentde la recpnnoissance des peuples de là Gaule-Cisalpine, envers le plus doux et le plus équitable des gouverneurs. Il passa ontre ; puis, s'arrêtant, et prenant un air et un ton sévères, il reprocha vivement aux principaux de la ville qui l'environnoient, qu'ils avoient au milieu d'eux un deses ennemis.Les Gaulois effrayés veulent se justifier, etnient le fait. « Eh quoi ! » leur dit Auguste, en leur montrant de la main la statue du proconsul, « n'est-ce pas là l'ennemi de ma fa« mille et de mon nom ? » Alors les voyant consternés,, réduits à garder le silence , il sourit , et d'un visage gracieux, il loua leur attachement fîdelle à leurs amis, même malheureux, et laissa subsister la statue. ■Timagène , rhéteur d'une grande réputation, avoit
x
4
�$2 8
1
BONTÉ.
acquis , par les charmes de sa conversation, l'estime $Ay,guste ; mais il ne sut pas la conserver. Il avoit le taleirt dangereux demédire avec beaucoup d'esprit; et il l'exerça contre le prince, contre Livie son épouse, contre toute la maison des Césars. Le souverain, irrité d'une telle licence, interdit à Timagène l'entrée de son palais. Cet homme, sorti du sein de la poussière, qui long-temps avoit langui dans l'esclavage, eut la hardiesse de bra ver le monarque de Rome e t de l'univers ; et , lui rendant inimitié pour inimitié, il jeta au feu l'histoire de ce prince, qu'il avoit composée dans les instans de sa faveur. Sa disgrâce ne lui ferma aucune porte dans Rome ; toujours il fut également bien reçu par-tout. Pollion sur-tout se distingua , en le retirant dans sa maison, et lui donnantun logement somptueux, lui qui jusques-là paroissoit haïr mortellement ce rhéteur satirique; en sorte que son amitié pour lui commençoitavec la haine à'Auguste, Ce prince, plein de bonté, souffrit avçc une patience héroïque, etl'impudente hardiesse dç Timagène, et l'aveugle affection de Pollion. Seulement il dit un jour à ce dernier; «Vous « nourrissez dans votre maison une bête féroce. » Pollion voulut s'excuser ; mais Auguste l'interrompit : « Jouissez, mon cher Pollion, lui dit-il, jouissez delà « douceur d'un hôte si aimable ; » et comme Pollion lui offrait de le chasser, s'il le souhaitait :» comment « le voudrois-je, reprit Auguste ? c'est moi qui vous « ai réconciliés : » mot plein de sèl et de douceur en "même temps, par lequel ce prince faisoit voir qu'il çentoit le tort de Pollion , et qu'il l'excusoit, Etant un jour à souper chez un autre Pollion, surnommé Atédius, homme riche , mais inhumain , un esclave cassa par malheur un vase de cristal, Pollion, selon sa coutume barbare, ordonna que cet esclave mal-adroit fût jeté dans son vivier, pour servir de pâture à ses poissons. L'esclave se prosterna aux pieds de l'empereur, implorant sa clémence. Auguste irrité, ordonna au maître d'affranchir son esclave ; fit briser, en sa présence, tous les vases de cristal qui se troufoient dans la maison , et les fit jeter dans le vivier,
�829 Pour se délasser des fatigues du gouvernement, il s'etoit rendu dans sa maison de campagne; mais, pen-^ dant la nuit, les cris affreux d'un hibou qui étoit dans le voisinage , l'empêchoient de reposer. Un soldat trouva le secret de l'attraper, et le porta tout vivant à Auguste, espérant une grande récompense. L'cmpe^ reur loua beaucoup son zèle, et lui fit donner mille écus. Le soldat ne trouvant pas la somme assez forte, dit insolemment : « J'aime mieux qu'il vive » ; et en même temps il lâcha l'animal inportun. Auguste sup^ porta patiemmentl'impudence de ce guerrier insolent. Il avoit dans ses gardes un jeune homme fort débauché , nommé Ilêrennius. Ne pouvant plus supporter ses désordres , il le chassa , et lui ordonna de s'en retourner chez lui, Le jeune homme , affligé de cet affront, .se jeta aux pieds du prince , en fondant en larmes : « Ah ! seigneur , lui dit-il , de quel front « retournerai-je chez mes parens ? S'ils me demandent « pourquoi j'ai quitté votre camp, que leur dirai-je? » Auguste le releva avec bonté, et lui répondit : « Mon « ami , pour vous justifier , dites que vous étiez mé« content de ma conduite. » Un homme, à qui l'on venoit d'ôler un emploi dont il s'étoit mal acquitté, demandoit une somme d'argent à cet empereur : « Ce n'est pas l'intérêt qui me fait « parler, disoit-il ; mais si je reçois de vous cette « somme , le public croira que c'est en échange de « l'emploi-que vous m'ôtez, et mon honneur sera sauvé. « — S'il ne s'agit que de votre honneur, répondit le « prince, vous n'avez qu'à dire par-tout que vous avez « reçu cette somme ; je ne vous démentirai jamais. » Auguste alloit volontiers manger chez tous ceux qui l'invitoient. Un homme le pria un jour à souper , et ne lui donna qu'un repas médiocre et sans aucun apprêt. Il fallut que le maître du monde se contentât, comme on dit, de la fortune du pot; seulement il dit à son hôte , en s'en allant : « Je ne croyois pas que « nous fussions si amis. » Un homme lui présenloit un placet en tremblant ; tantôt il avançoit la main , tantôt il la reliroit
BONTÉ,
�33o BONTÉ. « Croyez-vous, mon ami, lui dit le prince, présenter « une pièce de monnaie à un éléphant ? » Un soldat vétéran ayant été cité en justice , et craignant d'être condamné , pria Auguste de le servir dans cette affaire, et de défendre sa cause. Le prince chargea de cette commission quelqu'un de ses courtisans , lui recommandant d'employer tous ses soins pour faire absoudre cet homme. Mais le soldat se mit à crier dans la place : « Lorsque vous étiez en danger « à la bataille d'Actium, je ne me suis pas reposé sur « un autre du soin de vous secourir. J'ai combattu « moi-même , je vous ai défendu au péril de ma vie; « en voici les preuves » , ajoula-t-il en découvrant sa poitrine. En effet, une foule de glorieuses cicatrices parloient en sa faveur. Auguste rougit , et prit en main lui-même l'affaire de ce guerrier. 22. La Vopoe et d'Aubigné, seigneurs de la cour de HenrilV, étoient couchés ensemble près du lit de ce prince. D'Aubigné, croyant le monarque endormi, se mita se plaindre, en l'accusant d'ingratitude, et disant à diverses reprises à La, Force qui sommeilloit : «Notre « maître est le plus vilain et le plus ingrat qui soit sur « la face de la terre. » A ces mots, l'autre, accablé de sommeil, ne répondit que par ceux-ci : « Que dis-tu, « d'Aubigné?» Le roi, qui ne dormoitpas, etquiécoutoit ce dialogue, cria tout haut : « La Force, écoutes, « si tu veux : n'entends-tu pas ce que dit d'Aubigné, « que je suis Je plus ingrat et le plus vilain du monde?» Dans la suite, il n'en parla jamais ni à l'un ni à l'autre ; et ce fut toute la vengeance qu'il tira de cette injure. Affamé durant une partie de chasse , ce prince entra , dans une hôtellerie sur un grand chemin, et se mit à table avec quelques marchands. Après avoir diné, on parla de sa conversion : son habit simple l'avoit empêché d'être reconnu. Un marchand de cochons eut la hardiesse de dire : « Oh ! ne parlons point de cela ; « croyez-moi, la caque sent toujours le hareng. » Un instant après, le roi s'étant mis à la fenêtre, vit arriver quelques seigneurs qui le cherchoient, et qui, l'ayant aperçu, montèrent aussitôt à la chambre. Le marchand,
�BONTÉ.
33l
voyant qu'Us l'appeloient sire et votre majesté, fut extrêmement surpris, et eût donné tout son bien pour n'avoir point lâché son indiscrète parole. HenrilV, en sortant , lui frappa sur l'épaule , et lui dit, : « Bon « homme , la caque sent toujours le hareng mais « c'est à votre égard , et non au mien. Je suis , Dieu « merci , bon catholique ; mais vous gardez encore « du vieux levain de la Ligue. » On lui parloit d'un officier qui avoit été de laLigue, et qui étoit fort brave ; et on lui disoit que , quoique sa majesté l'eût pardonné, il ne l'aimoit pourtant pas : « Je veux , dit-il, lui faire tant de bien , que je le « forcerai de m'aimer malgré lui. » 23. Bontemps , premier valet - de - chambre de Louis XIV, lui demandons quelques grâces pour un de ses amis : «Quand cesserez-vous donc de demander?» lui dit le roi. Bontemps fut étourdi du reproche : Louis s'en aperçut ; et, dans l'instant même , il ajouta en souriant : « Et de demander pour les autres , jamais « pour vous ? La grâce dont il s'agit en faveur d'un « de vos amis , je vous l'accorde pour votre fds. » Le duc de Wï<endôme avoit toujours avec lui Milliers, un de ces hommes de plaisir qui se croient du mérite, parce qu'ils se permettent une liberté cynique. Il le logeoit à Versailles dans son appartement. On l'appeloil ordinairement Villiers-VendôjTie .Celhomme condanmoit hautement tous les goûts de Louis XII'', en musique, en peinture , en architecture , en jardins. Le roi planloit-il un bosquet, meubloit-il un appartement, construisoit-il une fontaine ? Vïlliers trouvoi ttoub mal entendu, et s'exprimoit en termes peu mesurés. « Il est étrange , dit le monarque , que Vïlliers ait « choisi ma maison pour venir s'y moquer de tout ce « que je fais. » L'ayant un jour rencontré dans le jardins : « Eh bien! lui dit-il, en lui montrant un de ses « nouveaux ouvrages , cela n'a donc pas le bonheur « de vous plaire ? — Non, répondit Vïlliers. — Cepen« dant , repri t Ile roi , il y a bien des gens qui n'en « sont pas si mécontens. — Cela peut-être , repartit « ViUiers; chacun a son avis.—On ne peut pas plaire « à tout le monde , » répondit en riant Louis XIV.
�352 BRAVOURE. "On lui rapporta qu'on avoit volé j dans la chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye, une lampe d'argent. Il promit une grande récompense à celui qui découvriroit le voleur. Un des premiers seigneurs de sa cour se présenta pour lui apprendre secrètement le nom du voleur, et lui dit que c'étoit son père qui, se trouvant dans la plus affreuse nécessité, avoit commis ce sacrilège. « Fort bien, dit le roi, je « vous entends. Allez, je le punirai de manière qu'il « ne volera plus. » Il lui assigna sur-le-champ une pension considérable. Voyez AFFABILITÉ, AGRÉMENS, AMOUR nu PROCHAIN, ATTENTIONS, BIENFAISANCE,
BIENVEILLANCE , CLÉMENCE , DOUCEUR, INDULGENCE, PARDON.
HUn\vvvuv\\im\\vi\uuv\\mvmmwumvHUvm\m\uu
BRAVOURE. roi des Etrusques, voulant rétablir Tarc/uin-le-Superbe sur le trône, vintassiégerRome; et après s'être emparé du Janicule, il s'avança vers la ville, qu'il croyoit prendre du premier assaut. Quand il fut arrivé au pont, il vit les Romains rangés en bataille devant le Tibre, et disposés à le recevoir. Il donne le signal. On s'approche ; on frappe : la victoire balance. Les deux consuls sont blessés : les Romains plient. Tous se sauvent dans la ville par le pont qui auroit donné en même temps passage aux ennemis, si Rome n'eût trouvé , dans le courage héroïque d'un de ses citoyens , un rempart aussi ferme que les plus fortes murailles. Ce fut P. Horatius , surnommé Codes, parce qu'il avoit perdu un œil dans le combat. C'étoit l'homme le mieux fait et le plus intrépide qui fût parmi les Romains. Ildescendoit de M. Horatius, si fameux parla défaite de trois Curiaces. Digne héritier de la bravoure de ses pères , Horatius, après avoir signalé son bras dans la chaleur de l'action , veut en vain arrêter les fuyards. Mais , voyant que la peur dont ils étoient saisis l'emportoit sur ses exhortations,
i. AT ORSENNA,
�333 sur ses prières, il s'arme d'un généreux désespoir, et entreprend de défendre seul la tête du pont, pendant que, par son ordre, on s'empresse de le rompre par derrière. Deux braves, jaloux de l'imiter , viennent partager avec lui la gloire de sauver la patrie. Bientôt il les oblige de se retirer ; et seul il ose résister aux efforts d'une armée entière : il porte même l'audace jusqu'à insulter ce nombre prodigieux d'ennemis j et lançant des regards terribles sur les principaux d'entre eux, tantôt il les défie au combat d'homme à homme, tantôt il leur fait les plus sanglans reproches. « Vils « esclaves des rois superbes et orgueilleux, leurdit-il_, « vous voulez nous faire partager votre honteuse ser« vitude! Mais ce bras, mais cette épée fera trembler « vos tyrans , et punira votre hardiesse. » En disant ces mots, il frappe, il immole, il massacre. Il oppose son bouclier aux traits dont on l'accable. Cependant on rompt le pont. Les ennemis, qui voient ce redoutable adversaire prêt à leur échapper, redoublent d'ardeur. Ils se disposent à fondre sur lui de concert, à l'envelopper, à le saisir. Codes se rit de leur dessein : il les attend ; mais lorsqu'ils sont sur le point de le toucher, il se précipite dans le fleuve, et regagne ses compatriotes , qui , le recevant en triomphe , se piquent à l'envi d'immortaliser sa valeur par de* preuves sensibles d'admiration et de reconnoissance. 2. Xerxès, roi de Perse, à la tête d'une armée qui montoit à cinq millions deux cent quatre-vingt-trois mille deux cent vingt personnes , s'avançoit pour inonder la Grèce qui n'avoit que onze mille deux cents hommes à opposer à ce torrent. On en plaça quatre mille au défilé des Thermopyles, pour en défendre le passage. Cette poignée d'hommes , au nombre desquels on comptoit trois cents Spartiates, avoit pour chef Léonidas , l'un des deux rois de Lacédémone, prince intrépide, résolu, comme ses guerriers, de se dévouer à la défense de la patrie, et de périr pour sa gloire. Lorsque le monarque persan fut arrivé près des Thermopyles , il fut étrangement surpris d'apprendre qu'on, se préparoit à lui disputer le passage.
BRAVOURE.
�^34 BRAVOURE. Il s'étoit toujours flatté qu'an premier bruit de son arrivée, les Grecs prendraient la fuite. Il envoya un espion pour reconnoître les ennemis , et cet homme rapporta qu'il avoit trouvé les Lacédémoniens hors des retranchemens , qui se divertissoient aux exercices militaires , et qui peignoient leur chevelure : c'étoit leur manière de se préparer au combat. Le roi , ne perdant pas encore loute espérance , attendit quatre jours pour leur donner le temps de se retirer. Il essaya, pendant cet intervalle , de gagner Léonidas par de magnifiques promesses, en le faisant assurer qu'il le rendrait maître de tonte la Grèce, s'il vouloit embrasser son parti. Une telle proposition fut rejetée avec hauteur et indignation ; puis Xerxès lui a}Tant écrit qu'il eût à lui livrer ses armes , le roi de Sparte lui répondit en deux mots : « Viens les pren« dre. » Il ne fut plus question que de se préparer au combat contre les Lacédémoniens. Le roi fit d'abord marcher contre eux lesMèdes, avec ordre de les saisir tout vivans , et de les lui amener. Les Mècles ne purent soutenir l'effort des Grecs ; et, ayant été honteusement mis en fuite, ils montrèrent, dit Hérodote, que Xerxès avoit beaucoup d'hommes, mais peu de soldats. Us furent relevés par les Perses surnommés les immortels , qui formoient un corps de dix mille hommes : c'étaient les meilleures troupes de l'armée. Elles n'eurent pas un meilleur succès que les premières. Xerxès , désespérant de pouvoir forcer des guerriers si déterminés à vaincre ou à mourir , étoit dans un grand embarras , et ne savoit quel parti prendre, lorsqu'un habitant du pays vint lui découvrir un sentier détourné , vers une éminence qui étoit au-dessus des ennemis, et qui les commandoit. On y envoya un détachement qui , ayant marché toute la nuit , y arriva à la pointe du jour , et s'en empara. Les Grecs en furent bientôt avertis. Léonidas, voyant qu'il étoit impossible de résister aux Perses , obligea le reste des alliés de se retirer, et demeura avec ses trois cents Spartiates , déterminés, comme lui , à se sacrifier pour le salut de la Grèce, parce qu'un oracle
�BRAVOURE. 335 avoit dit que, dans cette circonstance, il falloit que la liberté ou le plus grand homme de la Grèce expirât. Quelqu'un , effrayé de la généreuse résolution du roi de Lacédémone, lui dit : «Quoidonc,seigneur, est-ce « que vous songez à marcher, avec une petite poignée « de gens , contre une armée innombrable ? — S'il «s'agit du nombre , répliqua Léonidas, la Grèce « entière n'y suffirait pas, puisqu'elle n'égale qu'une « petite partie de l'armée persane -, mais s'il s'agit de « courage, ma petite troupe est plus que suffisante. » Ces héros étoient sans espérance de vaincre ni .de se sauver; et ils regardoient les Thermopyles comme leur tombeau. Le roi les ayant exhortés à prendre de la nourriture, en ajoutant qu'ils souperoient ensemble chez Pluton, ils jetèrent tous des cris de joie, comme si on les eût invités à un festin. Il les mena ensuite au combat , pleins d'une ardeur intrépide. Le choc fut très-rude et très-sanglant. Léonidas tomba mort des premiers. Les Lacédémoniens firent des efforts incroyables de courage , pour défendre son cadavre. Enfin, accablés par le nombre, plutôt que vaincus, ils périrent tous. Mais cette victoire coûta plus de vingt mille hommes au roi de Perse, et lui fit connoître , ainsi qu'à toute la Grèce , combien sont redoutables des guerriers que la bravoure anime. Cet exemple de courage étonna les Perses , et ranima les Grecs. La mort de ces braves soldats et de leur chef fut utilement employée , et produisit un double effet , plus grand et plus durable qu'ils ne l'avoient espéré. D'un côté , elle fut comme le premier germe des victoires qui suivirent; elle fit perdre aux Perses, pour toujours, la pensée de venir attaquer la Grèce ; et, pendant les sept ou huit règnes suivans, il ne se trouva aucun prince qui osât en former le dessein, ni aucun flatteur qui osât en donner le conseil. D'un autre côté , cette hardiesse intrépide laissa une persuasion, profondément gravée dans le cœur de tous les Grecs, qu'ils pouvoient vaincre les Perses, et détruire leur vaste monarchie. Cimon en fit d'abord heureusement le premier essai. Agésilas poussa plus loin ce projet,>et
�336 BRAVOURE. . le porta jusqu'à faire trembler dans Suzé lé grand roi. Enfin le grand Alexandre l'exécuta avec une incroyable facilité. Il ne douta jamais, non plus, que les Macédoniens qui lui obéissoient, ni qne toute laGrèce qui l'avoit nommé son chef dans cette expédition, qu'il ne pût, avec trente mille hommes, renverserJ'empire des Perses, après que trois cents Spartiates âvoient suffi pour en arrêter toutes les forces réunies. 3. Le maréchal de Biron avoit enlevé Fescamp , port et citadelle dans lé pays de Caux , aux ennemis de l'autorité royale. Dans la garnison qui en sortit, il y avoit un gentilhomme nommé Bois-Rosé > homme de cœur et de tête, qui remarqua exactement la place qu'il étoit forcé d'abandonner , et, prenant ses précautions de loin, fit en sorte que deux soldats, qu'il avoit gagnés , furent reçus dans la nouvelle garnison que les royalistes établirent dans Fescamp. Le côté du fort qui donne sur la mer , est un rocher de six cents pieds de haut, coupé en précipice , et dont la mer lave continuellement le pied, à la hauteur d'environ trois toises , excepté quatre Ou cinq jours de l'année , où , pendant la morte eati, la mer laisse à sec , l'espace de trois ou quatre heures , le pied de cette falaise , avec quinze ou vingt toises de sable. Bois-Rosé, à qui toute autre voie étoit fermée pour surprendre une garnison attentive à la garde d'une place nouvellement prise , ne doute point que s s'il pouvoit aborder par cet endroit regardé comme inaccessible , il ne vînt à bout de son dessein. Il ne s'agissoit plus que de rendre la chose possible ; et voici comment il s'y prit. Il étoit convenu d'un signal avec lés deux soldats gagnés; et l'un d'eux l'attendoit continuellement sur le haut du rocher, où il se tenait pendant tout le temps de labasse marée. J5ozj-iîo^e'profitant d'une nuit fort noire, vint avec cinquante soldats déterminés, choisis exprès parmi des matelots, et aborda , avec deux chaloupes, au point du rocher. Il s'étoit encore muni d'un gros câble , égal en longueur à la hauteur de la falaise ; il y avoit fait, de distance en distance, des nœuds, et
�337 passé de courts bâtons , sans pouvoir s'appuvor des mains et des pieds. Le soldat qui se tenoit en faction , attendant le signal depuis six mois, ne Peut pas plutôt reçu, qu'il jeta du haut du précipice un cordeau auquel ceux d'en bas lièrent le gros cable qni fut guindé en baut par ce moyen , et attaché à l'eftdre - deux d'une embrasure , avec un fort lévief passé par une agraffe de fer, faite à ce dessein. Bois-Rosé fit prendre les devants à deux sergens dont il comioissoit la résolution , et ordonna aux cinquante soldats de s'attacher de même à cette espèce d'échelle , leurs armes liées autour de leurs corps , et de le suivre ?i la file , se mettant lui-même le dernier de tous, pour ôter aux lâches toute espérance de retour, La chose devint d'ailleurs bientôt impossible -, car, avant qu'ils fussent seulement à moitié chemin, la marée, qui avoit monté de plus de six pieds, aVoit emporté les chaloupes , et faisoit flotter le câble. La nécessité de se retirer d'un pas si diffiaile , n'est pas toujours uu garant contre la peur , lorsqu'on a tant de raisons de s'y livrer. Qu'on se représente ces cinquante hommes suspendus entre le ciel et la terre, au milieu des ténèbres , ne tenant qu'à une machine si peu sûre , qu'un léger manque de précaution, la trahison d'un soldat mercenaire, ou la moindre crainte pouvoit les précipiter dans les abîmes de la mer, ou les écraser sur les rochers; qu'on y joigne le bruit des vagues , la hauteur du rocher, la lassitude et l'épuisement: il y avoit dans tout cela de quoi faire tourner la tête au plus pss'iré de la troupe , comme elle commença, en effet, à tourner à celui-là même qui la conduisoit. Ce sergent dit à ceux qui le suivoient , qu'il ne pouvoit plus monter , et que le cœur lui défailloit. Bois-Bosé, à qui ce discours étoit passé de bouche en bouche , et qui s'en apercevoit parce qu'on n'avancoit plus , prend son parti sans balancer. Il passe par-dessus le corps de tons les cinquante qui le précèdent, en les avertissant de se tenir fermes , et arrive jusqu'au premier , qu'il essaie d'abord de ranimer. Voyant que par la douceur il ne peut en venir à bout, il l'oblige , le poignard dans les TomeL Y
ij R À V G fj R E.
�553 B R A v a U R- E.reins , de monter ; et sans doute que s'il n'eût obéi/ il Tauroit poignardé et précipité dans les flots. Avec toute la peine qu'on s'imagine , enfin la troupe se trouva au haut de la falaise , un peu avant la pointe du jour , et, fut introduite par les deux soldats dans le château, où elle commença par massacrer sans misé-, ricorde le corps-de-garde et les sentinelles. Le sommeil livra presque toute la garnison à la merci de l'ennemi, qui fit main-basse sur tout ce qui résista , et s'empara du fort. 4- Dès son enfance, le fiimeux Bertrand du Gues-~ clin montroiî tant d'ardeur pour les combats, qu'ou bliant son rang et sa naissance , il en venoit quelquefois aux mains avec les enfans de la lie du peuple , qui avoient la réputation d'être les plus courageux et les plus robustes. Passant un jour avec son oncle dans une place publique , ils s'amusèrent l'un et l'autre à regarder de jeunes garçons de la ville qui s'exercoient à la lutte. Un d'entre eux / plus adroit et plus robuste , les avoit tous vaincus. Les spectateurs le louaient à l'envi ; et il se promenoit fièrement dans la carrière , en défiant ceux de son âge. Du Guesclin ïegardoit le jeune lutteur avec des yeux jaloux. Par malheur il échappa à son oncle quelque chose de favorable pour lui. Du Guesclin alors le quitte ; et son oncle , qui le croyoit à ses côtés , le voit aux mains avec le jeune homme qu'il terrassa dans le moment. De son temps, la noblesse s'assembloitsouventpour donner des fêtes aux dames. Le père de Du Guesclin et plusieurs autres gentilshommes bretons publièrent un tournois où fut invité tout ce qu'il y avoit de plus brave en France et en Angleterre. Du Guesclin avoit vu les préparatifs de l'équipage de son père 5 et il sè promettait bien de l'accompagner dans cette fête brillante:. Mais Renault, avant que de se rendre à Rennes ,. lui défendit de sortir de chez lui, sous prétexte que sa jeunesse le mettoit hors d'é.tat de combattre contre des chevaliers robustes et aguerris. Le jeune Bertrand, mécontent de Tordre qu'il avoit reçu, lie songea qu'aux moyens de l'enfreindre x et s'étant
-i
�B R A V O tl R Ei 33fj échappé secrètement, il se rendit à Rennes. Là , il suivit la foule qui le conduisit à l'endroit où se célébrait le tournois, Du Guesclin contemploit avec une envie chagrine ces chevaux si richement enhnrna-* chés , ces chevaliers tout hrillans d'or et de pierre-r ries. Le bruit des trompettes qui animaient les combattans, et les acclamations que l'on donnoit aux vainqueurs , le mettoient hors de lui-même. Il poussoit, il pressoit de tous côtés , pour s'approcher de la barrière. Sa mauvaise mine lui attirait des injures de la part de ceux qu'il déplacoit, Enfin, après bien des efforts , il se trouva dans une place d'où il pouvoit tout voir commodément ; mais il n'en fut pas plus tranquille. Après avoir été long-temps spectateur , il découvrit un chevalier de ses parens, qui, fatigué de plusieurs courses ^ se retirait. Il quitte.alors sa place, court, et arrive en même temps que le chevalier dans l'hôtellerie où il logeoit. S'étant approche de lui, il se jeta à ses genoux , et le conjura , par la gloire qu'il veuoit d'acquérir, de lui prêter ses armes et son cheval. Le chevalier , qui reconnut son émotion au feu de ses yeux, charmé de trouver tant d'ardeur et de courage daus un jeune homme , accorda à Du Guesclin ce qu'il lui demandoit. Il l'arma lui-même * et lui fit donner un cheval frais, Du Guesclin, dans cet équipage , s'avance vers la place du tournois -, se fait ouvrir la barrière , et demande à combattre :: un des tenans ne se présenta que pour être vaincu. Du Guesclin le heurta avec tant de violence, que le chevalier fut renversé de dessus son cheval. Il se releva, et fut terrassé une seconde fois ; Vnais cette nouvelle chute lui fut plus funeste que la première ; il en restadangereusement blessé. Du Guesclin appela alors. Il vint un autre chevalier. Son père même se présenta pour courir contre lui, Bertrand , qui le reconnut à ses armes, accepta le défi : mais les trompettes ayantsonné la charge, au lieu de s'avancer pour combattre y il baissa la lance , et lui fit mie révérence profonde.Tout le monde fut étonné de cette action. Quelquesuns crurent que c'étoit par crainte pour Fienault j
�5/f.O
BRAVOURE.
d'autres , que le vainqueur étoit las de ses premières courses. Mais Du Guesclin recommença à courir et à vaincre. Un chevalier normand , dont la force et l'adresse étaient reconnues de toute l'Europe, s'étoit présenté au tournois , moins pour y acquérir de la gloire , que pour rappeler le souvenir de celle qu'il avoit si souvent acquise dans ces sortes de jeux. Après avoir ternisse deux ou trois chevaliers, il s'étoit retiré au bout de la cairière, où il s'entretenoit avec les dames, comme un homme qui en avoit assez fait» Les exploits du jeune inconnu attirèrent ses regards ; et les dames Payant prié de combattre pour savoir son nom , il demanda à courir contre lui. Du Guesclin accepta le défi. On les vit partir tous deux avec uné vitesse incroyable. Le chevalier normand exécuta son dessein , et enleva le casque du breton ; mais celui-ci, outré de se voir découvert, saisit son adversaire avec tant d'adresse et de force , qu'il l'enleva de dessus son cheval, et le mit au nombre des vaincus. Renault, reconnoissant son fils , accourt et l'embrasse , transporté de tendresse et de joie. Du Guesclin , charmé de se voir applaudi par son père, qui auparavant faisoit peu de cas de lui, en goûta mieux sa victoire. Il alla recevoir le prix destine aux vainqueurs ; et suivi de toute la noblesse qui l'accompagnoit , il courut offrir sur-le-champ au chevalier qui lui avoit prêté son cheval et ses armes , le fruit de sa bravoure. On vit avec admifation qu'il allioit au courage et à l'adresse , un cœur généreux et reconnoissant. Le 19 Mai i3b'4, trois jours avant le sacre de Charles V, dit le Sage , ce héros , qui commandoit une armée 'envoyée en Normandie contre les Anglais, voulant attirer l'ennemi au combat, et lui faire quitter un poste avantageux , feignit de décamper. Les Anglais se croyoient sûrs de la victoire , malgré les représentations d'un vieux capitaine qui leur disoit « n'avoir jamais ouï dire que Du Guesclin eût jamais « daigné décamper, et que c'étoit une ruse. » Les Français , reviennent sur leurs pas. Du Guesclin les animait par ces paroles : « Pour Dieu î.amis , souve-
�BRAVOURE.
341
« nez-vous que nous avons un nouveau roi de France. « Que sa couronne soit aujourd'hui étrennée par vous ! « Pour moi , j'espère donner au roi le général anglais « pour étrenne de sa noble royauté. » L'événement fut conforme à ses vœux ; et ce héros eut le plaisir singulier de faire à son souverain un présent digne de sa bravoure. 5. Le fameux Boyard avoit dons sa compagnie de gendarmes un jeune homme de seize ans , nommé Boutieres. Au siège de Padoue , en 1009 „ ce jeune guerrier s'étant mesuré corps à corps avec un officier albanois de la cavalerie des ennemis , remarquable par sa taille énorme , le fit prisonnier. Le nouveau David présenta son Goliath à l'empereur Mascimilicn, chef de l'armée , lequel, surpris du spectacle , dit «à l'Albanois , « qu'il s'émerveilloit de ce qu'un grand « colosse comme lui se fût laissé saisir par un enfant « qui de quatre ans ne porterait poil au menton. » L'Italien, plus honteux du reproche que de sa défaite, dit qu'il avoit cédé au grand nombre , et qu'il avoit été saisi par quatre cavaliers. Boyard , qui étoit pré^sent , se tournant vers Boutieres : « Entendez-vous « lui dit-il, ce qu'il rapporte ? H est contraire à votre « récit : ceci touche votre honneur. s> Aussitôt Bontières, jetant sur son captif un regard foudroyant : « Tu mens , lui dit-il 5 et pour preuve que je t'ai pris. « moi seul, remontons à cheval, je vais te tuer , ou « te faire crier quartier une seconde fois. » L'Albanois ne voulut pas se faire battre davantage. « Bouts, tières, dit alors le chevalier Bayard, vous avez uu « commencement aussi beau que je vis jamais à un « jeune homme ; continuez , et vous serez un jour un « grand personnage. » Cette prophétie du héros français se vérifia dans la suite ; et Guignes-Guijfray , sieur de Boutieres, devint un capitaine fameux. 6. Epaminondas- ayant attaqué Lacédémone , un. jeune Spartiate , nommé Isadas, se distingua par des. actions de bravoure, dignes de l'admiration de la ostérité. Il étoit très^-beau de visage , parfaitement ien fait, d'une taille avantageuse , et dans la fleujer Y 3
�342 BRAVOTTRE. de l'âge. Sans armes et, sans habits , le corps tout reluisant d'huile , tenant d'une main un pique , et de l'autre une épée , il s'élance impétueusement hors de sa maison , fend la presse des Spartiates qui combattaient , se iette sur les ennemis , porte par-tout des coups mortels , et renverse à ses pieds tout ce qui s'oppose à son bras redoutable , sans recevoir luimême une seule blessiirei, soit que-les Thébains fussent effrayés d'un si étonnant spectacle, soit, dit Plutarque-, que les dieux prissent plaisir à le préserver, à cause de sa grande valeur. On rapporte qu'après le combat, les éphores lui décernèrent une couronne, pour honorer ses exploits ; mais qu'ensuite ils le condamnèrent à une amende de cinq cents livres , pour avoir osé s'exposer, sans armes, à un si grand danger, 7. Dans un combat que César livra, en Afrique , contre Labiénus, lieutenant de Scipion , un de ses soldats se distingua par une action de celte noble bravoure qui , quoique sans succès , couvre de gloire celui qui l'a faite. Labiénus se moritroit aux premiers rangs , à cheval, sans casque , exhortant les siens , et. apostrophant quelquefois avec insulte les soldats de César. « Guerriers d'un jour, leur crioit-ib, il « vous sied bien d'affecter tant d'audace ! Est-ce que « César vous a déjà fait perdre la raison ? 11 vous jette « dans un extrême péril ; et j'ai grande compassion « de vous. » Alors un soldat de ceux à qui il s'adressoit, élevant la voix , lui répondit: « Labiénus, je ne « suis point un apprenti dans le métier de la guerre ; « je suis soldat vétéran de la dixième légion. — Tu <i m'en imposes , reprit Labiénus / je ne reconnois « point les enseignes de la légion dont tu parles. « - Eh bien , répliqua le généreux soldat, je vais «'me faire reconnoître. » En même temps il ôte son casque pour se découvrir le visage , et lance de toutes ces forces sa demi-pique contre Labiénus, 11 le manqua : n|ais il blessa son cheval. 8. Un des rivaux de Mohammed-K halage-Bakthiar, favori de Cothbeddin-îbeck, roi de Delhi, aux Indes, voulant perdre ce- brave officier j dit au sultan qu'il
�BRAVOURE.
5/|.3
cétoit si courageux, que souvent il avoit désiré de combattre lui seul un éléphant. Cothbeddin, surpris d'une telle proposition , demanda lui-même à Mohammed s'il étoit assex téméraire pour entreprendre un tel combat? Il ne s'en défendit point, et témoigna au prince qu'il feroit volontiers ce coup de main. Cothbeddin le prit au mot, et commanda que l'on fît venir sur une place , où tous les seigneurs de sa cour étoient assemblés, son éléphant, blanc qui étoit si furieux ce jour-là, que ses gardiens ne Tapprochoient qu'avec crainte. Aussitôt que Mohammed aperçut le terrible animal, il troussa les pans de sa veste à sa ceinture 5 et s'armant d'une énorme niasse que lui seul pouvoit soulever , il court droit à son adversaire , et le frappe si rudement sur le haut de sa trompe , qu'il lui fit pousser un cri horrible , et prendre à l'instant la fuite devant lui. Tous les spectateurs, remplis d'admiration , applaudirent à son heureuse bravoure ; et le sultan , après l'avoir comblé d'éloges , lui fit de riches présens. Mais Mohammed, aussi généreux que brave , les distribua , dans le moment, à ses amis ,?et ne se réserva que la gloire qu'il venoit d'acquérir. 9. Eléazar , surnommé Altran , digne frère du célèbre Judas - Machabée , se distingua par sa bramire héroïque , dans un combat contre Antiochus < upator , roi de Syrie. Il aperçut dans la mêlée un 'léphant magnifique , couvert d'étoffes précieuses. Il le douta point que ce ne fut celui du monarque îiiiemi. Aussitôt il se précipite au milieu des bataillons , frappe , écarte , renverse tout ce qui s'oppose à on passage , pénètre jusqu'à ce redoutable animal, t, se jetant sous son ventre, lui perce les flancs lune petite épée dont il s'étoit muni exprès. L'éléjhant, en tombant, l'écrasa sous sa masse énorme ; jt le monument de la victoire à'Eléazar devint en fciême temps son tombeau. 10. A la bataille de Plersan , gagnée sur les Turcs |>ar les Impériaux en 1687, la cornette de la com|agnie colonelle du régiment de Commercy se laisse Irendre son étendard. Le prince de Commercy de-
�344
BRAVOURE,
mande à l'instant au duc de Lorraine, ge'ne'ral de l'armée , la permission d'aller en enlever un autre aux Infidcîles. Ses instances réitérées font qn'"il obtient ce qu'il désire. Il part, il vole avec une ardeur extrême. 11 aperçoit un turc qui porte un étendard au bout d'une zagave. Il court à lui le pistolet à la main , tire de fort près , manque son coup, et jette son pistolet à terre , pour tirer son épée. Le Musulman profite de cet instant pour lui enfoncer dans le' flanc sa zagaye. Le prince la saisit froidement de la main gauche , et de la droite , assène un si terrible coup d épée sur la tête de son adversaire , qu'il la fend en deux. Après ce trait heureux et hardi, le jeune prince arrache lui même de son corps la zagaye, porte le fruit de sa victoire, encore tout ensanglanté, à son général, fait appeler son cornette , et lui dit sans s'émouvoir: « Voila, monsieur, un étendard « que je vous confie : il me coûte un peu cher ; et vous « me ferez le plaisir de le mieux conserver que celui « que vous vous êtes laissé enlever, » Cette réprimande singulière est presque autant admirée que l'action même. L'empereur, dans la vue de récom-; penser ce jeune héros d'une manière digne de lui, fit placer l'étendard , avec des cérémonies extraordh naires, dans le temple principal de la capitale. L'impératrice , de son côté , en fit de sa propre main uif autre qu'elle envoya au prince de Cemmercy, pour remplacer celui que sa compagnie colonelle avoit perdu. Voyez COURAGE, IJNTREPIDITÉ , VALEUR.
�C-A
N
D E V
TR.
345
CANDEUR.
1. UN célèbre docteur musulman, nommé Jbubecre Cobbathi, étant mnnlé en chaire, avoua son ignorance sur quelque difficulté. Aussitôt quelqu'un lui cria que puisqu'il ne savoit rien , il devoit quitter une place qui n'étoit faite que pour les personnes instruites. « J'y suis monté , répondit l'humble docteur, « selon la portée de ma science ; mais si je m'étois « élevé à proportion de mon ignorance , je serois « arrivé jusqu'au ciel. » Il falloit être bien philosophe pour faire un pareil aveu : il en est plus d'un dans ce siècle , qui rougiroil d'une semblable candeur2. On rapporte que le vicomte de Turenne s'étoit laissé surprendre par les charmes d'une jeune maruise qu il avoit vue chez la duchesse d Orléans, ientôt il poussa la foiblesse pour elle jusqu'à lui découvir un secret important que Louis XIV lui avoit confié. La marquise, aussi indiscrète que le vicomte, fin fit confidence à une autre personne ; et le secret fut ainsi divulgué. Le roi , qui ne s'étoit ouvert qu'au maréchal de Turenne et au marquis de Louvois s assuré de la discrétion du vicomte , tourna ses soup-r çons sur Louvois, et l'accusa d'avoir révélé son secret, Turenne, toujours vrai, toujours généreux, même au milieu de ses foiblesses , justifia Louvois, en avouant sa faute. Cette noble candeur charma le monarque , et redoubla sa confiance pour un homme qui n'avoit pas voulu cacher sa honte , en perdant un ministre qu'il avoit droit de ne pas aimer. Turenne renonça à tout commerce avec la marquise , et, tout le reste de sa vie , rougit de cette aventure. On raconte que le chevalier de Lorraine ayant voulu lui en parler quelques années après : « Commençons donc , lui « répliqua le vicomte, par éteindre les bougies. 3. Louis XIV ayant pris connoissnnce des affaires, après la.EAprt du cardinal Mazarin, dit à M. Colvert
S
�54» CARACTÈRE. 1 . et aux autres ministres : « Je vous avoue franchement « que j'ai un fort grand penchant pour lés plaisirs ; « mais si vous apercevez qu'ils me fassent négliger « mes affaires , je vous ordonne de m'en avertir. » Voyez INGÉNUITÉ.
CARACTÈRE.
N des plus beaux caractères que nous offre l'histoire, est, sans contredit, celui du célèbre Callicraticlas , général lacédémonien. Ce guerrier sage , prudent, et tout à la fois intrépide, étoit encore meilleur citoyen que grand capitaine. Irréprochable dans ses mœurs , sévère à lui-même comme aux autres, inaccessible à la flatterie et à la mollesse, ennemi déclaré du luxe , il avoit conservé la modestie , la tempérance , l'austérité des premiers Spartiates : vertus qui Gommencoient à se faire remarquer, parce qu'elles n'étoient plus si communes. C'étoit un homme d'une probité et d'une justice à l'épreuve de tout, d'une simplicité et d'une droiture ennemie de tout mensonge et de toute fraude , et en même temps d'une noblesse et d'une grandeur d'ame véritablement spartaine. 2. Dès l'enfance la plus tendre , on vit réunies dans le fameux Agésilas, roi de Lacédémone, des qualités qui sont, pour l'ordinaire , incompatibles : une vivacité d'esprit, une véhémence , une fermeté insurmontable en apparence , un désir violent de primer et de l'emporter sur tous les autres , avec une douceur, une soumission, une docilité qui cédoit au premier mot, et qui le rendoit infiniment sensible aux plus légères réprimandes ; de sorte qu'on obtenoit tout de lui par des motifs d'honneur , et rien par la crainte ni par la violence. 3. Caton l'ancien , ce fameux réformateur des mœurs romaines, réunissoit en lui deux qualités quiparoissoient entièrement opposées : lasévérité et la douceur. Simple, modeste , frugal, négligé même dans son. extérieur.,
�347 son abord étoit affable. Il se communiquoit san\ peine ; mais étoit-il à la tête des affaires , il prenoit l'air grave et majestueux d'un magistral romain , et se montroit d'une fermeté inexorable , el d'une rigueur inflexible, quand il s'agissoil d'arrêler les désordres , et de faire observer les règlcmens établis pour maintenir la bonne discipline et les lois. Jamais il ne porta de robe qui eût coûté plus de cent drachmes, c'est-àdire , à peu près cinquante francs. Lors même qu'il étoit à la tête des armées, ou revêtu de la puissance consulaire , il buvoit du même vin que ses esclaves. Pour son repas , il ne faisoit jamais rien acheter au marché, qui passât la somme d'environ vingt sous de notre monnaie. Par cette vie sobre et dure, il vouloit fortifier sa santé, et se mettre en état de mieux servir sa patrie, de supporter plus facilement les fatigues de la guerre. Dans ses marches, il alloit toujours à pied, portant ses armes, et suivi d'un seul esclave qui permit ses provisions. Jamais il ne lui arriva de se mettre en colère ou de se fâcher contre cet esclave, quelque chose qu'il lui servît pour ses repas. Quand il avoit du loisir, après avoir rempli ses fonctions militaires, il le soulageoit, et lui aidoit lui-même à préparer son souper. Il blàmoit l'excessive dépense que dès-lors quelques particuliers , lâches déserteurs de l'ancienne discipline , comnieneoient à faire pour la table : « Il « est bien difficile , dit-il , de sauver une ville dans « laquelle un poisson se vend plus cher qu'un bœuf. » Pendant qu'il commandoit l'armée , il ne prit jamais du public plus de trois médimnes de froment par mois, pour lui et pour toute sa maison , c'est-à-dire , moins de treize de nos boisseaux de froment , et un peu moins de trois demi-médimnes d'orge ou d'avoine par jour , pour ses chevaux et bêtes de voiture. 4- 6'e'jarétoil d'une taille élevée ; il avoitle teint d'une blancheur éclatante^ les membres déliés , le visage assez plein, les yeux noirs et vifs. Sa constitution étoit assez robuste ; et ce ne fut que sur la fin de sa vie qu'il fut sujet à des évanouissemens et à des songes qui le tourmçntoient plus que l'insomnie : on préterid
CAVACTVÏ 'E.
�348 CARACTÈRE. aussi qu'il eut deux attaques d'épilepsie durant les travaux de sa dictature. Le soin qu'il prenoit de l'extérieur de sa personne, alloit jusqu'à la minutie. Il se faisoit raser avec soin. On lui a même reproché de s'arracher le poil avec des instrumens , pour conserver plus long-temps la fraîcheur de son visage, et se donner un air de jeunesse. Sa tête chauve l'avoit souvent exposé aux railleries. Pour remédier à ce défaut naturel , il faisoit tomber sur son front les cheveux qui ombrageoient le derrière de sa tête. De tous les décrets que le sénat et le peuple romain prononcèrent en sa faveur , celui qui le flatta le plus , fut le privilège de porter toujours une couronne de laurier. Il s'habilloit ordinairement avec élégance : sa robe se faisoit remarquer par la finesse de l'étotfe et par la délicatesse des franges ; et comme il ne la serroit jamais avec sa ceinture , Sylla concluoit de cette négligence même , qu'il falloit se défier de lui. Il portoit la plus grande recherche dans la magnificence de ses appartemens. Ayant fait construire , à grands frais , une maison de campagne ; voyant qu'elle ne répondoit point à son attente , il la fit renverser , quoiqu'il fût accablé de dettes , et qu'il n'eût plus aucun crédit. Dans ses expéditions militaires , il faisoit porter des carreaux et un parquet pour les placer dans la tente où il devoit camper. On prétend qu'il n'entreprit la conquête de l'Angleterre , que^ponr avoir la liberté de pêcher des perles dans la mer qui borde ses côtes. On assure même qu'il lui suffisoit d'en voir la grosseur , et de les tenir un moment dans sa main, pour juger de leur pesanteur spécifique. Il rassembloit avec une sorte de passion , les pierres précieuses, les vases ciselés , les statues, les tableaux, et tous les ouvrages des anciens artistes qui avoient de la célébrité. Il étoit aussi trèsjaloux d'avoir des esclaves bien faits ; il les achetoit quelquefois si cher , que lui-même en rougissoit, et défendoit qu'on mit de telles dépenses sur ses livres de compte. Les repas de cérémonie qu'il donnoit dans son gouvernement, étoient toujours composés de deux tables j l'une étoit destinée pour ses officiers et
�CARACTÈRES
ses convives des nations étrangères ; à l'autre, on ne voyoit que les grands de Rome et les commandans des provinces. Il faisoit observer un ordre singulier dans l'ordonnance de sa maison, et son exactitude embrassoit les grandes dépenses et. les plus petits détails. Il fit mettre à un panetier les fers aux pieds , parce qu'il avûit servi à ses convives un pain d'une nature différente du sien. Un affranchi, qui lui étoit cher à plusieurs titres, ayant commis un adultère avçc la femme d'un chevalier romain, quoique personne ne portât de plainte contre le coupable, il le fit mettre à mort. Cet acte de justice doit d'autant plus étonner dans César, ne jamais personne n'eut peut-être des moeurs plus orrompues que celles de ce Romain : les désordres es plus affreux ont répandu sur sa mémoire unopprore éternel. Cependant il ne se livra jamais aux excès e la table. Il buvoit très-peu de vin ; et Caton disoit que e tous les factieux qui avoient entrepris de renverser a république, il n'y avoit que César de sobre et de temérant. Cet homme singulier étoit si indifférent sur la ualité des mets qu'on lui servoit, que dans un dîner u'il fit chez un de ses amis, un plat étant apprêté avec e l'huile gâtée, il fut le seul des convives qui en maneâ avec appétit, afin de ne pas paraître faire un reroche à son hôte de sa négligence ou de son incivilité, ne se conduisit pas avec le même stoïcisme dans l'acuisition de ses richesses immenses. Durant son séjour ans les Gaules, il pilla les temples des dieux, et renersa quelquefois des villes pour s'enrichir, plutôt que our venger le nom romain. On dit même qu'il entra> us le titre d'ennemi, dans quelques villes deLusitae, afin de les piller, quoique leurs habitans ouvrissent urs portes à son armée, et exécutassent avec zèle tous s ordres qu'il leur donnoi t. Par ces odieux briganda:s, il amassa une prodigieuse quantité d'or en lingots, l'il convertit ensuite en Italie et dans les provinces, espèces numéraires. Dans son premier consulat, il leva dans le temple de Jupiter au Capitol e, trois mille res pesant d'or, et y substitua de l'airain doré. Il ndoit les villes et les royaumes , tant en son nom .
