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Bibliothèque virtuelle des instituteurs
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A partir du Catalogue des bibliothèques des écoles normales datant de 1887 souhaité par Jules Ferry et essayant de proposer les ouvrages de référence que chaque école normale d'instituteurs devait avoir, nous avons reconstitué une partie de cette bibliothèque idéale pour la formation des instituteurs
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Title
A name given to the resource
La musique française
Subject
The topic of the resource
Musique -- France -- Histoire et critique
Creator
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Lavoix, Henri (1846-1897)
Publisher
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Ancienne Maison Quantin
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1891
Date Available
Date (often a range) that the resource became or will become available.
2013-01-17
Rights
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Domaine public
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Format
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Language
A language of the resource
Français
Type
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Identifier
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MAG D 70 479
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Ecole normale de Douai
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Université d'Artois
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PLACÉE
SOUS DE
LE
HAUT
PATRONAGE
L'ADMINISTRATION
DES
BEAUX-ARTS
COURONNÉE
PAR
L'ACADEMIE
FRANÇAISE
(Prix Montyon)
PAR
L'ACADÉMIE
DES
BEAUX-ARTS
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Droits de traduction et de reproduction réservés. Déposé au Ministère de l'Intérieur en mars 1891.
�BIBLIOTHÈQUE
DE
L'ENSEIGNEMENT
I' U D L I É E SOUS' LA
DES
BEAUX-ARTS
DIRECTION
DE
M.
JULES
COMTE
LA
MUS IQUE
FRANÇAISE
H. LAVOIX
FILS .
Administrateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève Lauréat de l'Institut.
PARIS
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ANCIENNE MAISON QUANTIN
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LIBRAIRIES-IMPRIMERIES RÉUNIÉS^
MAY & 7, MOTTEROZ, DIRECTEURS
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rue Saint-Benoît.
��LA
INTRODUCTION
LA
MUSIQUE
^FRANÇAISE
S'il prenait à quelque homme d'esprit la pensée singulière de soutenir ce paradoxe qu'il n'existe ni littérature, ni poésie, ni peinture, ni sculpture françaises, l'idée ferait sourire et ne trouverait pas un adepte; mais s'il s'agit de musique, il en est tout autrement : chacun peut, malgré les démentis de l'histoire et sans paraître trop ridicule, soutenir que la musique française n'existe pas, qu'elle n'a jamais existé et qu'elle n'existera jamais. J.-J. Rousseau, avec toute l'autorité du génie, a posé simplement cet axiome que les Français n'avaient pas de musique et n'en pouvaient avoir; bon nombre de disciples ont recueilli religieusement la parole du maître et elle est encore article de foi pour bien des dilettantes.
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ECOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Les uns ont écrasé l'art français sous l'art italien ; les autres ont prétendu que nous devions tout à l'Allemagne et que, sans elle, notre musique serait encore dans l'enfance. Rien n'est vide et inutile comme ces parallèles entre les diverses écoles; ils ne prouvent rien et ne peuvent rien prouver. Chaque peuple a la musique de son génie ; d'heureux emprunts faits aux écoles étrangères peuvent enrichir son patrimoine artistique, de maladroites imitations peuvent aussi altérer, pour un temps, le caractère des œuvres qu'il produit; mais toujours il garde la marque de son goût, de ses tendances, de sa race en un mot. Il existe, disons-le tout de suite, une musique française caractérisée par un style et une forme particulière, dont on peut suivre les diverses transformations dans l'histoire de l'art; mais à quel signe la reconnaître entre toutes? comment la distinguer de la musique italienne, allemande, russe, espagnole, que sais-je? A certaines qualités qui lui sont inhérentes, et je dirai presque au tour de notre langue musicale. Tragique, dramatique ou comique; disant l'ode, l'élégie, la chanson ou la prière; pittoresque ou rêveuse, notre musique doit avant tout être claire, limpide, précise et surtout expressive. A aucune époque nous n'avons beaucoup aimé, en France, ce que l'on appelait, au xvne siècle, les frisures et les prétentailles de la musique, et nos meilleurs compositeurs ont toujours été ceux qui ont, avant tout, cherché à bien rendre leur sujet, à bien peindre leurs personnages, à bien interpréter le vrai sentiment des paroles, sans se laisser étourdir par le brillant cliquetis des notes, sans se perdre dans le
�INTRODUCTION.
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dédale des combinaisons sonores. La propriété des expressions, la clarté, le choix des mots mis en leur place, telles sont les qualités maîtresses de nos écrivains ; la justesse dans les proportions, l'instinct de l'accent vrai et du trait qui porte, telles sont aussi les qualités qui distinguent nos compositeurs. Mais, a-t-on dit plus d'une fois, comment peut-il exister une musique française, puisque la langue française est antimusicale? Nous ne réfuterons pas cet argument qui a fini par passer pour quelques-uns à l'état d'axiome, nous rappellerons seulement que c'est dans cette langue antimusicale que la plupart des belles œuvres dramatiques ont été écrites, que cet idiome, rebelle à la mélodie, a été (sans parler des maîtres français naturellement) celui de Gluck, de Spontini, de Rossini, de Meyerbeer, ces grands étrangers, qui ont grandi encore au contact de notre génie, qui ont trouvé leurs plus beaux accents dans cette langue réfractaire, dit-on, au chant et à la mélodie. Nos chanteurs aussi ont été victimes du préjugé contre la langue française. « Ils ne chantent pas, ils hurlent », disaient les Italiens, et le urlo francese est resté traditionnel; soit, mais voilà que pour ces hurleurs ces mêmes maîtres étrangers ont écrit leurs plus beaux rôles; voilà qu'à ces barbares ils ont réservé leurs plus expressives mélodies. Ne combattons pas plus longtemps un préjugé si fortement enraciné-, mais constatons le fait et passons outreCependant, ne devons-nous pas beaucoup aussi aux maîtres étrangers? Lulli, Gluck, Mozart, Weber, Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Wagner aujourd'hui, ne
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
sont-ce pas des noms auxquels il faudra donner large place dans cette histoire? ne sont-ce pas des génies dont ils nous reconnaîtront tributaires ? Ne pas l'avouer, dès les premières pages de ce récit, serait faire acte de mauvaise foi et de patriotisme mal entendu ; mais là aussi il y a, selon nous, un peu d'exagération, et peutêtre faudra-t-il en rabattre. Dans cette sorte de libre échange artistique, la France a donné certainement autant qu'elle a reçu. Lulli, quittant à douze ans l'Italie, apprenait son art auprès de nos vieux organistes, et, plus tard, lorsqu'il donnait, à l'opéra, la forme définitive de la tragédie lyrique, c'était au Français Cambert qu'il empruntait ses premiers modèles. Gluck disait : « J'ai plus appris en France qu'avec Vinci et tous mes maîtres », et, de fait, c'était pour la France qu'il écrivait ses plus belles oeuvres, comme si notre art lui avait inspiré le plus pur de son génie. Ce fut après avoir passé plusieurs années chez nous, ce fut après s'être nourri des grandes traditions de notre déclamation lyrique, que Rossini composa Guillaume Tell. Ce ne fut qu'après avoir connu de près les maîtres de France, littérateurs, peintres ou musiciens et leurs œuvres, que Meyerbeer trouva les dramatiques accents des Huguenots. On a bien parlé de l'influence des artistes étrangers sur la musique française; on n'a pas assez remarqué peut-être qu'à l'étranger certains opéras de nos musiciens, négligés chez nous, tenaient leur place au premier rang. Nous devons à l'Italie plus de mouvement, plus d'élégance, plus de développement dans la mélodie; c'est à elle que nous avons emprunté Part de disposer
�INTRODUCTION.
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harmonieusement les voix pour la scène, et de les mettre en valeur; à l'Allemagne revient l'honneur de nous avoir initiés aux profondeurs de la langue har-
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D'APRÈS LE MANUSCRIT
I. DES
LA
MUSIQUE SIÈCLE).
Echecs amoureux (xvic
(Bibliothcquc Nationale.)
monique, de nous avoir appris la puissance expressive d'un accord ; par elle nous avons achevé de surprendre les secrets du coloris instrumental. Certes, ces bienfaits ne sont pas à oublier; mais par combien d'inconvénients que nous signalerons au
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ÉCOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
cours de ce récit, n'avons-nous pas payé ces avantages? Ajoutons encore que notre admiration pour les étrangers nous a, plus d'une fois, fait sacrifier nos musiciens nationaux. Par un singulier abus de l'éclectisme, par une étrange méfiance de nous-mêmes, nous avons gardé nos enthousiasmes rapides et nos admirations passionnées pour la musique du dehors, n'acceptant jamais sans résistance les grandes œuvres nées sur notre sol. Plusieurs fois, dans cette histoire, nous verrons nos maîtres français écrasés par des étrangers, et plus d'une partition de haute valeur oubliée au bénéfice de quelque médiocrité italienne ou allemande. Aussi pouvons-nous dire que les écoles du dehors ont été souvent utiles à notre musique, mais plus souvent encore fatales à nos musiciens. Si l'on soutenait que les Français n'ont jamais été et ne seront jamais dilettantes, ainsi que l'entendent les Italiens, si l'on ajoutait encore que notre imagination musicale ne s'élève pas dans les hautes sphères du rêve et de la musique pure comme chez les maîtres allemands, peut-être serait-on dans le vrai. En effet, nous n'aimons pas, à peu d'exceptions près, la musique pour le son, la couleur pour la couleur. Il a fallu, jusqu'à ce jour du moins, au public français, ou la précision d'une action dramatique, ou le guide d'un sujet indiqué d'avance. Sous une mélodie, • sous un accord, sous un trait d'orchestre., nous voulons trouver une pensée, un accent, un sentiment. De là, moins de lyrisme que chez les Allemands, moins de sensualité que chez les Italiens; mais, en échange, que
�INTRODUCTION.
de qualités précieuses d'expression, de justesse, d'émotion sobre et profonde dans cette musique qui, toujours, veut et doit dire quelque chose, qui, lorsqu'elle est vraiment française, parle à notre cœur, à notre âme, à notre esprit plus qu'à nos nerfs et à notre imagination ! Jusqu'ici nous n'avons traité que de la musique ellemême; mais, si nous prenons les choses de plus haut et de plus loin, si nous regardons autour de nous, si nous voulons chercher les origines de notre art au point de vue des tendances, cette histoire nous prouvera que nos musiciens ont subi surtout et avant tout, depuis le moyen âge jusqu'à nos jours, l'influence de nos littérateurs, de nos poètes et de nos philosophes. C'est par là encore que notre musique est bien française. Il nous serait facile de démontrer que telle mélodie religieuse est la fidèle traduction du rêve mystique d'un saint Bernard, que tel refrain profane du XIIIc siècle suit de bien près la poésie naïve et galante d'un Thibaut de Champagne ou d'un Adam de la Halle, qu'un madrigal compliqué du xvi° siècle répond exactement en musique à la ballade ou au sonnet d'un Rémy Belleau ou. d'un Ronsard; mais ne remontons pas>si,loin et coiitentonsnous des temps modernes. V \ \? Le xvne siècle nous a donné d'abord toute une petite littérature de vers légers et galants\,les musiciens s'en sont emparés pour en faire les gentil^Cmtpièts- et les refrains de leurs ballèts; vienne la grande et majestueuse tragédie de nos classiques; la musique créera la tragédie lyrique ou opéra. Mais voici le xvme siècle^ avec ses philosophes,
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ÉCOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
ardents chercheurs de vérité, avec ses littérateurs, romanciers ou hommes de théâtre, avec.ses poètes fins, spirituels et galants ; la musique ne se fait pas attendre, elle répond aux philosophes par le fameux traité de Rameau, premier code de l'harmonie moderne, aux romanciers, aux auteurs dramatiques, aux poètes par l'élégie sincère d'un Monsigny, par les traits, spirituels et justes d'un Grétry. Que la France pousse le grand appel de guerre de la Révolution, elle retrouvera l'écho de son enthousiasme guerrier dans le cri de la Marseillaise^ dans les accents graves et recueillis du Chant du Départ. Mais poursuivons. Le romantisme se prépare, on réveille nos vieux poètes nationaux endormis depuis si longtemps : on traduit les étrangers, Shakespeare, Goethe, Ossian; trouvères ou troubadours de l'ancienne France, poètes de l'Allemagne, de l'Angleterre ou bardes d'Ecosse, tous trouvent leurs traducteurs inspirés dans des musiciens français qui ont nom Méhul, Berton, Le Sueur, Boïeldieu, etc. Enfin éclate le grand mouvement du romantisme si longuement attendu : poètes, écrivains et peintres inspirent encore toute une école de compositeurs. Il n'est pas jusqu'à la fine comédie bourgeoise et de demi-genre, jusqu'au gai vaudeville qui n'aient leurs interprètes en musique. Claire, intelligente, émue et sincère avant tout et comme imprégnée de notre littérature, telle est la musique française, cet art national qui tient dignement sa place à côté, des plus grands, et, après ce court aperçu général, entrons dans le récit; mais c'est le
�INTRODUCTION.
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malheur du critique et de l'historien de ne pouvoir suivre que de bien loin l'artiste créateur et de ne pouvoir donner dans sa sèche analyse qu'une bien faible idée de l'œuvre; ne vous contentez donc pas, cher lecteur, de nous croire sur parole; lisez après nous, aimez, écoutez les partitions de nos maîtres, tant anciens que modernes, et alors vous pourrez laisser philosophes et dilettantes soutenir à leur guise qu'il n'y a dans la musique française que des couplets et des flonflons.
Pour cette Histoire de la musique française, nous éviterons, à moins d'utilité absolue, de reproduire les titres des ouvrages déjà cités dans l'Histoire de la musique, espérant ainsi pouvoir dresser une liste, sinon complète, du moins suffisante des livres qui intéressent l'histoire musicale. Bertrand. Les Nationalités musicales, in-12, 1872. Bourdelot. Histoire de la musique, 4 Vol. in-i2, 1743. Castil-Blaze. Dictionnaire de musique moderne. 2 vol. in-8°,
1821-1823-1828'.
Castil-Blaze. De l'Opéra en France. 2 vol. in-8°, 1820.
Histoire de l'Académie impériale de musique. 2 vol. in-8° et in-40 (pl.), i855. Chabanon. Lettre sur les propriétés musicales de la langue française. {Mercure, janvier 1763.) Charley. The National music ofthe World, in-8°, 1886. Chapelle de Pierre Bénite. Histoire et encyclopédie de la musique, 2 vol. in-40. (Autographiée.) Choron et Fayolle. Dict. hist. des musiciens. 2 vol. in-8°, 1810. Fétis. Les Curiosités de la musique. Un vol. in-8°, i83o. Gautier (Eugène). Histoire de la musique. (Cours professé au
Conservatoire de musique et dont le manuscrit est à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Legs de l'auteur.) Kastner. Parémiologie musicale, grand in-40. Lafage. Essai de diphtérographie musicale, in-8°, 1864. Lavoix (H.). Histoire de la musique (Bibliothèque de l'enseignement des Beaux-Arts). Paris, Quantin, in-8°, 18S4.
�1+
ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Lichtenthal. Di^ionario e bibliografia délia musica, 4 vol. 1826. (Traduction française par Mondo, 2 vol. 1839.) Manuel-Roret. Musique. (La partie historique, rédigée par Choron, est intéressante et suivie d'une riche bibliographie.) Pontécoulant. Organographie musicale, 1 vol. in-8°, 1861. Revue et Gazette musicales, 1827-1880 (avec les tables). Rousseau. Œuvres (Dictionnaire de musique, Lettres sur la musique française, etc.).
�LIVRE PREMIER
LE MOYEN AGE DU Ve AU XVIe SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES GAULOISES, LATINES ET GERMAINES DU Ve AU XIe SIÈCLE
Les chants sacrés des Druides et des Bardes. — Les traditions grecques. — Les plains-chants. — Les mélodies et les drames liturgiques, les hymnes, les proses, les séquences. — La musique populaire et profane. — Les chansons de soldats, les chants de table. — La science. — Hucbald de Saint-Amand et Odon de Cluny. — L'orgue et l'organum. — Premiers essais d'harmonie, les neumes, les instruments.
Il serait bien imprudent de vouloir faire commencer l'histoire de la musique aux origines mêmes de l'histoire de notre pays. Si, pour l'archéologue et le philologue, tout est obscurité dans les études relatives à la Gaule, tout est nuit profonde pour l'historien de musique. On peut dire que notre art s'est ressenti des secousses successives subies par les populations habi-
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
tant entre le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et l'Océan ; on peut affirmer que chacun des peuples celte, gaulois, romain, franc, germain, qui a foulé le sol de la Gaule, a laissé dans la musique, comme dans la langue, des traces de son passage; mais le prouver est impossible. Ne nous risquons donc pas dans des hypothèses dangereuses et sachons ignorer. Écrasés par leurs vainqueurs, puis devenus Romains, les Gaulois nous ont laissé peu de choses de leurs arts et de leur langue, de leur musique encore moins. Quelques lignes méprisantes de Tite-Live nous disent que ces peuples se réunissaient dans les assemblées publiques, au son des instruments, et chantaient des chants de guerre bizarres et sauvages. Deux courts passages de Diodore de Sicile et d'Ammien Marcellin rappellent que les Gaulois avaient des poètes nommés Bardes (Melici poetœ quos Bardos nominant), qui chantaient, en s'accompagnant de la lyre, des poésies louangeuses pour leurs amis, satiriques pour leurs ennemis; nous savons que le voisinage des Grecs de Marseille n'avait pas été sans influence sur la musique des tribus auprès desquelles ils s'étaient établis; nous connaissons quelques médailles des Arvernes, des Redons et des Venètes où l'on voit des lyres et des trompettes de forme grecque, et là s'arrête notre science ; c'est peu. En revanche, l'Armorique, moins bien conquise par les Romains et moins assimilée,, a conservé quelques traces de musique primitive ; Bardes et Druides s'étaient enfuis au fond de la presqu'île et là, loin du Romain, loin du chrétien vainqueur, jouaient sur la
�LIVRE PREMIER.
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harpe celtique les
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mélodies qui '* ,',s . accompagnaient leurs poèmes religieux ou didactiques. Les Bardes
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et les Druides :, n'écrivaient pas, et c'est par les tra- «- -*Jf.*» « ur. >,» ,r»^» U«ditions orales qu ils transmet- - • ' . ". taient leur enseignement : aussi, m nos connaissances \ . ' -'V* à leur sujet sont- ~1 elles encore bien obscures. Cepen-_ ^ :'. : f dant, quelques' , * ' " e leurs " " chants nous sont * * ••' ; /; '- '. '-r - - -» parvenus, comme celui des itérées, comme la ballade : '*:„■/ des Trois moines -1 >..-*"V .tl rouges, et le chant de Nomenoe, quix paraît être la plus ■ f," ■' : • .M .' "1 ancienne mélodie **^L.^—, : d'origine gauloise " ° ou celtique que
FIC.
2. NEUMES
(i Xc SI E C1 E). (Bibl. nat.)
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nous connaissions aujourd'hui. C'est bien peu, mais
MUSIQUE FRANÇAISE,
2
�18
ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
c'est encore beaucoup lorsque l'on voit ce que l'art du moyen âge nous a laissé en dehors du plain-chant, jusqu'aux xi° et xne siècles. Nommer le plain-chant, c'est rappeler d'un mot toutes les origines latines et même grecques de notre musique, les seules dont on ait daigné tenir compte jusqu'à une époque bien rapprochée de nous. En effet, ses mélodies, derniers débris de l'art antique, sont les premières que nous trouvions au seuil du moyen âge; sa notation, la seule que nous puissions comprendre à peu près. Mais ce mot même du plain-chant est bien vague et, si nous regardons un peu attentivement son histoire, peut-être trouverons-nous non seulement un, mais deux et même trois plains-chants. Le premier établi en France, dès les vr- et vnc siècles, avec ses tons, 'ses modes et sa notation, est le plain-chant liturgique pur, régularisé d'abord par saint Ambroise, corrigé, refait et codifié par les papes et dit chant grégorien; c'est le chant de l'Église universelle imposé à tout chrétien sujet de Rome. Pour être encore du plainchant, le second est déjà moins pur. Aux mélodies liturgiques se mêlent des accents, des inflexions qui paraissent se rapprocher de la musique profane; enfin, il en est un troisième sur lequel il semble qu'il ne soit plus permis de douter, c'est le chant de.certaines proses que. l'Église a admises dans le sanctuaire, mais qui n'ont plus la raideur du style pour ainsi dire lapidaire du plain-chant romain; elles sont rythmées, mélodiques, variées même, et il est impossible de n'y pas reconnaître la liberté d'allure de la musique populaire. Donnons rapidement quelques détails.
�LIVRE
PREMIER.
Ig
Le plain-chant romain, avons-nous dit, était le chant étranger, celui de la conquête; mais il en avait existé un que les historiens ont appelé gallican, et qui se distinguait par des mélodies différentes. Ce chant gallican fut un peu abandonné lorsque Charlemagne, de par sa rude volonté, se mit en devoir de faire triompher la liturgie romaine. Déjà Pépin avait tenté de remplacer le plain-chant de Gaule par celui de Rome, et Lyon fut la première ville à l'adopter; Charlemagne fit plus : il proscrivit par décret toute cette musique qu'il jugeait barbare et il put croire, en effet, que la victoire était complète; elle n'était qu'apparente et le chant gallican ne tarda pas à renaître. « On peut dire que ceux qui se mêlèrent de faire des chants composèrent des pièces qui égalaient ou même surpassaient souvent celles de l'antiphonaire romain, et elles étaient en si grand nombre que les livres de la France devinrent, par la suite, plus dignes de l'attention que ceux de Rome. » Il semble que ce soit particulièrement aux cantilènes appelées hymnes, que l'abbé Lebeuf fasse allusion dans le passage que nous venons de citer. En effet, dans les hymnes nous voyons apparaître des chants qui n'ont plus la sévérité hiératique du plain-chant liturgique et dans lesquels on peut apprécier déjà une souplesse de tour qui indique une origine populaire, ou au moins l'invention d'un artiste; les premières hymnes connues sont de saint Ambroise et autres pères de l'Église grecque et latine, mais l'école française peut déjà revendiquer sa part dans cette littérature. En effet, le magnifique Pange lingua gloriosi prœlium certaminis est attribué à saint Mamert, évêque de Vienne en Dauphiné^
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
à la fin du ve siècle, et le triomphant Vexilla régis prodeunt, d'une mélodie si ferme et si majestueuse, a pour auteur, dit-on, Venantius Fortunatus (53o-587). En remontant plus haut encore, le plus ancien compositeur
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NEUMES
(XIe
SIÈCLE).
(Bibliothèque Sainte-Geneviève.)
d'hymnes latines aurait été un Gallo-Romain, saint Hilaire, évèque de Poitiers, mort en 367. Mais voilà que s'introduisent, à côté des textes consacrés, des chants évidemment trouvés par des compositeurs ou tirés du fonds populaire. Je veux parler des proses, sorte de commentaires de la parole liturgique. •
�LIVRE PREMIER.
Cette musique libre ne peut plus laisser de doute, ces mélodies n'ont ni la raideur du plain-chant, ni les molles inflexions et les ornements des cantilènes, issues de la liturgie grecque; elles ont leur caractère, leur style, et déjà, dans quelques-unes on pourrait reconnaître des mélodies françaises, au tour des phrases, à la forme syllabique remarquable par la justesse d%ns le rendu de l'expression des paroles. Le hasard veut que l'une des premières proses ou séquences dont nous ayons conservé la musique soit dans un manuscrit français, dit de saint Martial de Limoges, conservé à la Bibliothèque nationale, et que celle sur le dernier jour, Audi tellus (xie siècle), se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque de Montpellier, ce qui paraîtrait indiquer une origine française. Il ne faut pas oublier non plus que le Veni sancte Spiritus a, dit-on, pour auteur Robert le Pieux, roi de France, et surtout que le plus célèbre et le plus fécond écrivain de proses au moyen âge, celui qui leur donna la première forme régulière et vraiment littéraire, fut Adam, abbé de Saint-Victor, qui vivait au xnc siècle. C'est sur la musique de sa prose Laudes crucis attollamus que l'on chanta longtemps le Lauda Sion de saint Thomas d'Aquin. Avec les proses dont les rythmes, les mélodies, l'allure cadencée sont si caractéristiques, nous touchons à la musique populaire et profane. Mais allons plus loin et la langue elle-même cessera d'être latine. Dès le xr3 siècle, nous rencontrons des chants où des gloses en langue vulgaire se trouvent
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
à côté du texte latin liturgique; on les appelle proses farcies, et il est curieux de comparer la musique des fragments latins et français; en effet, avec un peu d'attention, on voit facilement que des mélodies populaires, reconnaissables à leur tour et à leur rythme, ont été intercalées à côté des cantilènes de l'Eglise. Résumons-nous donc; voici bien, selon nous, trois plains-chants : le texte musical liturgique pur, le chant gallican et la mélodie déjà souple des hymnes et des proses latines ou farcies. •Nous retrouvons toute cette musique à l'Église, mais sous une nouvelle forme, qui tient de la pompe religieuse et de la décoration dramatique, je veux parler des représentations qui donnèrent plus tard naissance aux mystères ; les historiens les ont appelées, et avec raison, drames liturgiques, car ces sortes de-scènes n'étaient que la suite du drame divin joué à l'autel, en même temps qu'elles avaient pour musique, au début, les mélodies de la liturgie. Nous serons brefs à ce sujet, car on, a dit bien des fois déjà comment les épisodes les plus émouvants des saints récits avaient été mis en scène, dramatisés, disons le mot. Dès le ixe siècle, l'église, disposée comme un théâtre, laissait voir la crèche, les bergers, les mages conduits par l'étoile merveilleuse; puis ce fut l'épisode si touchant des saints Innocents, enfin et surtout le grand récit dramatisé de la Passion. Au x° siècle, nous rencontrons le premier de ces drames où se trouvent des paroles françaises et en même temps dè la musique : c'est celui qui raconte l'histoire
�LIVRE PREMIER.
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des Vierges sages et des vierges folles^ On connaît cet épisode, on sait la parabole, et la pièce la développe avec force détails; mais voici qui touche de plus près à notre art : à côté du texte latin, on trouve des vers entiers en langue romane, et le chant n'est plus une mélodie consacrée, mais une musique inventée ou traditionnelle. Nous ne citerons pas cette longue complainte dialoguée, qui a, du reste, été publiée souvent ; nous constaterons seulement que manuscrit, musique, langue, tout y est d'origine française, et que dans ces chants écrits enneumes du xiesiècle, et plusieurs fois traduits, il est impossible de ne pas reconnaître une allure déjà indépendante, bien éloignée des formes hiératiques du plain-chant. A partir de ce moment, les drames liturgiques deviennent nombreux et remplis de musique, et ces mélodies, à mesure que nous avançons dans le moyen âge, sont de plus en plus caractéristiques. Mais nous entrons davantage encore, s'il est possible, en pleine musique populaire et française, avec les célèbres messes et fêtes de l'âne, qui se célébraient à Beauvais, à Laon, à Noyon, etc. Une jeune fille, montée sur un âne magnifiquement caparaçonné et tenant un enfant dans ses bras, représentait la vierge Marie. Arrivée à la porte de l'église, elle était introduite dans le chœur, se tenait à la droite de l'autel, pendant que l'on célébrait une messe dont Vlntroït, le Gloria, le Credo se terminaient par le cri de hi-han qui retentissait encore à la place du Deo gratias final. Pendant l'office, on entendait une prose entièrement
�ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
consacrée à l'âne, et dont voici la première et la dernière strophe :
Orientis partibus Adventavit asinus, Pulcher et fortissimus Sarcinis aptissimus. Hez sire asne car chantez Belle bouche rechignez, Vous aurez du foin assez Et de l'avoine à plantez.
Amen dicat, asine [Hic genu flectebatur) Jam satur de gramine, Amen, amen itéra Aspernare vetera. Hez va ! Hez va ! Hez va ! Hez ! Biaulx sire asne car allez; Belle bouche car chantez Vous aurez du foin assez.
Cette cérémonie singulière fut réglée, en 1227, par Pierre de Corbeil, archevêque de Sens ; mais on en trouve des traces avant le xine siècle, et la mélodie en a été conservée. Cette musique a toute Pallure d'un chant populaire, et, singulier rapprochement, lorsque M. Saint-Saëns, dans son bel opéra à^Etienne Marcel, a voulu brosser le vivant tableau de la fête de la SaintJean, il semble qu'il ait eu comme une souvenance de cette mélodie. , Malgré son caractère populaire, la messe de l'âne était encore delà musique religieuse;mais, pendant les premiers siècles du moyen âge, des chants exclusive-
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ment profanes avaient aussi existé en France. Les invasions étaient venues, et cet immense flot humain avait laissé derrière lui, sur la terre de Gaule, comme un limon de musique dont notre art devait être fécondé. Il faut attendre jusqu'aux premières années du ix° siècle pour trouver des chants notés ; cependant, dès le v% nous rencontrons les traces de chansons militaires et autres. Les Visigoths, qui, déjà bien civilisés, occupaient le sud de la Gaule, avaient une notation et possédaient des livres de musique. Sidoine Apollinaire, au ve siècle, nous fait un portrait de leur roi Théodoric, et nous le montre aimant les arts. Nous le voyons se faisant exécuter de la musique pendant ses repas, et non de la musique grecque ou romaine « avec orgues hydrauliques, se mêlant, sous la conduite d'un chef d'orchestre, à l'accord des voix, mais bien des chants et des instruments de sa nation, s'adressant à l'âme, tout en charmant les oreilles ». Des échanges de musique et de musiciens se faisaient entre les chefs des peuples qui s'étaient partagé la Gaule ; Clovis envoyait un joueur de cithare à Théodoric et celui-ci lui répondait : « Nous avons choisi, pour vousl'envoyer,un joueur de harpe consommé dans son art qui, chantant à l'unisson de la bouche et des mains, réjouira la gloire de votre puissance. » Les écrivains parlent constamment de joculatores, ministrales, gent joyeuse et musicale par excellence, dont le répertoire ne se réduisait évidemment pas au plain-chant grégorien. C'est en vain que les évêques, dans leurs conciles, frappaient à coups redoublés la muse profane; soutenue par le peuple, encouragée par les rois, elle allait gardant pieusement les chants
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antiques, apprenant des peuples nouveaux de nouvelles mélodies, créant ainsi ce qui devait plus tard être la musique française. Les concerts, les danses remplissaient les palais des rois et les châteaux des seigneurs. Nous ne pouvons parler de Part musical au moyen âge sans citer la curieuse scène sculptée sur le chapiteau de Saint-Georges de Bocherville (xie siècle, Hist. mus., fig. 33), où Ton voit, accompagnée de nombreux instruments, une ballerine qui danse sur la tête ; n'est-ce pas le commentaire figuré de ces quelques lignes d'Hucbald : « J'ai vu des danseuses et des jongleresses ; les joueurs de flûtes, de cithares et d'autres instruments, les chanteurs et les chanteuses profanes charmaient les oreilles des auditeurs. » A côté de ces concerts luxueux on avait la chanson de table et le couplet à boire, qui se chantaient après le repas et dont la tradition n'est point tout à fait perdue. Citons, parmi un grand nombre de chansons de ce genre, celle-ci d'une verve toute gauloise dont on n'a malheureusement pas la musique, mais dontvoiciles paroles :
Quiainque vult esse frater, Bibat bis, et ter et quater ! Bibat semel et secundo, Donec nihil sit in fundo ! Bibat hera, bibat herus ! Ad bibendum nemo serns. Bibat iste, bibat illa! Bibat servus cum ancilla ! Et pro rege et pro papa, Bibe vinum sine aquâ Et pro papa et pro rege, Bibe vinnm sine lege.
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On a conservé aussi le texte d'un chant sur Clotaire, mais la musique en est perdue. C'est seulement au ixe siècle que nous trouvons le" premier chant latin populaire d'origine française avec musique connue jusqu'à ce jour : c'est une complainte sur la mort de Charlemagne (813), attribuée àColombanus. Ce chant, écrit dans une notation en neumes, très difficile, se trouve à la Bibliothèque nationale dans le manuscrit fonds-latin, Il54. Ce preCieux recueil Contient aussi
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COLOMBANUS (IX° S.).
LA
MORT
CHARLEMAGNE
(Bibliothèque Nationale.)
la ve pièce du Ier livre de la Consolation de la philosophie de Boèce,dont les six premiers vers sont en musique, mais ils paraissent postérieurs au chant de Colombanus. Le second chant populaire (même manuscrit, p. i36) est celui sur la bataille de Fontanet (841), d'un nommé Angelbert.
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
Dès le x° siècle, on avait déjà l'habitude, qui . s'est conservée jusqu'à nous, d'employer des chants déjà connus, ce que nous appelons aujourd'hui des timbres. Ainsi, deux poésies latines de cette époque se chantaient sur les airs dits Modus libidinis et Modus florum. Enfin, après la complainte deGottescale (xe siècle), sur le dernier jour, nous trouvons à la fin du xie siècle le premier chant en langue vulgaire française avec musique notée ; c'est celui qu'entonnèrent les croisés en 1096 :
O Maria, Deu maire Deu tes e fils e paire. (O Marie, mère de Dieu, Dieu est ton fils et ton père.)
C'est une date dans l'histoire de notre musique que cette première mélodie chantée en français, en dehors du temple, par un peuple entier. Aussi arrêtons-nous là l'histoire des origines de notre an; nous le retrouverons au siècle suivant, mais cette fois définitivement créé. Les fragments de musique pratique datant de cette époque éloignée, connus jusqu'à ce jour, sont encore bien peu nombreux ; en revanche, les ouvrages de théorie abondent et il en est un grand nombre dû à des musiciens français. Dès le vin0 siècle, nous voyons en France et en Belgique, Alcuin, Bernelin de Paris; au ixe, Aurélien de Réomé, Remy d'Auxerre et surtout Hucbald, abbé de Saint-Amand, et Odon de Cluny dont les traités sont ce que nous possédons de plus complet sur la musique à cette époque. Le livre d'Hucbald a pour titre : Musicœ
�LIVRE
PREMIER.
ao
enchiriadis; celui d'Odon de Cluny : Dialogus de musica ; c'est le premier manuel pratique de musique connu. Non seulement ces maîtres écrivaient des traités, mais ils pratiquaient surtout l'enseignement oral. Charlemagne avait établi deux grandes écoles mères à Metz et à Soissons, désirant, comme nous l'avons dit, unifier le chant religieux et substituer la psalmodie grégorienne aux mélodies gallo-romaines; mais déjà les évêques avaient établi de tous côtés, dans les monastères, dans les églises et jusque dans les campagnes, des écoles où l'on enseignait la musique, le chant et l'organum. Nous avons expliqué succinctement dans un autre ouvrage de cette collection en quoi consistait Vorganum et la diaphonie ou harmonie des premiers temps du moyen âge. Les dimensions de ce livre ne nous permettent pas de revenir sur ce sujet, mais nous devons dire encore quelques mots des neumes que l'on rencontre si souvent dans les manuscrits. Jusqu'au xi° siècle les neumes sont des points, des virgules, des accents placés au-dessus du texte, dans un désordre qui n'est qu'apparent (fig. 2 et 3). Chacun de ces signes représente à la fois une ou plusieurs notes, et de la hauteur qui le sépare du texte dépend l'intonation du son qu'il représente; le lecteur n'a pas d'autre guide; l'on comprend combien cette notation devait être incertaine, et l'on n'est point «tonné qu'un écrivain contemporain, Jean Cotton dise naïvement : In neûmïs nulla est certitudo. Ce ne fut que vers les x" et xi° siècles que Ton eut l'idée de fixer la place des signes neumatiques, au moyen d'une ligne dont une clef, c'est-à-dire une lettre, représentait
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
l'intonation. De ce jour les lignes et les clefs se sont multipliées, l'écriture est devenue moins douteuse et notre notation musicale a été créée. Un des plus anciens monuments neumatiques est l'antiphonaire de Saint-Gall, dans l'abbaye de ce nom. En France, il faut citer le manuscrit de l'abbaye de Jumièges, l'antiphonaire de Montpellier, l'office de Saint-Thurias. Pour arriver à rendre plus claire cette sorte d'écriture musicale, on avait eu l'idée de dresser des espèces de tableaux donnant les noms et les diverses figures des neumes. Chacun de ces tableaux finit par la formuleimmuable : erras
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f?^2' iplui a refitiges. (ix° SIÈCLE). mais la recommandation fut toujours assez e au xiv° siècle, le nombre des mal suivie, car du x signes monta de 17 à 45, sans que pour cela l'écriture devînt plus facile à lire; au contraire. Toute cette musique était exécutée non seulement
CKOWTH
ou
VIOION
CELTIQUE
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par des voix, mais aussi par des instruments, les uns venus de l'antiquité, les autres apportés par les barbares. Des Grecs et des Romains, nous avions pris les lyres,
Ûrgamftru
FIG.
6.
ORGANISTRUM
OU
VIELLE
(lXc
SIÈCLE).
les cithares, les psaltérions, des tambours de diverses espèces, les flûtes, quelques trompettes et les grandes orgues; des peuples celtiques,gallois et germains,nous avions les harpes, la vitula (vielle ou viole à archet), la vielle à roue, appelée au ix° siècle organistrum (fig. 6). La lyre avait perdu ses formes élégantes de l'antiquité; on la retrouve du ixe au xie siècle, puis elle disparaît ; le psaltérion, d'origine orientale, aura plus tard au moyen âge. un rôle imFIG. 7. portant. La harpe, l'instrument sacré, pour ainsi dire national, des druides HARPE CELTIQUE (IX SIÈCLE). et des bardes de l'Armorique, des prêtres d'Irlande, des héros ossianiques du nord de l'Angleterre, des dieux de l'Edda et du Nibelungenlied, est la même pour tous les peuples d'origine germanique ou Scandinave. Elle n'a pas la grâce et la richesse des harpes égyptiennes, asiatiques
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ECOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
ou grecques,- mais elle paraît ce que j'appellerai plus riche de musique avec ses nombreuses cordes souvent sur deux rangs, avec son corps sonore bien établi (fig. 7). Elle est connue dès le vi° siècle, et nous en trouvons pour la première fois la figure dans un manuscrit, dit manuscrit de Saint-Biaise (ix° siècle) et dans un autre qui appartient à la bibliothèque d'Angers. Les peuples de l'antiquité classique n'avaient pas connu les instruments à archet. Le premier que nous voyons apparaître est d'origine galloise ou anglo-saxonne, et c'est en Bretagne qu'il est le f plus usité. On en voit une des premières représentations françaises FIG. 8. ORGUE DU IV SIÈCLE dans le manuscrit dit (Terre cuite du Musée de Carthage.) de Saint-Martial de Limoges (fig. 5); il a nom crowth, et de cette espèce de caisse armée de cordes est sorti le roi de nos orchestres, le violon.
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La harpe, la vielle ou organistrum et le crowtlî sont les instruments caractéristiques de l'époque qui nous occupe ; mais il nous faut faire une place spéciale à l'orgue. Les Gallo-Romains connaissaient l'orgue à tuyaux et à soufflerie, ainsi que l'on peut le voir dans un bas-relief du musée d'Arles. Cependant, les Romains et particulièrement les Byzantins avaient porté cet instrument à une grande perfection, comme le prouve la curieuse terre cuite du iv° siècle représentant un orgue et appartenant au musée de Carthage (fig. 8 et g) et que nous reproduisons ici. Le premier orgue dont il soit fait mention en France fut envoyé à FIG. p. —'• ORGUE DU IV SIECLE. Pépin le Bref par l'em(Terre cuite du Musée de Cartilage^) pereur Constantin Copronyme et placé dans l'église de Saint-Corneille à Compiègne. Charlemagne fit construire de grandes orgues à Aix-la-Chapelle, par
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MUSIQUE
FRANÇAISE.
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un Byzantin nommé Georges. Avec son clavier et ses nombreux tuyaux, l'orgue offrait déjà des ressourcés immenses aux musiciens ; aussi bien en firent-ils la base de la musique; c'est pourquoi il a donné son nom au style à plusieurs parties de cette époque, qui s'appelait symphonia, diaphonia ou organum dont nous avons parlé plus haut. Tel était l'état de la musique en France au xi° siècle. A ce moment, la Gaule a cessé d'être romaine ou germaine; notre nationalité va commencer à se former; et déjà, dans la musique, l'observateur attentif peut saisir quelques indices, comparer quelques faits qui, joints à ceux qui se présenteront dans les siècles suivants, lui permettront de chercher les origines de notre art. Dire qu'il existe une école française à cette époque si éloignée serait bien exagérer, mais après les cinq cents ans qui viennent de s'écouler depuis la chute de l'empire de Rome, on trouve les traces d'une musique qui n'est plus celle de l'Eglise, qui n'est plus celle des Romains. Quelques vagues lueurs d'un art nouveau se laissent entrevoir, c'est le crépuscule qui précède l'aube des xne et xur9 siècles, cette aurore de la musique française.