�35o CARACTÈRE. qu'en relui de Pompée ; et il tira du roi d'Egvpte pre* de six mille talens, pourle laisser jouir enpaixdn trône de ses pères. C'est avec l'argent qui provenoit de ces rapines criantes et sacrilèges , qu'il soutint le fardeau des guerres civiles ; et il pilla sa patrie et l'univers pour asservir ses conoilovens. Il réunit l'éloquence aux talens militaires; et il a égalé, ou même effacé les plus célèbres orateurs ctles plus grands capitaines. Çiçêron, traçant à Brutus !c caractère des hommes qui se sont immortalisés par le talent de la parole , dit qu'il ne voit personne à qui César doive céder la palme de l'éloquen» ce. Il vante la noblesse de son style, le nombre harmonieux de ses tours , et la majestueuse élégance de ses expressions. Dans une lettre écri te à Cornélius A epos, il confirme cet éloge : « Parmi les orateurs, dit-il, qui « n'ont eu qu'un seul talent, en trou verez-vous un avec « qui Césarne puisse entrer en parallèle? qui fût jamais « plus fécond en maximes ingénieuses ? qui connût « mieux toutes les grâces et les finessesdel'éloeution?» Il prononcoit ses discours d'une voix claire , et avec des gestes animés qui ajoutoient aux charmes de sa déclamation, lia laissé des Commentaires sur la guerre des Gaules , et sur celle qu'il soutint contre Pompée. Cicéron dit que ses écrits méritent les plus grands éloges; qu'il y règne une agréable simplicité, et qu'ils vontdrcï à leur but; qu'ils sont dépouillés de toute espèce d'ornemens, et que néanmoi ns leur style attache et intéresse. « L'auteur, ajoute- t-il, paroît n'avoir eu dessein que de « rassembler des matériaux pourcomposersonhistoire. « Il offre un appât au vulgaire des gens de lettres qui « voudroient y ajouter des ornemens étrangers ; mail « il a toujours été le désespoir des écrivains éclairés.» Il manioit les armes et monloit à cheval avec beaucoup d'adresse. Il marchoit à la tête de son armée, quelquefois à cheval, le plus souvent à pied, et toujours 1 été nue, malgré le soleil et les frimas. Sa célérité dans les voyages est incroyable : il faisoit quelquefois cent milles par jour sur un chariot de louage ; et quand uneriviere se rencontroit sur sa route, la passant à la nage ou siu des outres, il arrivoit souvent ayant ses propres coui
�CARACTERE.
i
ri ers. On ne sait s'il mit plus de prudence qu1 diesse dans toutes ses expéditions militaires. Ja: conduisit son armée dans des routes dangerel avoir auparavant examiné lui-même la posr lieux. Lorsqu'il entreprit une descente dans lal Bretagne , il commença par reconnoitre les ports de cette île et la mer qui la baigne, afin de découvrir les moyens d'y aborder. Instruit que son armée de Germanie étoit assiégée dans ses re tranchemens, il s'habilla en Gaulois,traversa, sans être reconnu,le corps-de-garde des ennemis, et vint délivrer ses soldats. Une antre fois il passa de Brindes à Dyrrachium durant une affreuse (empête , et au travers de deux flottes ennemies : il avoit commandé à ses troupes de le suivre ; mais comme,malgré ses ordres réitérés, elles ne venoientpoint, il résolut de les aller chercher. AFapproche de la nuit, il prit un habit d'esclave , monta dans une barque , se tait à l'écart comme un homme de néant, et garda le plus profond silence. Au milieu de la nuit, il s'éleva un vent violent; le fleuve Anio, à l'embouchure duquel étoit alors la barque, devint tout à coup dangereux et terrible : les eaux de son courant luttaient avec fracas contre les vagues de la mer; des abîmes nouveaux s'ounoientàehaqueinstantdans son sein; il sembloit vouloir remonter avec violence vers sa source, et le pilote ! étoit plus en état de gouverner .Dans cette extrémité, n ordonna aux rameurs d'exécuter leurs manœuvres'ers la poupe, afin de remonter l'Anio ; mais César se evant tout-à-coup , et saisissant la main du pilote : Marche, mon ami, lui dit-il; ose tout, et ne crains : rien : tu portes César et sa fortune.»Les rameurs encouragés, oublièrent alors le péril qui les menaçoit, et [edoublèrent d'efforts pour surmonter la violence des lagues.Soname était inaccessible aux scrupules delà -ligion. Jamais de sinistres auspices ne firent manquer, u même différer une seule de ses entreprises. Une ictime s'étant dérobée devant lui au couteau du sacriçateur,il ne laissa pas de marcher conlveJuba et Scitow.Dans son expédition d'Afrique, il tomba, en s'énçant hors de .son vaisseau , dans le port ; il s'écria
�352 CARACTÈ RE. alors : « Afrique, je te tiens ; » et son accident mémé devint pour ses soldats un heureux présage.Ses soldats cï-oyoient qu'il sntïîsoit de porter dans cette province le nom de Scipion, pour être invincible.il fil venir dans son camp un homme de cette famille du destructeurde Carlhage, quoiqu'il ne fût connuquesous un titre ignominieux , et qu'il fût généralement méprisé dans Rome à cause de la bassesse de ses mœurs. Il livroilbataille à l'ennemi, tantôt parce que l'occasion étoit favorable, tantôt à la suite d'un plan sagement concerté. Souvent il l'attaquoit aussitôt qu'il étoit arrivé; quelquefois il se mettoit en campagne , lorsque tout le monde étoit en quartier d'hiver. Ce ne fut que sur la fin de sa vie, qu'il modéra son activité dans les combats ; il pensoit que plus il avoit à se louer de la fortune, moins il devoit la tenter dans sa vieillesse; etque le chagrin que pouvoit lui coûter une défaite, ne pouvoit plus dorénavant être mis en balance avec la joie que pourroit lui procurer une victoire. On observe qu'il ne délit jamais ses ennemis , sans se rendre maître de leur camp. Tout étoit perdu pour eux quand il leur avoit inspiré la terreur. Si la fortune balancoi t entre les deux armées, il renvoyoit tous les chevaux de ses soldats , à commencer par le sien ;eten leur ôtant ainsi les moyens de fuir, il leur imposoit la nécessité de vaincre. Son armée eommen coit-elle à plier, il se présentait devant les fuyards les rallioit, les forcoit de faire tête de nouveau à l'ennemi , et son courage augmentait à proportion de terreurdeses troupes.Dans une alarme générale,l'officier qui portait l'aigle prit la fuite. César le voit, court à lui, le forçant de retourner sur ses pas : « Tu te « trompes, lui dit-il ; c'est-là que sont les ennemis. Après la bataille de Pharsale,il envoya son armée e Asie , et traversoit sur un petit navire le détroit d l'Hellespont, lorsque Cassius, un de ses ennemis présenta à lui avec dix vaisseaux de guerre bien armes Le vainqueur âePompée necherehapoint son sal ut dinij la fuite : il se présenta hardiment devant cette escadre exhorta son chef à se livrer à sa clémence , vint à bot de le persuader , et lui pardonna. Il estiinoit dans sel soldats'
�CARACTÈRE. 355 soldats , ni les mœurs , ni la fortune ; mais seulement la vigueur du corps , et il employoit à leur égard un mélange singulier de sévérité et d'indulgence, line faisoit observer l'exacte discipline que quand on étoit devant l'ennemi ; alors il usoit d'une rigueur excessive. Il ne prévenoit ses troupes , ni sur les routes qu'elles dévoient faire, ni sur les batailles qu'il avoit dessein de livrer, et il vouloit qu'elles fussent prêtes en tout temps à marcher et à combattre, même les jours de fête, ou ceux de pluie et d'orage. Quelquefois il avertissoit son armée de ne le point perdre de vue ; ensuite il se déroboit, soit pendant le jour , soit pendant la m>it, et marchoit à grandes journées pour fatiguer ceux qui ne mettroient pas à le suivre toute leur activité. Lorsqu'il voyoit ses légions effrayées du nombre des ennemis, il ne cherchoit point à affoiblir leurs forces , mais à les exagérer ; et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il réussissoit, par cet artifice, à rehausser leur courage. La renommée ayant appris que Juba approchoit à la tête d'une armée formidable, il assembla ses troupes, et les harangua ainsi : « Apprenez que dans peu de jours le « roi de Mauritanie arrivera avec dix légions , trente « mille chevaux, cent mil!ë hommes armés à la légère, « et trois cents éléphans. 11 est inutile d'établir sur ce « sujet des conjectures : le fait est vrai, et c'est votre « général qui vous l'annonce. Si quelques soldats osent « en douter, je leur ferai monter le plus vieux navire « de ma flotte, et ils vogueront, à la merci des vents, « dans les climats où les jetera leur destinée. » llaimoit singulièrement ses soldats, et neleurdonnoitquelenom flatteur decamarades. 11 avoit soin qu'ils fussent toujours vêtus avec propreté ; il leur fournissoit des armes à poignée d'or ou d'argent, autant par faste que pour les intéresser plus vivement à les conserver. Soname sembloit avoir passé dans tous ses officiers : ils avoient sa générosité, son courage, et sur-tout sa fierté. Il avoit envoyé un de ses capitaines à Rome , pour demander qu'on le prolongeât dans son gouvernement; l'officier attendoit à la porte du sénat la réponse de la compagnie. On vint lui dire que les suffrages des sénateurs Tome I. Z
�554 CARACTÈRE. n'étoient point en faveur de César : « Quoi ! s'écria l'in_« trépide député , le sénat 1 ui ôte la Gaule ! Eh Lien, » cette épée la lui rendra. » Scipion ayant surpris sur la mer d'Afrique un vaisseau de César, monté par Pétronius, passa tout l'équipage au fil de l'épée,etdit au commandant qu'il lui accordoit la vie. « La vie ! s'écria « Pétronius : les soldats de César la donnent à leurs cn« nemis , et ne la reçoivent jamais. » En prononçant ces mots, il se perça de son épée. De tels soldats dévoient être les plus intrépides des hommes : aussi quand ils se virent défaits à la journée de Dyrrachium , ils demandèrent volontairement à être dégradés, et leur général fut plus occupé à les consoler, qu'à les punir. Jamais, pendant la guerre des Gaules , qui dura dix ans , les légions de César ne se mutinèrent. Elles participèrent, il est vrai, à la contagion des guerres civiles ; mais leur soumission fut plus prompte encore que leur révolte, et ce fut moins l'indulgence que la sévérité du général qui les fit rentrer dans le devoir. On ne le vit point céder aux rebelles : il brava la fureur des séditieux, et les étonna par son invincible fermeté. Devant Plaisance il eutà se plaindre de la neuvième légion. Pompée présentoit aux mutins une retraite formidable, puisqu'ils pouvoient augmenter les troupes de cet ennemi de César: elle fut cassée toute entière, avec ignominie; on fut contraint de demander long-temps sa grâce, etilnelui pardonna qu'après avoir envoyé au supplice les chefs de la rébellion. Etant à Rome, la dixième légion se souleva : elle demandoit à grands cris des récompenses, et même son congé , quoique sa présence fût nécessaire en Afrique , où la guerre se faisoit alors avec fureur. Malgré les instances de ses amis, César se présenta devant ses soldats furieux, et osa les casser; mais le titre de Romains,çp\:'ù donna aux vétérans quicomposoientce corps, au lieu de celui de soldats, sufh t pour les faire rentrer èn eux-mêmes : ils s'écrièrent tou s qu'ils vouloient .servir sous ses ordres; et, quoiqu'il refusât de les admettre davan tage sous s es drap eaux, ils le suivirent vol ontairement dans son expédition d'Afrique. Il aima toujours ses cliens , et les px'otégea avec zèle. Jamais il ne man-
�355 qua à ses amis. Un certain Oppius, qui l'accompagnoit dans un de ses voyages, s'étant trouvé mal subitement au milieu d'un bois , où il n'y avoit qu'une misérable chaumière , il la lui céda , et alla coucher en plein air au pied d'un arbre. Quand il se fut rendu maître de la république , il éleva aux plus hautes dignités des gens de la plus basse extraction. On lui en fit des reproches : « Si des brigands, répondit-il, si des assassins m'avoient « élevé au pouvoir suprême, je ne me croirois pas dis« pensé envers euxdes devoirsde la reconnoissance. » Rien n'a plus fait d'honneur à César , que sa clémence et sa modération, soit dans son gouvernement des Gaules, soit dans sa dictature perpétuelle. Quand Pompée fit publier qu'il traiteroit en ennemi quiconque ne défendroit pas la patrie contre César, ce général, de son côté , fit annoncer , par un décret, qu'il regarderoit comme amis tons ceux qui observeroient la neutralité: il fit plus , il permit aux citoyens qu'il avoit élevés à quelque dignité, à la recommandation de Pompée, de passer librement sons les drapeaux de ce redoutable rival. A la bataille de Pharsale, il ordonna qu'on épargnât les citoyens ; et quand il l'eut gagnée, il permit à chacun des siens de sauver la vie à un ennemi. 11 releva les statues de Sylla et de Pompée, que le peuple avoit renversées; et s'il se tramoit quelque complot contre sa personne, il aimoil mieux en prévenir les effets, qu'en punir les auteurs ; il se contentoit de publier dans un édit, qu'il étoit instruit de tous lés desseins des conj urés, et il ne punissoit la hardiesse dans les propos , qu'en exhortant publiquement les coupables à être à l'avenir plus circonspects. Il pleura Pompée, et lui fit élever un superbe tombeau. Il apprend la mort de Caton , et il s'écrie : « O Caton! je t'envie la gloire de ta mort; car « tum'as envié celle de te sauver la vie.» Cettedouceur prenoit sa source autant dans sa politique que dans son caractère. « Je veux , disoit-il, regagner tous les es« prits par cette voie , s'il est possible , afin de jouir « plus long-temps du fruit de mes victoires. » Le nomde César est à côté , et au-dessus peut-être de celui à'yllexandre; s'il en eut les qualités, il eut aussi quelques
CARACTÈRE.
�356 CARACTÈRE. uns de ses vices. Il fut, en un mot, tel que devoit être le maître de Rome, si Rome avoit dû en avoir un. 5. Auguste ëtoit petit-fds de Julie, sœur de César ; et à l'âge de dix-huit ans, il recueillit la succession de son grand-oncle, qui l'avoit adopté pour son fils. Ce fut par les meurtres, le carnage et les perfidies qu'il s'éleva à la souveraine puissance ; mais quand il fut maître de l'empire, il fit oublier ses vices par l'exercice des vertus qui font chérir les plus grands princes. «Puissé-je, « disoit-il dans un édit solennel , puissé-je si bien « travailler à la sûreté de la république , qu'elle soit « enfin rétablie dans son premier lustre ! Puissé-je « mériter le glorieux titre de restaurateur de Rome, et « emporter en mourant l'espérance que l'empire sera «pourjamaisatfermisurlabasequejelui aurai donnée!» Il eut le bonheur de voir son vœu s'accomplir, et, sous son règne , les citoyens ne se repentirent point d'avoir changé de gouvernement. Rome , avant lui, n'éloit point décorée d'une manière qui répondit à la majesté de l'Etat. Elle étoit exposée aux inondations du Tibre et à de fréquens incendies. Il la répara et l'embellit ; et ce fut avec raison qu'il se vanta de la laisser toute de marbre , après l'avoir trouvée toute de brique. Tout' le peuple romain lui déférale titre de père de la patrie, et un grand nombre de citoyens couronnés de lauriers, le saluèrent sous ce nom dans un spectacle public. Le sénat même lui députa Valérius Messala pour lui dire qu'il lui décernoit, d'une voix unanime, cette dénomination glorieuse , et qu'il offroit pour lui les mêmes Vœux que pour le bonheur de la république. Auguste répondit les larmes aux yeux , qu'il ne lui restoit plus rien à désirer , sinon de mériter jusqu'au dernier soupir, ce témoignage de la bienveillance de ses concitoyens. Il aima tendrement sa famille, et rendit à ses parens les'plus grands honneurs après leur mort. Il prit un soin particulier de l'éducation de ses petites-filles ; il ne crut point les déshonorer en leur faisant apprendre à filer. Il enseigna lui-même à ses petits-fils les premiers principes des belles-lettres , et divers exercices du corps, tel que l'art de nager. Il s'appliqua sur-tout k
�CARACTÈRE* 35^; leur faire imiter parfaitement son écriture. Toutes les fois qu'ils mangeoient avec lui, il les faisoit placer au' Las de son lit ; et quand il voyageoit, ils l'accompagnoient à cheval, ou le précédoienl en litière. Ce prince étoit difficile en amitié , mais il ne la trahissoit jamais. Les vertus de ses favoris trouvoient en lui un ardent admirateur, et leurs défauts légers un juge indulgent. Il exigeoit de ses amis une bienveillance égale à celle dont il aimoit à leur donner des preuves ; et quoiqu'il témoignât peu d'ardeur pour les legs, et qu'il se fit un scrupule de toucher à l'héritage d'autrui, cependant il pesoit avec le plus grand intérêt les dernières volontés de ses amis; et quand le legs qu'ils lui laissoient étoit trop petit, ou qu'ils ne faisoient pas mention de lui en termes assez honorables, il manifesloit ouvertement son chagrin. Si, au contraire, leur piété répondoità l'attachement qu'ils avoient montré pour lui avant leur mort, il s'abandonnoit aux plus vifs transports de la joie. Quand le testateur étoit un père de famille , il cédoît à l'instant son legs à ses enfans, ou, s'ils étoient en bas âge , il attendoit pour le leur rendre avec usure , le jour où ils prenoient la robe virile , ou celui de leurs noces. Il montra à l'égard de ses domestiques un sage tempérament de sévérité et d'indulgence. Cosme, un de ses esclaves , répandant contre lui des satires injurieuses , il se contenta , pour toute punition , de lui faire mettre les fers aux pieds. Se promenant avec Diomede , intendant de sa maison , celui-ci effrayé à la vue d'un sanglier qui s'avançoit vers eux , plaça son maître entre lui et la bête féroce. Malgré la grandeur du danger qu'avoit couru le prince , comme l'action de Diomède étoit innocente en elle-même, il aima mieux le plaisanter sur sa timidité, que de le punir de son imprudence. Il devenoit rigoureux quand les fautes de ses gens blessoient les mœurs ou le bien public. Proculus, un de ses affranchis les plus chers, fut mis à mort, parce qu'on le surprit en adultère avec une dame ro-» maine. Il fit rompre les jambes à '1hallus son secrétaire, parce qu'il s'étoit laissé corrompre par une somme de cinq cents deniers romains, pour communiquer une de Z 3
�358 CARACTÈRE. ses lettres. Instruit que le précep teur et les officiers de Càius, soafils adoptif, profiloient de la maladie de leur maître pour vexer la province qu'il gouvernoit, il leur fit mettre une pierre au cou , et ordonna qu'on les jet ât dans une rivière. Il étoit blessé du faste des maisons de plaisance. Sa petite-fille Julie, en ayant fait élever une à grands frais, il la fit raser jusqu'aux fondemens. Les siennes étoient moins riches que commodes. On y voyoit fort peu de statues et de tableaux , mais beaucoup d'allées et de bosquets, et sur-tout un grand nombre de monumens rares et célèbres. C'est ainsi qu'il décora sa maison de Caprée des armes de quelques héros , et d'ossemens gigantesques de bêtes féroces , que l'on prenoit pour les squelettes des Titans. Il mit beaucoup d'économie dans les meubles de son palais. Un particulier opulent dédaigneroit les tables et les lits dont il avoit fait choix. Sa robe étoit une robe de ménage , que lui faisoient sa femme, sa sreur et ses filles. Il ne pouvoit souffrir une toge ou une robe de cérémonie qui fût trop large ou trop étroite. 11 porroit une chaussure fort élevée , afin de paroitre plus grand; et son habillement étoit toujours tout prêt dans son appartement, afin de n'être point arrêté quand il devoit sortir pour des affaires importantes. Il donnoit fréquemment de grands repas ; mais le nombre des convives étoit fixé, et il n'admettoit que des personnes choisies parmi la noblesse. Il alloit d'ordinaire fort, tard aux festins, etensortoitdebonneheure : aussi les convives ne se gênaient-ils point avec lui ; ils se mettoient, à table avant qu'il parût, et y restoient après son départ. Ilmangeoit fort peu, et n'était point délicat. 11 aimoit avec passion le pain des esclaves, les petits poissons, le fromage de lait de vache , et les figues fraîches. Il ne prenoit de la nourriture que suivant son appétit, et au moment du besoin , sans observer d'heure fixe. Il buvoit peu de vin ; et quand il vouloit se désaltérer, il mangeoit du pain trempé dans l'eau froide , un morceau de concombre , une côte de laitue , ou du fruit vert et aigre, dont le suc fût un peu vineux. Après le repas du matin, il faisoit sa méridienne sans prendre le temps de se
�CARACTÈRE. 35g déshabiller , ayant les pieds découverts et la main sur les yeux. Quand il avoit soupe, il se plaçoit sur un lit de repos pour travailler à la lumière ; là, il veilloit fort avant dans la nuit, jusqu'à ce qu'il eût achevé son journal, ou du moins qu'il l'eût fort avancé. Il se couchoit ensuite etdonnoit environ sept heures, mais d'un sommeil interrompu ; et lorsqu'il lui étoit impossible de s'assoupir , il appeloit quelque personne de sa maison pour lire devant lui, ou pour s'entretenir ; ce qu'il prolongeoit bien au delà du point du jour. Souvent, lorsqu'il se sentoit assoupi dans les rues, ou dans les voyages , il faisoit arrêter sa litière 5 et ,'sans en descendre , prenoit un léger sommeil. Dès que le feu des guerres civiles fut éteint, il cessa d'aller au Champ-de-Mars manier les armes et monter des chevaux. II s'amusoit à la paume ou au ballon ; dans la suite il se contenta delasimplepromenade. Seulemen tquand il avoit parcouru un certain espace de chemin, il s'exerçoità sauter enveloppé d'une grosse fourrure. Quelquefois , toute sa récréation consistait à pêcher à la ligne , ou à jouer aux dés* aux noix et aux osselets, avec des enfans que la finesse de leurs traits et la gentillesse de leur babil lui rendoient aimables. Ce prince étoit bien fait, et sa beauté se soutint même jusque dans sa vieillesse. Il avoit tant de douceur et de sérénité dans le visage , soit qu'il parlât, soit qu'il gardât le silence , que son regard seul en imposoit à ses ennemis. Un seigneur gaulois avoua un jour à ses concitoyens, que traversant les Alpes avec lui , il projeta de le jeter dans un précipice ; mais qu'à sa vue tout son courage s'éclipsa. Auguste avoit le regard plein de feu ; il n'était pas même fâché qu'on crût qu'il avoit quelque chose de divin dans cette vivacité ; aussi étoit-il charmé , quand il regardoit quelqu'un , de lui voir baisser les yeux, comme s'il eût été blessé de l'éclat du soleil. Il fît le plus grand accueil aux beaux génies de son temps. Il écoutait avec patience et avec bonté la lecture de leurs ouvrages, soit que ce fussent des poèmes ou des histoires , des harangues ou des dialogues ; cependant il n'aimoit pas qu'on écrivit son éloge , à moins Z
�36o CARACTÈRE. qu'on ne louât les grandes choses qu'il avoit faites , et que son panégyriste ne fût un homme célèbre. 11 recommandoit même aux préleurs de ne pas souffrir que, dans les jeux publics, son nom fût avili à force d'être prononcé. Ce prince avoit le foible de la superstition ; il trembloit à la vue des éclairs et au bruit du tonnerre, et il croyoit se garantir du péril, en portant toujours une peau de veau marin. A l'approche d'un orage , il se renfermoit dans un caveau obscur et profond ; et celte foiblesse devoit son origine à un accident qui lui arriva pendant la nuit, lorsque la foudre tomba sur sa litière. Il ne négl igeoi t ni les aruspi ces, ni 1 es au gures, persu adé que cette science frivole n'étoit point faite pour tromper. Si, le matin, on mettoità son pied droit la chaussure du pied gauche, il en concluoit qu'il étoit menacé d'un grand péril. Si au commencement d'un voyage de long cours , soit sur mer, soit sur terre , il tomboit une petite rosée , il se flattoit d'un prompt et heureux retour. Il prenoit le plus grand intérêt aux prodiges. Une palme ayant poussé entre les jointures d'un mur, devant son palais, il transplanta l'arbuste dans la cour du temple des dieux Pénates de Rome, et prit le plus grand soin pour le faire parvenir à sa juste hauteur. Il apprit une autre fois qu'un vieux chêne de l'île de Caprée , dont les branches flétries penchoient vers la terre, avoit repris sa vigueur le jour même qu'il avoit abordé dans cette contrée , il fut si ravi de cet événement, qu'il s'empressa de changer avec la république de Naples le territoire de Caprée qu'elle possédoit, contre celui d'Enarie. Il observoit avec soin les jours sinistres. Il n'entreprenoit aucun voyage, il ne faisoit rien de sérieux dans les temps des marchés qui se tenoient de neuf en neuf jours, ni le neuvième jour avant les ides : son unique motif, comme il l'écrivoità Tibère, éloit la rencontre du nombre sinistre de neuf. Le dernier jour de sa vie, il s'informa d'abord si le danger où il se trouvoit ne causoit aucun tumulte audehors. Ensuite il demanda un mii oir, fit ajuster sa chevelure, remédia a la difformité de ses joues pendantes ; et voyant ses amis rassemblés autour de son lit : « N'ai-je pas bien
�CARACTÈRE. 36l « joué mon rôle dans le drame de la vie humaine ? » leur dit-il ; et sans attendre leur réponse, il ajouta la formule qui terminoit les pièces de théâtre : « Eh « Lien ! Lattez des mains et applaudissez à Facteur. » Après cet adieu, il congédia tout le monde, et serrant tout d'un coup Livie dans ses bras : « Conserve, lui « dit-il, la mémoire d'un époux qui t'a tendrement « aimée : adieu pour jamais. » Il expira en l'embrassant. 6. Tibère avoit certainement du génie anaissoncœur étoit dépravé , et ses talens devinrent des armes dangereuses , dont il ne se servit que contre sa patrie. Ce fut aux instances de Livie , sa mère , qu'il dut l'honneur de succédera Auguste. Il n'accepta le souverain pouvoir qu'après Lien des sollicitations ; cependant, tout en feignant de refuser, il agissoit en despote ; et ceux qu'il affectoit de respecter, n'en étoient pas moins les victimes de son artificieuse politique. Enfin , il se laissa vaincre par les iiistances du sénat, mais en se plaignant de la servitude onéreuse où on lejetoit, et donnant à entendre qu'il n'acceptoit ce fardeau hono- 9 raLle que pour un temps, et jusqu'au moment où l'on trouveroit légitime d'accorder quelque repos à.sa vieillesse. H montra d'aLord quelque indulgence -, il ne répondit , pendant quelque temps , que par le mépris aux Lruits injurieux , aux invectives , aux vers mordans que la satire répandoit contre lui ; il se contentoit de dire que, dans une ville HLre, la langue et la pensée dévoient être liLres. Le sénat vouloit qu'on informât contre les auteurs de ces libelles : « Pères conscrits, « répondit-il aux sénateurs , nous n'avons point assez « de temps pour nous jeter dans l'embarras de ces « vaines recherches. Si quelqu'un a parlé indiscrète« ment sur mon compte , je suis prêt à lui rendre « raison de mes démarches et de mes paroles ; et s'il « continue après cela de me haïr , je le haïrai à mon « tour. » Cette douceur étoit si bien étudiée , qu'elle sembloit être dans son caractère : il traitoitle sénat entier,et chacun de ses membres,avec unrespectsioutré, qu'il tenoitplus de la bassesse que de l'urbanité. Quand les consuls se présentoient devant lui, il selevoitpour
�562 CARACTÈRE. les saluer; et s'il les rencontroit dans la rue , il se détournoit pour leur fane place : il rétablit dans Rome une ombre de liberté, en conservant aux sénateurs et aux magistrats leur pouvoir primitif et leur ancienne majesté. On lui conseilloit de doubler les impositions : a II faut tondre les brebis, répondit-il, et non les écor« cher. » Il souffroit la contradiction , non-seulement avec patience, mais même avec une sorte de plaisir. \Marcus-Pomponius-Marcellus reprit dans un discours de ce prince quelques expressions peu latines. Un courtisan , nommé Atléius Capito, soutint que l'empereur avoit parlé purement ; et que si ce que l'on critiquoit n'étoit pas absolument latin , il pourroit le devenir : « César, lui à\[,Pomponius, ne croyez pas ce vilfl atteur : « vous pouvez, sans doute, donner le droit de bour« geoisie aux hommes , mais vous ne pouvez pas le « donner aux mots. » Par ces dehors trompeurs, il fit concevoir aux Romains les plus flatteuses espérances. On crut qu'il ne se serviroit de son pouvoir que pour le • bonheur de l'état ; mais il ne tarda pas à détromper l'attente publique , dès qu'il se vit délivré de toute crainte. Ce fut alors qu'il développa cet affreux caractère et cette cruauté réfléchie qui avoit éclaté dès son enfonce , et que Théodore , son maître de rhétorique , avoit prévue et annoncée , en disant que ce jeune prince étoit une masse de boue, pétrie avec du sang. Auguste avoit fait des legs au peuple , que son successeur ne se pressoit pas d'acquitter. Un particulier , voyant passer un convoi sur la place publique , s'approcha du mort , et lui dit : ' « souvenez-vous, « quand vous serez aux champs-Elysées, de dire à Au« guste que nous n'avons encore rien touché des legs « qu'il nous a faits. » Tibère, informé de cette raillerie, fit mettre le railleurà mort, après luiavoirdonnésapart, en lui disant : « Va lui apprendre toi-même qu'ils sont « acquittés. » Pendant le séjour qu'il avoit été forcé de faire à Rhodes , sous le règne de son prédécesseur, Archelaïis, roi de Cappadoce , ne lui avoit rendu aucun devoir; il l'invita de venir à Rome, dès qu'il fut maître de l'empire ; il employa les plus flatteuses promesses
�363 pour l'y attirer. A. peine le trop crédule monarque fut-il arrivé / qu'on lui inventa deux accusations frivoles , et qu'on le jeta dans une prison obscure , où il mourut de chagrin et de misère. Ces barbaries ne furent que le prélude des plus horribles forfaits. Julie sa femme, Germanicus, Agrippa, Drusus, Néron, Séjan, ses parens, ses amis, ses favoris, furent tour-àtour les victimes de sa jalouse méfiance. 11 eut honte à la fin de rester à Rome, où tout lui retraçoit ses crimes , où chaque famille lui reprochoit la mort de son chef, où chaque ordre pleuroit le meurtre de ses plus illustres membres ; il se retira dans l'île de Caprée, où il se livra aux plus infâmes débauches : il avoit une troupe de jeunes garçons qui étoient les ministres et les instrumens de ses abominables plaisirs. Après s'être joué de l 'humanité, il n'avoit pas horreur d'outrager la nature ; il inventa même des luxures d'un nouveau genre, des noms pour les exprimer, tandis que d'infâmes esclaves étoient chargés de chercher de tous côtés de nouveaux objets, d'enlever les enfans jusque * dans les bras de leurs pères, et d'arracher les femmes à leurs maris. Pendant qu'il assouvissoit ses brutales passions, il ne pensa ni aux armées, ni aux provinces, ui aux ravages que les ennemis pourroient faire sur les frontières ; il laissa les Daces et les Sarmates s'emparer de la Mésie, et. les Germains désoler les Gaules; il se vit impunément insulté par Artaban, roi desParthes, qui, après lui avoir enlevé l'Arménie , lui reprocha , par des lettres injurieuses, ses parricides, ses meurtres, sa dégoûtante et lâche oisiveté, en l'exhortant à expier , par une mort volontaire , la haine de ses sujets et l'horreur du genre humain. Il nomma pour son successeur à l'empire Càius Caligula., déterminé à ce choix par les vices qu'il avoit remarqués en lui, et qu'il jugeoit capable de faire oublier les siens. Il avoit coutume de dire qu'il élevoit, en la personne de ce jeune prince, un serpent pour le peuple romain , et un Phaéton pour le reste du monde. 7. Tibère cependant parut avoir mal jugé de son fils adoplif ; car les connneneemens du règne de CaliCARACTÈRE.
�564 CARACTÈRE. gula annoncèrent aux Romains des jours fortunés. Il promit au sénat de partager avec lui le gouvernement, et de se regarder comme son fils , comme son élève. Il ouvrit les prisons , rappela les exilés, brûla tous les papiers que son prédécesseur avoit ramassés contre eux, réforma l'ordre des chevaliers, abolit les impôts, et bannit de la capitale du monde des femmes qui, par de nouveaux rafinemens de débauche, en corrompoient de plus en plus les mœurs. Rome l'appeloit d'une voix unanime , le modèle des princes , et le père du genre humain. Mais on rétracta bientôt ces éloges précipités, et l'on fut tristement convaincu de la barbare sagacité de Tibère. Après huit mois d'une vertu simulée , Caligula se lassa de feindre 5 et, se livrant à son caractère féroce , il se montra tel qu'il étoit : tyran, cruel, lâche et insensé. Dès ce moment il n'écouta plus que ses| sanguinaires caprices 5 et, tenant le glaive suspendu sur toutes les têtes, il ne cessa d'immoler des viclimesà son aveugle fureur, que quand il eut succombé lui-même sous les coups d'un tribun de ses gardes. L'effusion du sang humain étoit pour lui le spectacle le plus agréable, et les meurtres étoient ses récréations les plus douces. Son frère TibériusGemellus usoit d'un remède qu'on lui avoit prescrit contre une toux violente : Caligula lui reprocha de se défier de lui : « Quoi ! lui dit-il, de l'antidote contre « César ? » Pour le punir de ces prétendues précautions , il lui envoya ordre de se tuer lui-même , parce qu'il n'étoit permis à personne de répandre un sang aussi illustre. Le jeune prince tendit la gorge aux satellites du tyran, et ils refusèrent de le percer. Comme il n'avoit jamais vu tuer personne, il supplia les envoyés de son frère de lui indiquer au moins où il devoit se blesser pour mourir plus promptement ; on eut le courage barbare de lui obéir, et il se percale cœur. Sillanus, beau-père de Caligula, l'avoit prié de le dispenser de l'accompagner dans un voyage qu'il alloit faire sur mer , parce que cette navigation l'incommoderoit. Le tyran prétendit qu'il ne vouloit rester que pour profiter de son absence , et il le força à se cou-
�CARACTÈRE. 365 per la gorge avec un rasoir. Antonio., son aïeule, lui donnoit quelques avis ; peu content de les rejeter avec hauteur: «Tais-toi, lui dit-il d'un ton terrible , etsou« viens-toi que je puis tout contre tous. » Il la fit mourir de chagrin ; oh prétend même qu'il avança les jours de cette infortunée princesse par le poison ; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne lui fit rendre aucun honneur , et qu'il regarda de sang froid , d'un salon où il étoit à table , le bûcher qui consumoit son cadavre. Souvent, quand il embrassoi t sa femme ou quelque concubine , il disoit : « Une si belle tête sera abattue « quand je le voudrai. » Etonné lui-même de sa constance pour Césonia, qu'il avoit épousée, il répétait de temps en temps qu'il vouloi t lui faire donner la question , pour savoir d'elle ce qui la rendoit si aimable. Se mesurant à une statue de Jupiter: « Suis je plus grand « que le dieu ? » demanda-t-il au comédien Appelle. L'histrion balançant à répondre , il le fit déchirer à coups de fouet; et comme ce malheureux imploroit sa clémence, il le loua sur la beauté de sa voix, que ses gémissemens rendoient encore plus harmonieuse. Un gladiateur s'escrimoit avec ce prince dans une salle d'armes ; et, par complaisance , il se laissa tomber à ses pieds. Caligula récompensa cette flatterie en perçant son adversaire d'un coup de poignard, et se mit ensuite à courir, une palme à la main, comme s'il se fût signalé par une grande victoire. Il se trompa de nom, e£ fit exécuter un citoyen pour un antre. Il l'apprend : « Qu'importe, dit-il, l'autre ne l'avoit pas plus mérité « que lui. » Un préteur s'était retiré à Antiope , pour cause de maladie , et fit plusieurs fois supplier l'empereur de lui prolonger son congé. Caligula lui fit donner la mort, et ajouta que celui que tant d'ellébore n'avoit pu guérir, avoit besoin d'une saignée. De dix en dix jours , il signoit des sentences de mort contre tous ceux qui étoient détenus dans les prisons ; c'est ce qu'il appeloit purger son livre de compte. Ayant, condamné à la fois plusieurs Grecs et Gaulois , il se vantait d'avoir subjugué la Gallo-Grèce. Pour faire durer le supplice des malheureux, on ne leur donnoit,
�566 CARACTÈRE. par son ordre , que de petits coups souvent redoublés ; et il répétoit sans cesse aux bourreaux : « Frappez de « manière qu'ils se sentent mourir. » Deux consuls, au milieu desquels il étoit assis, le voyant éclater de rire, lui en demandèrent respectueusement la raison : « Je « ris , leur répondit-il, parce que je songe qu'à l'ius« tant même je puis vous faire égorger tous deux. » Un chevalier exposé sans sujet aux bêtes, criant qu'il étoit innocent, Caligula le fait rappeler, commande qu'on lui coupe la langue , et le renvoie pour être dévoré. Les parens étoient forcés d'assister aux supplices de leurs proches, et de plaisanter avec le monstre qui les ordonnoit. On le vit fermer les greniers publics, et indiquer lui-même au peuple le commencement de la famine. 11 souhaita que son règne fût. signalé par quelque calamité publique : une peste, un incendie, un tremblement de terre, étoient l'objet de ses vœux. Il porta la démence et la rage jusqu'à souhaiter que le peuple romain n'eût qu'une seule tête , pour avoir l'affreux plaisir de l'abattre d'un seul coup. Voyant qu'il en coûteroit beaucoup pour nourrir les bêtes sauvages destinées aux spectacles , il vint dans la prison où étoient renfermés les criminels , les fit ranger tous dans une galerie ; et, sans s'informer du genre de leurs crimes, s'apercevant que le premier et le dernier étoient chauves , il ordonna que d'un chauve à l'autre tous fussent exposés aux bêtes. Aussi n'y eut-il que les brutes qui n'eurent point à se plaindre de lui. Son cheval , nommé Incitatus , fut traité edmme l'étoient les plus grands hommes dans les beaux siècles de la république. Il le nomma pontife , et projetoit de le faire consul. Il juroit par sa vie et par sa fortune. Il lui fit faire une écurie de marbre, une auge d'ivoire , des couvertures de pourpre , et un collier de perles. La veille du jour où il devoit paroître dans le cirque , on distribuoit des soldats dans le voisinage, afin qu'aucun bruit ne pût interrompre son sommeil. Ce cheval, digne convive de Caligula , et, qui sans doute valoit mieux que son maître, mangeoit à sa table. L'empereur luimême lui servoit de l'orge dorée, et lui présentoit du
�I
367 vin dans une coupe d'or où lui-même avoit bu le premier. Axes barbares extravagances, il joignit un sacrilège orgueil. Après s'être vanté d'être le maître dé tous les rois de la terre , il voulut être adoré comme 1111 dieu. Il fit ôter les têtes des statues de Jupiter et des autres divinités , pour y substituer la sienne. Il prolongea une aile de son palais jusqu'à la place publique , de sorte que le temple de Castor et de Pollux ne lui servoitplus que de vestibule. Ilseplacoitquelquefois entre ces deux divinités, pourintercepterleshommages qu'on leur adressoit : il se trouva même des adulate urs qui lui donnèrent le nom de souverain des dieux. Il se bâtit un temple , se nomma des prêtres , se fit offrir des victimes ; et le nouveau Jupiter, pour mieux mériter ce titre, voulut imiter les éclairs et les foudres. Dans les orages , il faisoit un bruit semblable à celui du tonnerre, avec une machine, et lançant des pierres contre le ciel: « Tue moi, s'écrioit-il, ou je te tue. » Il renversa les statues et les images des grands hommes, fit ôter de toutes les bibliothèques de Rome les bustes d'Homère , de Virgile , de Tite - Live ; il vouloit même anéantir leurs ouvrages. Il enleva aux familles tous les monumens de la vertu de leurs ancêtres : en effet, elles n'étoient guère dignes de les posséder, puisqu'elles laissaient si long-temps subsistercettebête féroce. Les plus horribles débauches etles déprédations mirent le comble aux crimes du tyran. Inces tueux avec ses trois sœurs, il parut avec elles, en public , dans des postures scandaleuses. Drusïlle , l'aînée , étant morte , il la mit au rang des déesses. Il prostitua les deux autres aux compagnons de son abominable lubricité , et les exila ensuite. Il déshonora toutes les femmes de Rome, les enlevant à leurs maris, et leur arrachant l'honneur en la présence de ceux qui dévoient les défendre. Il établit des lieux de prostitution dans son palais. Il y forma une académie de jeu , et tint lui-même école de friponnerie. Manquant d'argent, il quitta les joueurs, descendit dans sa cour, y fit tuer sur-le-champ plusieurs personnes distinguées, et rapporta six cent mille sesterces. 11 cassa tous les testamens
CARACTÈRE.
�568 CARACTÈRE. des officiers qui, depuis la mort d'Auguste, n'avoient point institué César leur héritier, les regardant, par cette omission, comme coupables de la plus noire ingratitude. Pour s'emparer d'une succession, il lui snifisoit même qu'il entendît dire à quelqu'un que le mort s'étoit proposé de lui léguer tous ses biens. La terreur que cette tyrannie inspira à tout le monde, fit que des citoyens qu'il ne connoissoit pas, le mirent au nombre de leurs amis, ou de leurs enfans, afin d'avoir occasion de lui faire des legs considérables ; mais quand, après ces dispositions testamentaires, un père de famille continuoit de vivre, l'empereur l'accusoit de se moquer de lui, et lui envoyoit en présent des pâtisseries empoisonnées. Un ancien préteur , nommé Saturmnus , présent à une vente que Caligula faisoit de gladiateurs, dont lui-même taxoitle prix, s'assoupit sur son siège, et de temps en temps laissoit tomber sa tête, « Vois-tu ce sénateur, dit le prince au crieur public ? « il fait signe qu'il veut enchérir. » Ce jeu continua fort long-temps*; et Saturninus, en s'éveillant, apprit qu'où lui avoit adjugé treize gladiateurs , pour une somme qui excédoit peut-être vingt fois sa fortune. 8. Claude, oncle de Caligula ,futiproc\amé empereur par des soldats qui le rencontrèrent au moment où il set cachoit pour échapper aux assassins de son neveu, Quoique le sénat eût envie de rétablir la république, il n'osa s'opposer à son élection, et il eut lieu de s'applaudir des commencemens de son règne. Il refusa les titres fastueux qu'avoit inventés l'adulation des cour-i tisans , orna Rome d'édifices publics , et charma tous les citoyens par son affabilité , sa politesse, son application aux affaires, et son équité. Mais on n'aperçut bientôt en lui qu'un imbécille, quinesentoilnisafovce ni sa foiblesse, incapable de maintenir la souveraine puissance, et de remplir les devoirs qu'elle imposoit; et quoiqu'il eût alors plus de cinquante ans , le trône de l'univers n'étoit réellement occupé quepar unenfant crifél et stupide. On cite cependant de lui quelques jugemens qui essent fait honneur à la perspicacité d'uni prince plus sage. Un juge ne vouloit répondre que devant
�36$ devant sës pairs. L'empereur le força de plaider à l'instant sa cause , pour prouver , par la manière dont il la défendroit -, s'il etoit en état de prononcer dans celles d'autrui. Lne mère refusoit dereconnoître son fils. Les preuves ,. de part et d'autre , n'avoieiit point assez de clarté. Claude, en ordonnant à cette femme d'époiiser le jeune homme , réveilla les séntimens de la nature , et la contraignit dé rendre hommage à la vérité. Mais ces inomens lucides étoient rares , et pour Un ou deux traits de sagacité, il en montra mille de la plus absurde extravagance. Il donnoit presque toujours gain de Cause anx présens contre les absens y sans s'inquiéter si les) derniers avoieht des raisons légitimes qui les empêclioient de eomparoître. Dans Un procès où l'on opinoitpar écrit j il donna son suffrage en ces termes : « Je Suis de l'avis de ceux qui ont raison: » Un avocat excusoit un témoin sur ce qu'il lui étoit impossible de eomparoître à l'audience. << Impossible ! s'écria l'empe« reur i et pourquoi ? » L'avocat se fit long-temps presser , et dit enfin : « Sage et docte empereur , c'est « qu'il est mort àPouzzoleS. » Onnefaisbit aucun scrupule d'abuser de sa patience. On le rappeloît souvent lorsqu'il descendoit de son tribunal ; plusieurs le retenoiertt par le bas de sa robe , ou même par le pied , lorsqu'ilvouloitse retirer. En un mot, l'administration de la justice dégénéroit souvent en farce indécen l e , par 1 ineptie du juge et l'impudence des plaideurs. Il alloit prononcer sur une cause, lorsque les fumées d'un dinef qu'on apprêtoit pour les Saliens , dans un temple voisin consacré à Mars} vinrent frapper son odorat. A l'instant il quitte son tribunal et l'audience, se joint aux prêtres ; se met à table avec eux, et n'en sort qu'après avoir mangé et bu sans discrétion, ce qui lui arrivoit souvent. Alors il fa 1.1 oit le coucher sur le dos, et pendant qu'ildormoitlabouche entr'ouverte, onlui inséroit une plume dans le gosier pour l'aider à rendre la masse d'alimensquesa Voracité avoit précipités dans son estomac. On agitoit ait sénat une affaire qui c ncernoitles bouchers et les marchands de vin ; il s'écria tout-à-coup : « Qui peut, je vous prie, vivre sans Tome L A a
'BARACTÈRÉS
�O/O
CARACTÈRE.
« pctis pâtés ? « Et aussitôt il fit un dénombrement des anciennes tavernes où il avoit autrefois coutume de se fournir lui-même de vin. Le sénat, devenu flatteur parce qu'il n'étoit plus maître, lui décerna leshonneurs du triomphe, pour le succès de ses armes dans laGrandeBretagne; Claude voulut le mériter lui-même, passa dans cette île, dont une partie se rendit sans effusion de sang, et après une campagne de six mois, il revint à Rome , où il triompha avec un faste extraordinaire. Jblessaline, sa femme , le subjugua au point qu'il en apprit les débauches, etqu'il en fut le témoin, sans en être troublé. Elle osa même épouser publiquement Silius sous les yeux de Claude. Ce mariage adultère se célébra avec tout l'appareil d'une noce légitime entre une reine et le maître du monde. Enfin, on fit entendre au stupide empereur qu'en cédant le cœur de son épouse , il s'exposoit à être dépouillé de sa puissance par son rival; et il se détermina à punir l'attentat qu'il n'avoit pas eu le courage de prévenir. Le satellite de Claude trouvason impudique compagnedans lesjardins de Lucullus. La mère de cette princesse l'exhortoit à prévenir son supplice parmi généreux suicide ; elleprit une épée et tenta de se percer ; mais comme elle appuyoit mollement, l'officier tira la sienne et la lui passa au travers du corps. Le jour même où l'empereur avoit ordonné sa mort, il demanda , en se mettant à table , pourquoi l'impératrice ne venoit pas. Il étoit sujet à ces absences de mémoire; et souvent il envoya inviter à dîner avec lui, ou à son jeu, des citoyens qu'il avoit fait égorger la veille ; et attribuant leur retardement à leur sommeil, il dépêchoit courriers sur courriers pour hâter leur arrivée. Résolu d'épouser Agrippine, sa nièce , au mépris des mœurs et des lois, il ne cessoit de dire que cette princesse étoit sa fille, qu'il l'avoit vue naître, et qu'elle avoit été élevée dans son sein. Trente sénateurs et plus de trois cents chevaliers furent mis à mort sous son règne, et ce barbare prenoit plaisir à voir ces exécutions sanguinaires. Il étoit tellement familiarisé avec l'idée des tortures, qu'un de ses sfficiers lui rendant compte du supplice d'un homme
�CARACTÈRE» 371 consulaire , il répondit froidement : « Je né vous avois « pas dit de le faire mourir; mais qu'importe, puisque « cela est fait. » Etant à Tibur, il voulut qu'on suivît dans une exécution le code criminel nsité du temps de Ja république. Pour s'en faire une idée, il fit attacher quelques criminels à un poteau ; et comme il ne se trouvoit point de bourreau, il eut la férocité d'attendre jusqu'au soir que celui de Rome fût arrivé. Dans les combats des gladiateurs, si quelque athlète venoit à tomber, il lui faisoit couper la gorge, afin de contempler les traits de son visage lorsqu'il rendoit les derniers soupirs.' 9. Néron, petit-neveu de Claude , lui succéda , et commença son règne comme Auguste avoitfini le sien. Burrhus et Sèneque lui avoient donné une excellente éducation. L'un s'étoit efforcé d'imprimer dans son ame ces principes énergiques et sublimes qui inspirent et font naître les grandes actions ; l'autre, en polissant et en ornant son esprit, y avoit jeté les précieux germes de cette aimable urbanité qui invite les coeurs et les attache. Les Romains le regardèrent comme un présent du Ciel. Il étoit juste , libéral , affable , complaisant, sensible. On lui présentait à signer la sentence d'une personne condamnée à mort: « Hélas ! s'écria-t-il, les « yeux mouillés de larmes , pourquoi faut-il que je sa« che écrire ! » Une modestie noble et charmante relevoit ses heureuses qualités. Lesénatexaltoitla sagesse de son administration : «Attendez , répondit-il, à me « louer que je l'aie mieux mérité. » La perversité de son naturel ne tarda point à étouffer ces vertus , qui n'étoient excitées et soutenues que par l'infatigable assiduité et le zèle adroit de ses sages instituteurs. Il secoua d'abord le joug d'Agrippinesa. mère, aux forfaits de laquelleil devoitsa grandeur: il oublia bientôt qu'elle lui avoit donné la naissance etl'empire. Il craignit qu'elle ne lui ôtat le trône, afin d'y placer Britannicus, fils de Claude, à qui il appartenoit. Pour dissiper ses alarmes, il le fit empoisonner ; et dès ce moment son règne ne fut plus qu'un horrible enchaînement d'atrocités. Livré àlacorrnption de son coeur, il foula aux pieds jusqu'au respect que tous les hommes, et sur-tout les princes.» A a 2
�372ÇARA C T È RE. se doivent à eux-mêmes. Il passoit les nuits dans les cabarets et dans les lieux de prostitution, suivi d\me jeunesse effrénée, avec laquelle il battoit, voloit et tuoit. Une nuit, entre autres, il rencontra , au sortir delà taverne, le sénateur Montanus avec, sa femme, à qui il voulut faire violence. Le mari ne le connoissant point, le frappa vigoureusement, etpensale tuer. Quelques jours après, Montanus apprit que c'étoit l'empereur qu'il avoit battu; et s'étant avisé de lui écrire pour luifairedes excuses, Nérondit: «Quoi ! il m'afrappé, et « il vit encore ! » Sur-le-champ il lui envoya un ordre de se donner la mort. Son coeur s'accoutumoit de plus en plus au meurtre. Fatigué à'Agrippine sa mère, qu'il avoit voulu, dit-on, mettre au nombre de ses-concubines , il la fit massacrer. Pour qu'elle périt d'une manière qui parût naturelle, il la fit embarquer dans une galère construite de façon que le haut tomboit, de luimême , tandis que le fond s'ouvroit. Ce parricide stratagème n'ayant pas réussi, il envoya son affranchi Anicet la poignarder à Baye, où elle s'étoit sauvée. A peine la princesse eut-elle rendu le dernier soupir, que la nature se fit entendre. Le monstre croyait toujours voir Agrippine teinte de sang et expirante sous les coups des ministres de ses exécrables vengeances. Cependant il tâcha de se justifier auprès du sénat, en imputant à sa mère les plus odieuses machinations contre sa personne et contre l'état. Le sénat, aussi lâche que lui, approuva cette atrocité. Le peuple, non moins corrompu que les magistrats, alla avec euxau devant de l'infâme empereur, lorsqu'il fit son entrée dans Rome. On le reçut avec autant de solennité, que s'il eût remporté la plus brillante victoire, et la plus utile à sa patrie. Néron ne voyant que de vils esclaves dans tous ses sujets, ne consulta plus que le dérèglement de son esprit insensé. Lemaître du mondedevint le rival jaloux des plus abjects histrions. Il jouoit publiquement sur les théâtres comme un acteur,ordinaire, et prétendoit n'avoir aucun égal dans l'art du geste et dans celui de la déclamation. Idolâtre de la beauté de sa voix, qui n'étoit pourtant ni belle ni forte, il se privoit de manger,.
�CARACTERE. ZyS et se purgeoit fréquemment pour la conserver. Il se montrait souvent sur la scène la lyre à la main , suivi deBurrhus elde.Sénèque, qui applaudissoien t par complaisance , et qui peut-être espéraient encore que ces extravagances seroientla dernière fougue d'une monstrueuse jeunesse. Quandildevoit. chanter en public, des gardes étoient dispersés d'espace en espace pour punir ceux qui n'auraient pas été assez sensibles aux prétendus charmes de sa voix. Cet empereur-comédien disputait avec emportement contre les musiciens et les acteurs , comme s'il n'eût été que l'un d'entre eux. Il fit le voyage de la Grèce pour entrer en lice a'ux jeux olympiques. Quelqueseffortsqu'ilfitpour méritcrle prix,il ne l'obtint que par favenr, ayant été renversé au milieu de la course. Une laissa pas, au retour de ces exploits, de rentrer en triomphe dans le Capitale , sur le char dAuguste, entouré de musiciens et de comédiens de tous les pays du monde. On croyoit qu'il ne pousserait pas plus loin ses folies et ses fureurs ; mais il étoit fait pour commettre des crimes ignorés jusqu'alors. Il s'avisa de s'habiller en femme, et de se marier en cérémonieavec un infâme pantomime, nommé Pithagoras, et depuis ensecondesnoces de la même espèce, avec Doriphore, undeses affranchis. Par un retour à son premier sexe, il devint l'époux d'un jeune homme appelé Sporus , qu'il fit mutiler pour lui donner un air de femme. Il revêtit cette singulière épouse des ornemens d'impératrice, et parut ainsi en public avec son eunuque. C'est alors que les plaisans de Rome dirent que le monde aurait été heureiix , si le père de ce monstre n'eût jamais eu que de pareilles femmes. Sa férocité l'emportait encore sur ses désordres effrénés.. Octavie, sa femme ,Burrhus, Séneque , Lucam, Pétrone, Poppée sa maîtresse, furent sacrifiés àsabarbarie. Ces meurtres furent suivis d'un si grand nombre d'autres, qu'on ne le regarda plus que commeunebêteféroce altérée de sang. Ce scélérat se glorifioit d'avoir enchéri sur tous les vices. « Mes prédécesseurs , disoit-il, n'ont pas « connu, comme moi, les droits delapuissance absolue. «J'aime mieux, ajoutoit-il, être haï qu'aimé , parce
�3j4
CARACTÈRE.
« qu'il ne de'pend pas de moi seul d'être aimé, au lieu « qu'il ne dépend que de moi d'être haï. » Entendant quelqu'un se servir de cette façon de parlcrproverbiale: .« Que le monde brûle quand je serai mort,-» il s'écria : « Qu'il brûle plutôt de mon vivant, et que je le voie. » Ce fut alors qu'après une orgie, où il avoit, pour ainsi dire, fatigué tous les vices, illit mettrelc feu aux quatre coins de Rome, pour se faire une image de l'ineendie de Troie. L'embrasement dura neuf jours. Les plus beaux monumens de l'antiquité'devinrent la proie des flammes. Il y eut dix quartiers de la ville réduits en cendres. Ce spectacle lamentable fut une fête pour ce monstre. Il monta sur une tour fortélevée, pour en jouir à son aise. Il ne manquoit plus à ce forfait que de le rejeter sur les innocens. Il accusa les chrétiens de ce crime, et il furent dès-lors exposés à la plus cruelle persécution. On couvroit de cire et d'autres matières combustibles tous ceux qn'on arrêtoit, et il les faisoit brûler la nuit, afin qu'ils servissent de flambeaux. Pour se mieux disculper encore, il entreprit d'embellir Rome. Il fit rebâtir ce qui avoit été brûlé, rendïtles ru es plus larges et plus droites, agrandit les places, et environna les quartiers de portiques superbes. Un palais magnifique, tout brillant d'or et d'argent, de marbre, d'albàtre, de jaspe et de pierres précieuses, s'éleva pour lui avec une magnificence dont on n'avoit point encore eu d'exemple. S'il fut prodigue pour le dedans et l'extérieur de cet édifice, il ne le fut pas moins pour tout le reste. Alloit-il à la pêche, les filets étoient d'or trait et les cordes de soie. Entreprenoit-il un voyage, il falloit mille fourgons pour sa garde-robe seule. On ne le vit jamais deux fois avec le même habillement. Àu seul enterrement de son singe, il employa tous les trésors du plus riche usurier de. son temps. Ses libéralités envers le peuple romain surpassèrent toutes celles de se&prédécesseurs. Il lui jetoit de l'or, de l'argent, et même despierres précieuses ; et quand ses présens n'étoient pas dénature à être délivrés à l'instant, il faisoit distribuer des billets qui en exprimoient la valeur. Cette profusion,, si.capable de séduire leshabitans de
�3/5 Rome , furent fatales à ceux des provinces. Galba > gouverneur de la Gaule-Tarragonoise,homme illustre par sa naissance et par son mérite, désapprouva hautement les vexations dont ont accabloit les sujets de l'empire. Néron, instruit de cette hardiesse, envoie ordre de le faire mourir. Galba évite le supplice en se faisant proclamer empereur. Il fut poussé à cette démarche hardie par Vindex , qui lui écrivoit d'avoir pitié du genre humain, dont leur détestable maître étoit Je fléau. Bientôt tout Fempire le reconnoît. Le sénat déclare Néron ennemi public, et le condamne à être précipité de la roche du Capitole, après avoir été traîné tout nu publiquement, et fouetté jusqu'à la mort. Le tyran prévintson supplice, et se poignarda. Il étoit bien juste qu'un parricide, et le plus abominable monstre que l'enfer eût vomi , fût son propre bourreau. En vain implora-t-il, dans ses derniers momens, quelqu'un qui daignât lui donner la mort ; personne ne voulut lui rendre ce dangereux service. « Quoi ! s'écria-t-il dans « son désespoir, est-il possible que je n'aie ni amis pour <i défendre ma vie, ni ennemis pour me l'ôter?» Il seroit difficile d'exprimer la joie des Romains, lorsqu'ils apprirent qu'il n'étoit plus. On arbora publiquement le signal de la liberté, et le peuple se couvrit la tête d'un chapeau semblable à celui que prenoient les esclaves après leur affranchissement. Le sénat n'y fut pas moins sensible. Néron avoit dessein de l'abolir , après avoir empoisonné tous les sénateurs dans un repas. Lorsqu'il reçut les premières nouvelles de la rébellion, il forma le projet de faire massacrer tous les gouverneurs des provinces , tous les généraux d'armée , de faire périr tous les exilés, d'égorger tous les Gaulois qui se trouvoient dans la capitale , d'abandonner le pillage des Gaules à ses soldats, de brûler Rome une seconde fois, et de. lâcher en même temps dans les rues les bêtes réservées pour les spectacles, afin d'empêcher le peuple d'éteindre le feu. ; et s'il ne mit pas le comble à tous ses crimes par ces nouveaux forfaits, c'est qu'il n'eut pas le temps de les commettre. 10. Galba ne tenoit à la famille des Césars , ni pas Aa 4
CARACTÈRE.
�57© CARACTÈRE. liens du sang , ni par ceux de l'adoption. Quoique moins affermi sur le trône qu'aucun de ses prédécesseurs, il se livra à trois hommes obscurs, que les Romains appeloientses pédagogues. Cesfavoris, se livrant sous son nom à leur perversité naturelle, le lirent passer continuellement d'un vice à un autre : il rappela les exilés du règne précédent ; mais son avarice l'enpêcha d'achever son ouvrage : il oublia la restitution des biens, et au lieu de réparer les crimes de Néron, il s'en rendit le complice. Les soldats n'eurent pas moins à se plaindre que les citoyens. Les troupes de la marine lui ayant demandé le li tre de légionnaires, que le filsd'^r grippine leur avoit accordé, il fit fondre sur elles ses cavaliers, qui en massacrèrent une partie. Galba, aspirant au pouvoir souverain, avoit promis de grandes sommes aux prétoriens : il lesrefusadès qu'il futmaître. « Un empereur, leur dit-il fièrement, doit choisir ses « soldais , non les acheter. » Cette réponse irrita ses troupes ; ellesse révoltèrent. Aupremierbruitde lasédition, malgré les glaces de l'âge, il ne songea point à se retrancher dans son palais. Il vint au devant des rebelles, et tenta de se défendre contreleurspoignards, n'ayant pour armes que son éloquence, ses cheveux blanchis au service de la patrie, et cette majesté qui n'abandonne jamais les souverains quand ils savent l'être. Un soldat lui ayant dit, pour le tromper, qu'il venoil. de tuer Qthon, que les rebelles avoient proclamé empereur, au lieu de récompenser ce prétendu assassin : « Qui t'a commandé, lui dit-il, de lui donner « la mort ? » Lorsque lesconjurés déchiroient son sein: « Vous vous trompez, mes amis, leur cria-t-il : n'êtes« vous pas à moi ?ne suis-je pas à vous ? » Ainsi périt Galba, ayantjoué un beau rôle sous cinq empereurs, et plus heureux sousle règne d'autruiquesouslesien. Son esprit étoitmédiocre, et il futplutôt sans vices que vertueux : on le crut philosophe ; il n'étoit qu'indolent. Long-temps bon guerrier et magistrat intègre, il parut au-dessus d'un particulier tant qu'il joua un rôle subalterne , et tout le monde l'auroit jugé digne de succéder ftU-x Césars , s'il n'avoit jamais régné.
Jee
�È R Vt il. Oihon avoit été étroitement lié awc Néran > dont il mérita les faveurs par ses làelics complaisances 5 el en partageant ses crimes ainsi que ses plaisirs , il fut élevé aux premières dignités de l'empire. Nommé gouverneur du Portugal , il se fit estimer ces grands el chérir dos petits : il s'attacha ensuite à C.alba, auprès duquel il rampa en vil courtisan, dans l'espérance que ce prince l'adopleroit. Mais Pison lui ayant été préféré , il résolut d'obtenir le trône par la violence. Un autre motif encore l'excita à usurper le souverain pouvoir : il étoit accablé de dettes, contractées par ses débauches. « Je suis perdu , disoit-il publiquement , « si je ne me hâte d'être empereur. Je n'ai plus rien, j'e « puis tout hasarder. Et que m'importe, après tout, de « périr de la main d'un ennemi dans une bataille, ou « de celle de mes créanciers qui vont me poursuivre en « justice ? » Il gagna les gens de guerre , et se fit reconnoitre; mais pendant que le sénat el les troupes lui prêtoient serment, les légions de la base Germanie proclamoient Vilettius. H fit proposer à ce rival des gommes immenses pour l'engager à renoncera l'empire: tout fut inutile, il fallut combattre- Othon fut vainqueur dans trois batailles différentes; mais vaincu à son tour, entre Mantoue et Crémone , il voulut mettre fin à la guerre civile : « Il vaut mieux , s'écria-l-il , qu'un « périsse pour tous, que tous pour un. » Résolu de se donner la mort, il renvoya ses parens, ses amis, dont il brûla les lettres pour les soustraire à son rival ; partagea ce qui lui restait d'argent entre ses esclaves ; et voyant que ses soldats traitoient de désertion criminelle la retraite des sénateurs , il sortit de sa tente pour appaiscr l'émeute naissante : « Ajoutons encore, dit-il, « une nuit à notre vie. » Il défendit de faire aucune violence à ses amis , et laissant sa porte ouverte jusqu'au soir, il donna audience à tous ceux qui se présentèrent. Sur le soir , il but un verre d"eau, se fit apporter deux poignards, en cxaminaavecsoinlalanie,etenayanl mis un sous son oreiller , il dormit d'un profond sommeil. Au pointdujour, s'étant réveillé, il se perça au-dessous de la mamelle gaùche. Ses soldats accoururent, baifr A R A fi T
�3?8 CARACTÈRE. sèrent ses mains et ses pieds ; et plusieurs, après une infinité de regrets mêlés de louanges, se-tuèrent euxmêmes sur le bûcher où l'on alloit brûler son corps. Les Romains , qui ne s'attendoient pas de voir Otkon terminer sa vie avec autant de courage , pardonnèrent, en faveur d'une mort qu'ils trouvoient si belle, l'oppropre de sa conduite passée , et ils le jugèrent digne de régner à l'instant qu'il cessa de vivre. îa. Vitellius étoit un monstre de cruauté. Arrivé à Bébriac, où ses troupes avoient vaincu Othon, il voulut s'y arrêter, uniquement pour s'y repaître de la vue des corps morts, des membres épars et déchirés de la terre encore teinte de sang , et enfin de tout ce qui excite dans les ames sensibles l'horreur et la pitié. Le plaisir que lui causa cet horrible spectacle, l'empêcha de s'apercevoir de l'infection de l'air, sentie vivement par ceux qui l'accompagnoient. Il leur dit , quand ils s'en plaignirent : «Ce n'est rien •, le corps d'un ennemi « mort sent toujours bon , sur-tout si cet ennemi est « citoyen ; » et sur-le-champ il fit distribuer du vin aux soldats , et s'enivra avec eux. Il ne croyoit être empereur que pour bien manger. Il faisoit quatre ou cinq repas par jour ; et afin d'y suffire , il contracta l'habitude de vomir quand il vouloit. Vitellius, à force de boire et de manger , devint si abruti, que la seule facilité qu'il trouvoit à satisfaire ses honteuses passions , pouvoit le faire souvenir qu'il étoit empereur. Sa cruauté ne fit qu'augmenter avec, sa gourmandise. 11 fit tuer en sa présence, sur une fausse accusation ,Junius Blasus, pour assouvir ses yeux de la mort d'un ennemi. Il fit mourir de faim sa mère Sextilia , parce qu'on lui avoit prédit qu'il régneroit long-temps s'il lui survivoit. Cette mère infortunée le savoit sans doute capable d'une action aussi dénaturée ; car, quand elle apprit sa proclamation , elle ne put retenir ses larmes. Les excès de Vitellius montèrent bientôt à leur comble ; le peuple et les légions se soulevèrent. Vespasien fut élu ; et Primus, lieutenant du nouveau César , s'étant rendu maître de Rome, Vitellius alla se cacher chez le portier de son palais , dans la loge aux
�CARACTÈRE."
chiens. On l'en tira pour le promener par la ville tout nu , les mains liées derrière le dos , une épée sous le menton , pour le forcer de redresser la tête , et d'être le premier témoin des opprobres dont la multitude Faccabloit aussi lâchement qu'elle l'avoit flatté pendant son règne. On le tua à petits coups ; et sou corps fut traîné avec un croc dans le Tibre. io. Vespasien étoit issu d'une famille assez obscure ; mais il ne rougissoit pas d'avouer sa naissance , et se moquoit de ceux qui, pour le flatter , lui donnoient d'illustres ancêtres. Sa valeur et sa prudence, et plus encore le crédit de Narcisse , aff ranchi de Claude , Pélevèrentau consulat: il suivit Néron dans son voyage en Grèce , et encourut la disgrâce de ce prince, pour s'être endormi pendant qu'il récitoit ses vers : il fut cependant envoyé contre les Juifs, qui s'étoient révoltés, les combattit avec succès , se rendit maître de leurs plus fortes places, etse préparait à assiéger Jérusalem, lorsque ses soldats lui décernèrent le titre d'empereur, il commença par ré tablir l'ordre et la discipline parmi les gens de guerre, dont les excès et les insolences désoloient les villes et les provinces : il eut soin sur-tout de substituer à la molle oisiveté, que la timidité de ses prédécesseurs avoit laissé s'introduire dans les garnisons , cet te sage succession d'exercices et de travaux qui nourrit la vigueur du soldat, et le rend docile à ses.généraux. Un jeune officier , qu'il venoit de nommer à un emploi considérable , étant venu l'en remercier tout parfumé, jetant sur lui un regard sévère : « J'aimerais mieux, lui dit-il, que vous sentissiez l'ail « que l'essence; » et sur-le-champ il révoqua le brevet dont il l'avoit honoré. La réforme s'étendit sur tous les Ordres de l'Etat : il abrégea les procédures , et, par d'excellentes lois , fit avorter les artifices de la chicane ; il embellit Rome et les autres villes de l'empire, construisit des grands chemins , et pourvut à la sûreté des provinces frontières. Ce qui le distingua de tous ceux qui avoient régné avant lui , fut une clémence sans bornes : il ne se vengcoit que par des bienfaits de ceux rçui étoient soupçonnés de conspirer contre lui. Ses
�4>8o CARACTÈRE. amis lui conseillant de se défier deMétiusPomposianus, parce que le bruit courait que son horoscope lui promet toit l'empire , il le fit consul , ajoutant en riant: « S'il devient jamais empereur , il se souviendra que « je lui ai fait du bien. Je plains, ajouta-t-il, ceux qui « conspirent contre moi, et qui voudraient occuper « ma place. Les insensés! ils aspirent à porter un far« deau dont on ne connoîtbien le poids que quand on « en est chargé. » Ce fut par cette modération et par Sa vigilance qu'il désarma les conspirateurs qui voul.oient lui enlever le trône et la vie. Il n'étoit point ambitieux de ces titres pompeux et superbes sous lesquels presque tous les Césars avoient caché leurs vices ou leur incapacité, et refusa même long-temps celui de père de la patrie, qu'il méritoit à tant d'égards. Le roi des Parthes lui ayant écrit avec cette suscription: « Arsace, roides rois, à Vespasien, » ilse contenta de récrire simplement : « Flave Vespasien, à Arsace , << roi des rois. » Il permettoità ses amis de le railler; et lorsqu'on le plaisantait par des affiches , par d'autres affiches aussi plaisantes il émoussoit les traits de la satire. Son penchant à pardonner ne prit rien sur sa justice. Les usuriers, prêtant facilement à la jeunesse à un intérêt exorbitant , causoient le ruine de plusieurs maisons : il ordonna que quiconque auroit prêté à un enfant de famille à un gros intérêt, ne pourrait, quand la succession serait ouverte, répéter ni l'intérêt, ni le >rinc.ipal. Ennemi du vice , il fut le rémunérateur de a vertu : il fit fleurir sur-tout les arts et les sciences, par ses libéralités envers ceux qui y excelloient ou qui y faisoicnt des progrès , et il destina aux seuls professeurs de rhétorique cent mille sesterces, payables annuellement sur le trésor de l'empire. S'il fut l'appui des vrais talens, il fut le persécuteur du charlatanisme, et bannit de Rome une secte orgueilleuse, qui, cachée sous le manteau d'une philosophie contentieuse, rendoit toutes les vérités problématiques, etsemoit dans les esprits crédules des dogmes dangereux et téméraires. Un mécanicien habile, ayant trouvé un moyen de faire transporter à peu de frais , dans le Capitale ,
Ï
�CARACTÈRE.
38l
des colonnes d'une prodigieuse pesanteur, Vespasiert récompensa en prince cette découverte , niais refusa de s'en servir: « llfaut, dit-il, que les pauvres vivent.» L'empire fut aussi florissant au-dehors que dans l'intérieur. Outre la Judée et la Comagène , il assujettit encore les royaumes de Lycie et de Pamphylie en Asie, qui jusqu'alors avoient eu leurs rois particuliers, et les rendit provinces de l'empire. L'Achaïe et la Thrace en Europe, eurent un pareil sort. Les villes de Rhodes et de Samos, Bysancè et d'autres cités aussi considérables furent soumises aux Romains. On se croyoit revenu aux beaux siècles de la république, et Rome s'aperçut qu'elle étoit encore la dominatrice des nations. Les grandes qualités de Vespasïen furent ternies par une économie qui tenoit de l'avarice. N'étant encore que simple particulier, il avoit marqué beaucoup d'avidité pour l'argent : il n'en témoigna pas moins sur le trône. Un esclave, à qui il refusa de donner la liberté gratuitement, tout empereur qu>l étoit, lui dit : « Le « renard change de poil, mais non de caractère. » Les députés d une ville ou d'une province étant venus lui apprendre que , par délibération publique , on avoit destiné un million de sesterces à lui ériger une statue colossale : « Placez-la ici sans perdre de temps, » leur dit-il, en présentant sa main formée en creux , et les doigts écartés ; « voici la base toute prête.» Souvent il achetoit des marchandises pour les revendre plus cher. Un de ses officiers sollici tant un emploi pour un homme qu'il disoit être son frère , il le remit au lendemain ; et faisant aussitôt venir le candidat, il lui conféra la place demandée , pour la somme qu'il avoit promise à son protecteur. L'officier, ayant présenté de nouveau sarequête: «Va, mon ami, lui dit Vespaden, vacher* « cher un autre frère ; car celui que tu me recom« mandes se trouve être le mien. » Dans un voyage, il remarqua que son voiturier s'étoit arrêté sous prétexte de ferrer ses mules , mais réellement afin de donner le temps à un plaideur de lui présenter un placet : l'empereur lui demanda combien lui avoit valu son petit artifice, et se fit donner la moitié du profit. 11 verioit
�382
CARACTÈRE.
de mettre un impôt sur les urines ; et Titus, son fils, ne cessoit de lui en faire des reproches. Vespasien le laissadire ; et quand il eut touché lepremier quartier de cette exaction, portant l'argent aunezdu jeuneprince, il lui demanda s'il sentoit mauvais. « Non , répondit « Titus C'est pourtant là , répliqua l'empereur , « l'argentque je tire de l'impôt que tu blâmes. » Mais ce prince fit en sorte qu'une partie de ces extorsions fût attribuée à Génis, une de ses concubines. Elle vcndoit les charges et les commissions à ceux qui les sollicitoient, les absolutions aux accusés , innocens ou coupables , et les réponses même de l'empereur. Pour les emplois de finances, Vespasien cboisissoit les hommes lesplus avides,afinde les condamner quandils se seraient, enrichis : il ne regardoit les financiers que comme des éponges qu'il réservoit pour les presser au besoin. La dernière maladie de ce prince fut une douleur dans les intestins. Elle ne l'empêcha point de travailler aux affaires avec la même assiduité : « llfaut qu'un em« pereur meure debout, » répondit-il à ceux qui le pressoient de donnerplus d'attention à sasanté. Voyant approcher le terme de ses jours : « Pour le coup, mes « amis , dit-il gaiement à ceux qui l'environnoient, je '< crois que je deviens dieu ; » faisant allusion aux apothéoses que l'adulation romaine décernoit aux empereurs après leur mort. Vespasien fut le premier des Césars qui consola les Romains de l'anéantissement de la liberté. Né ami des hommes et avec le talent de les gouverner, sachant allier la politique des cours avec la franchise d'un soldat , aimant les plaisirs sans leur sacrifier les affaires , avare, mais du bien d'autrui encore plus que du sien, il posséda toutes les vertus d'un souverain philosophe , et n'eut précisément que le défaut dont Rome avoit besoin pour recouvrer son ancienne opulence.
i4- Tite succéda à son père, après s'être signalé par la prise de Jérusalem. Le premier acte qu'il fit de son autorité, fut une confirmation des gratifications et des privilèges accordés aupeuplepar les autres empereurs. Sa haine pour la calomnie le rendit très-rigoureux à
�CÀRÀCTER E;383 légarddes délateurs. Il condamna tous les accusateurs e profession à être fustigés dans la principale des plaes publiques, à être tramés de là devant les théâtres, t enfin à être vendus comme esclaves , ou relégués ans des îles désertes. Pour remédier encore plus fficacement que son père à la corruption des juges et, la longueurdes procédures, il ordonna qu'une même -.use ne seroit jugée qu'une fois, et qu'il ne seroit plus ermis, après un nombre d'années déterminé, deplaier pour les successions. Il eut, comme Vespasien , n soin particulier de réparer les anciens édifices, ou 'en construire de nouveaux. Sa popularité étoit telle, u'il voulut que ceux qui tenoient quelque rang parmi s citoyens pussent venir à ses bains , et s'y trouver nmême temps que lui. S'il avoit sujet de se plaindre e quelqu'un, il ne vouloit recevoir aucune accusation ontre cette personne. « Si je ne fais rien, disoit-il, qui soit digne de repréhension , pourquoi la calomnie me mettrait-elle en colère ? « Jamais il ne se servit de sa uissance pour faire mourir aucun de ses suje ts ; jamais ne se souilla de leur sang ; et cependant plus d'une isil eût pu, sans être injuste, exercer sa vengeance. J'aimerois mieux périr moi-même , que de causer la perie d'autrui, » répétoit-il à ceux qui quelquefois ssayoient de provoquer sa colère. Deux sénateurs yant conspiré contre lui , il les fit venir , leur déouvrit le complot, et se contenta de les exhorter à enojicer à leur dessein. Sons son règne, l'empire fut xposé à plusieurs calamités. Les éruptions du mont ésuve embrasèrent la plupart des villes de la Cam>anie ; un incendie consuma une partie de Rome, la )este désola plusieurs provinces. Durant tous ces malîeurs, Tite se comporta comme un souverain généreux et comme un père tendre , et vendit les ornemens de son palais pour faire rétablir les édifices publics. Le ègne de ce bon prince fut très-court, mais il lui mérita e titre glorieux de délices du genre humain. Son nom semble être devenu le synonyme de la bienfaisance et 'apanage de tous les bons rois : il suffit de le prononcer pour peindre celui qui l'a porté, et achever son éloge.
�33/(. CARACTÈRE. i5. Tité n'étoit pns encore mort, lorsque Domiheit, son frère , se fit proclamer. Son avènement à l'empire promit d'abord des jours heureux au peuple romain. Il affecta d'être doux, libéral, modéré , désintéressé, ami de la justice, ennemi de la chicane , des délateurs et des satiriques. On rétablit les bibliothèques consumées par le feu, et on les repeupla avec les meilleurs livres tirés de divers pays , et sur-tout d'Alexandrie. Rome fut réparée et embellie-, mais cesheurëux cornmencemens finirentpar des cruautés horribles. Il versa le sang dés chrétiens , et voulut en abolir le nom. Par son ordre, Cornélie, là première des vestales , fut. enterrée toute vivante , sous prétexte d'incontinerire. Elle mourut en héroïne , attestant Vesta , sur le bord de la tombe , qu'elle n'avoit jamais violé sa virginité, Sur le point de descendre dans le caveau fatal, sa robe s'accrocha; elle la ramena sur elle avec une attention précipitée, qui proiivoit qu'elle avoit l'habitude autant que les principes de la pudeur. Lorsqu'elle alloit descendre, le bourreau lui présenta la main; elle la refusa avec indignat ion,comme si une telle condescendance eût été capable dedonneratteirtteàl'intégritédesavertù. Lé supplice de cette vierge sévère causa de longs et vastes murmures 5 et peut-être eût-il fait naître une terriLle révolution, si Rome eût encore été dans ces siècles di vigueur où elleproduisoit les Brutus et les Virginius. Ce n'étoit certainement pas par vertu que Domitien fit rendre cet arrêt ; car ce monstre vécut long-temps avec sa propre nièce, comme si elle eût été sa femme légitime ; et après avoir violé la sainteté des mœurs publiques par cette liaison incestueuse, il fit rougir la nature par là lubricité de ses goûts pour les individus de son propre sexe. Son orgueil égaloit sa dépravation. 11 voulut qu'on lui donnât le nom de seigneur et de dieu dans toutes les requêtes qui lui seroient présentées. Tyran aussi réfléchi que Tibère, aussi forcené que GàVv gula , aussi féroce que Néron, il perçoit les mouches avec un stylet , quand il ne pouvoit, avec un édit, répandre le sang dos hommes. Il n'eut aucune guerre à soutenir, et toutefois son règne pacifique fut plus fu-
neste
�CARACTERE. 385 îleste à la patrie , que la perte de ït batailles. M? gnifique par vanité , affable pour être méchant avec plus de succès ; impitoyable et lâche , parce que ses crimes ne le laissoient, pas sans remords , il étoit dans des craintes continuelles. Ses terreurs toujours nou-*velles et toujours méritées, lui firent imaginer d'environner la galerie de son palais, sur laquelle il se promenoitordinairement,depierresluisantes,quirenVoyoient l'image des objets presque avec autant de fidélité qu'un miroir, afin que la réflexion de la lumière lui découvris si personne ne le suivoit. Il flattoit sans cesse les soldats qui le dominoient, et détestoit le sénat qui le flattoit. Il fnt assassiné par Etienne , affranchi de sa femmeDomitia, qu'il avoit répudiée et reprise, et qui étoit aussi dissolue que Messaline. Le sénat le priva de tousles honneurs, etmème delà sépulture après sa mort. 16. Nerva succéda à Domitien. Son premier soin fut de rappeler tous les chrétiens exilés , et de tolérer l'exercice de leur religion. Aussi libéral que juste, il abolit tous les nouveaux impôts, et ayant épuisé ses revenus par ses largesses , il y remédia par la vente de ses meubles les plus riches. Il voulut qu'on élevât à ses propres dépens les enfans des familles les plus indigentes. Une de ses plus belles lois fut celle qui défen^ doit de mutiler les enfans mâles. Sa modestie égaloit son équité. Il ne souffrit pas qu'on érigeât aucune statué en son honneur, et il convertit en monnaie toutes celles d'or et d'argent que l'orgueilleux Domitien avoit exigées, et que le sénat conservoit après les avoir abattues. Sa clémence donnoit le plus beau relief à tou tes ses autres vertus. Il avoit juré solennellement que tant qu'il vivroit, aucun sénateur ne seroit mis à mort. Ilfut si ridelle à sa parole, qu'au lieu dejmnir deux d'entre eux qui avoient conspiré contre sa vie, il se contenta de leur faire connoilre qu'il n'ignoroit rien de leur projet. Il les mena ensuite au théâtre, les plaça à ses côtés, et leur montrant les épées qu'on lui présentoit, suivant l'usage , il leur dit : « Essayez sur moi si elles sont « bonnes. » Mais sa douceur eut les plus malheureux effets. Les gouverneurs des provinces commirent mille Tomél. B b
�386 C A R A C T È R E. injustices ; et. les petits furent tyrannisés , parce que celui qui étoit à la tête des grands ne savoit pas les réprimer. Aussi Fronton , l'un des principaux personnages de Rome, dit un jour publiquement: «C'est un « grand malheur que de vivre sous un prince où tout « est défendu; mais c'en est un plus grand d'être sous « celui où tout est permis. » Les prétoriens se révoltèrent la seconde année de son règne. Us allèrent au palais , et forcèrent ce prince trop doux à se prêter à tout ce qu'ils voulurent. Nerva connut sa foiblesse, et pour en éviter les effets, en associant Trajan à l'empire , il donna un père à la patrie. 17. Le père de Trajan avoit obtenu les honneurs du triomphe sous Vespasien, qui l'avoit mis au nombre des sénateurs, et revêtu de la dignité consulaire. Sou fils fut digne de lui. Ses services militaires, les talens de son esprit, et les qualités de son cœur engagèrent JYerva à l'adopter. Après la mort de l'empereur, Trajan fut unanimement proclamé par les légions de la Germanie et de lalYlœsie, et fit son entrée à Rome à pied, pour montrer aux Romains le dédain qu'il faisoit des vaines grandeurs. Il commença par gagner le peuple, en lui faisant de grandes largesses, et abolit tous les crimes de lèse-majesté. Il alloit au-devant de ceux qui le venoient saluer, et les embrassoit, au lieu que ses prédécesseurs ne se levoient pas de leur siège. Ses amis lui reprochant qu'il étoit trop affable et trop civil, il leur répondit: «Je veux faire ce que je voudrois qu'un em« pereur fit à mon égard si j'étois pariculier.» Son but étoit de se faire aimer de tous ses sujets, et il y réussissoit. Il haïssoit le faste et les distinctions, nepermettoit qu'avec peine qu'on lui élevât des statues, et se moquoit des honneurs qu'on rendoit à des morceaux de bronze ou de marbre. Lorsqu'il sortoit, il ne vouloil pas qu'on allât devant lui pour faire retirer le monde. Il n'étoit pas fâché d'être quelquefois arrêté dans les rues par des voitures. Son humeur gaie et sa conversation spirituelle et polie faisoient les principaux assaisonnemens de sa table. Ses délassemens ordinaires consistaient à changer de travail, à aller à la chasse, à cen-
�CARACTÈRE.