Adam de Saint-Victor. Œuvres publiées par Léon Gautier, in-12, i858. L'Ane au moyen âge. Annales archéologiques, t. VII, 1844. Clément (Félix). Histoire de la musique religieuse, in-8", 1866. Coussemaker (E. de). Mémoires sur Hucbald, in-40, 1841;— Drames liturgiques, in-40, 1860. Du Gange. Olossarium mediœ et infimœ latinitatis. Ed. Favre in-40, i883. Ducleuziou. L'Art national, 1882-1883, 2 vol, grand in-8°.
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Fétis. [Galette musicale, 1843, n 24, 25, 26.) Fauriel. Histoire de la Gaule méridionale, in-8°. Gerbert. De cantu et musica sacra, in^P, 1774. Gevaert. Les origines du chant liturgique de l'église latine, 1890 (travail d'un haut intérêt). Hucher. L'Art gaulois et les Gaulois d'après leurs médailles, 2 vol. in-40, !86g. Lambillotte. Antiphonaire de saint Grégoire, in-40, !867. La Villemarqué (H. de). Bar^as-Brei\. Chants populaires de la Bretagne, in-12, 1840. Lebœuf. Traité historique et pratique du plain-chant ecclésiastique, in-12, Paris, 1741; —■ Mémoire sur les anciennes représentations théâtrales pieuses. Jumilhac (Dom). Art et science du plain-chant, publié par Th. Nisard et Leclercq, in-40, 1848. Moquau (Dom) et Babin (Dom). Paléographie musicale (excellent ouvrage en cours de publication). Morice. Histoire de la mise en scène, depuis les Mystères jusqu'au Cid. in-8°, i836. Mone. Lateinische Hymnen. 3 vol. in-8°, i853-i855. Michel (Franc) et Monmerqué. Théâtre français au moyen âge, grand in-8", i83g. Musical (The) notation of the middle âge. London, 1890, infolio. — Texte et pl. phot. Nisard (Th.). Etude sur les Neumes. [Revue archéologique, t. V, VI, VII.) Ortigue (d'). Dictionnaire du plain-chant, grand in-8°, 1864. Tardif. Essai sur les Neumes. (Bibliothèque de l'École des chartes, 3e série, t. V.) Wolff. Ueber die Lais, sequen^en und Leichen, in-8°, 1841 (planches nombreuses).
�CHAPITRE II
PREMIÈRE (XIIe
RENAISSANCE ET XIIIe
MUSICALE
SIÈCLES) '
La Chanson française. — La musique à voix seule. — Romances, lais et sirventois. — La musique à plusieurs voix. — Le déchant. .— Motets, rondeaux et conduits. —■ Le théâtre. — Drames religieux, comédies et pastorales en musique. — Daniel Ludus et le jeu de Robin et Marion. — Les concerts. — Les puys et les concours. — La danse, le chant, les instruments. — La musique religieuse. — Réaction cistercienne. —■ Les musiciens. — Troubadours et trouvères, les ménestrels et les écoles de ménestrandie, ménestrelles et jongleresses. — Les théoriciens.
De toutes les époques du moyen âge, le xuie siècle est la plus brillante, et dans cette véritable renaissance artistique et littéraire, la France tient le premier rang; elle le tient aussi en musique et, cette fois, sans qu'aucune hypothèse vienne troubler l'historien. Partout les documents abondent : dans les minia-' tures des manuscrits, dans les sculptures des cathédrales, dans les descriptions des poètes et des chroniqueurs, dans les traités des théoriciens, la musique chante de toutes ses voix ; elle prend un style, un caractère, elle est musique, en un mot. Plus de textes torturés ou incomplets, plus de neumes douteux ou presque intraduisibles. Tout est clair et limpide.
�LIVR F. PREMIER.
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C'est par centaines que Ton connaît les composi-
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SJÈCLE). ....
(Bibliothèque nationale.)
tions des musiciens de -cette époque. De- magnifiques
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
manuscrits, à Paris, à Londres, à Copenhague, à Montpellier, nous donnent des pièces de tout genre, à une ou à plusieurs voix et même avec instruments ; ces morceaux sont écrits dans une notation qui veut être étudiée, mais que l'on peut comprendre (fig. 10). Il faut encore compter avec la musique religieuse, avec le chantre et l'organiste, mais voici qu'apparaît en pleine lumière un nouveau personnage qui jusqu'ici, timidement caché, va prendre hardiment la première place;troubadour, trouvère ou ménestrel, c'est lui qui pour nous sera le musicien par excellence, le père de nos compositeurs, de nos chanteurs, de nos instrumentistes. De ses chansons, tantôt naïves, tantôt d'un art, sinon très avancé et très pur, du moins très compliqué, sortira non seulement notre musique moderne avec tous ses développements, mais encore et surtout la musique française. Dès le xn° siècle, dans les premières chansons on découvre comme un vague sentiment de la mélodie nationale, certains tours caractéristiques particuliers aux chants que nous aimons. Ce furent de singuliers personnages que ces troubadours du Midi et ces trouvères du Nord, qui ne différaient en somme que par la langue : tantôt chevaliers, tantôt artistes, tantôt bohèmes, quelquefois le tout ensemble, ils portaient à travers le monde la chanson provençale ou le refrain picard. Les croisades ne les ont pas fait naître, ainsi qu'on l'a dit, puisque dès le vme siècle nous avons vu des ménestrels et des jongleurs ; mais elles les ont singulièrement favorisés. De ces longs et lointains voyages, les guerriers de Palestine revinrent transformés. Ils avaient vu bien
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des peuples divers, connu bien des mœurs nouvelles; des besoins de luxe, de plaisir et d'art leur étaient nés ; la musique et la poésie devenaient pour eux non seulement une distraction, mais une nécessité. Ceux qui étaient restés en France, émerveillés de ces nouveautés, se plaisaient aux récits de ces belles aventures; le règne des conteurs était commencé, celui des chanteurs ne devait pas tarder à s'ouvrir. Chanteurs d'amour et chanteurs de guerre, voilà, en somme, quels étaient les artistes du moyen âge. Mais les seconds ont pour nous moins d'intérêt que les premiers; les longs récits épiques de la chanson de geste ne laissaient pas grande place à la musique; c'est tout au plus si quelquefois une phrase, toujours la même, revient périodiquement comme un refrain, pour aider la voix du récitant, ou si une note soutenue de viole maintient le débit sur un ton élevé, afin d'être entendu de tous les auditeurs. Pour les pastorales, au contraire, et les chansons d'amour, pour les romances, les lais, les sirventois, les pastourelles, etc., les chants sont d'une richesse et d'une variété qui étonnent à cette époque. Dans la plus simple chanson, comme dans la composition dramatique qui déjà prend figure, dans la mélodie la plus naïve à une voix, comme dans la combinaison harmonique la plus savante, l'artiste sait déjà trouver la grâce de la phrase mélodique et le nombre du rythme; bien plus, il a comme un vague instinct de justesse dans l'expression. Nos oreilles, habituées aux. multiples combinaisons de la musique moderne, saisissent. difficilement les
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différences qui distinguent les diverses compositions de cette époque. Tout d'abord ces mélodies se ressemblent d'autant plus qu'elles sont écrites dans les tonalités assez monotones du plain-chant et qu'elles ont, pour la plupart, la même origine, c'est-à-dire la chanson populaire et l'air de danse; mais à mesure qu'on les étudie et surtout qu'on les traduit, on saisit les différences qui distinguent ces chants les uns des' autres, et que les artistes du moyen âge savaient fort bien établir et analyser. Ils n'employaient pas indifféremment la monodie, ou chant à une seule voix, et le déchant ou chant harmonisé; ils savaient quel rythme, quel genre convenait à la poésie qu'ils voulaient mettre en musique; ils coloraient leurs mélodies par les timbres variés des instruments ; bref, une partie de cet art difficile que nous appelons aujourd'hui composition 1-eur était déjà connue. La musique à voix seule était usitée dans les. chansons de geste et les contes, dans les chansons d'amour, les romances, les pastourelles, les lais, les sirventois, et les jeux partis, ainsi que dans les proses farcies dont nous avons parlé plus haut. Qn en trouvait aussi dans les jeux dramatiques dont il sera question plus loin. C'était aux motets, aux conduits, aux rondels, en un mot à la musique savante de ce temps que les trouvèrés et les troubadours réservaient le déchanta plusieurs parties qu'ils employaient à l'église aussi bien qu'au théâtre. . La place nous manque pour entrer dans de longs, détails sur les divers genres de composition à une et à plusieurs voix et sur le déchant. Nous renvoyons
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le lecteur curieux de ces origines de notre art, aux ouvrages de Fétis, Coussemaker, et à notre travail détaillé sur la Musique au siècle de saint Louis. On rencontre un grand nombre de ces compositions diverses dans les manuscrits, et à en juger par toute cette littérature musicale, le répertoire des trouvères était riche; mais c'est surtout dans les représentations dramatiques profanes ou religieuses, que les musiciens du xme siècle déployaient toutes les ressources de leur talent. Nous avons laissé au xi° siècle la musique se faisant entendre dans des sortes d'opéras liturgiques complètement chantés sur les mélodies du plain-chant, au milieu desquelles se glissaient quelques accents profanes. Dans les mystères des xne et xme siècles, la musique n'est pas continuellement employée; mais elle est plus variée. Depuis la mélodie traditionnelle du rituel jusqu'à la chanson encore inédite du jour, depuis la prose et la séquence jusqu'au motet et au conduit, tout est mis à contribution et cela à grand renfort d'instruments célestes et infernaux. Je ne citerai qu'un de ces drames, le célèbre Daniel Ludus, d'Hilaire, joué vers i25o; là nous trouvons des proses, des antiennes, des répons, tout l'arsenal de la musique religieuse; mais voici, à côté, de véritable musique libre._ La présence des conduits, chœurs ou marches, l'intervention de nombreux instruments, voilà plus qu'il ne nous en faut pour démontrer que dans une œuvre musicale de çette importance et de cette variété toutes les richesses de. l'art avaient été appelées au secours de la poésie. Le drame à la fois sacré et comique du Juif volé ou le Jeu de saint Nicolas est comme animé d'un souffle de
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
musique mondaine et profane qui nous transporte bien loin des formules du plàin-chant. C'est déjà de la musique française. Si nous avançons vers une époque plus rapprochée de nous, voici les rondeaux et les morceaux à plusieurs voix qui vont franchement faire leur apparition. Afin de changer ingénieusement leurs effets grâce à la musique profane, les auteurs finiront par introduire ouvertement les ménestrels dans les mystères :
Ja menestrez! estes vous prests. Faites mestier.
Voilà l'orchestre bien et dûment établi, et pendant les xii° et xnie siècles les instruments tinrent grande place dans les représentations sacrées. C'était pendant les entr'actes ou pauses que les ménétriers instrumentistes faisaient surtout briller leur talent. Avec les mystères, nous sommes encore fidèles à la vieille tradition et ils ne sont, après tout, que la suite des drames liturgiques du xie siècle; mais, à la fin du XIIP, les trouvères se dégagent complètement de l'Église. Ils mettent en scène des histoires d'amour, des petits tableaux populaires, des aventures villageoises, et la musique d'aller son train. Une jolie petite pièce de ce genre, Aucassin et Nicolette, qui a plusieurs fois servi à des opéras-comiques, date de cette époque et contient un peu de chant; mais voici presque un opéracomique ou au moins une pastorale en musique. Un célèbre trouvère, Adam de la Halle (Arras, vers 1240. Naples, vers 1285), écrivit deux pièces dont l'une, le Jeu d'Adam ou de la feuillée, est une véritable féerie
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avec couplets, chœurs et changements, et l'autre, le Jeu
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(Manuscrit de la Bibliothèque Nationale.)
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
de Robin et de Marion, peut être considérée comme le premier de nos opéras-comiques. En effet, nous y voyons la musique, formée de gentils couplets s'adaptant bien aux paroles, égayée de danses alertes et vives à l'allure toute nationale. On peut déjà deviner nos musiciens de demi-genre dans le refrain populaire de Robin m'aime, Robin m'a (fig. n), dans le couplet si mélodique du chevalier et enfin, surtout dans la charmante scène de danse : Robin et ses compagnons, tout contents de voir Marion échapper aux entreprises du chevalier qui a tenté de l'enlever, veulent danser la tresque. Robin part fièrement le poing sur la hanche, dessinant son cavalier seul, à la grande admiration de Marion, dont il prend ensuite la main gantée, puis le voilà menant la farandole à travers les sentiers ombreux; et Huart de souffler à pleins poumons dans sa cornemuse, et Gautier et Baudon de faire sonner leurs cornets. La pastorale se finit sur cette tresque ou farandole qui se déroule gaiement au fond des bois à la voix de- Robin :
Venez après moi, venes le sentèle, Le sentèle, le sentèle lez li bas.
Nous voici bien loin des scènes presque liturgiques des trois Maries ou des Vierges folles. Cette jolie pastorale fut jouée à la Cour de Naples, vers 1260, mais ce n'était pas seulement dans les représentations dramatiques que l'on entendait des chants et des instruments; les concerts étaient nombreux et variés, Jean. de Garlande, un écrivain des xne et xmc siècles, nous fait un riche tableau des séances musicales de son temps : « Dans les maisons
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riches, j'ai vu des joueurs de lyre et de flûte, j'ai vu des vieleurs avec leurs vièles, d'autres musiciens avec un sistre, une gigue, un psaltérion, une chifonie, une citole, un tambour et des cimbales; j'ai vu aussi des courtisanes et des danseuses qui jouaient avec des serpents. » Un peu plus tard, nous retrouvons encore nombreuse assemblée de musique et, cette fois, en Flandre « on n'entendit que le bruit des tambours et des trompettes, que le chant et les accords, des harpes et des flûtes, des fifres et des violes, les joueurs d'instruments reçurent, pour cela, beaucoup de beaux habits ». Souvent, dans les repas, les invités eux-mêmes prenaient part à l'exécution :
Quant mengiée orent à plenté Et li doblier furent osté, Cil lecheor dont mout i ot Monstra chascun ce que il sot : Li uns atempre sa viele, Cil flauste, cil chalmèle, - Et cil autre rechante et note O a la lyre o a la rote. (Roman du Chevalier à l'épie.)
Il était même d'une bonne éducation de savoir quelque morceau et de le chanter sans se faire trop prier :
Fiz, se tu sez contes conter Ou chanson de geste chanter, Ne te laisse pas trop proier.
(Enseignement Trebor.)
Les dames elles-mêmes devaient gracieusement se rendre aux prières de leurs invités. Plus la fête était
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
somptueuse, plus les ménétriers étaient nombreux. Écoutez plutôt le joli lai de Colin Muset :
Grans fut la feste, mes pleines i ot tant, Mout a anui les iroie contant , Bondissent timbres et font feste mout grand. Harpes et gigues et jugleors chantant, En lor viele vont les lais vielant, Qui en Bretagne firent ja li amant, Del chevrefoie vont le sonet disant, Que Tristan fit que Yseut aima tant.
On trouve dans ce passage les titres des deux morceaux les plus à la mode au xme siècle, le sonnet du chèvrefeuille et le lai de Tristan et Iseult. Du reste, trouvères et ménestrels se donnaient entre eux des fêtes, organisaient des concours qui portaient le nom de puy de musique. Dès le xnie siècle, nous trouvons des pujrs au Puy en Auvergne, en Picardie, en Artois, en Champagne, en Normandie et surtout à Evreux où ils sont restés célèbres. Parmi les plus brillants lauréats de ces concours, nous rencontrons les plus illustres trouvères, Adenet le Roi, Pierquin de la Coupelle, Adam de la Halle, Giraut de Calenson, Andrieux Contredit, Thomas Herier, etc. Nous avons vu, à la scène finale de Robin et Marion, que la dânse tenait grande place dans les pastorales. Comme c'est aux airs à danser que la musique doit, en grande partie, la vivacité de ses rythmes, et que quelques-uns même sont venus jusqu'à nous, soit par leurs noms, soit par les mélodies populaires, on est heureux de les retrouver au xmc siècle. Dans les manuscrits qui nous sont restés, dans les citations des au-
�LIVRE PREMIER.
teurs, nous voyons la danse établie en reine; tout un
SIC 12. — CiSItlOS A
MAIJJS
(jiili0
SIÈCIE).
'(Société archéologique de Sens.)
genre de poésie et de musique lui est consacré sous le nom de Vaduries. Richard de Fournival, dans la Pan-
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
thère, en cite une liste fort longue; le fameux Branle du Poitou, si longtemps célèbre, y fait déjà bonne figure, et l'orchestre de danse y chante de toutes ses voix. Ecoutons plutôt :
Car j'oï si grant mélodie, Conques tèle ne fut oie En citoles et en vièles; Oï faire notes nouvelles, Danses et sons poitevinois Oi en cors sarrazinois, Timbres y avoit et araines, Psalterion, muse, douçaine, Chevrettes, buisines, tabors, Dont mout me plaisoit li labors; Instruments de toute manière I avoient et a vois plenière Chantoient cil qui les menoient.
Ce dernier vers prouve qu'aux instruments sonnants les danses hautes et basses se joignaient aussi les voix. Tous les trouvères et troubadours n'avaient pas le don de la mélodie ou la science de la musique à plusieurs parties; mais, en général, ils devaient savoir chanter en s'accompagnant d'un instrument, harpe, viole ou vielle. Dans le chant, on tenait, comme nous, grand compte de la virtuosité et de l'habileté d'exécution. Chantres, trouvères, troubadours et ménestrels, hommes et femmes, luttaient de vocalises, de traits, de fioritures. Foudres papales, interdictions épiscopales, rien ne pouvait défendre le sanctuaire de l'invasion du chant orné; que faisaient les défenses lorsque les évêques eux-mêmes étaient complices des artistes et du public? Il est vrai que les chansons notées de cette époque présentent à l'œil une mélodie généralement assez sobre
�LIVRE
PREMIER.
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de traits, mais nous savons parles partitions italiennes
pOLlM-NIA
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IJ.
MANUSCRIT
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(FIN
DU
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SIÈCtE).
(Bibliothèque de l'Arsenal.)
du XVIII6 siècle que beaucoup d'ornements étaient exécutés sans être écrits, et si nous lisons les nombreux
MUSIQUE FRANÇAISE. \
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
théoriciens de cette époque, nous apprenons à n'en pas douter que les musiciens, tant profanes que religieux, n'ignoraient rien des artifices de notre art du chant, changements de registre, vocalises, trilles, etc. Tous ces agréments portaient le joli nom de florificationes vocis, avec mille distinctions subtiles de traits et de dessins, véritable jardin fleuri de l'art vocal, comme on disait dans ce temps. Toutes ces gentillesses d'exécution étaient en vogue au concert aussi bien qu'à l'église, et les hommes pieux gémissaient d'entendre ces fioritures qui compromettaient la dignité du sanctuaire. Pareille licence appelait une réaction, et saint Bernard voulut rendre au chant liturgique son caractère noble et grave, en le dépouillant des ornements qui le défiguraient. Les livres de chant cisterciens sont en effet reconnaissables à leur simplicité, et quelques-uns portent la trace des grattages faits par les réformateurs sur les cantilènes ornées ; mais, si puissante qu'elle fût, l'influence cistercienne n'arrêta que pour un temps la corruption du chant sacré; les ornements fleurirent chaque jour davantage dans les mélodies pieuses; mais revenons à nos ménestrels. Tous les trouvères ou troubadours n'étaient " pas compositeurs, chanteurs ou instrumentistes; quelquesuns, de leur propre aveu, ne connaissaient pas du tout la musique; cependant, en général, ils étaient musiciens.-Je ne reviendrai pas sur Adam de la Halle, sur Blondel de Nesle, si célèbre par son dévouement à son maître Richard Cœur de Lion, mais je citerai des artistes comme Perotin le Grand, organiste de NotreDame de Paris, Léon, autre organiste, surnommé
�LIVRE
PREMIER.
5,
optimus notator, des déchanteurs harmonistes comme Jean Belin, Jean le Fauconer, Theobaldus Gallicus. Parmi la foule des poètes-musiciens dont on a conservé des chansons, nommons Adam de la Bassée,
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CHANSON DU VIDAME DE CHARTRES. (Manuscrit de
Aymeric de Payguilin-, Albert de Gapençois ^ Bertrand de Born, Colin Muset , Flajolet ,; Gace Brûlé, Gilbert de Berneville, Monniot de PanS,.MOnnîOt d'AlTaS*, des rois, princes et hauts ig eurs comme Rise n roi d'Angleterre, Morée), Hugues Thibault (comte un des meilleurs
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Bibliothèque Nationale.)
chard, Guillaume de Champlitte (prince de de Lusignan (comte de la Marche), de Champagne et roi de Navarre),
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
poètes et musiciens de cette époque; Raimbaud III, comte d'Orange; Regnault, châtelain de Goucy, le vidame de Chartres, etc. (fig. 14). Les femmes aussi exerçaient la profession de jongleresses et de ménestrelles, au grand scandale des hommes pieux. Dans la chanson d'Huon de Bordeaux on voit Josiane, déguisée en jongleresse, venir chercher son mari. Nicolette, de son côté, ne fait pas autrement lorsque, la figure barbouillée de jus « d'herbes noires », elle se déguise en négresse et joue de la vielle pour retrouver Aucassin enfermé dans une tour par amour d'elle. Ne croirait-on pas lire la parodie de la légende de Blondel? Ce n'était pas seulement dans les romans que les femmes se montraient expertes en gaie science; pendant tout le moyen âge on peut citer un grand nombre de ménestrelles habiles et célèbres ; on trouve même de nobles et hautes princesses qui ne méprisaient pas l'art des troubadours; telle fut Marie de France. Nous ne pouvons omettre de nommer ici Doette de Troyes, que ses contemporains appelaient chanteresse ettrouvère; n'oublions pas non plus des jongleresâes qui eurent grand succès dans leur temps, comme Isabelet la Rousselle, Marcelle la Chartraine, Alipson femme Guillot, Guérin, etc. A l'entrée du prince Conrad, roi de Sicile, nous voyons un orchestre de femmes jouant par les rues des cymbales, des tambours, des violes et des flûtes. On a conté sur les trouvères et les troubadours mille légendes, toutes plus charmantes les unes que les autres ; mais, étudiés de plus près, nos musiciens perdent un peu de leur prestige et de leur poésie. Tout en comptant
�LIVRE PREMIER.
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parmi eux de nobles barons et de hauts seigneurs, les docteurs en gaie science n'en étaient pas moins en général de pauvres sires ; pour gagner quelques pièces d'or, pour avoir la robe neuve dont le gratifiait le châtelain qu'il avait réjoui de son chant, le ménestrel devait exercer bien des métiers dont quelques-uns n'avaient que de lointains rapports avec la musique. Il devait savoir jouer de la viole, danser, chanter, avoir la mémoire meublée d'un nombre infini de vers avec ou sans musique; rien de mieux, et c'était son métier, mais souFI G. 15. SCEAU vent aussi, comme il est raDU MÉNESTREL PERINET conté dans le dit du hiraus, il (xme SIÈCLE). était obligé, par-dessus le marché, de peler des oignons et d'ouvrir « des moules ». A part ces deux derniers talents pour lesquels il n'était pas d'enseignement spécial, la gaie science était apprise en grande partie dans des écoles de ménestrandie (en latin, scholœ mimorum) qui se tenaient à Bourg-en-Bresse, à Lyon, à Genève, à Cambrai, à Arras, pendant le carême, à l'époque où il était interdit aux trouvères, aux troubadours et aux ménestrels de se faire entendre. C'est là qu'envoyés aux frais de leurs seigneurs, ils apprenaient la chanson nouvelle ou la mélodie à la mode. Du reste, à l'exemple des faiseurs d'instruments qui furent érigés en corps de métier en 1292 à Paris et en 1299 à Rouen, les ménétriers avaient obtenu, en i32i,
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ÉCOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
le droit d'établir leur corporation (fig. i5). Ils avaient, dans diverses villes de France, un chef qui prenait le nom de roi des ménétriers. Cette charge, plutôt administrative et fiscale qu'artistique, subsista jusqu'au milieu du XVIII0 siècle. La première charte connue, signée par le roi des ménétriers est de 1338, et porte le nom de Robert de Caveran. A côté des artistes exécutants et chanteurs, nous devons noter encore, aux xue et xme siècles, de grands théoriciens français comme Francon de Paris, Jean de Garlande, Pierre de La Croix, Robert de Sabillon, etc., qui prirent place à côté des plus célèbres de ce temps. Ils posèrent les lois de la notation, du déchant, de la mélodie; ils furent les législateurs de la musique à cette époque et, par conséquent, les premiers créateurs du style moderne. Résumons-nous sur cette période. Les xn° et xme siècles sont la grande et belle époque du moyen âge, époque française par excellence. La littérature et les arts prennent un magnifique développement, la musique est moins avancée ; mais, comme nous l'avons dit, elle est formée, elle a son caractère, et elle est nôtre. La mélodie naît, encore hésitante, il est vrai, mais assez définie pour que l'on puisse y reconnaître déjà le tour facile, juste et spirituel qui nous est particulier; le rythme se manifeste, la ligne se rapproche de ce que nous appelons un dessin. Incorrecte encore, l'harmonie existe pourtant, et dans ces sons simultanés, on retrouve les éléments de l'art qui sera le contrepoint. Aux instruments venus des Romains ou des
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SS
peuples barbares se sont joints ceux que les croisés ont rapportés d'Orient, ou que nous avons" empruntés aux Arabes d'Espagne; dans le nombre sont les luths et les guitares qui joueront si grand rôle presque jusqu'à nos jours. La musique s'est constituée administrativement, pour ainsi dire; elle a ses écoles, ses confréries, ses corporations et ses chefs. C'est en France que ce grand travail s'est accompli, c'est en France que nous le voyons le plus actif et le plus fécond, c'est là aussi que la musique prend son plus grand développement. Les documents pourront nous manquer un peu au siècle suivant, mais soyons sans inquiétude : ainsi lancé, un art ne s'arrête pas, et nous pouvons affirmer que négliger l'histoire de notre musique à cette époque, c'est vouloir ignorer les véritables origines de notre école.
Pour rester dans les limites de cet abrégé, nous avons dû passer rapidement sur cette époque si intéressante du xmc siècle, mais nous lui avons consacré un ouvrage spécial intitulé : la Musique au siècle de saint Louis. Ce livre, qui forme le deuxième volumedu Recueil de motets français des xn0 et xin" siècles, publiés par M. Gaston Raynaitd, et suivis d'une étude sur la musique'au siècle de saint Louis, par M. H. Lavoix fils, in-12, Paris, Vieweg, i883, contient une bibliographie, aussi complète que possible, des ouvrages, articles de journaux, mémoires, etc., relatifs à la musique de cette époque.
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�CHAPITRE III
DU
XIVe
AU
XVIe
SIÈCLE
La Science. Les canons. La fugue. La notation. — L'École franco-belge. — Guillaume de Machault. Ockheghem. — L'École madrigalesque. — Josquin Desprez. Clément Jannequin. Goudimel, etc. Les chansons musicales. — La musique religieuse. Les messes musicales en chansons. La Réforme et les psaumes calvinistes. — Musique de chambre, de salle, de concert et de danse. — Musique de théâtre et de fêtes. Les miracles et les ballets de cour. — Les Orchestres. Chapelle, Chambre, Écurie des rois de France. —Evolution musicale du xvi° siècle. Rôle de l'École française.
L'histoire, et surtout l'histoire de l'art, a des périodes singulières où elle se montre capricieuse, je dirais presque coquette. Tantôt elle ouvre tous ses trésors, et nous pouvons, comme dans un livre, suivre d'un ceil curieux les progrès du génie humain; tantôt, au contraire, elle referme subitement les pages, elle reste muette. Devenue avare de ses richesses, elle nous en montre assez pour exciter notre curiosité, pas assez pour la satisfaire. • C'est ce qui arrive aux xive et xve siècles pour la musique française. Pendant près de cent ans, les œuvres et les noms des musiciens nous manquent; cependant,
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LIVRE PREMIER.
S7
lorsque nous nous retrouvons en face de documents certains, nous voyons que le travail du xme siècle n'a pas été perdu, la notation, les instruments, tout ce que nous pourrions appeler le matériel de la musique, s'est transformé. L'art n'a plus la naïveté des chansons des premiers troubadours et trouvères, mais il est devenu plus riche; du contre-point incorrect des déchanteurs sont sorties les formes scolastiques qui sont encore aujourd'hui la base de toute science musicale. Comme dans tous les arts, à cette époque, il y a dans cette musique quelque chose de cherché et de contourné, la notation elle-même s'est compliquée de proportions mathématiques qui la rendent d'une lecture bien difficile; mais il ne faut pas nous montrer trop sévères pour toutes ces subtilités qui nous font sourire aujourd'hui. Ce n'était pas petite besogne de dégager la musique des entraves du plain-chant, de trouver la formule de la tonalité moderne qui, dès les premiers temps du moyen âge, s'était greffée sur l'ancienne, de donner à la mélodie encore courte et embryonnaire, la carrure et l'étendue, de former, par les chants superposés du contre-point, des accords conformes aux lois de la langue nouvelle musicale qui, née vers les xne et xme siècles, devait devenir la nôtre. C'est ce que firent les musiciens de la fin du moyen âge; bien lent fut le travail, bien difficiles furent les tâtonnements, bien puérils quelquefois furent les essais, mais gloire doit être rendue à ces créateurs de notre musique, lorsqu'à la fin du xvie siècle, et aux premières années du xvnc, nous voyons cette longue et labo-
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
rieuse persévérance porter ses fruits, lorsque de ces motets aux contre-points péniblement enchevêtrés, de ces rondeaux aux dessins hésitants et contournés, nous voyons sortir l'art majestueux et puissant des grands harmonistes du xvie siècle, le style expressif des premiers créateurs du drame lyrique. Une longue querelle s'est élevée, il y a, un demisiècle, autour des maîtres des xive et xve siècles, au sujet de leur nationalité; que le lecteur nous permette d'éviter le débat. Flamands, belges ou français, tous ces artistes sont de la même école, tous ont marché du même pas, tous forment cette brillante pléiade de musiciens dits franco-belges, ou franco-flamands, qui tinrent le premier rang dans la musique de cette période, et qui furent les maîtres des grands harmonistes italiens. Nous l'avons dit, les noms qui nous sont restés du e siècle ne sont pas nombreux. Si nous nommons pour xiv la France, Philippe de Vitry, dit la perle des chantres, dont les ouvrages jettent une si vive lumière sur la musique de ce temps, et Jean de Mûris, nous aurons épuisé la liste des théoriciens; avec Guillaume Dufay (mort vers 1475), Guillaume de Machault (12841370) et Jeannot de Lescurel, nous aurons nommé les plus célèbres compositeurs français du xive siècle. A la lecture de leurs œuvres, on sent qu'une forte et puissante école a existé en France dès cette époque, et que si cette période, faute de monuments que l'avenir fera découvrir peut-être, paraît pauvre en musiciens, elle ne l'est pas du moins en musique, car dans l'œuvre d'un Guillaume Dufay ou d'un Machault (fig. 16), on
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peut facilement reconnaître la main d'un habile contrepointiste et d7un artiste consommé. Rappelons au ****** siècle suivant les noms de Gilles Binchois, Vincent Fauques, Brassart, et à la fin l'illustre Jean Ockheghem (né vers 1430, mort vers i5i2), le p i 1 i e r d e m usique, dont la ■ll.'.iût'tiiirc que pomr 11c sèlafi'.voet mort fut pleurée par tous les poètes de son fana Ortav • que face un \m> ■ ex pour ce ley temps, et chantée avec force laCJ'H ~K ~T -fl-B mentations par . If! » ■ ^ m ■ ! ■ tous les musiamitnnifli*. fifih* ir qmi me lie . en ciens, et abordonstoutdesuite le xvie siècle, où nmouie drmt fi me txajarap * quemon la musique franFIG. If>. LAIS çaise brille d'un (xivc éclat sans pa(Manuscrit de la Bibliothèque Nationale.) reil. Les deux plus célèbres maîtres de la fin du xve et
DE GUILLAUME SIÈCLE). DE
MACHAULT
�ûo
ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
du commencement du xvi° siècle furent Josquin Desprez (vers 1450 f i52i) et Clément Jannequin. Chez le premier, on trouve déjà une manière personnelle, ingénieuse, savante, un style en un mot; outre ses chansons qui sont nombreuses à trois et quatre voix,
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fin
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FI G.
17. — ORCHESTRE
DE
DANSE
(XV
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SIÈCLE).
on a de lui un recueil célèbre de messes réellement intéressantes. Comme les musiciens de son temps, il se plaisait à construire d'ingénieuses compositions dont le contres ?y^sûint le plus compliqué formait la base. Bien plus, il
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�LIVRE
PREMIER.
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ne dédaignait pas le calembour; c'est ainsi qu'un seigneur, lui ayant promis une pension et ne se pressant pas, lui disait toujours : Lascia fare mi, laissez-moi faire, le musicien écrivit une messe, en prenant pour thème la mélodie formée par ces cinq notes : la, sol, mi. fa, ré. Le haut personnage rit, mais ne paya pas.
Reys^È^ŒVox
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Bafis„.
FI G.
l8. — LE Ré DC ROI LOUIS XII.
Une autre fois, le roi Louis XII, dont la voix était des plus fausses, défiait Josquin d'écrire un morceau dans lequel il pût faire sa partie; le musicien ne resta pas court pour si peu, et on peut lire encore un canon dans lequel la partie du roi est représentée par une note, un ré, la seule que le roi pût donner (fig. 18). Non moins ingénieux était Clément Jannequin, qui recherchait avant tout la musique descriptive. Imiter les bruits des batailles, le chant des oiseaux, le caquet des
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ECOLE
FRANÇAISE DE
MUSIQUE.
femmes, faire, au moyen des voix, de petits tableaux de genre, tels étaient les tours de force auxquels il se plaisait. Le plus célèbre des morceaux de cette espèce est la Bataille de Marignan, composition dans laquelle le musicien a reproduit quelquefois avec bonheur les divers épisodes de la grande lutte entre les Français et les Suisses : coups de canon, arquebusades, cris de blessés, sauve-qui-peut, etc. Du reste, cette recherche de la musique pittoresque, que nous ne défendons certes pas, mais dont nous devons constater l'existence, a toujours été fort de mode dans l'école française. A côté des pièces de Jannequin et dans le même style, il faut encore citer celles de Nicolas Gombert, avec son Chant des oiseaux; sa Chasse du lièvre, etc. A la fin du siècle, c'était le son de la clochette que les musiciens mêlaient avec les violons. Plus tard, nous verrons Rameau vouloir peindre, au moyen des sons, un feu d'artifice; Gossec et Méhul, brosser des tableaux de chasse; Boïeldieu, imiter le bruit d'un soufflet attisant le feu. De nos jours, un grand maître, M. Saint-Saëns, a écrit d'admirables pages imitatives, comme le Rouet d'Omphale ou le Déluge. La recherche de la musique imitative a toujours été un des côtés caractéristiques de l'art français. Plus nous approchons de la fin du xvie siècle, plus notre école est riche en musiciens ingénieux et habiles. Certon, Brumel, Févin, J. Mouton, dont les messes sont encore célèbres; Compère, Carpentras, connu par ses chansons aussi bien que par ses œuvres religieuses ; Verdelot, Arcadelt, Claude Lejeuné dont les Mélanges, sont d'une lecture fort intéressante; Baïf, le poète, que nous verrons créer une société musicale ;
�LIVRE PREMIER.
6}
Bertrand, Regnard, Nicolas de là Grotte, les musiciens de Ronsard. Plus tard, il faut retenir les noms de Bour-
FIG. 10. — JACQUES
MAUDUIT
(pARIS,
I$$7-I(Î27).
geois et de Philippe Jambe-de-Fer, dont nous reparlerons au sujet de la musique protestante ; ceux de Beau-
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
lieu et Salmon, les compositeurs du fameux Ballet de la Reine. Citons encore Ducaurroy, Jacques Mauduit (fig. 19), qui continuèrent, jusque dans le xvn° siècle, les traditions de cette pléiade musicale. Un des maîtres les plus brillants de la fin du e siècle fut Claude Goudimel, xvi né en FrancheComté, en I5IO. Il mourut le 24 août 1574, à Lyon, précipité dans le Rhône pendant le massacre de la SaintBarthélémy. Non seulement Goudimel fut un musicien instruit et ingénieux, dont les chansons et les messes montrent l'habileté et l'imagination, mais il fut aussi un maître. Il avait fondé à Rome, vers 1540, une école que fréquentèrent des artistes, comme Jean Animuccia, Etienne Bettini, Jean-Marie Nanini, et surtout le plus grand de tous, Pierluigi da Palestrina, âgé alors de seize ans. N'est-il pas bon de remarquer que le plus admirable compositeur italien du xvi" siècle fut l'élève du Français Goudimel? Nous avons présenté les hommes, passons maintetenant aux oeuvres. Bulles, brefs, ordonnances, tout l'arsenal des papes et des princes de l'Eglise avaient en vain condamné les chants profanes. Non .seulement les cantilènes liturgiques continuèrent à s'altérer de plus en plus, mais dès la fin du xive siècle, on vit les musiciens.composer des messes entières sur les mélodies des chansons des plus licencieuses, ne conservant des thèmes en plainchant que ce oui était nécessaire pour servir de base aux combinaisons savantes du contre-point. Ces messes étaient même désignées par le titre de la chanson-qui leur fournissait le sujet mélodique. Sans, parler de la
�LIVRE PREMIER.
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célèbre mélodie de VHomme armé, qui servit bien des
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MUSIQUE
RELIGIEUSE
XVI
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SIECLE.
fois de matière aux contre-pointistes religieux, citons ces MUSIQUE FRANÇAISE. S
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
messes, dont les titres suffisent : « Baisez-moi, ma mie », ou « Robin, tu m'as toute mouillée. » Cette singulière façon de traiter le style religieux fut à la mode jusque vers la deuxième moitié du xvie siècle. Si étranges que paraissent ces œuvres au point de vue sacré, elles sont intéressantes au point de vue musical. Signalons, en particulier, la messe composée par Guillaume de Machault, pour le sacre -du roi Charles V, et le beau recueil de messes de Mouton, La Rue, et Carpentras, imprimé chez Duchemin, Ces compositions méritent d'être étudiées; non seulement elles sont curieuses pour l'histoire des progrès de l'art, mais elles montrent dans nos musiciens des artistes singulièrement habiles et ingénieux. Tant que Rome avait été la souveraine indiscutée du monde chrétien, ces fantaisies religioso-musicales n'avaient pas présenté grand inconvénient; mais lorsque Luther eut ridiculisé de son esprit mordant les pompes mondaines de l'Église, lorsque Calvin eut foudroyé de sa parole austère le paganisme de la religion romaine, les papes sentirent la nécessité de bannir du sanctuaire toute musique qui n'avait pas le caractère religieux. Eux et les conciles exigèrent des chants plus graves, écrits dans un style plus sévère. Ils allèrent même jusqu'à indiquer quel genre de style convenait à l'Eglise et n'auraient conservé que le plain-chant pur, si Palestrina, dans la messe, dite du pape Marcel, exécutée en 1565 devant le pape Pie IV, n'avait fourni le modèle du nouvel arc religieux. Cette date ferme l'ère des messes musicales écrites sur des paroles profanes; mais, tandis que les catholiques cherchaient une musi-
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
En France, ce fut d'abord sur des airs connus que l'on chanta les psaumes de Théodore de Bèze et de Clément Marot; bientôt, on les mit à quatre parties, et enfin une nouvelle musique fut composée sur les anciennes paroles. Ce fut à Bourgeois, Philippe Jambede-Fer, etc.,, que Calvin commanda ces nouveaux chants. Puis vint Goudimel qui, dans ses Psaumes...
par Cl. Marot et Th. de Bè\e, mis en musique à quatre parties, i565, les fit oublier. Le succès de ces compositions fut pour quelque chose dans la mort du musicien ; cependant toute cette musique protestante avait d'abord été chantée simultanément par les catholiques et par les réformés; ce fut lorsque les haines se furent envenimées que les psaumes calvinistes devinrent les chants de ralliement de Ceux de la Religion. Ils étaient fort bien arrangés, ces psaumes, avec leurs quatre parties faciles à chanter et répondaient aux besoins de musique de cette époque. En effet, le xvi° siècle a été l'âge d'or de ce que l'on pourrait appeler la musique vocale de chambre. Chansons en parties,, mélanges, madrigaux, qui se chantaient eii famille, abondent aujourd'hui dans nos bibliothèques. Tout cela était imprimé par Attaingnant et sa veuve et leurs successeurs, plus tard par Ballard et Le Roy (fig. 2122) ; ces chants étaient quelquefois l'arrangement à quatre et cinq parties de chansons populaires, d'autres fois des compositions absolument nouvelles. Les voix se trouvant imprimées séparément, chacun étudiait sa partie; on se réunissait ensuite pour chanter ensemble, soit à voix seules, soit avec accompagnement de luth et de théorbe, ces courts morceaux de musique (fig. 23). Ces
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chansons françaises, toutes bien écrites et ingénieuses ont un caractère et un style qui leur est particulier.'
est impossible de les confondre avec les madrigaux l'Italie et de l'Angleterre, et il y a là tout un petit aimable et bien national, qui mérite d'être signalé»
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Les chansons étaient le plus souvent accompagnées par des instruments dont le rôle se réduisait à doubler les voix; mais, en dehors d'un très grand nombre de compositions vocales et instrumentales, on a conservé aussi beaucoup de pièces pour instruments seuls qui suffisent pour donner une idée de ce genre de musique. Lorsque les luths, les violes et les épinettes étaient seuls employés, ils formaient particulièrement ce que l'on appelait la musique de chambre ; lë concert était dit de cour ou de salle lorsque l'on y joignait les trompettes, les hautbois, etc. Les pièces écrites primitivement pour les voix étaient souvent exécutées par les instruments, ainsi que nous le prouve ce passage si connu des Galanteries des rois de France, attribuées à Sauvai, dans laquelle nous voyons M"° de Limeuil, se faisant sonner aux violons la Bataille de Marignan, de Cl. Jannequin, pour s'encourager à bien mourir. C'était, du reste, pour jouer des morceaux de ce genre, pour voix et instruments, que le roi Charles IX avait accordé, en 15/0, au poète-musicien Jean-Antoine de Baïf le privilège d'une académie de musique. C'est évidemment la danse qui a fourni à la musique moderne ses premières mélodies rythmées, et les pièces instrumentales de ce genre nous en donnent de nouvelles preuves. Dès le xme siècle, nous voyons des refrains de danse sonnés aux haubois; au xvie siècle, les documents deviennent des plus nombreux. Les instruments que l'on employait étaient moins harmonieux que les luths et les violes, mais plus sonores et plus propres à marquer le rythme. (Voir Histoire de la musique, fig. 49, 52, 53, 54, 55, 56, 60, 62.) On
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ÉCOLE
FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
y voyait, en général, un ou deux hautbois, quatre au plus,, un tambourin, une flûte longue-, une vielle à archet (fig. 17). C'était aux danseries vulgaires qu'étaient réservés ces agents sonores; pour les danses plus nobles, lamusique était exécutée par des cordes pincées et grattées. Or il advint de ces pièces ce qui arriva poulies menuets du XVIII6 siècle. On les dansait, il est vrai, mais on les jouait souvent aussi, comme de véritables morceaux de concert. On a conservé quelques-uns de ces livres de danseries, pour cordes, à quatre ou cinq parties-. Les uns ne contiennent que pavanes, branles, tordions, etc.; d'autres renferment aussi les thèmes des ' chansons populaires, mis en parties sans paroles pour les instruments. Citons parmi les plus rares : dix-huit ! basses dances garnies de recoupes et tordions avec dixneuf brailles, quatre sauterelles, quinze gaillardes et • neuf pavanes. — Paris. — Attaingnant i538, in-40 oblong. Un des recueils de musique de chambre française ! les plus curieux, sinon les plus anciens, est le Livre de viole, de Cl. Gervaise, imprimé chez Attaingnant et sa veuve, de 1547 à i555. A la fin du xvi" siècle, un livre célèbre de Jean Tabourot, seigneur des Accords, parut, contenant, lui aussi, un grand nombre de chansons qui servirent à la fois à la danse et au concert; il était intitulé : Orchésographie et traité en forme de dialogue, par lequel toutes personnes peuvent facilement apprendre et pratiquer l'honneste exercice des dances, par Thoinot Arbeau. (Jean Thabourot. — Lengres. ... i58g, in-40.)