38f
(
îuîre un vaisseau, ou à ramer lui-même sur une galèreIl prenoit ces divertissemens avec ses amis , car il en avoit. Fidelle à tous les devoirs de l'amitié, il leur renloit souvent visite, les faisoit monter dans son char , montait dans le leur. Il alloit manger chez eux, assistoit même aux assemblées où ils ne traitaient que de eurs affaires domestiques. Sa confiance pour eux étoit extrême. Quelques courtisans jaloux du crédit àcSura, son favori, l'accusèrent de tramer des desseins contre sa vie. Il arriva que ce jour-là même Sura invita l'empereur à souper chez lui. Trajan y alla et renvoya ses gardes. Il demanda aussitôt le chirurgien et le barbier le Sura, et il se fit exprès couper les sourcils par le nremier et raser labarbe par l'autre. Il descendit ensuite mx bains, puis se mit tranquillement à table au milieu le Sura et des autres convives. Le monarque ne fut pas moins grand en lui que le particulier, il soumit les ennemis de l'empire , et en agrandit les provinces frontières par de nouvelles conquêtes. Il ne pouvoit souffrir ni approuver les exactions outrées : « Le fisc, |« disoit-il, ressemble à la rate, qui, à mesure qu'elle enfle, fait sécher les autres parties du corps. » Le métier de délateur, déclaré infâme, fut défendu sous [les peines les plus rigoureuses. Il embellit Rome et 'empire, multiplia les grands chemins, fit fleurir le commerce, les arts utiles et agréables, et fut le zélé protecteur des savans. S'il aima trop le vin et les fertiles, s'il fut sujet à des habitudes monstrueuses, ses «ces n'influèrent point sur ses devoirs, et il les cacha sous l'éclat des plus utiles vertus. 18. Adrien, fils adoptif de Trajan, mérita de lui suc-' céder. Il pardonna à ses rivaux. Un d'entre eux s'étant présenté pour lui demander grâce: « Vousvoilàsauvé,» lui dit-il en l'embrassant. Après avoir fait la paix avec les Parthes , il revint à Rome, et refusa l'honneur du triomphe qu'il fit accorder à l'image de Trajan. Il s'adonna à tous les genres de littérature, conversant avec les savans, leur communiquant ses lumières, exerçait ses talens avec eux, et enviant les leurs. Le philosophe Favorin , qui connoissoit son foible, répondit à un de B b 2
�388 C A R A C T K K E. ses amis , qui lui reprochent d'avoir cédé mal-à-propos à l'empereur: « Voulois-tu que je résistasse à un « homme qui commande à trente légions ?» Adrien parcourut plusieurs fois les provinces de l'empire pour y maintenir l'ordre et l'abondance ; mais ses fréquens et longs voyages qu'il faisoit à pied, altérèrent sa santé. Ennuyé de ses souffrances , il avoit essayé plusieurs fois de se tuer. Il congédia tous les médecins, dans la pensée que leurs soins né faisoient qu'augmenter sa maladie , qui le conduisit au tombeau. Sa vie fut un mélange de bien et de mal ; s'il eut quelques vertus de Trajan , il eut aussi des vices dont Trajan fut exempt : la présomption et la cruauté. Quoique capable de soutenir avantageusement la guerre , il ruina l'empire pour acheter "la paix. ig. Antonin, adopté par Adrien , fît briller sur le trône impérial La douceur, la sagesse, la prudence, la modération et la justice. Il rendit d'abord la liberté à plusieurs citoyens arrêtés par les ordres de son prédécesseur, qui les destinoit à la mort. Le sénat enchante du commencement de son règne, lui décerna le titre de Pieux, et ordonna qu'on lui érigeât des statues. An£o«mlesméritoit. Il diminuales impôts, défendit qu'on opprimât personne pour la levée des subsides, et prêta une oreille facile aux plaintes des surchargés. Il consuma son patrimoine entier en aumônes. Il fut aussi respecté par les étrangers que par ses sujets. Plusieurs peuples lui envoyèrent des ambassadeurs; d'autres voulurent qu'il leurdonnàtdes souverains; des rois puissrms vinrent lui rendre hommage. Plus occupé à rendre ses peuples heureux par la paix, qu'à se rendre redoutable par les armes , il sut conserver et même étendre ses provinces sans faire la guerre, et son nom seul contint les Barbares. Sa seule crainte étoit de déplaire à son peuple. Il ne voulut point qnç le sénat recherchât des malheureux qui avoient conspiré contre lui. Lorsqu'on lui vantoitles conquêtes de ces illustres meurtriers qui ont désolé la terre : « Pour moi, disoit-il , je préfère la « vie d'un citoyen à la mort de mille ennemis.» Le paganisme n'abusa point de sa religion pour faire persev
�CARACTÈRE. 38o, cuter les chrétiens : touché de leurs plaintes, il ordonna pie leurs délateurs fussent sévèrement réprimés. Sur [e point de mourir, on lui demanda le mot du rallielent, et il prononça celui d'égalité d'dme. C'était la première qualité de ce prince. Sa mort fut un deuil aour le genre humain, qui perdoitle premier des homfnes et le modèle des rois. C'était Socrate sur le trône. 20. Marc-Aurèle avoit été associé à l'empire avec ion frère Lucius-Verus, par Antonin ; et quoique après a mort de ce prince, Marc-Aurèle fût seul proclamé"; 1 partagea les honneurs et le pouvoir avec son frère, lome vit alors ce qu'elle n'avoit point encore vu : îeux souverains à la fois, et deux souverains qui n'ayoient qu'un coeur et qu'un esprit. Dès l'âge de douze ans, Marc-Aurèle avoit pris le manteau de philosophe. 3a vie avoit été depuis sobre et austère. Il couchoit sur la terre nue, et ce ne fut qu'à la-prière de sa mère ju'il prit un lit un peu plus commode. Ses maîtres de philosophie ne lui avoient point appris à faire de vaines iéclamations et de ridicules syllogismes, ou à lire dans |Ies astres; mais à avoir des mœurs et de la vertu. Devenu empereur , il s'appliqua à régler le dedans de [l'état', et à le faire respecter au dehors. Il remit en vigueur l'autorité du sénat, et assista à ses assemblées vec l'assiduité du moindre sénateur. Non-seulement il délibéroit de toutes les affaires militaires, civiles et politiques, avec les plus sages de la ville, de la cour et u sénat, mais encore il déféroit à leur avis plutôt n'ausien. «Ilestplusraisounablc, disoit-il, de suivre « l'opinion de plusieurs personnes éclairées s que de « les obliger de se soumettre à celle d'un seul homme. » S'il écoutait les bons conseils , c'étoit pour les faire exécuter avec vigueur. « tielui qui commande, disoit« il, doit se hâter dans tout ce qu'il entreprend ; et « quand il néglige d'exécuter de petites choses, il perd « souvent l'occasion d'en faire de grandes. » Il apportait une circonspection scrupuleuse dans le choix des gouverneurs des provinces et dans celui des magistrats. « Le prince ne peut pas créer les hommes, répétait« il souvent; mais il doit les étudier , et ne leur im~ & b 3
�3o,0 CARACTÈRE. « poser que des fonctions analogues à leurs talens. » Persuadé que le souverain est subordonné aux lois, il ne se regardoit que comme l'homme d'affaires et le premier serviteur de la république. « Je vous donne « cette épée, disoit-il à un officier qu'il créoit chef du « prétoire, pour me défendre tant que je remplirai fi« dellement mon devoir; mais tournez-la contre moi, « si j'oublie que je suis obligé de faire le bonheur des , « Romains. » Il demandoit permission au sénat de prendre de l'argent dans l'épargne ; « car, disoit-il, rien « ne m'appartient en propre; et la maison que j'habite « est à vous. » Adoré du peuple et du sénat, l'un et l'autre voulurent lui prouver leur amour par de nouveaux honneurs; mais il refusa les temples et les autels. « La vertu seule, répondit-il aux ordres de l'état pros« ternés à ses pieds ; la vertu seule égale les hommes « aux Dieux. Un prince juste a l'univers pour son teni« pie, et les gens de bien pour prêtres et pour minis« très. » La famine, la peste, les tremblemens de terre, les épidémies les plus longues et les plus terribles ravageoient l'empire, tandis que les Barbares essayoientd'en franchir les limites. On regarda les chrétiens comme la cause de ces fléaux. Par piété , Marc-Aurèle souffrit qu'on les persécutât; mais il reconnut bientôt leur innocence; il admira leur patience et leurs vertus, défendit de les accuser et de troubler leur culte. AvidiusCassius se lit proclamer empereur. Marc-Aurèle fit des préparatifs pour marcher contre lui ; mais le rebelle, fut tué par un centenier de son année. On envoya sa tête au légitime souverain , qui refusa de la voir, et qui brûla toutes ses lettres , pour n'être pas obligé de punir sa révolte. Il fit même entendre que si Cassius avoit été en son pouvoir , il ne s'en seroit vengé qu'en lui laissant la vie. Il pardonna à toutes les villes qui avoieiit embrassé son parti. Ensuite il se rendit à Athènes , y établit des professeurs publics , auxquels il assigna des pensions et accorda des immunités. De retour à Rome, après plusieurs années d'absence , il donna à chaque citoyen huit pièces d'or, fit une remise générale de tous ce
�. c A R A c T È R E. 3gi gui éloit dû au trésor impérial ; et à l'imitation de Trajan , il brûla dans ]a place publique les actes qui étoient dressés contre les redevables. Il éleva un grand nombre de statues aux capitaines de ses armées, morts dans la dernière guerre 5 et afin de se décharger un peu du fardeau de l'empire, après avoir désigné Commode , son fils , pour son successeur , il se retira à Lavinium. Là , dans le sein de la philosophie , qu'il appeloit sa mère , par opposition à la cour qu'il nonimoit sa marâtre , il répétoit souvent ces paroles de Platon : « Heureux les peuples dont les rois sont phi« losophes, et dont les philosophes sont rois ! » On le regarda comme un prince doué de toutes les vertus et exemptde touslesvices.il eût été parfait, si sa douceur eût un peu moins tenu de la foiblesse ; et sa patrien'cût eu aucun reproche à lui faire , s'il eût ôté l'empire à Commode , dont il n'avoit pu se dissimuler les vices. 21. Des philosophes également sages et savans cultivèrent le cœur et l'esprit de Commode ; mais la nature l'emporta sur l'éducation; et il fut aussi corrompu que Néron. Comme lui, il lit périr les plus célèbres personnages de Rome , et ses parens ne furent pas à l'abri de sa fureur. Cléandre , Phrygien d'origine , esclave de naissance, devenu son ministre en favorisant ses débauches, seconda les cruautés du tyran. L'infame favori fut massacré par les soldats. Commode n'en devint pas plus sage. Un jeune homme dé distinction lui présenta un poignard , lorsqu'il entroit par un endroit obscur, et lui dit : « Voilà ce que le sénat t'envoie. » Dès ce moment, l'empereur conçut une haine implacable contre les sénateurs. Rome fut un théâtre de carnage et d'abominations. Lorsqu'il manquoit de prétextes pour avoir des victimes, il feignoit des conjurations , et le glaive du despotisme immoloit l'innocence. Aussi lâche que cruel , il corrompit ses sœurs , et destina trois cents femmes et trois cents garçons à ses débauches. Son imagination , aussi déréglée que son cœur , lui persuada de rejeter le nom de son père ; et au lieu de s'appeler Commode, fils à'Antonin, il se fit nommer Hercule, fils de Jupiter. Le nouvel Hercule
Bb 4
�3o,2 CARACTÈRE. ge promenoit dans les rues de la capitale, vêtu d'une peau de lion, unè grosse" massue à la main, voulant détruire les monstres à l'exemple de l'ancien ; et Rome eût été heureuse, s'il eût commencé par lui-même. Il faisoit assembler tous les malades et les estropiés, et après leur avoir fait lier les jambes , et leur avoir fait donner des éponges au lieu de pierres , pour les lui jeter à la tête , il tomboit sur ces misérables , et les assommoit à coups de massue. Une rougissoit point de se montrer sur le théâtre, et de se donner en spectacle. Il voulut paroîtrc tout nu en public comme un gladiateur. Martia sa concubine, Lœtus, préfet du prétoire, et Electc , son chambellan , tachèrent de le détourner de cette extravagance : un arrêt de mort récompensa leur zèle; mais ils le prévinrent en l'empoisonnant ; et comme le breuvage n'opéroit pas assez promptement, ils l'étranglèrent. Le nom de Commode est placé parmi ceux de Tibère , de Domitien, et de ces autres monstres qui ont déshonoré le trône et l'humanité. Il avoit la lâche timidité de ces tyrans : n'osant se fier à personne poursefaire raser, ilsebrûloitlui-même labarbe. 22. Pertinax, fils d'un affranchi qui gagnoit sa vie à cuire des briques, mais qui avoit faitoublier l'obscurité de son père , par les dignités qu'il avoit méritées , fut mis à la place de Commode, et commença par réprimer l'insolence des cohortes prétoriennes , qui insultoient hautement le peuple et bravoient les citoyens. Les "délateurs furent proscrits, et les abus réformés. Tous les biens du dernier tyran furent vendus , et les terres incultes distribuées aux pauvres, industrieux, avec de grandes immunités pour les encourager davantage. Il remit au peuple les péages et les impôts qu'on levoit sur les bords des rivières , dans les ports et sur les grands chemins ; et après avoir réduit à la moitié les dépenses ordinaires du palais, il se préparoit, par son économie et sa frugalité, à rendre l'empire heureux et florissant, lorsque les prétoriens se soulevèrent. Dans la confusion de la révolte , un soldat le perça d'un coup de lance, en s'écriant : « Voilà ce que nous t'enS voyons. » Pertinax, père de son peuple , se voyant
�CARACTÈRE. 3Q3 traité comme un tyran , s'énveloppa la tête avec- sa robe, et cessa de vivre. Didier-Julien, vieillard follement ambitieux, acheta l'empire , et ne monta sur le Irène que pour y trouver la mort. Pescennius-Niger , qui fut proclamé presque en même temps que lui , n'eut pas un règne plus long, et donnoit de plus heureuses espérances. Il dit à un orateur qui vouloit célébrer son avènement à l'empire : « Composez plutôt « l'éloge de quelque fameux capitaine qui soit mort, « et retracez à nos yeux ses belles actions, pour nous » servir de modèle. C'est se moquer que d'encenser" « les vivans , sur-tout les princes, dont il y a toujours « quelque chose à craindre ou à espérer. Pour moi , « je veux faire du bien pendant ma vie , et n'être « loué qu'après ma mort. 23. Sévère s'éleva par la chute de Didier. Il s'était acquis une grande réputation à la guerre, et personne ne lui contestait la valeur et la capacité. On remarquoit en lui un esprit étendu, propre aux affaires, entreprenant , et porté aux grandes choses. Habile et adroit, vif, laborieux, vigilant, hardi, courageux et plein de confiance , il voyoit d'un coup-d?œil ce qu'il fàlloit faire , et à l'instant il l'exécutait. On prétend qu'il a été le plus belliqueux de tous les empereurs romains. Il étoit ferme et inébranlable dans ses entreprises , prévoyoit tout , pénétrait tout, songeoit à tout. Ami généreux et constant, ennemi violent et dangereux ; au reste , fourbe , dissimulé , menteur, perfide , parjure , avide , rapportant tout à lui-même, prompt, colère et cruel. Arrivé à Rome, il fit mourir plusieurs sénateurs qui avoient suivi le parti de Didier et de Niger, en relégua d'autres , et confisqua leurs biens. Albin ne voulut pas le reconnoître ; il le combattit près de Lyon, fut victorieux, vint voir le corp^ de son ennemi, le fit fouler aux pieds par son cheval, ordonna qu'on le laissât devant la porte de la ville jusqu'à ce qu'il fût corrompu et que les chiens l'eussent mis en lambeaux , et fit jeter ce qui en restait dans le Rhône. Ensuite il envoya sa tête à Rome ; et piqué contre les sénateurs qui, dans un décret, avoient parlé
�5Q 4 CARACTÈRE. à'Albin en termes honorables , il leur écrivit en ces termes : « Je vous envoie celte tête pour vous ap« prendre jusqu'où peut aller ma colère. » Il fit mourir la femme et les enfans de son malheureux rival, massacrer tous ceux qui avoient embrassé son parti, et mit le comble à ces férocités , en ordonnant une persécution sanglante contre les Juifs et les Chrétiens. Caracalla, son fils, voulut, dit-on, Passassiner, étant à cheval derrière lui. Déjà le parricide levoit le bras pour le frapper; les cris des gardes de l'empereur déconcertèrent son audace. Sévère se retourna et vit Pépée nue entre les mains de son fils. Il dissimula jusqu'au soir, et le fit alors venir dans son appartement. Dès que le jeune prince fut arrivé, l'empereur fit éloigner tous les témoins, et, seul avec son fils, lui dit en lui présentant une épée : « Tu en veux à ma vie ; exécute ton dessein : tu ne seras vu de personne. » Ce prince avoit d'excellentes qualités et de grands défauts, qui tour-àtour le portèrent à de brillantes actions, ou à des crimes horribles. Il aima les lettres, et protégea ceux qui les cultivoient. Son siècle étoit si déréglé , que sous le seul règne de cet empereur, on fit le procès à trois mille personnes accusées d'adultère. 24. Caracalla et Geta son frère , furent proclamés par les soldats ; mais l'an tipathie de ces princes augmentant de jour en jour , Caracalla fit poignarder Geta entre les bras de Julie sa mère , qui fut teinte de son sang. Le fratricide, resté seul empereur, gagna les soldats par ses libéralités ; et pour diminu er l'horreur de son crime, il fit placer son malheureux frère au rang des Dieux, se mettant fort peu en peine qu'il fut dans le ciel, pourvu qu'il ne régnât, pas sur la terre. Il cher.cha par-tout des apologistes de ce meurtre. Papinien fut mis à mort pour n'avoir pas voulu le colorer par un discours : « Seigneur, lui répondit-il, il n'est pas . « si facile d'excuser un parricide que de le commettre.» Le scélérat, troublé par ses remords, voulut les étouffer par de nouveaux forfaits. Il troubla les peuples, viola les droits des villes ,. et ses impôts ainsi que ses exactions épuisèrent toutes les provinces. Sa mère lui
�CARACTÈRE.
3Q5
reprochant ses profusions, le tyran lui montra son épée nue : « Tant que je porterai cela, lui dit-il, j'aurai tout « ce que je voudrai. » Cette épée pourtant ne défendit pas l'empire contre les Barbares, ce qui ne l'empêcha pas de prendre le nom des peuples qui avoient vaincu ses troupes, comme s'il en eût triomphé lui-même. Il contrefit Alexandre et Achille, et se fit décerner les noms de ces héros, avec celui de grand , d'invincible. Ne pouvant montrer l'intrépide valeur du conquérant de l'Asie, il en copia les manières, marchant comme lui , la tête penchée sur une épaule , et tâchant de modeler ses traits sur ceux de ce prince. Etant allé à Alexandrie , eh sortant d'Antioche il ordonna à ses soldats de faire main-basse sur le peuple , pour le punir de quelques railleries. Le carnage , dit-on, fut si horrible , que toute la plaine étoit couverte de sang. La mer , le Nil , les rivages voisins en furent teints pendant plusieurs jours. La terre fut bientôt délivrée de ce monstre. Un centenier lui donna la mort, et cet assassinat fut regardé comme un bonheur pour le genre humain. Méchant envers tous , sans être bienfaiteur d'aucun , il laissa une mémoire aussi odieuse que celle de Néron et de Caligula. Le préfet du prétoire , Macrin , né à Alger , et qui d'abord avoit été gladiateur, chasseur de bêtes sauvages, puis notaire, intendant, et avocat du fisc, succéda au fils de Sévère, mais ne put se maintenir sur le trône , dont il ne se montra pas digne. Les légions se révoltèrent et proclamèrent un enfant de quatorze ans. 24. Cet enfant s'appeloit Marcus-Aurelius-AntoTzzzw.Les Phéniciens l'ayant établi pontife du soleil, il prit le nom d'Héliogabale; et l'infamc mollesse de ses mœurs le fit surnommer le Sardanapale de Rome. Le sénat, malgré sa jeunesse, lui donna le titre d'Auguste, ainsi qu'à Mœsa son aïeule, et à Soemie sa mère. Le nouvel empereur joignoit à l'humeur despotique d'un vieillard emporté, tous les caprices d'un jeune étourdi. 11 voulut que son aïeu le fût admise dans les assemblées du sénat, et qu'elle eût sa place auprès des consuls. U établit sur le montQuirinal un sénat de femmes, où
�3$6 CARACTÈRE. sa mère, pins impudique encore et plus dissolue que JWe.Mfl/me,donnoitdes arrêts sur les habits et les modes. Le palais impérial ne fut plus qu'un cloaque de prostitution , habité par tout ce qu'il y avoit de plus infâme dans Rome par la naissance et par les moeurs. Les cochers , les comédiens , formoient la cour et l'escorte du souverain du monde. Il tua de sa propre main Uanr/ys, son précepteur, qui cherchoit à le tirer de sesi débauches. Une de ses folies était de faire adorer le Dieu Ilélagabal, qu'il avoit apporté de Phénicie , et dont il prenoit le nom. Ce Dieu n'était autre chose qu'une grosse pierre noire, ronde par le bas , pointue par le haut , en forme de cône , avec des figures bizarres. Iléliogabale fit bàt.ir un temple à cette absurde divinité , et le para des dépouilles de tous les autres. Il fit apporter de Carthage toutes les richesses de celui de la l une : la statue même de la déesse fut placée auprès du nouveau dieu , et mariée avec lui. Leurs noces furent célébrées à Rome et dans toute l'Italie. Le César se fit circoncire en l'honneur des nouveaux époux , et leur sacrifia des enfans de la première'distinction. Ceux qui ne voulurent pas leur rendre hommage périrent par les dernièrs supplices. Iléliogabale épousa quatre femmes pendant les quatre années qu'il ré^n.n. Une de ses femmes fut une vestale ; et comme c'était un sacrilège parmi les Romains , il répondoit à ceux qui le lui reprochoienf : « Rien ne convient « mieux que le mariage d'un prêtre et d'une vestale. » Il lui prit bientôt une envie plus étrange. Déclarant publiquement qu'il était femme, il épousa en cette qualité un officier de-ses gardes, puis un de ses esclaves. Une académie , érigée dans son palais , donnoit des décisions sur les raffinemens de la plus honteuse lubricité. S'il égala en impudicité les empereurs les plus débordés , il les surpassa tous en profusions. C'est le premier Romain qui ait porté un habit de soie. Pour satisfaire à ses dépenses excessives, il accabla le peuple d'impôts. Il le regardoit comme les enfans regardent un petit oiseau qui leur sert de jouet. Il se plaisoit à inviter à souper des gens de la lié du peuple. Il les
�CARACTÈRE. 3Qy. faisoit asseoir sur de grands soufflets enflés de vent, qui, se vidant tout-à-coup, les renversoient par terre , pour être la pâture des ours et des bêtes féroces. Ces scènes sanglantes le divertissoient. Quelquefois il invitait à ces repas huit vieillards, huit chauves, huit borgnes , huit boiteux. Ce monstre avoit lassé le monde >er ses cruautés : ses soldats se soulevèrent. Il voulut es appaiser ; mais ne pouvant en venir à bout , il courut se cacher dans les latrines du camp. On le découvrit avec sa mère Soemie , et on leur trancha la tête: 2.5. Alexandre-Sévère, quJIléliogabaleavoit adopté, lui succéda, et commença par réformer tous les abus que le règne de son prédécesseur avoit fait naître. La félicité de son peuple fut son principal objet. 11 passoit ses jours entre des savans et des amis éclairés , pour s'instruire avec les uns et consulter les autres. Il orna Rome de nouvelles écoles pour les beaux-arts et les sciences. Il payoit non-seulement les professeurs qui les enseignoient, mais encore les pauvres écoliers qui avoient du goût pour l'étude. Il donnoit un logement dans son palais aux gens de lettres distingués, llsavoit récompenser et punir à propos. Un homme d'esprit , nommé Vetronius-Farinus, vendant à ses protégés le crédit qu'il avoit auprès de l'empereur, Alexandre ordonna qu'il fût lié à un poteau , et qu'on allumât antour de lui dufoin et du bois vert, tandis qu'un héraut crieroit : « Le vendeur de fumée est puni par la fu<* mée.» A son avènement, le palais impérial étoit un gouffre où s'engloutissoient tous les revenus de l'empire. Il y avoit une multitude de charges inutiles : il les supprima. Il ne garda pour le service journalier que les personnes absolument nécessaires. Le luxe des équipages, et sur-tout celui des tables , fut proscrit. Les jours de cérémonie , on ne servoit sur cel le de ce bon empereur , que deux faisans et deux poulardes. Pour faire un bon choix des personnes destinées aux emplois publics , il les annonçoit avant que de les y nommer : tous les particuliers pouvoient dire alors ce qu'ils savoientpour et et contre les candidats. Quand le*
f
�CARACTÈRE.
magistrats étaient choisis , il leur accordoit tous les honneurs dont ils étaient dignes , et les faisoit même monter avec lui dans sa litière. Il fut assassiné par un de ses officiers nommé Maximin , et ce fut une perte pour la vertu et pour l'empire. 27. Fils d'un jardinier, mais qui, s'étant mis dans la milice, avoit obtenu le grade de tribun ,Probus dut à son mérite les dignités qui If élevèrent par degrés à l'empire , après la mort de Tacite , en 276. Après avoir triomphé des ennemis du dehors, et rétabli la paix dans l'intérieur des provinces , il en profita pour orner ou rebâtir plus de soixante-dix villes. Il occupa ses soldats à divers travaux u tiles , et donna une permission générale de planter des vignes dans les Gaules et dans 'Illyrie.Le seul défaut de ce grand prince, fut de n'avoir pas su mêler prudemment la fermeté avec la douceur. Quand on eut appris que ses soldats l'avoient massacré , tous les peuples prirent le deuil : « Grand « Dieu ! s'écrioit-on , que vous a fait la république , « pour lui enlever un si bon prince ? « L'armée même qui s'était révoltée contre lui, se reprochant soncrime, lui éleva un monument , qu'elle orna de cette épitaphe: « Ici repose l'empereur Probus, vraiment digne £ de ce nom par sa probité. 11 triompha des Barbares « et des usurpateurs, et fut le père de ses peuples.» 28. A près la mort de Numérien, l'empire romain eut Dioclétiemponr maître. Il s'étoitélevé durangde simple soldat à cette dignité suprême par l'éclat de sa valeur. Il fît des lois très-équitables, embellit un grand nombre de villes ; et la postérité le mettroitau nombre des grands princes, s'il n'eut pas terni ses vertus en répandant le sang des chrétiens. Le nombre des martyrs fut sigrand, que lesennemisdu christianisme sevantèrent, dans une inscription, de l'avoir anéanti : mais la persécution ne servit qu'à faire triompher la religion. Dioctétien , devenu foible , abdiqua la souveraine autorité , et vécut en philosophe dans sa retraite de Salone , s'amusant à cultiver ses jardins et ses vergers, et disant à ses amis qu'il n'avoit commencé à vivre, que du jour desarenonciation.iWra.TîVii/zert-i/*rc«Ze,son ami, qu'il
{
�CARACTÈRE. . 5ç)Q avoit associé à sa grandeur, l'exhortait à la reprendre : « Non répondit-il, le trône ne vaut pas la tranquillité « que je goûte ; je prends plus de plaisir à tracer et « à planter les plates-bandes de mon jardin , que je « n'en puis trouver à gouverner la terre. » 29. Dans leur jeunesse, Julien, appelé depuis l'Apostat, et Gallus son frère, eurent un gouverneur nommé Mardonius , qui s'appliqua à leur former le cœur et l'esprit, à leur inspirer de la gravite, de la modestie, et du mépris pour les plaisirs des sens. Tous deux entrèrent dans le clergé, et firent l'office de lecteur, mais avec des sentimens bien différens surlareligion : Gallus avoit beaucoup de piété , au lieu que Julien avoit en secret du penchant pour le paganisme. Ses dispositions éclatèrent lorsqu'il fut envoyé à Athènes à l'âge de vingt-quatre ans. Il s'yappliquaàl'astrologie,àlamagie, et à toutes les vaines illusions de la religion païenne. Il s'attacha sur-tout au philosophe Maxime, qui flattait son ambition en lui promettant l'empire. C'est principalement à cette curiosité sacrilège de connoître l'avenir, et au désir de dominer, que l'on doit attribuer l'apostasie de ce prince. Proclamé empereur par ses soldats, admirateurs de ses vertus, son premier soin, quand son autorité fut reconnue dans toutes les provinces, fut d'en bannir le luxe et la mollesse. Il avoit demandé un barbier pour se faire raser : il s'en présenta un superbement vêtu, il le congédia : « Mon ami, lui dit-il, ce « n'est pas un sénateur que je demande. » Certains officiers qui, sous prétexte, suivant leur charge, d'informer l'empereur de choses utiles, étaient des espions dangereux, furent supprimés. Ce retranchement de tant d'emplois inutiles tourna au profit du peuple. Le prince lui remit la cinquième partie des impôts. Ceux qui s'étaient déclarés contre lui lorsqu'il était simple particulier, n'eurent qu'à sè louer de son indulgence quand il fut décoré du diadème impérial. Pendant un séjour qu'il faisoit à Antioche, un homme vint lui embrasser les genoux, pour le supplier de lui accorder la vie : «C'est, dit-on à l'empereur, ce brouillon de Théo« dote, autrefois chef du conseil d'Hiéraple.» Un autre-
�4<30
CARACTÈRE*
ajouta méchamment : « Seigneur , en reconduisant « Constance, qui se préparait à vous attaquer, ce mal« heureux le supplia de lui envoyer votre tête. — Je « savois tout cela, » répondit Julien , adressant la parole à Théodote, qui n'attendoit que son arrêt de mort; « mais mon ami, soyez tranquille, et retournez « chez vous : vous vivez sous un prince qui, suivant la « maxime d'un grand philosophe, cherche de tout son .« cœur à diminuer le nombre de ses ennemis 7 et à « augmenter celui de ses amis. » Les philosophes, au lieu de perfectionner un naturel si heureux, le corrompirent, et lui persuadèrent d'anéantir le christianisme, pour faire revivre l'idolâtrie. Julien, trop superstitieux ou trop facile, ordonna par un édit général, de rouvrir les temples du paganisme. Il-fit lui-même les fonctions de souverain pontife, avec toutes les cérémonies païennes, s'efforcant. d'effacer le caractère de son baptême/ avec le sang des victimes immolées aux idoles. Il assigna des revenus aux prêtres des faux dieux; dépouilla les églises de tous leurs biens, pour en faire des largesses aux soldats, ou les réunir à son domaine; révoqua tous les privilèges que les empereurs avoient accordés aux adorateurs de Jésus-Christet ôta les pensions que le grand Constantin , son oncle, avoit assignées pour nourrir les clercs, les veuves et les vierges. Plus adroit que ses prédécesseurs, et sachant que la persécution n'avoit servi qu'à rendre l'Egliseplus féconde, il affecta une grande douceurenvers les fidèles. Son but étoit de les pervertir par les caresses , les avantages temporels , et les vexations , mais cachées sous des prétextes étrangers. S'il enlevoit les richesses des églises , c'étoit , disoit-il, pour faire pratiquer auï Caliléens, car c'est ainsi qu'il les appeloit, la pauvreté évangélique. Il leur interdit le pouvoir de plaider et de se défendre en justice , leur ferma l'entrée de toutes les charges publiques, et leur défendit d'enseigner les belles-lettres, n'ignorant pas les grands avantages qu'ils tiraient des livres profanes pour combattre le paganisme et l'irréligion. Malgré le mépris qu'il leur témoignoit en toute occasion, il sentoit cependant combien 9 l'éclat
�CARACTÈRE. l'éclat de leurs vertus et la pureté de leurs m? rendoient respectables. Il ne cessoit de proposer exemples aux prêtres des païens. Tel futleica^ de la perfection de Julien : une feinte bonté\!" gage en apparence équitable, et la dérision de gile. Il en vint néanmoins à tolérer ouvertemèîr emprisonnement et les meurtres ; il y eut un grand nombre de martyrs dans la plupart des provinces , et peut-être eût-il fini par être aussi cruel que Diorlétien et les autres persécuteurs, si Dieu n'eût mis un frein à ' ses barbares projets, en permettant qu'il fût tué dès le premier combat qu'il livra aux Perses, contre lesquels il venoit de marcher. La mort le trouva tranquille : « Je « me soumets avec joie, dit-il à ses amis , aux décrets « éternels, convaincu que celui qui est épris de la vie « quand il faut la quitter, est plus lâche què celui qui « voudroit mourir quand il faut vivre. Ma vie a été* « courte,mais mes jours sont pleins. La mort, qui est « un mal pour les méchans , est un bien pour l'homme « vertueux. C'est une dette qu'il faut payer, et 'e sage « l'acquitte sans murmure. J'ai été particulier et empe« reur ; et dans la vie privée et sur le trône , je n'ai « rien fait, je pense , dont j'aie lieu de me repentir. » Il expira en s'entretenant sur la noblesse des ames, avec le philosophe.M<za;zVie. Il n'yaguère de prince dontles auteurs aient parlé plus diversement, parce qu'ils l'ont regardé sous différens points de vue, et qu'il étoit luimême un amas de contradictions. D'un côté , savant, libéral, tempérant, sobre, vigilant, affectant la justice, la clémence et la douceur ; d'un autre côté , léger , inconstant , ridicule, il donna dans le fanatisme et les superstitions les plus extravagantes. 11 fut plutôt singulier que grand ; et il avoit tous les caprices des philosophes , sans posséder les qualités qui font les sages monarques. 3o. P'alentinienÈî, étant monté sur le trône impérial, fitbrillerles excellentes qualités dont l'avoit enrichi la nature. 11 se montra digne de Valeiitinien qui lui aVoit donné le jour, et de The'odose-le-Grand qui le proté-geoit. Aussi zélé pour la justice que son père, mais aussi, Tome T. Ce
�4-02
CARACTÈRE.
doux et aussi humain que Théodose, il les égaloit tous deux en grandeur d'ame, en tempérance, en courage, etfais'oit espérer qu'il les égaleroit un jour en prudence, en politique et en science militaire. Ce qui prouve la force naturelle de son ame , c'est qu'en très-peu de temps il sut redresser sa conduite , et se corriger de tous ses défauts. Sous la tutèle de Justine, sa mere, il avoitpersécuté l'Eglise et St. Ajnbroise;ù s'attacha fortement à la vérité et au saint prélat. Il conçut pour lui une tendresse vraiment filiale ; il l'appeloit son père : il se pénétra des sentimens de la plussolide et de la plus fervente piété. Il étoit adonné aux jeux du cirque ;il s'en éloigna tout-à-fait : il retrancha même les plus solennels , tels que ceux qui se célébroient le jour de la naissance des princes. Afin de se détacher de la passion pour la chasse, il fit tuer, en un jour, toutes les hêtes de son parc. Onpouvoit lui reprocher d'aimer la table: il prit une telle habitude de tempérance, que, dans les festins qu'il continua de donner aux seigneurs de sa cour , pour entretenir leur affection , il s'abstenoit de manger. Il osa même faire l'essai de ses forces, contre un ennemi qu'il est plus sage de fuir que de braver. On le soupeonnoit d'avoir eu des engagemens criminels : soit pour rétablir sa réputation, soit pour se rendre à l'avenir invulnérable , il affronta ce que la volupté a de plus dangereux. Une comédienne de Rome, aussi fameuse par ses déréglemens que par sa beauté, séduisoit toute la jeunesse romaine. Il voulut la faire ve nir à la cour- Son envoyé , corrompu par l'argent des amans de cette courtisane , étant revenu sans elle , il en fit partir un second. Valentinien n'étoit pas marié: on ne doutoit point qu'épris par la renommée , un prince de vingt ans n'eût cédé à une passion qui ne sait pas respecterla pourpre; mais lorsque cette comédienne fut à la cour, il s'abstint de la voir, même sur le théâtre ; et , quelques jours après , il la renvoya avec mépris , sans l'avoir vue, n'ayant voulu que donner une preuve de sa continence , et une leçon à ceux de son âge. Il assistoit à tous les conseils ; et, malgré sonpeud'expérience,il }Tuonlroiliuie prudence
�6-ARACTERË.
/fo^
naturelle , et toute la naturité d'un vieillard. Ennemi des délateurs, il s'opposoit à leurs poursuites.Des personnes nobles furent accusées d'avoir conspiré contre lui. Le préfet pressoit le jugementavec ardeur : Valentinienarrêta d'abord les procédures, et défendit toute rigueur judiciaire durant le saint temps de Pâques où l'on étoit alors. Quelques jours après, lorsque l'instance commencent, et qu'on faisoit la lecture de la requête de l'accusateur, il s'écria le premier que c'étoitune calomnie. Il voulut que les accuses demeurassent en liberté, jusqu'à ce qu'on eût des preuves qu'ils étoient coupables. Cette équité fit bientôt connoître leur innocence, et désarma pour jamais la malice des délateurs. Chéri de ses peuples , il les ménageoit comme ses enfans , et ne voulut jamais consentir à de nouvelles impositions : «Us ne peuvent, disoit-il , supporter les « anciennes ; ne seroit-ce pas une dureté inhumaine « de les accabler encore?» Cependant il avoit trouvé le trésor épuisé ; et par une sage économie, en se retranchant les dépenses de luxe et de plaisir, il le laissa fort riche. Il aimoit tendrement ses sœurs ; mais il aimoit encore plus la justice : il refusa de juger un procès dans lequel elles disputoient à un orphelin la possession d'une terre ; et il renvoya l'affaire aux juges ordinaires. Elles se désistèrent de leur prétention 5 et l'on attribua cette générosité aux conseils deleur frère. 01. Théodose, élevé sur le trône des Césars, ne s'occupoit que des moyens de soulager les peuples , et de relever l'honneur de l'empire. Le diadème qu'il n'avoi t pas désiré , et que sa vertu seule avoit placé sur son front, n'altéra rien dans son Caractère. Aussi chaste , aussihumain, aussi désintéressé qu'ill'avoit été dans sa vie privée , il ne se perméttoit que ce que les lois lui avoient toujours permis. Sensible à l'amitié , ami des hommes vertueux, fidelle dans ses promesses, libéral et donnant avec grandeur , communicatif et d'un accès facile , il ne voyoit dans la souveraineté que le pouvoir d'étendre ses bienfaits.Un jour qu'il commetjtoit des juges à l'examen d'une conspiration qu'on préftendeit- formée contre . sa personne , comme il les C c 2
�/ o4
(
C A R AC T È R E.
exhortait à procéder avec équité et avec douceur .« Notre premier soin , dit un de ces commissaires, « doitêtre desongeràlaconservation du prince. —Son « gez plutôt à sa réputation, repartit Théodose : Tessen « tiel pour un prince n'est pas de vivre long-temps « mais de bien vivre. » Son extérieur noble et maje t.ueux attirait le respect, sa bonté inspiroit la confiance Prudent et circonspect dans le choix des magistrats il eut, en arrivant à l'empire , le singulier bonher d'en trouver en place un grand nombre tels qu'il le aurait choisis. Il n'était pas savant , mais il avoit r oûtexquis pour tout ce qui regarde la littérature,t aimoit les gens de lettres , pourvu que l'usage qu i faisoient de leurs talens , n'eut rien de dangereux.! s'instruisoitavec soin de l'histoire de ses prédécesseurs et ne cessoit de témoigner l'horreur que lui inspiroie» l'orgueil, la cruauté, la tyrannie , et sur-tout la per'' die et l'ingratitude. Les actions lâches et indignes exe toient subitement sa colère ; mais ils s'appaisoit ais! ment, et un court délai adoucissoit la sévérité de s ordres. Il sa voit parler à chacun selon son rang, s qualité , sa profession. Ses discours avoient en mèm temps de la grâce et de la dignité. Il pratiquoit 1 exercices du corps, sans se livrer trop au plaisir etsai se fatiguer. 11 aimoit sur-tout la promenade ; mais ' travail des affaires précédoit toujours ce délassemenl Il n'employoit d'autre régime pour conserver sa santé qu'une vie sobre et frugale ; ce qui ne l'empêchoi pas de donner dans l'occasion, des repas, où l'élégant et la gaieté brilloient plus que la dépense. 11 diminua dès le commencement, celle de sa table, et son exeu pie tint lieu de loi somptueire ; mais il conserva ton jours dans le service de sa maison cet air de grande» qui convient à LUI puissant prince. 32. De tous les enfans de l'empereur Arcadius,I seule Pulchérie avoit hérité de la grandeur d'ame d Théodose , son aïeul. La prudence , qui est dans le autres le fruit de l'expérience, fut en elle un don del nature. Un coup-d'œil, aussi sûr que pénétrant, 1» découvrait promptement ce qu'il falloit faire, et l'exé
S
�I
C A R À C T È R E. /j.o5 [iilionsulvoit. aussitôt. Elle parloit également Lien grec latin , et écrivoit poliment dans ces deux langues. 111e éloitpourvue cle toutes les grâces de la beauté ; îais, voulant entièrement se consacrer au service de )icu et de l'état, elle fit vœu de virginité , et, porta ps sœurs à suivre son exemple , de crainle que leur îariage ne fût une source de divisions el de jalousie, tlin que sa résolution fût irrévocable , elle là rendit nblique, par un présent qu'elle fit à l'église de Consintinople : c'étoit une table d'autel d'un ouvrage adlirable , enrichie d'or et de pierreries. L'inscription if elle fit graver sur le bord antérieur, marquoit que princesse l'avoit offerte comme un gag'e de sa virgi|ité, et pour la prospérité du règne de 1 héodose II, on frère. Détachée de tous les amusemens de la jeulesse et de la grandeur , elle partageoit son temps pitre les devoirs de la religion, les œuvres de la chanté chrétienne , et le soin des affaires de l'empireLppliquée à la prière , elle ehànloit avec ses sœurs ps louanges de Dieu, le jour et la nuit , à des heures églées. Sa coutume étoit de manger avec, elles , et ene sortir qu'en leur compagnie. D'un accès facile , bérale envers les pauvres , pleine de respect pour ;s évêques , elle fit construire un grand nombre 'églises , d'hôpitaux , de monastères ; et jamais ces ieuses fondations ne coûtèrent un gémissement aux euples. Son zélé pour la vérité triompha des hérées qui s'élevèrent de son temps. 33. Théodose IIavoit une connoissance assez étenlue des lettres , des arts , des sciences , sur-tout de •astronomie et de l'histoire naturelle. 11 jugeoit, trèslien du mérite des ouvrages d'esprit, et encourageoit ps savans par des honneurs et des récompenses.Perbnne n'étoitplus adroit à manier un cheval, à tirer de arc, à lancer le javelot. Son extérieur étoit doux et gréable,sa taille moyenne et bien proportionnée, ses eux éloient noirs et à fleur de tête ; ses cheveux londs.Sans faste et sans orgueil, frugal, infatigable ; ouffrant aisément le froid, le chaud, la faimetla soif, I fut nn modèle de patience et de douceur ; en sorte C c 3
�4o6 C'A R. A C T È R E. qu'il étoit pins maître de ses passions que de ses sujets, Aussi insensible aux aiguillons de la colère,' qu'aux attraits de la volupté , jamais il n'écouta les conseils de la vengeance ; jamais il ne sommeilla dans le sein des plaisirs. Un de ses courtisans lui ayant, demandé pourquoi il n'avoit jamais puni de mort une offense qui lui bit personnelle : « 11 n'est pas difficile , répondit-il, « d oterlavie à un homme ; mais , dès qu'il l'a perdue, « il est. trop tard de s'en repentir.» 11 ne permit jamais d'exécuter à mort un criminel , élans la ville où il se trouvoit ; la grâce arrivait toujours avant que le coupable fût parvenu au lien du supplice. Il n'approuvoit pas la persécution suscitée contre les hérétiques; et , quoiqu'il les réprimât par des lois sévères , il croyoit qu'il ne convenoit pas aux évêques d'armer contre eux le bras séculier, et que l'Eglise ne devoit employer , pour la défense de la foi, que la charité et la persuasion, Un jour qu'il faisoit représenter une chasse dans le cirque de Constantinople , le peuple demanda à grands cris qu'on fit venir dans l'arène un athlète connu par sa force et par sa hardiesse, pour combattre une bêle furieuse et terrible. Alors l'empereur se levant -• «Ne « savez-vous pas, s'écria-t-il, qne ce n'est pas un jeu « pourmoi de voir couler les sang eles hommes ? « Celte parole fut une leçon pour le peuple, qui renonça à ces cruels divertissemens. Son humanité à l'égard des officiers de sa maison , est encore une preuve de la bonté de son cœur. A pics avoir employé la journée aux affaires , il donnoit à la lecture une partie de la nuit. Mais afin de ne pas obliger ses domestiques à combattre le sommeil pour veiller avec lui , il faisoit usage d'une lampe qui s'entretenoit seule,sans avoir besoin d'aucun service. 54. L'empereur Marrée, l'un des plus, grands princes qui aient monté sur le trône des Césars, n'éloit plus d'âge à se jouer de la puissance souveraine, quand la main de Tibère II le tira de la foule pour le faire succéder à sa puissance et à ses vertus. Aussi sobre, aussi éloigné des plaisirs qu'il l'avoit été dans sa vie privée, il devint encore plus laborieux, plus attentif
�CARACTÈRE." °7 à ménager tous ses momens , dont il croyoit devoir compte à ses sujets. Maître de tous les mouvemens de son ame , ferme et constant sans opiniâtreté , il savoit se plier aux circonstances. Grave et sérieux sans hauteur , il réunissoit des qualités qui semblent se combattre ; la sévérité et la clémence , un grand courage et une prudence égale. Il étoit naturellement porté à temporiser, et croyoit que toutes les affaires ont leur point de maturité d'où dépend le succès. Il protégeoit les sciences dont il faisoit l'amusement de son loisir : il se plaisoità entendre la lecture des poèmes, des histoires , et passoit lui-même à l'étude une partie des nuits. Il nous a laissé un traité de l'art militaire, le fruit des observations qu'il avoit faites à la tête des armées. Les bienfaits qu'il répandit sur les bons écrivains ranimèrent , pour quelque temps, le goût des lettres, qui se perdoit de plus en plus. Cependant il n'étoit pas d'un accès facile : il n'aecordoit ses audiences qu'à des sollicitations réitérées ; mais c'étoit moins par-fierté , quoiqu'il eût dans le caractère un peu de froideur et le sécheresse, que par la crainte de se laisser surprenIre par de faux rapports, ou séduire par la flatterie qu'il laïssoit plus que la censure. On lui reproche d'avoir rop aimé l'argent: néanmoins, loin de fouler ses sujets, jil remit le tiers des impôts établis sous les règnes précédons. Sa piété ne reçut aucune atteinte de la pompepu l'environnoit. Dès qu'il fut empereur, il écrivit à ['abbé Théodore , dont il avoit admiré la sainteté en passant par la Galatie : il le conjurait de lui accorder le secours de ses prières , afin qu'il pût rendre sespeuples heureux et les défendre contre les Barbares. 35. Les anciens auteurs qui ont décrit les mœurs des ^rancs , nous les représentent comme des sauvages r pii ne vivoient que de leur chasse , de fruits , de léhunes et de racines; mais ces sauvages, avec leur bazparie et leur rusticité , valoient mieux peut-être que les nations polies et civilisées qui habitoient les contrées loumises aux Romains. Plus jaloux de leur libertéjpi avides des superfluités du luxe, ils ne connoissbient (ii Por, ni l'argent, et tout leur commerce se faisoit Ce
4
�4o3 ÏARACT'hi; par échange. Ils n'avoient d'autres villes que leurs forêts, d'autres maisons que des antres souterrains,ou de grossiers bàtimens de bois ou d'argile -, d'autres possessions que les terres que le magistrat ou le prince .leur distribuoit, chaque année , selon la condition, les services et la valeur de chacun d'eux. Vrais , fidelles, sincères , ils se piquoient de la plus scrupuleuse délicatesse sur le point d'honneur. Rigides observateurs des lois de la nature , ils ignoroient , ou punissoient .sévèrement les abominations qui déshonoroient la Grèce et l'Italie. Généreux dans leurs inimitiés, une offense étoit aussitôt pardonnée que reconnue. Implacables dans leurs hostilités, souvent leur vengeance étoit féroce. Citoyens zélés, ils étoient, toujours prêts à tout sacrifier pour la patrie. Redoutables voisins , ils faisoient consister leur gloire et leur sûreté a dévaster leurs propres fontières , et à se séparer du reste de l'univers par d'affreuses solitudes. Mélange singulier d'activité et d'inertie, ils ne savoientni s'occuper utilement pendant la paix , ni se modérer pendant la guerre. On admiroit sur-tout leur zèle empressé à exercer l'hospitalité. Leurs maisons étoient toujours ouvertes à l'étranger ; on le défrayent pendant son séjour; on lui faisoit des présens à son départ. Leur religion se ressentoit de la simplicité de leurs mœurs. Leux dieux étoient le Soleil, la Lune, le Feu, les Arbres, les Rivières ; leurs temples , des cavernes ténébreuses, ou les endroits de leurs forêts les plus sombres et les plus impénétrables à la clarté du jour ; leurs sacrifices , des victimes humaines , des brebis , des loups , des renards ; leurs prêtres , des magiciens plutôt que des théologiens Une convenance mutuelle de caractère, et la réciprocité des sentimens , plutôt que l'intérêt, présidoient à leurs mariages. Les femmes exclues des successions n'apportoient aucune dot. Leur tendresse pour les morls se montroit seule dans leurs funérailles : ils ne bruloient les cadavres qu'avec un bois choisi ; ou , s'ils les inhumoient, c'étoit avec tout ce que les défunts avoient de plus riche et de plus précieux, souvent même avec un domestique pour les servir
�CARACTÈRE. 4°9 dans l'autre monde. La nation étoit diviséè en quatre classes, les nobles, les libres , les affranchis, les serfs. L'histoire leur donne tantôt des rois , quelquefois un prince, souvent des ducs. L'autorité des rois étoitperpétuelle , celle des princes n'avoit qu'une durée limitée , les ducs ne commahdoient que pendant la eueri-e. Les uns et les autres"n'avoient qu'un pouvoif limité : les grandes affaires se décidoient dans l'assemblée des états. Aucun de ces chefs n'avoit droit de lever des impôts : chaque particulier leur payoit un tribut volontaire sur sa récolte , ou sur ses troupeaux. Ce présent, libre hommage de l'amour du sujet, éloit en même temps la récompense des travaux , et tout l'entretien de la maison du souverain. L'usage des lettres ou caractères leur étant totalement inconnu , ils n'avoient ni annales , ni lois écrites. Les Bardes ou poètes étoient leurs historiens, les chansons leurs histoires , la coutume et les lumières du bons sens , leur code et leur digeste. On punissoit l'adultère , crime presque inconnu chez eux , par l'ignominie de la répudiation : une mort honteuse étoit le châtiment des traîtres et des transfuges. On ensevelissoit tout vivans dans un bourbier les lâches , les poltrons , et ceux qui s'étoient souillés d'un crime abominable : supplice inoui , qui caractérise parfaitement l'horreur qu'avoient pour toute espèce d'infamie , ces peuples aussi braves que vertueux. Le génie guerrier de la nation paroissoit jusque dans l'éducation des enfans ; ils ne connoissoient d'autres jeux , d'autres amusemens , que l'exercice à pied ou à cheval. Cependant ils ne pouvoient porter les armes que du consentement de leur cité. On s'assembloit : quelqu'un des princes, les pères , ou les parens des candidats , leur faisoient présent d'une lance et d'un bouclier ; cette cérémonie les initioit dans l'ordre militaire , et les associoit aux braves de l'état. 36. On a beaucoup disputé si Clovis, le premier de nos rois qui mérite cet auguste nom , étoit plus guerrier que politique: la Gaule, subjuguée par sesarmes, et conservée par sa prudence , est une preuve qu'il
�4*° CARACTÈRE. étoit aussi sage dans le conseil, que redoutable à la tête d'une année. Sévère obscrvateurde la disci pline, il s'armoit de toute son auterité pour la maintenir. Un soldat avoit eu l'audace de donner un coup de hache sur un vase d'une grandeur et d'une beauté extraordinaires, qui avoit été pris dans une église dépendante de St. Retny, et que Clovis vouloit, rendre, a la prière de ce vénérable prélat. Le monarque dissimula , parce qu'il eût été dangereux de punir alors cet attentat. Mais , l'année suivante, dans une revue générale de ses troupes, apercevant ce même soldat, il lui arracha sa hache., sous prétexte qu'elle n'étoit point assez propre , la jeta par terre ; et, lorsque ce soldat la ramassoit, il lui fendit la tête , en lui disant : Souvienstoi du vase de Soissons. » Cet acte de la souveraine puissance, fait à propos , lui mérita , de la part de ses peuples, un respect profond , qui fut encore, singulièment augmenté par le soin qu'il prit de la législation, et delà rédaction du code actuel, appelé loiisalic/ues. Heureux ce prince , si , constant dans la pratique des vertus qui font le grand roi , il n'eût point, par un tissu de cruauté , et par l'usurpation des petits états des princes de son sang , démenti les bénédictions données aux premières années de son règne, et montré , dans les dernières, l'homme injuste et barbare a la place du. héros ! Après sa mort, ses quatre fils partagèrent ses états. Thïerri I fut roi d'Austrasie , dont Metz étoit la capitale ; Clodomir fut roi d'Orléans ; le royaume de Paris appartint à Childebert I, et celui de Soissons fut soumis à Clotaire /.L'histoire de ces quatre princes ne présente qu'une suite de guerres excitées par l'ambition , la vengeance et la haine, et un affreux tissu de cruautés plus atroces encore que celles dont Clovis leur avoit donné l'exemple. Jamais on n'oubliera la barbarie que Childebert et Clotaire exercèrent à l'égard des trois enfans de Clodomir leur frère , qui venoit d'être tué dans une bataille, et dont ils vouloient envahir l'héritage. Clotilde s'était chargée de l'éducation des jeunes princes, ses petitsfils 5 ils engagent cette vertueuse reine à les leur en-
�CARACTÈRE.
4 '
11
yoyer , et à peine les ont-ils en leur puissance , que Clotaire saisit l'aîné , le renverse par terre et le poignarde. Le second effraye , se jette aux pieds de Childebert, et lui demande la vie. Le monarque attendri ne peut retenir ses larmes. Clotaire lui reproche sa foibîesse, lui arrache l'enfant, et l'égorgé sur le corps de son frère. Le troisième eut le bonheur d'échapper aux fureurs de ce prince inhumain : il se consacra au service des autels , et fut dans la suite honoré sous le. nom de Saint-Cloud. Zy. Thierri n'eut rien de médiocre , ni vices , ni vertus. Grand roi, méchant homme ; jamais monarque ne gouverna avec plus d'autorité ; jamais politique ne respecta moins les lois de l'humanité et de l'honneur. Ayant vaincu Hermenfroy, roi de Thuringe, il l'attira, à sa cour, sous prétexte de traiter avec lui. Le prince trop crédule se rendit à Tolbiac; et se promenant avec son vainqueur sur les murailles de cette ville , il fut précipité dans le fossé, où il expira. Thierri s'empara de tous ses états, et voulut ensuite immoler Clotaire même , son propre frère, à son ambition. Il lui avoit demandé un entretien secret. Le roi de Soissons aperçut, en entrant, les pieds de quelques soldats cacjjés derrière une tapisserie. 11 fit signe aux seigneurs avec lesquels il éloit venu , de le suivre, et de veiller sur sa personne. Ainsi escorté , il se présenta devant son frère , qui, sans paroître déconcerté , le combla de caresses , et lui fit don d'un riche bassin , présent à la mode dans ces temps-là. 38. Théodebert, fils de Thierri, futle plus accompli des descendans de Clovis. Vaillant, hardi, intrépide, il étoit à peine sorti de l'enfance , qu'il mérita , par une victoire célèbre qu'il remporta sur les Danois , le surnom de Prince utile : expression singulière , qui présente l'idée d'un guerrier capable des plus grandes entreprises.Bienfaisant, humain, sensible à la misère de ses peuples , il n'eut rien de cette férocité qui déshonore la mémoire de son aïeul, de son père et de ses oncles. Adoré de ses sujets , recherché de ses voisins, redouté de ses ennemis, jamais prince ne soutint plus
�4l2
CARACTÈRE.
glorieusement la dignité de sa couronne. On admire sur-tout la belle réponse qu'il fit à l'évêque Didier. Ce prélat lui rapportait une somme considérable , qui avoit été prêtée aux habitans de Verdun sur le trésor royal. Le monarque refusa de la reprendre. « Nous « sommes trop heureux , lui dit-il , vous , de m'avoir « procuré l'occasion de faire du bien, et moi , de ne « l'avoir pas laissé échapper. » 3g. Tous les ordres de l'état se ressentirent vivement de la perte de Childcbert I. La noblesse perdoit un chef dont les manières affables et pleines de bonté, captivoient tous les cœurs. Le peuple regrettait un souverain équitable , qui le gouvernoit avec beaucoup de modération et de sagesse. La religion plenroit un protecteur dont le zèle n'avoit point de bornes. Quantité de monastères et d'hôpitaux, bâtis et fondés avec une magnificence vraiment royale ; une chartre publiée , sous sou autorité, pour abattre les idoles et les figures côusacrées au démon dans toute l'étendue de son royaume ; quatre conciles tenus sous son règne et par ses ordres , un à Orléans , un à Arles , deux à Paris, sont autant d'illustres monumens de la piété , de la bienfaisance , de la vigilance de ce grand prince. On lui reproche avec justice la mort de ses neveux , fils de Clodomir son frère : et si quelque chose peut diminuer ce crime , c'est qu'il eut assez de sensibilité pour ne vouloir point le consommer lui - même , et pour gémir sur la déplorable destinée de ces innocentes victimes immolées à l'ambition. Après la mort de ce prince , la monarchie française fut toute entière réunie sous les lois de Clotaire, qui commanda durant cinquante-un ans depuis la mort de Clovis , et dont le règne n'offre que des adultères , des incestes , des meurtres , des horreurs. Il laissoit quatre enfans, qui partagèrentde nouveau le royaume, suivant la mauvaise politique d'alors. Caribert fut roi de Paris ; Gontran , d'Orléans et de Bourgogne ; Sigebert I, à'Australie ; et Chilpéric I, de Soissons. 4o. Fortunat nous représente Caribert comme un prince sage , modéré , dont les mœurs étaient extrê-
�CARACTÈRE. 4*3 mement douces. Ami des belles-lettres , il parloit le latin comme sa langue naturelle. Zélé pour l'observation des lois , il nes'occupoit que du bonheur et de la tranquillité de ses sujets. Roi pacifique, mais jaloux de son autorité, il savoit la soutenir avec autant de dignité que de fermeté. Mais comment concilier ces éloges avec les scandales qu'il donna à son peuple ? Après avoir répudié sa première épouse pour satisfaire sa seule inconstance , il donna sa main à la fille d'un artisan. Celle-ci fut bientôt remplacée par sa soeur, qui étoit consacrée à Dieu. Enfin , il quitta encore cette dernière, pour élever sur le premier trône de l'empire français la simple filled'unberger. Je sais quelesmceurs étoientalorstrès-corrompues;mais un roi peut-il mériter le titre de grand et de sage, quand, par ces exemples , il enchérit encore sur la perversité de son siècle ? 4i. Gontran fut un prince médiocre , toujours mal servi , parce que jamais il ne sut faire respecter son autorité. Bon, mais de cette bonté qui inspire la licence plutôt que la vénération; il aimoit ses sujets, et n'eut pas la force de les défendre contre les vexations de ses ministres. Doux, humain, complaisant, mais plus par timidité que par vertu , en n'osoit l'aborder dans les accès de sa colère. Souvent, dans les premiers transrports de sa fureur, il prononça des arrêts de mort pour descausestrès-légères.Unedeses femmes, sur le point de rendre l'ame , le pria de faire mourir deux médecins, dont les remèdes, à ce qu'elle prétendoit, la conduisoient au tombeau : il eut assez de foiblesse poulie lui promettre , et de cruauté pour lui tenir parole. Apercevantun taureau sauvage nouvellement tué dans une forêt, il s'en prit au garde. Celui-ci en accusa un chambellan nommé Chundon , qui nia le fait. Le roi ordonna que la querelle seroit décidée par im combat. L'accusé étoit vieux et infirme; il mit en sa place un de ses neveux, qui blessa mortellement l'accusateur: mais , en voulant le désarmer, il se tua lui-même du poignard de son ennemi. La mort dà,; champion fut regardée comme la conviction du chambellan.Le monarque le fit saisir : il fut.lapidé sur-le-champ- Voilà
�4l4
CARACTÈRE.
ce que , dans ces temps barbares , on appeloit amour de la justice. On ajoute que Gontran avoif un grand fonds de piété , qu'il menoit une vie austère , faisoit de grandes largesses aux pauvres , airaoit , respectoit la religion , l'Église et ses ministres, et c'est-là peutêtre ce qui l'a fait mettre au nombre des saints ; mais ces vertus, qui peuvent suffire à un simple particulier , ne font pas seules le grand monarque. 42. Généreux, libéral, bienfaisant, jamais souverain ne régna avec plus d'empire sur le coeur de ses sujets, que Sigebert. C'était le monarque le plus parfait qui eût encore paru sur le trône français. Intrépide dans ledanger,inébranlabledans le malheur, il sut, jusques dans les fers , se concilier le respect et l'amour d'un vainqueur, quiavoit à peine l'extérieur de l'humanité. Ayant déclaré la guerre aux Abares , peuple sauvage et vagabond , il osa les attaquer avec des forces bien inférieures. Dans la chaleur du combat, les Français trop foibles prirent la fuite ; Sigebert seul se défendit vaillamment, jusqu'à ce qu'enfin, investi par les ennemis , il fut forcé de se rendre. On le conduisit à la tente du roi barbare. Ce prince , frappé de la figure, de l'intrépidité et de la majesté de son prisonnier , le combla de caresses , lui rendit la liberté , et lui jura une amitié qui fut constante. Réglé dans ses mœurs, roi jusque dans ses inclinations , jamais on ne vit le monarque austrasien s'attacher comme ses frères Chilpéric et Caribert, à des objets dont la bassesse déshonore la majesté. On peut dire que son règne fut celui de la décence et de l'honneur. Il eûtété celui de toutes les vertus, si ce prince eût pu vaincre le ressentiment qui l'animoit à la perte de ce même Chilpéric , dont l'ambition , les crimes , les perfidies , excitaient sa vengeance , et qu'il étoit sur le point de dépouiller de tous ses états , lorsque deux scélérats , envoyés par Frédegonde , l'assassinèrent à Vitry , où il s'étoit rendu pour recevoir l'hommage de ses nouveaux sujets. 43. Chilpéric 1 fut le Néron de laFrance, qu'il mit. encombustion; lebourreaudesa famille, qu'ilsembloit ^voir entrepris d'exterminer 5 le tyran de ses sujets ,
�CARACTÈRE."
4l5
ju'il accabla tellement d'impôts, que la plupart se vientforcés d'abandonner leurs possessions. Avide d'arjent jusqu'à la tyrannie , il étoit magnifique jusqu'à 'ostentation dans ses meubles et dans ses équipages : oluptueux jusqu'à la débauche, son incontinence n'adit point de bornes ; et s'il fut enfin fidelle à la redouta]e Frédegonde, la crainte le retint, plutôt que le deBoir. Impie jusqu'au scandale, superstitieux jusqu'à la Betitesse, croyant à peine en Dieu dont les ministres fioient le sujet éternel de ses railleries, on ne peut exprimer jusqu'où il porloit le respect pour St. Martin, ak'êque de Tours, et la crainte de l'irriter contre lui. Main, présomptueux, téméraire, il osa sonder les proBndeurs des mystères de la religion ; et il avoit concerté un édit, par lequel il défendoit de reconnoître micune distinction dans les personnes de la sainte Trimlé : ce ne fut qu'en s'armant du zèle le plus intrépide, Mie Grégoire de Tours, et Salvius, évêque d'Albi, le Si firent supprimer. Jaloux de la réputation d'auteur m de bel-esprit, il composa quelques volumes de méfiante prose, et de vers plus mauvais encore. Il voulut Bniter à l'alphabet gaulois toutes les lettres doubles fis Grecs. Il ordonne de les employer non-seulement fins les livres nouveaux , mais même de les insérer dans les anciens. On vit à sa mort un exemple frappant du peu de fonds que les mauvais rois doivent faire sur S hommages d'une cour idolâtre , qui encense touHirs le rang, jamais la personne. Ayant été assassiné files émissaires de Frédegonde, son corps abandonné fitoutle monde , seroit demeuré sur le lieu où il avoit « percé, si Mélus, évêque de Senlis , qui , depuis 'His jours, sollicitoit inutilement une audience, n'eût |s le soin de le transporter à Paris, dans l'église de SEermain-des-Prés, où ilfutinhumé sans pompe. Son Clotaire II, succéda à son trône et à ses vices. . Clotaire , fils de Chilpéric I, fut le second du ii, et, par une destinée singulière, le second roi de ssons qui ait réuni toute la monarchie française , jours divisée depuis la mort de Clovis. On ne peut convenir qu'il n'ait été un prince vaillant et brave..
�4l6
CARACTÈRE.
habile dans l'art de gouverner , populaire, affable, charitable envers les pauvres, libéral envers les églises, zélé pour l'observation des saints canons, ami et protecteur ardent de tous les serviteurs de Dieu. Il avoit exilé St. Loup, évêque de Sens, parce que, fidelle à la famille de Thierri, il s'étoit opposé de tout son pouvoir à l'invasion de la Bourgogne : il le rappela au bruit des merveilles qu'il opéroit, l'invita à sa cour, lui demanda pardon, le fit manger à sa table, et le combla de présens. Il rendit aux lois leur ancienne vigueur, et mérita par les règlemens qu'il fit , un rang honorable parmi les législateurs : c'est à lui que l'on doit le code des lois allemandes. Elles furent rédigées et mises pai écrit dans un parlement de trente-trois évêques et de irente-quatre ducs, assemblés sous les ordres du prince Il avoit l'esprit orné, aimoit les belles-lettres, se pi quoit de politesse et de galanterie ; mais sa complai sance pour le beau sexe passa les bornes de la décence, et ses penchans firent quelquefois rougir les bonne mœurs. On lui reproche encore d'avoir trop aimé chasse. Ce noble amusement, que Platon appelle u exercice divin , et l'école des vertus militaires , es utile et même nécessaire aux princes; mais il ne doi pas leur faire oublier les devoirs qu'ils sont obligésd remplir, et cette héroïque récréation dégrade celui q ne connoît qu'elle. Au reste, si Clotaire n'eût eu qi cette seule passion, l'indulgente postérité pourrait sou crire aux éloges que les historiens de son temps lui o donnés. Elle n'auroit pas à lui reprocher l'usurpali" du trône de Thierri, le massacre des petits-fils de B nehault, la mort cruelle de cette illustre princesse épouse de Sigebert, fille et mère de plusieurs rois cette reine que l'évêque Fortunat nous dépeint so l'image même des grâces et de la beauté ; que Grégoi de Tours nous propose comme un modèle de vert» de décence, de sagesse et de douceur, et que St. Gt goire , pape , nous représente occupée à tout ce " la religion exige d'une pieuse reine, d'une infatigal régente, et d une mère véritablement chrétienne, est honteux pour l'humanité que les contemporains
�CARiC/TïBE.
ce prince , surpris par ses bienfaits , aient fermé les yeux sur les barbaries que son ambition Lui fit commettre au mépris de l'équité, des lois de l'honneur, et des principes de l'humanité chrétienne. 45. Les commencemens du règne de Dagohert I le firent, en quelque sorte, adorer de son peuple, qu'il délivi'a de l'oppression des grands 5 mais bientôt il cessa d'être l'objet de son amour. Il le surchargea d'impôts pour satisfaire l'insatiable avidité de ses maîtresses. Il se fit craindre de ses sujets, l'eehercher de ses voisins; mais il n'étoit pas doué de cette valeur active qui , jusqu'à lui, sembloit héréditaire dans la famille de Clovis. Il fit peu la guerre par lui-même , beaucoup parseslieutenans. Magnifique en tout, très-aumônier, même au milieu de ses désordres , il fut sur-tout libéral envers les églises et les monastères ; et c'est ce qui lui a mérité les éloges des moines de son temps, qu'il avoit 'accables de bienfaits. Le plus beau monument de son administration, est la collection des lois des différentes nations soumises à son empire. Dans le recueil qui nous en reste, celles des Français sont comprises sous le titre de loi salique ou loi ripuaire. 46. L'histoire durègne des descendans de Dagohert, est celle de la décadence de la maison royale. L'énorme autorité que les maires du palais usurpèrent pendant une si longue anarchie, leur servit enfin de degrés pour monter sur le trône. Le caprice, l'ambition et l'intérêt devinrent les seules règles de leur gouvernement. Les jeunes princes furent élevés dans une honteuse inaction, ou choisis sans capacité. Les tenant toujours éloignés des affaires, ils ne leur inspirèrent aucuns sentimens dignes de leur auguste i-ang. Ils étudioient leur foible, non pour le réprimer, mais pour le fortifier, etabusoient même de leurs pieuses inclinations, pour les gouverner plus absolument. De tous ces maires , \e plxisUlustref ulCharles-Martel, qui gouverna durant vingt-cinq ans toute la France, avec le titre de duc des Français. Grand prince, grand capitaine, il réunit toutes les vertus qui forment le politique et le guerrier: sagesse dans le projet, il pénétroit d'un coup-d'oeil Tome I. D d
�4-l8
CARACTÈRE.
toutes les suites d'une entreprisse, toujours prêt à prendre le parti le plus convenable aux cisconstances ; célérité dans l'action, on le voyoit d'un moment à l'autre, traverser avec une armée la vaste étendue de la monarchie, et paraître sur les rives de l'Elbe, lorsqu'on le croyoit encore sur les bords du Rhône ; courage dans l'exécution , il fut toujours le premier à combattre, toujours le dernier à sortir de la mêlée, toujours frappant de si rudes coups , qu'il mérita le surnom de Martel ; modération dans le succès, il parvin t à la souveraine puissance sans meurtres, sans assassinats, sans exils. Son esprit, sa valeur, son activité commencèrent sa fortune -, sa conduite, sa douceur, son habileté la fixèrent. Il ne manquerait rien à sa gloire, s'il eût eu pour le sang de ses rois le respect et la fidélité que tout sujet, quelqu'élevé qu'il soit, doit à ses maîtres. 47- Pépin-le-Bref£\\\,m\ prince grand en paix comme en guérie. Il est le premier, dit un ancien auteur, qui soit devenu roi des Français , autrement que par le droit de la naissance ; parole qui présente l'idée d'un usurpateur ; idée toujours odieuse , mais effacée par tant de belles actions, qu'il n'est presque plus permis de le regarder que comme un des plus glorieux monarques qui aient jamais régné sur la France. Il osa détrôner son rai:c'est une tache à sa mémoire ; mais il n'ensanglan ta point les voies du trône : ilne choisit que les moins violentes. Il avoit à combattre tout à la fois la fierté des grands , l'orgueil des princes tributaires, l'amour naturel, des Français pour la famille royale, et sur-tout ce religieux scrupule où les retenoit le serment prêté à Childéric III, dernier prince de la race des Mérovingiens, maison auguste, qui, durant deux cent soixante-dix ans, à compter de Clovis, avoit donné trente-six rois à la France, et dont l'origine se perdoit dans l'antiquité la plus reculée. Il subjugua les premiers par l'admiration de ses vertus 5 il réduisit les seconds par la force des armes ; il captiva les derniers par ladouceur etlasagessedesonadministration.MonlP sur le trône , il s'y soutint parles mêmes moyens qui l'y avoient élevé. Il est. peu de rois qui aient donné à
�C À fi. A CT È S ti
4l9
a noblesse plus de part dans le gouvernement : il lui communiquoit les affaires les plus importantes ; mais plus il affectoit de paraître dépendant, plus il acquéroit d'autorité. Maître absolu de toutes les délibérations, sa volonté fut toujours la règle des décisions. L'éclat de ses victoires , celui de ses conquêtes , son application constante à rendre ses sujets heureux, la protection qu'il accorda à l'Eglise, le zèle qu'il témoigna toujours pour la propagation et l'affermissement de la vraie foi , firent tellement oublier l'injustice de son usurpation, qu'on ne vit, durant tout son règne, ni soulèvement , ni faction. Génie sublime , Guerrier intrépide, politique consommé, il eût pu passer pour le plus grand roi du monde , s'il n'avoit eu pour père un Charles-Martel, et pour fils un Charlemagne. Il égala le premier, dontilfut lefidelle imitateur : il ne fut surpassé que par le second , auquel il eut la gloire de servir d'exemple. 48. Rien , en effet, n'égale le tableau que l'histoire nous trace des vertus de Charlemagne , qu'elle nous représente comme le héros de la France et de l'univers , le modèle des grands rois, l'ornement et la gloire de l'humanité. Il étoit de la plus haute taille , de l'extérieur le plus majestueux ; le plus fort et le plus robuste de son temps. Cette supériorité , riche présent de la nature, étoit relevée en lui par celle que donnent les qualités de l'esprit , du coeur et de l'ame. Génie sublime , vaste , intrépide ; l'Italie, l'Espagne, la Germanie et l'Orient conjurés en même temps, ne purent lui arracher la pl us légère marque d'embarras ou d'inquiétude. Au milieu de toutes les guerres qui agitèrent son règne , il sut donner ordre à tout et par-tout , réglant son état et l'Eglise comme s'il eût été dans une profonde paix, y faisant fleurir l'abondance par une vigilance qui s'étendoit à tout : la piété, par de fréquens conciles , où souvent il assistait en personne ; et les lettres , par la protection constante qu'il leur accordoit : ami lui-même, et cultivateur zélé des sciences 5 aussi admirable , lorsqu'il déci<ioit une question danr une assemblée de savans , que D d 2
�420 C A R A C T È R EY lorsqu'il dictoit des oraclesdans son conseil; aussi grand lorsqu'il haranguoit un concile, que lorsqu'il gagnoit des batailles à la tête d'une armée. Sage dans le projet , les mesures qu'il prenoit étoient toujours celles qu'il falloit prendre. Constant et ferme dans ses entreprises, il savoit les soutenir avec courage, et forcer la fortune à les couronner. Ardent à les poursuivre, on le voyoit passer rapidement des rives de l'Elbe sur les bords de l'Ebré ; et du fond de la Germanie, à l'extrémité de l'Italie. Heureux dansl'exécution, ilfuttoujours victorieux quand il conduisit lui-même ses aimées, et. rarement il fut, défait lorsqu'il fit la guerre par ses lieutenans. Son tendre amour pour ses peuples lai faisoit verser des larmes sur les malheurs qu'il n'avoit pu prévoir , mais qu'il sut toujours réparer. Soncaractère bienfaisant et généreuxlui mérita, même auprès des païens, le glorieux nom de Père de l'univers. Sa charité sansbornes épuisasestrésorspoursoulager la misère des chrétiens de Syrie, d'Egypte et d'Afrique. Ses manières aimables, libres, aisées , lui attachoient par estime ceux qui lui étoient soumis par la destinée. Samodération, sa clémence désarmoient toujours sa justice, et lui firent épargner le sang de ceux même qui avoient osé attenter à ses jours. Son application à rendre la justice étoit si constante, qu'il interrompoit souvent son sommeil pour juger les procès que ses ministres n'avoient pu terminer. Il distribuoit les récompenses avec tant de sagesse et d'équité, qu'en augmentante nombre de ses serviteurs, il n'excitoitni jalousies, ni murmures. Fil s respectueux, tendre père, maître indulgent, sa conduite dans son domestique étoit si admirable, qu'elle pouvoit servir de modèle à tout son royaume. Le zèle du bon ordre lui inspira ces lois, capitulaires ou ordonnances, auxquels l'Europe doit une partie de sa police. Digne rival d'Alexandre et de César par ses actions militaires, il les effaça par l'éclat et la vérité de ses vertus. Aussi célèbre dans les fastes de la religion par sa piété, qu'illustre dans les annales du monde par ses exploits , l'Eglise l'a mis au nombre des saints ; et
�CARACTÈRE
\l\
toutes les nations, de concert, lui ont donné le nom de Grand. 4g. Louis I, surnommé le débonnaire ,avoittoutesles bonnes qualités des particuliers, et paroissoit avoir aussi celles des princes. La bonté sur-tout étoit le fond de son caractère. Charlemagne, sonpère, l'avoit placé sur le trône d'A quitaine. Généreux dans les commencemens de son règne, jusqu'à l'excès, ensuite avec discernement, il avoit trouvé le moyen, en diminuant les impôts , de vivre dans toute la splendeur des rois. Il avoit signalé sa valeur dans les combats, son zèle pour la religion, parla réforme du clergé d'Aquitaine, jusques-là très-déréglé ; sa piété, dans la fondation de plus de vingt monastères. Dévot, mais sans oublier ses autres devoirs, il avoit destiné trois jours de la semaine à donner audience à tous ses sujets. Il écou^ toit leurs plaintes, il assistait aux jugemens de leurs pi'ocès ; ce qui se faisoit avec tant d'équité, qu'on n'entendoit parler dans ses états, ni de vexations, ni d'oppressions. Telles étoient les merveilles que la renommée publioit du jeune prince. L'empereur n'osoit presque y ajouter foi ; il voulut être certain qu'on ne le trompoitpas. Il envoya en Aquitaine un homme de confiance, nommé Archanibaud, sous prétexte de quelque affaire, mais en effet pour examiner la conduite de son fils. On lui rapporta que Louis gouvernoit avec tant sagesse, que , quoique sa maison fût magnifique, ses peuples vivoient dans une grande abondance. « O mes compagnons ! s'écria-t-il dans «les transports de sa joie, réjouissons-nous de ce « que ce jeune homme est déjà plus sage et plus « habile que nous ! » Louis ne soutint pas cette gloire, lorsqu'il fut seul possesseur des vastes états de son père : on ne vit alors en lui que des qualités propres à le distinguer dans le rang de particulier, et peu capable de l'illustrer sur le trône. Il ne songea qu'à se faire aimer, tandis qu'il auroit dû travaller à se faire respecter. 5o. Charles II, son fils , fut un prince toujours remuant, inquiet, dominé par une ambition dévéDd3
�^22
CARACTÈRE.
glée, qui lui faisoit enfreindre toutes les lois : il eut peu de vertus et beaucoup de défauts. Haï de ses peuples , qu'il surehargeoit d'impôts; méprisé des grands, qu'il ne savoit ni récompenser, ni punir à propos ; toujours occupé de projets d'acquisitions, qui, en agrandissant ses états, ne rendirent pas ses sujets plus heureux. Les gens de lettres l'ont fort loué, parce qu'il leur faisoit du bien, et qu'à l'imitation de son aïeul Charlemagne , il les attiroitdans ses états de toutes les parties de l'Europe , leur donnoit des pensions, et les logeoit même dans son palais. Mais la France , qu'il abandonnoit à la fureur des Normands , ne vit jamais en lui qu'un monarque moins brave qu'artificieux, plus entreprenant que capable de soutenir ses entreprises ; aussi foible que vain, il fut le plus puissant de lousles enfans de Louis-le-Dêbonnaire. Ilauroitpu être le restaurateur de sa famille, affoibliepar des partages sans nombre; il en fut le destructeur. Sonrègne ,qui fut celui des évêques, estl'époque deladécadence delà maisoncarlovingienne.Lessavans , intéressés à exalter leur bienfaiteur , lui ont donné le nom de Grand. La postérité , plus équitable , ne lui a laissé que celui de Chauve , parce qu'il l'étoit en effet. Louis II, dit le Bègue, lui succéda, et nefitrien de bien mémorable; non qu'il manquât de courage , mais parce que sa santé fut foible, et son règne fort court, Louis III et Carloman , fils de Louis II, montrèrent quelque capacité ; mais ils moururent peu de temps après avoir pris le sceptre. Charles III, dit le Gros , déjà empereur , monta sur le trône après ces deux princes, et vit sous ses lois presqueautantd'Etats que Charlemagne ; mais il fut trop foible pour soutenir une si grande fortune: elle l'accabla. Il fut déposé, et les Français se soumirent à Eudes, comte de Paris, au mépris des droits de Charles-le-simple ,n]sdeLouis -le-Bègue. Une faction cependant plaça la couronne sur la tête de Charles ; mais ce prince , digne de son surnom , incapable de gouverner par lui-même, se donna un ministre , ou plutôt un maître qui l'obséda : il s'appeloit Ilaganon , homme d'une origine obscure } mais habile et cours-
�CARACTÈRE.
4 3.
2
geivx. H rendit le roi inaccessible à lanoblesse, et aliéna tous les esprits. Le duc de saxe voulant traiter avec le monarque, fut refusé par l'impérieux ministre. Le d;ic , plein de colère, dit en se retirant : « De deux « choses l'une : ou Haganon sera bientôt roi avec » Charles,011 C/za/'Ze^serabientôtsimplegentilhomme « comme Haganon. «Laprédiction se vérifia. Charles futdéposé ; etRobert, frère du roi Eudes, couronné par les factieux , laissa sa puissance à Hugues-le-Grand, son fils , qui refusant le titre de roi, le laissa prendre à Louis IV, fils de Chàrles-le-simple. Ce prince fut digne du trône à plusieurs égards , mais ne se méfiant pas assez des hommes, il fut souvent trompé. Loihaire, son fils , qu'il avoit associé au diadème , régna sous la protection de Ilugues-le-grand. Il eut des qualités audessus des médiocres 5 mais il en falloit de sublimes , qu'il ne possédoit pas. Brave, actif, vigilant, il fut peu fidelle à sa parole , et ne sut jamais profiter de ses avantages. Son fils, Louis V, lui succéda, et mourut sans enfans. Avec lui finit la race des princes carlovingiens,qui avoient régné deux cent trente-six ans. Hugues-Capet, fils de Ilugues-le-grand, fut placé sur le trône de Clovis et de Charlemagne, et devint le chef de la race des rois appelés de son nom Capétiens. Sa modération, sa douceur, son habileté , l'élevèrent à la souveraine puissance ; et il sut la conserver par son courage et sa sagesse. 5i. On ne vit jamais de meilleur roi, plus sensible aux maux de ses sujets, plus empressé à les soulager, plus regretté de la nation , que Robert , fils et successeur de Hugues-Capet. La France le pleura comme un père, sous le gouvernement duquel elle vivoit dans la plus profonde sécurité , ne craignant ni l'oppression des tyrans domestiques, ni les dévastations des armées étrangères. C'étoit l'image même de la bonté : sa piété lui fit donner le surnom de Dévot : samodération lui mérita celui de Sage. On ne peut exprimer jusqu'où ail oit son attention à réprimer les fautes par lesquelles Dieu étoit offensé. On raconte que, pour prévenir les faux sermens, alors très-fréquens, il fit faire un reliquaire D d
�CARACTÈRE.
de cristal, orné d'or, mais sans reliques, Sriir lequel il faisoit jurer les seigneurs ; et un autre d'argent, renfermant un œuf de griffon , sur lequel juroientles gens du commun. C'étoit mal raisonner, sans doute, puisque c'est l'intention qui fait le crime ; mais le motif nous peint un prince aussi tendre pour ses sujets , que zélé pour la gloire de Dieu. Un jour, allant à l'office du matin, il surprit deux personnes en faute : l'horreur qu'il avoit du péché, n'éteignit point la compassion qu'il devoit au pécheur. Il les couvre de son manteau royal, et vole aux pieds des autels pour demander leur conversion au Seigneur : il appelle ensuite le garde-dircorps qui l'avoit accompagné, et lui ordonne d'aller chercher un autre habit, lui défendant, sous peine de son indignation, de parler à qui que ce soit de cette aventure. Les pauvres sur-tout étoient ses amis : il en nourrissoit tous les jours trois cents, quelquefois mil le. Le Jeudi-Saint, il les servoit à genoux, et leurlavoil: les pieds, revêtu d'un ciliée. Sa compassion pour les malheureux alloit quelquefois si loin , que lorsque l'argent lin manquoit, il leur permettoit de le voler , et trouvoit très-mauvais qu'on voulut les en empêcher, Lesfiloux, sous prétexte de lui demander l'aumône, le ^uivoient jusques dans son arppartement, et luiprenoient impunément tout ce qu'il avoit de plus précieux dans ses poches et: sur ses habits. Un d'eux lui ayant coupé la moitié d'une frange d'or, vouloit encore emporter l'autre. « Retirez-vous, lui dit le roi avec bonté; « il doit vous suffire de ce que vous avez : ce qui reste « pourra servir aux besoins de vos camarades. » Cette rare bienfaisance avoit principalement pour objet son royaume. Il lui donna tout ce qui dépendoit de lui : la justice et la paix. On a dit de ce prince, et c'est le plus beau trait de son caractère, qu'il étoit roi de ses passions , comme de ses peuples. 5a. Henril, fils de Robert, fut un prince belliqueux, d'une valeur héroïque, et d'une grande piété. Ami de la vertu, il suffisoit d'avoir du mérite pour participer à ses bienfaits. Zélé pour l'honneur de la religion, il fonda ou rétablit plusieurs églises ou monastères. Né
�CARACTÈRE.
4^
2
pour le commandement, il gouverna son royaume avec autorité , chose depuis long-temps très-difficile en France. Son fils, Philippe I, fut le prince le mieux fait de son siècle. Brave dans les combats , sage dans le conseil , éloquent et éclairé, l'histoire lui donne toutes les grâces de l'esprit, comme la nature lui avoit donné celles du corps. 55. Louis VI, dit le Gros , fils de Philippe , réunit les quali tés qui forment le grand guerrier : l'activité, la valeur, l'intrépidité, et les vertus qui caractérisent le bon roi : la douceur des mœurs , l'inclination à faire du bien, l'application au gouvernement, le zèle de la justice , l'amour des peuples , la haine de l'op ■ pression et de la tyrannie. Les souverains devroienttoujours avoir devant les yeux les dernières paroles qu'il -dit à Louis VII, son successeur : « Souvenez-vous , « mon fils , que la royauté n'est qu'une charge pu-' « blique , dont vous rendrez un compte rigoureux à « celui qui seul dispose des sceptres et des couronnes. » S'il eût excellé dans la politique comme dans tout le reste , il auroit égalé , peut-être même surpassé les plus illustres de ses prédécesseurs. La France, avant qu'il eût pris les rênes du gouvernement, étoit le théâtre de mille horreurs On ycomptoil presque autant de tyrans que de seigneurs et de gentilshommes. Nulle police dans les villes, plus de justicedans les tribunaux, aucune sûreté sur les grands chemins. Tout ce qui s'appelle peuple gémissoit sous le plus dur esclavage. Ijouis entreprit de réprimer ces brigands et de rétablir l'ordre dans tout le royaume. Il en vint à bout, et mérita par ce service la reconnoissance de toute la patrie. 54. Louis VII, dit le Jeune , montra de la piété , de la bonté, du courage, mais nulle politique ; et son excessive dévotion étoit plus supers tifièùse qu'éclairée. Il défendit le duel pour une dette qui n'excéderoit pas cinq sous. Une dette de six sous étoit donc une matière suffisante de duel ! Une pareille ordonnance est bien propre à prouver la foiblesse de la législation et la barbarie de ces temps-là.
�4a6 CARACTÈRE. 55-Philippe II, que sa naissance long-temps désirée fit surnommer Dieu-Donné , et à qui ses conquêtes , aussi rapides que brillantes , méritèrent le glorieux nom à'Auguste, avoit été couronné quelques mois avant la mort de Louis son père, et n'avoit que quinze ans lorsqu'il régna seul ; mais sa jeunesse ne fut pas comme celle de la plupart des pi'inces : il évita Fécueil des plaisirs , et son courage n'en fut que plus vif. Brave, laborieux, actif, la beauté de son ame s'annon> coît par la noblesse et la majesté de son extérieur. Sage politique , il possédoit éminemment Fart d'employer à propos les caresses,les menaces, les récompenses ou les châtimens. Les besoins de son état Favoient forcé de mettre une dîme sur le clergé. Tout l'ordre ecclésiastique lui fit de vives représentations , et le pria de se contenter des oraisons qu'on adressoit au Seigneur pour sa prospérité.Le monarque dissimula. Quelques seigneurs firent du dégât sur les terres des principales églises, dont les évêques eurent recours au roi.Le prince promit de prier cesseigneursderespecter les domaines sacrés. Malgré les prières du monarque , la vexation ne fit qu'augmenter : le clergé envoya de nouveaux députés. «Je vous ai protégés par mes prié« res , leur dit le roi, comme vous m'avez servi parles « vôtres 5 de quoi vous plaignez-vous?» L'allusion étoit frappante ; elle fut sentie : le clergé se soumit. Intrépide, le danger le plus évident ne pouvoit ébranler son ame. Allant de Mantes à Gisors , avec un simple escadron de trois cents hommes, il aperçoit le roi d'Angleterre, qui venoit fondre sur lui avec une armée nombreuse. On lui propose de rentrer dans Mantes. «Moi, « dit-il, que je recule ! que je fuie devant mon vassal! « Qui veut vaincre ou mourir avec moi, me suive. >' Il dit, fond sur les Anglais , les terrasse , et arrive à Gisors , sans perdre plus de vingt hommes. Heureux dans ses entreprises, parce qu'il savoit les concerter avec prudence , et les exécuter avec célérité ; magnifique dans les occasions d'éclat, pour soutenir l'honneur de la royauté 5 économe dans son domestique, pour ne point surcharger ses peuples; exact enfin à rendre la justice à ses sujets, qui Faimoient comme leur père.
�jARACTÈRÏ.
4 7
2
56. On a dit de Louis VIIIqui lui succéda , qu'il fut fils d'un grand roi, et père d'un grand saint. C'est trop peu dire , il fut lui-même un grand prince par ses exploits et par ses vertus. Inébranlable dans ses principes , dès qu'il eut pris le sceptre, il manifesta cette héroïque fermeté qui le fit appeler Cœur-de-Lion. Le roi d'Angleterre , au lieu de se rendre à son sacr,e, comme l'y obligeoit sa qualité de vassal, lui fit redemander avec hauteur la restitution du duché de Normandie , de l'Anjou , du Maine, et des autres teres dont il avoit été dépouillé par Philippe-Auguste. « C'était à votre maître, répondit Louis aux ambassa« deurs du monarque anglais ; c'étoit à votre maître à .« observer le premier les clauses dont il se prévaut, « comme c'est à moi à tirer raison des infractions « essentielles que j'ai à lui reprocher; loin de lui ac« corder sa demande, je suis déterminé à lui ôter « encore ce qu'il possède dans un royaume où il n'a « plus rien à prétendre. » Il promit, il tint parole ; et durant le trois années de son règne, il prouva par ses enquêtes et par ses victoires, au roi d'Angleterre et à la postérité , qu'en succédant à Philippe , il avoit îérité de sa bravoure, de sa conduite et de sa fortune, i ces qualités propres au grand roi, il joignitles vertus ui font le bon chrétien. Pieux et chaste, la religion et L a pureté furent deux objets sacrés pour son cœur; et ieut-être, à cet égard, a-t-il servi de modèle à son fils. n l'a surnommé le Lion pacifique, pour exprimer u'il joignit la modestie et l'amour de la paix à la ouveraine valeur : éloge rare, sans doute, et cepenant que tous les rois devroient mériter. 57. Louis IX, que ses grandes vertus ont mis an omhre des saints , est le modèle le plus parfait que histoire fournisse aux souverains qui veulent régner elon Dieu, et pour le bien de leurs sujets. On a dit e lui, et c'est le comble de l'éloge, qu'il eut tout nscmble les sentimens d'un vrai gentilhomme,la piété u plus humble des chrétiens, les qualités d'un grand oi , les vertus d'un grand saint , toutes les lumières ■u plus sage législateur. Fils respectueux et soumis,
�428
CARACTÈRE.
mais d'une soumission aveugle et sans bornes, les volontés de sa mère furent toujours pour lui des lois sacrées. Celte princesse ne pouvoitsoufFrir que le monarque fût en la compagnie de Marguerite, son épouse. Si la cour voyageoit, elle les faisoit presque toujours loger séparément. Il arriva qu'étant à Pontoise, le prince eut un appartement au-dessus de celui de lareine : il n'osoit cependant aller chez elle , sans prendre de grandes précautions contre la surprise. Il ordonna à ses huissiers de salle , lorsqu'ils verraient venir la reine-mère , de battre les chiens , afin de les faire crier. Alors il se cachoit dans quelque coin. Un jour qu'il tenoit compagnie à sa femme, parce qu'elle étoit dangereusement malade, on vint lui dire qneBlanche arrivoit. Son premier mouvement fut de s'enfoncer dans la ruelle du lit: elle l'aperçut néanmoins. « Venez-vous-en , lui dit« elle, en le prenant par la main, vous ne faites rien « ici. — Hélas ! s'écria Marguerite désolée, ne melais« serez-vous voir monseigneur, ni en la vie , ni en la « mort ? » Elle s'évanouit à ces mots. Tout le monde la crut morte. Le roi le crut lm-même, et retourna surle-champ auprès d'elle. Sa présence la fit revenir de son évanouissement. Une condescendance si singulière à l'au torité maternelle , est un de ces traits que l'histoire ne présente que dans peix de princes ; et peut-être Louis IX est-il le seul roi qui l'ait portée à ce point. Père tendre, mais éclairé, il estimoit dans ses enfans leurs vertus plutôt que leur naissance ; et ces vertus éloient le fruit de ses exemples. Son unique but étoit de les rendre dignes de la patrie et de leur rang. « Mon « fils , répétoit-il sans cesse à Philippe III, son suc« cesseur, songez à vous rendre aimable à vos sujets, « et sachez que je mettrais de grand cœur à votre « place quelque étranger que ce fut, si je savois qu'il « dût gouverner mieux que vous. » Avec quelle application , avec quelle simplicité il rendoit la justice, cette première et la plus noble fonction de la royauté! 11 avoit toujours auprès de lui un certain nombre de personnes en qui il avoit confiance , lesquelles , après avoir assisté à la mes se., alloient chaque jour entendre
�s vous salonarse. Si loger eeut 'osoit ancles ssiers e , de il se comment preu lit: ditrien e laisen la îonde a surir de ilière stoirel t-être joint. nfans ertus étoit Mon sucrjets, votre qu'il ipplitice, auté! re de après ijidre
CARACTERE. 429 les plaids de la porte , ce qu'on a depuis appelé les requêtes de palais, et jugeoient sur-le-champ toutes les petites affaires. Quand les parties n'étoient pas contentes, le monarque en prenoit connoissance lui-même, et décidoit. « Souvent j'ai vu, dit le sire de Joinville, « son confident, que le bon saint, après la messe , « alloit se promener au bois de Vincennes, s'asseyoït « au pied d'un chêne, nous faisoit prendre place à « côté de lui , et donnoit audience à tous ceux qui « avoient à lui parler, sans qu'aucun huissier ou garde « les empêchât de l'approcher. » On le vit aussi plusieurs fois venir au jardin de Paris , vêtu d'une cotte de camelot, avec un surtout de tiretaine sans manches, et par-dessus un manteau de taffetas noir : là, il faisoit étendre des tapis pour s'asseoir avec ses conseillers, « et dépêchoit son peuple diligemment. » Deux fois par semaine il donnoit audience dans sa chambre^ et peu content d'expédier les parties, il les renvoyoit souvent avec des instructions importantes. On étoit toujours sûr du succès , même dans les affaires où il avoit intérêt, lorsque la demande étoit juste et fondée. Si l'équité ne parloit point en sa faveur, il étoit le pre > mier à se condamner. Quand son droit paroissoit certain , il savoit le maintenir avec fermeté ; mais dans le doute, il aimoit mieux tout sacrifier, que de courir risque de blesser la justice. Louis VII, en fondant des religieux de Grammont, proche Dourdan , leur avoit donné un bois dans le voisinage de leur monastère. Philippe^Auguste le trouva à sa bienséance, et ne fit point de difficulté de se l'approprier. Le saint roi, instruitde l'usurpation, ordonna de le restituer, ce qui fut promptement exécuté. Un chevalier, nommé Raoulde Me«Za7?.,réclamoit quelques droits sur des terres situées aux environs d'Evreux ; cette prétention étoit même tout son bien; mais malheureusement elle ne se trouvoit appuyée d'aucune preuve suffisante. La noblesse et la misère du gentilhomme y suppléèrent. Louis lui assigna une rente de sixeents livres sur d'autres biens en Normandie. Renaud de Trie lui redemandoit le comté de Dammartin, qu'il retenoit depuis la mort
�4oO
CARACTÈRE,
de Malhildc , quoiqu'il eût promis solennellement de ne point s'opposer à ce qu'il retournât aux légitimes héritiers de la comtesse. On lui produisoit des lettrespatentes à ce sujet; précaution qu'on avoit cru devoir prendre , parce que cette terre ayant été confisquée pour félonie, sur Renaud, comte de Boulogne, ensuite rendue à sa fille, en considération de son mariage avec Philippe de France, on craignit que cette grâce ne s'étendit pas jusques sur les enfans à'Alix , sœur du rebelle. Mais le roi, ni personne de sa cour, ne se souvenoient de ces lettres ; les sceaux en étaient brisés et rompus : il ne restait de l'effigie du monarque que le bas des jambes. Tout son conseil fut d'avis qu'on ne devoit y avoir aucun égard. La délicatesse de sa conscience ne lui permit pas de s'en tenir là : il appelle son chambellan , et lui ordonne de lui rapporter de vieux sceaux , pour les confronter avec les restes de celui qu'on lui présentait. On en trouva de parfaitement semblables. « Voilà, dit-il à ses ministres, voilà « le sceau dont je me servois avant mon voyage d'ou« tremer : ainsi je n'oserois, selon Dieu et raison, re« tenir la terre de Dammartin. » Eu même temps il lit venir Renaud de Trie : « Beau sire, lui dit-il, je vous « rends la comté que vous me demandez. » S'il étoit si scrupuleux, si attentif à rendre à ses sujets ce qu'il leur devoit, comme roi juste , il n'était pas moins ardent à rendre ou à faire rendre au souverain Etre l'honneur qu'il lui devoit, comme monarque trèschrétien. On admire sur-tout ses sévères ordonnances contre le blasphème, crime horrible, si commun alors, que les enfans même, à l'exemple des personnes âgées, ne disoient pas une parole sans l'accompagner d'un jurement exécrable. Le religieux prince s'arma de toute son autorité contre un désordre si affreux , et ses efforts ne furent point inutiles. Un jour, ayant entendu blasphémer un bourgeois de Paris, il lui fit percer les lèvres avec un fer chaud , pour lui rappeler , et à toute la capitale, le souvenir éternel d'un péché si détestable. On murmura d'une si grande eévérité. Quelques gens de la Ue du peuple s'échappèrent jusqu'à'
�CARACTÈRE.
4^1
vomir contre lui mille malédictions : il le sut, et déI fendit de les punir. « Je leur pardonne , dit-il , puis« qu'ils n'ont offensé que moi. Plût à Dieu qu'en me « condamnant moi-même à unpareilsupplice,je puisse « bannir le blasphème de mon royaume ! » Quelque temps après , comme on lui souhaitoit mille bénédictions pour un ouvrage public qu'il avoit fait faire à ses dépens : « J'attends du Ciel , s'écrie-t-il , une plus « grande récompense , pour les malédictions dont je « fus accablé, quand je fis punir le blasphémateur. » Sa foi étoit si grande , qu'on auroit cru qu'il voyoit plutôt les mystères divins qu'il ne les croyoit. Tout dévoué à Dieu dès sa plus tendre enfance , il n'oublia jamais l'enseignement de la reine sa mère, « qu'il va« loit mieux mourir mille fois , que d'encourir la dis« grâce duTout-Puissant par un péché mortel. » Ilre|ardoit l'adversité comme un châtiment ou comme une épreuve, qui pouvoit apporter un grand profit. Il envisageoitla prospérité comme un nouveau motif deredoujlerdeferveur envers l'auteurde tout bien. Onle voyoit la tête des armées , avec la contenance d'un héros, affronter les plus grands périls. On l'admiroit au pied les autels , plus humble et plus î-ecueilh que le plus èrvent solitaire. Toujours avide de la parole de Dieu, 1 l'écoutoit avec cette sainte soif qui décèle une ame pénétrée des sentimens de le plus vive dévotion. Zélé propagateur de la foi qu'il professoit, il eût tout sacrifié pour lui gagner des conquêtes. « Oh! si j'avois la conl< solation de me voir le parrain d'un roi mabométan! » yécrioit-il, lorsque les ambassadeurs du roi de Tunis Hnrent lui apprendre que leur maître désiroit d'embrasser le christianisme. Unjour qu'il assistoit, à SaintJenis, au baptême d'un fameux Juif, cérémonie où il Ivoitinvité les agens du prince infidèle, il leur adressa les belles paroles : « Dites de ma part à votre maître, que je désire si ardemment sa conversion, que je consentiras de passer le reste de ma vie dans les cachots les plus obscurs, si je pouvois lui obtenir de Dieu, et à toute sa nation, la grâce du baptême.» Rien de plus imirable que l'ordre qu'il avoit mis dans sa maison.
E
�432
C A R A
C T È R E.
On y comptoit, comme aujourd'hui, un nombre infini d'officiers, chambellans , panetiers, échansons et autres ; mais , quoiqu'immense, elle étoit mieux réglée que celle d'un particulier. On n'auroit osé y songera ces profits criminels qui blessent l'honneur en soiuJ luut la conscience : chacun, content de ce qui lui revenoit légitimement, ne s'occupoit qu'à remplir fidèlement son devoir. La crainte de déplaire à un maître qui, de temps en temps , descendoit dans les plus petits détails , les obligeoit à veiller sur leurs actions ; non qu'on pût l'accuser d'une sordide épargne : Il faisoit, « dit Joinville, une grande et large dépense, telle,en « un mot , qu'il appartenoit à un si grand roi. Lors« qu'il tenoit ses parlemens ouétats, tons les seigneurs, « chevaliers et autres, étoient servis à sa cour , plus « splendidement que jamais n'avoient fait ses pré« décesseurs ; car il étoit fort libéral. » Mais , dans la nécessité où il se trou voit par état de représenter , il aie s'en croyoit pas moins obligé à une prudente économie , pour ménager ses sujets, qui souffriroient trèsimpatiemment que le tribut de leur amour devînt la proie d'une foule de domestiques avides. Il savoit combien les belles-lettres et les arts contribuent à la gloire des états 5 aussi se fit-il un devoir de les protéger par ses bienfaits. Très-instruit lui-même , il voulut contribuer à l'instruction de ses sujets, autrement que par son exemple : il établit au trésor de la Sainte-Chapelle, à Paris, une bibliothèque publique. Il s'y rendoit souvent, comme un simple gentilhomme, et se plaisoiti converser avec les uns sur l'objet de leurs études, et à donner aux autres les instructions dont ils avoienl besoin. On ignoroit que ce savant éclairé et ce maître complaisant fût le roi. 58. Philippe III, dit le Hardi, eut toutes les qualités qui rendent un prince cher à ses sujets, sur-tout une piété sans bornes, qu'il accompagna dès plus grandes austérités. Il fut bon, vaillant, généreux, libéral ; mais simple, et trop aisé à tromper. Il aimoit la justice et l'ordre. Sans affecter la tyrannie , il sut maintenir avec fermeté les droits incontestables de sa couronne, ce
�CARACTÈRE.