�LIVRE PREMIER.
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Cette musique de salon et de concert n'était point
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24.
—
MANUSCRIT
DES
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(FIN
DU
xve
SIÈCLE).
(Bibliothèque de l'Arsenal.
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
la seule qui se fît entendre, et jamais époque n?a été plus féconde en fêtes, noces, repas, entrées royales et princières, où retentissaient de nombreux chœurs de voix, de bruyants accords d'instruments. Le théâtre, lui aussi, appelait à son secours la musique pour augmenter la pompe de ses représentations. Cependant un fait singulier se produit dans ce que nous pourrions nommer la musique dramatique de cette époque. Les historiens du théâtre et les critiques nous ont appris que les anciens mystères des xn° et xme siècles s'étaient transformés, que leurs représentations s'étaient régularisées, données, qu'elles étaient, par la corporation spécialement érigée à cet effet, sous le titre de Confrérie de la Passion; ils nous ont dit aussi que la comédie était née s'ous la forme de farces ou de soties. Dans les miracles des xrve et xve siècles, nous trouvons encore force musique de motets, de rondels, etc., avec grand accompagnement d'instruments divers, tonnoires d'orgue, chants de-violes, de flûtes et de bombardes; mais, dès les dernières années du xve siècle, le théâtre semble renoncer à la musique, les morceaux deviennent moins nombreux, et dans les pièces comiques, farces ou soties, on cesse absolument d'en rencontrer. En revanche, l'art musical trouve asile à la cour des rois et des princes; ceux-ci, pour relever l'éclat de leurs fêtes, appellent de nombreux artistes, et, parmi eux, un grand nombre de musiciens. Poètes et ménestrels s'unissent, et afin de varier les divertissements, inventent une sorte de représentation où la mythologie et l'allégorie tiennent la plus grande place. Une somp-
�LIVRE PREMIER.
75
tueuse mise en scène, des chants, des danses, des concerts d'instruments, concourent à l'effet de ces solennités mondaines. A l'exemple des Italiens, les Français
FIG.
25.
■—
FIGURE
DE
l'Entrée
d'Henri II à Rouen (1552).
empruntent leurs sujets à l'antiquité classique; c'est la fable d'Orphée et d'Eurydice, c'est la légende de Gircé, ce sont lés mythes d'Apollon qui servent de thème à ces développements à la fois plastiques, littéraires et musicaux. C'est par eux que la musique se rattache au
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
grand mouvement de la Renaissance. Bientôt ces sortes de représentations prennent une forme plus soignée; la musique y joue chaque fois un rôle plus important; c'est de là que naît le ballet de cour, d'où sortira, au xvue siècle, le genre nouveau de l'opéra. L'Italie avait donné l'exemple de ces fêtes en allégories mimées, mais la France ne tarda pas à la suivre. On a gardé longtemps le souvenir de la somptueuse entrée d'Henri II à Rouen, en i55o, dans laquelle on voyait le combat d'Apollon et du serpent Python, mis en musique, et mille autres merveilles accompagnées de chants et de concerts (fig. 25). La place nous manque pour décrire toutes ces fêtes, mais on peut dire qu'une composition comme le célèbre Balet comique de la Reine., organisé par Baltazarini dit Beaujoyeux, mis en musique par les Français Beaulieu et Salmon, et représenté au Louvre en i58i2, ne le cède guère aux grands ballets italiens et qu'il est facile d'y trouver déjà quelques-uns des éléments qui constitueront plus tard l'opéra (fig. 26). Du reste, c'était à la cour même que l'on recrutait les musiciens nécessaires à l'exécution. Déjà, sous les rois Charles V et surtout sous Charles VI, on rencontra auprès du prince un grand nombre de musiciens, tant instrumentistes que chantres et chanteurs. Après les campagnes d'Italie, François Ier ajouta à la musique de la Chambre royale celle de la Chapelle, composée de chantres, de chanteurs et d'instrumentistes de concerts, tels que violons, luths, etc., puis la musique de l'Ecurie, qui fournissait les musiciens de grand orchestre, comme les trompettes, les trombones, etc. Sous les
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
derniers Valois, les artistes de musique sont si nombreux, que Ton ferait un volume des noms inscrits sur les quittances de la maison du roi, dont la Bibliothèque nationale possède une magnifique collection. Les dernières années du xvie siècle sont aussi les dernières du moyen âge musical; elles marquent l'apogée du style ancien et le commencement de la musique moderne. Depuis ces époques indécises et pour ainsi dire préhistoriques, où tout est doute et hypothèse, quel chemin parcouru ! Déjà la notation est claire, dégagée des signes douteux, des calculs mathématiques qui la rendaient si difficile. La mélodie s'est développée , dessinant les contours d'un chant bien rythmé. Des barbares agglomérations de sons, indignes du nom d'accords, qui formaient la rude diaphonie des x" et xie siècles; du déchant encore embarrassé des xne et xme siècles; du contre-point encore lourd et compliqué des xive et xve siècles, sort l'harmonie ingénieuse et fine d'un Clément Jannequin, d'un Claudin Lejeune ou d'un Goudimel. La langue musicale moderne est formée; ayant rejeté à peu près les tons et les modes du plain-chani, elle obéit aux lois qui règlent notre tonalité moderne, elle est prête à subir de nouvelles et définitives transformations. Viennent les maîtres de génie,- et l'art ne tardera pas à arriver au point où nous le voyons avec les Bach, les Rameau, les Gluck, les Haydn, les Méhul, les Mozart et les Beethoven. Mais quelle fut la part de la France dans cette évolution de la musique qui embrasse plus de sept siècles? N'hésitons pas à le dire, c'est elle qui semble avoir donné le premier signal; jusqu'au xive siècle, c'est elle
�• LIVRE PREMIER.
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y
et toujours elle que nous trouvons, elle avec.ses troubadours méridionaux à la mélodie facile et agréable, elle avec ses trouvères du Nord, c'est-à-dire les premiers inventeurs du déchant et aussi du drame musical religieux et profane; elle encore au xiv siècle avec les maîtres créateurs du contre-point; elle partage l'honneur avec les musiciens d'Angleterre et de Flandre, mais à elle est due la première place par le nombre et l'éclat de ses artistes. Aux xve etxvi0 siècles, la musique a pris son essor en Italie, en Espagne, en Allemagne; nos musiciens ont porté haut le nom français dans les plus illustres villes de l'Italie et de l'Allemagne, et c'est un Français, nous le répétons à dessein, le Lyonnais Goudimel, qui est le maître de Palestrina. S'il y a eu des musiciens français pendant cette longue période, y a-t-il eu école? Nous l'avons dit, il y a école lorsque les œuvres se suivent toutes ayant entre elles une commune origine, lorsque l'on peut y distinguer la marque du génie national d'un peuple; or, dès le xiiie siècle, la musique française se laisse bien reconnaître. Ils sont bien français, les motets qui ont pour sujets des refrains encore populaires chez nous; elle est bien française aussi, la gentille pastorale de Robin et Marion, comme sont aussi françaises les spirituelles chansons musicales de Josquin Després et de Clément Jannequin, dont l'esprit et le tour mélodique diffèrent absolument de l'esprit et du tour mélodique des Allemands et des Italiens de la même époque ; toutes ces compositions sont écrites en musique, je dirais presque en langue musicale
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
française; les musiciens du xvie siècle sont Français comme sont Français les, Ronsard et les Déportes ; cette musique est nôtre comme sont nôtres les vers de la Pléiade.
Coussemaker (E. de).Les drames liturgiques, Essai sur les instruments de musique au moyen âge. {Annales archéologiques, t. III et de IX à XVI.) Celler (Lud.). Les Origines de l Opéra et le Ballet de la reine, in-12, 1868. Castil-Blaze. Chapelle musique des rois de France, in-12, i832. L'Entrée du roy notre sire, faite en la ville de Rouen, in-40, Paris, i55o; — L'Entrée d'Henri II, roi de France, in-40 obi., Rouen, 1869 (réimpression). Geraud. Paris sous Philippe le Bel. (Documents inédits de l'histoire de France.) Jannequin (Cl.). La Bataille de Marignan, publiée par Weckerlin, in-8" obi. Jubinal. Les anciennes Tapisseries historiées, i838-5o, in-folio. Kastner. Danse des morts, grand in-40, i852. Lavoix fils. Les Opéras madrigalesques. (Galette musicale, 1877.) — La Musique dans l'imagerie du moyen âge, in-.8°, 187b. — Histoire de l'instrumentation, 26 partie, chap. icr. Prosniz. Compendium der musikgeschichte bis %um ende des xvic Jahrhunderts, in-8°, Vienne, 1889. Thoinot Arbeau. Orchésographie, nouvelle édition, publiée par Mlle L. Fonta, in-4°, 1889. Tiersot (Julien). Histoire de la chanson populaire en France, in-8°, 1889. Weckerlin. Ballet comique de la reine (reconstitué et réduit pour piano et chant avec notice). (Chefs-d'œuvre classiques de l'Opéra français. Collection Michaelis, in-40.)
�LIVRE II
LES XVII0 ET XVIIIe SIÈCLES
CHAPITRE PREMIER
LA TRAGÉDIE EN MUSIQUE
Ballets de cour comiques et sérieux. Guédron, Mauduit, Bordier, etc. — Les comédies-ballets, les tragédies-féeries. Molière, Corneille, Benserade. — Les opéras italiens. La Finta Pa^^a et Orfeo. Cavalli et le Sersé. — Création de l'Opéra français. Cambert et Perrin. Lulli, Quinault et la tragédie en musique. — Les successeurs de Lulli. Charpentier, Campra, Destouches, Mouret, eic. — Rameau. Son traité d'harmonie,, son théâtre, ses contemporains et ses successeurs. — Les Bouffons. Pefgolèse et la Serva padrona, Rousseau et le Devin du village. — Les maîtres étrangers. Gluck et la musique française, Piccini, Sacchini, Salieri, Vogel, etc. — L'Opéra français pendant la Révolution et l'Empire. Le premier romantique et le dernier classique, Le Sueur et Spontini, Ossian et la Vestale.
C'était un singulier spectacle que celui des fêtes, comme le Balet comique de la Reine, sur lequel nous avons fermé le chapitre précédent. On y trouvait du comique et du pompeux; la musique y était employée sous toutes ses formes sérieuses ou légères, depuis
MUSIQUE FRANÇAISE.
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ÉCOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
le couplet à refrain jusqu'au madrigal à plusieurs voix, le tout accompagné de nombreux instruments. Nous avons fait remarquer que Ton pouvait retrouver dans ces ballets quelques-unes des origines de notre opéra et de notre opéra-comique. Pour accompagner leurs chansons et leurs danses, les musiciens ne se faisaient point faute d'employer toutes les forces instrumentales que la musique de la Chambre et celle de la grande Écurie mettaient à leur disposition; l'orchestre des ballets royaux était des plus riches et des plus variés. Outre les vingt-quatre grands violons du roi, et sous Louis XIV, la bande des vingtquatre petits violons (fig. 31), on y comptait des théorbes, des luths, des mandolines, des guitares, des vielles, des violes aiguës et graves, des flûtes, des hautbois, des musettes, des trompettes, des trombones, des trompes de chasse, des timbales, des tambours de basque et des castagnettes (fig. 3o) se répondant par d'harmonieux échos. Le grand Ballet du roi de 1617 comptait 64 chanteurs, 28 violes et 14 luths; 36 musiciens sonnaient dans le Ballet des ballets, 68 dans les Plaisirs de l'île enchantée, 92 dans Psyché (1671). Le développement des forces musicales dans cette dernière représentation fut considérable; on vit les troupes d'Apollon, de Bacchus, de Momus et de Mars entrer successivement, précédées chacune d'un orchestre et à la fin du défilé, « un chœur de toutes les voix et de tous les instruments conduits par M. Rebel se joignait à la danse générale ». Parmi les compositeurs de ces ballets, il nous faut citer les noms de Guédron, Mauduit, Bataille, qui écrivirent ensemble le Ballet du roi, en 1617 (fig. 27 et 28).
�LIVRE II.
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Guédron collabora aussi au ballet de la Sérénade et à
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(Air de Bataille, avec tablature de luth.)
celui de Psyché (en 161 g). Nous ne devons pas oublier
�8*'
ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
les Boesset. parmi nos vieux musiciens. Antoine, le père, fit le ballet des Dix verds, en 1620; celui d'Apollon, en 1621; celui du Roi, en 1622; de la Reine, de la Douairière de Billebahaut, des Triomphes et le joli récit d'Orphée. Son fils Jean collab ora avec Mollier au ballet du Temps et à la célèbre fête où fut jouée Alcidiane ou Triomphe de Bacchus. Verdier, Belleville, Dumanoir, Le Bailly, Baschet, d'Assoucy, qui fit la musique de l'Andromède de Corneille et enfin Louis XIII lui-même, auteur de la musique du ballet de la Merlaison, brillèrent au premier rang parmi les musiciens qui précédèrent Cambert et Lulli. On se tromperait étrangement, si Ton croyait qu'un ballet était l'œuvre d'un seul de ces artistes; tous y travaillaient, se partageant la besogne, circonstance qui contribua, comme on le devine, à donner peu d'unité et de caractère artistique à cette sorte de musique. Bien plus, si parmi ces musiciens les uns avaient la spécialité de composer les chants, les autres étaient merveilleux pour inventer des airs de danse. Ainsi dans la Délivrance de Renaud, les airs de danse sont de Belleville, tandis que l'on trouve le nom de Guédron en tête du plus grand nombre de couplets avec vers à chanter. Aucun de ces ballets ne contenait une seule scène qui pût passer pour lyrique dans le vrai sens du mot; quelques élégies, une plainte sur la mort d'Orphée, des titres qui promettaient sans tenir, comme Tancrède dans la Forêt enchantée, la Délivrance de Renaud, Hercule amoureux, Aurore et Céphale, Psyché même (je'parle de celle de Benserade), etc., etc., des décors,
�LIVRE II.
8s
des danses, voilà ce que Ton y trouvait; mais de la musique dramatique, point.. C'était dans les grands ballets sérieux allégoriques ou mythologiques que le célèbre poète de cour Benserade brillait de tout son éclat. Nous ne citerons pas toutes ses œuvres, mais nous signalerons, parmi les
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Liez, courez, cherchez, de toutes furs. ■4-
Allons courons
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FIG.
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BALLET DANSE FAR LE ROI
28.
(1617).
(Air de Gucdron.)
meilleures et les plus brillantes, les ballets d'Alcidiane (i658), d'Hercule amoureux (1662), le célèbre ballet de la Nuit (fig. 29). Ce fut dans le ballet royal de Flore, en 1669, que le roi, qui avait débuté en 1651 dans celui de Cassandre, dansa pour la dernière fois. Le gentil poète avait perdu son premier et principal interprète, et, pour comble de malheur, il avait ren-
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
contré un terrible concurrent le jour où le roi avait dansé le ballet du Mariage forcé de Molière. Le lecteur sait quelles sont les pièces, qui, comme George Dandin, la Comtesse d'Escarbagnas, etc., firent partie des divertissements royaux ; on sait aussi que le Mariage forcé, le Sicilien, la Pastorale comique et- surtout Monsieur de Pourceaugnac et le Bourgeois gentilhomme étaient, soit des ballets mimés, soit de véritables comédies avec musique. A partir du Mariage forcé, le ballet de cour proprement dit, avec ses petits vers, ses pompeux décors, son riche déploiement de brillants costumes, mais sans aucun intérêt dramatique, était condamné, chassé par la comédie. Bientôt la tragédie, à son tour, voulut appeler la musique à son aide et remplacer le ballet de cour par l'opéra et le ballet d'action; mais, avant d'entrer résolument dans le récit de l'histoire de la tragédie lyrique, il est bon de savoir quelle place les poètes avaient assignée à la musique dans ces grandes représentations dramatico-musicales, et c'est Corneille qui va nous le dire avec la préface de l'Andromède : « Vous trouverez cet ordre gardé dans les changements de théâtre que chaque acte, aussi bien que le prologue, a sa décoration particulière, ou du moins une machine volante, avec un concert de musique que je n'ai employé qu'à satisfaire les spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s'attachent à quelque, chose qui leur empêche de prêter attention à ce que pourraient dire les acteurs comme fait le combat de Persée contre le monstre; mais je me suis bien gardé de faire rien
�étant mal entendues des auditeurs pour la confusion qu'y apporte la diversité des voix qui les prononcent ensemble, elles auraient fait une grande obscurité dans
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
le corps de l'ouvrage, si elles avaient à instruire l'auditeur de quelque chose d'important. » Les pauvres musiciens qui furent chargés d'orner discrètement d'une musique décorative et non encombrante les machines merveilleuses de Torelli et les vers de Corneille ne cherchèrent point à sortir de leur rôle. C'étaient quelques couplets de chansons, puis quelques airs de danse, courantes, sarabandes, menuets, force bruits rythmés de voix et d'instruments, qui faisaient les frais de ces sortes de partitions; mais de vraie musique, on en entendait peu ou point. Cependant, si Corneille avait eu moins en mépris l'art du musicien, trois de ces pièces eussent certainement permis de joindre la musique à la tragédie. J'ai nommé Andromède, la Toison d'or, et surtout Psyché (1671). Cette dernière est, on le sait, de Molière, Corneille et Quinault pour les vers, et de Lulli pour la musique. Véritable poème d'opéra, Psyché contient de charmantes situations musicales. Malheureusement, la part du musicien fut encore réduite aux intermèdes et aux scènes accessoires. Cependant Lulli avait trouvé moyen de prendre aussi sa place à côté des trois grands poètes, en écrivant sa Plainte italienne, un de ses plus expressifs morceaux qu'il se garda bien de laisser perdre et que nous retrouvons plus tard dans son opéra de Psyché (1678). Avec Psyché, on était bien près de la tragédie lyrique ou opéra, par la mise en scène et surtout par le lyrisme des sentiments. Cependant un pas était encore à franchir. Il fallait trouver une tragédie chantée, dj|à la musique tînt la première place.
�LIVRE
II.
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Déjà les Italiens avaient introduit en France quelque chose dans ce genre, mais moins complet et moins lit-
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30.
TITRE
DE
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téraire que la tragédie lyrique. On a, selon nous, beaucoup exagéré l'influence du Dr anima musicale d'Italie
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
sur notre opéra. On sait que Péri, Caccini et Monteverde, cherchant à retrouver l'ancienne tragédie des Grecs, avaient inventé le drame lyrique où la musique avait pour mission de rendre le sens et jusqu'aux accents des paroles. Il y avait là une réelle innovation et l'on ne peut nier que ce soit aux Italiens que toutes les écoles doivent l'opéra. Mais leur goût pour l'art du chant, pour la musique sensuelle, n'avait pas tardé à altérer l'œuvre des premiers créateurs. Aussi bien, lorsqu'en 1645 le nouveau genre fut importé en France, l'opéra italien n'était déjà plus la tragédie déclamée en musique de Caccini et de Monteverde. On n'a rien conservé de la musique delà Finta Pa\\a, qui fut jouée en 1645 à la cour (fig. 3o); mais le livret nous montre que c'était une sorte d'opéra-ballet, où l'on voyait des singes, des ours, des Indiens et des perroquets, la mer et les tours de Notre-Dame, mais sans aucune action dramatique. La seconde pièce italienne en musique, jouée en 1647, fut un Orfeo; tout ce que nous savons de cet opéra, c'est qu'il était fort long, fort peu intéressant, que Mme de Motteville y eut grand froid aux pieds, et qu'il coûta 5oo,ooo livres. En revanche, nous sommes mieux informés sur le Sersé de Cavalli, joué au Louvre le 22 novembre 1660. On a gardé la partition de cet opéra et elle se trouve à la'Bibliothèque Nationale. Le poème offre peu d'intérêt, mais la musique a quelque chose de la souplesse et du tour mélodique qui ont fait, le succès de l'école italienne. C'est l'œuvre dramatique la plus complète qui ait été entendue en France avant Lulli, et cependant en lisant cet opéra, on sent bien que ce n'est
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
pas ce genre surchargé de traits et d'ornements qui plaira au génie français. Il faudra quelque chose se rapprochant davantage de notre goût, une musique moins riche peut-être, mais plus forte et plus expressive, qui réponde aux accents passionnés de notre tragédie; ce quelque chose qui tiendra tout à la fois de la tragédie classique et du ballet sera trouvé par Perrin et Cambert d'abord, puis perfectionné par Lulli, et il aura pour nom la tragédie en musique ou opéra. Cambert, le premier musicien qui écrivit une partition d'opéra pour le public parisien, était lui-même de Paris; né en 1628 et fils d'un fourbisseur, il fit ses études musicales avec le célèbre claveciniste Chambonnières. On sait peu de choses sur sa vie, seulement en 1659 nous le trouvons organiste de l'église collégiale de Saint-Honoré et surintendant de la musique delà reine Anne d'Autriche, mère de Louis XIV. Il était avantageusement connu comme compositeur de motets, airs de cour et airs à boire, lorsqu'en avril 165g il fit entendre la Pastorale en musique ou YOpéra d'Issy, joué à Issy dans la maison de campagne de M. de la Haye; le poème était de Pierre Perrin. En 1665, on imprimait de lui un recueil d'airs de cour et de chansons à boire; mais ce fut seulement en 1671, après que Perrin eut obtenu, par lettres patentes du 28 juin 1669, le droit « d'établir par tout le royaume des académies d'opéra ou représentations en musique sur le pied de celles d'Italie », qu'il fit jouer, le 19 mars 1671,5a partition de Pomone dans la salle du Jeu de paume de la Bouteille, aux environs de la rue Guénégaud. Le succès de Pomone l'ayant encouragé, il écrivit une seconde
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
pastorale, mais cette fois avec un auteur dramatique assez connu en son temps et nommé Gilbert. Les Peines et les Plaisirs de l'amour-} pastorale en cinq actes, furent représentés en avril 1672. Ce fut le dernier succès de Cambert en France. Lulli, comme nous le verrons plus loin, s'était emparé du privilège de l'opéra concédé à Perrin et comme ce n'était évidemment pas pour faire applaudir la musique d'un rival qu'il s'était mis à la tête de l'entreprise, le pauvre Cambert, jeté de côté, ne voyant plus d'avenir pour lui, passa en Angleterre où il fit entendre avec succès ses deux opéras joués en France et de plus Ariane, qui avait été écrite pour Paris et qui fut représentée à Londres. Cambert mourut en 1677, surintendant de la musique du roi Charles II. Si malheureux qu'ait été Cambert, le pauvre abbé Perrin le fut encore davantage. Né en 1619 ou 1620 à Lyon, il mourut à Paris en 1675. On peut dire que, malgré son titre d'introducteur des ambassadeurs auprès de Gaston duc d'Orléans, frère du roi, il fut le plus pauvre des poètes faméliques, et que, criblé de dettes, il passa la plus grande partie de sa vie à rester en prison ou à essayer d'en sortir. Entre deux répétitions de ses oeuvres, il luttait désespérément, mais sans succès, contre les huissiers et les recors; victime de son désordre, de son peu de jugement, pris dans les rets d'un mariage qui lui avait paru avantageux et qui ne lui fut que fatal, il mourut misérable, voyant réussir sans lui le théâtre dont il avait été le premier à obtenir le privilège. Ce n'était pas par un effet du hasard que le pauvre poète lyonnais, plus habile à concevoir qu'à exécuter,
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avait trouvé la première formule du poème d'opéra ; il avait même posé assez nettement sa théorie dès sa première oeuvre dans la préface de la Pastorale d'Issy. « Je n'ai pas désespéré qu'on ne pût faire de très galantes comédies en musique en notre langue, qui ne soient fort bien reçues en évitant les défauts des italiennes, et en ajoutant toutes les beautés dont est capable cette espèce de représentation. Avec tous les avantages de la comédie récitée, elle a sur elle celui d'exprimer les passions d'une manière plus touchante par les fléchissements, les élévations et les chutes de la voix... La Pastorale est toute composée de pathétique et d'expression, d'amour, de joie, de tristesse, de jalousie, de désespoir, afin que le musicien la puisse accommoder au style du théâtre et de la représentation, invention nouvelle et véritablement difficile. » Voilà qui est bien dit, et Perrin fixait, dès ce jour, la véritable poétique de notre opéra français : « donner aux sentiments humains plus d'expression et plus d'accent par les forces de la musique »; malheureusement, il s'en tint à la théorie, et lorsqu'il voulut prêcher d'exemple, il ne fut point à la hauteur de la mission qu'il s'était donnée. Ses deux poèmes de la Pastorale et de Pomone sont d'une extrême faiblesse de vers et d'invention. Ajoutons que, pour être un peu mieux versifiées, les Peines et les Plaisirs de l'amour de Gilbert n'en sont pas moins un poème fort médiocre. Bien supérieur à ses poètes était le musicien Cambert, que Lulli a trop fait oublier. On a conservé et imprimé de ses opéras le prologue et le premier acte de Pomone (fig. 32), les mêmes parties des Plaisirs de
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l'amour et un excellent trio bouffe. Dans ces deux opéras, à part quelques lourdeurs, on sent la main d'un musicien habile, instruit, sachant traiter les voix, ne reculant pas devant de réelles difficultés musicales et les surmontant avec bonheur. Le trio-bouffe : « Bon di Cariselli », qui se chantait dans le Jaloux invisible de Brécourt, en 1666, et que M. Weckerlin a publié à la suite des Peines et plaisirs, est une franche et excellente scène de comédie musicale dont aujourd'hui encore on apprécierait la verve et l'entrain. Voici donc l'opéra créé par des Français, d'abord avec la Pastorale d'Issy (1659), avant la représentation du Sersé (1660) de Cavalli, ensuite et surtout avec Pomone, le soir même de l'ouverture de la salle du Jeu de paume de la Bouteille. Que lui manque t-il encore? Il a l'orchestre, les chanteurs, les décors, un public; il a ses règles et sa poétique déjà nettement formulée. Il a même un privilège, chose indispensable dans un pays où rien n'existe que par le roi. Il ne lui reste qu'à trouver l'homme de génie qui saura lui donner sa forme définitive, qui animera de son souffle cette argile déjà dégrossie et en fera une œuvre d'art ; cet homme de génie, nous l'avons nommé plusieurs fois, nous l'avons vu à côté de Molière, de Corneille, de Benserade; il a nom Jean-Baptiste Lulli. (Voyez portrait : Histoire de la musique, fig. 76.) Lulli n'est pas le fondateur de l'opéra, mais il en est le véritable créateur. C'est une figure des plus curieuses que celle de ce Jean-Baptiste, né à Florence en 1623, mort à Paris, le 22 mars 1687; venu fort jeune en France et placé chez M"° de Montpensier, il étudia son
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art avec les organistes de Saint-Nicolas des Champs, des maîtres essentiellement français. Nous ne pouvons raconter ici ses aventures qui furent nombreuses et qui ont été'souvent rééditées, mais suivons d'un coup d'œil sa vie musicale, et nous ne pourrons hésiter à faire de Jean-Baptiste un musicien français, sinon de race, du moins de génie. Par une de ces chances dont il savait si bien profiter, le voilà placé à la cour, violon du roi, après en avoir été réduit à l'humble emploi de garçon d'orchestre; il organise sabande des petits violons qui ne tardent pas à surpasser les 24 grands ; puis il collabore aux ballets royaux et son premier vrai succès est celui d'Alcidiane; il a vingt-cinq ans. Bientôt après, il écrit la musique des divertissements de Sersé de Cavalli, s'habituant ainsi au style italien, sans cependant chercher à se l'assimiler; sa'collaboration avec Corneille dans Psyché, avec Molière dans le Mariage forcé, le Sicilien, le Bourgeois gentilhomme, développe chez lui le sentiment du théâtre; c'est alors qu'il assiste, en regardant d'un œil narquois, à l'aventure de Perrin et Cambert, ouvrant leur première salle d'opéra avec l'aide du financier Sourdeac; il a bien su juger chacun des associés : Perrin estun pauvre bohèmeincapable de compter, Sourdeac un aigrefin, Cambert un artiste ne s'occupant que desamusique. Dans ces conditionsleprivilège royal ne pouvait pas profiter longtemps à ceux qui en étaient détenteurs et il était évident qu'il faudrait bien, un jour ou l'autre, trouver un propriétaire pour ce bien en déshérence. Lulli ne resta pas longtemps à l'affût; au bout de peu d'années, les trois associés se querellaient, se volaient, se séparaient et le Florentin, fort de l'appui
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de Mmc de Montespan, et profitant de toutes ces discordes, qui avaient fini par indisposer le roi et les juges, faisait tout simplement enlever à Perrin un privilège dont il ne savait pas faire usage, payait une légère indemnité à Sourdeac, et laissait partir en Angleterre le pauvre Cambert. Si le procédé n'est pas des plus irréprochables, du moins devons-nous l'excuser en pensant que c'est à cette sorte de spoliation que nous avons peut-être dû l'opéra. L'âme de Lulli n'était point noble, loin de là; dans la manière dont il s'empara du privilège de Perrin, dans ses procédés et son ingratitude envers Molière, on retrouve le « coquin ténébreux » dont a parlé Boileau ; mais son intelligence était des plus vives et son génie musical réel. Il n'avait pas vécu à côté des plus grandsgénies du xvne siècle sans comprendre quel était le genre qui convenait à son temps et aux hommes de goût qui l'entouraient; il voulut que la musique prît aussi sa place dans le grand siècle, à côté de l'art le plus beau à cette époque, la tragédie. Il répudia ses origines italiennes, rejeta au second plan, mais sans les abandonner, les brillants hors-d'ceuvre du ballet, rapprocha la langue musicale de la langue poétique, serra de près l'accent mélodique, chercha la peinture exacte des sentiments, trouva le moyen de plaire au public français, en prenant soin d'écrire sa musique en langue musicale française. La tragédie classique de Corneille et de Racine avait été son modèle ; traduire en musique ces beaux et nobles sentiments, telle était son ambition. Un mot de lui renferme toute son esthétique de l'opéra : « Si vous
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voulez bien chanter ma musique, disait Lulli à ses artistes, allez entendre la Champmeslé. » On peut donc dire que si Topera français doit quelque chose aux ballets de cour, aux œuvres lyriques de Cavalli, aux féeries comme Andromède ou la Toison d'or, c'est surtout à la grande tragédie classique qu'il faut faire remonter son origine. Ce ne fut pas dès sa première œuvre que Lulli atteignit le but qu'il visait. Les Fêtes de VAmour et de Bacchics (fig. 34) par lesquelles il ouvrit son opéra de la salle du jeu de paume du Bel Air, rue de Vaugirard, le i5 novembre 1672, étaient un ballet qui différait peu en somme de ceux que l'on avait entendus jusqu'à ce jour; mais voilà qu'avec Cadmus et Hermione (1673) nous voyons apparaître un art nouveau; Alceste (1674) est bien loin de l'œuvre magistrale que Gluck écrira plus tard sur ce sujet, et cependant l'air de Caron et la scène des ombres révèlent un maître. Avec Thésée (1675) Lulli s'est élevé jusqu'à l'accent tragique dans tout le rôle de Médée. Atys, dit l'opéra du roi (1676), Isis, dit l'opéra des musiciens (1677), avec l'air si pittoresque des plaintes de Pan, Psyché (1678), marquent chaque année une nouvelle étape. Puis viennent Belléroplion (1679), dont le poème est de Thomas Corneille, de Fontenelle et de Boileau, Proserpine (1680), une des œuvres les plus curieuses et les plus travaillées du maître (fig. 35); avec le Triomphe de l'Amour (1681) qui fut le dernier ballet royal, Lulli revint à sa première manière, mais plus relevée et d'une grâce plus virile. En 1682, la tragédie reprenait ses droits avec Persée, par la beauté remarquable de ses récitatifs, par l'ampleur
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de sés idées mélodiques; Phaéton (i683) contient deux beaux duos, mais avec Amadis (1684) et Roland (i685), le maître est en pleine puissance de son génie; lisez le
bel air d'Amadis : « Bois épais, redouble ton ombre »; l'air de Médor : « Ah ! quel tourment !» ; le choeur d'un dessin si ferme : « Courons aux armes », et vous reconnaîtrez un maître. Dans Armide (1686), le duo d'Hi--
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draot et d'Armide, le bel air : « Il est en ma puissance » ; le récit véritablement tragique d'Armide : « Le perfide Renaud me fuit », sont des pages de premier ordre et par l'inspiration et par le style. Le plus bel éloge peut-être que l'on puisse faire d'Armide, qui fut aussi le meilleur poème de Quinault, est de dire que près d'un siècle plus tard c'était sur la tragédie mise en musique par Lulli que Gluck écrivait son plus grand chef-d'œuvre. Quinault était bien vengé des dédains de Boileau. Il faut compter au nombre des grands artistes de notre école Lulli, qui créa la tragédie lyrique française; mais nous ne devons pas oublier non plus Quinault, qui sut si bien comprendre ce musicien de génie, dont il était le digne collaborateur, et son nom doit prendre place à côté de celui du Florentin. Lulli mourut le 22 mars 1687. Le caractère de son génie était l'ampleur du style, la noblesse et la justesse de l'expression tragique, le défaut : une emphase pompeuse, allant quelquefois jusqu'à l'enflure. Ses mélodies étaient souvent gracieuses, mais il haïssait les fioritures et les broderies, qu'il faisait écrire par son beau-père Lambert, lorsqu'elles étaient indispensables. Lulli n'a pas, à proprement parler, de sensibilité; c'est chez quelques-uns de ses successeurs, comme Destouches, que nous trouverons cette charmante qualité musicale; en revanche, il a du pittoresque, de la tenue et de la variété. Ses opéras sont peut-être moins riches en mélodies agréables et en morceaux de virtuosité que ceux des Italiens ses contemporains ; mais on peut affirmer qu'ils leur sont de beaucoup supérieurs par les chants
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véritablement expressifs, par la justesse de la déclamation, et surtout par la belle conception des sujets. Si Lulli avait créé l'opéra, il l'avait aussi absolument accaparé, ne permettant à personne "de se faire entendre à ses côtés. Aussi sa mort fut-elle un soulagement pour les musiciens. Ses fils, Louis et Jean Lulli, héritèrent bien des charges de leur père, mais non de son talent et de son autorité. L'Opéra vit bientôt arriver une foule de prétendants au succès que le trop grand éclat du Florentin avait laissés dans l'ombre. Pendant les cinquante ans qui suivirent la mort du maître, il ne parut pas un de ces grands musiciens de génie qui reculent les bornes de leur art, qui ouvrent des horizons nouveaux ; cependant on peut compter un grand nombre d'artistes de réel talent ; les uns continuèrent les traditions de la tragédie musicale de Lulli ; les autres élargirent, au contraire, les proportions du ballet et en firent un genre tout nouveau qui eut nom opéra-ballet. Les meilleurs maîtres de cette époque brillèrent surtout par la grâce et l'élégance ; à la pompe un peu emphatique de Lulli succéda la sensibilité plus émue, plus sincère peut-être, de Campra et de Destouches ; la danse sévère et encore un peu lourde du maître céda le pas aux rythmes les plus vifs,les plus gracieux; les sonorités instrumentales devinrent plus éclatantes et plus variées. L'art ne resta pas stationnaire, loin de là, et le xviue siècle prêta à la musique d'opéra quelque chose de sa grâce et de son amabilité. Ce fut Pascal Colasse (1639-1709), l'élève préféré de Lulli, qui sembla, pendant quelque temps, devoir rem-
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placer le grand homme. En effet, dans Thétis et Pelée (1689), par exemple, on sent passer comme un souffle du Florentin; mais Colasse ne tarda pas à avoir le sort des imitateurs : des concurrents plus habiles, au nombre desquels brille surtout M arc-Antoine Charpentier (16841702), le firent oublier. Celui-ci, que la tyrannie de Lulli avait tenu si longtemps éloigné de la scène, fut un des plus remarquables musiciens de notre grande école lyrique. Tout en s'éloignant, et à dessein, du style de Lulli, il sut trouver dans Médée (1693) des accents d'une haute et puissante expression dramatique. Nous aurons à reparler souvent de Charpentier; mais il nous faut citer encore, parmi les bons maîtres français de cette période: Desmarets,avecDf^ow(i693); Marais, avec Alcyone (1706), si curieusement instrumentée; Salomon, avec Médée et Jason (1713); Lacoste, avec Biblis(ij32] : Montéclair, avec Jephté(iy31), qui annonçait déjà Rameau. Ces maîtres ne laissèrent pas oublier la grande tragédie lyrique ; mais, à cette époque, la première place appartient à trois musiciens bien différents et de style et de talent, mais qui tous trois durent leur succès à des qualités toutes françaises : la grâce, l'esprit, l'éclat, et surtout à la recherche de l'expression toujours vraie et sincère : le brillant Campra, l'aimable Mouret et le tendre Destouches. Avec sa musique éclatante, gracieuse, avec son tour mélodique, ingénieux, avec son instrumentation variée pour le temps, André Campra, né à Aix en Provence en 1660 (fig. 36), est bien près d'être un homme de génie. Son succès fut immense lorsqu'il fit entendre, en 1697, VEurope galante, le premier opéra-ballet ; c'était une
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véritable réaction contre l'opéra pompeux de Lulli. Ses tragédies, comme Hésione (1690), Tancrède (1702), Iphigénie en Tauride (1704), Achille et Deidamie (r 635), n'ont ni la majesté de ceux de Lulli, ni la profondeur de ceux de Rameau; mais ils sont tendres, sinon grandioses, et empreints d'une sensibilité toute personnelle. En revanche, il ne me semble pas qu'aucun maître du e xvm siècle ait eu plus d'éclat, d'esprit et de variété que l'auteur de VEurope galante, du Carnaval de Venise, des Fêtes vénitiennes (1710), du Ballet des Muses. C'est de ce maître que date ce que l'on a appelé les représentations à fragments. Chaque acte, en effet, formait un tout que l'on pouvait séparer ou réunir, et jouer indifféremment sans nuire à l'ensemble. Mouret (Jean-Joseph), né à Avignon en 1682, fut, 0 pendant le XVIII siècle, le roi de la musique de demigenre.On le surnommait le musicien des grâces, et jamais surnom ne fut mieux mérité. Si l'on pouvait comparer deux maîtres à cent ans de distance, c'est Auber qui, dans notre siècle, rappellerait de plus près cet aimable et charmant artiste. Grâce et élégance dans les mélodies chantées, tour ingénieux et variété de rythme dans les airs de danse, telles étaient les qualités de ce musicien. Il se risqua une fois dans la tragédie lyrique, mais ce fut par les airs à danser que son Pirithous réussit; aussi écrivait-on, au sujet de cet opéra :
Que Pirithous est charmant, Peut-il ennuyer un moment? On y voit jusqu'au dénouement, Quelque danse jolie, Passe pied, menuet galant, La belle tragédie !