4^5
ce qui parut sur-tout à l'égard d'Edouard I, roi d'Angleterre. Ce prince, vassal de la France pour le duché d'Aquitaine, ne datoit ses chartres, ou ne permettoit de dater celles de cette province , que des années de son règne, sans faire aucune mention de celui du roi son souverain. Il reçut un ordre exprès du monarque de se conformer là-dessus à l'ancien usage du royaume. En vain le prince auglais voulut répliquer; le roi fut inébranlable : il fallut ployer sous l'autorité du maître. Il eut l'avantage de faire régner dans ses étals la paix, l'abondance, la justice, et de faire le bonheur de tout son peuple, sans le charger d'impôts: aussi fut-il généralement regretté de tous les ordres du royaume qu'il, gouverna avec autant de douceur que d'autorité. 5a. Philippe IVfut le plus beau prince et le cavalier le mieux fait de son temps; ce qui l'a fait surnommer le Bel. Il étoit vaillant, généreux, magnifique, avide de gloire, mais encore plus avide d'argent, dépensier jusqu'à la prodigalité, trop sévère quelquefois, toujours trop vindicatif. Il fut bon mari, bon père : il faisoit les délices de sa famille : bon frère , il aima toujours tendrement les comtes de Valois et d'Evreux, et n'oublia rien pour mettre la couronne impériale sur la tête de l'aîné. C'est le premier de nos rois qui ait altéré la monnaie ; ce qui lui a fait donner le nom de faux-monnayeur. Il avoit le cœur haut et lier, l'esprit prompt et vif, l'ame grande et souvent trop impétueuse : il étoit ferme dans ses entreprises , quelquefois trop ardent à les poursuivre ; et cependant, à ces qualités fougueuses, il joignoit une rare modération. Le roi d'Anglerre, Edouard I, près d'être forcé dans ses derniers retranchemens, envoie proposer une suspension d'armes de quelques mois. «Je l'accorde, dit « Philippe; et, malgré mes victoires, je ne serai jamais « éloigné de la paix, quand je verrai de la sincérité dans « le procédé de mes ennemis, et de la soumission dans « mes vassaux. » Il aima les belles-lettres, les cultiva, les protégea, et favorisa ceux qui se distinguoient par la science. L'université d'Orléans lui doit son érection, et c'est à son exemple qu'il faut attribuer la fondation Tome I. Ee
�434
CARACTÈRE.
des pricipaux collèges de la capitale : Navarre , le Cardinal-le-Moine , Montaigu , qui produisirent tant de savans. 60. Louis X, surnommé le Hutin, étoit généreux , libéral, plein de tendresse pour ses sujets qu'il déchargea de tous ces impôts onéreux qui les avoient ruinés sous son prédécesseur; mais il se livra trop à la débauche avant son second mariage, et ne montra pas assez de fermeté dans sa conduite : défauts dont il n'eut pas le temps d'effacer la tache , n'ayant régné qu'un an six mois et quelques jours. Les sciences et ceux qui les cultivoient, eurent beau coup de part à ses bienfaits et à ses faveurs. Il accorda de grands privilèges à l'université de Paris, « à laquelle, dit-il, la foi doit sa con« servation; la société, la politesse de ses moeurs; le « monde entier , ses lumières et ses connoissances. » 61. Philippe V, dit le Long, qui succéda à son frère Louis X, fu t un prince d'un grand mérite ; dévot sans foiblesse, religieux observateur de sa parole, vigilant, habile, prudent, hardi, de mœurs douces, sans aigreur, sans caprices, d'un esprit orné, délicat et solide. Il se plaisoit aux nobles exercices : comme son prédécesseur, il aimoit les belles-lettres, il favorisoit ceux qui les cultivoient, il les attirait dans son palais , il les honorait même des premières charges de sa maison : témoin Milion, gentilhomme du Poitou, qu'il fit son maître-d'hôtel, pour récompenser son talent poétique; témoin encore Bernard Marquis, célèbre Provençal, qu'il éleva à la dignité de chambellan, parce qu'il excelloit dans le même genre ; témoin enfin cette intimité' à laquelle il admit deux personnages distingués alors par leur savoir, le chancelier Pierre d'Arablai, qui, à sa recommandation , fut élevé au cardinalat, et le grand bouteillier Henri de Sully, qu'il envoya en ambassade vers le pape Jean XXII, qu'il nomma l'un des exécuteurs de son testament, et qui fut depuis établi gouverneur du royaume de Navarre. 62. Charles IV, dit le Bel, fut le dernier héritier de Philippe-le-Bel, qui, en mourant, avoit laissé trois fils, «les plus beaux princes qu'on, eût jamais YUS dans
�CARACTÈRE. 435 «l'empire français,» qui donnoient à leur père l'espérance d'une nombreuse postéri té, et qui disparurent tous trois en moins de quatorze ans. Le règne du "dernier promettait à la France une paix et un bonheur inaltérables. Charles fut un des plus grands rois de là troisième race. Il sut allier dans sa personne l'esprit et la probité , la douceur et la fermeté , la prudence et la bonne foi ; aimant la vertu , punissant le vice , même dans ses proches : «sévère justicier, gardant le « droit à chacun ; » rigide observateur de l'ordre , ibéral à récompenser le mérite, peu magnifique dans a dépense; méprisant le faste, et ne mettant sa gloire u'à bien gouverner son état. Les courtisans disoient u'il tenoit plus du philosophe que du roi. 63. Philippe VI, dit de Valois, n'emporta pas au ombeau les regrets de la nation, dont il avoit mérité 'attachement au commencement de son règne. Triste ondition des monarques ! on les juge sur les événeens, et leur gloire est presque toujours subordonée à l'incertitude des succès. Obligé, parla situation es affaires, d'apporter des changemens dans l'admiistration et d'augmenter les impôts, les malheurs de 'état ternirent les dernières années de son règne. II vit été plus grand, s'il n'eût pas eu des guerres maleureuses à soutenir. Une éducation négligée rendit nutile en lui l'assemblage de toutes les vertus qui orment les héros : courageux, magnanime , libéral , sclave de sa parole, juste, pieux, son courage l'aveula ; sa libéralité excessive épuisa ses finances : son èle pour la justice, poussé jusqu'à la sévérité, éloia de lui ceux qui auraient dû lui être le plus attahés : trahi par ses sujets perfides, il devint inquiet , oupçonneux; l'ingratitude des hommes le rendit dur t inflexible. Il n'aima ni les lettres, ni ceux qui les ultivoient : il n'en connoissoit pas le prix. 64. On ne peut trop fortement représenter aux rois je celui qui peut tout ce qu'il veut, ne doit jamais ouloir se venger : récompenser ou punir , voilà ses roits, dont il ne peut abuser qu'à sa honte et pour le îalheur du genre humain. Le roi Jean se îaissôit domiEe 2
�436 CARACTÈRE. ner par la colère : cette passion offusqua les lumières de son esprit. Formé pour tout autre rang que celui qu'il occupa, il eiit peut-être"été un grand homme : il ne fut pas un grand roi. Généreux, sincère, libéral, ami de la justice et de la piété ; fidelle à sa parole, brave jusqu'à l'héroïsme, constantdans l'amitié, mais implacable dans sa haine ; sacrifiant tout à sa vengeauce ; toujours entraîné par les accès de son impétuosité, il commit des fautes irréparables. L'adversité fit en lui un changement surprenant. Il ne fut plus le même prince depuis que, vaincu et fait prisonnier à la bataille de Poitiers , il lutta seul contre la fortune qui l'accabloit. Toute la dureté de son caractère disparut : il ne lui resta plus, de cette inflexibilité d'ame, qu'un courage invincible , éprouvé par les revers. Il sut alors pardonner : on le vit, lorsque Paris rentra sous son obéissance , écrire aux habitans avec la bonté d'un père qui excuse ses enfans; il défendit qu'on usât de rigueur. L'humanité avoit repris ses droits sur un cœur aveuglé par la flatterie : il reconnut ses erreurs; et, par une espèce de prodige , il se concilia , dans le malheur, l'amour de ses peuples, l'estime et le respect de ses ennemis. Jean aima les lettres et les cul tiva : il anima les savans par la protection et les récompenses qu'il leur accorda. Il avoit fait traduire en français une grande partie de la Bible, et plusieurs autres ouvrages de piété. Son goût pour les bons auteurs latins lui fil désirer d'avoir leurs productions en notre langiie. On lui doit la plus ancienne traduction que nous connoissions des Décades de Tite-Live, que Pierre Bercheure, prieur de S.-Eloi, entreprit par ses ordres. 65. Charles Vue se croyoit heureux que par le pouvoir de procurer et d'entretenir la félicité publique ; et ce sentimenthéroïquefutl'amede toutes ses actions. Il mérita le nom de Sage, auquel la voix publique ajouta ceuxdeih'c/îeetd'i/eK7-e«a;.Ilconserva jusqu'au dernier moment de sa vie la tranquillité d'un cœur droit, et la confiance d'une ame chrétienne pénétrée des sublimes vérités de la religion. Malgré les guerres presque continuelles qu'il eut à soutenir, il trouva des ressources
�t
CARACTÈRE. 4^7 infinies dans son économie. Par sa prudence consomimée, il sembloit maîtriser les événemens. C'est ce qui désespéroit son éternel rival, le roi d'Angleterre 1 « Il n'y eut oneques roi qui moins se armât, disoit ce « monarque ; et si n'y eut oneques roi qui tant me donnât à faire. » Ce prince aimoit les lettres et les savans, ou les clercs et la sapience, comme on parloit dans ce temps-là. Il avoit répondu à des murmures sur e cas qu'il en faisoit : « Les clercs ou la sapience on «ne peut trop honorer; et tant que sapience sera « honorée en ce royaume, il continuera à prospérité; « mais, quand déboutée sera, il décherra. » Il n'a voit trouvé que vingt volumes dans sa bibliothèque ; il en laissa neuf cents , qu'il fît placer au Louvre dans une des tours que l'on nomma la Tour de la Librairie. C'est ce qui a donné commencement à la bibliothèque du roi, la plus riche et la plus précieuse de l'Europe. Ce bon et habile prince fut remplacé par Charles VI, le plus infortuné des rois ; triste jouet des plus étomnantes révolutions , accablé d'infirmités , durant lesuelles il fut abandonné de tout le monde , séparé de es enfans , des princes de son sang, livré au pouvoir 'unefamilleétrangère, qui alloits'éleversur lesruines e sa maison : espoir de la France dans ses premières nnées, il eut à peine quelques officiers dans ses deriiers soupirs ; et le malheur qui l'avoit persécuté penlant sa vie , le suivit jusques dans le tombeau. 66. On ne compte point au nombre des grandes quar ités de Charles VII, cette valeur intrépide qui lui méita le surnom de Victorieux : il y a peu de nos rois ïîont on puisse soupçonner le courage ; mais, ce qui se encontre plus rarement dans les guerriers , l'habitude Reverser du sang ne le rendit point cruel. Aussi généeux que brave, il conserva toujours un cœur humain u milieu du tumulte des armes. Il sut vaincre sans srgueil; et, ce que depuis long-temps on ignoroil en ^rance , il apprit à ses soldats à ne combattre que les nnemis, et à respecter leurs compatriotes. Ses armes! Je furent employées que pour venger sa patrie , et ecouvrerle patrimoine de ses ancêtres. Mais il estmoins E e 3
�4^3
CARACTÈRE.
rccommandable par ses exploits guerriers , quelque grands qu'ils soient, que par la sagesse et la douceur dé son administration. Il rendit aux lois leur ancienne vigueur ; il en ajou ta de nouvelles. Il soutint avec grandeur les droits et l'éclat de sa couronne: il rétablit dans ses états cettelieureuse harmonie qu'un demi-siècle de là plus cruelle anarchie avoit fait disparoître. 11 pardonnoit facilement : la clémence arrêtoit toujours le glaive de sa justice , et jamais cette aimable vertu ne dégénéroit en pusillanimité. Il oublioit les injures, non les services. Il ne considéroit point ses sujets comme une multitude d'esclaves destinés à prodiguer leurs biens et leurs vies pour cimenter l'édifice de sa grandeur : il avoit pour eux l'affection la plus tendre : «Il « avoit départi son temps pour entendre aux affaires de « son royaume, tellement qu'il n'y avoit point de cou« fusion. » Il emplovoitle lundi, le mardi et le jeudi! travailler avec le chancelieret le conseil, pour expédier les matières qui concernent la distribution de la justice, Le conseil de guerre se tenoit le mercredi. Le connétable , lorsqu'ilétoitàlacour; les maréchaux de France etl es orïiciers-généraux y assistaient : leschefsde guerrt se trouvoientpareillement aux conseils des finances, qui se tenoient le même jour mercredi, le vendredi et II samedi. Son intention était que la justice s'administrât aux moindres frais possibles , et pour en faciliter 1 es moyens , non-seulement les offices étaient donné gratuitement, mais il étoit même défendu d'exiger pour en expédier les provisions , « plus d'un écu on ni « chapeau commun. » Les autres lettres de chancellerie se délivroient gratuitement. Les rapporteurs dt procès , en cas d'appel , ne pourvoient recevoir d'autres présens qu'un chapon ou deux. Lorsqu'un homffl poursuivoit une affaire au conseil, etque ses prétention! avoient été jugées légitimes, on lui faisoit rembourser aux dépens du roi, les frais de voyage , de séjour et autres dépenses qu'il pouvoit avoir faites à la poursuit! de son expédition. L'attention continuelle qu'il donnoi! à modérer les dépenses superflues , le mettait en éta de satisfaire sa passion dominante, qui ne tendoit qu'an
�CARACTÈRE.
4%
Soulagement du peuple. Lorsqu'il voyageoit, il conduisoit à sa suite divers ouvriers qui travailloient aux vêtemens qu'il faisoit distribuer aux pauvres. Il vivoit avec splendeur, quoique sa dépense annuelle n'excédât pas la somme de cent mille livres. D'une exactitude scrupuleuse à remplir ses engagcmens, sa parole étoit « parole de roi, et tenue pour loi. » Il étoit d'une taille médiocre , d'une complexion sanguine : sa physionomie ouverte et agréable , étoit l'expression ridelle de l'honnêteté de son ame. Il portoit Phabit long , qui servoit à le faire paroître plus grand, et à dérober la vue de ses jambes peu proportionnées aureste du corps. Son serment ordinaire étoit : « S. Jean ! S. Jean ! » il se récréoit dans ses heures de loisir, au jeu des échecs ou à l'exercice de l'arbalète. 67. Louis AT fut l'homme le plus singulier de son siècle ; et souvent il passoit d'un extrême à l'autre , sans laisser apercevoir l'intervalle qui les sépare. Avare par goût, il ruina son peuple par des impôts excessifs : prodigue par politique , il épuisa plus d'une fois les fruits d'une économie sordide, afin de faire réussir ses projets insidieux 5 préférant les ruses et la finesse à toutes les autres qualités , il montra pour la première fois, sur le trône français, tous les vices de Libère. II ne consultoitpersonne : « Tout mon conseil est dansma « tête , » disoit-il ordinairement ; et c'est le reproche queluifitun jour très-finement Pierre deBrézê , grand sénéchal de Normandie. Ce seigneur étoit à la chasse avec le roi, et le voyant monté sur un petit cheval : « Voilà , dit-il , un cheval, qui, malgré sa taille , est « un des plus forts qu'il y ait dans le royaume. — Pour« quoi donc ? demande Louis. — C'est qu'il porte en « même temps le roi et tout son conseil, » répond le sénéchal. Mauvais roi, mauvais fils, mauvais frère , mauvais mari , mauvais père , il borna tou te l'éducation du dauphin , son fils , à savoir ces mots latins : Qui nescit dissimulare, nescit regnare: « Celui qui ne « sait point dissimuler , ne sait point régner. » C'était sa maxime : terrible aux grands , affable au peuple Î mais d'une affabilité indigne dç son rang. Quand ois
�44°
CARACTÈRE.
lui reprochent de ne pas assez garder sa dignité , il ré" pondoit parce proverbe , qui eût été bon dans toute autre bouche que la sienne : « Lorsqu'orgueil che« mine devant , honte et dommage suivent de bien « près. » La crainte de la mort, cette crainte si salutaire quand la religion la dirige et la fait naître , le fit iomber dans des petitesses capables seules de déshonorer le plus grand homme. Esclave de la vie , quand il ordonnoit des prières pour sa conservation, il ne vouloit pas qu'on demandât à Dieu autre chose pour lui, que la santé. Un jour qu'il accomplissoit un vœu à S. Eutrope, le prêtre joignoit la santé de l'ame à celle du corps: <v N'en demandez pas tant à la fois, lui dit-il;, « il ne faut pas se rendre importun. Contentez -vous « de demander , par les mérites de ce saint, la santé « du corps. » Ayant eu une attaque d'apoplexie ,- et sentant les approches de la mort , il eut recours aux processions, aux prières publiques et aux reliques, dont il fit venir un grand nombre de tous les lieux où il put en trouver , même de Constantinople. Il appela auprès de lui le saint homme de Calabre ; ( c'est ainsi qu'on appeloit alors en France , $>. François de Vaule , fondateur des Minimes. ) Il se jetoit à ses genoux , et le prioit d'employer en sa faveur le crédit qu'il avoit auprès de Dieu. Jacques Coctier, son médecin , fut celui qui profita davantage de cette excessive pusillanimité. « Je sais bien que vous me renvoyerez « un beau matin, comme vous avez fait tant d'autres, « lui disoit-il souvent ; mais j'en jure par ma tête, vous « ne vivrez pas huit jours après. » Ces vaines menaces remplissoient de terreur un monarque qui s'étoit rendu si redoutable , et l'habile Esculape en tira près de cent mille écus. en cinq mois. Au reste , Louis XI avoit de grandes qualités ; et si l'on compare son règne ayee celui des princes ses contemporains , on verra , selon la remarque de Comines , son historien et son confident, qu'il y en avoit peu qui valussent mieux que lui. Il eut l'adresse d'augmenter tellement la puissance royale, en donnant des atteintes terribles an gouvernement féodal, que c'est lui, comme l'on dit > « qui, le
�.CARACTÈRE.
44
1
« premier, a mis les rois hors de page ; » et ce trait seul de son règne, par les biens qui en sont résultés, est capable de faire oublier une partie de ses défauts. 6b\ Charles VIII n'eut pas les vertus d'un grand monarque , mais il eut celles d'un bon roi. « Il ne fut « jamais que petit homme de corps, et peu entendu , « dit Comines; mais il étoit si bon, qu'il n'est point « possible de voir meilleure créature. » La conquête du royaume de Naples et d'une grande partie de l'Italie, faite en moins de six mois , prouve sa vaillance ; mais la rapidité avec laquelle il perdit ces nouveaux domaines , annonce son incapacité. Il aimoit à pardonner, et rien ne flattoit tant son ame qu'un acte de clémence. Il étoit né généreux ; et quand on lui offroit une occasion de manifester sa bienfaisance , il la saisissoit avec une vivacité qui prouvoit jusqu'à quel point il possédoit cette heureuse qualité. Il mérita les surnoms à'Affable et de Courtois, titres qui font seuls l'éloge de son cœur ; et, ce qui doit y mettre le comble , c'est, que le jour même de ses obsèques , tous les bons Français versèrent des larmes , et deux de ses officiers moururent de douleur. 69. Jamais prince n'aima tant son peuple que Louis XII ; jamais prince n'en fut tant regretté ; et les larmes abondantes et sincères que la patrie , qui ne dissimule jamais les vertus et les vices de ses enfans , répandit sur son tombeau , furent sa plus belle oraison funèbre. Durant le cours de son règne , il s'occupa sans cesse des moyens de rendre la France heureuse. A son avènement à la couronne , il remit à ses sujets le présent de cent mille écus qu'ils vouloient lui faire : il ôta la troisième partie des impôts qu'il avoit trouvés établis , et la dixième partie des tailles , qu'il diminua d'année en année , jusqu'à ce qu'elles fussent réduites à la moitié. Il versoit des larmes , quand la nécessité de ses affaires l'obligeoit d'imposer quelques subsides ; et jamais il ne montrait une satisfaction plus vive, que lorsqu'on lui parloit de l'abondance où vivoit son peuple : « Un bon pasteur, « disoit-il , ne sauroit trop engraisser son troupeau. »
�44
2
CARACTÈRE.
Aussi mcrita-t-il les glorieux titres de Bon, de Juste, de Clément, de Magnanime, et de Père du Peuple ; éloge infiniment plus glorieux que celui de Grand, d'Auguste , de Vainqueur et de Conquérant. Ce bon prince avoit l'humeur gaie et ouverte. Il se plaisoit à dire de bons mots ; mais jamais il n'offensoit personne. La vérité, l'austère vérité , si redoutée des monarques, rie le fâcha jamais. Il aimoit qu'on lui découvrît ses défauts ; et, ce qui est bien rare dans les rois, il s'appliquoit à se corriger quand on l'avoit repris. Il favorisoit, il cultivoit les lettres , et protégeoit les savans. Il donna des pensions à Sannasar , à Jérôme Alexandre, à Lascaris, et rappela, par ses bienfaits, les pi us célèbres j urisconsultes de l'Italie, qui avoient abandonné l'université de Paris. Il voulut un jour assister aux leçons deJasonMagnus; et ce docteur,qui conduisoit le prince, s'étant tenu un peu en arrière pour lui céder le pas, Louis l'obligea de passer le premier, et dit que la majesté royale devoit céder en ce lieu-là aux titres d'un professeur. Son mépris pour l'ignorance éclatoit souvent par des railleries , quelquefois trèspiquantes , qu'il se permettoit contre ceux qui parvenoient aux dignités, sans avoir un certain mérite personnel. L'administration de la justice étoit le principal objet de ses soins. Dans la vue de connoître par luimême si les juges étaient exacts à ce point essentiel de leur ministère, il se transportait deux ou trois fois par semaine au parlement, ou à la chambre des comptes. Il ne conférait les magistratures qu'au mérite : il faisoit de sévères correctionsà ceux qui déshonoroientleurcaractère, en quelque manière que ce fût. Ayant un jour rencontré , par hasard, deux conseillers du parlement, qui jouoient publiquement à la paume une somme d'argent considérable, il les menaça de leur ôter leurs charges, s'ils continuoient d'avilir la dignité du corps dont ils étaient membres. Il disoit « qu'en montant sur le trône « il s'était soumis aux lois ; qu'il en devoit être le défen« seur^le protecteur, et que son intention était qu'elles « fussent observées , aux dépens mêmes de ses meil« leurs amis, » Sa conduite fit voir que ce sentiment
�443 vraiment royal étoit profondément gravé dans son cœur. Louis relevoit toutes ces vertus civiles et morales, par une piété tendre et solide , qui étoit comme l'ame de tontes ses actions. On le voyoit assister aux offices de l'Eglise avec un respect qui marquoit qu'il étoit pénétré de la grandeur du Dieu qui habite dans nos temples. 11 entendoit la messe avec un zèle , une application, une humilité si profonde , qu'il inspiroit de la dévotion à ceux qui le voyoient dans cet état d'abaissement. Bien loin de discourir, et de s'entretenir indécemment pendant le service redoutable de nos autels, il se seroit fait un scrupule d'y lire une lettre, quelque diligence qu'elle eût demandée. Un jour qu'il entroit dans l'église, on lui remit un papier d'Italie, qui lui donnoit avis que le château de Crémone s'étoit rendu à ses troupes qui en avoient formé le siège. Quelqu'intérêt qu'il eût d'apprendre quel étoit le succès de son armée , le respect pour la sainteté du lieu, la vénération profonde pour le sacrifice divin qu'on commençoit, lui firent suspendre la lecture, jusqu'à ce qu'on eût achevé la messe, et qu'il fût sorti de l'église. 70. François I mérita les surnoms de Grand , de Père et de Restaurateur des lettres. Doué des qualités les plus brillantes, doux, spirituel, magnanime, généreux et bienfaisant, il aimoit son peuple ; et c'est cette noble affection qui lui fit, en mourant, tenir ce langage au dauphin : « Mon enfant, les fils doivent « imiter les vertus de leurs pères , et non pas leurs « vices. Les Français sont le meilleur peuple qui soit « au monde, et méritent d'autant plus d'être bien trai« tés, qu'ils ne refusent rien à leur roi dans ses besoins. « Vous allez devenir leur maître , et non pas leur « tyran : régnez en père , et non pas en despote. » L'ame de ce prince étoit supérieure à tous les revers. 11 en déploya toute la fermeté , toute la constance, après la funeste bataille de Pavie. « Tout est perdu , « madame , hormis l'honneur , » écrivit-il à sa mère. Il fut peut-être prodigue, plutôt que généreux. Mais il se corrigea de ce défaut si dangereux dans un souverain 5 et malgré les dépenses nécessaires pendant
CARACTÈRE.
�444
CARACTÈRE.
trente années de guerre, malgré la magnificence introduite dans les meubles et dans les bâtimens , malgré les grandes récompenses accordées aux guerriers et aux savans, il laissa en monrant son domaine entièrement dégagé , quatre cent mille écus dans ses Coffres , et un quart de son revenu prêt à y rentrer. 71. Henri II eût été sans défauts , si sa conduite eût répondu à sa bonne mine ; mais sa riche taille, son visage doux et serein, son esprit agréable, son adresse dans tou tes sortes d'exercices , son agilité et sa force corporelle, ne furent pas accompagnés de la fermeté d'esprit, de l'application, de la prudence et du discernement qui sont nécessaires pour bien commander. Il étoit naturellement bon , et avoit les inclinations portées à la justice; mais son espri t fut toujours en tutèle; et pour ne vouloir rien faire de son chef, il fut cause de tout le mal que firent ceux qui le gouvernoient. Il avoit une merveilleuse facilité de s'exprimer , tant en public qu'en particulier ; et l'on eût pu aussi le louer sur son amour pour les belles-lettres, et sur ses libéralités envers les savans, si la corruption de sa cour, autorisée par son exemple, n'eût invité les plus beaux esprits de son temps à se signaler plu tôt par des poésies lascives que par des ouvrages solides. La galanterie étoit l'emploi le plus ordinaire des courtisans , et la passion du prince pour Diane de Poitiers , qu'il fit duchesse de Valentinois , étoit le premier mobile de tout ce qui se passoit dans le gouvernement. Les ministres et les favoris pioyoient également sous elle, et le connétable Anne de Montmorency lui-même, tout aimé du roi, tout grave qu'il étoit , ne pouvoil se dispenser d'avoir recours à sa faveur : tant étoit grand l'empire que cette femme , malgré son âge de quarante-sept ans ,, malgré ses infidélités fréquentes , s'étoit arrogé sur le cœur du foible monarque. 72. François II, fils et premier héritier de Henri, malade dès son enfance , ne fit rien sur le trône , quoiqu'il fût majeur : son règne ne fut qu'une perpétuelle minorité. Ses serviteurs l'appelèrent le roi sans vices ; on peut ajouter et sans vertus.
1
�CARACTÈRE. 445 73. Charles IX secroyoituneinfaillibleperspicacité, et se vantoit de connoître à fond, du premier coupd'oeil, tous ceux qui l'approchoient : heureux les Français , si ce prince faisant usage pour lui-même de ce rare talent, se fut vu , jugé et corrigé ! Plein de courage et d'activité , la nature l'avoit doué d'un esprit vif et clairvoyant, d'un jugement rapide et sûr , d'une mémoire prompte et fidelle ; d'Une heureuse facilité de s'exprimer avec grâce ; en un mot, la nature sembla l'avoir formé pour le trône; mais l'éducation anéantit son ouvrage, et il fallut autant d'art pour le porter au vice, qu'on en met pour rendre sensible aux attraits de la vertu un cœur qui ne paroît pas né pour elle. On l'accoutuma de bonne heure à jurer, et peu à peu son langage devint aussi grossier que celui de la plus vile populace. Afin de l'éloigner du soin des affaires, on lui inspira un goût désordonné pour la chasse, le vin et les femmes ; mais la force de son heureux naturel ne lui permit pas de se livrer à ces divers genres de débauches , avec toute la fureur et toute la constance que désiroient ses infâmes instituteurs; car une fois s'étant aperçu que le vin lui avoit troublé la raison jusqu'à lai faire commettre des violences, il s'en abstint tout le reste de sa vie. Quelques-unes des femmes que la reine sa mère lui procuroit, l'ayant trompé, il les prit toutes en aversion, et cessa de s'attacher à ce sexe qu'il appeloit perfide. Il ne conserva qu'un goût effréné pour la chasse, peut-être parce que, ne voyant rien que d'innocent dans cet amusement , il croyoit pouvoir s'y livrer sans crime, et s'y distraire des forfaits qu'on lui faisoit commettre. Ce fut malgré lui qu'il ordonna le massacre des huguenots, connu sous le nom de lasaintBarthelemi. On l'effraya par un tableau exagéré de leurpuissance ; on lui représenta combien ils pouvoient causer de troubles ; on lui fit comprendre que , par cette expédition cruelle et perfide, mais nécessaire,la France recouvrerait aussitôt ce calmeheureuxdontelle jouissoit avant que les sectaires parussent: cédant enfin a cette foule de raisonnemens captieux , au lieu de se contenter de la mort des principaux chefs, à laquelle
�446
CARACTÈRE.
le conseil secret sembloit vouloir se borner, il s'écria , en jurant, selon sa coutume : « Eh bien, puisqu'il le « faut, je ne veux pas qu'il en reste un seul qui me le « puisse reprocher. » Il recula tant qu 'il put l'instant de cette horrible boucherie ; mais dès qu'elle fut commencée , la fureur de ses satellites passa dans son ame. Lui-même anima les meurtriers par ses paroles et par ses exemples ; lui-même tira sur ses propres sujets. Depuis cette barbarie , il parut tout changé , et tomba malade. H s'agitoit et se roidissoit avec une extrême violence ; il tressailloit et se remuoit sans cesse ; le sang se faisoit une passage par toutes les parties de son corps , et perçoit au travers des pores de sa peau : enfin il expira à l'âge de vingt-quatre ans, se repentant d'avoir régné , et plus encore d'avoir laissé régner des bourreaux sous son nom. Ilprotégeoit les lettres et les arts. Il reste encora des vers de lui, qui ne sont pas sans mérite pour son temps. Il aimoit les poètes, quoiqu'il ne les estimât pas. On assure qu'il disoit d'eux, qu'il falloit les traiter comme les bons chevaux : les bien nourrir et ne les pas rassasier. Qui croiroit que ce fut sous son règne que furent faites nos lois les plus sages , et les ordonnances les plus salutaires à l'ordre public ? Elles furent l'ouvrage du zèle et de la sagesse de l'immortel chancelier de Lhopital. 74- Henri III parut digne du trône tant qu'il n'y monta pas. Son caractère fut un mélange inconcevable de grandeur d'ame , de petitesse d'esprit, de vigueur et de mollesse , d'activité et d'indolence, de tendresse et d'insensibilité , de libertinage et de superstition. Nul prince ne représentoit avec plus de dignité que lui dans les occasions importantes. A la figure la plus noble et la plus prévenante , il joignoil une éloquence naturelle et majestueuse ; mais ce même roi s'avilissoit aux yeux de ses sujets par des amuse mens puérils, et par des discours indécens. Il donnoil des audiences ayant une corbeille pleine de petits chiens pendue à son côté , et il ne rougissoit pas de se promener dans Paris un bilboquet à la main. y5. Nous n'avons jamais eu de meilleur ni de plus
�CARACTÈRE.
447
grand roi que Henri IV. Il fut lui-même son général et son ministre. Il unit à une extrême franchise , la plus adroite politique ; aux sentimens les plus élevés , une charmante simplicité de moeurs ; et à un courage de soldat, un fonds inépuisable d'humanité. Il rencontra ce qui forme et ce qui déclare les grands hommes : des obstacles à vaincre, des périls à essuyer, et sur-tout des adversaires dignes de lui. Il laissa le royaume dans un état florissant. Il l'avoit policé , après l'avoir conquis. Les troupes inutiles furentlicenciées ; l'ordre dans les finances succéda au plus odieux brigandage. Il paya peu à peu toutes les dettes de la couronne, sans fouler es peuples. La justice fut réformée, le commerce et es arts furent en honneur. Les étoffes d'or et d'argent, roscrites d'abord par un édit somptuaire dans le comnencement d'un règne difficile et dans la pauvreté , eparurent avec plus d'éclat, et enrichirent Lyon et a France. Il établit des manufactures de tapisserie n e haute-lice en laine et en soie, rehaussée d'or. On onimença à faire de petites glaces dans le goût de elles de Venise. C'est à lui seul qu'on doit les vers ! soie et les plantations de mûriers. On lui doit aussi e canal deBriare, par lequel la Seine et la Loire furent ointes. Paris fut agrandi et embelli : il forma la place oyale; il restaura tous les ponts. Le faubourg SaintGermain ne tenoit point à la ville , il n'étoit point Javé : Henri se chargea de tout ; il fit achever ce >eau pont, où les peuples regardent aujourd'hui sa latue avec attendrissement. Les plus habiles artistes n tout genre étoient logés au Louvre, sous cette lonue et magnifique galerie qui est son ouvrage ; il les ncourageoit souvent de ses regards et par des récomenses. Il fut enfin le vrai fondateur de la bibliothèque ovale. En faisant fleurir son état au-dedans, il le faioit respecter au-dehors. Il fut médiateur entre le pape t la république de Venise ; il protégea les Hollandais ontre les Espagnols , et ne servit pas peu à les faire econnoître libres et indépendans. Les grandes quaites de Henri VI furent obscurcies par quelques déauts. Il eut une passion extrême pour le jeu et pour
�4+8
ies
CARACTÈRE.
femmes. On ne peut excuser la première , parce qu'elle fit naître quantité de brelans dans Paris ; et encore moins la seconde, parce que ses amours furent si publiques et si fréquentes, depuis sa jeunesse jusqu'au dernier de ses jours , qu'on ne sauroit même leur donner l'indulgente dénomination de galanterie: aussi le nombre de ses enfans naturels surpassa-t-il de beaucoup celui des légitimes. Toutefois ses maitresses ne le dominèrent jamais ; et il leur répétoit souvent, qu'il aimeroit mieux perdre dix amantes, qu'un ministre tel que Sully. 76. Maître d'un beau royaume , mais né avec un caractère un peu sauvage, Louis XlIIne goûta jamais les plaisirs de la grandeur, s'il en est, ni ceux de l'humanité. Toujours sous le joug , et toujours voulant le secouer; malade, triste, sombre, insuportable à luimême et à ses courtisans, son goût pour la vie retirée Fattachoit à des favoris , dont il dépendoit jusqu'à ce qu'on en eût substitué d'autres ; car il lui en falloit, et le titre de favori devint alors comme une charge dans Fétat. Le cardinal de Richelieu le domina toujours, et il n'aima jamais ce ministre , auquel il se livra sans réserve. Il avoit des intentions droites, un esprit solide et éclairé, un cœur porté à la piété, mais à cette piété qui tient beaucoup de la pusillanimité, et non pas à celle qui est la vertu des grandes ames. Il n'imaginoit point, mais il jugeoit bien, et son ministre ne le gouvernoit qu'en le persuadant. Aussi vaillant que Henri IV, mais d'une valeur sans éclat, il n'eût pas été bon pour conquérir un royaume. La Providence le fit naître dans le moment qui lui étoit propre : plutôt, il eût été trop foible ; plus tard , trop circonspect. Fils et père de deux de nos plus grands rois, il affermit le trône ébranlé de Henri IV, et prépara les merveilles du règne de Louis XIV. 77. Quoiqu'on ait reproché à Louis XIV trop de hauteur avec les étrangers dans ses succès , de la foiblesse pour plusieurs femmes , de trop grandes sévérités dans les choses personnelles, des guerres légèrement entreprises , une ostentation vaine , un faste trop
�CARACTÈRE.
449
trop orgueilleux ; cependant ses grandes cpialités , mises dans la balance, Font emporté sur ses défauts. La postérité admirera dans son administration une conduite ferme, noble, suivie, quoique souvent trop absolue. Il fit de sa cour une école de politesse , de bon goût et de véritable noblesse. Loin de ressembler à ces monarques pusillanimes pour qui la royauté est une pesante servitude, dontils cherchent à se décharger sur le premier sujet qui vient frapper leurs regards, il choisissoit ses ministres, et il les gouvernoit. Il possédoit sur-tout le talent, rare et singulier de connoître et d'apprécier les hommes ; et jamais prince peut-être ne se trompa moins dans son choix. Il eut des maîtresses , mais elles n'influèrent pas clans les affaires générales. S'il aima les louanges , il souffrit la contradiction. Dans sa vie privée, il fut, à la vérité, trop plein de sa grandeur, mais il étoit bon père, bon maître , toujours décent en public , laborieux dans le cabinet, exact dans les affaires, pensant juste, parlant bien , et aimable avec dignité. Ce qui immortalise sur-tout Louis XIV, est la protection qu'il accorda aux sciences et aux beaux-arts. C'est sous son règne que l'on vit éclore ces chefs-d'œuvre en tout genre , qui seront l'éternel honneur de la France. La saine philosophie ne fut connue que de son temps. La révolution qui s'opéra alors dans nos arts , dans nos esprits et dans nos mœurs, influa sur toute l'Europe. Elle s'étendit en Angleterre ; elle porta le goût en Allemagne, les sciences en Russie; elle ranima l'Italie languissante ; et ces peuples divers doivent de la reconnoissance et de l'admiration à Louis-le-Grand. 78. Jamais les traits de la simple nature n'ont été mieux marqués qu'en M. de Vaubah, ni plus exempts de tout mélange étranger. Un sens droit et étendu , qui s'aftachoit au vrai par une espèce de. sympathie , et saisisso'nVle faux sans le discuter, lui épargnoit les longs circuits par où les autres marchent; et d'ailleurs sa vertu étoit en quelque sorte un instinct heureux , si prompt qu'il prévenoit sa raison. Il mépiïsoit cette politesse superficielle, dont le monde se contente, et qui Tome L F f
�45o
CHARITÉ.
couvre souvent tant de barbarie ; mais sa bonté, son humanité , sa libéralité, lui composoient une autre politesse plus rare, qui étoit toute dans son cœur. Il séyoit bien à tant de vertus de négliger des dehors qui, à la vérité, lui appartiennent naturellement, mais que le vice emprunte avec trop de facilité.(Souvent il s'empressa de secourir de sommes considérables des officiers qui n'étoient pas en état de soutenir le service ; et quand on venoit à le savoir, il disoit qu'il prétendoit leur restituer ce qu'il recevoit de trop des bienfaits du roi. Il en fut comblé pendant tout le cours d'une longue vie ; et il a eu la gloire de ne laisser, en mourant, qu'une fortune médiocre. Il étoit passionnément attaché au roi. Sujet plein d'une fidélité ardente et zélée, et nullement courtisan, il auroit infiniment mieux aimé servir que plaire. Personne ne fut si souvent que lui, ni avec tant de courage, l'introducteur de la vérité. Il avoit pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement. Ses mœurs tinrent bon contre les dignités les plus brillantes, etmêmen'eurent point à combattre. En un mot, c'était un Romain qu'il sembloit que son siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la république.
CHARITÉ. i. L'APÔTRE S. Jean , parvenu à une extrême vieillesse, avoit perdu l'usage de ses jambes : ses disciples le portaient à l'église. Comme il ne pouvoit plus leur faire de longs discours, il se contentait de leur répéter cette sentence : « Mes chers enfans , aimez-vous les « uns les autres- » Us s'ennuyèrent à la fin d'entendre sans cesse les mêmes paroles. « Notre maître , lui « dirent-ils , pourquoi nous répétez-vous toujours la « même chose ? — Eh ! mes enfans , répondit le « sublime évangélistc , ignorez-vous que la charité est « le précepte du Seigneur, et que si on l'observe « bien , il suffit seul pour le salut ? » 2. On doit regarder la vie des premiers chrétiens, dont
�C H A R I T E.
les actes des apôtres nous offrent le tableau y .ç le plus beau triomphe de la charité. La philos'oj: Socrate donna des principes de sagesse : lalwl^ seule de Jésus-Christ fit une foule de sages. Cesnis fidèles d'un Dieu plein de bonté ne formoient/H leur multitude, qu'un cœur et qu'une ame, parce qu1 étoienttous animés d'un même esprit, et se regardoient comme les membres d'un même corps. Personne ne considérait ce qu'il possédoit, comme une propriété qui lui fût personnelle; mais tout ce que chaque particulier possédoit étoit regardé comme le bien de tout le monde. Ceux qui avoient des terres et des biens les vendoient, et venoient en déposer le prix aux pieds des apôtres, des prêtres et des diacres, qui distribuoienfc ces richesses aux pauvres , afin de rétablir , par ces pieuses,libéralités, l'égalité primitive. Tous les jours on les voyoit dans le temple offrir ensemble au ToutPuissant des vœux unanimes. Us rompoient le pain dans leurs maisons, c'est-à-dire, ils vivoient en communauté, comme des frères, et ils prenoient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. Point de haine, point de division, point de querelles dans cette divine société : leur union étoittrop pure pour être troublée par aucun nuage. « Voyez, disoient les Juifs et les Païens, voyez comme « ils s'entre-aiment : voyez comme ils sont prêts à mou« rir les uns pour les autres ! » Cette paix, cette heureuseconcorde, ce zèle mutuel, contribuoient plus à la conversion des infidèles, queles plus éclatans miracles. 3. S. Spiridion, évêque de Trémitonte , dans l'île de Chypre , partageoit son revenu en deux portions égales; l'une étoit distribuée aux pauvres ; l'autre servoit à sa subsistance , et plus encore à prêter à tous ceux qui étaient dans le besoin. Si quelque infortuné, pressé par des créanciers impitoyables , manquoit de ressources pour les satisfaire, il en trouvoit une assurée auprès, du saint prélat , qui lui disoit avec bonté : « Allez à mou coffre , mon ami ; prenez ce qui vous « sera nécessaire ; rapportez-le quand vous pourrez ; « car cet argent n'est point à moi : il appartient à « l'indigence; » et l'on prenoit ce qu'on vouioit, sans F f 2,
�I
432
CHARITÉ.
que ce généreux pasteur parût y faire la moindre attention. Un jour , un homme abusa de ce détachement héroïque. Il crut pouvoir tromper le charitable évêque, il lui avoitemprunté une somme très-considérable : il la rapporte. Il feint de la remettre dans le coffre, et la garde. Quelque temps après , il a besoin de recourir de nouveau à la libéralité de Spiridion. « Prenez , mon ami , prenez , » lui dit le prélat. Le fourbe , qui se flattoitdéjà d'une nouvelle infidélité , court au coffre ; mais il le trouve vide. Etonné, il en instruit l'évêque. « Cela me surprend , répondit Spi« ridion. Vous êtes le premier qui n'ayez rien trouvé « dans ce coffre. Il faut, mon frère , que vous n'ayez << point rapporté ce que vous avez pris la dernière fois, « et cet accident est un effet de la justice de Dieu qui « punit votre avarice. » Ces paroles furent un coup de foudre. Le coupable , couvert de confusion , fit l'aveu de sa faute. Le bon prélat, touché de ses larmes , lui abandonna cette somme , et l'exhorta vivement à être, dans la suite, moins attaché aux richesses. 4- L'empereur Maximin ayant déclaré aux chrétiens de ses Etats une guerre cruelle, Dieu parut venger ses adorateurs d'une manière éclatante. Le ciel ayant refusé, pendant la triste saison, ces pluies qui fertilisent la terre 'x les fruits et les moissons manquèrent, et la famine fut bientôt suivie de la peste. Aux symptômes ordinaires de cette maladie , s'en joignit un nouveau : c'étoit un ulcère enflammé , qu'on appelle charbon, qui , se répandant par tout le corps , s'attachoit surtout aux yeux , et qui fit perdre la vue à un nombre infini de personnes de tout âge et de tout sexe. Ces deux calamités réunies dépeuploient les villes, désoloient les campagnes. Le boisseau de blé se vendoit plus de deux cents francs de notre monnaie. On rencontroit à chaque pas des femmes recommandables par leur naissance, qui, réduites à mendier, n'avoient d'autres marques de leur ancienne fortune , que la honte de leur misère. On vit des pères et des mères traîner dans les campagnes leur famille, pour y manger , commes les bêtes , le foin et les herbes même *
\
�t CHARITÉ.
455
malfaisantes, et qui leur donnoient la mort. On en vit d'autres vendre leurs enfans pour la misérable nourriture d'une journée. Dans les rues , dans les places publiques , chanceloient et tomboient les uns sur les autres des fantômes secs et décharnés , qui n'avoient de forces que pour demander , en expirant , un morceau de pain. La peste faisoit en même temps d'horribles ravages ; mais il sembloit qu'elle s'attachoit surtout aux maisons que l'opulence sauvoit de la famine. La mort, armée de ces deux fléaux , courut, en peu de temps , toutes les provinces soumises à Maximin. Elle abattit des familles entières ; et rien n'étoit si commun, dit un témoin oculaire, que de voir sortir à la fois, d'une seule maison, deux ou trois convois funèbres. On n'entendoit dans toutes les villes qu'un affreux concert de gémissemens* de cris lugubres , et d'instrumens alors employés dans les funérailles. La pitié se lassa bientôt. La multitude des indigens , l'habitude de voir des mourans, l'atteinte prochaine d'une mort semblable, avoit endurci tous les cœurs. On laissoit au milieu des rues les cadavres étendus, sans sépulture, et servant de pâture aux chiens. Les chrétiens seuls, que ces maux sembloient venger, montrèrent de l'humanité pour leurs persécuteurs : eux seuls bravoient la faim et la contagion, pour nourrir les misérables, pour soulager les mourans, pour ensevelir les morts. Cette charité généreuse étonnoit, attendrissoit les Infidèles. Ils ne pouvoient s'empêcher de louer le Dieu des chrétiens , et de convenir qu'il savoit inspirer à ses adorateurs la plus belle qualité qu'ils pussent eux-mêmes attribuer à leurs dieux, c elle de bienfaiteurs des hommes. 5. La moisson ayant manqué dans toute l'Italie, en 383 , Rome se vit en proie à la plus affreuse' famine. Dans cette extrémité cruelle, tous les étrangers eurent ordre de sortir de la ville. Ces malheureux bannis, errans sans secours dans les campagnes stériles et desséchées, étoient réduits à se nourrir de glands, de racines et de fruits sauvages. Leur sort déplorable attendrissoit ceux qui, dans leurs propres maux, conservoient encore quelque sensibilité dumalheur des autres*
�^54 CHARITÉ. Personne n'en fut plus vivement touché qvfAniciiis■■ Bassus, préfet de la ville : c'était un vieillard ferme et généreux , rempli de cette charité que la religion chrétienne étend sur tous les hommes, et de cette confiance qu'elle inspire dans les plus rudes adversités. Il assembla les plus riches citoyens. « Que faisons-nous, « leur dit-il, pour prolonger notre vie ? Nous faisons « périr ceux qui travaillent à la soutenir. Ces étrangers « que nous bannissons ne sont-ils pas une partie de « l'Etat, précieuse et nécessaire ? ne sont-ils pas nos «laboureurs, nos serviteurs, nos marchands, quel« ques-ams même nos parens? Nous ne retranchons pas « la nourriture à nos chiens, et nous la plaignons à des « hommes ! Que la crainte de la mort est aveugle, en « même temps qu'elle est cruelle ! Qui voudra désor« mais nous procurer , par un commerce utile , les « nécessités de la vie? qui voudra ensemencer nos ter« res ? qui nous fournira du pain , si nous en refusons « à ceux par les mains desquels la Providence nous le « donne ? Quelle horreur les provinces vont-elles con« cevoir de Rome ? Enverront-elles leurs enfans dans « une ville homicide ? Mais la faim, qui va eousumer « ces innocentes victimes, fera-t-elle cesser la nôtre? « Nous épargnons quelques morceaux de pain : nous « achetons un répit de peu de jours au prix de la vie « de tant d'infortunés ; semblables à ces malheureux « navigateurs qui, pour éloigner la mort de quelques « niomens , se dévorent les uns les autres. Sacrifions « bien plutôt nos fortunes; ce sera subsister à meilleur « marché que par la perte d'un seul homme. Nous « n'avons de secours à attendre que du Ciel; il sera « d'airain pour nous , si nous sommes impitoyables « pour nos frères ; notre miséricorde méritera la sienne. « Ouvrons les bras à ces misérables ; contribuons tous « ;i leur subsistance. Il ne nous en coûtera pas plus « pour les nourrir que pour en acquérir d'autres , « après les avoir perdus. Et où en trouverons-nous qui « veuillent s'exposer à la mort, en servant des maîtres « inhumains ? » Ce discours arracha des larmes aux plus insensibles. L'avarice même ouvrit ses trésors.
�CHARITÉ.
455
On fit venir des Liés de toutes parts : on permit l'entrée de la ville aux bannis que la famine avoit épargnesLe superflu des riches, versé sur les pauvres, procura à ceux-ci le nécessaire; et la charité d'un seul homme, assez féconde pour suppléer à la stérilité de la terre, sauva la vie à un peuple nombreux. 6. La charité de S. Eloi étoit-si grande, qu'il passoit pour être le père commun des pauvres. On regardoit sa maison comme l'hôpital-général de Paris, et tout son bien comme le patrimoine de l'indigence. Lorsqu'il fut plus avancé dans la vertu , quoiqu'il vécut à le cour , il se défit de toute somptuosité, vendit tout ce qu'il avoit de plus précieux dans ses habits et dans ses meubles pour les assister, et parut dans une modeste simplicité dont il introduisit la pratique dans le palais du roi. Député par Dagobert I vers le roi de Bretagne, toute sa marche ne fut qu'un, enchaînement d'aumônes qu'il répandit sur les pauvres. Il préféra toujours la compagnie des indigens à celle des riches, parce que le respect et l'amour qu'il avoit pour eux, le portaient à les servir. Il ne sorloit point qu'il ne fût environné de pauvres ; et il se pourvoyoit alors d'une bourse bien garnie. Il ménageoit tout pour eux : il envoyoit dans les rues, sur les grands chemins et dans les villages même pour les chercher , et pour les emmener dans sa maison. Il les faisoit fous manger avec lui; il les servoit lui-même : souvent il mangeoit leursrestes. Quelquefois, lorsqu'ils étoient assemblés pour, dîner , il ne trouvoit ni pain ni argent, parce que tout avoit été distribué ; mais il metloit alors sa confiance en la Providence, et bientôt on voyoit arriver quelques provisions , soit de la part du roi , ou des seigneurs de la cour , ou de la part de S- Oucn , son ami y qui étoit chancelier de France. 7. Elisabeth, fille du roi de Hongrie, et femme du landgrave de Hesse, porta la modestie chrétienne jusqu'à son comble. Pour empêcher l'orgueil, qui d'ordinaire accompagne le rang suprême, de tyranniser son ame, elle prit chez elle un pauvre mendiant, infirme, dégoûtant : elle le peignoit j elle le lavoit elle-même -7
�456 CHARITÉ. elle lui faisoit les cheveux ;elle le traitoit comme s'il CÙL été son fils. Elle alloit visiter tous les indigens ; elle les consoloitelle les exhortoit à la patience ; elle leur donnoit à boire et à manger 5 enfin elle leur administrait tous les secours dont ils avoient besoin , avec la charité la plus active ; et en remplissant ces pieux devoirs, elle se représentait la foiblesse humaine, et se demandoit pourquoi elle n'était point à la place de ces malheureux. Après la mort de son époux, elle fit construire un vaste édifice, y appela tous les pauvres, et se consacra toute entière à leur service. Elle ne dédaignoit point les fonctions les plus basses. Un enfant était dangereusement incommodé d'un flux de ventre ; elle se levoit la nuit ; elle.le prenoit dans ses bras, et Faidoit à se décharger d'un incommode fardeau. Une femme étoit malade de la lèpre, personne n'osoit l'approcher ; la charitable Elisabeth osa seule remplir auprès d'elle un dangereux ministère , et lui rendit, avec complaisance, tous les services dont elle avoit besoin. Elle ne vouloit point que ses servantes l'appelassent leur maîtresse , mais leur sœur. Quelquefois elle les chargeoit de quelques commissions , afin de saisir le moment de leur absence pour laver la vaisselle , faire la cuisine , balayer leurs chambres, et devenir en quelque sorte l'humble servante de ces servantes même. Il falloit bien de la grandeur d'ame pour se soumettre avec tant de zèle à ces fonctions viles en apparence , mais que le principe fécond de la chanté ennoblissoit aux yeux de cette religieuse princesse. 8. En 1662 il y eut une longue et cruelle famine à Paris.. [Jn soir des grands jours d'été, que M. de Solo, conseiller au parlement, venoit de se promener, suivi seulement d'un laquais, un malheureux l'aborda, lui présenta vin pistolet, etlui demanda la bourse, mais en tremblant, et en homme qui n'étoit pas expert dans le métier qu'il faisoit: « Vous vous adressez mal, lui dit « le magistrat 5 je ne vous ferai guère riche : je n'ai que « trois pislole-s que je vous donne très-volontiers. » Il Jes prit, et s'en alla sans lui rien demander davantage. « Suis adroitement cet hommc-là, dit M. deSalo h. son
�CHARITÉ. 4^7 « laquais;observes, le mieux que tu pourras , où il se « retirera, et ne manque pas de me le dire. » Il suivit le voleur dans trois ou quatre petites rues, et le vit entrer chez un boulanger où il acheta un pain de sept ou huit livres , changeant une des pistoles qu'il avoit. A dix ou douze maisons de là , il entra dans une allée , monta à un quatrième étage ; et en arrivant chez lui , où l'on ne voyoit clair qu'à la faveur de la lune, il jeta son pain au milieu de la chambre, et dit, en pleurant, à sa femme et à ses enfans: «Mangez ; voilà un pain qui « me coûte cher : rassasiez-vous-en , et ne me tour« mentez plus , comme vous faites. Infortuné que je « suis ! hélas ! un de ces jours je serai pendu, et vous « en serez la cause.»La femme, qui pleuroit, l'ayant appaisé le mieux qu'elle put, ramassa le pain, et le distribua à quatre pauvres enfans qui mouroient de faim. Quand le laquais sut tout ce qu'il vouloit savoir, il descendit aussi doucement qu'il étoit monté, et rendit un compte fidelle à son maître de tout ce qu'il avoit vu et entendu. «As-tu bien remarqué où il demeure, ctpour« ras-tu m'y conduire demain matin?—Oui,monsieur , « fort aisément. » Le lendemain , dès cinq heures du matin, le conseiller alla où son laquais le conduisit, et trouva deux servantes qui balayoientla rue. Il demanda à l'une , qui étoit un homme qui demeuroit dans la maison que le laquais lui montra, et qui occupoit une chambre au quatrième. « C'est, monsieur , lui répon« dit-elle , un cordonnier , bon-homme et bien ser« viable,mais chargé d'une grosse famille, et si pau« vre, qu'on ne peut l'être davantage. » Il fit la même demande à l'autre , qui fit à peu près la même réponse; puis il monta chez l'homme qu'il cherchoit,et heurta à la porte. Ce malheureux, après avoir mis de méchantes chausses, la lui ouvrit lui-même, et le reconnut d'abord pour celui qu'il avoit volé le soir précédent. On conçoit quelle fut sa surprise. Il se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, et le supplia de ne le point perdre. «Ne faites point de bruit, lui dit M. de Salo s« je né viens pas ici dans ce dessein-là. Vous faites , « mon ami, un méchant métier ; et pour peu que
�458 CHARITÉ. « vous le fassiez encore , il suffira pour vous perdre, « sans que personne s'en mêle. Je sais que vous êtes « cordonier : tenez , voilà trente pistoles que je vous « donne ; achetez du cuir, et travaillez à gagner la « vie à vos enfans. » Q.Alafindei746, les Autrichiens et lesPiémontais, ayant passé le Var, entrèrent en Provence, sous la conduite du général Browen , et se présentèrent devant Grasse ou Grâce, ville qu'un commerce paisible avoit rendue très-florissante. Au premier coup de «sanon, les bourgeois, quin'étoientpas guerriers, capitulèrent , et l'ennemi exigea une contribution de soixante mille livres ; somme considérable pour cette petite ville , et qui eût, sans doute, appauvri ses habitans, si elle n'eût trouvé une ressource dans la charité peu commune de M. de Surian , son évêque. Ce prélat, digne «es premiers siècles de l'Eglise, digne du beau nom de pasteur, racheta son troupeau , en payant généreusement pour lui la somme demandée. 10. Jacques Evillon, chanoine et grand-vicaire d'Angers, avoit une si grande charité pour les pauvres , qu'il n'avoit point de tapisseries : « Quand, en hiver, « j'entre dans ma maison , disoit-il, les murs ne me « disent pas qu'ils ont froid ; mais les pauvres qui se « trouvent à ma porte , tout tremblans , me disent « qu'ils ont besoin de vêtemens. » 11. Les infirmités du corps, qui, dans la plupart des monastères, sont un des plus grands obstacles à la profession des novices, ne sont point àlaTrappe un empêchement à leur réception.Dutemps de l'abbé deRancê, un pauvre ecclésiastique de Lille s'étant présenté pour être reçu dans cette maison, l'abbé assembla ses religieux pour demander leur avis, parce que ce bon prêtre , ayant le bras gauche rompu , ne pouvoit manquer d'être à charge au monastère. Ayant commencé, selon la coutume , à recueillir les voix par le dernier des frères, le jeune religieux lui répondit : « Je vous « dirai, mon père , que mon avis seroit de recevoir au « plutôt cet homme que Dieu appelle ; et silène peut «travailler, nous le servirons tous.» Le chapitre
�CHARITÉ. 4% entier applaudit à cet avis , et le postulant fut reçu d'une voix unanime. . 12. Etant encore fort jenne , dit le philosophe Sadi, pavois coutume de me lever la nuit pour prier Dieu, pour veiller, pour lire l'Alcoran. Une nuit que j'étois dans ces pieux exercices, et que toute la famille dornioit, excepté mon père, près de qui j'étois, je lui dis « Voyez!pas un ne lève seulement la tête pour prier « Dieu, et ils dorment d'un sommeil si profond, qu'on « diroit qu'ils sont tous morts. » Mon père me ferma la bouche, en répondant: « Il vaudroit mieux que vous « dormissiez comme ils dorment, que d'observer leurs « défauts. » i3. S. Jean l'aumônier eut un jour une contestation très-vive avec le sénateur Nicétas, parce que celui-ci, au préjudice des pauvres , vonloit disposer des places du marché au profit du trésor public. Ils se séparèrent mécontens l'un de l'autre. Le saint patriarche, attristé de ce différent, lui envoya sur le soir un archiprêtre et un clerc , pour lui dire de sa part : « Le soleil est « près de se coucher. » Nicétas, frappé de cette parole, le va trouver , fondant en larmes. Ils se mettent à genoux l'un devant l'antre, et s'embrassent réciproque ment. Le saint lui dit : « Je vous assure, mon frère, que « si je ne m'étois aperçu que vous étiez très-irrité, « j'aurois été vous trouver moi-même pour me jeter à « vos pieds.» Le sénateur l'embrassa, le supplia d'oublier cet instant de vivacité , et ils se quittèrent bons amis. i4- On reprochoit à l'empereur Sigismond qu'il combloit de grâces ses ennemis, au lieu de les châtier comme ils le méritoient. « N'est-ce pas assez les punir, '< répondit-il, que de les forcer à devenir mes amis ? » 10. Chosroès, roi de Perse , ayant déclaré qu'il alloit vendre comme esclaves tous les prisonniers qu'il avoit faits sur les Romains , les habitans d'Edesse , qui l'apprirent, donnèrent alors un bel exemple d'une charité vraiment chrétienne. Toute la ville se mit en mouvementpour racheter les infortunéscaptifs.Chacuns'empressoit de. contribuer à proportion et même au delà
�46o
CHASTETE
de sa fortune : chacun portoit son présent à la grande église, qui fut bientôt remplie. Les courtisanes même sacrifièrent à la compassion le fruit de leurs débauches. Les paysans les pl us pauvres, qui n'a voient qu'une chèvre ou qu'une brebis, la donnoient avec joie. Ce zèle généreux produisit une rançon suffisante pour tous les prisonniers ; mais pas un ne fut racheté. Le général Buzbs, commandant d'Edesse , homme plus esclave de l'avarice, que ces malheureux ne l'étoient du monarque persan , se saisit de toutes ces richesses , sous prétexte de les employer à des besoins plus pressans. 16. Un chirurgien, en saignant une dame de qualité, eut le malheur de lui piquer l'artère, de sorte qu'il fut impossible d'y remédier , et que la dame en mourut, après avoir langui quelques jours. En faisant son testament , elle eut la générosité de laisser à ce chirurgien , extrêmement affligé, huit cents livres de pension viagère , tant pour le consoler , disoit-elle , que pour l'obliger à ne plus saigner de sa vie. Voyez
AMOUR DU PROCHAIN, AUMÔNE , BIENFAISANCE ,BIENVEILLANCE , BONTÉ, CLÉMENCE,HUMANITÉ,PARDON.
CHASTETÉ.
I.V^JN demandoit à une jeune Lacédémonienne fort pauvre , quelle dot elle apporteroit à son époux : «La « chasteté que j'ai héritée de mes ancêtres,» réponditelle. 2. Julien l'Apostat disoit « que la chasteté est dans « les mœurs ce que la tête est dans une belle statue, et « que l'incontinence suffit pour déparer la plus belle « vie. » Tout concourt à nous faire croire que cette maxime étoit pour ce prince une règle qu'il ne transgressoit jamais. Ce qu'il y a de certain , c'est qu'étant à la fleur de son âge lorsqu'il perdit//e'Zène son épouse, il résista aux instances de ses amis, qui lepressoient de se remarier pour se donner des successeurs dignes de lui et de l'empire: «Et c'est, pepartit Julien, cette rai-
�CHASTETÉ.
36l
<•> son même qui m'empêche de suivre votre conseil ; je « crains trop de laisser des héritiers indignes de Fem« pire et de moi. » 3. Joseph , fils de Jacob , avoit été un très-bel enfant; et à l'âge de vingt-sept ans, qu'il atteignit dans la maison de Putiphar, il avoit joint à la régularité de ses traits et àla vivacité de son teint, un air de noblesse et de dignité qui le rendoit un des hommes les plus aimables qui eussentparu dans l'Egypte. Sa bonne mine se faisoit d'autant plus remarquer en ce pays, que les Egyptiens , pour la plupart, étoient d'une figure et d'une taille peu avantageuses. Le vertueux jeune homme estimoit bien peu ces dons de la nature ; et peut-être ignoroit-il jusqu'à quel point il en avoit été favorisé. Mais l'épouse de son maître en fut touchée ; et se trouvant tous les jours dans l'occasion de voir l'aimable étranger, elle conçut pour lui unepassionsi violente, qu'elle résolut de la satisfaire. Il ne-lui venoitpas dans l'esprit que les avances d'une femme de son rang pussent être rejetées par un homme qui n'étoit que son domestique. Elle lui déclara son amour : elle le pi'essa d'y répondre. Joseph n'y répondit d'abord que par des froideurs et des embarras qui auroient dû faire sentir à cette femme impudique la honte et l'inutilité de ses démarches. Elle ne se rebuta point. Joseph avoit beau faire et éviter les rencontres de sa maîtresse ; elle étoit trop passionnée pour ne point ménager les momens d'une surprise. Tous les jours elle se voyoit méprisée, et tous les jours elle fatiguoit le vertueux Hébreu parles plus affreuses propositions. Il crut enfin 'devoir s'expliquer avec elle, et lui ôter toute espérance de le faire jamais consentir à un crime. « Songez-vous « bien, lui dit-il, aux discours que vous me tenez Pet « n'avez-vous pas dû vous apercevoir de toute l'hor« reur qu'ils me causent ? Vous voyez que mon maître « m'a donné sa confiance, au point de me rendre Far« bitre de toutce qu'il possède. Je dispose de tout dans « sa maison. De tous les biens qu'il abandonne à ma « conduite, vous êtes la seule dont il se réserve la « possession 5 et votis me croyez capable de la plus
�s
462 CHASTE T É? << monstrueuse ingratitude ? et pour prix des bienfaits « de Putiphar, je lui ravirois son Honneur ? Non, je « n'y consentirai jamais... Mais, quand je serois assez « malheureux pour trahir le meilleur maître que je « puisse avoir sur la terre , j'en ai un dans le ciel, « dont je ne puis éviter ni les yeux, ni la vengeance. « N'espérez donc point de me corrompre. Rougissez « de vos indignes poursuites, et cessez de me solliciter « à un crime dont vous devriez me punir, si j'avois « osé le commettre. » La fierté n'est guère puissante sur l'esprit d'une femm e qui aime, sur-tout quand elle se flatte encore de l'espérance d'être aimée. L'indigne épouse de Putiphar s'abandonna de plus en plus à sa funeste passion, et continua de presser son chaste esclave avec la plus dangereuse importunité. Un jour qu'il entra dans son appartement pour travailler seul et en repos, son impudique maîtresse l'y suivit, et l'ayant saisi par son manteau, pour s'assurer la victoire, en lui ôtant le moyen de fuir : « Pour cette fois, lui dit-elle, vous n'échap« percz pas à mon amour, et je ne vous laisserai point « aller que vous n'ayez contenté mes désirs. Songez « seulement que jene serai plus impunément refusée.» C'étoit-là, sans doute, une de ces tentations critiques, où la philosophie est déconcertée, et où le sage le plus intrépide n'a point de principes pour se soutenir sur le penchant d'un précipice si rapide. On ne risque rien aux yeux des hommes à satisfaire la passion d'une femme, que tous ses intérêts forcent au secret ; et si l'on résiste, tout est risqué, tout est même perdu. Dans ces occasions, il ne faut rien moins qu'un Joseph, c'està-dire , un homme sage par crainte de Dieu, et chaste par religion. Joseph ne différa pas à fuir le danger , et il abandonna son manteau entre les mains de la tentatrice. Il voyoit bien qu'il fournissoit à une femme outragée des armes dont elle ne manqueroit pas de faire usage, et que sauver sa vertu à ce prix , c'étoit se perdre sans ressource. Il prévit toutes les suites : il les compta pour rien, en comparaison de son innocence. L'épouse de Putiphar profita de ses avantages;
�CHASTETÉ. IfiZ et, ne pouvant se faire ni aimer ni obéir, elle se donna au moins le cruel plaisir de se venger. Elle s'écria , comme une personne réduite au désespoir, et le visage couvert d'une rougeur équivoque , que donne la modestie effrayée aux personnes vertueuses, et le dépit d'un refus aux femmes inpudiques, elle fit entendre, à l'arrivée de son époux , ces feintes lamentations : « Vous ne connoissez pas le perfide Hébreu que vous «vous êtes attaché : vous ne seriez plus digne de « vivre, si vous ne le punissiez, comme il le mérite , « du plus horrible des attentats. Assez ingrat pour « oublier l'excessive misère où il étoit réduit quand « vous l'avez acheté , et l'extrême bonté que vous « avez toujours eue pour lui, il a essayé d'attenter à « mon honneur, de corrompre votre épouse : il a porté « l'audace jusqu'à vouloir vous faire l'outrage le plus « insigne ; et dites , après cela , que le motif de ce tte « pudeur etde cette modestie, dont il couvre si adroi« tement ses desseins criminels, n'est pas la crainte « qu'il a de vous. Ce scélérat, se voyant en quelque « sorte maître de tous vos biens, s'est flatté qu'il lui « seroit permis de disposer aussi de votre femme : mais « il ne connoissoit pas l'épouse de Putiphar. Mes cris « Pontobligé de fuir, et son manteau m'est resté entre « les mains. » Les larmes de l'artificieuse femme achevèrent son discours ; et le manteau de Joseph, présenté avec la plus imposante simplicité, consomma la conviction. L'accusé auroit pu se défendre , et produire en sa faveur plus de dix années d'une conduite sans reproche : mais il sentit bien que sa justification n'auroit guère de pouvoir sur l'esprit crédule d'un époux alarmé , et que Putiphar supposerait bien plus volontiers de l'irypocrisie dans un domestique, que de l'infidélité dans une épouse. Il fut donc condamné, sans autre examen ; et son maître indigné le lit conduire dans les prisons du roi, dont il avoit le gouvernement. La fcagesse et l'innocence entrèrent avec Joseph dans ces lieux destinés aux crimes. La plus pure vertu y fut raitée, pendant quelques iours, comme eût mérité de être la plus, punissable hardisse. Le chaste Joseph,
�464
CHASTETÉ.
déjà couvert de confusion, y fut chargé de fers , et réduit à la condition d'un infâme scélérat. Une oppression qu'il avoit si peu méritée ne dura pas toujours; et si, dans les desseins de Dieu, sa captivité devoit être longue ; la Providence daigna en adoucir les rigueurs. 4- Cyrus refusoit de Voir Panthée, reine de la Snsianne, sa prisonnière. Araspe, un de ses favoris, lui vantoit la beauté de cette princesse, et lui disoit que c'étoit un spectacle digne d'un roi : « Et c'est préci« sèment parce qu'elle est belle, répondit Cyrus, « que je la fuis. Si je vais la voir aujourd'hui que mes « affaires me le permettent, elle me plaira tant, que « j'y retournerai encore lorsque ma présence sera « nécessaire ailleurs; et pour rester auprès d'elle, je « négligerai les soins les plus importans , je risquerai « mes devoirs et ma vertu. » 5. Un étranger demandoit à Gérade, austère Lacédémonien, pourquoi Lycurgue n'avoit fait aucune loi contre les adultères. « Parce qu'il n'y en a point à « Lacédémone. — Mais s'il s'en trouvoit quelqu'un, « comment le puniroit-on ? — On le condamnerait à « donner un bœuf si grand , que du mont Taïgète, il « pût, en étendant le cou, boire dans le fleuve d'Eu« rotas. — Mais comment trouver un bœuf de cette « taille ? — Eh ! comment pourroit-il se trouver un « adultère a Sparte ? » 6. Iliéron , roi de Syracuse , avoit l'haleine forte; mais aucun de ses courtisans n'avoit osé l'en avertir. Une femme étrangère ayant eu besoin de lui parler, s'en aperçut, etlui en fit reproche. Le monarque courut aussitôt à sa femme., et se plaignit de ce qu'elle ne l'avoit point prévenu d'un défaut qu'elle aurait dû remarquer la première ; mais cette vertueuse épouse lui répondit : « N'ayant jamais approché d'autre homme « que vous, je m'imaginois que l'haleine de tous vos « semblables avoit la même odeur que la vôtre. » ! 7. L'impératriceLivie,femme à Auguste, rencontra dans son chemin des hommes nus; ceux qui l'acconipagnoientfurent indignés d'une telle indécence : «Pour <sc des femmes honnêtes et vertueuses , dit la prin« cesse.
�CHASTETÉ.
46S
« cesse , des hommes nus ne sont que des statues, » 8. Alexandre-le-Grand étant dans un temple de Jupiter, aperçut une femme extrêmement belle, et la regarda long-temps, de manière à faire croire qu'il en étoit épris. Héphestion lui dit qu'il étoit juste qu'il mît au nombre des captifs une femme qu'il aimoit. « Ne « seroit-ce pas une chose indigne , répondit-il, que } « devant, punir l'incontinence des autres , je renaisse « les étrangers témoins de la mienne ? » Une autre fois , il porta la retenue jusqu'à ne point jeter les yeux sur une jeune captive d'une grande beauté , qu'il sa-1 voit être fiancée avec le prince d'une nation voisine. Il la renvoya bientôt après à son époux , et ce bienfait lui gagna l'amitié de tout ce pays. Il n'alla que très-rarement faire visite aux filles de Darius, très-belles princesses ;j et lorsqu'il étoit chez elles , il baissoit la vue sans les regarder. Comme ses courtisans en étoient étonnés , illeur dit que les femmes des Perses étoient le mal des yeux. Comme on le pressoit de les voir pl us souvent, il répondit , « qu'après avoir vaincu des hommes , il « ne risqueroit pas d'être vaincu par des femmes. » g. Durant la persécution de l'empereur Dèce contre les chrétiens, un jeune homme fut arrêté et conduit, par ordre du juge, dans un jardin délicieux, aifinilieu des lis et des roses, près d'un ruisseau qui couloit avec un doux murmure, et d'arbres agités par l'haleine des zéphyrs. Là , on l'étendit sur un lit de plume, où on l'attacha avec des liens de soie, et où il fut laissé seul en cet état ; puis on fit venir une courtisane qui commença à le solliciter au mal avec toute l'impudence et tous les attraits que la passion peut suggérer. Le jeune chrétien, ne sachant comment résister aux attaques de la volupté , poussé alors par l'esprit de Dieu , et par un courage héroïque, se coupa la langue avec les dents, et la cracha au visage de cette infâme créature. Etonnée , hors d'elle-même , elle prit la fuite ; et le généreux disciple de Jésus-Christ , vainqueur de la volupté et de lui-même par son courage , alla triompher des supplices et des bourreaux par sa constance f et mériter , par sa mort, la couronne du martyre» Tome L Gg
�466
CHASTETÉ.
10. S. Thomas d'Aquin, voulant renoncer au monde, eût à soutenir de grandes oppositions du côté de ses parens , et sur-tout de ses frères. Ils le firent enfermer dans un château, et y introduisirent une femme de mauvaise vie pour le corrompre. Le jeune Thomas, qui n'avoit jamais essuyé de pareils assauts , et qui sentoit en dedans de lui-même un autre ennemi encore plus dangereux , n'avoit pour armes que la prière du cœur, qui suffit pour réprimer l'ennemi domestique. Mais , comme il se voyoit presque poussé à bout par l'insolence de cette femme , il prit un tison allumé , et la poursuivit tellement, qu'elle disparut et n'osa plus se montrer. 11. Pendant les désordres qu'entraîne ordinairement le- pillage d'une ville, une demoiselle d'une extrême beauté vint se jeter aux pieds de Charles VIII, roi de France, le suppliant de mettre son honneur à l'abri de l'incontinence du soldat. Le roi la prit sous sa protection ; mais en la garantissant de l'insulte qu'elle avoit lieu de craindre, il lui trouva tant de charmes , qu'il ne put s'empêcher d'attenter lui-même à un honneur dont il s'étoit rendu garant. Il étoit dans sa «•emière jeunesse, et il aimoit les dames. Il parla pour ui-même, et expliqua ses désirs en prince qui veut les voir satisfaits. Us alloient l'être en effeti lorsque la demoiselle , qui cédoit par nécessité , aperçut dans le cabinet où ils étoient, une image de la Vierge tenant son Fils entre ses bras : « Eh ! sire , s'écria-t-elle , au « nom de celte Vierge pure et sainte , ne m'arrachez « pas ce que j'ai conservé jusqu'ici ! » Charles fut touché de sa prière accompagnée de larmes : les siennes même coulèrent ; et condamnant ses désirs , il renvoya celte demoiselle, lui accordant une dot proportionnée à sa naissance , et fit remettre en liberté , sans rançon, tous ses parens, un jeune homme avec lequel elle étoitfiancée, citons ses alliés faits prisonniers. 12. Spuri?ia , jeune Romain extrêmement beau , voyant que les charmes de sa personne étoient dangereux pour bien des femmes, et qu'il étoit devenu parlà très-suspect aux maris, se défigura entièrement le
{
�CHASTETÉ.
visage , aimant mieux, par cette difformité , prouver sa continence , que de tenter par sa beauté Fimpudicité de quelques libertines. i3. Bernard Calvonius, abbé de Sainte-Croix , ordre de Cîteaux , et depuis évêque de \icenze ,' étant allé loger dans un château , quelques jeunes demoiselles qui y étoient, charmées de la beauté de son visage , et sur-tout de ses dents , formèrent à son égard des désirs contraires à la pudeur; à peine l'eut-il appris , qu'il saisit une pierre avec laquelle il se cassa devant elles toutes les dents , et les leur jetant : « Voyez , « misérables , leur dit-il , la beauté d'une chose qui « est destinée à la pourriture ! » Ce trait de continence leur inspira tant de confusion, que deux d'entre elles se firent religieuses. i4- Une des religieuses du B. Bobert d'Arbrisselles ; ayant inspiré une passion criminelle à un prince , et ayant appris , de la bouche d'un dé ses courtisans , qui cherchoit à lier un rendez-vous entre elle et son maître , que c'étoient ses deux beaux yeux brillans comme deux soleils qui avoient charmé ce prince , demanda quelques instans pour se mettre en état de répondre à cette déclaration d'amour ; et , s'étant arraché les yeux avec un couteau, elle revint dans le moment les porter sur une assiette au médiateur de l'intrigue , le priant d'en faire présent au prince qui en étoit épris. i5. Lorsque les Normands ravageoient l'Angleterre, en 870, Ebba s abbesse de Collingham, assembla ses religieuses , et leur dit : « Mes sœurs , si vous voulez « me croire , je sais un moyen sûr pour nous mettre « à couvert de ces Barbares. » Elles promirent toutes de l'employer; et l'abbesse, prenant un rasoir, se coupa le nez et la lèvre supérieure jusqu'aux dents. Toutes les religieuses en firent autant ; et les Normands , qui vinrent le lendemain , voyant ces filles si hideuses, en eurent horreur, et se retirèrent promptement ; mais ils mirent le feu au monastère , et ces saintes victimes de la chasteté consommèrent dans les flammes leur généreux sacrifice.
Gg 2
�"4'68
1.6.
CHASTETÉ.
Amalon , comtcde Champagne , ayant fait enlever une jeune personne noble, belle et vertueuse , entreprit de lui faire violence. Cette fille , voyant ses rîarmes étses prières inutiles, comme une autre Judith, ïpread l'épée du comte , et lui en donne un coup mortel. Amalon appelle ses gens, et meurt entre leurs bras, en disant : « JNe faites point de mal à cette fille .« courageuse : c'est moi qui ai péché , en voulant lui ,« ravir l'honneur ; ce qu'elle a fait mérite plutôt qu'on « respecte ses jours. » La demoiselle , qui conservoit toute sa présence d'esprit, s'échappe au milieu*de la confusion qu'elle vient de causer , fait quinze lieues à pied pour aller demander sa grâce au roi Contran, qui étoit à Chlàons-sur-Saône. Ce prince la reçut avec bonté , la prit sous sa protection , et défendit à la famille du comte de chercher à venger une mort qu'il n'avoit que trop méritée. 17. Eu 1.578 , lorsque dom Juan d'Autriche commandoit dans les Pays - Bas l'armée espagnole contre les confédérés, un de ses officiers voulut faire violence h la fille d'un avocat de Lille, chez lequel il étoit logé. Cette jeune personne, en se défendant, saisit le.poignard de l'Espagnol , le lui plonge dans le sein , et s'éloigne. L'officier sentant que sa blessure est mortelle , se confesse , et, pénétré du repentir le plus vif, supplie qu'on lui amène la vertueuse fille. « Je sou« haite , lui dit-il, que vous me pardonniez l'outrage « que vous avez reçu de moi ; et , pour réparer, .« autant que je puis, mon attentat d'une manière con« venable, je déclare que je suis votre mari. Puisque « mon crime et votre vertu m'ont mis hors d'état de ;« pouvoir vous offrir ma personne , recevez du moins, «'avec le nom et les droits de mon épouse que je «. vous donne, le présent que je vous fais de tous mes « biens. Que ceux qui sauront l'affront que vous avez « été sur le point de recevoir , apprennent en même « temps , qu'un mariage honorable a été le prix des .« efforts que j'ai faits pour vous déshonorer, et ducou■« rage" avec lequel vous avez su vous'défendre. » Après ee discours , le noble.Espagnol, du consentement du
�C H A S T E T É.
père, et en présence du prêtre qni étoit venu pour le confesser, épousa la fille, et expira un instant après. 18. Le tyran Maxence , pour satisfaire ses passions brutales, n'épargnoit ni la noblesse, ni le vulgaire, et toutes'les femmes de Rome étoient les victimes de son infâme lubricité. Cependant ni ses artifices ni ses menaces ne triomphoien t de la chasteté des femmes chrétiennes, parce qu'elles savoient mépriser la vie. LTne d'entre elles, nommée Sophronie, épouse du préfet de la ville , apprit que les ministres des débauches du tyran la venoient chercher de sa part , et que son mari, par crainte ou par foiblesse, la leur avoit abandonnée. Elle leur fit demander quelques momens pour se parer ; et, l'ayant obtenu, seule et retirée dans son appartement, après une courte prière, elle se plongea un poignard dans le sein, ne laissant à ces misérables, que son corps sans vie. Plusieurs auteur^ eccJésiasti-qûes louent cette action : elle ne porte cependant pas: le sceau de l'approbation de l'Eglise, qui n'a pas mis cette généreuse femme au nombre des saintes. Les >ayens dévoient admirer cette chasteté héroïque , et a mettre fort au-dessus de celle de Lucrèce. 19. Pendant que Tarquin , roi de Rome , faisoit le siège d'Ardée , les princes ses fils se donnoient quelquefois des repas et des fêtés. Un jour qu'ils étoient chez Sextus Tarquin avec Collatin, mari de la célèbre Lucrèce, la conversation tomba sur le mérite de leurs épouses : chacun donnoit à la, sienne les plus grands éloges, « A quoi bon tant, de discours ? dit Collatin. « Vous pouvez en peu de temps , si vous voulez , « vous convaincre , par vos propres yeux , combien. « Lucrèce l'emporte sur toutes les autres. Montons à ;< cheval, allons les surprendre ; rien dé plus sûr pour « décider notre dispute que l'état où nous les trouve« rons, dans un temps où très-certainement elles ne « nous attendent point. » Le vin avoit échauffé leurs têtes. «Allons , partons, » s'écrièrent-ils tous ensemble. Ils montent à cheval ; et bientôt ils arrivent à Rome , qui n'étoit éloignée que dè six à sept lieues de la ville assiégée. Ils trouvent les princesses , femmes Gg3
Ï
�fy/à CKtASTETE. des jeunes Tarquins, en grande compagnie, dans les plaisirs et la bonne chère. De là, ils vont droit à Colïatie, maison de campagne de Lucrèce , où ils virent cette vertueuse femme dans une situation bien différente. Enfermée avec ses femmes , elle travailloit à des ouvrages de laine , elle s'occupoit des soins du ménage. D'un consentement unanime, on lui adjugea la victoire. Elle reçut ses hôtes avec cette aimable politesse et cette douce honnêteté dont la vertu sait toujours assaisonner les actions ; et la noblesse de son urbanité mit le comble à son triomphe. Le grand mérite de Lucrèce, qui devoit inspirer le respect le plus profond, fut précisément ce qui ht naître dans le cœurdeSexius Tarquin, une passion violente et détestable. Peu de jours après, il revint à Collatie ; et, après avoir inutilement employé toutes sortes de voies pour la séduire, enfin il lui déclara que non-seulement il l'égorgeroit elle-mêmè , mais que , pour lui faire perdre la réputation avec la vie , il tueroit ensuite un esclave qu'il mettroit à côté d'elle dans sonlit.Laconstancede Lucrèce, qui avoit été à l'épreuve de la crainte, ne put tenir contre celle de l'infamie. Le jeune prince, ayant satisfait sa passion brutale, retourn a chez lui, comme en triomphe. Le lendemain, Lucrèèe, accablée de douleur et de désespoir , envoya , dès le matin, prier son père et son mari de la venir trouver, et d'amener avec eux chacun un ami fidelle ; qu'il n'y avoit pas de temps à perdre. Ils accoururent accompagnés , l'un de Valêrius surnommé depuis Publicola, et l'autre, du fameux Brutus. Dès qu'elle les vit entrer, elle ne put retenir ses larmes ; et, lorsque son mari lui demanda si tout alloit selon ses désirs : « Il s'en faut de « beaucoup, dit-elle ; car quelle félicité peut espérer « une femme, après qu'elle a perdu l'honneur? Oui, « Collatin, un téméraire a souillé votre lit. Àu reste, « mon corps seul est criminel, mon cœur est innocent ; « ma mort en sera la preuve. Promettez-moi seule« ment que vous ne laisserez pas l'adultère jouir im« punément de son crime : c'est Seoctus Tarquin qui, « la nuit précédente, m'a fait violence. » Tous lui pro-*
�47' mirent de la venger, et tâchèrent en même temps de la consoler., enlui représentant que l'ame seule p'échoit, non le corps, et qu'il n'y avoit point de faute où il n'y avoit point de consentement. « Quant à ce que mérite « Sextus, reTprïtLucrèce,] e vous en laisse 1 es j uges ; mais « pour moi, quoique je me déclare innocente du crime, « je ne m'exempte pas du supplice, et nulle femme ne « s'autorisera de l'exemple de Lucrèce pour survivre à « son déshonneur.» En même temps, elle s'enfonce un poignard qu'elle avoit caché sous sa robe. Son père et son mari jettent un grand cri, effet de leur surprise, de leur douleur et de leur désespoir. Mais Brutus, sans perdre le temps à répandre des larmes inutiles, tire du sein de Lucrèce le poignard tout sanglant, et le tenant élevé : « Je jure, dit-il, par ce sang si pur avant l'ou« trage de l'arquin , et je vous en prends à témoins « grands dieux ! je jure que le fer et la flamme à Ja « main, j'en poursuivrai la vengeance sur le tyran, sur « sa femme et sur toute sa race criminelle, et que je ne « souffrirai point que personne désormais règne dans « Rome. » Il présenta ensuite le poignard aux trois autres qui étoient avec lui, et leur fit faire le même serment. Us l'exécutèrent bientôt après : Tarquin el sa famille furent pour jamais chassés de Rome. 20. Le décemvir Appius, étant dans son tribunal, vit passer auprès de lui une jeune fille d'une grande beauté, âgée d'environ quinze ans, qui alloit avec sa nourrice aux écoles publiques. Elle éloit fille de Virginius, soldat romain. Ses charmes et les grâces naissantes de la jeunesse, attirèrent d'abord son attention. Il ne put s'empêcher de la regarder avec un plaisir secret. Sa curiosité redoubla le jour suivant; il la trouva encore plus belle ; et comme cette jeune personne passoit tous les jours dans la place, il conçut insensiblement pour elle une passion violente. Il avoit pris soin, dès le premier jour qu'ill'avoit vue, de s'informer de son nom et de celui de sa famille. On lui avoit appris qu'elle é toi t. d'une maison plébéienne ; qu'elle s'appeloit Virginie; qu'elle avoit perdu sa mère, appelée Numitoria; qneFirginiussoB père servoitactueJlement ; Gg4
CHASTETÉ.
�4^2
CHASTETÉ.
à l'armée en qualité de centurion, et qu'elle étoit pro-
mise à Icitius, ancien tribun du peuple, qui devoit l'épouser à la fin de la campagne. Ces nouvelles, si contraires à l'amour à'Appius, ne servirent qu'à l'enflammer davantage. Il essaya d'abord de corrompre, paides présens , la nourrice de Virginie : n'ayant pu y réussir, il inventa une fourberie détestable , dont le succès devoit faire tomber Virginie entre ses mains. Il en confia le principal rôle à un certain Claudius, son client, homme hardi, impudent, et de ces gens qui ne s'introduisent dans la confiance des grands , que par une complaisance criminelle pour leurs plaisirs. Ce ministre de la passion du décemvir entra dans l'école publique où étoit la jeune Virginie, la prit par la main, et vouloit l'entraîner de force dans sa maison, sous prétexte qu'elle étoit née d'une de ses esclaves, et c'étoit un usage que les enfans des esclaves l'étoient euxmêmes des patrons de leurs pères et mères. La jeune fille interdite ne se défendoit que par ses larmes ; mais le peuple, ému par les cris de sa nourrice, accourut à son secours, et empêcha Claudius de l'enlever. Cet homme sans pudeur déclara aussitôt qu'il réclamoit la jouissance des lois ; qu'il ne prétendoit point user de violence ; mais qu'il croyoit qu'il étoit permis à un maître de reprendre son esclave par-tout où il la trouVoit, et qu'il sommoit ceux qui s'opposoient à la justice de ses prétentions, de venir sur-le-champ devant le décemvir; et, en disant ces paroles, il y conduisit la jeune Virginie. Tout le peuple la suivit , les uns par curiosité, les autres par considération pour les parens de cette jeune Romaine. Numitorius son oncle, accompagné à'Icilius, vint la défendre. Claudius exposa ses . prétentions devant l'auteur même de cette intrigue d'iniquité. Il dit qu'il étoit prêt à produire des témoins irréprochables de ce qu'il avançoit ; que cependant, en attendant la décision du procès , il étoit juste que l'esclave suivît son maître, et qu'il ofïroit des cautions de la représenter, si Virginius, à son retour, prétendoit encore en être le véritable père. Numitoîius objecta modestement qu'il étoit plus convenable que sa
�CHASTETÉ.
nièce fût gardée dans sa maison, et que chez un homme tel que Claudius, Virginie auroità courir encore pins de risques pour son honneur que pour sa liberté. Il ajouta que ce qu'il demandoit.étoit conforme aux lois. Toute rassemblée approuva la justice de cette requête; mais Appius, qui avoit ses vues, n'y eut aucun égard. Il ordonna que Claudius conduisit Virginie chez lui. Claudius, malgré les cris et les murmures du peuple, vouloit s'en saisir ; mais il fut repoussé par la multitude.> Le trouble et le désordre de l'assemblée firent craindre au décemvir une révolte ouverte. Il prit le parti de suspendre lui-même l'exécution de son arrêt jusqu'au, retour de Virginius ; mais il dépêcha secrètement un exprès à ses collègues qui commandoient l'armée, pour les prier de faire arrêter Virginius, sous quelque prétexte , ou du moins de ne lui point donner congé de revenir à Rome. Il se fiattoit que , faute de comparaître dans le temps marqué, il seroit alors autorisé à remettre sa fille entre les mains de Claudius. Son courrier arriva trop tard.au camp : il avoit été prévenu par le fils de Numitorius et par un frère à'Icilius. Virginius, instruit du malheur qui menaçoit sa fille, étoit parti, et déjà s'étoit rendu à Rome par des chemins détournés. Il parut le lendemain dans la place, pénétré de douleur , et tenant Virginie par la main. Appius n'apprit qu'avec une extrême surprise que Vir ginius étoit dans la place avec ses amis et toute sa famille. Pour prévenir toute résistanoe, il fit descendre du Capitale les troupes qui y étaient à ses ordres , et qui s'emparèrent de la place. Il se rendit ensuite dans son tribunal ; et, après avoir écouté , avec une apparente impartialité , les raisons des deux parties , il ordonna que Claudius retînt cette fille comme son esclave. Vir ginius, outré d'un arrêt si injuste, ne garda plus de mesure avec le décemvir. Il fit connoître à toute l'as* semblée que lui seul étoit l'auteur de l'imposture que proposoit son client ; et, lui adressant la parole : « Apr « prends , Appius , lui dit-il, que je n'ai pas élevé ma « fille pour être prostituée à tes infâmes plaisirs. Je « l'ai accordée à Icilius} non à toi, As-tu pu croire que
�4j4
CHASTETÉ.