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L'éloge est mince pour une tragédie; mais combien Mouret savait prendre sa revanche avec les charmants ballets où il excellait, avec la Provençale des Festes de Thalie (1714), avec les Amours des Dieux (1727),
les Grâces (1735), le Temple de Gnide (1741), les Amours de Ragonde (1742) ! Mouret, dont la perte de sa fortune avait déjà fortement ébranlé la raison, devint, dit-on, complètement fou en entendant la musique de Rameau ; le géant bourguignon avait écrasé le gentil tambourinaire provençal, qui mourut en 173g.
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Sentimental et tendre, au contraire, était Destouches (André-Cardinal), un musicien parisien, né en 1Ô72, mort en 1749. Etant, à la suite de longs voyages, entré dans la carrière militaire, Destouches n'apprit la musique que fort tard; de là, dans son style, certaines inexpériences, certaines gaucheries; mais de là aussi, peut-être, cette intuition de l'instinct, quelquefois supérieure à l'habileté technique. Le talent de Destouches consistait dans la sensibilité, la justesse et la grâce de l'expression; il précédait en cela un autre maître français qui, comme lui, fut plus musicien d'instinct que' savant, Grétry. Le. sentiment juste de l'effet scénique, de la note vraie et émue, telles sont les qualités qui distinguent Issé (1697), Omphale (1702), opéra presque de demi-genre, qui eut l'honneur d'être repris au moment de la querelle des Italiens et des Français, dont nous parlerons plus loin,Callirhoé, partition remplie de touchantes mélodies (1712). Destouches sut aussi manier avec habileté les rythmes de la danse; les divertissements de ses opéras, son joli ballet du Carnaval et la Folie (1704), en donnent de nombreuses preuves, et les œuvres de ce musicien sont encore aujourd'hui les plus agréables à parcourir parmi celles de la première moitié du xvni" siècle. A côté de ces trois maîtres, il faut citer, au nombre des compositeurs aimables et qui remportèrent de grands succès dans le ballet et l'opéra-ballet, La Barre, avec le Triomphe des arts et la Vénitienne, en 1700 et en 1705; Aubert, avec la Reine des Péris (1725), dont les airs de danse sont charmants; La Lande, dont nous reparlerons au sujet de la musique religieuse, qui avait
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su se faire une place dans un genre plus élevé, mais qui, avec le ballet gracieux et varié des Éléments (1725), en collaboration avec Destouches, remporta un triomphe éclatant et durable; enfin Colin de Blamont, dont les deux ballets des Fêtes grecques et romaines (172.3) et des Caractères de l'amour (1736) méritent d'être lus. Nous ne pouvons parler de ces maîtres sans associer à leur souvenir les auteurs des poèmes sur lesquels ils avaient écrit leur musique. Ce furent d'abord Campistron, Thomas Corneille, Lamotte, puis Danchet, collaborateur habituel de Campra ; Fuzelier, Moncrif, Chancel de La Grange, Roy, Guichard, l'abbé Pellegrin, et enfin Regnard qui parodiait au théâtre de la Foire les poèmes qu'il écrivait pour l'Opéra. Tous ces auteurs étaient, comme chacun sait, hommes d'esprit et, à part Campistron et Thomas Corneille, plus portés vers la grâce et le comique, vers le demi-genre en un mot, que vers la haute tragédie ; de là peut-être le caractère spirituel et léger, plutôt que lyrique, de la musique de cette période. On le voit, l'école française, après cinquante|ans, occupait dignement les positions conquises par Lulli, mais sans avoir encore remporté de victoire absolument définitive. Peut-être même pouvait-on remarquer en elle une tendance à abandonner la tragédie lyrique pour le ballet toujours recherché des dilettantes et des amateurs, lorsque Hippolyte et Aricie, la première œuvre de Rameau (1733), vint rendre à la haute musique dramatique toute sa splendeur. Jean-Philippe Rameau, né à Dijon en i683, fut un de ces hommes qui sont la gloire non seulement d'une
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école, mais d'un art tout entier. Il fut un des fiers conquérants de l'art qui s'avancent au loin sur la route où leurs prédécesseurs ont à peine osé s'engager; ils s'avancent, dis-je, éclairant leur chemin d'une brillante lumière et, lorsqu'ils sont passés, l'horizon reste encore tout illuminé. Pendant la première partie du xvuie siècle, la musique a compté trois de ces hommes : Hsendel, J.-S. Bach et Rameau. De quelque côté que nous nous tournions pour étudier la musique française au xvnie siècle, nous rencontrons Rameau; musique instrumentale ou dramatiquej théorique ou scientifique, il a tout entrepris et il a été remarquable en tout. Mort, il se survit; des maîtres comme Gluck trouvent à apprendre dans ses œuvres; ses livres théoriques sont l'évangile de plus de cinq générations de grands musiciens. Aujourd'hui encore, certaines pages du vieil organiste dijonnais n'ont pu être surpassées et restent des chefs-d'œuvre. Rameau, né musicien admirablement doué, fut en même temps un esprit réfléchi, je dirai presque philosophique; n'ayant pu se faire jouer que fort tard à l'Opéra (il avait cinquante ans lorsque l'on y exécuta sa première œuvre dramatique), il avait eu le temps de mûrir son esprit dans la pratique de son art; de plus,, ses longues études théoriques lui avaient révélé bien des secrets de la langue musicale dont ses prédécesseurs n'avaient eu qu'une faible idée. Le premier ouvrage par lequel ce grand musicien se fit connaître fut sa fameuse théorie de l'harmonie. Depuis dix siècles que la musique moderne luttait contre l'art ancien, bien des victoires avaient été rem-
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portées. Lexvr3 siècle avait vu se transformer la langue
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musicale ; en même temps la science de l'harmonie avait été exposée dans de bons ouvrages comme ceux de Zar-
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lino, en Italie, ou de Mersenne en France (i636); puis des théoriciens français comme Lavoye-Mignot, Lefort, Paran, C. de Sermisy, Laffilard, avaient tenté de constituer un corps de doctrine qui permît d'enseigner la musique et surtout l'harmonie d'après des règles d'ensemble basées sur la science; cependant, malgré tant d'efforts, la connaissance de l'harmonie était encore tout empirique. La grande nouveauté introduite par Rameau dans l'enseignement de l'harmonie fut ce que l'on appelle la théorie de la formation des accords par tierces successiveSj et celle des renversements. Par la première loi, il montrait comment les divers sons qui forment un accord étaient pour ainsi dire soudés ensemble; par la seconde, celle des renversements, il montrait comment, suivant les diverses positions à la basse des notes composant l'accord et formant ce que l'on appelle les renversements, cet accord pouvait changer de caractère sans cependant cesser d'être lui-même. Jusqu'à Rameau, on était obligé d'étudier chaque renversement comme un accord isolé; après l'apparition du Traite' de l'harmonie réduite à ses principes naturels (ire édit., 1722), on put saisir méthodiquement la logique qui reliait non seulement chaque note de l'accord, mais les divers accords entre eux. La place nous manque pour expliquer les principes de Rameau; la génération par tierces ainsi que les lois des renversements sont aujourd'hui chose familière à un harmoniste même débutant; mais que l'on ne s'y trompe pas, en remplaçant la routine par la méthode, en posant des lois là où on ne connaissait que les tâton-
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moderne de l'harmonie. Grimm a reproché plaisamment à Rameau d'avoir, en facilitant l'étude des accords, « inondé le monde de mauvais musiciens ». Il faisait involontairement le plus brillant éloge du Traité de l'harmonie. Lorsqu'il publia son livre, Rameau était dans la force de l'âge; c'est alors qu'il vint se fixer définitivement à Paris. Remarquable exécutant, compositeur recherché pour ses pièces d'orgue et de clavecin, théoricien discuté et par conséquent apprécié, il voulait une autre gloire, celle du théâtre. C'est là que tendait son puissant génie, là seulement il savait pouvoir appliquer ses découvertes, parler cette admirable langue des sons dont il connaissait si bien les secrets. Que l'on imagine cet homme de génie audacieux et volontaire, ayant confiance dans sa force, attendant et luttant pendant plus de dix ans, en butte aux refus et au mépris des poètes les plus infimes et aux sarcasmes des gens d'esprit, voyant les directeurs repousser sa musique, le public se montrer méfiant, et l'on excusera, en les comprenant, les rudesses de son caractère, les emportements de son orgueil. ; Il fallut qu'un riche financier, La Popelinière, le prît sous sa protection et fit jouer dans ses salons les fragments de son premier opéra, Hippolyte et Aricie; niais aussi de quel pied triomphant il foula cette scène de l'Opéra si longtemps fermée devant lui ! Qu'importaient les petites gens, les petits esprits et les petites querelles des Lullistes et des Ramistes, l'éternelle et mesquine bataille du passé contre l'avenir, à cet homme qui était sûr de vaincre à force de chefs-d'œuvre!
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Lorsque parut, le ior octobre 1733, sa partition & Hippolyte et Aricie, ce fut plus qu'une révolte,ce fut une révolution dans le monde musical; cette musique nerveuse, profonde et rude irrita les amateursj vieux admirateurs de Lulli, et les dilettantes sensuels, habitués aux élégances, aux grâces aimables, tendres et alanguies des Destouches, des Mouret et des Campra. Celui-ci, cependant, au plus fort de la lutte, admirant son rival, s'écriait : « Cet homme nous éclipsera tous. » En effet, Rameau savait faire preuve à la fois d'une fécondité et d'une variété merveilleuses. A ceux qui lui reprochaient de manquer de grâce, il répondit par l'éclatant ballet des Indes galantes (1735); aux vieux amateurs de la tragédie de Lulli, il fit applaudir de force son chef-d'œuvre, Castor et Pollux (1737), dont le premier acte est encore admirable avec le chœur des Spartiates : Que tout, gémisse..., d'une harmonie si curieuse et si expressive, avec l'air touchant de Télaïre : Tristes apprêts. Deux ans après, résonnait le joyeux tambourin des Festes d'Hébé. Puis, la même année, Melpomène reprenait ses droits avec Dardanus, partition dont on lit encore avec surprise le beau duo de : Mânes plaintifs ex la scène des Songes, d'une harmonie si originale et si pittoresque. Je passe les Fêtes de la gloire (1745) et Pygmalion, en un acte (1748); je cite pour mémoire le brillant ballet de Zaïs (1748), et je m'arrête un instant à Platée, ballet bouffon (1749). Ici le maître a voulu être gai, et il a touché très spirituellement la note .à la fois comique et pittoresque dans les chœurs des Grenouilles, d'une très amusante fantaisie. Avec
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Zoroastre, Rameau revint au genre sérieux (1749), tandis qu'en 1751, Acanthe et Céphise, opéra de circonstance, écrit à l'occasion de la naissance du duc de Bourgogne, lui permettait de faire quelques-unes de ces pages de musique imitative toujours chères aux musiciens français. Dans l'ouverture, en effet, il peignait la joie d'un peuple à la naissance d'un prince et décrivait en musique un feu d'artifice. C'est ce que le compositeur annonce dans une note, et si ce n'est pas une de ses meilleures pages, ce n'est pas non plus une de ses moins curieuses. Les deux dernières partitions du maître furent les Surprises de l'amour (1757), ballet dont l'entrée des Sybarites est restée célèbre, et les Paladins (1760). Dans la tragédie lyrique, Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux et Dardanns; dans le genre du ballet, les Fêtes d'Hébé, les Indes galantes, tels sont, selon nous, les chefs-d'œuvre du maître dijonnais. L'ancienne forme de l'opéra créée par Lulli a peu changé; mais la langue est renouvelée, et ce sera l'éternel honneur de Rameau d'avoir compris quelle force dramatique et expressive pouvait avoir un accord, et d'avoir su de quelle profondeur d'accent, de quelle puissance était douée l'harmonie, qui double l'effet d'une mélodie. Son instrumentation est toute nouvelle et originale, remplie de traits heureux ou hardis; sa mélodie, un peu courte, a du nerf et de la vigueur. Il est gracieux souvent, mais cette grâce conserve toujours quelque chose de la virilité des forts (fig. 39). Rameau n'avait pas, comme Lulli, accaparé l'opéra; aussi vit-on en même temps que lui briller des com-
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positeurs dignes encore d'être cités. Trois musiciens surtout continuèrent même, après le grand maître, les traditions de la tragédie lyrique et du ballet mythologique: Mondonville, Dauvergne, et surtout Philidor, et tinrent bonne place dans l'école française. Le talent
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( J E A N - P HI
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F P E).
(Dijon, 1683.— Paris, 1764.)
de Mondonville consistait surtout dans la grâce et l'élégance. Après son succès du Carnaval du Parnasse (1749), il fut un moment, comme nous le verrons plus loin, le champion de l'école française, dans la lutte assez inutile, mais bruyante, qui divisa les musiciens et les dilettantes. Titon et l'Aurore (1753), DapKnis et Alcimadure (1754), sont devenues des partitions his-
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toriques ; il nous semble aujourd'hui que- si elles ne méritaient pas l'honneur d'être traitées de chefsd'œuvre, on leur devait mieux aussi que l'oubli profond dans lequel elles sont tombées. Dauvergne, qui écrivit les Troqueurs, le premier opéra-comique français, était surtout un artiste fin et délicat; il l'a prouvé dans son ballet des Fêtes d'Euterpe (1758) et des Fêtes de Paphos (1758). Bien supérieur à ces deux musiciens était Philidor (François-André Danican) (Dreux, 1726).— Londres, 1795). Dans Ernelinde,princesse de Norvège (1761), et dans Persée (1780), qu'il écrivit sur le vieux poème de Quinault, il retrouva quelques-uns des beaux accents expressifs de Lulli et de Rameau. Philidor, dont nous reparlerons souvent, a sa place marquée au premier rang des maîtres de notre ancien opéra-comique; mais il ne faut pas oublier, dans l'histoire de l'opéra, le seul musicien français qui, jusqu'à Méhul, ait su garder cette vigueur du style, cette virilité de pensée musicale, qui rappellent quelquefois l'auteur de Dardanus. Après ces trois maîtres, citons encore Rebel et Francœur, deux musiciens adroits; Laborde, un amateur fécond, qui fut le premier à écrire en France une histoire de la musique; Berton, le père de l'un des plus illustres maîtres de l'opéra-comique. -Nous reviendrons dans un instant sur Floquet; mais citons, pour finir, deux noms plus célèbres, sur d'autres scènes que sur celle de l'Académie de musique, mais que nous ne devons point oublier, Monsigny et Gossec. Malgré ces hommes de talent, malgré Rameau luimême, le genre pompeux de l'opéra français, déjà vieux d'un siècle, n'était pas sans fatiguer quelque peu
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le public; disons le mot, les dilettantes s'ennuyaient à l'Opéra; tant que Rameau fut dans toute la gloire de son génie, ils n'osèrent trop se révolter; mais voilà que, vers 1752, une troupe italienne, conduite par Manelli, Obtint l'autorisation de jouer en intermèdes les ouvrages de son répertoire; elle débuta par une œuvre qui avait déjà été exécutée à Paris en 1746 au théâtre Italien, et qui avait pour auteur un des maîtres d'Italie les plus sincères, les plus émus et les plus touchants, Pergolèse. Ces deux petits actes de la Servapadrona étaient loin d'avoir la puissance et la majesté des opéras, l'éclat et la pompe des ballets; mais c'était une musique nouvelle, plus animée et plus fine. La première représentation eut lieu à la suite dMcz's et Galathée, le ieraoût 1752, et le lendemain, la Serva padrona. faisait dans la rue, dans les salons, les boudoirs et'les cafés plus de bruit certainement qu'elle n'en avait fait sur la scène et dans l'orchestre de l'Opéra. Charmante, élégante de tous points, pleine d'esprit et de sensibilité, écrite dans ce style léger et pimpant qui rend si agréables les œuvres bouffes de l'école italienne, la Serva padrona formait un contraste frappant avec les opéras puissants et majestueux de Rameau et de ses imitateurs. Nous reviendrons plus loin sur les épisodes curieux de notre histoire artistique, auxquels on a donné le nom de guerres; contentons-nous de dire que si les Bouffons eurent quelque influence sur notre opéra-comique, et on a beaucoup exagéré dans ce sens, ils n'en eurent aucune sur notre opéra. La Serva padrona ne fut pas la seule œuvre ita-
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lienne exécutée dans cette circonstance. On entendit encore des opéras bouffes de Latilla, de Rinaldo di Capua, de Cocehi, de Ciampi, de Jomelli, de Léo. Quelques-unes de ces œuvres, comme le Bertoldo in Corie, eurent un immense succès ; mais six mois à peine après la première représentation à l'Opéra de la Serva padrona, la troupe italienne fut frappée d'un coup mortel. En effet, au plus fort de la querelle des Bouffons, le mardi 9 janvier 1753, on joua à l'Opéra une œuvre de Mondonville, intitulée : Titon et l'Aurore. L'œuvre n'était pas de premier ordre ; mais, comme nous l'avons déjà dit, elle n'était pas sans valeur ; les Lullistes et les Ramistes se coalisèrent; ils appelèrent à leur aide la force armée, c'est-à-dire les gendarmes de la maison du roi qui tenaient pour la musique française. Le succès fut éclatant, si bien qu'un courrier alla l'annoncer au roi, à Versailles, comme une victoire publique. Celuici, croyant évidemment faire acte louable, signa l'ordre d'expulsion des Bouffons, qui cessèrent leurs représentations dès les premiers jours de 1754; on ne voit pas très bien aujourd'hui comment le succès d'un grand opéra pourrait causer la ruine d'une troupe d'opérette, mais il en était ainsi dans ce temps-là. Tout en obéissant à l'ordre royal, Manelli avait laissé derrière lui un terrible vengeur, Rousseau, qui continua la lutte, ayant pour armes son génie de pamphlétaire plus encore que son talent, de musicien. Il était dit que Jean-Jacques serait toujours inconséquent avec lui-même. Grand défenseur des Bouffons, grand contempteur de la musique française, il écrivit
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une partition, qui n'avait rien d'italien, et dont les tendances appartenaient au contraire à notre école. C'est, en somme, assez peu de chose^qùe le Devin de village, joué avec tant de fracas à Fontainebleau d'abord, le 18 et le 24 octobre 1752, puis à Paris le i"mars 1753. Le moindre ballet de Mouret ou de Floquet contient plus de musique que ce vaudeville, Sur une pastorale un peu trop naïve, Rousseau, n'ayant ni le talent, ni la science nécessaires pour composer de la vraie musique française à la façon de Rameau ou même de Lulli ou de Campra, avait fait ou cru faire de la musique italienne. Rien de moins léger, de moins brillant, de moins italien, en un mot, que ces petits airs et ces petits duos, écrits et instrumentés d'une main maladroite, qui composaient le Devin de village, mais là justement était le mérite de l'œuvre. Elle plut par sa naïveté et son émotion. Rousseau avait pris soin de lui faire un sort; le succès de cette médiocrité sentimentale fut immense, et le Devin de village fit époque. Même après Gluck, après Méhul, après Spontini, Le Sueur, Boïeldieu, Rossini, après tous les maîtres de l'opéra et de l'opéra-comique, Rousseau trouva encore des admirateurs. Ce fut une fortune étonnante jusqu'au jour, un peu-tardif, où, en 1829, un homme de goût fit justice en lançant une perruque sur la scène de l'Opéra. Le Devin de village était condamné. Si Rousseau était faible musicien, même pour son temps, il aimait du moins la musique et la sentait vivement. Je n'ai pas besoin de rappeler son Dictionnaire de musique, dans lequel, à côté de nombreuses erreurs, se rencontrent beaucoup d'idées spirituelles et
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justes,
ses pamphlets contre la musique française,
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MU SI Q^U E
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CHAMBRE.
merveille d'esprit, de sarcasme et aussi de partialité, et son essai de notation par les chiffres. Partout dans ces
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ouvrages, on retrouve l'homme de génie, la puissante intelligence, l'esprit ingénieux et chercheur, partout aussi, l'injustice, la passion, la connaissance imparfaite des sujets qu'il traite. En dehors du Devin de village, Rousseau a encore écrit bien d'autres compositions de musique; mais son ouvrage principal est un recueil de romances intitulé : les Consolations des misères de ma vie. Les curieux y trouveront le fameux air à trois notes, la romance : « Que le jour me dure », et surtout celle qui vaut à elle seule le Devin de village tout entier : « Je l'ai planté, je l'ai vu naître. » Après les représentations italiennes, et à la suite des écrits de Rousseau, l'on voulut essayera l'Opéra du demi-genre et même du genre comique, comme Giraud, dans l'Opéra de société ( 1762). Un musicien plus connu et d'un charmant talent, Floquet (1750-1785), fit mieux encore; il tenta d'introduire la comédie musicale à l'Opéra, en donnant le Seigneur bienfaisant (1780), qui, par son titre, ses tendances, son sujet, appartenait à l'école philosophique de Rousseau, tout en étant bien supérieur au Devin de village, au point de vue musical. Ce même Floquet, qui débutait à vingt-trois ans par un triomphe : le ballet de l'Union de l'amour et des arts (1773), était ûn des meilleurs compositeurs de notre ancienne école françaiseriïnfin, c'est pendant cette période que nous voyons apparaître à l'Opéra un peu de couleur locale. Après son triomphe plus apparent que réel de Titon et l'Aurore, Mondonville voulut consoler les Parisiens de la perte des Bouffons, il leur donna une pastorale languedocienne intituléeDaphniset Alci-
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madure (1754); les airs étaient adroitement choisis parmi les chants populaires du Midi, et traités par un habile artiste, les interprètes étaient tous méridionaux et savaient chanter cette musique. Daphnis et Alcimadure eut un grand succès. Tous ces essais, toutes ces tentatives nous prouvent que la tragédie et le vieil opéra français avaient perdu bien du terrain depuis Rameau; les hommes de talent qui en conservaient encore les traditions n'auraient certainement pas suffi à le sauver, si un puissant génie n'avait à son tour paru à l'Opéra. Je veux parler de Christophe Willibald Gluck. (Voy. Portrait et autogr., Hist. de la mus., fig. 81.) Revenir sur l'étude de ce merveilleux musicien dramatique, admirer cette belle et noble expression, cette mélodie à la fois large et émue, cette harmonie quelquefois incorrecte, mais toujours puissante et expressive, cette haute conception du drame lyrique serait répéter, après tant d'autres, ce qui a été dit mieux que par nous; ce serait aussi nous écarter de notre sujet, car chaque école peut revendiquer sa part de gloire dans l'œuvre de ce maître, qui appartient à l'Allemagne par sa naissance et par son génie, à l'Italie par son éducation première, à la France par ses tendances. Nous devons dire cependant, en quelques lignes, ce que Gluck a emprunté au génie musical et littéraire de. notre pays, et quels trésors il nous a laissés en échange. C'est, en effet, une heure glorieuse et bénie dans l'histoire de notre art que celle où un des plus sublimes maîtres de la musique vint demander à nos poètes et à
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nos musiciens quelques-unes de ses plus hautes inspirations, confier à nos chanteurs l'honneur d'interpréter ses plus grandes œuvres, procurer à notre public la gloire de les applandir à leur apparition. Lorsque Iphigénie enAulide fut jouée à l'Opéra pour la première fois, le 19 avril 1774, Gluck avait soixante ans; dans sa jeunesse, il avait écrit des partitions à la manière italienne où se laissaient à peine apercevoir quelques traces de son génie; à quarante-sept ans, ouvrant enfin les yeux, il s'aperçut que la musique n'était point faite uniquement pour chatouiller agréablement Les oreilles des dilettantes ou faire briller un castrat ou une cantatrice, mais qu'elle avait un but plus élevé, émouvoir les âmes par la peinture de la passion humaine. En 1761, il fit entendre, à Vienne, Alceste, mettant en tête de sa partition une préface, sorte de manifeste artistique de l'auteur; trois ans après, il donnait Orfeo. Imbu d'italianisme, le public viennois ne pouvait guère comprendre: il se montra sinon hostile,du moins indifférent. Gluck tourna alors les yeux vers la France, comme devaient faire plus tard Rossini et Meyerbeer ; les circonstances étaient favorables, le public parisien était encore tout vibrant des luttes entre Lullistes, Ramistes et Bouffonistes. Toute défaillante qu'elle était, la tragédie lyrique avait toujours d'ardents défenseurs, et c'était elle qui répondait le mieux à l'idéal du maître ; de plus, son élève préférée, l'archiduchesse Marie-Antoinette, venait d'épouser le dauphin de France, et il était sûr de trouver une protectrice ; un amateur, le bailli du Rollet, lui, fit des ouvertures au nom de la cour de
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France, en même temps qu'il lui taillait un poème dans VIphigénie en Aulide de Racine. Gluck accepta et quitta Vienne pour Paris. Ce .choix éCIphigénie en Aulide n'était point un hasard; il montrait clairement les tendances du maître, il montrait que c'était à la grande tragédie française, à cet art du théâtre qui avait inspiré Lulli, Campra, Rameau, qu'il voulait appliquer ses théories de musique expressive, choisissant entre tous Racine, le plus expressif de nos tragiques. C'était, dans toute la force du terme, l'union de la musique et de la poésie. Après avoir ainsi pris position, Gluck revient aux opéras qu'il avait déjà fait jouer à Vienne, et le 2 août 1774, Orphée paraît sous la forme française, Alceste, le 23 avril 1776. En 1777, Gluck donne Armide, œuvre absolument nouvelle et la plus variée du maître, où la grâce la plus exquise se joint à la plus grande puissance dramatique. C'est sur le vieux poème de Quinault, déjà mis en musique par Lulli, que Gluck écrit sa partition, et en lisant l'adorable scène de Renaud : « Plus j'observe ces lieux », on peut voir que le maître allemand n'a pas été sans se souvenir du Florentin. C'est par Iphigénie en Tauride (1779), autre tragédie inspirée par la muse racinienne, que Gluck clôt la liste de ses grands chefsd'œuvre. Je passe rapidement sur le ballet de Cythère assiégée (1775), et sur Echo-et Narcisse (1779) qui fut la dernière œuvre de Gluck. Le grand maître n'a pas, comme Mozart, Weber, Beethoven ou Wagner, introduit d'éléments nouveaux dans la conception générale de l'art dramatique ; mais il a.porté à son plus haut point de génie l'an-
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cienne tragédie musicale "Hes Lulli et des Rameau, et c'est en cela qu'il se rattache indissolublement à l'école française. En écoutant cette musique, où l'accent juste fait jaillir les larmes comme un vers bien frappé, on pense involontairement à Racine. En admirant cet art sain, viril, pur de lâches concessions, élégant et gracieux sans mollesse, puissant et émouvant sans exagération mélodramatique, on sent que le maître a pris pour modèle les oeuvres sublimes de notre théâtre classique. Au point de vue musical même, Gluck a avoué qu'en écoutant Rameau, il avait beaucoup appris. N'est-ce pas le plus bel hommage qui puisse être rendu à notre école ? En revanche, que ne devons-nous pas à l'auteur d'Iphigénie, d'Alceste, d'Orphée, d'Armide! Ce qui nous manquait encore, c'était plus de largeur et de souplesse dans la mélodie, plus d'aisance et de liberté dans l'harmonie, plus de couleur et de variété dans l'orchestre; voilà ce que nos musiciens apprirent de Gluck, comme ils apprirent aussi à dessiner les larges proportions d'un finale, sur le modèle de celui d'Armide. Nous pouvons, sans hésiter, nous reconnaître pour ses tributaires, lorsqu'un tel maître a pour imitateurs les Méhul, les Le Sueur et les Cherubini. Audacieux, hardi, volontaire, ne reculant pas devant une dureté, Gluck devait, comme Rameau, trouver plus d'une résistance chez les dilettantes, encore sous le charme de la mélodie italienne; elles ne se firent pas attendre, et l'ancienne guerre des Italiens et des Français se ralluma plus ardente que jamais. Elle prit le nom de querelle des Gluckistes et des Piccinistes.
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lie un artiste illustre, Nicolas Piccini. Le musicien était bien choisi, car, sans avoir le sublime génie de son rival, Piccini était encore un maître. Nous reviendrons plus tard sur cette célèbre querelle, singulier chapitre de l'histoire de la critique musicale; disons ici qu'à peine arrivé à Paris, Piccini engagea le combat hardiment sur le terrain où Gluck avait déjà remporté tant de victoires ; il débuta à l'Opéra par Roland, tragédie lyrique en trois actes, écrit aussi sur le poème de Quinault. Ce début n'avait point été heureux, et les Picçinistes eussent été vaincus sans retour, si Devisme du Valgay, directeur de l'Opéra, n'avait fait venir d'outremonts une nouvelle troupe qui était dirigée par Piccini lui-même et qui interpréta ses œuvres italiennes. Là, le maître napolitain se trouvait sur son terrain : il était alors sans rival pour le charme, la grâce et l'abondance dés idées. Citons, parmi ses meilleures partitions, la Cecchina ossia la Buona Figliola, véritable chefd'œuvre d'esprit et d'élégance. Malgré tout le talent de Piccini et de ses collaborateurs, les Italiens, pendant cette période de deux années, n'eurent qu'un médiocre succès, et les Piccinistes au fond, peu satisfaits de Roland, voulaient voir leur champion rentrer dans l'arène plus noble de la tragédie lyrique. Gluck avait donné sa dernière œuvre, Écho et Narcisse, et depuis un an déjà, l'éclatant triomphe d'Iphigénie en Tauride avait décidé de la victoire, lorsque les Piccinistes trouvèrent, sinon une revanche, du moins une consolation dans le succès d'Atys (1780), partition pleine de grâce et de sensibilité, d'Iphigénie en Tauride (1781), qui ne put cependant soutenir
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longtemps la comparaison avec celle de Gluck, et surtout de Didon, l'œuyre maîtresse du compositeur napolitain, en 1783. Cette partition, en effet, avec l'air si pathétique de Didon : « Ah ! que je fus bien inspirée! », et la magnifique scène du troisième acte, nous montre un maître qui n'a ni la majesté, ni la beauté pure de Gluck, mais dont le coeur déborde de tendresse et d'émotion, et dont les idées sont abondantes, gracieuses et expressives; c'est la création, non point d'un génie, mais d'un talent de premier ordre. Malgré ses efforts pour se rapprocher du genre français, Piccini n'y put réussir complètement; il resta Italien, non seulement par le tour des mélodies, mais aussi par son style qui était fleuri, élégant et tendre, tout en restant loin de la profondeur et de la puissance dramatique de Gluck. Un autre musicien, Sacchini, mort à quarante-cinq ans, se rapprocha davantage en quelques endroits du grand auteur àiAlceste, avec Renaud (1783), avec Chimène (1784), inspirée par le Cid de Corneille, avec Dardanus(17S4), dont il faut retenir l'air si pathétique': « Arrachez de mon cœur le trait qui le déchire », et surtout avec la belle scène d'Œdipe et d'Antigone dans Œdipe à Colone (1787), son chef-d'œuvre. Vers la même époque, était arrivé à Paris un musicien italien aussi, nommé Salieri, déjà connu par un grand nombre d'opéras joués en Italie et à Vienne. Avec son premier ouvrage des Danaïdes (1784), il remporta un éclatant succès. Gluck lui avait donné des conseils et on sent l'influence du maître dans la magnifique scène de la conspiration, dans la touchante prière
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d'Hypermnestre : « Par les larmes de votre fille », dans le chœur : <t Descends dans le sein d'Amphitrite ». Cependant Salieri était plus qu'un imitateur et un élève; il l'a prouvé avec Tarare (17.87), œuvre singulière, mais puissante et variée,dont Beaumarchais avait fait le poème, précédé d'une préface célèbre, dans laquelle l'illustre père de Figaro avait exposé sa théorie nouvelle de l'opéra ; entre autre innovation, il voulait que le comique se mêlât au tragique. Salieri avait l'entente de la scène, la chaleur et la passion; il réussit les pages dramatiques, comme le finale du second acte, traitant médiocrement la partie légère; cependant Tarare fut un des grands succès de cette période. Un autre musicien italien, Paesiello, vint vers le même temps se faire jouer à l'Opéra. Nous reparlerons de lui en racontant l'histoire de l'opéra-comique. Comme le prouve le Roi Théodore (1787), Paesiello était demeuré bien Italien, tout en abordant la scène où avaient brillé Rameau et Gluck, et lorsqu'il voulut imiter le style de la tragédie lyrique française avec Proserpine (r8o3), qu'il avait écrite sur un poème de Quinault, il resta bien au-dessous de ses modèles. Voilà encore un artiste étranger, Allemand celui-là, Jean-Christophe Vogel, né à Nuremberg. Il trouva encore des succès dans l'imitation fidèle et presque servile de Gluck. Il mourut à trente-deux ans, et on joua de lui, à l'Opéra, la Toison d'or (1786) et Démophon (1789), œuvre posthume dont l'ouverture est restée célèbre. Pendant ce temps, quelques musiciens français peuvent aussi être cités à côté des maîtres étrangers. Parmi
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après eux, voici Candeille, Lemoyne, Le Froid de Méreaux, artistes estimables, mais en somme médiocres. Candeille, refaisant Castor et Pollux (1791), devait son succès aux pages du vieux Rameau, qu'il avait conservées dans sa partition. Lemoyne avec Electre (17&2), Phèdre (1786), Nephté (1789) et Louis IX en Égypte (1790), qui indique une louable tendance à s'éloigner des tableaux mythologiques pour puiser des sujets dans l'histoire de France, se faisait applaudir; mais son grand succès était une sorte d'opéra-comique, intitulé : les Prétendus (1789). C'était avec Œdipe à Thèbes (1783) que Le Froid de Méreaux prenait une place honorable parmi les musiciens de second ordre. En revanche, la musique légère et de demi-genre venait occuper à l'Opéra la place de la tragédie lyrique; des artistes tels que Champein, Jadin et même Dezède, fredonnaient leurs couplets de vaudevilles sur la scène où retentissaient encore les majestueux accents de Gluck. Un maître, Grétry, enflait sa voix pour chanter les aventures de Céphale et Procris (1775) et les amours d'Andromaque (1775); mais malgré tout son esprit, malgré ses prétentions à peindre fidèlement l'antiquité, il n'arrivait à produire que des oeuvres enfantines; il le comprit sans l'avouer, et, abandonnant le style pompeux, il retrouva d'éclatants succès avec des opéras de demi-genre et même bouffons, comme la Double épreuve ou Colinette à la Cour, comédie spirituelle et fine (1782), avec la Caravane du Caire (1784), partition d'un style maigre et lâché, mais renfermant d'agréables airs de ballet, avec Panurge dans l'île aux Lanternes (1785), véritable bouffonnerie qui ne man-
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quait pas d'esprit. Ce n'est pas là qu'il faut chercher Grétry, moins encore dans des opéras de circonstance qu'il écrivit pendant la période révolutionnaire et qui frisent le grotesque. Après avoir cité deux agréables musiciens de ballet, Eler et Edelmann, saluons une première fois deux noms qui seront la gloire de notre art national : Méhul, qui fit jouer Cora en 1791, et un Italien devenu Français par le génie et par la naturalisation, Cherubini,dont on entendit le Démophon en 1788. Cora et Démophon eurent peu de succès, mais l'apparition de ces deux maîtres à l'Opéra est à signaler. Nous passerons rapidement sur la période révolutionnaire. Les musiciens ont conservé un souvenir reconnaissant à cette République qui créa l'Institut et le Conservatoire, mais ils ne surent pas trouver dans le drame lyrique les mâles accents dignes du temps pendant lequel ils vivaient. Horatius Codés et Timoléon, de Méhul (1794), mérite seul d'être cité ; c'est d'ailleurs dans la rue, sur les champs de bataille que la musique a trouvé ces deux cris ardents de liberté et de victoire : la Marseillaise et le Chant du départ. , Les dernières années du xvnr3 siècle et les premières du xix° siècle virent comme une sorte de réveil chez nos musiciens lyriques. Une évolution s'était accomplie dans la littérature comme dans la peinture; abandonnant les aimables galanteries mythologiques et autres du xviue siècle, les peintres et les écrivains s'étaient inspirés d'un art plus haut, et avaient demandé leurs inspirations aux Romains d'abord, aux Grecs ensuite, et mieux encore, enfin, à nos vieilles légendes françaises tant méprisées de Boileau, et aux génies de l'Aile-
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magne et de l'Angleterre. Les musiciens suivirent ce mouvement à l'Opéra comme à l'Opéra-Comique, et l'on applaudit alors quelques-unes des plus nobles et des plus fortes œuvres dont s'honore le plus notre école. En effet, si Anacrêon che\ Polycrate (1797), le Casque et les colombes (r8oi) de Grétry, appartiennent encore au genre galant et suranné du siècle précédent, deux maîtres, Méhul et Cherubini, conservent et relèvent les grandes traditions de l'école lyrique française. Méhul, dix ans après son début malheureux de Cora, deux ans après les deux belles œuvres d'Horatius Coclès et de Timoléon (au théâtre delà République), faisait entendre Adrien en 1799, œuvre écrite d'un style noble et élevé et dont les chœurs sont admirables. En même temps, il donnait, en 1800, la Dansomanie, aimable ballet dans lequel la valse apparut pour la première fois à l'Opéra. A côté de lui, Cherubini, son rival, qui fut toujours son ami, donnait Anacréon (i8o3), partition dont la grâce et le charme égalaient l'élévation et la pureté du style;'Tannée suivante, paraissent Achille à Scyros, dont la postérité a gardé une ■admirable page pittoresque, la Bacchanale; en 1813, il donnait les Abencerages, œuvre pleine de noblesse et de grandeur. A côté de Méhul et de Cherubini dont nous reparlerons au sujet de l'Opéra-Comique, bien des noms brillèrent encore à l'Opéra : Catel, le savant continuateur de Rameau, Berton, Persuis, Lebrun qui eut, avec le Rossignol, le mérite du succès, sinon celui du talent. Puis avant l'époque où Rossini parut, voici déjà de jeunes musiciens qui se pressent à la porte de notre
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première scène lyrique ; parmi eux distinguons, dès
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LE
SOEUR
(j E AN - FR&NÇ OIS. )
(Drucat-Pressiel, 1763. — Paris, 1837.)
maintenant, un compositeur qui ne tardera pas à être
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une des gloires de notre école, Hérold, dont le premier opéra, Lasthe'nie, est de 1823. Cette longue période de l'histoire de l'opéra, qui commence avec Cambert et Lulli, pour finir avec les premières partitions françaises de Rossini, est couronnée par deux œuvres magistrales, Ossian ou les Bardes (1804) de Le Sueur (Jean-François), né à DrucatPressiel, 1763. Paris, 1837) (fig. 44) et la Vestale (1807) de Spontini (1774-1851). Si deux opéras semblent faits pour marquer les différences de l'école française et de l'école italienne, ce sont certainement ces deux chefs-d'œuvre, car tous deux sont de haute, noble et fière allure, tous deux ont remporté un immense succès, tous deux paraissent dignes de figurer au rang des créations maîtresses. La Vestale et les Bardes sont bien de leur époque; on retrouve dans toutes les deux ce style large et pompeux, on dirait aujourd'hui décoratif, mais aussi déclamatoire, qui caractérise la peinture, la poésie, le théâtre du temps de l'Empire ; mais là s'arrête la ressemblance. Dans la Vestale, Spontini a la passion, la chaleur, la tendresse, comme dans le duo avec, Licinius, la prière de Julia, etc.; il a le mouvement, l'intérêt scénique comme dans le finale et la marche funèbre; la noble expression et l'abondance comme dans le duo de Licinius et du grand pontife; mais, en revanche, on sent chez lui une tendance à chercher l'effet dans la sonorité et le rythme, à développer inutilement les scènes, sans profit pour l'action dramatique, à abuser des redondances, à prendre les formules et le bruit pour de la musique. Dans la Vestale, comme
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dans Fernand Corte\ (1809), comme dans Olympie (1819), mais à un moindre degré, le génie du maître se compose de Spontinird'abord, disons-le, puis de Gluck, de Mozart; le maître est éclectique, comme le seront plus tard Halévy et Meyerbeer, mais avant tout, malgré ses efforts pour se rapprocher de l'école française, Italien il est, et Italien il reste. Bien différents sont les Bardes, partition aujourd'hui moins célèbre, à cause de la médiocrité du poème probablement, mais d'une valeur au moins égale. Ici tout est sobre, précis; s'il faut signaler un défaut, ce sera peut-être un peu de sécheresse, mais l'œuvre est avant tout sincère. Le maître est de ceux qui pensent qu'un coup suffit, pourvu qu'il soit bien frappé, et il le frappe au bon moment : lui aussi, il a la grâce, mais cette grâce virile qui ne tombe jamais dans la mollesse. Aussi quelles belles et nobles pages, que le trio du premier acte d'un tour si aisé! le chœur : « Vagues, courbez vos têtes », et le quintette du second; l'air d'Hydala, au troisième, d'un sentiment si exquis et si délicat, exprimé par une mélodie admirable de pureté et d'éloquence et, dans ce même acte, la belle scène de la fête avec le chœur des conjurés, dont le rythme implacable et toujours grandissant est d'un puissant effet dramatique et pittoresque! Enfin, au quatrième, voici la vision d'Ossian, page fantastique d'une frappante originalité d'harmonie et de mélodie. C'est là, en effet, la grande supériorité de Le Sueur. Sa musique n'est ni du Gluck, ni du Mozart; c'est du Le Sueur; moins ému, mais plus élevé que Méhul, moins abondant, mais plus pittoresque et plus profon-
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dément dramatique que Spontini, il est toujours luimême. Si on pouvait le comparer à un maître, ce serait à Rameau, dont il a quelquefois la vigueur et surtout les tendances à rechercher la musique descriptive. Il possède la concision, la justesse et la sobriété, ces grandes qualités françaises. Spontini fut le dernier classique de l'ancienne école, Le Sueur fut le premier romantique de la nouvelle. Dans ses opéras-comiques que nous retrouverons au chapitre suivant, dans la Mort d'Adam, jouée à l'Opéra en 1802, on sent une préoccupation de vouloir faire exprimer à la musique ce qu'elle n'avait pas encore dit; cette préoccupation nous semble exagérée, quelquefois au point de faire sourire, mais il y a là comme une note inentendue dans l'art français et nos compositeurs modernes en ont conservé le souvenir. Le Sueur fut le maître de Berlioz, et malgré lui, l'auteur de la Damnation de Faust a subi sa magistrale influence. Nous l'avons dit le premier et nous en sommes fier : « De tous les compositeurs qui vinrent après Le Sueur ou furent ses élèves, Berlioz est celui qui rappelle le plus la manière du maître. Il avait, comme lui, l'imagination ardente et poétique; comme lui, il aimait les grandes et magistrales combinaisons sonores; il recherchait, comme lui, les sujets permettant de donner carrière à son génie avide d'innovations. Il est possible que Le Sueur ne lui ait pas appris matériellement le maniement de l'orchestre; mais, à coup sûr, il n'a pas été sans influence sur les l tendances romantiques de l'auteur des Troyens . » 1. Lavoix,
Histoire de l'instrumentation,
p.
33g.
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A l'Opéra, dans le genre lyrique, à l'Opéra-Comique, dans le demi-genre, à l'église dans le style sacré, où il se distingua au premier rang, nous retrouvons le vieux maître picard, et si le nom de Le Sueur est tombé dans
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45.
L'APOXLON
DE
IA
GREVE.
un injuste oubli, c'est à l'historien de saluer de nouveau au seuil de ce siècle le grand artiste qui, à défaut de ses œuvres, aurait encore la gloire d'avoir été le maître de trois musiciens de l'école française que nous admirons le plus aujourd'hui, Berlioz, Gounod et Ambroise Thomas,
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Algarotti. Saggio sopra l'opéra in musica. Traduction française par Chastellux, in-8", 1773. Arteaga. Le revolu^ione del teatro musicale lialiano. Deuxième édition, 1785, traduction française, in-8°; Londres, 1802. Chefs-d'œuvre de l'opéra français. (Collection Michaelis.) Campardon. L'Académie royale de musique au xvm0 siècle, 2 vol. in-8°, 1884. Chouquet. Histoire de la musique dramatique en France, in-8°,
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Racine et la musique. (Galette musicale, 1878.) — L'opéra en 1788, in-8°, 1875.—' Un potentat musical. — Papillon de la Ferté, in-8°, 1876. — La Cour et l'Opéra sous le règne de Louis XVI, in-8°, 1875.
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�CHAPITRE II
LA
COMÉDIE
EN
MUSIQUE
V opéra-comique et ses origines : La comédie-ballet et le balletféerie. — Le théâtre de la Foire et ses vicissitudes : Les musiciens et les auteurs de la Foire : Gilliers, Mouret, Labbé, Lesage, Fuzelier d'Orneval, Monnet, Favart, Dauvergne et les Troqueurs.— L'opéra-comique littéraire : Philidor, Monsigny, Grétry, Sedaine et Marmontel. — L'école lyrique et romantique : Cherubini, Méhul, Le Sueur, etc. — La littérature étrangère : Shakespeare et Ossian.— L'Ecole sentimentale et de demi-genre : Berton,Kreutzer, Nicolo, Boïeldieu, etc.— Les musiciens étrangers : Paesiello, Paer, Steibelt, etc. — Les petits maîtres du vaudeville musical et de Vopérette: Dezèdes, Champein, Solier, Gaveaux, Devienne, Délia Maria, Dalayrac, etc.
La gentille pastorale de Robin et Marion, d'Adam de la Halle, les chansons de toute espèce dont retentit le moyen âge, les ballets du xvn8 siècle, avec les couplets de Guédron, deMauduit, de D'Assoucy, bien frappés et bien tournés à la française ; les comédies de Molière, comme leBourgeoisgentilhomme ou le Malade imaginaire, agrémentées de l'aimable musique de Lulli ou de Charpentier, quelques-unes des cantates comiques dont nous parlerons au chapitre suivant, de joyeux refrains à boire, comme ceux de d'Ambruys ou de Dubuisson, de francs couplets comme le Bavolet, de
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Charpentier, qui fut inséré dans le Mercure de France, et par-dessus tout des chants populaires aimés et connus de chacun, chantés sur les tréteaux de la foire et du Pont-Neuf (fig. 43, 45 et 46), colportés par les chanteurs ambulants, ces héritiers de Tabarin et de Gautier Garguille; telles furent les origines musicales de notre opéracomique et de notre comédie en musique. Sans nous perdre dans les recherches du passé qui sont œuvre d'érudit, nous prendrons l'opéra-comique là où il est né, là où il a lutté, là où il a grandi : sur le pavé de Paris, à la Foire Saint-Laurent et à la Foire Saint-Germain. C'est une histoire en même temps triste et comique que celle de ce petit théâtre, qui luttait, lui pauvret, contre des puissances comme la Comédie-Italienne, le Théâtre-Français, l'Opéra même, et qui se voyait réduit au silence au plus fort du combat, supprimé par un ordre du roi, à l'heure même de la victoire. Il nous faut remercier ces baladins de la Foire qui ont si vaillamment combattu pendant près d'un siècle, car c'est à eux que nous devons la création de l'opéracomique. Les acteurs italiens de la Foire, grâce au célèbre Dominique, grâce aux pièces spirituelles de Regnard, de Boursault, de Dufrêny, grâce aux aimables couplets de Lorenzani, de Charpentier, de Massé, avaient su se faire aimer et choyer du public, lorsqu'un ordre du roi vint les chasser de France. Ceci se passait en 1697; les baladins français de la foire profitèrent du départ de leurs confrères étrangers, s'approprièrent quelques-unes des meilleures pièces de leur répertoire, celles de Regnard, par exemple, puis
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i4s
en firent composer à leur tour. Leurs succès excitèrent la jalousie autant de la Comédie française que de l'Opéra, qui les forcèrent à se taire; mais ils tournèrent bientôt la difficulté en jouant les pièces par écriteaux. L'acteur faisait les gestes, et il sortait de sa poche un rouleau qu'il montrait au public et sur lequel étaient
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46.
LES
TRÉTEAUX
DE
LA
FOIRE.
écrits, en gros caractères, les vers qu'il aurait dû chanter; un petit orchestre de huit musiciens jouait la musique, quelques personnes apostées dans la salle donnaient l'exemple en chantant la chanson, et tout le public suivait. Bientôt ce moyen primitif fut remplacé par un autre plus compliqué. Les vers furent écrits sur des tableaux que faisaient descendre du cintre deux enfants déguisés en amours (fig. 47). C'était évidemment aussi ingénieux qu'amusant,
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
puisqu'on pouvait, à la fois, rire de la pièce, narguer l'autorité et aussi prendre part au jeu; mais pareil théâtre ne pouvait durer bien longtemps et la musique surtout n'aurait guère trouvé son compte à ce système; on pense bien, en effet, que des pièces à écriteaux^ne se chantaient que sur des airs connus, des ponts-neufs et des flonflons comme la Faridondaine, Quand je tiens t ce jus d'octobre, etc. Bientôt les théâtres de la Foire traitèrent avec l'Opéra, et, moyennant finances, eurent le droit de chanter à leur guise. Ce fut alors qu'apparut dès la première pièce la foire de Guibray de Le Sage (foire Saint-Laurent), un gentil musicien spirituel, gai et suffisamment varié, nommé Gilliers, « à qui l'on est redevable des meilleurs vaudevilles qui se sont entendus dans l'Europe depuis plus de quarante ans », dit la préface du Théâtre de la Foire (1721). Le petit répertoire de Gilliers se compose de couplets, de romances, de courtes symphonies, d'airs de ballet, de duos et même de grandes cantates sérieuses, écrites d'un bon style. Toute cette musique nous montre dans Gilliers un véritable musicien d'opéra-comique, auquel il n'a manqué qu'un théâtre pour prendre le rang que méritait son talent. Gilliers ne fut pas le seul compositeur de la Foire et des artistes, fournisseurs ordinaires de la sérieuse Académie de musique, comme Mouret, M110 Laguerre, Bernier, le célèbre musicien religieux, Labbé, Corette, Desrochers, Raillard, ne dédaignèrent pas d'écrire, pour le théâtre de la Foire, des couplets et même des ensembles. Ce fut en 1714 qu'apparut pour la première fois
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
parodie du style pompeux et redondant de l'opéra ; mais, en grande dame, l'Académie royale se montrait d'autant plus magnanime que la Foire la payait pour avoir le droit de chanter et même de la chansonner. Il n'en était pas ainsi de la Comédie française et des Italiens rentrés en France depuis 17 r 3 ; ils firent aux théâtres de la Foiré une guerre acharnée. Ceux-ci racontaient en scène toutes leurs affaires au public, aussi bien assistons-nous souvent à leurs querelles contre leurs puissants ennemis. Ils se défendaient bien et n'épargnaient ni la Comédie française ni les Italiens; mais les privilèges étaient là, terribles, inflexibles, et il fallait céder, si bien qu'un beau jour l'opéra-comique dut se réfugier chez Polichinelle, dans la baraque des marionnettes étrangères, événement dont les spectateurs furent prévenus en ces termes : « Les auteurs de l'opéra-comique voyant encore une fois leur spectacle fermé, plus animés par la vengeance que par un esprit d'intérêt, s'avisèrent d'achèter une douzaine de marionnettes et de louer une loge où, comme des assiégés dans leurs derniers retranchements, ils rendirent encore leurs armes redoutables. Leurs ennemis, poussés d'une nouvelle fureur, firent de nouveaux efforts contre Polichinelle chantant; mais ils n'en sortirent pas à leur honneur. » (1722, préface de l'Ombre du cocher poète; fig. 48.) Si petit qu'il fût, l'opéra-comique n'était pas un ennemi facile à vaincre. Abattu, il mordait encore et sa dent était dure; il fit si bien qu'il se releva de nouveau, trouva des protecteurs et alla chanter ses chansons au Palais-Royal même. En 1730, il se défendait toujours gaiement contre les attaques de la Comédie trançaise et
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
de la Comédie italienne et avec l'aide de l'Opéra; mais sa plus grande victoire fut de s'attacher Favart, l'heureux auteur de la Chercheuse d'esprit. Enfin, le triomphe définitifparut devoir couronner tant de persévérance lorsque l'opéra-comique eut pour directeur, en 1743, un homme habile entre tous, hardi, entreprenant et qui avait nom Jean Monnet (fig. 49). En deux mois Monnet transforma la salle, commanda des costumes et des décors à Boucher, réunit un excellent orchestre conduit par Rameau, une troupe parfaite de comédiens, de chanteurs et de danseurs; avec de pareils éléments et grâce à l'aimable talent de Favart, il obtint aux deux foires Saint-Laurent et Saint-Germain, en 1743 et 1744, des succès éclatants. C'en était trop, l'Opéra-Comique devenait théâtre ; les Comédies française et italienne jurèrent sa perte, elles réussirent, mais cette fois la lutte fut vive. Monnet avait su se faire non seulement une troupe et un répertoire, mais un public; celui-ci résista parla force aux sergents exécutant l'ordre d'expulsion, ce fut dans la salle une véritable émeute que le directeur luimême dut apaiser (1744); la victoire resta encore une fois au privilège, et du coup pour longtemps. Ce ne fut que huit ans après, que l'Opéra-Comique rouvrit de nouveau ses portes. Après avoir couru plus d'une aventure singulière, connu la faillite et la prison, pris de l'expérience et encore plus d'audace, Monnet recommença l'entreprise en 1752, fit hardiment reconstruire une salle à la foire Saint-Laurent, salle qui resta longtemps un modèle, réunit encore d'excellents artistes et chorégraphes, tels qu'Anseaume, le célèbre
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MONNET
(jEAN).
(Condrieux, près Lyon, 1703; — mort vers 1785.)
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Laruette, Noverre, eut pour chef d'orchestre Davesnes, un des bons musiciens de l'époque et artiste de l'Opéra, et pour auteur, Vadé, alors dans toute sa vogue. Cette fois Monnet, au lieu de se défendre, attaqua le premier; c'était le moment des bruyants succès des opérettes de Pergolèse, d'Anfossi, etc.; au plus fort de la Querelle des Bouffons, il s'élança résolument dans la bataille, prenant parti pour les Français contre les Italiens, contribua puissamment à la défaite et à l'exil de ceux-ci. En même temps il pensa qu'il n'y avait pas déjà si loin des anciens opéras-comiques de la foire, chargés de musique, aux intermèdes musicaux des Italiens dont les pièces étaient beaucoup moins variées et beaucoup moins amusantes que les nôtres. Il s'entendit avec un musicien de talent, Dauvergne, fort connu par des opéras et delà musique d'église, lui fit écrire des ariettes, des chœurs et des duos sur un vaudeville de Vadé, et ainsi naquirent à la foire Saint-Laurent, le 3o juillet 1753, les Troqueurs, que l'on considère comme le premier opéra-comique français, partition, selon nous du moins, de beaucoup supérieure au Devin du village de Rousseau, qui eut cependant les honneurs de l'Académie de musique. De ce jour l'opéra-comique était définitivement fondé, non point à l'imitation des Italiens, comme on s'est plu à le dire, mais malgré eux et contre eux. Sans les injustes tracasseries de l'administration, sans la stupide tyrannie de la Comédie italienne et de la Comédie française, l'opéra-comique fût né certainement cinquante ans plus tôt. C'est merveille de voir qu'il ait résisté à tant d'attaques.
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Monnet, tout hardi qu'il était, avait usé de subterfuge; afin de tourner les règlements et de profiter aussi de l'engouement du goût du public pour la musique italienne, il avait annoncé les Troqueurs comme étant un opéra d'outre-monts; ce ne fut qu'après le succès, qu'il déclara que compositeur et poète étaient Français. Après cinq ans d'une brillante direction, il passa la main, et aussitôt qu'il ne fut plus là pour tenir en respect les Italiens, ceux-ci revinrent à la charge. Il y eut transaction et, en 1762, la Comédie italienne recueillit les principaux artistes et acteurs de l'Opéra-Comique; alors un fait singulier se produisit : celui-ci engloba les Italiens dans son succès, à ce point qu'il ne fut plus question d'eux et que l'ancien théâtre d'Arlequin et de Scaramouche devint le temple du genre tout français de la comédie à ariettes (fig. 52). L'ouverture du nouvel Opéra-Comique, réuni à la Comédie italienne, se fit en 1762 avec Biaise le savetier de Sedaine et Philidor. De cette époque date une des plus brillantes périodes de notre école française de demi-genre. La fusion des deux théâtres avait formé une admirable troupe où l'on applaudissait des acteurs comme Carlin, Rochard Caillot, Piccinelli, Clairval, Laruette, Oudinot, Mme Favart, plus tard Chenard, Noinville, M11103 Laruette, Trial, Dugazon. A ces excellents artistes, vinrent se joindre des poètes comme Sedaine et Marmontel, l'un doué de cette délicate sensibilité qui, d'un mot, sait remuer l'âme de l'auditeur; l'autre, esprit fin et ingénieux qui savait si bien mettre en scène et disposer pour la musique les jolis contes du xvme siècle. Ces auteurs apportaient
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aux musiciens ce qui leur avait manqué jusqu'à ce jour dans les vaudevilles de la foire, des pièces bien faites, des sentiments vrais à peindre, des émotions justes à rendre. Si nous voulons chercher en dehors des maîtres eux-mêmes les origines de cette jolie école représentée par Philidor, Gossec, Grétry, Monsigny, etc., il est inutile de penser beaucoup aux Italiens et à Pergolèse. Sedaine, Marmontel, Florian et leurs contemporains ont inspiré les compositeurs et sont, avec nos musiciens, les vrais créateurs du genre. En 1789, le coiffeur de la reine, Léonard Autier, avait obtenu un nouveau privilège pour un théâtre de musique. Il l'ouvrit sous le nom de théâtre de Monsieur, qui après la Révolution s'appela le théâtre Feydeau. Paris posséda ainsi jusqu'en 1801 deux scènes d'opéracomique : l'ancienne, qui garda le nom deFavart; la nouvelle, qui sé nomma, ainsi que nous venons de le dire, théâtre Feydeau. Cette rivalité eut pour notre école les plus heureux résultats, car c'est à elle qu'il faut attribuer, en partie, la prodigieuse fécondité dont firent preuve nos compositeurs pendant cette période. Encouragé par le succès des Troqueurs, Monnet avait appelé à lui un Italien nommé Duni, compositeur aimable, mais assez faible, dont on joue encore quelquefois un gentil vaudeville musical intitulé : les Deux chasseurs et la laitière (1763) (fig. 80) ; mais les deux compositeurs d'opéra-comique, les plus musiciens de cette période, furent Philidor et Gossec. Danican Philidor, auquel les historiens n'ont pas toujours donné la place qui lui était due, était né d'une famille d'artistes connus depuis le règne de Louis XIII. Il avait
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fait d'excellentes études avec Campra et avait appris, en écoutant la musique de Rameau, le secret du style plein et large qui distingue le maître dijonnais. C'est en effet par la belle sonorité des chœurs, par la forme soignée de l'orchestre et neuve pour l'époque, que Philidor se rapproche de l'immortel auteur de Dardanus, surtout dans des grands opéras comme Ernelinde dont nous avons parlé plus haut. Dans ses opéras-comiques, le style est naturellement moins noble et moins pompeux; mais ony sent encore le musicien de race. Voyageant beaucoup pour soutenir sa réputation européenne de joueur d'échecs, où il trouvait à la fois honneur et profit, Philidor entendit de la musique en Angleterre, en Allemagne, en Italie, étendant ainsi ses connaissances musicales; de là dans sa mélodie, comme dans son harmonie, quelque chose de plus varié, de plus souple et de plus riche que dans la musique de ses contemporains, surtout de Monsigny et de Grétry. Avant Cherubini, Méhul, Berton, etc., il avait donné aux ensembles un développement et une allure qui révélaient le véritable musicien. Moins sincère que Monsigny, moins spirituel que Grétry, il avait plus d'idées, plus d'inspiration vraiment musicale que ces deux maîtres; sa déclamation était puissante et trop superbe peut-être pour le genre qu'il avait adopté. Je n'en veux pour exemple que le bel air de Tom Jones (1765); cependant il avait aussi la franchise et la gaieté, comme on peut le voir dans l'air si bien fait du Maréchal ferrant(ij6i) : « Oui,je suis expert en médecine », ou le trio du Sorcier (1764). Ses succès furent immenses et balancèrent ceux de Grétry et de Monsigny.
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Si la postérité n'a pas maintenu ce compositeur, un des plus remarquables de notre école, au rang où ses contemporains l'avaient placé, peut-être faut-il attribuer cette injustice à ce que Philidor fut moins heureux dans le choix de ses poèmes ; son talent, mâle et vigoureux, convenait peut-être moins aussi aux auteurs dramatiques de son temps comme Sedaine et Marmontel, que l'âme tendre de Monsigny ou l'esprit ingénieux de Grétry. Il est un autre compositeur qui, lui aussi, a pris grande part au progrès de l'école française et auquel l'histoire n'apas rendu pleine et entière justice. Je veux parler de Gossec (François-Joseph, 1733-1829), que nous avons déjà rencontré à l'Opéra; Gossec, qui créa la symphonie en France; Gossec, qui brilla au premier rang des musiciens religieux ; Gossec, qui fut un des chantres inspirés des hymnes révolutionnaires; Gossec, qui eut, un des premiers, l'idée d'un établissement d'éducation musicale qui donna plus tard naissance à notre Conservatoire; Gossec, qui fut un de ces ouvriers de la première heure, que la postérité dédaigne trop souvent. Comme Philidor, il avait appris la musique sous la puissante influence de Rameau ; comme lui, il la savait et la connaissait bien. Sa mélodie était franche et pleine, le caractère de son chant était la facilité et la rondeur; il avait surtout la sonorité du style instrumental et vocal, qualité qu'il possédait au même degré que Philidor et à un bien plus haut point que Monsigny et Grétry. Ses plus grands succès furent : le Faux Lord (1764), Toinon et Toinette (1767), et surtout les Pêcheurs (1766).
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Malgré l'incontestable talent de Gossec et de Philidor, ce furent Monsigny et Grétry qui restèrent les artistes lés plus illustres de cette période. Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) était né, non pour la musique, puisque l'art du musicien lui fut toujours à peu près étranger, puisqu'en dehors de la scène il ne voulut ou ne put jamais rien écrire, mais pour le théâtre. C'est merveille de voir avec quelle justesse il sait rendre jusqu'à la moindre nuance les sentiments de ses personnages; à force de sentir vrai, il est arrivé à être non seulement ému et touchant, mais aussi fin, spirituel et naïf. En écoutant une de ses premières oeuvres, le Cadi dupe', écrite à grand'peine, après quelques leçons indispensables, Sedaine s'était écrié : « Voilà mon homme. » En effet, à partir de ce jour il en fit son musicien, et rarement collaboration n'a été plus intime entre ces deux esprits de compositeur et de poète. Voici On ne s'avise jamais de tout (1761), joli badinage d'esprit, puis les chefs-d'œuvre d'expression pathétique comme le Roi et le Fermier (1762), Rose et Colas (1764), la Belle Arsène (poème de Favart) (1775), avec le trio : « Doux espoir de la liberté », l'air : « L'art surpasse la nature ». J'ai gardé, pour la fin, le Déserteur (1769), ut Félix, ou l'enfant trouvé (1777), qui résument tout le talent de Monsigny. Il faut la conserver dans les archives de notre école, cette petite partition du Déserteur, bien pauvre quelquefois, bien naïve, mais d'une si exquise sensibilité; il faut savoir par cœur, pour bien connaître Monsigny, l'air d'Alexis : « Adieu, chère Louise»; si juste, si ému et si vrai, cet autre air : « Je .ne déserterai jamais »; plein de désinvolture et
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d'élégance, le duo si spirituel de la prison, avec son double chant, innocent artifice de contre-point déjà bien des fois employé, mais qui, sans y paraître, dut coûter cher à Monsigny. Dans Félix nous le retrouvons encore tout entier avec le duo touchant : « Adieu, Félix », le trio profondément pathétique : « Ne vous repentez pas, mon père ». C'est de la musique plus parlée quechantée, mais parlée avec le cœur. On raconte que Monsigny a dit lui-même qu'après Félix, il ne s'était plus trouvé une idée et par conséquent avait cessé d'écrire à quarante-huit ans. Ce n'est certainement pas Grétry (fig. 5o) (Liège, 1741. — Paris, i8i3)qui aurait donné l'exemple d'une pareille abdication, car depuis longtemps affaibli par l'âge, il composait encore; mais dans la période qui nous occupe de 1760 à 1788, il tint incontestablement le premier rang dans la musique de demi-genre. C'est avec le Huron et Lucile (1768 et 176g) qpe nous devons faire commencer sa carrière de maître. C'est avec Richard Cœur de Lion, en 1784, qu'il nous faut fermer la liste de ses œuvres capitales. Ce n'est pas, comme Monsigny par la naïveté et la simplicité qu'il sut conquérir le succès; il fut naïf quelquefois, il est vrai, mais dans son admiration pour luimême. A chaque page de ses Mémoires qu'il a intitulé : Essais sur la musique, il commente ses œuvres, les retourne, les explique, les admire, fait, un. sort à la moindre mesure; bref, il s'écoute chanter et s'applaudit. Le plus curieux, c'est qu'il faut le suivre et applaudir avec lui. A force d'intelligence du théâtre et d'esprit, il trouve toujours et partout la note juste, le morceau bien dessiné
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et bien en scène. Méhul a dit de lui : « Plus d'esprit que de musique. » Le mot du grand artiste était profond et vrai, mais on pourrait ajouter qu'il est bien des cas où l'esprit peut être de la musique. Adam, de son côté, a dit : « Grétry avait mal appris, mais il devinait beaucoup. » En effet, son harmonie est faible, son instrumentation presque élémentaire, son style tellement lâché et incolore « que l'on ferait passer un carrosse entre la basse et les parties supérieures », comme l'on disait déjà de son temps, et cependant on est surpris parfois de trouver des passages où l'instinct a remplacé la science, des effets pleins d'imprévu et d'ingéniosité. Ils sont nombreux, les opéras-comiques de Grétry. Dans le Huron, sa première pièce, on peut déjà deviner les charmantes qualités du maître; dans Lncile et le fameux quatuor : « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille », qu'il n'est pas besoin de qualifier de chefd'œuvre puisque Grétry s'est déjà chargé lui-même de le louer, le musicien est encore sentimental et ému. Voici le Tableau parlant (176g), où dominent la finesse et l'esprit, puis Sylvain, les Deux avares avec sa marche célèbre (1770), où se trouvent des .pages charmantes. En J771, c'est Zémire et A\or avec sa romance : « Du moment qu'on aime ». U'Ami de la maison (1771), la Fausse magie (1775) et VAmant jaloux (1778) prouvèrent que la musique pouvait parfois être aussi précise et aussi spirituelle que la parole. A partir de cette époque, et pendant près de dix ans, Grétry courtisa la grande muse de l'opéra, mais à sa manière. Ne pouvant chausser le cothurne delà tragédie lyrique (il l'a bien prouvé avec Andromaque et Céphale et Procris), il eut
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l'adresse de mener la comédie à l'opéra. Colinette à la Cour{id.), VEmbarras des richesses (1782) et surtout la Caravane du Caire (1784) sont autant d'opéras comiques spirituellement écrits, tantôt dans la note sentimentale, tantôt sur le ton comique et même bouffon; mais voici qu'en 178411 revient à la comédie à ariettes, par Y Epreuve villageoise, une petite merveille de goût fin et délicat. Lui-même a pris soin de raconter comment cette charmante bleuette en deux actes était une épave échappée au naufrage d'une œuvre plus considérable, intitulée : Théodore et Paulin. Le maître s'était retrouvé et la même année, il donnait à la comédie italienne Richard Cœur de Lion. Ici, le mot chef-d'œuvre n'a rien d'exagéré; jamais musicien n'a donné à un plus haut degré la mesure absolument exacte de tout son talent. Cette partition si complète a bien les défauts de Grétry, mais combien aussi elle en possède les qualités! La figure du roi est tracée avec noblesse et grandeur dans l'air: ce Si l'univers entier m'oublie » ; quel cœur, quelle sincérité de dévouement, dans tout le rôle de Blondel! quelle tendresse naïve dans cette jolie figurine de Laurette! quel sentiment juste du mouvement dramatique dans la scène des gardes, dans le fameux duo de la fièvre brûlante, dans le trio : « Le gouverneur pendant la danse » ! L'école française a produit un grand nombre d'œuvres plus belles et plus lyriques, elle n'en a pas produit de mieux faites pour le théâtre et de plus intéressantes. A partir de ce jour, on peut encore citer les Méprises par ressemblances (1786), le Comte d'Albert (1787), Raoul Barbe bleue (1789), un certain nombre
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d'opéras de circonstance, écrits à la gloire de la Révo-
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dernières partitions sont à peine dignes de lui. Du reste, une nouvelle évolution se préparait à l'opéracomique ; de grands génies étaient venus se faire connaître en France : c'était Gluck, c'était Salieri et Sacchini; de plus, on commençait à apprécier Mozart. Les oreilles s'habituaient au grand style instrumental par les œuvres d'Haydn. L'expression et la souplesse de la mélodie, la force des accords, le coloris de l'orchestre avaient fait en vingt ans un pas immense sous l'impulsion de ces maîtres; la musique moderne était créée. De plus, le goût s'était porté vers nos vieilles poésies nationales des trouvères et des troubadours ; la connaissance des poètes étrangers comme Shakespeare, nouvellement traduit; la mâle poésie des chants dits ossianiques avaient mis dans la tête de nos musiciens des idées plus hautes que les fades galanteries chantées par nos artistes du xvine siècle. Ce sont ces diverses influences littéraires et musicales que nous retrouvons chez les maîtres dont nous allons parler. Les uns, comme Cherubini, Méhul, Le Sueur, ont su, tout à la fois, atteindre aux accents du haut lyrisme, et trouver aussi la fine expression de la comédie; les autres, comme Boïedieu et Nicolo, sont restés dans le genre tempéré ou même le demigenre ; mais tous ont enrichi notre école d'œluvres de premier ordre, tous aussi sont musiciens de beaucoup supérieurs à des artistes comme Grétry et Monsigny qui les avaient précédés. Cherubini, né à Florence en 1760, étudia le style italien avec Castrucci et surtout Sarti ; ayant montré
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de très bonne heure les plus brillantes dispositions et ayant écrit, dès l'âge de treize ans, des compositions religieuses et dramatiques qui furent applaudies, il se mit à voyager, parcourut l'Allemagne et l'Angleterre, écouta et avec fruit, la musique des maîtres les plus célèbres : de Mozart, d'Haydn, de Bach, de Hœndel; puis il vint se fixer à Paris en 1788. La gloire de Gluck et de son école était alors dans tout son éclat, et l'audition de ces opéras sublimes ne pouvait que profiter à un musicien aussi bien doué et aussi instruit. Il semble que dans son œuvre on retrouve toutes ces diverses influences; mais, chose singulière, il sut à la fois devenir musicien français, tout en restant compositeur italien. Dramatiques, lyriques ou de demi-genre, les opéras de Cherubini joignent à une science profonde une remarquable élégance de forme, en même temps ils ont la justesse d'expression et de sentiment de la scène qui caractérisent la musique française. Lorsqu'il aborda le genre religieux, il fut un maître digne de prendre sa place à côté des plus grands; à la fois éclatante, grandiose, sévère et presque dramatique, sa musique d'église est encore française. Ce fut en 1788 que Cherubini (voy. portrait, Hist. de la musique, fig. 89) fit entendre sa première œuvre française, Démophon. Le public l'accueillit froidement, mais il n'en fut pas de même de Lodoïska, qui, jouée à Feydeau en 1791, fit une véritable révolution dans la musique. La richesse des idées, le coloris de l'orchestre, la puissance et le mouvement des ensembles étaient choses nouvelles en ce temps à l'Opéra-Comique. Cette
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belle œuvre fut féconde en résultats, et c'est d'elle que l'on peut faire dater la grande école de Méhul, Berton, Le Sueur, etc. Nous ne donnerons pas ici la liste des opéras de Cherubini ; mais comment ne pas citer Elisa ou le mont Saint-Bernard (1795), Méde'e (1797), Faniska, que Cherubini, éloigné de France par une inconcevable antipathie de Napoléon, dut aller faire entendre à Vienne, et surtout cette noble partition des Deux Journées (1800), qui, écrite sur un poème plus intéressant que ceux que nous avons déjà cités, est à la fois pleine d'expression, de sentiment dramatique, puissante de style et d'instrumentation? Si nous passons à des œuvres moins réussies, il nous faut encore nommer YHôtellerie portugaise, avec son ouverture et son trio célèbre. En entendant Faniska, Haydn et Beethoven avaient proclamé Cherubini le premier compositeur de son temps; en s'oubliant eux-mêmes, ils exagéraient peutêtre un peu; mais notre siècle, à son tour, a été injuste pour ce maître, car si son nom est encore glorieux, ses œuvres dramatiques sont inconnues en France. Cependant il nous semble que ce Florentin est, comme Lulli, deux fois Français, autant par les services qu'il a rendus à nos musiciens que par les chefs-d'œuvre inspirés par notre génie. Avec Cherubini et Le Sueur, un des plus grands artistes de cette période est Etienne-Nicolas Méhul (Givet, 1763. — Paris, 1817). Moins pur styliste que Cherubini, moins élégant peut-être que Boïeldieu (voy. portrait, Hist. de la musique, fig. 92), il a de plus que le premier la chaleur et la sincérité de la passion;
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de plus que le second, la noblesse et l'élévation de la pensée. Tout a été dit sur ce grand maître, nous-même en avons parlé maintes. fois, et particulièrement dans un volume de cette collection; mais ce que l'on pourrait ajouter, c'est que cette musique si consciencieuse, si droite, je dirai presque si honnête, est bien celle de l'homme lui-même. Tout, dans la biographie de Méhul, respire la franchise et la délicatesse; on est saisi de respect à la vue de cet homme de génie, qui n'eut que les ambitions permises, qui fut sans intrigue et sans jalousie, qui resta toujours ami sûr et de bon conseil, bienveillant pour ses confrères, protecteur des jeunes gens et de ses élèves, admirant le génie, indulgent pour les faibles. C'était à la fois un homme de cœur et un honnête homme, et toute sa musique semble venir du cœur, et dictée par les sentiments les plus élevés et les plus nobles. D'une chaleur passionnée et communicative, d'une sensibilité mâle, connaissant à fond l'âme humaine, il sut faire passer tous ses sentiments dans des œuvres comme Euphrosine et Conràdin(ïygo), opéra-comique plein de passion; dans Stratonice, remarquable par l'élévation du style ; dans Phrosine et Mélidor (1797), où il se montra élégant et gracieux; dans Ariodant (1799), opéra chevaleresque et déjà romantique, ainsi qu' Uthal, inspiré des poésies d'Ossian; enfin, dans Joseph (1807), admirable chef-d'œuvre de pensée, de noblesse et de simplicité. Des artistes comme Méhul honorent non seulement une école, mais un pays tout entier. Nous n'avons cité que les grandes œuvres de Méhul; mais s'il fallait prouver que le maître avait
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aussi en partage l'esprit et la finesse, nous citeripns VIrato, sorte de parodie des Italiens, mais d'une musique bien française (1801), une Folie (1802), le Trésor ^supposé (r8o3), l'aimable duo et la fine et pittoresque ouverture des Deux aveugles de Tolède (1806). Comme peintre musical, il a laissé le tableau si coloré de l'ouverture du Jeune Henri. Nous rappellerons de jolis ballets comme la Dansomanie. Nous avons apprécié Le Sueur à l'Opéra, nous ne reparlerons ici de lui qu'en quelques lignes, pour citer la Caverne, son premier ouvrage dramatique (1793) (fig. 51), Paul et Virginie (1794), et Télémaque dans Vile de Calypso, ou le triomphe de la sagesse ( 1796), partition bien curieuse par les recherches d'érudition que l'auteur a cru devoir faire, en pure perte, avouons-le. Dans toutes ces œuvres, on retrouve le génie majestueux et noble de Le Sueur; mais ce qu'il fallait au lyrique auteur des Bardes, c'était l'épopée héroïque, avec les grands développements et les larges déclamations de l'opéra. Les maîtres que nous venons de citer sont tous des musiciens de grand style et de large envergure. Seul, Le Sueur avait pris à l'Académie de musique la place due à son puissant talent; mais si les circonstances avaient éloigné, ou à peu près, de l'opéra, des génies puissants comme Méhul et Cherubini, ils n'en étaient pas moins de ceux qui auraient pu tenir leur rang à côté des Sacchini et des Salieri dans l'école de Gluck. Une page de Joseph suffirait à prouver que nos maîtres ont su, eux aussi, faire résonner la corde d'or du lyrisme; mais, à côté d'eux, brillèrent d'autres musiciens qui, sans s'élever aussi haut, furent l'honneur
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— FRONTISPICE
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la Caverne
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(Feydeau, 1793.)
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et la gloire de notre école par leurs précieuses et charmantes qualités, par leur poésie douce et pénétrante ou par la justesse et la délicatesse de leur sentiment dramatique. Je veux parler de Berton, de Nicolo, et surtout de Boïeldieu. Berton (Henri-Montan, Paris, 1767-1844), fils d'un compositeur, ancien directeur de l'Opéra, ne s'éleva pas dans les hautes régions de la poésie lyrique; mais plus que tout autre maître, il eut, à défaut de profond sentiment dramatique, l'intelligence de la scène et le mouvement théâtral. Sa partition d'Aline, reine de Golconde (i8o3), œuvre en deux parties, où un acte, d'une couleur toute provençale, se trouve intercalé dans un tableau de l'Orient, fait apprécier la variété de son talent. C'est Montano et Stéphanie (1799), opéra injustement oublié aujourd'hui qui, selon nous, est son chef-d'œuvre. Cet opéra-comique, écrit sur un sujet qui tient à la fois à"1 Ariodant et de Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, est plein de feu et d'ardeur; la scène principale, dans laquelle Montano croit voir un homme entrer par la fenêtre chez sa fiancée, est une des pages les plus pittoresques et les plus dramatiques de l'école française. Il faut citer encore dans l'œuvre de Berton, le Délire (1799), dont l'ouverture fut longtemps célèbre, et de charmants petits opéras-comiques, tels que les Rigueurs du cloître (1790), etc. Berton avait été un des premiers parmi les compositeurs français à applaudir et à imiter le style des maîtres allemands, et particulièrement de Mozart; il fut, trente ans plus tard, un des adversaires acharnés de Rossini; brochures, pamphlets, disserta-
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tions, rien ne lui coûta pour arrêter l'invasion de cette musique nouvelle. Lutte inégale, où le pauvre vieux musicien devait être vaincu; mieux eût valu un chefd'œuvre que tous ces pamphlets. Quoi qu'il en soit, comme écrivain musical, et surtout comme théoricien, Berton atenu sa place. Il fut un de ceux qui, avec Catel et Reicha, développèrent en France l'enseignement de l'harmonie. Son Traité d'harmonie et son Dictionnaire des accords s'éloignent sensiblement du système de Rameau et de celui des deux musiciens que nous avons nommés plus haut, ils renferment quelques idées singulières, mais ces deux ouvrages sont très intéressants à consulter. Esprit original et curieux, talent inégal, mais souvent personnel, Rodolphe Kreutzer (Versailles, 1766, Genève, I83I) a droit à une place dans cette pléiade de musiciens de haute valeur. Nous le retrouverons à la tête de notre école de violon, et il fut comme compositeur ce que nous le verrons comme virtuose, toujours fougueux et chaleureux, et parfois élégant. Il faut lire Paul et Virginie (1791), son chef-d'œuvre, pour apprécier Kreutzer, avec ses qualités et ses défauts. Lodoïska, qui fut jouée la même année, est peutêtre écrite d'un style plus soigné et plus intéressant; mais c'est une partition moins personnelle et moins riche d'imagination. Si Berton était un chercheur d'effets curieux d'harmonie et d'orchestre, il n'en était pas de même de Nicolo Isouard (Malte, 1775. —Paris, 1818). Toujours pressé de produire, il écrivait sans relâche. En six ans, de i8o5 à 1811, il fit jouer quatorze opéras-comiques.