« des Romains se laissassent enlever leurs filles et leurs « femmes , pour appaiser la brutale passion d'un ty« ran ? » La multitude, remplie d'indignation, jeta de grands cris. Appius furieux commande aux soldats qui environnent son tribunal, de faire retirer le peuple : « Et toi j dit-il à un de ses licteurs, vas, fends la presse, « et ouvre le chemin «à un maître pour aller reprendre « son esclave. » Le peuple, qui craint toujours quand on ne le craint pas , se voyant poussé par les soldats A'Appius , s'écarte , se retire , et livre , pour ainsi dire , la fille de Virginius à la passion du décemvir. Alors ce malheureux père , qui voit avec désespoir que l'innocence va être opprimée par une puissance injuste, demande au magistrat qu'il lui soit au moins permis, ayant que Claudius emmène sa fille, de l'entretenir un moment en particulier, avec sa nourrice, afin , dit-il, que si je puis trouver quelqu'indice que je ne suis pas son père , je m'en retourne au camp avec moins de douleur et de tristesse. Appius lui accorda sa demande sans peine, à condition néanmoins que cej,te conférence se passeroit à la vue de Claudius, et sans sortir de la place. Virginius, pénétré de lapins vive douleur, prend sa fille "entre ses bras. A peine respiroit-elle encore. Il essuie les larmes qui baignoient son visage , l'embrasse ; et, la tirant du côté de quelques boutiques qui bornoient la place, le hasard lui fit rencontrer le couteau d'un boucher : il le prend; et, s'adressant à Virginie : Ma chère fille, lui dit-il, voilà « le seul moyen de sauver ton honneur et ta liberté. » En même temps il lui enfonce le couteau dans le cœur ; et le tirant tout fumant du sang de sa fille : « C'est « par ce sang innocent, cria-t-il à Appius, que je « dévoue ta tête aux dieux infernaux. » Ce qui étoit resté du peuple dans la place accourt à ce spectacle, jette de grands cris, et déteste la tyrannie du décemvir. Appius , du haut de son tribunal, crie avec fureur qu'on arrête Virginius ; mais il s'ouvrit un passage avec le couteau qu'il tenoit à la main. Favorisé de la multitude , il gagna la porte de la ville , et se rendit au camp avec quatre cents hommes qui
�CHASTETÉ.
l'avoient suivi. Les troupes , touchées de son malheur, et indignées contre le tyran, prirent les armes, marchèrent à Rome, et se saisirent du mont Aven tin. Tout le peuple cria contre Appius , qu'on mit en prison , et qui se tua , pour prévenir l'arrêt de mort. Ce crime fit abolir le décemvirat, puissance d'abord utile , mais qui, dégénérant bientôt en despotisme , se précipita elle-même vers sa chute. 21. André II, roi de Hongrie, obligé de quitter ses états, en laissa la régence au palatin^ du royaume, appelé Banèban , dont il avoit éprouve depuis longtemps le zèle et la fidélité. Il lui recommanda, en partant , d'entretenir la paix avec les princes voisins , et sur-tout d'administrer une exacte justice à tous ses sujets, sans égard pourla naissance ou la dignité de qui que ce fut. Ce seigneur, pendant l'absence de son souverain, n'oublia rien pour répondre dignement à la confiance dont il l'avoit honoré ; et, pendant qu'il donnoit tous ses soins aux affaires du royaume, sa femme, dame d'une rare beauté, tàchoit, par son assiduité auprès de la reine, d'adoucir le chagrin que bu causoitl'absence du roi son mari. Tel étoit l'état de là cour de Hongrie , lorsqu'on y vit arriver le comte de Moravie , frère de la reine , et que cette princesse aimoit tendrement. Ce ne furent d'abord que fêtes et que plaisirs ; mais, dans la suite, le poison dangereux de l'amour se glissa parmi ces jeux innocens. Le comte de Moravie devint éperdument amoureux de la femme du régent. Il osa lui déclarer sa passion; mais cette dame , encore plus vertueuse qu'elle n'étoit belle, ne lui répondit que par la sévérité de ses regards. La résistance fit son effet ordinaire. Les désirs criminels du comte n'en furent que plus violens. Sa passion, qui augmentoit tous les jours, le jeta dans une sombre mélancolie. Il n'étoit plus question de jeux, de spectacles, et de tous ces vains amusemens dont les grands occupent si sérieusement leur oisiveté. Le comte ne cherchoit plus que la solitude. Mais la reine, par une complaisance trop naturelle aux femmes pour cette espèce de malheur, et pour retirer son frère d'un genre de vie si triste, sous différens pré-
�4/6
C II A S T E. T É.
textes, retenoit auprès d'elle la femme du régent, ou Penvoyoit chercher aussitôt qu'elle s'éloignoit du palais. Cette dame pénétra sans peine les motifs indignes de ces empressemens ; et, pour éviter l'entretien du comte, elle feignit quelque temps d'être malade. Mais, ayant usé ce prétexte , sa naissance et le rang que tenoit son mari ne lui permettant pas de s'absenter plus long-temps de la cour, elle revint au palais. Le comte, de peur de l'aigrir, dissimula ses sentimens ; et des manières respectueuses succédèrent, en apparence, à l'éclat et à FernporEement de sa passion. La femme du _ régent, rassurée par cette conduite pleine de discrétion, continu oit de paroître à la cour, lorsque la reine, sous prétexte de l'entretenir en particulier, laconduisitdans un endroit écarté de son appartement, où , après l'avoir enfermée, elle l'abandonna aux désirs criminels de son frère, qui, de concert avec la reine, étoit caché dans le cabinet. La femme du régent en sortit avec la honte sur le visage et la douleur dans le cœur. Elle s'ensevelit dans sa maison, où elle pleuroit en silence le crime du comte et son propre malheur. Mais, le régent ayant un pur voulu prendre place dans son lit, son secret lui échappa ; et, emportée par l'excès de sa douleur: « Ne m'approchez pas, seigneur, lui dit-elle, en ver« sant un torrent de larmes , éloignez - vous d'une « femme qui n'est plus digne des chastes embrassemens « desonépoux.TJntéméraireaviolévotrelit; etlareine, « sa sœur, n'a pas eu honte de me livrer à ses empor« temens. Je me serois déjà punie moi-même de leur « crime, si la religion ne m'eût empêchée d'attenter à « ma vie ; mais cette défense de la loi ne regarde point « un mari outragé. Je suis trop criminelle, puisque je « suis déshonorée.: je vous demande ma mort comme « une grâce , qui m'empêchera de survivre à ma honte .« et à mon déshonneur. » Le régent, quoique outré de douleur, lui dit qu'une faute involontaire étoit plutôt un malheur qu'un crime , et que la violence qu'on avoit faite à son corps , n'altéroit point la pureté de son ame ; qu'il la prioit de se consoler , ou du moins de cacher avec soin la cause de sa douleur. « Un inté-
�CHASTETÉ. 477 « rêt commun, ajouta-t-il, nous oblige Pun et l'autre « de dissimuler un si cruel outrage , jusqu'à ce qu'il « nous soit permis d'en tirer une vengeance propor« tionnée à la grandeur de l'offense. » Son dessein étoit d'en faire ressentir les premiers effets au comte ; mais , ayant appris qu'il étoit parti secrètement pour retourner dans son pays , le régent au désespoir que sa victime lui eût échappé , tourna tout son ressentiment contre la reine même. 11 se rendit au palais ; et, ayant engagé cette princesse à passer dans son cabinet , sous prétexte de lui communiquer des lettres qu'il venoit, disoit-il, de recevoir du roi, il ne se vit pas plutôt seul avec elle, qu'après lui avoir reproché son intelligence criminelle avec le comte , et la trahison qu'elle avoit faite à sa femme , le fier Palatin lui enfonça un poignard dans le sein ; et, sortant tout furieux de ce cabinet, il publia devant toute la cour-, sa honte et sa vengeance. Soit surprise ou respèct, personne ne se mit en état de l'arrêter. Il monta à cheval sans obstacle; et, s'étant fait accompagner de quelques seigneurs témoins de cette funeste catastrophe, il prit la route de Constantinople, où étoit le roi deHongrie.Dès qu'il fut arrivé , il se rendit au palais qu'occupoit ce prince; et, se présentant devant lui avec une intrépidité qui a peu d'exemples : « Seigneur, dit-il, en re« cevant vos derniers ordres quand vous partîtes de « Hongrie , vous me recommandâtes sur-tout, que « sans avoir égard au rang et à la condition, je rendisse « à tous vos sujets une exacte justice. Je me la suis « faite à moi-même. J'ai tué la reine votre épouse , « qui avoit prostitué la mienne ; et, bien loin de cher« cher mon salut dans une fuite honteuse , je vous « apporte ma tête. Disposez à votre gré de mes jours ; « mais songez que c'est par ma vie ou par ma mort « que les peuples jugeront de votre équité, et si je suis « coupable ou innocent. » Le roi écouta un discours aussi surprenant sans l'interrompre, etmême sans changer de couleur; et, quand le régent eut cessé de parler: « Si les choses se sont passées comme vous le rapportez, « lui dit ce prince , retournez en Hongrie ; continuez
�CHAS T E T É.
d'administrer la justice à mes 6ujets avec autant d'exactitude et de se ve'ri té que vous vous l'êtes rendue à vous-même. Je resterai peu à Constantinople -, et, à mon mon retour., j'examinerai, sur les lieux, si votre action mérite des louanges ou des supplices.» 22. Lorsque la ville d'Aquilée fut prise par les Huns , une femme , sollicitée au crime par l'un de ces Barbares , se voyant hors d'état de lui résister , le pria de la laisser du moins monter au plus haut étage de sa-maison. Le Hun le lui permit ; et , dès qu'elle y fut arrivée , elle se jeta par une fenêtre qui regardoit sur la rivière -, en disant au Barbare : « Si « vous voulez jouir de moi, suivez-moi. » Appa et Gela , filles de Romilde , duchesse de Frioul , voulant sauver leur honneur des attaques des Huns qui s'étoient emparés de leur ville , se mirent et s'attachèrent fortement sous les aiselles de la chair crue , qui, venant à se corrompre , produisit une telle puanteur , que ces Barbares, ne pouvant la soutenir, n'approchèrent point de ces princesses. 23. La foibîesse de Henri III avoit introduit dans la France une licence effrénée : les gens de guerre surtout commettoient par-tout des violences. Le capitaine Dupont étant venu au village de Bécourt, en Picardie , se logea chez un bon laboureur , appelé Jean Millet, et pilla ce bon homme sans qu'il osât s'en plaindre. Il avoit une fille d'une beauté surprenante, appelée Marie. Le capitaine en fut frappé ; et comme il ne put la séduire par tous les moyens qu'il mit en ceuvre , il prit le parti de la demander en mariage à son père. Le bonhomme lui réponditprudemmentqu'il y avoit trop peu de proportion entre la naissance de sa fille et la sienne, et qu'il vouloit choisir un gendre qui ne rougît point de lui. Ce discours rendit Dupont si furieux, qu'il prit une assiette, et la jeta à la tête du laboureur, en lui disant : « Apprends, coquin, que je « te fais beaucoup d'honneur. J'aurai de force ce que « tu me refuses. » Le paysan s'enfuit. Sa fille accourut au bruit. Les .soldats alors se saisirent d'ehe. Elle se jeta aux genoux, du capitaine, le conjurant de sauver
« « « « «
�CIRCONSPECTION.
,
^79
son honneur ; ce qui ne fit qu'irriter la passion de ce brutal, qui se porta bientôt aux derniers outrages. Après l'avoir violée , il l'abandonna à tous ses soldats qui, à demi-ivres, n'eurent pas plus de pitié que leur chef. Ayant ainsi traité cette malheureuse fille, ils la firent mettre à table à demi-nue, et ils lui tinrent les discours les plus infâmes. Dans l'état où elle étoit réduite, elle ne songeoit plus qu'à la vengeance. Elle étoit assise à côté de Dupont. Un soldat étant venu lui demander quelqu'ordre, lui fit détourner la tête.. Marie saisit ce moment pour venger son honneur. Elle prit un couteau sur la table, le lui enfonça dans le cœur avec tant de promptitude et de force , qu'elle l'élendit mort, et se sauva avant que personne eût fait aucun mouvement pour l'empêcher. Elle joignit aussitôt son père et sa mère, leur raconta en peu de mots son malheur , et leur dit de pourvoir à leur sûreté. En effet, à peine finissoit-elle ces paroles , qu'elle aperçut les soldats , qui, revenus de l'étonnement où les avoit jetés le courage de celte fille, ne songeoient plus qu'à venger la mort de leur chef. Cette généreuse fille courut au-devant d'eux ; et s'exposant aux premiers traits de leur fureur, donna à son père et.à sa mère le temps de se sauver. Alors ces scélérats , après l'avoir traitée avec la plus exécrable barbarie , la lièrent à un arbre , et la firent mourir à coups d'arquebuse. Voyez PUDEUR.
■CIRCONSPECTION. I. V^HAREES V , roi de France , chassa de sa cour un seigneur qui avoit tenu des discours trop libres en présence du jeune prince Charles , son fils aîné , et dit à ceux qui étoient présens : « Il faut inspirer ^ « aux enfans des princes l'amour de la vertu , afin « qu'ils surpassent en bonnes œuvres ceux qu'ils « doivent surpasser en dignités. » 2. François Js'amusoit à assiéger une maison avec
�48o
CIVILITÉ.
que le capitaine de Larges, sieur de Montgommeri, avoit ieLé imprudemment pour se défendre. Le monarque ne voulut jamais savoir de quelle main il avoit reçu celle blessure. « C'est moi seul qui ai tout le « tort, disoit-il ; j'ai fait la folie , il est juste que j'en « sois puni. » 5. Un général athénien montroit au peuple , avec ostentation , les cicatrices des blessures qu'il avoit reçues à la guerre. « Les blessures d'un général, « lui dit le. célèbre Timothée, marquent plutôt son « imprudence que sa valeur. Pour moi, ajouta-t-il « en riant, étant au siège de Samos, etm'étant trop « avancé , je fus honteux de voir tomber une flèche à « côté de moi; et, comme un poltron, je m'éloignai .« de cet endroit dangereux. » Voyez PRUDENCE.
uu\\\\um\\uv\\\uim\u\u\v\\\uviivx\\viuuuvnnvv\w»
,
CIVILITÉ.
i. SOCRATE ayant salué un citoyen , celui-cL-ne lui rendit point le salut , et passa fièrement. Le philosophe n'en témoigna aucun ressentiment; et comme ses amis s'étonnoient de son indifférence : «Sijevoyois « passer quelqu'un , leur dit-il, qui fût plus laid et « plus mal fait que moi, devrois-je me fâcher ? Pour« quoi voulez-vous donc que je me fâche contre cet « homme , parce que je suis plus civil que lui ? » 2. Jean le Maingre , dit Bûucicaut, maréchal de France, et lieutenant pour le roi Charles VI à Gênes, se promenant à cheval par la ville , rencontra deux courtisannes vêtues à la mode du pays, qui lui firent la révérence : il la leur rendit avec la plus respectueuse civilité. Un gentilhomme qui étoit devant lui) s'arrêta, et lui dit: «Monseigneur, savez-vousquelles « sont ces deux dames qui vous ont salué ? — JNonj « répondit le maréchal. — Ce sont des filles de mau» vaise vie, reprit le gentilhomme.— Je ne les connois « pas, repartit Boucicaut ; mais j'aime mieux avoir fait « la révérence à ces filles perdues, que d'avoir manque
«à
�C t É M E N C ï.
.
4.81.
« a saluer une remme ae bien.. » ^jp* j*.± nivn femme de DI^JU « voyez ATTENTIONS , BIENSÉANCE, EGARDS, HONNÊTETÉ , POLITESSE, SAPOLITESSE ÉGARDS, VOIR-VIVRE , URBANITÉ
'V\\,*.V'VXV,V'VVX,VX't'VX,VX\'\-l'V'*.V\X't.-V-V%\\^.XV'V'V'V\'\\-v\'W1.\'\X,V'V'V4.i.\X%%>-V%\^
CLEMENCE.
ENRI IV demandoit au jeune due de Montmot renci, « quelle étoit la plus grande qualité d'un roi? « —C'est la clémence , répondit le duc. —Pourquoi « la clémence plutôt que le courage, la libéralité, et «"tant d'autres vertus qu'un souverain doit posséder ? « — C'est qu'il n'appartient qu'aux rois de pardonner « ou de punir le crime en ce monde. » \ 2. On amena devant Alexandre un chef de rebelles } pieds et mains liés, comme un criminel destiné au dernier supplice. Le roi de Macédoine le fit mettre en liberté, et lui pardonna, au grand étonnement de tous les spectateurs. Un de ses favoris prit la liberté de lui dire : « Si j'avois été en votre place, ssigneur, je n'au« rois point usé de clémence envers cet homme. — « Parce que je ne suis pas en la vôtre, lui répondit aus« sitôt le conquérant de l'Asie , je lui ai pardonné. « Vous ignorez, sans doute, que pour une belle ame , « la clémence a plus de douceur que la vengeance. » 3. Le pardon qu'Auguste accorda au séditieux Cinna est le plus bel exemple de clémence que l'histoire fournisse à notre admiration. Cinna, petit-fils de Pompée, mais peu digne d'un si grand homme, fut dénoncé à l'empereur comme chef d'une conspiration tramée contre ses jours. C'était un des complices qui donnoit cet avis:il marquoitle lieu, le temps, les arrangemens pris pour tuer le prince, pendant qu'il offrirait un sacrifice ; de façon que le crime étoit avéré, et ne pouvoit souffrir aucun doute. Auguste résolut de faire un exemple frappant du perfide; et pour cet effet, il indiqua le lendemain un conseil composé de ses amis les plus affectionnés. L'intervalle de la nuit donna lieu à bien des réflexions qui déchiroient son ame : il n'enTome I Hh
,H
�482
CLÉMENCE.
visageoit qu'avec une sorte d'effroi la dure nécessité de condamner à mort un citoyen de la plus haute noblesse, et qui d'ailleurs étoit sans reproche. Cet usurpateur qui, autrefois, avoit dicté , en sonpant avec Marc-Antoine,, le cruel édit de la proscription , ne pouvoit plus se déterminer, en ce moment, à ordonner le supplice d'un coupable. Polissant à chaque instant de profonds soupirs, il parloit seul avec lui-même , et il exprimoit vivement les différentes pensées qui naissoicnten foule dans son esprit, et qui se combattoient. « Quoi donc ! « disoit-il de temps en temps, je laisserai mon assassin « libre et tranquille ; et l'inquiétude sera pour moi ! « Après que tant de guerres civiles ont respecté mes « jours, après avoir échappé aux périls de tant de com« bats sur terre et sur mer, un traître veut m'immoler « aux pieds des autels 3 et je ne lui ferai pas subir le « supplice qu'il mérite !... Mais que dira-t-on de mon « règne ? Malheureux que je suis ! Si ma mort est « l'objet des vœux de tant de citoyens , suis-je digne •;< de vivre ?... Quand finiront les supplices?... quand « cesserai-je enfin de verser le sang ?... Ma tête est « exposée aux coups de la jeune noblesse, qui compte « s'immortaliser en m'égorgeant ; mais la vie est-elle « d'un si grand prix , que , pour la conserver, il faille « immoler tant de victimes ? » Lk'ie, femme d'Auguste,entendoit tous ces discours: elle l'interrompit enfin. « Voulez-vous , lui dit-elle , « suivre les conseils de votre épouse ?Imitez les méde« cins qui, lorsque les remèdes ordinaires ne réussis« sent pas, font usage des moyens opposés. Jusqu'ici, « votre sévérité n'a pas été heureuse , essayez mainte« nantdela clémence. Pardonnez à Cinna :ïlesl décou« vert ; il ne peut plus vous nuire ; et la grâce que « vous lui ferez peut devenir très-utile à votre réputa« i\on.» Auguste goûtacetavis, contre-manda son conseil. ; et ayant appelé Cinna seul,il lui ordonna de s'asseoir, et lui parla en ces termes : «J'exige, avant tout, « que vous rn'écoutiez sans m'interrompre 5 que vous « me laissiez achever tout ce que j 'ai à vous dire ,sans « vous récrier : lorsque j'aurai fini, vous aurez toute
�CLEMENCE.^5 « la liberté de me répondre. Je vous ai trouvé , Cinna, « dans le camp de mes ennemis: vos engagemensmême « contre moi n'étoient pas l'effet d'un choix qui pût « changer, mais une suite de votre naissance. Dans de « telles circonstances, je vous ai accordé la vie ; je vous « ai rendu votre patrimoine : vous êtes aujourd'hui si « riche, et dans une situation si florissante, que plu« sieurs des vainqueurs portent envie à la condition du « vaincu;et, cependant, quoique j'aie versé sur vous « tant de bienfaits, vous voulez m'assassiner.» Cinna, hors de lui-même , s'écria qu'une si noire fureur étoit bien éloignée de sa pensée. « Vous ne me tenez point « parole , reprit tranquillement Auguste ; nous étions « convenus que vous ne m'interrompriez point. Oui, je « vous le répète , vous voulez m'assassiner. » Il lui exposa ensuite, dans le plus grand détail, toutes les circonstances et tous les apprêts de sa conjuration : il lui nomma ses complices , et, en particulier, celui qui devoit porter le premier coup ; et voyant que Cinna gardoit le silence, non'plu§_en vertu de la convention , mais par surprise et par terreur, il ajouta : « Par quel « motifvous êtes-vous porté à un pareil dessein ? Est-ce « pour occuperma place? Assurément le peuple romain « est bien à plaindre, si je suis le seul obstacle qui vous « empêche de devenir empereur. Vous ne pouvez pas « gouverner votre maison. Il n'y a pas long-temps qu'un « affranchi vous a écrasé,par son crédit, dans une af« faire qui vous intéressoit. Tout vous est difficile, ex« cepté de former une conjuration contre votre prince « et votre bienfaiteur. Voyons , examinons : snis-je le « seul qui arrête l'effet de vos projets ambitieux?Pen« sez-vous réduire à supporter votre domination , un « Paulus, un Fabius-Maximus, et tant d'autres nobles « qui ne se parent point de vains titres , et qui rendent « à leurs ancêtres l'honneur qu'ils en reçoivent?» Auguste continua de parler sur ce ton pendant plus de deux heures , alongeant exprès la durée de la seule vengeance qu'il prétendoit exercer sur le coupable. II. finit, en lui disant: << Cinna., je vous ai autrefois donné « la vie comme à mon assassin : commençons, dès c« Hh 2
4
�484
CLÉMENCE.
« moment, à être amis sincères. Piquons-nous d'ému« lation ; moi, pour soutenir mon bienfait ; vous , « pour y répondre. Efforçons-nous de rendre douteux « s'il y aura de ma part plus de générosité , ou de la « vôtre plus de reconnoissance. » Il donna ensuite à Cinna lé consulat pour l'année suivante. 4- Nicéphore-Diogène , fils de l'empereur romain, avoit été renfermé dans un monastère avec son frère Léon,TpAr MicheUeur frère aîné , qui ne vouloit point deconcurrentàl'empire.Lorsqu'y^Zej;ijCo7rmè«emonta sur le trône, il fut touché de leur état. Ils avoient de l'esprit, Pair noble , et beaucoup d'ardeur pour se signaler. L'empereur les ayant tirés du cloître, il fit Diogène gouverneur de Candie, et garda Léon à la cour, charmé de la douceur de ses moeurs et de sa conversation. Nicéphore-Diogène affectoit quelquefois la douceur de son frère ; mais son caractère violent le trahissoit bientôt. Avec une taille extrêmement haute, il avoit un esprit vif, emporté , inconstant, ambitieux : aussi forma-t-il bientôt le projet d'enlever la couronne et la vie à son bienfaiteur, à son souverain. Dès qu'il eut trouvé des gens capables de seconder son dessein criminel, il garda si peu de ménagement, que plusieurs personnes suspectèrent sa fidélité, et s'empressèrent d'éclairer l'empereur sur le danger qui le menaçoit. Le monarque manda les complices ; et, sans leur parler de la conjuration, il se contenta de les exhorter à demeurer fidelles au prince et à la patrie. Diogène ne se laissa point toucher par ce trait de bonté, qui lui faisoit assez connoître que sa perfidie étoit découverte : loin de changer de sentiment, il ne chercha qu'a grossir le nombre des conspirateurs. Il séduisit plusieurs officiers, gagna les principaux du sénat, et s'en attacha quelques-uns par les liens du secret. Une expédition , dans laquelle il suivit l'empereur, lui donna lieu d'éclater dès la première nuit: il plaça sa tente auprès de celle à'Alexis. Un officier de l'empereur ayant soupçonné que ce n'étoit pas sans dessein , en avertit le prince , et le pria de veiller à sa sûreté, en éloignant Diogène. « Non , dit Alexis, il ne faut pas lui donner
�CLÉMENCE. /j.85 « le prétexte qu'il cherche pour se soulever : s'il fait « éclater ses mauvais desseins, il en sera seul coupable « devant Dieu et devant les hommes. » L'officier se retira mécontent, et témoigna à l'empereur qu'il y avoit de l'excès dans sa sécurité. Sur le milieu de la nuit, Diogène, un poignard à la main, entra dans le pavillon oh Alexis et l'impératrice étoient couchés. Lavue d'une femme-de-chambre, qui éventoit le lit pour rafraîchir l'air, le troubla ; il n'osa avancer plus loin, et remit à une autre fois le crime qu'il étoit près de commettre. Quoique l'empereur fût convaincu des mauvais desseins de son perfide protégé, il lui donna toujours les mêmes marques de bonté ; seulement il fut attentif à se tenir sur ses gardes. Dans le cours de la marche, Diogène tenta encore une fois de tuer Alexis; mais un autre officierde l'empereur, le voyant entrer avec un poignard, l'arrêta, et lui témoigna ouvertement que personne n'ignoroitplus son dés testablè proj c{..Diogène: futfrappé de ce reproche, et Ton vit bien qu'il cherchoit à s'échap^per. Tandis qu'il délibéroit sur le lieu de sa retraite , l'empereur -pria. AdrienComnè ne, sonfrère, de l'arrêter, et de lui faire avouer les motifs de sa haine, ainsi que les complices qu'il s'étoit, associés. Diogène, interrogé par Adrien, s'obstina à garder le silence ; on fut obligé de lui donner la question : alors vaincu parla douleur, il ne cacha rien. On envoya à l'empereur ses réponses, par lesquelles il paroissoit que l'impératrice avoit eu connoissance de la conjuration. Alexis fut consterné, quand il vit au nombre des complices, les premiers de l'empire. H recommanda que l'on ensevelît dans un profond secret ce qui regardoit l'impératrice ; et jamais il n'en parla lui-même. Use contenta'; d'exiler Diogène et deux autres chefs delà conspiration. Le lendemain, il assembla le reste des conjurés , contre l'avis de ses pareils , qui craignoient qu'ils ne le massacrassent. Le trouble et l'agi ta tion dont son ame étoit remplie,paroissoient sur son visage; et ceux qui étoient mandés, ne savoient s'ils venoient entendre leur absolution ou leur arrêt de mort. Alexis , monté sur un twône fort simple , et environné de ses gardes qu'on avoit appelés par préHh 3
�486 CLÉMENCE. caution , leur dit, les yeux baissés : « Vous savez que « je n'ai jamais fait de mal kDiogène; que ce n'est pas « moi qui ai privé son père de l'empire. Lorsque la Pro« vidence m'éleva sur le trône de Constantinople, je le « protégeai, lui et son frère Léon : je leur accordai mon « amitié ; je pris soin de leur avancement, comme s'ils « eussent été mes proches. J'ai dissimulé toutes les con« jmations que j'ai Vu former contre moi, et ma mo« dération n'a pu arrêter sa perfidie : mes bienfaits « redoublés le rendoient chaque jour plus ingrat. » A ces mots, l'assemblée s'écria queDiogène étoitconpable de la plus noire perfidie , et qu'elle ne vouloit point d'autre empereur quJ'Alexis. Le prince en prit occasion de dire qu'il pardonnoità ceux qui avoient eu part à la conjuration ; qu'il les traiterait dans la suite comme auparavant, et qu'il se contentait de la peine qu'il avoit imposée aux autres. Cependant le même jour, fête de St. Pierre et de St. Paul, Diogène eut les yeux crevés; mais il est incertain si ce fut par les ordres de l'empereur, ou par le zèle de quelques particuliers, qui appréhendoient que ce rebelle n'excitât de nouveaux troubles. La conduite qu'Alexis garda depuis à son égard, semble le justifier. 11 n'oublia rien pour adoucir la tristesse de son état: il lui rendit une grande partie de ses biens; il le visitait souvent; il donna même des larmes à sa situation , et lui procura les moyens d'étudier la géométrie , pour laquelle Diogène avoit beaucoup de goût, et qu'il apprit avec succès , par le moyen de certains corps solides qui suppléoient aux lignes que l'on a coutume de tracer. Malgré tant de bienfaits, Diogène, peu instruit par sa disgrâce, proposa encore à plusieurs personnes un projet de révolte, qu'il offrit de soutenir par ses conseils. L'empereur en eut avis ; il lui en fit des reproches d'amitié, et l'assura qu'il n'en tireroit aucune vengeance. Deux officiers de son palais avoicnt conjuré contre lui : leur complot fut découvert ; et les accusés furent convaincus d'avoir attenté à la vie de l'empereur. Cependant ce prince ne les traita pas suivant les lois, qui punissent de mort les crimes de cette nature : il se contenta de les exiler, et de confisquer leurs biens.
�CLÉMENCE. 4^7 Jean, son neveu , fut accusé de tramer une révolte. Alexis le manda; et sur le seul témoignage de l'indignation qu'il montra de se voir soupçonné, il ne voulut plus entendre de dépositions, et il le renvoya. 5. Cyrus ayant attiré le roi d'Arménie dans une embuscade, le fît prisonnier ; et, par son ordre, on le conduisit au milieu de l'armée , pour lui faire son procès. Il fit aussitôt assembler les capitaines perses et mèdes, et manda aussi les grands d'Arménie , le fils du monarque captif, et ne voulut pas même qu'on écartât les dames prisonnières qui ctoient là dans leurs chariots. Quand tout fut prêt, et qu'on eut imposé silence : « Roi d'Arménie, dit Cyrus, j'exige avant tout, « que vous me répondiez avec cette sincérité qui con« vient aux princes. N'avez-vous pas été vaincu par « Astyage mon aïeul ? Ne vous êtes-vous pas engagé à « lui payer un certain tribut, à lui fournir un certain « nombre de troupes ? — J'en conviens. — Pourquoi « donc avez-vous violé le traité dans tous ses articles ? « — Par amour pour la liberté. — Mais si quelqu'un , « après avoir été réduit en servitude, tàchoit de se dé« rober à son maître, que lui feriez-vous ? — Je le « punirais. —Et si vous aviez donné un gouvernement « à quelqu'un de vos sujets, et qu'il eût prévariqué, « le laisseriez-vous en place ? — Non certes, je le dé« poserais. — Et s'il avoit amassé de grandes richesses « par ses malversations ? — Je l'en dépouillerais. — S'il « avoit eu quelque intelligence avec vos ennemis ? — « Dussé-je me condamner moi-même , je le ferais « mourir. » A ces mots, tous les Arméniens jetèrent des cris horribles , et déchirèrent leurs vêtemens , comme s'il eût prononcé lui-même son arrêt. Alors Tigrane, fils du monarque, se jetant aux pieds de Cyrus : « Ah ! seigneur, lui dit-il d'une voix entrecoupée •« de sanglots , ayez pitié de mon père , que ses mal« heurs ont rendu sage ; et, par ce bienfait, attachez « pour jamais à votre service un infortuné prince qui « vous devra ses biens, sa liberté, sa vie, son sceptre, « ses femmes , ses enfans. » Cyrus ne put entendre ces mots sans verser des larmes. » Je me laisse fléchir, Hh 4
�4-88 CLÉMENCE. « dit-il au roi d'Arménie, par les prières de votre fils. « Que cette disgrâce vous apprenne à respecter les « traités. » 11 le conduisit ensuite dans sa tente avec toute sa famille , leur fit un festin magnifique , après lequel il les embrassa tous, pour marque d'une parfaite réconciliation, et les renvoya pénétrés d'admiration et de reconnoissance. 6. L'empereur Aurêlien , arrivé devant la ville de Tyane , et en ayant trouvé les portes fermées , jura, dans sa colère , qu'il ne laisserait pas seulement un chien en vie dans cette ville rebelle. Les soldats se réjouissoient d'avance, dans l'espoir de faire un grand butin. La ville ayant été prise, Aurélien dit à ses troupes, qui le conjuraient de tenir son serment : « J'ai « juré de ne pas laisser un chien dans cette ville ! tuez « donc, si vous voulez, tous les chiens ; mais je défends « qu'on fasse aucun mal aux habitans. » 7. Les habitans de Vendôme, vassaux de Henri IV, s'étoient soulevés contre ce prince avec les autres ligueurs : ils portèrent l'insolence jusqu'à lui refuser l'entrée de cette ville , et , pour ainsi dire , de sa maison. 11 fut obligé d'en former le siège, et d'approcher quelques pièces d'artillerie; mais le courage des assiégés rie répondit pas à leur audace : Henri entra dans le château et dans la ville. La félonie de ces bourgeois séditieux méritoit, les plus grands supplices. La première nouvelle qu'ils apprirent fut que le seigneur leur souverain leur pardonnoit ; qu'il étoit rentré chez lui ; que chacun rentrât chez soi. Il n'en coûta la vie qu'à un cordclicr , dont les prédications soutenoient les rebelles, et au gouverneur, qui furent pendus. Tous les autres furent traités comme des enfans à qui un bon père pardonne , après les avoir menacés de sa colère; Le principe de Henri-le-Grand étoit , « qu'on prenoit plus de mouches avec une \< cuillerée de miel, qu'avec vingt tonnes de vinaigre. » 8. A la prise de Nerva, en 1704, Pierre-le-Grand, empereur et législateur de Russie, courut , l'épée à la main , sur ses sujets , pour arrêter le pillage et le massacre. Il arracha les femmes des mains de ses
�CLÉMENCE.
soldais. Il tua deux de ces emportés qui refusoient d'obéir à ses ordres. Enfin ce vainqueur généreux entra dans l'hôtel-de-ville , où les citoyens tremblans se réfugioient en foule : là, posant son épée sanglante sur la table : « Ce n'est point, leur dit-il, du sang « des habitans que cette épée est teinte, mais de celui « de mes soldats , que j'ai versé pour vous sauver la « vie, » Ce prince fit enfermer le général Horn , lui reprochant d'avoir été la cause de la mort d'un grand nombre de citoyens , par sa trop grande résistance. 9. Après qivAntigonus, capitaine d'Alexandre, eut été proclamé roi d'une partie de l'Asie , des soldats, qui ne le croyoient pas si près d'eux, disoient de lui beaucoup de mal : « Eloignez-vous, » leur dit-il, « de « peur que le roi ne vous entende. » Une nuit, qu'il conduisoit son armée par un chemin fangeux , dont on avoit peine à se retirer, il entendit quelques soldats embourbés qui murmuroient contre lui. S'en étant approché sans qu'ils le reconnussent, il leur prêta la main pour sortir du bourbier ; puis il leur adressa ces paroles pleines de bonté : « Dites dumold'Antigonus, « pour vous avoir conduits par des routes si difficiles ; « mais aussi souhaitez-lui du bien pour vous en avoir « retirés. » 10. Démétrius 'Poliorcète avoit fait beaucoup de bien au peuplé d'Athènes. Ce prince , en partant pour la guerre, laissa sa femme et ses enfans dans cette ville. Il perdit la bataille, et fut obligé de prendre la fuite. Il crut d'abord qu'il n'avoit qu'à se retirer chez ses bons amis les Athéniens; mais ces ingrats refusèrent de le recevoir : ils lui renvoyèrent même sa femme et ses enfans, sous prétexte qu'ils ne seraient peut-être pas en sûreté dans Athènes , où les ennemis pourraient les venir prendre. Cette conduite perça le cœur deDémétrius; car il n'y a rien de si cruel pour un honnête homme, que l'ingratitude de ceux qu'il aime, et auxquels il a fait du bien. Quelque temps après, ce prince raccommoda ses affaires, et vint avec une grande armée mettre le siège devantla ville d'Athènes. Les Athéniens, persuadés qu'ils n'avoient aucun pardon à espérer de
�49° CLÉMENCE". Démêtrius, résolurent de mourir les armes à la main, et donnèrent un arrêt qui condamnoit à mort ceux qui parleroient de se rendre à ce prince ; mais ilsnefaisoient >as réflexion qu'il n'y avoit presque point de blé dans a ville, et que bientôt ils manqueroient de pain. En effet , après avoir supporté très-long-temps la plus extrême disette , les plus raisonnables dirent : « Il « vaut mieux que Démêtrius nous fasse tuer tout d'un « coup , que de mourir par la faim 5 peut-être aura« t-il pitié de nos femmes et de nos enfans. » Ils lui ouvrirent donc les portes de la ville. Démêtrius commanda que tous les hommes mariés se rendissent dans une grande place qu'il avoit fait environner de soldats l'épée nue à la main : alors on n'entendit dans la ville que des cris et des gémissemens. Les femmes embrassoient leurs maris ; les enfans , leurs pères, et leur disoient le dernier adieu. Quand ils furent tous dans cette place, Démêtrius monta dans un lieu élevé, et leur reprocha leur ingratitude dans les ternies les plus touchaus : il étoit si pénétré, qu'il versoit des larmes en leur parlant. Ils gardoient un morne silence , et s'attendoient à tout moment que ce prince alloit commander à ses soldats de les tuer. Ils furent bien surpris , lorsqu'il leur dit: «Je veux vous montrer combien vous « êtes coupables à mon égard; car enfin, ce n'est pas « à un ennemi que vous avez refusé du secours ; c'est « à un prince qui vous aimoit, qui vous aime encore, « et qui ne veut se venger qu'en vous pardonnant, et « en vous faisant, du bien. Retournez chez vous : pen« dant que vous avez resté ici, mes soldats, par mon « ordre, ont porté du blé et du pain dans vos maisons. » 11. Un Juif, appelé Simon , citoyen de Jérusalem, ne cessoit de déclamer contre le roi llérode-Agrippa, qu'il qualifioit publiquement de destructeur des lois. Le monarque l'apprend. Par son ordre , on arrête ce téméraire censeur : on l'amène au prince en présence de tout le peuple. Tout le monde s'attendoit à voir périr ce misérable dans les plus affreux supplices : l'opinion générale fut trompée. Agrippa tend au coupable une main bienfaisante : il le fait asseoir avec lui
Ï
�CLÉMENCE.
49
1
sur son trône , et le prie , avec un ton plein de douceur , de lui dire quelles étoient les lois qu'il avoit détruites ? Simon effrayé se prosterne à ses pieds, et lui demande pardon. Le roi le relève avec bonté, lui fait de grands présens , et le renvoie. 12. Julien F Apostat, étant à Antioche , signala son séjour dans cette ville par une action de clémence cligne des plus grands éloges. Les magistrats et ceux qui avoient été en place , venant le saluer , selon la coutume, il n'avoit pas permis que l'un d'eux, nommé Thalassius , se présentât devant, lui, parce que cet homme l'avoit autrefois desservi.Différens particuliers, qui plaidoient contre Thalassius , voulant profiter de cette conjoncture , amassent le lendemain une foule de peuple , et abordent l'empereur', en criant : « Thalassius, votre ennemi, nous a enlevé nos biens ! « Il a commis mille violences ! » Julien sentit qu'on abusoit de la disgrâce d'un malheureux qui, coupable envers lui seul, étoit peut-être innocent envers les autres : « J'avoue, dit-il, aux accusateurs, que votre « ennemi est aussi le mien ; mais c'est précisément « ce qui doit suspendre vos poursuites contre lui , en « attendant que j'en aie tiré raison : je mérite bien la « préférence. » En même temps il défendit au préfet de les écouter, jusqu'à ce qu'il eût rendu ses bonnes grâces à l'accusé , et il les lui rendit bientôt après. 13. Un poète satirique ayant composé des vers fort injurieux contre le visir et contre le secrétaire des connnandemens du calife Aziz-Billah , dans lesquels la malheureuse verve du frondeur n'avoit point épargné le prince lui-même, les deux officiers lui en portèrent leurs plaintes, et lui demandèrent avec instance le châtiment du téméraire. Aziz, après avoir lu. les vers, leur dit : « Comme j'ai part avec vous à l'injure, je « désire que vous preniez part avec moi au mérite du « pardon que je lui accorde. » i4- Quand Louis XII monta sur le ^rône , il se fît donner l'état de sa maison. Il marqua d'une croix rouge le nom de ceux qui l'avoient traversé dans le temps qu'il n'étoit encore que duc d'Orléans. La cour en fut
�COMPASSION. 492 instruite; et cette nouvelle jeta la consternation parmi les courtisans. Ceux qui avoient eu le malheur de lui déplaire, ne doutèrent point que le roi n'eût résolu leur perte. Pour échapper au danger dont ils se croyoient menacés, ils quittèrent promptement la cour, et se sauvèrent, les uns d'un côté, les autres d'un autre. Louis, ayant été informé du motif de leur fuite, les rappela tous, en leur donnant les assurances les plus précises de leur sauver la vie , et de leur accorder ses bonnes grâces. « Mon intention, » leur dit-il, « n'a jamais été « de vous faire du mal. La croix rouge, dont j'ai marqué « vos noms, n'est pas un signe de mort, mais celui du « pardon que je vous accorde de vos offenses, en mé« moire du pardon que Jésus-Christ a obtenu du Père « éternel pour tous les hommes, sur la croix à laquelle « il a été attaché. » Afin d'éterniser la mémoire de cet acte de clémence véritablement chrétienne, on frappa une médaille qui représente une croix avec cette légende : Rubra crux salutis signum, albaque Francorum. « La croix rouge est le signe du salut, la blanche « estcelui desFrançais. » Voyez GÉNÉROSITÉ, PARDON.
COMPASSION.
N moineau , fuyant la serre cruelle d'un épervier, vint se jeterentreles bras du célèbre XénocrateLe bon philosophe mit sous son manteau le petit oiseau encore tout tremblant, le réchauffa , et dit, en le caressant : « Il est innocent, il est foible; il mérite bien « mon secours. » 2. Marc-Aurèle pleuroit amèrement la mort de l'esclave qui l'avoit élevé durant son enfance ; et les courtisans , espèce d'hommes pour l'ordinaire impitoyable , railloient ce prince de sa trop grande sensibilité. « Permettez du moins , » leur dit l'empereur Antonin son père ; « permettez qu'il soit homme« Croyez-vous que le philosophe et l'empereur aient « rénoncé à l'humanité ? »
�493 3. Au dernier siège de Philisbourg, en 1734, un simple soldatdurégimentdePerche, nommé Letellier, prouva que l'obscurité delà naissance n'exclut point la noblesse des sentimens. Cet homme étant entré dans un jardin dépendant d'un ouvrage avancé d'où l'on avoit chassé les ennemis , entendit des cris plaintifs sortir du fond d'une citerne, où quelques Allemands s'étoient précipités dans leur fuite. A ces accens de la douleur, ses entrailles furent émues. Il court à la citerne. Il voit un malheureux couvert de sang , qui lui tendoit les bras, et sembloit lui demander grâce. Le Français est bon ; et le compatissant soldat avoit le caractère de sa nation. Il tend le bout de son fusil à son ennemi suppliant. Après bien des efforts, il le tire de cette espèce de tombeau, et le met sur l'herbe. Mais l'ingrat, oubliant tout-à-coup la grandeur du bienfait, voulut accabler son bienfaiteur, et ravir le jour à celui qui venoit de le lui rendre. Il recueille le peu de forces que lui laissent ses blessures ; et tenant tou jours le bout du fusil, il s'épuise pour l'arracher au trop humain Letellier. Ce généreuxsoldat, animéd'une juste indignation, retint aisément son arme ; et entendant quelques-uns de ses camarades qui lui crioient: «Tue ! tue ! » il oublia , malgré lui, les lois de la miséricorde, pour n'écouter que celles de la guerre : il lui donna la mort. voyez HUMANITÉ, SENSIBILITÉ.
wwwwwwwaVwwwwtiwxxmwwiiMvwtwiviwwwwwvwxwx
COMPLAISANCE.
COMPLAISANCE. 1. JLJ'EMPEREUR Antonin fit venir à Rome, de Chalcis, en Syrie , Apollonius, philosophe stoïcien , et le fit prier de se transporter au palais, pour donner des leçons à son fils Marc-Aurele. Arrivé à Rome , Apollonius lui fit dire : « Ce n'est pas au maître d'aller trou« ver le disciple ; c'est au disciple à venir trouver son « maître. » Antonin rit de cette demande, qu'un autre eût traitée d'insolence, et dit avec bonté : « Apollonius « pense qu'il est plus aisé de venir de Chalcis à Rome, « que de sa maison au palais. » Il voulut bien satisfaire
�494
COMPLAISANCE.
la sotte vanité.de ce philosophe, en envoyant tous les jours chez lui Marc-Aurèle prendre ses leçons. 2. Schacabac étant réduit à la plus extrême indigence , et n'ayant pas mangé de deux jours, allarendre visite à un noble Barmécide, religieux i bservateur de l'hospitalité, mais un peu sujet à certains caprices de grand seigneur. Il trouva le Barmécide assis à une table couverte,quisembloitn'attendre que lesmets,et sesplaintesparurentexciter delacompassiondans l'ame de ce seigneur ; mais il fut fort surpris de s'entendre inviter de se mettre à table, et de manger sans façon. Son hôte commença par lui donner une assiette vide, et le pria de dire son sentiment d'un potage au riz. Schacabac étoit homme d'esprit; il voulut bien entrer dans ce badinage , et seconder les fantaisies du Barmécide. Il répondit que la soupe étoit délicieuse, et fit monter et descendre sa cuiller, comme s'il mangeoit avec beaucoup de plaisir. « Que dites-vous de ce pain« là, » lui demanda de nouveau le Barmécide ? « En « avez-vous jamais vu de plus blanc ? » Le pauvre convive, qui ne voyoit ni pain ni rien de semblable, répondit que s'il ne le trouvoit pas excellent, il n'en mangeroit pas avec tant d'avidité. «J'ensuis charmé. « Allons, mon ami, il faut que je vous serve de cette « cuisse d'oie ; je suis sûr que vous ne la trouverez « pas mauvaise. » Schacabac tendit son assiette de bonne grâce, et n'y reçut rien du tout d'un air trèssatisfait. Pendant qu'il avaloit cette cuisse imaginaire, et qu'il s'exclamoit sur la délicatesse de la sauce, son hôta le pria de garder une partie de son appétit pour un agneau rôti et farci de pistaches. Il ordonna làdessus qu'on l'apportât; et, comme si ce mets venoit d'être servi réellement: «Voilà, » dit-il, « un plat « qui est bon au suprême degré, et je puis vous assu« rer que vous ne le trouverez sur aucune autre table « que la mienne. » Schacabac, feignant d'en goûter et fectivement : « Que cela est délicat ! s'écria-t-il ; ja« mais je n'ai rien mangé de semblable ! » On servit encore un grand nombre de plats exquis en idée, qui furent exaltés et vidés de la même manière. Ce dîner fui
�COMPLAISSANCE. 4Ç)5 suivi par un dessert invisible , dont le pauvre homme releva sur-tout jusqu'aux nues une tarte en losange , que le Barmécide lui assuroit être de sa propre inven< tion. A la fin, fatigué des reproches obligeans de son hôte, sur ce qu'il mangeoitsi peu, et las de remuer ses mâchoires inutilement, il demande quartier, en protestant qu'il ne pouvoit, sans excès , manger davantage ; qu'il a l'estomac foible, et qu'il craint de s'incommoder. « Eh bien donc, » lui dit le Barmécide, « fai« sons ôter la nappe. Il faut que vous goûtiez de mes « vins; sans vanité, il n'y en a pas de plus fins dans « toute la Perse. » Là-dessus, il emplit deux verres d'un flacon vide, et il en présente un à Schacabac, qui le conjure de le dispenser de boire, parce qu'il a le malheur d'avoir le vin un peu brutal. Cependant, pressé obligeamment de vider son verre, il le fit tout d'un coup, après avoir loué premièrement la couleur du vin , et ensuite son parfum. Ayant encore avalé trois ou quatre rouges-bords de différentes sortes de vins admirables, poussé à bout par un badinage de si longue haleine, il feignit d'être ivre ; et se levant de sa place, il donna un grand coup de poing au Barmécide. Mais revenant bientôt à lui-même : « Je vous demande par« don de mon impertinence, seigneur, lui dit-il; mais « c'est votre faute : je vous ai averti du malheur que « j'ai de ne me pas posséder dans le vin. » Le Barmécide rit de bon cœur de la plaisanterie de son convive ; et bien loin de se mettre en colère : « J'admire votre « complaisance , lui dit-il ; et vous méritez d'avoir un « couvert chez moi toutes les fois que vous voudrez. « Puisque vous avez bien voulu vous prêter à mon « humeur, il faut que nous mangions à présent ensem« ble tout de bon. » Aussitôt il ordonna qu'on servît; et Schacabac vit paroître successivement le potage au riz, l'oie, l'agneau aux pistaches, plusieurs autres plats délicats, le dessert, la tarte en losange , et différentes sortes d'excellens vins de Perse; en un mot, il fut régalé de tous les mets réels, dont il n'avoit mangé auparavant qu'en imagination.
Fin du Tome premier.
�
PDF Table Of Content
This element set enables storing TOC od PDF files.
Text
TOC extracted from PDF files belonging to this item. One line per element, looking like page|title
InfoValue: I.C.S. v1.4.1.9 Copyright © 2009-2013 ISAKO|InfoKey: Creator|InfoKey: Producer
InfoKey: ModDate|InfoValue: iTextSharp 5.0.5 (c) 1T3XT BVBA|InfoValue: D:20130220115539+01'00'
InfoValue: D:20130208102323+01'00'|InfoKey: CreationDate|PdfID0: a240fe9656481b2dcd8498c46737e