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( Bien que ce musicien ait fait de bonnes études en Italie, sous des maîtres comme Azopardi, Sala, Guglielmi même, son style est mou et lâché, sa mélodie souvent monotone, et son harmonie et son instrumentation sans couleur; cependant il nous faut lui donner place au rang des maîtres, car il a eu ce don précieux au théâtre de savoir faire chanter, agir ses personnages dans le sens vrai de la situation. Dans ce genre, le trio de Cendrillon (1810), le finale en canon de Joconde (1814) : « Quand on attend sa belle... », toute la spirituelle bouffonnerie des Rendez-vous bourgeois (1807), sont restés des modèles. Enfin, et surtout au milieu de toutes ces improvisations si rapides et si négligées, il a eu des instants d'inspiration, presqué de génie. La romance de Joconde, dont le refrain est si populaire : « Mais l'on revient toujours à ses premiers amours... », et surtout l'air de Jeannot et Colin (1814), si tendre, si passionné et si vrai, sont des pages qui suffisentà classer un musicien au premier rang. Malgré ces heureuses trouvailles d'un artiste trop improvisateur, on est étonné que Nicolo ait pu lutter, et non sans succès, avec un autre compositeur d'un talent infiniment plus riche, plus varié, plus fin, plus complet, en un mot, je veux parler de Boïeldieu (1775-1834). (Voir portrait : Histoire de la musique, fig 94.) Les Allemands eux-mêmes nous ont épargné la peine de juger ce maître si français, car voici ce que Weben disait de lui dans le Journal de Dresde de 181 1 : « Aux plus grands maîtres de l'art il appartient de tirer les éléments de leurs œuvres, à l'esprit même des nations de les assembler, de les fondre, de les imposer au reste
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du monde. Dans le petit nombre, Boïeldieu est presque en droit de revendiquer le premier rang parmi les com-
positeurs qui vivent actuellement en France, bien que l'opinion publique place Isoard à ses côtés. Tous deux possèdent assurément un admirable talent; mais ce qui met Boïeldieu bien au-dessus de tous ses émules, c'est
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sa mélodie coulante et bien menée, le plan des morceaux séparés et le plan général, l'instrumentation excellente et soignée, toutes qualités qui désignent un maître et donnent droit de vie éternelle et de classicité à son œuvre dans le royaume de l'art. » Robert Schumann, qui n'était point indulgent, s'incline à son tour devant Boïeldieu dans des notes prises à la hâte au sortir d'une représentation de Jean de Paris. — « Jean de Paris, dit-il, est un maître opéra. Jean de Paris, Figaro et le Barbier sont les premiers opéras-comiques dd monde. » Qu'ajouter après de pareils éloges ? Mais aucun des deux maîtres allemands n'avait entendu le Calife de Bagdad (1800), cette charmante fantaisie musicale, ni Ma tante Aurore (i8o3), toute de finesse et d'esprit; aucun ne mentionne la Fêle au village voisin ( 1816), œuvre coquette et pimpante, ni les Deux nuits (1829), ni surtout la Dame blanche (10 décembre 1825). C'est une date dans l'histoire de l'école française que l'apparition de cette œuvre, qui, depuis soixante-cinq ans, est au répertoire de notre Opéra-Comique. Elle tient à la fois et de l'ancien style de nos maîtres nationaux et de la nouvelle manière fleurie, inaugurée par Rossini; inspirée par Walter Scott, dont Boïeldieu a su rendre parfois la poésie pénétrante, en y ajoutant la finesse et la gaieté françaises, elle est aussi romantique. Comment nepas s'arrêter, si peu que l'on soit musicien ou artiste, devant cette jolie figure du jeune Georges Brown, si alerte, si gaie, si insouciante; devant cette esquisse de la vieille Marguerite, dessinée d'un crayon si fin; devant la silhouette mystérieuse et voilée de la dame blanche? Dans toute cette musique, point de drame, pas de pas-
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sion, pas de grandes émotions ; c'est le chef-d'œuvre du style tempéré, mais quelle admirable entente de la scène et des p'ersonnages ! quelle finesse dans le trio du premier acte ! quelle aisance dans la scène de la vente ! Le musicien devient même poète, et son style prend une ampleur inaccoutumée lorsque les échos du château d'Avenel redisent les vieux chants oubliés sur les harpes des ménestrels. On a dit, et l'on dit encore, que la Dame blanche n'avait pas vieilli; c'est aller un peu loin, et chaque page de cette œuvre porte sa date; mais, si surannées qu'elles soient, ses grâces sont encore charmantes. L'ancienne école française d'opéra-comique finit avec la Dame blanche ; mais, pour présenter au lecteur un tableau d'ensemble, pour grouper les musiciens de premier ordre qui forment école, nous avons dû laisser de côté d'aimables artistes qui, eux aussi, ont droit à un souvenir. C'est une riche et féconde période que celle dans laquelle nous pouvons placer au second plan des musiciens comme Dalayrac, Dezaides, réservant encore une place au fond du tableau pour de gracieux vaudevillistes, comme Gaveaux, Devienne, Délia Maria, etc. Nous avons évité de parler des compositeurs étrangers dont les partitions ont été jouées en France, afin de ne pas nous écarter de notre sujet; mais nous ne pourrions, sans injustice, oublier ceux qui ont su, ne seraitce que dans une œuvre, se faire Français. Nous nous sommes longuement arrêtés à Cherubini ; celui-là est un de nos maîtres ; mais il nous faut encore citer Paer (Parme, 1771. — Paris, 1839). Après avoir écrit des
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opéras remplis d'un sentiment exquis, comme Camilla (1801), Sargina (1807), VAgnese (1811), qui, composé pour un théâtre d'amateurs de Parme, devint un de ses chefs-d'œuvre, Paer fit entendre, à l'Opéra-Comique, le Maître de chapelle (1821), que nous entendons encore, partition bouffe, mélodique et pleine d'esprit dont plus d'une page est restée classique. A côté des Italiens, deux maîtres allemands ont su prendre une place honorable àu second rang. L'un, Martini (Jean-Paul-Egide Schwartzendorf, dit), né à Freestadt (Haut-Palatinat), en 1741, mort à Paris en 1816, a laissé d'aimables partitions, comme VAmoureux de quinze ans le Droit du Seigneur (1783), Annette et Lubin (1800) ; mais il a laissé surtout quelques mesures qui ont suffi à le rendre immortel. Qui ne connaît, en effet, la romance : « Plaisir d'amour », empreinte d'un sentiment si vrai, si profond et si tendre? L'autre était Steibelt (Berlin, 1755 ou 65. — Saint-Pétersbourg, 1823), homme singulier et peu scrupuleux, virtuose plein de fougue, musicien bizarre, mais artiste de premier ordre, qui donna à l'Opéra-Comique sa partition de Roméo et Juliette (1793), œuvre parfois longue et diffuse, mais le plus souvent remarquable par le style et la vigueur. Ce fut lui aussi qui fit exécuter et connaître en France la Création de Joseph Haydn. Nommons encore Rigel, né à Wertheim en Franconie, mort à Paris en 1799, qui écrivit de nombreux opéras-comiques, mais se fit surtout connaître comme virtuose et comme compositeur de musique symphonique et religieuse. Pendant que des maîtres comme Méhul, Le Sueur,
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Boïeldieu, Berton, etc., faisaient l'honneur de notre grande e'cole dramatique, le vieux théâtre de la Foire, devenu Comédie italienne, qui avait donné naissance à l'Opéra-Cpmique, ne s'était pas fait oublier, et à Feydeau, comme à la Comédie italienne, comme à Favart, la comédie à ariettes, première forme des œuvres magistrales que nous avons citées, tenait encore sa place avec ses romances, ses couplets, ses flonflons recherchés et aimés du public. Les musiciens d'un ordre élevé n'avaient pas dédaigné d'écrire de gentilles partitionnettes sur des pièces gaies et sans prétention musicale, et une Folie de Méhul et les Rendez-vous bourgeois de Nicolo n'étaient autre chose que ce que nous appelons aujourd'hui des opérettes; mais derrière les maîtres s'était formée toute une pléiade de gentils vaudevillistes, qui s'étaient fait comme une spécialité en ce genre aimable et léger, à la fois pastoral et comique, continuant ainsi les traditions du théâtre de la Foire. Biaise, dont on a retenu Annette et Lubin (1762), et le Trompeur trompé (1767), avait été, avec Duni et Dauvergne, un des fournisseurs ordinaires de Monnet; il continua encore longtemps à écrire, pour la Comédie italienne, des parodies et des vaudevilles. Au moment des grands succès de Monsigny et de Grétry, un petit musicien à la mélodie simple, sans cependant être dénuée d'élégance, Dezèdes ou Dezaides (né vers 1740; mort à Paris, 1792), se faisait aimer par la note tendre et pastorale de sa partition de Biaise et Babet (1783), idylle naïve qui est restée son chef-d'œuvre. Puis c'était Champein (Stanislas) (Marseille, 1753. — Paris, 1800). Celui-ci avait voulu fran-
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chement imiter les Italiens, mais sans avoir leur style et leur abondance, loin de là ; cependant sa mélodie facile fit applaudir la Mélomanie en 1781, et le nouveau Don Quichotte en 178g. Plus loin, nous voyons Deshayes (Prosper), dont la vie est peu connue, mais qu'il faut citer pour le Faux serment (1786) et le Paysan à prétentions (1787). Puis, enfin, voici les maîtres du vaudeville à ariettes à cette époque : Solié où Solier (Nîmes, 1755. — Paris, 1812), à la fois chanteur et compositeur. Sa musique était banalement agréable, de là le succès de Jean et Geneviève (1792) ; Devienne (François) (Joinville, 1759. — Charenton, i8o3), artiste plus instruit que Solié, et dont la partition des .Visitandines (1792), œuvre alerte et spirituelle, est restée au répertoire; Gaveaux (Béziers, 1761. — Paris, 1826), qui, ainsi que Solié, fut à la fois chanteur et compositeur, se fit applaudir par ses couplets bien tournés, par ses gentils refrains; tel est, en effet, le mérite du Bouffe et le tailleur (1804), de M. Deschalumeaux (i8o5), etc.; Délia Maria (Marseille, 1764. — Paris, 1800) a marqué sa place par la seule œuvre qu'il ait fait jouer : le Prisonnier ou la Ressemblance (1798). Citons enfin un des plus féconds musiciens de cette joyeuse troupe chantante et musiquante, Louis-Emmanuel Jadin (Versailles, 1768. — Paris, 1853), bon pianiste et surtout compositeur facile. On hésite à placer Dalayràc (Muret, 1753. — Paris, i8o3) au nombre de ces gentils vaudevillistes à flonflons et à romances, de ces compositeurs de petit genre. Le nombre de ses œuvres, sa réputation, ses succès, qui
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furent ceux d'un maître, paraissent devoir lui assigner un rang plus élevé et cependant sa facilité banale, son aisance à tourner le couplet, sa sentimentalité fade et sans sincérité, la mollesse et le lâché de son style, tout fait de Dalayrac un musicien médiocre, le premier au dernier rang, bien loin des Philidor, des Monsigny, des Grétry, des Nicolo, des Berton, des Boïeldieu, des Kreutzer, bien loin surtout des Méhul, des Le Sueur et des Cherubini. Ses opéras-comiques lus ou entendus, il ne reste que l'impression d'un compositeur adroit et ingénieux quelquefois, mais doué de plus d'instinct que de talent. Satisfait de peu, il s'arrête sur un début de phrase heureux, sur une entrée de scène spirituelle ; une indication lui suffit, il trouve inutile de terminer le trait, d'achever la figure commencée. Nina (1786), Renaud d'Ast (1787), Camille ou le souterrain (1791), Gulnare (1798), Félix ou l'erreur d'un bon père (1799), Adolphe et Clara (1799), Maison à vendre (1800), Gulistan (i8o5), sont des œuvres remplies de jolis couplets, de scènes où apparaît un véritable instinct du théâtre. Aucun musicien n'a remporté de plus grands succès, aucun n'a été plus populaire; qu'a-t-il donc manqué à Dalayrac pour compter au nombre des maîtres? un peu moins de facilité, un plus grand respect et plus sincère amour de son art. C'est là, en effet, le grandmérite des maîtres qui ont illustré notre école pendant la période que nous venons de raconter. Lyriques comme Méhul et Le Sueur, élégiaques et tendres comme Monsigny, spirituels comme Grétry, élégants comme Boïeldieu, tous ont une vertu qui leur est commune, qui est comme le
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sceau de leur génie, la sincérité. Chacun, dans la mesure de ses forces, donne ce qu'il a dans le cœur ou dans l'esprit; ce n'est pas l'effet qu'il cherche, c'est le sentiment juste du personnage, c'est le sentiment de la scène à rendre. Rossini n'est pas encore venu, le maître éblouissant que nos artistes affolés imiteront à tout prix, cherchant l'éclat et le brio au détriment du véritable sentiment dramatique. Quelques-uns ont tenté d'imiter les Italiens; d'autres, plus nombreux, ont pris Mozart pour modèle, mais tous sont restés fidèles à cette grande loi de l'art français la justesse et la vérité.
Bouilly. Récapitulations, in-8°, i836-i837Brenet (M.). Grétry et ses œuvres, in-8°, 1884. Cohen (Henry). Etude sur Berton (Art musical), 1878. Grétry. Mémoires ou essais sur la musique, in-8°. Grimm et Diderot. Correspondance (éditions diverses). Hédouin. La mosaïque, in-8°, i856. . Heulhard. La foire Saint-Laurent, in-8°, 1878; — Jean Monnet, in-8°, Paris, 1884. Lacôme. Les créateurs de l'opéra-comique (Musique), in-40. Monnet. Supplément au Roman comique ou mémoires,in-H", 1772. Pougin. Boïeldieu, in-12, 1875; — Un grand théâtre sous la Révolution (Ménestrel, 1887-.1888); —Cherubini(Ménestrel, 1880i883); — Méhul (Ménestrel, 1883-1884). Soubies et Malherbe. Précis de. l'histoire de l'opéra-comique,
inri2, 1887.
Théâtre de la foire ou de l'opéra-comique, par Lesage et d'Orneval, in-12, 1721-1737, 10 vol. . Théâtre italien, par Gherardi, in-12, 1733-1736, 9 vol.
�CHAPITRE III
LA MUSIQUE DE
CHAMBRE.
DE
CONCERT
ET D'ÉGLISE
La musique vocale de chambre: Léchant, les brunetteset les airs ; Nyert, Lambert, Bacilly; les luthistes et le chant à la cavalière. — Cantates et cantatilles : Campra, Clérambault, Baptistin. —La musique d'église: Mauduit et Ducaurroy, Dumont et les messes royales, Lulli, Charpentier, Lalande, Bernier, Campra, Gilles, etc., Le Sueur et Cherubini. — Organistes et clavecinistes : Champion, Chambonnières, Clérambault, Marchand, Daquin, les Couperins, Rameau, Séjan, Balbâtre. — Violonistes : Dumanoir et Constantin. — Duval et l'école de Corelli. Senaillé, Baptiste Anet, Leclair, Guignon, Gaviniés, etc. — Rode, Kreutzer et Baillot. — Les écoles de musique, les maîtrises, le magasin et le Conservatoire. — Les Concerts : Le Concert Spirituel, le Concert des Amateurs, etc., les chants républicains et la Marseillaise. — La littérature musicale : Théoriciens, historiens et critiques. Mersenne, Brossard, Laborde, Perne, Fétis. —■ Les guerres : Les Français et les Italiens, Lullistes et Ramistes. Querelle des Bouffons ou des coins. Gluckistes et Piccinistes.
Les succès du théâtre ne doivent pas nous laisser croire, comme cela est trop souvent arrivé, que les musiciens dramatiques furent les seuls, pendant les xvue et 0 1 XVIII siècles, à faire honneur à notre école; à l église et au concert nous pouvons saluer plus d'un nom glorieux. Nous avons vu qu'à la fin du xvr9 siècle, l'école française était des plus florissantes pour la musique de chambre
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et de concert vocale et instrumentale; nos musiciens étaient les dignes émules et quelquefois les maîtres de ceux de l'étranger; déjà l'on pouvait espérer que les Français sauraient garder le rang qu'ils avaient conquis. Malheureusement, notre musique subit un arrêt de près d'un demi-siècle dont la politique fut la cause. Lorsque notre pays, terriblement éprouvé par les guerres de la fin du xvie siècle, put enfin penser aux choses de l'esprit, la mode n'était plus à l'Italie, elle était toute à l'Espagne. Nos tragiques, nos poètes imitaient ou paraphrasaient les Espagnols, et de cette influence devait sortir le Ciel; mais la musique n'eut guère à profiter de cette évolution; le temps de la grande école musicale espagnole était passé, et nos musiciens sans guides, sans modèles, cédèrent volontiers au goût des dilettantes toujours un peu amoureux du flonflon; ils préférèrent une mélodie facile, un refrain commode à retenir, aux plus riches combinaisons de l'harmonie, du contre-point ou de l'orchestre ; de là cette quantité innombrable de petites pièces à deux, à trois ou quatre parties, qui formaient le répertoire des Boesset, des Guédron, des Ducaurroy, des Mauduit, des Cambefort, des Boyer, des Bataille : chansons à boire, à danser, ou à aimer, qui s'exécutaient entre amateurs et qui constituaient en réalité la véritable musique de chambre de cette époque. Le talent de toute cette petite école n'était pas précisément dans ces chansons qui sont en somme médiocres, mais dans la manière de les exécuter. Ce fut un art, et un art bien français dont la tradition n'est pas perdue, loin de là, que celui de chanter un air avec
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intelligence et avec goût, non seulement en sachant faire
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paroles en valeur. Vers 1636, les-maît-res de cette école bien caractéristique s'appélaient Boesset père et fils, Lecamus, Mollier ou Molière, Richard, Moulinié, Sicard. Ils écrivaient et apprenaient des brunettes, des sérénades dans le goût espagnol, des chansons à boire ou à aimer. Dubuisson, fameux buveur et auteur d'un grand nombre de chansons, donnait volontiers des leçons de musique « à messieurs les étrangers, et surtout aux Allemands, qui venaient passer quelque temps à Paris ». Bailly composait, ornait de doubles (variations), et enseignait des airs qui étaient fort en vogue. Vers cette époque arriva d'Italie un chanteur nommé de Nyert, auquel La Fontaine a adressé une épître bien connue. Ce Nyert, qui avait accompagné le maréchal de Créqui à Rome, revint à Paris, tout « enduit de chant italien ». Il trouva moyen de prendre ce que les Italiens avaient de bon dans leur manière de chanter et le mêla au chant français. Puis il forma des élèves, comme M1:° Raymond, Mlle Hilaire, et surtout Lambert, le célèbre, Vinimitable Lambert, dont le nom semble exprimer tout ce qu'il y a de plus parfait dans l'école française du chant au xvne siècle. Autour de Lambert et à son exemple, un grand nombre de maîtres avaient trouvé place et enseignaient d'après sa méthode, tels que d'Ambruys, et surtout Bacilly, qui, en 1679, résuma les principes de cette aimable école dans un livre célèbre, de l'Art de bien chanter, et mit la dernière main à ce que l'on appelait alors en France la Propreté du chant. Les instruments d'accompagnement, pour la chambre comme pour le concert, étaient la lyre, sorte de viole
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(fig. 37), le clavecin, le luth et le théorbe, le tympanôn (fig. 41-42-37-62). A la fin du xvne siècle, le clavecin paraissant trop bruyant pour les voix, ce furent les
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PAR
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(XVII
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SIÈCLE).
luths, les théorbes et les guitares qui régnèrent à peu près sans partage. Il fallait cependant que le théorbe se montrât pru-
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ECOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
dent, et l'on disait de lui : « Le théorbe n'est pas le mari de la voix pour la gourmander et l'accabler, mais bien pour l'adoucir et en cacher les défauts. » On sait que le théorbe ne différait du luth que par ses dimensions, le nombre de ses cordes et surtout son double manche (voir : Histoire de la musique, fig. 49) ; tous deux étaient des instruments à sons doux; la musique que l'on écrivait pour eux était notée dans une écriture spéciale, en lettres, nommée tablature (fig. 54). On possède un grand nombre de pièces pour ces deux instruments, les unes avec paroles, pour accompagner les voix, les autres sans paroles, et alors ce sont des morceaux assez compliqués. Pendant plus d'un siècle, le luth et le théorbe furent les rois des concerts; partout, dans les ballets de cour, à l'Opéra, dans la musique chambre on les entendait résonner et les luthériens, comme on disait alors, faisaient fureur. Les virtuoses sur le luth, comme Francisque, les deux Gautier, Perrin, Hemont, Dubut, etc., qui étaient aussi maîtres de chant, eurent leur période de succès pendant cent ans à peu près; puis la mode en passa, et vers 1730, il ne restait plus à Paris que « quatre luthériens ou joueurs de luth » (fig. 53). Le théorbe disparut presque en même temps, et un certain Fabio Ursillo, qui mourut en 1759, paraît avoir été le dernier qui ait écrit des fantaisies pour cet instrument, qui fut remplacé par la guitare, par la harpe et surtout par le clavecin. Le luth, le théorbe et la guitare formaient, en effet, un orchestre bien suffisant pour les brunettes et les chansons que murmuraient les musiciens d'Henri IV, de Louis XIII et du commencement du règne de
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Louis XIV. Ces airs, d'un tour naïf et qui avaient comme une vague senteur.de mélodie populaire, étaient généralement suivis de doubles ou diminutions, c'està-dire*de variations sur le premier thème. Le double était le triomphe du maître de chant qui l'écrivait et du chanteur qui l'exécutait. Les plus célèbres compositeurs d'airs à une ou à plusieurs voix, dits airs de cour, .brunettes, etc., furent Boesset, Artus Auxcousteaux, dont les Mélanges, datés de 1644, paraissent déjà surannés pour leur époque, puis Lecamus, Bacilly, Dubuisson, Dambruys, Dubousset, plus tard Cochereau, et surtout, nous l'avons dit, Lambert. Il y avait une manière fort galante et fort à la mode de chanter ces « Ion, lan, la, toute cette musique faite pour amuser son ami ou sa maîtresse », c'était de les tourner à la cavalière, c'est-à-dire sans accompagnement, le plus souvent à la fin d'un repas. « C'est faire le précieux que de se piquer de ne point chanter sans théorbe, disait Bacilly; il y a à chanter seul je ne sais quoi de cavalier et de dégagé qui convient mieux à un homme de qualité que la servitude et l'embarras de l'accompagnement. » Mais le temps avait marché, le goût musical avait fait des progrès, il s'était formé un public qui demandait autre chose que des chansons et des couplets chantés après boire et le poing sur la hanche; de plus, l'opéra était né et on y avait pris plaisir. On voulut avoir une sorte de musique vocale plus artistique que les brunettes et moins difficile que les scènes d'opéra ; les musiciens donnèrent plus de développement à leurs airs primitifs et alors parut la cantate. C'était comme une
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
petite scène lyrique, avec récitatifs et airs de divers caractères, n'èxigeant ni orchestre, ni chœur, ni ensemble, ni mise en scène et dont la vogue dura une quarantaine d'années à. peu près, de 1690 à 1725 ou 1730. Les plus célèbres maîtres s'exercèrent dans ce genre, mais peu à peu on vit la cantate se-développer pour devenir morceau d'opéra ; elle éleva ses prétentions jusqu'à employer quelques instruments, tels que violons, flûtes, violoncelles, bassons, etc., et même des trompettes. C'est alors qu'elle disparut; elle faisait double emploi avec les grandes compositions lyriques. De plus, chanteurs et chanteuses, ayant pris peu à peu l'habitude d'exécuter dans les grandes réunions musicales, telles que les concerts, les airs d'opéras italiens et français, la cantate devint surannée et hors de mode, et pour mieux dire, elle perdit de son importance pour revenir, avec la cantatille, aux proportions des airs du xvne siècle. Rousseau, dans son dictionnaire, a fait justice de ces cantatilles, petites compositions aussi faibles que prétentieuses. Nous n'y reviendrons pas, Les cantates françaises, profanes ou religieuses, n'ont pas la richesse de celles des Stradella, des Scarlatti, des Porpora; mais elles sont nobles et bien déclamées, dans le genre sérieux; spirituelles et fines, dans le genre gai. Du Bousset, Morin, Courbois et surtout CampraJ Bernier, Baptistin, Clérambault, brillèrent dans ce genre que les historiens ont un peu négligé, mais où nos maîtres cependant ont su tenir bonne et honorable place1.
j. Lemaire et Lavoix,./e Chant, 2e partie, p. 33y.
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Il en est de même de notre musique religieuse, que l'on a trop oublie'e au bénéfice des Allemands et des '
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Italiens. Cet art spécial a compté un grand nombre de maîtres très estimables, sous Henri IV et Louis XIII, Moulinié (fig. 5 5), Bournonvillej Artus Auxcousteaux,
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
Mauduit, E. Ducaurroy; sous Louis XIV, Henri Dumont (i620-1684), auquel on doit la célèbre Messe Royale, sorte de compromis entre le plain-chant et la musique moderne. Henri Dumont s'étant trouvé en désaccord avec le roi, Lulli ne laissa pas échapper une si belle occasion de faire sa cour; apportant à l'Église son style.d'opéra, il écrivit des motets dans lesquels il ne resta pas au-dessous de lui-même; cependant il fut moins estimé comme musicien religieux que comme compositeur dramatique. Il n'avait rien à craindre du médiocre Lalouette (Jean-François, Paris, 1651. — Versailles, 1728), ou du timide Colasse, ou de Moreau, l'auteur des chœurs à'Athalie et tfEsther, mais il trouva dans deux musiciens qu'il avait systématiquement écartés du théâtre, Lalande et Charpentier, deux adversaires redoutables. Nous ne dirons qu'un mot de Charpentier, dont nous avons déjà parlé au sujet de l'Opéra, nous contentant de rappeler qu'il écrivit, entre autres œuvres religieuses, deux beaux oratorios, le Sacrifice d'Abraham et Y Enfant prodigue ; mais nous nous arrêterons un instant sur Lalande. Michel Lalande (Paris, 1657-1726) (fig. 56) fut un véritable maître. Il avait appris seul le violon, le clavecin, la viole et l'orgue. Le roi, qui l'aimait et l'estimait beaucoup, lui confia l'éducation musicale de ses deux filles, M"cs de Blois et de Nantes, le nomma surintendant de sa musique et chevalier de Saint-Michel. Lalande a laissé quelques opéras et ballets que nous avons cités dans leur lieu, mais c'est surtout comme compositeur religieux qu'il a droit à une place des plus brillantes
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LALANDE
^MICHEL-RICHARD
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(Paris, 1657-1726.)
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
dans l'école française. Il avait, ainsi que Lulli, de la majesté et de la grandeur, mais il possédait une plus grande abondance d'idées, un style plus mâle, plus fier et plus franc, une largeur et une puissance de conception remarquables. Parmi ses compositions nous citerons le Dixit Dominas Domino meo qui, malgré son titre de motet, a les proportions d'un véritable oratorio. Après Lalande, Bernier (Nicolas, Nantes, 1664. — Paris, 1734) sut se distinguer du groupe des musiciens religieux, simplement estimables, tels que Goupillet, Minoret, etc., qui furent maîtres de la chapelle du roi. Bernier avait étudié en Italie, et l'on trouve, en effet, chez lui, de l'éclat, de la facilité et de l'élégance; son style répond assez bien en musique à celui que l'on nomme jésuitique en architecture ; il est brillant et orné, mais il est loin d'avoir la noblesse, la gravité et la justesse de celui de Lalande. A côté de lui, Desmarets (1662-1741) se montra musicien habile; malheureusement, un mariage romanesque le força de s'éloigner de Paris et de s'enfuir en Espagne, puis à Lunéville, où il mourut. Avec Lalande, le meilleur compositeur religieux de la moitié du xvni° siècle fut Campra, dont nous avons déjà parlé 'longuement. Un autre artiste, Gilles, se rendit célèbre avec une seule œuvre. Mort à trente-six ans, il laissa une Messe des morts restée fameuse et qui fut exécutée à ses funérailles et à celles de Rameau. En accordant un souvenir à Colin de Blamont, à Boismortier, à Dauvergne, à Gossec, à Philidor, qui
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écrivirent de belle musique religieuse, il nous faut aller rapidement jusqu'à la fin du siècle, pour trouver les deux maîtres qui ont créé chez nous la musique sacrée moderne, Le Sueur et Gherubini. Bien différents de génie et de style, ces deux grands artistes sont arrivés cependant par des chemins divers au même but, c'est-à-dire à renouveler l'art religieux en France. Recourant aux chants les plus simples, aux mélodies populaires, disposant pour ainsi dire sa musique comme des vitraux d'une cathédrale, Le Sueur cherchait à frapper les esprits par un art à la fois pittoresque et expressif. Le maître a expliqué lui-même, dans plusieurs mémoires, comment il entendait une musique religieuse s'appliquant expressément au caractère de chaque fête de l'année; il est même allé, selon nous, un peu loin, en commentant, entre les portées, chaque page de ses partitions ; mais, ce qui vaut mieux que ses annotations, ce sont des œuvres comme la musique écrite pour les fêtes de l'Assomption et de iVbé'/,en 1786, pour celles de Pâques et de la Pentecôte, en 1787, et due à ce jeune homme de vingt-trois ans; ces morceaux, exécutés à Notre-Dame par plus de cent m.-.-iciens, eurent un immense retentissement. Le Sueur a\ ait rejeté loin de lui les formules du plain-chant, les tours vieillis des Campra et des Lalande; il s'était inspiré des beaux thèmes populaires transmis par le moyen âge; plein de l'ardeur d'un néophyte, il avait chanté Dieu en poète et non en théologien; on lui reprocha d'avoir « porté l'opéra dans le temple ». Nous n'avons pas à résoudre la question; mais Le Sueur est resté à l'Église ce qu'il était à l'Opéra, un musicien de premier ordre. Sa mu-
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sique, noble, colorée, expressive, intelligente, possède toutes les qualités de l'art français. Cherubini avait un génie moins littéraire peut-être, moins curieux de nouveautés que celui de Le Sueur, mais il était musicien plus habile que l'auteur des Bardes; il ne chercha pas à établir, par des écrits, une théorie nouvelle de l'art religieux; mais, appelant à son aide toute la magie de l'orchestre, toutes les ressources d'une science consommée, il sut à la fois donner à sa musique sacrée un accent passionné, tout en lui conservant son caractère de sévère austérité. Comme Le S ueur, il fut accusé d'être plus théâtral que religieux; en effet, depuis plus de vingt ans, il écrivait presque exclusivement pour le théâtre, lorsque, se trouvant, vers 1807, chez le prince de Chimay, il fut conduit par une circonstance fortuite à composer une messe pour la chapelle du château; ce fut une nouvelle voie ouverte à son génie. Ne répudiant pas son passé de musicien dramatique, il pensa que la prière pouvait être enthousiaste et passionnée sans être impie, et comment ne point partager son avis lorsqu'on écoute la messe en fa (à trois voix), celle en ré, celle du Sacre, le Requiem, toutes ces œuvres aussi splendides par l'inspiration que par la science, et dans lesquelles la plus parfaite pureté de style est jointe à la plus admirable élévation de pensée ! Un lien étroit unit les compositeurs de musique religieuse aux organistes, et plus d'un de ces derniers brilla parmi les auteurs de motets et de messes. Il nous faut donc parler ici de l'école française d'orgue et, en même temps, nous ne pouvons traiter de l'orgue et des organistes sans nous occuper du clavecin et des cla-
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vecinistes (fig. 5j); car les maîtres-de cette époque, comme aujourd'hui encore, étaient en général virtuoses à la fois sur les deux instruments. Si l'Allemagne sacrifiait tout à l'harmonie, aux artifices habiles du contrepoint, nous remarquons en France une recherche frappante de l'effet pittoresque, de l'expression, de la clarté ; c'est par là que nos clavecinistes se rattachent au génie national français. Dès le milieu du xvne siècle, nous trouvons des organistes, comme Roberday, Nivers, dont les pièces d'orgue sont intéressantes et bien écrites; Formé, organiste de Notre-Dame, et qui se montrait à la tête de ses musiciens « beau comme un empereur », dit un contemporain; mais les plus brillants organistes de cette époque furent les Champion, Antoine, Jacques et surtout Champion de Chambonnières, mort en 1670. Ce dernier était célèbre par le moelleux de son toucher, par sa richesse et son goût dans le choix et l'emploi des jeux. Il fut comme claveciniste un véritable précurseur de Rameau. A côté de Chambonnières brillait Clérambault (1676-1749). « Sa musique, dit Niedermeyer, dans un article du journal la Maîtrise, est savante et belle, la mélodie toujours naturelle et gracieuse, et plusieurs de ses morceaux sont remarquables par leur caractère grandiose. On voit, par le choix des jeux qu'il a toujours soin d'indiquer, qu'il possédait une connaissance de l'orgue très approfondie. » Avec Clérambault, nous devons citer Calvière (Paris, 1695-1755), qui sut acquérir une grande célébrité par la richesse et la variété de son jeu, et surtout Louis Marchand (Lyon, 1669; Paris, 1732). A la même époque brillait aussi Daquin (Paris, 1694-1772) qui, à six ans, tou-
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II.
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chait l'orgue devant Louis XIV, à douze était orga-
Fie.
58.
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COUFERIN
(FRANÇOIS)
DIT
LE
GRAND.
(Paris, 166S-1733.)
niste des chanoines réguliers de Saint-Antoine; son principal mérite consistait dans l'éclat de son jeu,
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ÉCOLE FRANÇAISE DE MUSIQUE.
dans l'heureuse facilité de son improvisation. C'était aussi l'improvisation sur l'orgue et sur le clavecin qui distinguait Mmo Elisabeth Jacquet de Laguerre (16691729). Mmede Laguerre, qui fit jouer un opéra, Céphale et Procris, en 1694, qui écrivit des cantates intéressantes, fut certainement une des musiciennes les plus accomplies de son temps. Mais voici la nombreuse famille des Couperin qui, apparaissant à Paris dans la première moitié du XVII8 siècle, se perpétua jusqu'en 1815, en cultivant toujours l'art auquel elle devait sa gloire. François Couperin (1631-1691), élève de Chambonnières pour le clavecin, écrivait pour l'orgue avec élégance; mais les deux plus illustres de cette famille furent Louis et François, dit le Grand (1668-1733) (fig. 58); les pièces de Louis Couperin sont gracieuses, mélodiques et d'une finesse d'harmonie bien supérieure à celles de Chambonnières. Le style d'orgue de François est empreint d'un caractère noble et élevé, et ses compositions pour clavecin sont conçues d'après un plan plus large que celles de ses prédécesseurs, à ce point qu'elles sont de véritables sonates à plusieurs parties; l'expression de ces pièces était si vraie que l'on composa des paroles sur leurs thèmes, entre autres sur celui de Sœur Monique. Les Bergeries, la Lugubre, les Nonnettes, la Marche des Gris-vêtus, les Papillons, le Réveille-matin, la Poule, montrent jusqu'à quel point était varié le génie de François Couperin, dit le Grand. Après lui, sa fille MargueriteAntoinette, qui eut la charge de claveciniste de la chambre du roi, titre qui n'avait jamais été porté par une femme avant elle, était la plus remarquable inter-
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prête des œuvres de son père. Mais on ne peut parler de la musique au xviir3 siècle sans voir se dresser devant soi la grande figure de Rameau; à l'opéra, à l'église, au concert, dans l'école, le maître est toujours le premier. Dès sa jeunesse et relégué à Clermont-Ferrand, il avait été organiste des plus habiles, et ce fut sur l'orgue et le clavecin qu'il se fit d'abord remarquer à Paris. Il publia avec le plus grand succès ses pièces de clavecin devenues si célèbres : les Niais de Sologne, le Rappel des oiseaux, l'Entretien des Muses, la Musette, la Joyeuse, le Tambourin, les Soupirs, les Tendres plaintes, les Tourbillons, etc. Avant qu'il eût abordé le théâtre, avant même qu'il arrivât à Paris, ses compositions, qui sont aujourd'hui encore d'une exécution difficile, mais d'un caractère original, l'avaient déjà fait connaître. Elles se distinguent, comme toutes les œuvres de ce maître, par la nouveauté et la richesse des idées, par le piquant de la forme et par la hardiesse du style. On a dit de Rameau qu'il était le Voltaire de la musique; ceux-là ne l'avaient pas lu. Comme Voltaire en littérature, Rameau fut universel dans son art; mais la grande supériorité de son génie fut peutêtre la qualité qui manquait le plus à Voltaire : la profondeur et la sincérité sans lesquelles il n'est pas de grand artiste. Après Rameau, notre école d'orgue et de clavecin paraît être entrée en décadence ; cependant il nous faut citer encore Séjan, un merveilleux virtuose; Noblet, habile organiste et claveciniste, et surtout Claude Balbastre (1729-1799). Compatriote de Rameau, il fut son élève; son exécution était brillante, et il possédait
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FRANÇAISE
DE
MUSIQUE.
une profonde connaissance de son instrument. Le succès de cet organiste fut tel à l'église de SaintRoch que l'on vit, en 1762, l'archevêque de Paris lui faire défendre de jouer l'orgue à la messe de minuit; en 1776, cette défense fut renouvelée pour le Te Deum de la fête du saint. Le prélat voulait prévenir ainsi l'encombrement de la foule qui se pressait dans l'église chaque fois que le célèbre organiste montait à son banc. Remarquons en passant que la première ouverture réduite pour le clavecin fut celle des Fêtes d'Hébé ou les Talents lyriques de Rameau, que Balbastre arrangea en 1739. A partir de Balbastre, on compte d'estimables artistes, de bons professeurs, mais peu de maîtres; enfin la transformation du clavecin devenu piano causa une révolution complète dans l'art de toucher cet instrument. Si nous pouvons nommer encore Jadin et Pleyel, à la fin du siècle et au commencement de celui-ci, il nous faut attendre encore quelques années avant de retrouver une véritable école de pianistes et d'organistes français. Nous laissons de côté, quoique à regret, car ils ont aussi droit à un souvenir dans l'histoire de notre école, les joueurs de basse, de viole, de violoncelle, de hautbois, de flûte, etc., les fantaisistes de la vielle et de la musette; il faut nous arrêter quelques instants sur les e violonistes qui, pendant le xvm siècle et au commencement du xixe, ont été avec les virtuoses de l'orgue et du clavecin l'honneur de l'école instrumentale française. Pendant qu'à la fin du xvnc siècle, l'Italie et l'Allemagne possédaient de brillantes écoles de violon, la France, à cet égard, était restée bien en arrière,
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à en juger par la musique qui nous est restée de cette époque. Avec les pièces de Guillaume Dumanoir, qui était roi des violons en 1659, avec celles de Constantin, nous ne sommes pas bien loin des petits airs de danse que Gervaise arrangeait pour le livre de viole, cent ans auparavant. Les dernières années du xviie siècle virent commencer la révolution qui donna naissance à l'école de violon que nous admirons encore. Corelli, le premier, en Italie, avait posé les bases de l'art du violon. En enseignant la vraie posidon de la main, en fixant des lois sur la manière de tenir l'archet, il avait donné aux doigts cette légèreté et cette indépendance sans lesquelles toute bonne exécution est impossible; en même temps il créait le concerto, cette forme de composition musicale si propre à faire ressortir toutes les ressources de l'instrument. Beaucoup de nos musiciens étaient allés en Italie; ils entendirent ce maître, étudièrent ses compositions et résolurent de rapporter en France ce style et cette manière. Duval fut le premier violoniste français qui voulut imiter la manière de Corelli, aussi peut-il être regardé comme le fondateur de notre école de violon. Après lui vint Sénaillé (1687-1730), fort supérieur à Duval dans la composition de ses pièces; elles étaient élégantes et mélodiques et quelques-unes ne seraient pas déplacées dans nos concerts. Sénaillé, qui était resté quelque temps en Italie, y avait remporté de très grands succès. En même temps que lui, Guillemain (1705-1770) fut un des violonistes des plus hardis et un des compositeurs pour son instrument des- plus originaux. Nous voici arrivés aux trois hommes les plusremar-
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quables de la période qui s'étend jusqu'à la moitié du xvin0 siècle. Baptiste Anet dit Baptiste, Leclair et Guignon; avec eux l'école française est fondée. Baptiste travailla quatre ans avec Corelli, et cependant, disons-le, ses compositions sont médiocres, mais son jeu était simple en même temps que expressif. « Il tirait de son instrument les plus beaux sons dont l'oreille humaine pût être frappée. » On le voit, la richesse du son, une des grandes qualités du violoniste français, se trouvait déjà chez Baptiste. L'école de Leclair (Jean-Marie) (1697-1764) (fig. 59) était tout autre; élève de l'Italien Somis, il recherchait surtout l'agilité, et les difficultés n'étaient pour lui qu'un jeu. Son habileté sur les doubles, triples et même quadruples cordes était si grande que, bien qu'elles eussent été fort employées avant lui, il passa pour en avoir fait usage le premier. Ses œuvres sont intéressantes au plus haut point et sa musique de violon est encore aujourd'hui la plus remarquable, avec celle de Baillot, dans l'école française. Nous recommandons en particulier les sonates du XIIe livre qui sont d'un maître digne de figurer à côté d'Hœndel, de Corelli et de Geminiani. Moins habile compositeur que Leclair, Guignon (Louis-Pierre) (1702-1775) était son rival comme virtuose. « Le jeu de cet habile artiste, dit Pluche, dans son Spectacle de la nature, est d'une légèreté admirable ; il prétend que l'agilité de son archet rend un double service qui est de tirer les auditeurs de l'assoupissement par son jeu et 'de former par le travail de l'exécution des concertants qu'aucune difficulté n'arrête. » Ce dernier résultat, que Guignon vou-
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lait obtenir, ne fut peut-être pas aussi complet qu'il le pensait; mais cependant il était loin d'être négatif. Sans être tous des Leclair, des Baptiste ou des Guignon, les violonistes français avaient fait de grands progrès; un fait nous en donne la preuve évidente; c'est vers 1720 que nous voyons apparaître la première méthode écrite en français pour le violon. Cet ouvrage de Montéclair était bien modeste dans ses proportions (24 pages), mais c'était déjà l'indice d'un réel progrès. Un peu plus moderne que les maîtres que nous avons cités, Gaviniès (Pierre) (Bordeaux, 1726 ou 1728; Paris, 1800) (fig. 60) est considéré comme un des grands artistes de notre école. Il se fit entendre à Paris, en 1741, au Concert Spirituel, et la largeur de son coup d'archet, la hardiesse de son jeu, l'expression et la majesté de son style le firent surnommer le Tartini français. Avec lui il faut nommer Pagin, La Houssaye, élève de Tartini, dont le jeu était encore remarquable de pureté et de justesse dans les dernières années de sa vie; derrière eux, Cupis, de Camargo, « qui joignait le tendre et doux de Leclair au brillant de Guignon », Paisible, le chevalier de Saint-Georges, le célèbre amateur, et enfin Exaudet qu'un médiocre menuet de maître de danse suffit à rendre célèbre. Nous avons hâte d'arriver aux trois derniers grands maîtres de cette belle école, Rode, Kreutzer et Baillot. Le merveilleux virtuose italien Viotti s'était fait entendre au Concert Spirituel en 1782; il avait donné les modèles d'une exécution parfaite, et ses compositions avaient ouvert une voie nouvelle à la musique spéciale de violon. Un autre étranger, Charles Stamitz, une des
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gloires de l'école bohémienne avait paru aussi à Paris. Ces. deux grands artistes èxercèrent la plus salutaire influence sur notre école de violon, ils furent les maîtres des trois violonistes français que nous avons nommés plus haut. Kreutzer (Rodolphe) (1766-1831),
BIG. fjO.
GAVINIÈ'S
(PIERK.E).
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(Bordeaux, 1728. — Paris, 1800.)
déjà cité au sujet de l'opéra-comique, avait étudié avec Stamitz et, dès l'âge de treize ans, il se faisait entendre au Concert Spirituel; Rode (Pierre), né à Bordeaux, en1774, et mort en cette ville en i83o, avait été, très jeune encore, élève de Viotti; enfin Baillot (Pierre-MarieFrançois-Jules) (Passy, 1771; Paris, 1842) (fig. 61)
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était déjà fort avancé dans ses études, lorsqu'il entendit Viotti en 1782. Ce fut pour lui une révélation. « Je le croyais Achille, dit-il, mais c'est Agamemnon. » Ces trois artistes exceptionnels brillèrent à côté les uns des autres sans se porter ombrage, tant leurs qualités étaient diverses. Comme virtuose, aussi bien que comme compositeur, Kreutzer semblait devoir tout à la nature. Il n'avait pas l'élégance, le charme et la pureté de Rode, le mécanisme parfait et la profondeur de Baillot; mais il possédait la verve, le sentiment passionné, joints à une justesse parfaite. Rode avait en partage, la délicatesse du coup d'archet, le goût et la finesse du style. Dans cette trinité de maîtres, Baillot paraît avoir été le plus accompli. Non seulement il était virtuose de premier ordre, par la sûreté et la largeur de son archet, par la netteté et l'exactitude de son jeu, par sa passion et sa sensibilité; mais, plus que ses deux rivaux, il possédait la suprême intelligence de l'exécutant, celle qui consiste à comprendre et à rendre le style et la couleur de chaque morceau qu'il interprète; musicien instruit en plus, il connaissait tous les maîtres de l'école française et italienne; enfin, compositeur de talent, il a laissé des pages écrites pour le violon qui sont, il est vrai, d'une exécution difficile, mais qui resteront des modèles. Le maître didactique égalait l'exécutant et le compositeur; on peut en juger d'après ces deux monuments de l'enseignement musical qui ont pour titres: la Méthode du violon et l'Art du violon et qu'il écrivit pour les classes du Conservatoire. Pour être complet, il faudrait citer encore Cartier, un bon professeur qui, lui aussi, avait publié un Art
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du violon (en 1798). Lafont (178r-i831}, qui sut se faire un nom à côté des plus célèbres, Alexandre Boucher, brillant virtuose, et d'autres encore; mais nous avons nommé le Conservatoire au sujet de Baillot et
FIG. Cl.
— BAILLOT
( F I E R R E - M A R I E - F R A N Ç O IS
DE
SAIESj,
(Passy, 1771. — Paris, 1842.)
nous devons nous arrêter un instant sur cette belle institution qui a rendu et qui rend encore tant de services à l'art musical. Depuis les premières années du moyen âge, l'ensei-
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gnement se faisait, en France, de deux façons : ou chez des maîtres que les élèves et les parents choisissaient, ou dans les maîtrises. Celles-ci, établies depuis Charlemagne, furent les véritables conservatoires de nos artistes, formant des musiciens bons lecteurs et instruits. C'est de là qu'étaient sortis nos grands organistes, nos compositeurs les plus remarquables ; c'est là que Perrin et Cambert allèrent chercher leurs premiers interprètes ; mais, à mesure que le goût changeait, que la musique progressait, l'enseignement un peu spécial, donné dans les maîtrises, ne suffit plus ; on vit successivement Lulli, Rameau et Gluck être obligés de former eux-mêmes les chanteurs et les chanteuses à leur nouveau style. Lulli avait annexé à l'Opéra une école intitulée École de chant et de déclamation, reprise par la chanteuse Lerochois en 1698 jusqu'en 1726, On ouvrit ensuite rue Saint-Nicaise une sorte d'établissement d'éducation musicale intitulé École de chant de l'Opéra, qui avait son siège dans les magasins mêmes de l'Académie royale de musique; de là le nom de filles du magasin donné aux élèves femmes. L'école du Magasin dura jusqu'en 1784, époque à laquelle Devismes du Valgayet Gossec obtinrent du roi une ordonnance établissant, sous la présidence de M. de Breteuil, une école à l'hôtel des Menus plaisirs, où est encore aujourd'hui-le Conservatoire et sous le titre d'Ecole royale de chant et de déclamation. Cette École, fermée en 1792, ne tarda pas à se rouvrir, complètement renouvelée et réorganisée. La municipalité de Paris avait eu d'abord à sa solde la musique de la garde nationale, composée de soixante-dix musiciens et dirigée par un nommé Sarrette (Bernard)
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Sarrette sut garder autour de lui ses exécutants, pour lesquels il obtint la création d'une école gratuite de musique, chargée de former des instrumentistes destinés aux armées de la République. Bientôt on donna plus d'extension à l'école de Sarrette ; on ajouta aux classes d'instruments des cours de composition, de chant, de déclamation, etc., et, après plusieurs essais,Te Conservatoire de musique et de déclamation fut organisé par une loi du 6 thermidor an III (7 septembre 1795), année même où était créé l'Institut. Ce n'est pas par un respect banal des choses du passé que nous citons ici cette date; mais, selon nous, elle a une importance capitale dans l'histoire de notre musique. Par l'unité de son enseignement, dont les méthodes furent rédigées dès les premières années de sa création, par la supériorité incontestable de ses professeurs, le Conservatoire a donné à la France ce qui lui manquait et ce que possédaient l'Allemagne et l'Italie, c'est-à-dire un établissement où tout ce qui touche à la musique était étudié et appris d'après un plan régulier et homogène; jusque-là nous avions eu de bons maîtres, nous n'avions pas d'enseignement officiel. Etabli en vue de la célébration des fêtes nationales instituées parla République, le Conservatoire, qui avait pris d'abord le titre d'Institut national de musique, ne manqua pas à sa mission, et bientôt on vit les élèves de cette école former les orchestres qui exécutaient la musique deVHymne à l'Être suprême de Gossec,le Chant du départ de Méhul, etc.; bien plus, des professeurs eux-mêmes, comme Gossec, Méhul, etc., faisaient répéter au peuple, dans les rues et sur les places
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publiques, les chants simples et grandioses, comme l'hymne pour la fête du 14 juillet, de Gossec; l'hymne pour la Fête de la jeunesse, de Cherubini ; le Réveil du peuple, de Gaveaux, et le sublime Chant du départ, écrit pour l'anniversaire de la prise de la Bastille, en 1794. On sait que la Marseillaise, improvisée, en avril 1792, par Rouget de l'Isle, sous le titre de Chant de guerre pour l'armée du Rhin, dédié au maréchal Luckner, ne fut entendue pour la première fois à Paris que lorsque le bataillon des Marseillais vint dans cette ville; mais la première exécution publique, pour ainsi dire officielle, de ce chant admirable eut lieu le 14 octobre 1792, et le Conservatoire y prit part. Lç grand mouvement révolutionnaire ayant pris fin, le Conservatoire revint à une musique moins pompeuse; c'est alors qu'il donna, pendant l'Empire, des sortes d'auditions que l'on appela exercices, dans lesquels se faisaient entendre les professeurs et les meilleurs élèves. Vers 1828, sous l'impulsion de Baillot et sous la direction d'Habeneck (1781-1849) (fig. 66), les maîtres se réunirent, rassemblèrent autour d'eux leurs plus brillants disciples ët fondèrent une société qui, sous le nom de Société des concerts du Conservatoire, eut sur notre école une influence salutaire et immense qui dure encore. Le premier programme, du 9 mars 1828, indiquait l'exécution de la Symphonie héroïque. On verra, ■au livre suivant, de quelle importance était, pour l'avenir de notre' école, l'apparition à cette date du nom du maître des maîtres, de Beethoven. Il serait injuste cependant de ne pas rappeler que depuis le xvie siècle, il avait été souvent fondé en France
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des sociétés de concerts qui avaient puissamment contribué aux progrès de l'art. Le premier concert public en France fut celui des Me'lophilètes (1722), puis le célèbre Concert Spirituel, fondé par la marquise de Prie (1725), celui des Amateurs (1780) (fig. 79) qui devint celui de la Loge olympique, où furent exécutées pour la première fois en France les symphonies d'Haydn. Nous avons terminé les xviie et xviir3 siècles, époque si féconde pour l'histoire de la musique française, nous occupant des maîtres seuls, sans nous arrêter aux polémiques et aux discussions que leurs oeuvres soulevaient, et cependant ces multiples événements ne se sont pas passés sans être racontés, commentés, âprement discutés. Ce fut cette époque qui vit aussi naître l'histoire et la théorie de notre art. Nous avons cité Rameau et ses traités, mais nous devons rappeler encore l'ouvrage si intéressant de Marin Mersenne, intitulé l'Harmonie universelle(i636), le spirituel livre d'Annibal Gantez, VEntretien des musiciens, le Voyage en Italie, (1639) de Maugars, joueur de viole, le Dictionnaire de musique, si curieux, de Brossard (1703, éd. in-f°). Puis vient le xvine siècle, qui nous apporte d'abord une assez médiocre Histoire delà musique (1715), de Bonnet, puis les beaux travaux archéologiques de l'abbé Lebeuf sur la musique religieuse. La littérature musicale commence à se former et le Dictionnaire de musique de Rousseau, avec ses erreurs, ses lacunes, mais aussi ses pages pleines de bon sens, d'esprit et de génie, en est un des monuments. C'est la fin du xvme siècle qui voit naître l'érùdition avec les Essais sur la musique, de Laborde (1780), premières études incomplètes et bien
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erronées souvent, mais consciencieuses de l'art au moyen âge; puis la curiosité, la passion même s'étant portées sur la Grèce et sur Rome, Burette commente longuement les traités de Plutarque relatifs à la musique; enfin, dès le début de notre siècle, nous voyons arriver Perne (François) (1772-1832), qui porta son érudition, à la fois, sur l'antiquité et sur le moyen âge, et, en 1827, paraissait le premier numéro de la Revue musicale de Fétis, son élève, qui donna en France une si vigoureuse impulsion à l'histoire de l'art. C'est à dater de Perne et de Fétis, à partir de la création de la Revue, que la critique et l'histoire musicales existent réellement dans notre pays, et cependant, durant tout le XVIII0 siècle, on avait parlé de musique, et beaucoup ; mais toutes ces brochures et pamphlets, issus des polémiques partiales et passionnées que l'on a appelées les guerres ou les querelles, appartiennent plutôt à la littérature qu'à la musique et n'ont rendu, selon nous, que peu de services à l'art. Armé de son génie, le véritable artiste marche droit devant lui, les yeux fixés sur son idéal, sans souci du présent, sans inquiétude pour l'avenir, sans tenir plus de compte qu'il ne faut des cris d'admiration ou des rugissements de colère qu'excite son œuvre. Le temps se charge de son avenir et que peuvent importer à un Gluck les criailleries d'un Laharpe? Cependant, il nous faut ici faire rapidement allusion aux querelles célèbres du XVIII0 siècle. La principale fut l'antagonisme de la musique française et italienne. Déjà dans l'œuvre de Lulli, nous avions trouvé des parodies de l'une et de l'autre, véritables satires musicales, et le théâtre de la Foire était plein de
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plaisanteries de ce genre lorsqu'en 1702 Raguenet, revenant d'Italie tout bardé d'italianisme, lança son livre intitulé : Parallèle des Italiens et des Français, en ce qui regarde la musique et les opéras, sorte de pamphlet où quelques vérités étaient noyées dans un flot d'ignorances et d'exagérations. Ici, colère d'un nommé Lecerl de la Vieville de Freneuse, qui défend la musique française avec non moins d'injustice et de partialité dans son livre intitulé : Comparaison de la musique italienne et de la musique française ; c'est alors une pluie de brochures pour et contre l'une ou l'autre école. Ensuite vient Rameau avec ses nouveautés; les vieux amateurs de Lulli veulent barrer le chemin à l'auteur de Dardanus, qui passe fièrement. Cependant cette querelle fut moins vide peut-être que les autres, car quelque chose sortit des discussions scientifiques sur le système harmonique du maître et de ses réponses. En 1752, voici les Italiens, la guerre se rallume, terrible cette fois; elle est restée célèbre sous le nom de querelle des Bouffons ; mais aussi quels jouteurs sont descendus dans l'arène! Rousseau, Grimm,Diderot, d'Holbach, pour les Italiens; Rameau, Cazotte, Fréron, pour les Français. De cette bataille héroï-comique, sortirent deux pamphlets amusants : l'un, la très spirituelle lettre de Rousseau sur la musique; l'autre, la brochure pleine de verve et d'esprit de Grimm, intitulé le Petit prophète de Bohemischroda (fig. 63). Les deux partis s'étaient cantonnés l'un du côté de la loge du Roi, pour les Français; l'autre, sous la loge de la Reine, pour les Italiens ; de là, le nom de querelle des Bouffonnistes ou guerre des coins. Les Italiens ayant été arbitrairement chassés par un ordre royal,
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le combat cessa faute de combattants, et les lutteurs se retirèrent en grommelant; mais le feu couvait sous la cendre, et lorsque Gluck apparut, on était prêt à rentrer en lice. Dès les premières œuvres du maître, brochures et pamphlets firent leur apparition. Les ennemis de l'auteur d'Orphée étaient Marmontel, Laharpe, Ginguené, d'Alembert; ses défenseurs, Rousseau, l'abbé Arnauld, Suard, Grimm, etc. Le terrain n'était pas encore bien défini, et attaquer Gluck ou le défendre était le seul objet de la lutte; elle se précisa lorsque les adversaires du maître eurent fait venir d'Italie un grand musicien, Piccini ; ce fut alors que la bataille prit le nom de querelle des Gluckistes et des Piccinistes, qui ne cessa qu'en 1780, lorsque Gluck fut retourné à Vienne. Je cite pour mémoire seulement la querelle des Todistes et des Maratistes à l'occasion de deux chanteuses, la Todi et la Mara, qui se firent entendre en 1783 au Concert Spirituel, et la polémique excitée par les théories hardies de Le Sueur sur la musique religieuse. Ces nobles passions, a-t-on dit, sont mortes aujourd'hui; qui s'enflamme pour un genre de musique, pour un maître italien, français ou allemand? Mon Dieu! que veut-on donc de plus et comment accuser notre siècle d'indifférence? Dès l'arrivée de Rossini à Paris, les brochures, les pamphlets, les lazzis partirent de tous côtés, puis ce furent les admirateurs de Meyerbeer contre le maître de Pesaro; plus tard, on se disputa sur Verdi, et ne sommes-nous pas aujourd'hui en pleine querelle musicale? Et il ensera ainsi, tant qu'il existera des vieillards pour adorer le passé, des jeunes gens pour aspirer vers l'avenir, des écrivains pour bavarder
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sur ce qu'ils ne savent pas et des musiciens de génie capables d'exciter les passions de leurs contemporains.
Ancelot. Observations sur la musique, les musiciens et les instruments, in-12, 1757. Bacilly. Remarques curieuses sur l'art de bien chanter, in-12, 1668. Blondel. Les origines du Concert Spirituel. {Chronique musicale, 1874.) Brossard. Dictionnaire de musique, in-f°, 1703. Clément (Fél.). Histoire générale de la musique religieuse, in-8°, 1861. Daquin. Siècle littéraire de Louis XV, in-12, s. d. Farrenc (Mme). Le Trésor des pianistes. Fayolle. Notices sur Corelli, Tartini, Gaviniès, Paganini et Viotti, in-8°, s. d. Fétis. Notice sur Paganini. Gantez (Annibal). Entretien des musiciens (éd. Thoinan), in-12, 1878). Laborde. Essais sur la musique, 4 vol. in-4°, 1780. Lassabathie. Histoire du Conservatoire de musique, in-12,1860. Lavoix fils et Lemaire. Le chant, in-40, I83I (20 partie, 4° époque). Leblanc (Hubert). Défense de la basse de viole contre les entreprises du violoncelle, in-12, Paris, 1711. Maîtrise (la) (journal). Mémoire sur la révolution opérée dans la musique par le chevalier Gluck, in-8°, 1781. Méreaux (Am.). Les clavecinistes de i63y à 17go, in-40, r867. Mersenne. L'harmonie universelle, in-f°, i636. Pougin. Notice sur Rode, in-8°, 1874. — Notice sur Viotti ou l'école moderne de violon, in-8°, 1888. — Mondonville et la guerre des coins. (Galette musicale, 1860.) Revue de musique religieuse (dir. Danjou), 4 vol., 1845-1849. Revue musicale, 1826 (devenue Revue et Galette musicales). Titon du Tillet. Le Parnasse français, ih-f°, 1702. Vallat. Études d'histoire des mœurs et d'art musical, in-12, Paris, 1890. (Ce volume est une biographie du violoniste Alexandre Boucher.)
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LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
L'ODE-SYMPHONIE ET LA SYMPHONIE RTELIGIEUSE
ET
DRAMATIQUE
La monodie italienne et la polyphonie allemande. Le genre symphonique français. La musique imitative. Les symphonies de Gossec et les ouvertures de Méhul. — Le romantisme : Berlioz et Félicien David. — Les concerts : Habeneck et Pasdeloup. — Musique instrumentale: La symphonie classique, les suites d'orchestre, les rapsodies, les ouvertures. — Musique instrumentale et vocale : Compositions descriptives, religieuses, fantastiques et dramatiques. La symphonie au théâtre; les mélodrames lyriques (musique de scène).
Si court qu'ait été notre récit, surtout au début, nous espérons avoir pu montrer le développement logique de notre art; au moyen âge, la langue des sons se forme et se perfectionne peu à peu, les premières lueurs de notre génie national brillent à l'horizon de l'histoire; aux xvne et xvnic siècles, naissent et gran-
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dissent l'opéra et l'opéra-comique; en un mot, le genre dramatique français, lyrique et de demi-caractère. Nous voici parvenus au xix° siècle, c'est-à-dire à l'époque contemporaine ; à ce moment, l'ancien art dramatique, arrivé à son apogée, emprunte à l'art symphonique, c'est-à-dire à l'orchestre et à l'harmonie, de nouvelles forces et de nouvelles richesses. Nous voyons depuis près d'un siècle se préparer une de ces grandes évolutions qui fixent les dates dans l'histoire musicale, et qui prouvent aussi combien l'art, radieuse divinité, est toujours vivace, toujours capable de se renouveler. C'est le tableau de cette nouvelle phase de notre musique que nous tenterons d'esquisser dans les dernières pages de ce livre. En créant le drame lyrique, Péri, Caccini, Monteverde, avaient dégagé la musique des liens du contrepoint, dans lesquels les déchanteurs du moyen âge l'avaient enlacée, et mis en relief le premier des instruments expressifs, la voix humaine. Telle avait été l'œuvre des Italiens, œuvre féconde entre toutes ; mais bientôt l'amour de la virtuosité les avait entraînés dans une voie fatale; pour faire la place libre au chanteur, au virtuose pour mieux dire, ils avaient tout sacrifié, et les voix de l'orchestre et le sentiment dramatique et la mélodie même, du moins dans le grand opéra. Seuls les maîtres qui étaient venus en France, comme Piccini, Salieri, Sacchini, Chefubini, avaient retrouvé les vrais accents du drame musical. C'est qu'en effet, si quelques brillants virtuoses (fig. 64) avaient été applaudis dans nos concerts, notre amour pour la vérité dramatique nous avait préservés de la
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passion des Italiens pour la virtuosité; et en résumé, les étrangers qui avaient écrit pour nous ne s'étaient jamais beaucoup écartés du genre expressif de la tragédie sévère, jaloux qu'ils étaient de plaire à un public qui avait eu pour maîtres au théâtre Corneille et Racine. Toute autre fut l'influence de la musique allemande sur notre art. En Allemagne, les Italiens avaient d'abord triomphé sans combat, et la musique d'Italie avait été la seule bien en cour et officielle. Mais, de même que les Français avaient toujours conservé le sentiment juste de l'expression dramatique, de même les Allemands avaient gardé le goût des riches combinaisons harmoniques et instrumentales ; la lutte fut longue entre l'art national et la musique étrangère aimée et encouragée par les dilettantes. Cependant, à la fin du xvne siècle et au commencement du xvme siècle, apparut un des géants de la musique, J.-S. Bach, que les plus grands de nos musiciens considèrent aujourd'hui encore comme leur ancêtre. Il prit pour base de son esthétique l'art puissant des sons simultanés et jeta les fondements d'une langue musicale nouvelle. A côté de lui Hsendel, reniant ses anciennes adorations italiennes, éleva aussi à la musique allemande chorale et instrumentale un magnifique monument couronné par des œuvres telles que le Messie et Judas Macchabée. Bientôt venait Haydn qui créait la symphonie, puis Mozart. La musique s'était enrichie en s'épurant, le style instrumental s'était formé, lorsque parut Beethoven, au début de ce siècle. Beethoven le grand penseur, puis Weber le poète coloriste, achevèrent la conquête du théâtre commencée par Mozart; en même temps Schu-
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bert avec ses lieder fit dans la musique une place d'honneur à la muse populaire et nationale. C'était un art tout nouveau pour nous que celui de ces maîtres, art qui étendait à l'infini la puissance de la musique, ajoutant à la force mélodique la multiple expression des accords, la variété des timbres de l'orchestre. Lorsque, après les premières auditions des symphonies d'Haydn, de Mozart et de Beethoven, au Conservatoire, après quelques représentations, à Paris, du répertoire allemand (1824), nos musiciens eurent compris quelles immenses et nouvelles ressources l'instrumentation et l'harmonie offraient à la musique, ils se tournèrent vers la symphonie et se l'approprièrent, en y introduisant l'élément dramatique et pittoresque. Telle fut l'œuvre qu'accomplirent Berlioz et Félicien David, lorsqu'ils créèrent l'ode-symphonie et la symphonie dramatique. Jusqu'à eux, la symphonie avait été assez négligée en France; à part quelques compositions de Reicha, des ouvertures de Méhul et de Cherubini, quelques pages instrumentales et pittoresques de Le Sueur, qui avait eu l'intuition de ce que firent plus tard nos maîtres contemporains, nous ne pouvons citer que les œuvres instrumentales de Gossec que Haydn fit vite oublier, quoiqu'elles eussent pour mérite la clarté, la simplicité et l'heureuse disposition des plans. Un mot de Cherubini, assez amusant, nous montre en quelle mincé estime nos plus grands musiciens tenaient la symphonie. Un jour, un de ses élèves lui dit : « Maître, j'ai fait une symphonie. — Elle est mauvaise, répond Cherubini sans la regarder. —Mais... — Elle est mau-
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III.
I
vaise, te dis-je, Méhul et moi nous en avons fait et nous savons ce que c'est. » Lorsque parurent en France, entre i83o et i85o, l'ode-symphonie et la symphonie dramatique, c'était un genre tout nouveau pour nos compositeurs; mais cette innovation devait être féconde, car ce fut cette évolution de la symphonie vers le drame symphonique qui caractérisa l'histoire de notre école pendant le xixe siècle. Ce fut elle qui donna naissance à l'esthétique du drame lyrique, telle que nos musiciens la conçoivent aujourd'hui. Jamais époque n'avait été plus favorable au renouvellement de l'art musical en France. L'esprit français subissait depuis le commencement du siècle une de ses révolutions les plus radicales ; nous avons plusieurs fois signalé cette influence de notre littérature sur notre musique, il nous faut y revenir encore. Shakespeare, Goethe, Schiller, immortels inspirateurs de la poésie nouvelle, ouvraient à nos écrivains, à nos auteurs dramatiques, à nos peintres, des horizons encore inexplorés; au théâtre et dans la poésie, Victor Hugo, Dumas, Lamartine, Casimir Delavigne; dans la peinture, Géricault, Delacroix, Decamps, suivis d'une nombreuse et brillante cohorte, s'élançaient hardiment dans le romantisme. La musique, à son tour, ne pouvait rester stationnaire; elle devait fatalement obéir à la loi qui relie tous les arts entre eux. Nous verrons plus loin quelle fut l'influence du romantisme sur nos compositeurs dramatiques, mais on ne peut nier qu'il ait eu une grande part à la création de cette sorte de symphonie inaugurée en France par Berlioz. Il fallut aussi qu'il se trouvât un musicien ayant assez d'enthousiasme, de conviction et
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d'audace pour affronter les périls auxquels s'exposent tous les novateurs; assez de génie pour forcer le public français à reconnaître qu'il pouvait exister, en dehors de la scène, des œuvres dignes de son admiration, que pour offrir à nos yeux un spectacle moins varié et moins brillant que celui du théâtre, le concert, où la musique seule régnait sans partage, était capable cependant d'émouvoir notre âme, de là transporter dans les régions élevées de l'idéal. Cet homme, le romantisme l'avait fait naître, il s'appelait Berlioz (i8o3-i86g). (Voy. portrait, Hist. de la musique, fig. no.) Un peu plus tard vint Félicien David (i810-1876) (fig. 65) et tous deux, bien différents de talent et de caractère, mais inconsciemment unis, contribuèrent puissamment non seulement à créer l'école symphonique française que nous admirons aujourd'hui, mais à accomplir la révolution qui s'est opérée dans le drame lyrique. L'un demandait anxieusement à Shakespeare, à Byron, à Gœîhe, à Victor Hugo, aux plus grands poètes du romantisme, les sujets qu'il voulait mettre en musique. L'autre n'interrogeait que son cœur et son imagination. Il transcrivait naïvement dans sa langue ce qu'il avait vu, ce qu'il avait senti, il écrivait de mémoire, pour ainsi dire, il obéissait à la sensation. Chez Berlioz, la mélodie, le rythme, l'harmonie, étincellent de traits heureux, de trouvailles de génie; mais on y sent aussi parfois l'effort et la recherché. David, au contraire, voulait avant tout la simplicité; son idée n'était pas partout très puissante; son harmonie, quoique élégante, frisait quelquefois la pauvreté, mais toujours l'œuvre était claire et la pensée limpide. C'était
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l'orchestre qui venait alors recouvrir de sa riche parure ce fond un peu nu. La connaissance des timbres, le merveilleux sentiment de la couleur instrumentale fut aussi une des qualités saillantes du génie de Berlioz; mais si son instrumentation est éminement poétique, curieuse et originale, elle ne laisse pas quelquefois d'être tourmentée et cherchée à l'excès. En un mot, si tous deux avaient des dieux en musique, c'était Beethoven que Berlioz adorait, c'était le culte d'Haydn et de Mozart que Félicien David gardait dans son cœur. Il est facile dans les quelques lignes d'un récit de supprimer le temps, de franchir les années, de ne pas se soucier de mille obstacles que rencontre l'artiste novateur, de résumer d'un mot une lutte de plus d'un quart de siècle : ainsi nous pourrions dire qu'après Berlioz et David, la symphonie avec voix — telle que nous l'entendons en France et à laquelle on a donné le nom d'ode-symphonie, de symphonie dramatique, ou de drame symphonique — était créée. Cependant il se passa bien des années avant que le public et les compositeurs eux-mêmes vissent tout le parti que l'on pouvait tirer en France de cette forme nouvelle de l'art. Jusque vers 1861, les musiciens ne purent faire entendre en général des œuvres instrumentales que dans des concerts exceptionnels, montés à leurs frais ou par des éditeurs. Dans quelques cas bien rares, le Conservatoire exécutait les partitions de cette espèce, et ce ne fut que lorsque M. Pasdeloup eut ouvert ses célèbres concerts populaires que les musiciens français purent entrer résolument dans la voie que leur avaient ouverte Berlioz et Félicien David.
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III.
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La Révolution avait fait fermer les fameux concerts delà loge Olympique, mais dès Tan VII le chef d'orchestre Grasset en ouvrit d'autres rue de Gléry et, plus tard, rue Chantereine. En 1825, un concert fut orga-
FIG.
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HABENECK
( F R A N Ç O I 5 - A N T 01 N E) .
(Mézières,- 1781. — Paris, 1849,)
nisé au Concert-Tivoli, yms au Vaux-Hall; celui-ci une fois fermé, le compositeur Chelard en fonda un, dit VAthénée musical, qui dura jusqu'en i832. En 1834, on entendit les premières œuvres de Berlioz au gymnase musical dirigé par Tilmant. Ce ne fut que quelques années après, en 1839, qu'un ancien chef d'orchestre
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de l'opéra, Valentino, fonda les premiers concerts publics qui, en dehors du Conservatoire, permirent d'entendre les grandes œuvres classiques des Mozart et des Beethoven. On y exécuta une des premières symphonies de Félicien David. Ce dernier maître dirigea aussi, à la salle Sainte-Cécile, des concerts qui avaient été fondés par un violoniste nommé Manera. A Félicien David succéda Berlioz. Quelque temps après, M. Seghers fonda la société de Sainte-Cécile, où on entendit la musique de Reber, Gouvy, Gounod, Saint-Saëns. Les théâtres étant comme toujours peu hospitaliers, la jeune école française se tournait vers la symphonie, et entendait se faire connaître. Ce fut alors que l'on vit apparaître M. Pasdeloup (fig. 67), qui préluda à sa grande fondation en créant la Société des jeunes artistes du Conservatoire en i85r.Là, outre les classiques, on exécuta les artistes bien jeunes alors qui sont aujourd'hui nos maîtres. Enfin s'ouvrirent sous la direction du même Pasdeloup les Concerts populaires, le dimanche 27 octobre 1861. Le nom était bien trouvé. Grâce à Pasdeloup, la musique d'orchestre n'était plus le privilège d'une élite, elle devenait le partage de tous, elle devenait populaire. Les dimensions de la salle du Cirque, le bas prix de la plupart des places permettaient aux masses de venir écouter les œuvres classiques ou modernes, de jouir de cet art'admirabledela symphonie qui, plus que le drame, entraîne notre esprit jusque dans l'infini de l'idéal. C'est là que les hommes de notre génération ont appris à admirer les vieux maîtres, à aimer les nouveaux. Depuis cette époque, d'autres concerts, ceux de MM. Colonne et Lamoureux, se sont ouverts, plus riches, plus variés^
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apportant des éléments divers, rendant, eux aussi, d'immenses services. Les noms de ces deux artistes ont droit à tous les éloges, mais deux hommes resteront dans l'histoire de l'art instrumental en France, pour en avoir
FIG.67.
—
PASDELOUP
( J UL ES-ETI EN N E)
(Paris, 1819-1S86.)
été les plus hardis et les plus fervents apôtres, Habeneck (fig. 66), qui, au Conservatoire, fit connaître aux artistes et aux amateurs les grandes compositions symphoniques; Pasdeloup, qui, grâce aux concerts populaires, fit naître dans la masse du public l'amour des chefsd'œuvre passés, la curiosité des chefs-d'œuvre à venir.
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. Berlioz et Félicien David ont ouvert la voie, les concerts ont permis à nos musiciens de se faire connaître; voici en deux lignes le résumé de l'histoire de l'art symphonique en France à notre époque. Que le lecteur nous permette maintenant d'entrer dans plus de détails, d'analyser brièvement cet art si intéressant de la symphonie française, nouveau dans notre siècle, de la montrer purement instrumentale d'abord, puis devenant l'ode-symphonie et la symphonie dramatique avec voix et orchestre et se rapprochant chaque jour du genre dramatique. Il n'y a pas à s'y tromper, cette évolution est une des plus intéressantes et, j'ose l'espérer, des plus fécondes de l'histoire de notre école. La symphonie dite classique a eu peu d'adeptes chez nous, et encore les œuvres de ce genre paraissent-elles des pastiches habiles un peu froids et conventionnels plutôt que des compositions originales. Je citerai cependant les symphonies de M. Onslow (1784-1852)', intéressantes par le style et la facture, celles de Reber (1807-1880) dans lesquelles ce musicien fin et délicat a su, tout en restant scrupuleux imitateur des chefsd'œuvre laissés par Haydn et Mozart, faire briller son talent tout personnel. Les symphonies de Félicien David sont un peu écourtées et les mélodies qui leur servent de sujet n'ont pas toujours la puissance nécessaire au développement symphonique; cependant on y trouve des passages délicieux, empreints du cachet d'élégance et de charme propre au maître qui avait pris Haydn pour modèle. Vers la même époque Mme Farrenc (1804-1875), excellente musicienne, nourrie des plus fortes traditions classiques, faisait entendre au Conser-
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vatoire des symphonies remarquables par la pureté du style et l'élévation de sa pensée. M. Gouvy (1819-....) a composé des symphonies dans la forme classique qui établirent sa réputation d'artiste, de goût et de musicien instruit; on compte aussi dans l'œuvre de M. Gounod des compositions de cette espèce et particulièrement deux symphonies, une en ré et l'autre en mi bémol, dignes du maître illustre qui les a écrites. Enfin, il y a peu de temps, M. Saint-Saëns, qui avait déjà composé dans sa jeunesse plusieurs symphonies, en a fait entendre une en ut mineur au Conservatoire, qui est dans ce genre une des compositions les plus remarquables de l'école française. Mais, nous l'avons dit, malgré la réelle valeur de ces œuvres, ce n'est point vers la symphonie pure que se porte le génie de nos musiciens ; ils veulent pour la musique instrumentale plus de variété, je dirai prèsque, plus de fantaisie; il leur faut, sinon des paroles, du moins un sujet. Il y a une trentaine d'années à peu près, on inaugura un genre de composition purement instrumentale qui se rapprochait de la symphonie, sans s'astreindre à ses régies sévères et auxquelles on donna le nom de Suites d'orchestre. Parmi les premières, on-peut citer la Suite d'orchestre de M. Massenet (1867). Bientôt, cessant de se renfermer dans l'art purement spéculatif, nos musiciens demandèrent à l'orchestre de rendre des tableaux, des scènes. Les voix des instruments furent des personnages, leurs timbres, des couleurs. Ce fut alors qu'apparurent de nombreuses compositions où dominait lé style pittoresque, et dont quelques-unes sont des chefs-
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d'œuvre. Je citerai au premier rang, de M. SaintSaëns, le Rouet d'Omphale, Phaéton, la Danse macabre, où le genre fantastique se mêle si heureusement au genre descriptif, la Jeunesse d'Hercule,, le Déluge, pages magistrales, d'effet pittoresque; de M. Massenet, les Scènes hongroises, les Scènes pittoresques, les Scènes alsaciennes, compositions où la grâce delà mélodie est encore relevée par le piquant des rythmes; de M. Guirâud, une Suite d'orchestre, dont le finale, le Carnaval (1872), est un tableau éblouissant d'éclat et de verve, etc. Dans une production aussi variée et aussi féconde, les genres devaient naturellement se confondre. C'est ainsi que l'on vit des compositeurs confier à l'orchestre des conceptions à la fois mystiques et descriptives, comme la Symphonie gothique de M. Godard, par exemple. D'autre part, l'ancien concerto de violon qui, en France, n'avait généralement été cultivé que par les spécialistes, prenait plus de développement et de puissance et venait se confondre avec la symphonie pittoresque dans le Concerto de violon, de M. Lalo, et dans la Symphonie espagnole du même maître. L'historien peut voir les origines de ces œuvres dans les concertos de Beethoven et de Mendelssohn, ou au point de Vue absolument moderne, dans Harold en Italie, de Berlioz. L'introduction en France de la musique exotique a donné naissance à des compositions d'un caractère tout particulier. S'emparant d'un thème populaire hongrois, norvégien, espagnol, oriental ou russe, emprunté même parfois à quelques-unes de nos provinces comme la Bretagne ou l'Auvergne, et tou-
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jours curieux par le caractère mélodique et surtout par le rythme, nos compositeurs ont brodé, je dirai presque tissé, des pièces instrumentales vivantes et colorées auxquelles on a donné le nom de rapsodies. On connaît de M. Saint-Saëns, Lalo, Chabrier, etc., des rapsodies algériennes, norvégiennes, espagnoles, etc., d'une haute valeur. Il est enfin un autre genre de compositions purement instrumentales dans lequel nos musiciens ont écrit des pages de premier ordre et qui trahissent chez nos compositeurs les préoccupations de théâtre qui ne cessent jamais de hanter leur imagination; je veux parler des Ouvertures symphoniques. Choisissant dans l'histoire, dans l'œuvre d'un poète aimé, dans un roman célèbre, dans un drame ou une tragédie, un épisode ou une figure, l'artiste en fait le sujet de sa composition, c'est-à-dire que, prenant quelques mélodies ou quelques rythmes qui, pour lui, représentent le personnage ou le fait dramatique qu'il a choisi, ou le tableau qu'il veut peindre, il les développe symphoniquement, non pas en les répétant, comme font les Italiens, mais en les variant, les transformant, les enrichissant au moyen des multiples ressources de l'harmonie, du contre-point et de l'instrumentation. Dans d'autres pièces de ce genre, l'auteur n'a même pas cherché de sujet ni de titre ; ce sont les thèmes ainsi développés qui servent de personnages, c'est la progression même de l'œuvre qui fait son intérêt; dans ce cas, elle porte souvent le simple titre Couverture symphonique. Que ces ouvertures soient réellement isolées ou que,
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dans Tidée du compositeur, elles restent les pages initiales de drames lyriques rêvés, mais non achevés ou non représentés, elles n'en forment pas moins un tout, et nos musiciens français, suivant en cela l'exemple des Beethoven, des Weber, des Mendelssohn, des Schumann, ont écrit dans ce genre des œuvres de premier ordre. Citons, pour préciser, les ouvertures de Waverley, des Francs-Juges, du Carnaval romain, du Roi Lear, de Berlioz, de Phèdre, de M. Massenet, de Patrie, de Bizet, de Fiesque, de M. Lalo, de Wallenstein, de M. d'Indy, etc. Jusqu'ici, nous nous sommes arrêtés aux compositions instrumentales seules; mais les musiciens ne pouvaient rester ainsi enfermés dans l'orchestre. Malgré leur puissance d'expression, la variété de leurs timbres, les instruments ne leur suffisaient pas; aussi ne tardèrent-ils pas à appeler à leur secours la voix humaine, soit en chœurs, soit en soli. Dès ses premières œuvres, Berlioz avait senti cette nécessité et, après avoir exposé cette théorie que la musique pure et sans paroles suffisait à rendre tous les sentiments qu'elle voulait exprimer, il introduisait des chœurs et des soli dans sa symphonie dramatique de Roméo et Juliette (1839). Cette partition n'est pas une des premières en date du maître, mais elle compte parmi ses plus belles et a servi de point de départ aux nombreuses compositions qui ont fait tant d'honneur à l'école française. Avant de passer rapidement en revue les symphonies modernes, nous devons citer deux artistes qui, presque contemporains de Berlioz et de Félicien David, luttèrent vaillamment contre le goût musical de leur
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époque; l'un, Emile Douay, fut un musicien hardi et novateur; l'autre, Louis Lacombe (i818-1884), un poète à l'inspiration vive, à l'idéal noble et élevé. Emile Douay a été oublié; Lacombe, malgré de remarquables symphonies pittoresques et dramatiques, n'a laissé que le souvenir d'un virtuose de premier ordre sur le piano ; ceux-là n'eurent même pas, comme Berlioz, les joies amères de la lutte; ils furent dédaignés, mais l'histoire doit conserver leurs noms et honorer leur mémoire. Ce ne fut, en effet, qu'à partir du jour où Pasdeloup eut créé un véritable public pour la musique en dehors du théâtre, que les musiciens avides de se faire entendre se tournèrent définitivement vers ce genre d'œuvres, où l'orchestre et les voix habilement mêlés se prêtaient merveilleusement à toutes les inspirations de l'artiste. Les uns, rêveurs et contemplatifs, se jetèrent dans la musique descriptive; les autres, mystiques et religieux, prirent pour sujets les légendes saintes et les épisodes de l'Écriture; d'autres trouvèrent des sujets dans les contes de l'Orient, ou dans les légendes des poètes anglais, germains, Scandinaves et français. Enfin d'autres encore, attirés par l'invincible attrait du théâtre, firent de l'ancienne symphonie dramatique de Berlioz, de l'ode-symphonie de Félicien David, une sorte d'opéra auquel il ne manquait que les costumes et les décors. Disons cependant que ces distinctions ne sont jamais absolues et que plus d'une de ces compositions est à la fois descriptive, religieuse, fantastique et dramatique. La première partition à la fois symphonique et vocale qui ait été entendue et applaudie en France fut l'odesynlphonie du Désert de Félicien David (8 nov. 1844).
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Cet artiste, expulsé de France au moment du procès des saint-simoniens dont il était un des plus fervents adeptes, s'était réfugié en Orient. Là il écouta, le silence du désert, la chanson du chamelier, et traduisit en poète et en musicien ce qu'il avait entendu, sans fouiller la musique jusque dans ses profondeurs, sans lui démander plus qu'elle pouvait exprimer; avant tout il voulait être clair, et c'est la clarté dans la disposition des plans, le coloris des peintures qui sont les qualités dominantes du Désert. Ce sont ces qualités aussi qui ont fait son succès rapide, foudroyant même, chez un public qui alors n'aimait guère à se donner de peine pour écouter. Malgré quelques symphonies, quelques mélodies heureuses, Félicien David, avant la première audition du Désert, était presque un inconnu; le lendemain de l'exécution de son œuvre, il était célèbre. C'est qu'en effet le Désert, dans ses proportions restreintes et dans l'heureuse disposition de toutes ses parties, est non seulement un chef-d'œuvre, mais surtout une œuvre facile à comprendre. Dès le début, des vers déclamés expliquent le sujet; puis-, chaque page, bien nette, bien précise, frappe l'esprit en même temps que l'imagination de l'auditeur. Voici le silence du désert si bien rendu par de longs accords, à peine interrompus par les fragments d'une vague mélodie, puis la marche colorée de la caravane, puis c'est l'orage et, après, le repos et la rêverie de la nuit, mélodie délicieuse de charme et de morbidesse, puis encore les danses orientales, où, au coloris fin et varié de l'orchestre, David avait su ajouter le piquant alors étrange des rythmes orientaux ; enfin, voici le matin, et là le musicien a décrit le lever du
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MUSIQUE.
soleil en une page qui restera parmi les meilleures de la musique pittoresque française. Après le succès de sa première ode-symphonie du Désert, Félicien David retrouva encore de belles pages dans la seconde partie de Christophe Colomb, dans le chœur des 'fleurs de VEden ou la chanson du chamelier de Moïse au Sinaï. Mais le Désert resta son chef-d'œuvre au concert comme Lalla-Roukh a été son œuvre maîtresse au théâtre. Dans toutes ces peintures Félicien David a su éviter de tomber dans le détail inutile et mesquin, cet écueil de la musique pittoresque; sa description est toujours élevée, poétique, il cherche à éveiller en nous le sentiment des grands tableaux de la nature et non à nous les représenter comme par une sorte de photographie musicale. C'est par là que Félicien David restera un des maîtres novateurs de notre école; il a créé en musique l'orientalisme ; il a été, dans son art, ce que Marilhat et Decamps ont été dans la peinture, Théophile Gautier dans la poésie. La trace de son influence est encore sensible aujourd'hui et il est peu de pages dans les compositions sur des sujets orientaux qui ne soient, jusqu'à un certain point, inspirées par le maître qui a écrit le Désert. Parmi les œuvres purement descriptives et que nous pouvons citer, nommons le Sélam de M. Reyer, la Mer de M. Victorin Joncières etc.
i. Nous ne pouvons citer toutes les œuvres de concert purement instrumentales ou avec voix et orchestre qui ont été exécutées depuis plus d'un quart de siècle; nous ne prétendons ici faire ni dresser une liste, ni surtout indiquer une préférence, nous nous contentons de signaler, pour la clarté du récit, au hasard de notre mémoire, celles qui nous paraissent répondre le plus exactement aux divers genres que nous traitons.
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ÉCOLE
FRANÇAISE DE MUSIQUE.
De la contemplation de la création à la pensée du créateur, la route est vite franchie par le poète; aussi des œuvres comme Moïse au Sinaï ou VEden de Félicien David sont-elles religieuses autant que descriptives, mais il en est d'autres où l'idée de la prière et du texte saint l'emporte sur les préoccupations de l'effet pittoresque; ici il nous faut revenir à Berlioz. Comme son maître Le Sueur, Berlioz concevait la musique d'église large, puissante, mouvementée et presque dramatique : aussi son fulgurant Requiem (1837) (fig. 69), écrit pour les funérailles du général Damrémont, est-il une œuvre des plus intéressantes; mais nous nous arrêterons principalement sur Y Enfance du Christ (1854), que Berlioz avait intitulée Mystère. LEnfance du Christ est un chef-d'œuvre. Berlioz a voulu faire naïf, il a fait sublime ; il a voulu se montrer religieux, il a été plein d'une onction tendre et profonde. Qu'il nous suffise de rappeler dans cette belle partition l'adorable récit de la fuite au désert : c'est beau, c'est pur, simple et grand tout à la fois. De nos jours, le sentiment religieux en art paraît avoir changé; il s'y est introduit sous l'influence toute littéraire de M. Renan, comme une philosophie douce qui a rendu moins âpres, mais aussi moins naïfs, certains tableaux des saints récits. La musique, à son tour, a suivi l'inspiration du gracieux poète de la Vie de Jésus; c'est dans cet esprit qu'a été écrite cette composition charmante, émue et pittoresque tout à la fois qui a nom Marie-Magdeleine (1873) de M. Massenet. Mais voici à côté de ce maître un autre musicien, mystique et sévère celui-là, M. César Franck (1822-1890), qui s'est élevé
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dans les hautes régions de la prière et de la méditation pieuse avec son magistral ouvrage des Huit béatitudes. Citons encore parmi les œuvres religieuses qui sont presque des oratorios, la Gallia (1871) de M. Gounod, partition chaleureuse et d'un puissant effet, dans laquelle le maître, encore sous l'impression de nos malheurs, paraphrasa éloquemment le psaume Super flumina Babylonis. Depuis, M. Gounod est entré plus avant dans le mysticisme'pieux avec Rédemption et Mors et vita. A côté des récits chrétiens et des textes sacrés, les diverses légendes du Nord et de l'Orient, les mythes de l'Edda, du Niebelungenlied, du Ramayana ont aussi inspiré nos artistes, et tout un monde de dieux, de déesses, de Walkyries, de fées s'est levé à la voix des musiciens. Les œuvres pour ainsi dire mythiques de Wagner, qui mettent en scène les compagnons de Votan, les dieux du Walhalla, toute la poétique théogonie du Nord ont attiré l'attention sur ces figures à la fois humaines et fantastiques. Elles sont nombreuses, les pages pittoresques, descriptives, et même dramatiques inspirées par les divinités du Walhalla, par les héros demi-dieux de nos vieilles chansons de geste, parles divinités orientales; mais c'est surtout au théâtre que nous pourrons signaler cette influence de la mythologie mythique sur la musique française. Voici un chef-d'œuvre, de Berlioz encore, la Damnation de Faust, qui nous rapproche davantage du drame lyrique; il est complexe, tenant à la fois du théâtre et de la symphonie, s'inspirant en même temps et de la poésie fantasque et du sentiment humain. C'est de la symphonie encore, mais presque de l'opéra. Si
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la Damnation de Faust nous semble neuve et hardie aujourd'hui, combien étrange et même incohérente dut-elle paraître aux auditeurs de 1846 lorsqu'elle fut exécutée pour la première fois ! Le Conservatoire et les divers concerts avaient timidement fait connaître quelques-unes des pages les plus saillantes, celles qui faisaient tableau comme la brillante marche hongroise, la danse des Sylphes, le menuet des Follets, lorsque, grâce à l'intelligen te initiative de M. Colonne, l'œuvre fut rendue dans son entier en 1877, trente et un ans après sa pre-, mière apparition. On sait combien foudroyant fut son succès. La hardiesse et la nouveauté de la forme, la richesse de la langue, des rythmes, des mélodies, la merveilleuse variété des tableaux frappèrent dès la première audition ; puis, bientôt, on comprit ce qu'il y avait de profond dans l'œuvre, on mesura cette sombre et fantastique figure de Méphistophélès, on pleura avec la Marguerite si tendre et si sincère. Comme on le voit dans ce court aperçu de la symphonie en France pendant le xixe siècle, nous sommes déjà loin des œuvres purement instrumentales que nous citions au début de ce chapitre et voilà que par une évolution qui sera, nous le répétons, une des plus intéressantes de l'histoire de notre école, nous sommes revenus au théâtre. Mais avant de parler de l'opéra, citons quelques-unes de ces œuvres à la fois symphoniques et dramatiques que l'on a appelées mélodrames. On sait qu'il est des tragédies et des drames dans lesquels la musique joue un rôle important et qui ne sont cependant pas des opéras, telles étaient les pièces des tragiques anciens, telles ont été, dans notre théâtre clasi
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24.1
sique, des tragédies comme Athalie et Esther; à part le
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FIG.
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DES
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(FIN
DU
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SIÈCLE).
(Bibliothèque de l'Arsenal.)
Timoleon -de Chénier que Méhul avait illustré d'une ouverture et de quelques chœurs d'un beau caractère,
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à partie drame de Missolonghi auquel Hérold a attaché son nom, nous comptions en France, jusqu'à l'époque moderne, peu de ces sortes de compositions qui ajoutent à l'effet pittoresque et expressif du drame. Bientôt on connut dans ce genre des pages magistrales comme VEgmont de Beethoven, ou le Struensée de Meyerbeer, VAthalie de Mendelssohn, ou l'adorable musique écrite par le même maître pour le Songe d'une nuit d'été, et nos compositeurs ne tardèrent pas à vouloir marcher sur leurs traces. Nous ne pouvons donner ici la liste de ces mélodrames, mais nous citerons parmi les œuvres qui .ont le plus d'importance au point de vue dramatique et symphonique, les Erynnies que M. Massenet écrivit en i873"pour la tragédie de M. Leconte de Lisle, partition empreinte d'une remarquable couleur antique, et dans un tout autre genre, VArlésienne composée par Bizet pour le drame de M. Daudet. L'Artésienne reçut d'abord en 1872 un accueil plus que froid, mais depuis on a compris ce qu'il y avait de passion, d'émotion profonde et sincère, de puissance dramatique dans cette musique que l'on avait dédaignée.
Brenet (Michel). Histoire de la symphonie, in-8°, 1882. Deldevez. La société des concerts de 1860 à 188S, in-8°, 1887. EIwart. Histoire de la société des concerts du Conservatoire de musique, in-12, 1860. EIwart (Ant.). Histoire des concerts populaires, in-12, 1864. Jullien (Ad.). Hector Berlioç, in-40, 1889. Jullien (Ad.). Gœthe et la musique, in-12, 1880. Lavoix fils. Les Traducteurs de Shakespeare en musique, brochure in-8°, 1869. Lucas. Les concerts classiques en France, in-12, 1876.
�CHAPITRE
II
LE
DRAME
LYRIQUE
Les maîtres étrangers en France: Rossini, Meyerbeer, Donizetti, Verdi. — L'opéra historique et narratif : M. Scribe et ses poèmes, Halévy, Auber, etc. — L'opéra pittoresque et poétique : Le théâtre lyrique, Félicien David, Berlioz, MM. Gounod, Ambroise Thomas, Reyer, Massenet, Saint-Saëns, Lalo, etc. — La symphonie dansée : Les.opéras-ballets et les ballets.
Pendant que se préparait la curieuse évolution de la symphonie vers le drame et par conséquent du drame vers la symphonie, que nous avons brièvement racontée au chapitre précédent, l'opéra et l'opéra-comique, durant une période qui s'étend de 1825 à i85o à peu près, traversaient une des phases les plus brillantes de leur' histoire. A cette époque, nos compositeurs firent surtout de la-musique d'action, que l'on pourrait appeler narrative. Raconter en musique un fait dramatique puisé dans l'histoire ou inventé, poser le décor musical sans s'arrêter à la peinture détaillée des tableaux, faire agir les personnages sans entrer trop profondément dans l'intimité de leurs sentiments, chercher avant tout à impressionner l'auditeur par une ligne mélodique
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bien nettement dessinée et bien en relief, tel fut le but des musiciens de ce temps qui nous ont légué de grandes et belles œuvres dans le style lyrique comme dans le demi-genre. C'est en effet le même esprit qui, à l'opéra-comique comme à l'opéra, a guidé nos artistes ; cependant pour la clarté du récit, on peut faire des œuvres dramatiques de notre siècle deux séries; dans l'une, viennent prendre place (sans tenir compte du théâtre où elles ont été exécutées) les partitions, opéras, opéras-comiques ou drames lyriques qui, par leurs sujets, leurs tendances, l'élévation de leur style, appartiennent à ce que l'on pourrait appeler la musique héroïque ou poétique; dans l'autre, qui sera l'objet du chapitre suivant, nous y raconterons de notre mieux l'histoire de l'esprit français en musique dans la comédie et le vaudeville. On a dit et répété que la musique de Rossini, surtout à partir du jour où le maître de Pesaro était venu à Paris, avait marqué pour l'art français une époque de progrès et de rénovation; ce fut, dit-on, le chaud soleil qui fit éclore les fleurs de notre génie. Ici encore la légende a pris un peu la place de l'histoire. Si nous avions à étudier l'école italienne, il faudrait nous arrêter longtemps sur Rossini, mais il s'agit ici de l'école française et nous n'avons à parler de Rossini qu'à notre point de vue. Toutes ses œuvres lues et relues, on peut avancer, sans porter atteinte au respect dû à l'immortel auteur du Barbier et de Guillaume Tell, qu'il a plus gagné au contact de la France que nos maîtres n'ont trouvé d'avantages à l'imiter. En effet, Rossini, comme tous les musiciens étrangers
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venus avant lui dans notre pays, comme Gluck, comme Salieri, comme Sacchini, comme Spontini, crut devoir changer sa manière italienne et la rendre plus conforme au goût du nouveau public pour lequel il écrivait. Déjà, refaisant son Maometto II pour l'Opéra, sous le titre de Siège de Corinthe ( 1826), il ajoutait, entre autres, la scène la plus grandiose de l'œuvre, la Bénédiction des drapeaux. Avec son pompeux récitatif, relevé par les interruptions du chœur et de l'orchestre, avec la magnifique déclamation d'Hiéros et sa progression sonore habilement ménagée, cette page est une des plus belles qu'ait écrites Rossini. Mose in Egitto avait été en Italie une des œuvres de la deuxième manière du maître, de cette période de transformation qui avait jeté le trouble et la désolation chez les dilettantes italiens. Moïse (1827) fut une transformation de la partition italienne; sur un sujet pieux, les brillants ornements tant applaudis au delà des monts n'étaient plus de mise auprès d'un public qui avait admiré Le Sueur et Méhul ; aussi le maître dut-il émonder les vocalises et les broderies par trop touffues, sacrifier l'éclat et le brio à l'ampleur du style et à la haute expression. L'écriture de Moïse, tout en restant encore bien chargée et bien italienne pour nous, est plus simple que celle du Mosé et surtout on trouve dans l'adaptation française le beau trio du troisième acte, sorte de prélude aux grands ensembles de Guillaume Tell; ajoutons cependant que la prière du troisième acte était déjà dans la partition italienne. Mais voici davantage, et c'est jusque dans le style léger que Rossini croit nécessaire de changer sa manière. Dans le Comte Ory (1828), dont la musique était em-
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pruntée à // Viaggio à Reims, opéra de circonstance improvisé pour le sacre de Charles X et joué en 1825, l'orchestre et le chant sont moins brillamment, brodés que dans les opéras italiens comme // Barbiere et la Cenerentola, mais, en revanche, plus sonores et plus fermes. Tout en gardant ses qualités premières, le maître, adaptant sa musique au vaudeville de Scribe et de Poirson, a revu avec soin sa partition, ajouté le spirituel duo du page et du comte, le gracieux trio du second acte, le chœur si vivant des buveurs, et dans ces morceaux on saisit la volonté évidente de se rapprocher du style français, d'emprunter à notre opéra-comique quelque chose de sa justesse et de sa netteté. Enfin voici Guillaume Tell (3 août 1829). Le musicien a pour collaborateur le poète de la Vestale, de Jouy. Après soixante-dix ans d'existence, quelles sont les pages qui, dans cette œuvre, ont résisté au temps ? Celles-là justement qui ont été conçues par le maître dans l'esprit de la tragédie lyrique française, qui tirent leurs beautés de la justesse et de la force de l'expression, de la belle et lumineuse ordonnance scénique, des émouvants effets dramatiques. Les morceaux italiens tant applaudis autrefois sont peut-être ceux qui ont le plus vieilli : la romance du pêcheur paraît aujourd'hui d'une grâce surannée; le duo du deuxième acte, qui passa naguère pour amoureux et passionné, nous paraît froid et d'une fausse élégance; en revanche, les récitatifs d'une déclamation juste, les chœurs du premier acte placides et larges, et pour ainsi dire contemplatifs, la Conjuration, la romance de Guillaume : «Courbe ton front », et surtout le grand trio avec son
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cri de douleur : « Mon père, tu m'as dû maudire », sont des pages encore magistrales et qui, nous l'espérons pour l'art musical, resteront immortelles. Devant le magnifique trio, saluons, c'est le génie. Un nouveau souffle a passé sur le maître; le style, toujours élégant et clair, a pris plus de profondeur et de couleur, la pensée plus d'élévation. Ces beaux et nobles récitatifs, ces accents sincères et profonds, ces grands développements de scènes et d'ensembles, nous en avons déjà vu les premiers modèles dans Gluck> dans Salieri et Sacchini, dans le Joseph, de Méhul, dans les Bardes de Le Sueur, dans ces œuvres écrites par des Français ou pour des Français. Rossini a-t-il rendu à nos musiciens tout ce que ceux-ci lui avaient donné? Je ne le crois pas. La mélodie manquait quelquefois chez eux d'aisance et de liberté; en revanche, nous avons vu combien elle était juste et expressive dans sa brièveté. En imitant Rossini, nos artistes apprirent à donner plus de souplesse à leur pensée et une forme plus élégante; mais ils apprirent aussi l'art du faux éclat, de la fausse grâce, du clinquant mélodique, en un mot du bavardage musical. Dans l'opéra plus encore que dans l'opéra-comique, ce sont les pages imitées de Rossini qui ont les premières succombé sous les coups du temps. Le vieux Berton n'avait pas tort d'accuser le maître italien d'abuser des forces de l'orchestre; son instrumentation est éclatante, il est vrai, mais quelquefois plus bruyante que sonore, et on l'a bien vu chez les imitateurs du maître. L'orchestre de nos musiciens français, des Le Sueur, des Berton, des Méhul, etc., était expressif et pitto-
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resque; mais il avait gardé une certaine lourdeur et une certaine monotonie de forme; il avait peine à se dégager du massif contre-point de Lulli, de la rigide basse continue des premiers Italiens, de la sévère basse fondamentale de Rameau. Sous l'influence de Rossini, les compositeurs français rompirent ces dernières chaînes, donnèrent plus de liberté et d'aisance à leur orchestre, le rendirent plus léger et plus brillant; mais, comme lui aussi, ils se jetèrent dans les sonorités exagérées et inutiles, et, comme lui, firent caqueter quelquefois les instruments, pour ne rien dire. Il en fut de même du style vocal qui devint plus éclatant et plus souple, mais qui perdit en expression et en vérité dramatique ce qu'il gagnait en brio. C'est alors que l'on vit naître à l'Opéra, comme à l'Opérà-Comique, ces airs à roulades pour chanteuses légères, ces morceaux fleuris, ornés, frisés, vocalisés, brillants de forme, mais vides de fond, sans mélodie et sans expression, qui furent si à la mode, et qui ont si puissamment contribué à faire vieillir les œuvres qui datent de 1825 à 1860 environ. Rossini fut un soleil, soit, mais un soleil dont les rayons brûlèrent le sol, bien loin de le féconder. Un autre maître étranger a, selon nous, rendu plus de réels services à l'école française que Rossini, c'est Meyerbeer. Comme la plupart de ses contemporains, il avait d'abord été fasciné par le prestige du maître de Pesaro ; dans ses premières œuvres italiennes, sa puissante originalité disparaît sous le faux éclat du rossinisme, c'est à peine si quelques pages laissent deviner ce que devait être plus tard le maître. Mais peu de temps après son arrivée en France, il ne tarda pas à
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redevenir lui-même. Dès sa première œuvre française, Robert le Diable (21 novembre 1831), le grand musicien n'hésite pas à entrer dans l'esprit du jour; le romantisme est dans toute la fleur de sa nouveauté, il inspire Meyerbeer comme il a inspiré Berlioz; la valse infernale, l'apparition et le ballet des nonnes sont des scènes romantiques au premier chef, mais voici mieux : le compositeur peint des caractères, il fait se dresser devant nous les personnages. Weber, dans le Freyschut^, nous avait montré le démon; Meyerbeer en fait un homme, un père, et voici Bertram coulé d'un jet dans le bronze de l'orchestre, pendant que se dessine en contraste la douce et mystique figure d'Alice. Les œuvres du maître sont peuplées de créations de ce genre. Les Huguenots paraissent (29 février 1836), et cette fois c'est une page d'histoire; elle est inspirée, chacun le sait, par la Chronique de Charles IX, de Mérimée, car c'est l'époque des romans historiques, la Ligue, les États de Blois, les Barricades de Vitet, les vivantes inventions de Dumas. Meyerbeer se fait Français ; sa musique prend la précision, la netteté d'un récit. Je n'ai pas besoin de rappeler le septuor du duel, la bénédiction des poignards, le trio final, d'une peinture si saisissante et d'une vie si intense; c'est du mélodrame, il est vrai, et ce n'est plus de la^ tragédie. Les lignes n'ont peut-être pas la pureté et la noblesse de celle de l'école de Gluck; mais, en revanche,-tout est chaleur, tout est passion dans cette musique; et puis voici encore des types inoubliables : le rigide Marcel et la tendre Valentine, l'élégant Nevers, raffiné et précieux. Arrivé à ce point, il semblait que le maître ne pût plus que se
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recommencer lui-même, ou s'arrêter comme Rossini ; il fit mieux, il monta plus haut et alors apparut, le 16 avril 1849, le Prophète, qui tient à la fois de l'opéra et de l'oratorio. A l'époque où il fut joué, le Prophète donna une note toute nouvelle dans le drame lyrique. Pastorale et presque de demi-genre dans sa première partie, cette œuvre s'élevait dans la seconde jusqu'au lyrisme et jusqu'à l'épopée; le finale du troisième acte : « Dieu du ciel et des anges », a un élan martial et religieux, que grandit encore la brillante envolée des harpes. La scène de la cathédrale est une immense fresque musicale d'un éblouissant éclat; mais à côté de ces tableaux aux larges décors, que d'expressions intimes et profondes, dans tout le rôle de Fidès, dans le magnifique arioso du premier acte, dans cette même scène de l'église, où le cri de l'âme humaine arrive encore à dominer l'immense ensemble qui semblait devoir l'étouffer ! Là encore nous voyons des figures magistralement tracées, Fidès d'abord, cette mère a la tendresse profonde, noble et haute tout à la fois; puis Jean de Leyde, ce prophète convaincu de sa mission divine ; dans l'ombre, les trois anabaptistes, sombre trinité du mal et du fanatisme intéressé. Dans l'exécution technique de l'œuvre, que de nouveautés nous offre le Prophète! Les procédés d'instrumentation ne sont plus ceux des Huguenots, l'orchestre est plus varié, plus riche s'il est possible, l'harmonie a des surprises nouvelles, la mélodie ne se fait plus rapide, vibrante et comme narrative : elle devient plus majestueuse avec le sujet, plus profonde, plus psychologique pour ainsi dire, surtout dans cet admirable rôle de Fidès; on y découvre des ten-
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dances nouvelles qui sont déjà celles de l'école moderne, le vieux moule tend à se briser; bref, on peut dire que si Guillaume Tell est en France la dernière belle œuvre d'une école disparue, le Prophète est la première d'une école qui va naître. Je passe rapidement sur VAfricaine (28 avril 1865). Composée sur un très médiocre poème, cette partition abonde en brillants tableaux, en pages étincelantes, en scènes dramatiques et émouvantes. Jamais Meyerbeer n'a écrit avec plus de soin, jamais, sauf peut-être dans le Pardon de Ploërmel, il n'a mis plus de fantaisie dans sa mélodie, dans son orchestre, dans son harmonie (il suffit de rappeler tout le quatrième acte), jamais ses développements n'ont été plus habiles et plus larges, comme dans le quadruple finale du premier acte, et cependant l'œuvre "paraît rétrograde; l'auteur, revenant aux grâces italiennes d'antan, sacrifie parfois l'expression à l'effet, je dirais presque au dilettantisme. ]JAfricaine est, selon nous, un opéra pittoresque plutôt que dramatique, toujours digne du maître, mais qui n'est pas, comme le Prophète, une de ces œuvres fécondes qui préparent l'avenir et l'annoncent. En effet, ce n'est pas seulement parce que les partitions de Meyerbeer tiennent grande place dans le répertoire de notre opéra, ce n'est pas non plus parce que l'on y sent à chaque page l'inspiration du génie français que nous nous y arrêtons si longtemps ; mais il est peu de maîtres étrangers qui aient exercé sur nos musiciens une plus grande influence. On a imité Rossini, on s'est inspiré de Meyerbeer. Sa mélodie vigoureuse et pleine, aux formes larges et amples, est riche en développements,
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entraînant avec elle, dans son flot, l'harmonie et l'instrumentation. Son orchestre est rempli de traits heureux, de touches habilement fondues; la disposition des scènes est franche et claire, éveillant, dès les premières notes, l'attention et presque l'émotion de l'auditeur. Avec ces qualités, on renouvelle une langue, on rajeunit les procédés d'un art, on fonde une école, en un mot. Aussi, est-ce l'influence de l'auteur des Huguenots et du Prophète que nous trouvons la plus persistante chez la plupart des musiciens de la génération qui a précédé celle d'aujourd'hui. A côté de ces deux grands maîtres, deux étrangers, deux Italiens, ont tenu aussi une large place dans notre opéra : l'un, musicien bien doué, improvisateur facile et souvent heureux, mais d'une élégance banale, d'une fécondité mélodique qui va jusqu'à la prolixité et jusqu'à la mollesse; l'autre, incorrect, mais ardent, fougueux, dramatique ou, pour mieux dire, mélodramatique et passionné jusqu'à la violence. J'ai nommé Donizetti et Verdi. Tous deux ont profité du voisinage de nos artistes, et les opéras qu'ils ont écrits pour la France sont plus soignés, plus expressifs que leurs œuvres italiennes. Je citerai par exemple de Donizetti : la trop célèbre Favorite (1840), Don Sébastien de Portugal (1843), de Verdi : les Vêpres siciliennes (i855), et Don Carlos (1867), partition dans laquelle le maître de Bussetto fait déjà pressentir cette évolution singulière de son talent qui a donné naissance à Aida, à la Messe de Manzoni et à Otello. Si notre école a eu quelque heureuse influence sur le talent de ces deux artistes, il n'en a pas été de même pour nos musiciens; quel-
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ques formules banales, quelques procédés faciles et à effet, tel est le bilan de ces emprunts, faits par nous à Donizetti et à Verdi ; nous aurions tort de nous en glorifier. En revanche, sans être musicien, il est un auteur dramatique qui a été un précieux auxiliaire pour les compositeurs de la période qui a précédé la nôtre; c'est Eugène Scribe (1791-1861) (fig. 72). Écrivain lourd et incorrect, poète plus que médiocre, rimeur prosaïque, il possédait cependant à un haut degré l'art de trouver une situation, de la rendre intéressante, de la développer, de la présenter sous son jour le plus favorable à la musique, et surtout de donner aux musiciens les poèmes qui convenaient le mieux à leur talent. Rompant avec la tradition de l'ancienne tragédie musicale, ce fut lui qui créa le drame d'action, le mélodrame, si l'on veut, d'un genre moins élevé et moins poétique, mais d'un intérêt plus palpitant. Ses procédés de théâtre étaient le plus souvent petits et mesquins, et cependant il arrivait quelquefois, par la force de la situation, à des effets tragiques et grandioses, comme dans le deuxième acte delà Jùive} le troisième de Guido et Ginevra, inspiré, du reste, par le Roméo et Juliette de Shakespeare, et surtout le grand finale de la cathédrale dans le Prophète. Non content de chercher des effets de scène, Scribe sut aussi fournir à ses collaborateurs des figures aux traits bien arrêtés, au dessin bien ferme, permettant aux musiciens de modeler en vigueur les personnages et les caractères. Tels sont Bertram et Alice de Robert le Diable, Marcel et Nevers des Huguenots, Éléazar de la Juive, Fidès du Prophète. Scribe a trouvé des rivaux plus poètes que lui, comme. Casimir Delavigne dans Charles VI, par
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exemple, plus fins et plus délicats comme Saint-Georges dans l'Eclair, le Val d'Andorre, il n'en a pas trouvé de plus habiles. Aujourd'hui, l'opéra historique, anecdotique, si l'on aime mieux, le mélodrame lyrique, paraît un peu abandonné ; les musiciens exigent plus de poésie et de pittoresque; ils cherchent pour collaborateurs les grands génies de la littérature : Dante, Shakespeare, Gœthe, Schiller. Ils ont rencontré là des sources fécondes d'inspiration, et d'excellents auteurs ont su leur tailler des poèmes dans les chefs-d'œuvre qu'ils voulaient mettre en musique ; mais il serait injuste de ne pas placer à côté des maîtres qui ont fait honneur à l'école française, celui qui fut le librettiste des Huguenots, du Prophète et de la Juive. Jusqu'ici, dans notre récit, il semble que l'école française lyrique ait dû tout son éclat aux maîtres étrangers et que nos musiciens aient été de simples imitateurs. En effet, notre Opéra a souvent ouvert à des artistes d'Allemagne et d'Italie, même secondaires, ses portes si souvent fermées aux meilleurs compositeurs français. De plus, nous n'avons pas cru inutile de nous arrêter quelque temps sur des partitions qui sont nôtres par leurs tendances, afin d'étudier de plus près cette période intéressante de l'opéra historique; mais notre répertoire compte aussi plus d'une belle oeuvre sortie de plumes françaises, et nous nous garderons bien d'oublier à notre tour, au profit des étrangers, des maîtres qui sont nos compatriotes. De 1825 à 1860 environ, deux musiciens français, bien différents de caractère et de talent, Halévy
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et Auber, ont brillamment tenu leur place à côté de Meyerbeer et de Rossini.
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Halévy (Jacques-Fromental-Élie) (1799-1862) (voir portrait : Histoire de la musique, fig. io5) '. peut être
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compté au nombre des grands maîtres de notre époque. Musicien des plus instruits, admirablement doué et d'une intelligence supérieure, l'auteur de la Juive sut briller également dans le genre lyrique comme dans le demi-genre, et cependant son œuvre, considérable, est inégale. A côté d'admirables pages on voit avec regret cet artiste de premier ordre sacrifier sans honte au succès du moment, chercher dans une mélodie banale, vulgaire même quelquefois, des applaudissements faciles. La pensée est le plus souvent chez lui noble, haute et expressive; cependant, parfois, elle a quelque chose de contourné, avec plus de sentimentalité que de sentiment. Halévy est, avant tout, dramatique; il a l'émotion, la puissance, l'instinct des grands effets de théâtre; chacun de ses drames lyriques est digne d'étude et d'intérêt ; mais il en est un, la Juive, qui doit nous arrêter avant tout autre. La Juive, jouée à l'Opéra le 28 février i835, un an avant les Huguenots, est une œuvre absolument française; en plus d'un passage, par une sorte de réaction, le maître revenait à cette forme expressive et sobre que l'éclat de Rossini avait fait oublier, et qui avait été le triomphe de nos musiciens. Quoi de plus noble, d'un dessin plus sûr et plus ferme que la belle scène de la Pâque ! Quoi de plus pathétique que l'air de Rachel : « Il va venir... », avec cette mélodie haletante et comme oppressée, cette courte ritournelle de cors si simple et cependant si émouvante ! Halévy, dans cette belle page, a rendu, comme auraient fait les anciens maîtres, les tortures de cette âme de jeune fille boule-
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versée à la fois par l'amour et le remords. Citerai-je aussi l'air célèbre : « Rachel, quand du Seigneur... », qui peint, d'une façon si saisissante, et la tendresse et le fanatisme du vieux juif? J'ai dit comment Meyerbeer avait tracé des caractères en musique; Halévy, comme lui, en même temps que lui, sut créer des figures inoubliables, tel est Éléazar, le Juif inflexible, fanatique et croyant; tel est aussi le Môcenigo de la Reine de Chypre, rigide exécuteur des hautes volontés du Sénat de Venise. Après la Juive, Halévy donna, le 5 mars 1838, Guido et Ginevra, dont le sombre troisième acte, celui des tombeaux, est une œuvre de maître, avec l'air si pathétique de Guido, et la scène si puissamment dramatique de Ginevra. Après cet opéra, il semble que le talent d'Halévy ait perdu quelque peu de sa puissance ; cependant il nous faut citer encore la Reine de Chypre (22 décembre 1841), et surtout Charles VI(iS mars 1843). Cette dernière partition, dont la chanson patriotique i « La France a l'horreur du servage », est restée popu^ laire, est une des plus intéressantes et une des plus colorées du maître; le duo des cartes est un modèle de genre léger dans le drame lyrique, et le grand récit de Charles VI : « J'ai faim », d'une expression déchirante de tristesse, est une des plus belles pages de haut style de l'ancien opéra français. Je passe sous silence le La\%arone (1844), sorte d'opéra-comique assez mal placé sur notre première scène lyrique, quoique traité avec esprit; le Juif errant (i852) et la Magicienne (r858). Dans ces deux dernières œuvres, Halévy a déployé une grande habileté de main
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et une science profonde de son art; mais il n'a plus retrouvé les belles inspirations de la Juive, de Guido et de Charles VI. La puissance et la passion caractérisaient le drame lyrique d'Halévy; ce fut par des qualités absolument différentes qu'Auber (Daniel-François-Esprit) (17821871) se fit à l'Opéra la place brillante qu'il a occupée si longtemps; il n'avait pas la force, il lui substitua la grâce; il n'avait pas l'expression, il éblouit par le brio ; il était musicien de demi-caractère, il porta l'opéracomique à l'Opéra. La Muette de Portici (29 février 1828) est dans ce genre un chef-d'œuvre. Le poème de Scribe offrait au musicien les plus émouvants tableaux; les passions les plus violentes se déchaînaient dans ce sombre mélodrame; on y voyait la douleur d'une jeune fille lâchement abandonnée, on y entendait les cris de vengeance d'un frère offensé; les élans patriotiques et les fureurs d'un peuple en révolte, servaient de cadre à ce tableau. Auber sut bien se garder des pièges que lui tendait un pareil sujet. Des douleurs delà jeune fille il fit un ballet, de la révolution une barcarolle, du patriotisme, un pas redoublé ; et, chose plus étrange, ce ballet est presque dramatique, cette barcarolle est à sa place, ce pas redoublé fait illusion; et, par la magie de l'esprit, ce drame noir est devenu une sorte d'opéracomique gai, amusant, étincelant de verve et d'éclat. Auber fut moins heureux avec Gustave III (27 février 1833),qu'il intitula opéra historique; de toute cette lugubre histoire d'un prince assassiné il n'est resté que quelques couplets agréables et un galop vulgaire; Mais avec le Philtre (i831), le musicien spirituel in-
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génieux et fin qu'était Auber, avait déjà reparu; on le retrouva dans quelques passages du Serment (i832), du Lac des Fées (1839), et surtout dans les opérasballets et les ballets. Ce genre de musique se rapprochait plus de l'opéracomique que de l'opéra, et Auber, que l'on appelait à cette époque le chef de l'école française, voulut faire son œuvre maîtresse dans le grand style lyrique. Déjà le Désert avait paru, déjà l'évolution symphonique préparée par Berlioz et David se faisait sentir, déjà le Prophète avait indiqué des voies nouvelles à la musique dramatique. Auber écrivit une partition, où il chercha tout à la fois la couleur orientale moderne et la noble expression des Méhul et des Le Sueur ; il donna VEnfant prodigue (i85o). Malgré de réelles qualités de facture et de couleur, cet opéra réussit peu. A côté d'Halévy et d'Auber, il nous faut encore signaler, pendant cette période, quelques musiciens remarquables, comme Niedermeyer (1802-1861), compositeur instruit et consciencieux, qui brilla surtout dans la musique religieuse, mais qui donna à l'Opéra Stradella (1837) et Marie Stuart (1844); comme Dietsch, qui écrivit une partition du Vaisseau fantôme (1844) sur un poème de Richard Wagner, arrangé par Paul Foucher, au moment même où le maître allemand, reprenant sa pièce, écrivait le Fliegende Hollander (1843), une des œuvres les plus remarquables de sa jeunesse. Nous ne devons pas oublier non plus un bon musicien italien, naturalisé français, Michel Carafa de Colobrano (Naples, 1787; Paris, 1872). Fervent admirateur de Rossini, cet artiste resta
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toujours fidèle au style italien; cependant, venu à Paris, en 1827, il subit la salutaire influence de notre école, et certaines pages de son Masaniello (1828), comme le duo, par exemple, ont de la chaleur, de là verve et de la sincérité. Enfin, nous citerons par curiosité VEsmeralda, de M"c Bertin, le seul poème que Victor Hugo ait écrit. Pendant cette période, on vit apparaître à l'Opéra, avec le Comte de Carmagnola (1841) et le Guérillero (1842), un musicien qui, depuis, a su se faire une grande place dans le drame lyrique contemporain, Ambroise Thomas. Le nom d'A. Thomas nous place en pleine époque contemporaine. C'est la musique de notre temps, de nos jours, celle que nous avons vue naître et grandir, celle que nous avons applaudie dans sa nouveauté, qui entre dans l'histoire, et nous sommes arrivés au moment où les maîtres de l'école moderne vont jeter dans l'art lyrique des éléments nouveaux. L'œuvre de Berlioz et de Félicien David a porté ses fruits, la symphonie s'est développée chez nous, et avec elle le besoin d'une harmonie plus subtile et plus raffinée, d'une instrumentation plus fouillée et plus colorée, d'une mélodie moins saisissable peut-être, mais plus nouvelle de forme, plus profonde de pensée. Le musicien lyrique ne se contente plus de raconter ou d'émouvoir, il veut peindre, il veut faire rêver. Déjà nous avons vu Auber, subissant cette influence, abandonner sa manière légère et facile, et chercher avec Y Enfant prodigue un idéal plus élevé, un art plus pittoresque. La tehtative ne fut que médiocrement heureuse, mais elle mérite d'être signalée, surtout à cette date de
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i85o. Le 16 août 185 x, M. Gounod faisait entendre son premier opéra, Sapho, et déjà cette oeuvre accusait toutes les tendances nouvelles. Le style était devenu plus polyphoniqueet plus coloré, la mélodie plus jeune; des tableaux charmants comme la chanson du pâtre éclairaient le drame; çà et là brillaient des traits élégants et spirituels comme la romance du premier acte, ou le duo de Glycère et Pythéas; enfin, le maître avait trouvé une des plus belles pages de toute son œuvre, les admirables stances : « O ma lyre immortelle ■», si émues, si pathétiques, et d'un sens si profond, où la musique moderne exhalait déjà toute son âme. Sapho n'a peut-être point été un succès, mais peu importe, c'est une date dans l'histoire de l'art lyrique en France.. Presque contemporains, les beaux chœurs & Ulysse (i852), écrits poùr la tragédie de Ponsard, montrent chez le jeune maître les mêmes qualités de premier ordre. Du reste, cette année 1851 fut féconde pour notre école; elle vit s'ouvrir, le 27 septembre, le ThéâtreLyrique. Aux dernières années du xvin0 siècle, à cette époque où Paris possédait, en dehors de l'Opéra, deux grands théâtres lyriques, c'est-à-dire l'Opéra-Comique et Feydeau, les œuvres n'avaient pas manqué à ces deux scènes, et la concurrence avait fait naître une heureuse émulation ; il en a été de même, il y a quarante ans, poulie Théâtre-Lyrique. Ses fortunes ont été diverses; mais jusqu'à ce jour, chaque fois qu'il a pu ouvrir ses portes, la musique en général, et la musique française en particulier, ont trouvé de grands avantages. Libre dans ses allures, ne s'astreignant à aucun genre spécial, n'exigeant pas les conceptions épiques de l'opéra, n'ayant pas
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les traditions de l'Opéra-Comique, le Théâtre-Lyrique se prêtait merveilleusement à toutes les tentatives. Pendant les vingt années de sa première existence, il a fait connaître au grand public de belles œuvres étrangères, comme Robin des bois, Euryanthe, Precio^a et Obéron de Weber, les Noces de Figaro et la Flûte enchantée/Don Juan de Mozart, Fidelio de Beethoven, Rigoletto et Violetta de Verdi, Rien\i de Wagner. Dans notre vieux répertoire français, on entendit Orphée de Gluck, dont les représentations1 ont laissé un souvenir ineffaçable, Iphigénie en Tauride de Gluck encore, Joseph, VIrato de Méhul, Charles VI d'Halévy, etc. On voit que l'horizon était large, mais c'est surtout à l'école moderne française que le théâtre lyrique a rendu des services dans tous les genres. Dès sa première année, le 22 novembre 1851, il jouait la Perle dit Brésil, de Félicien David. A partir de ce jour, il fait concurrence à l'Opéra dans le drame lyrique, et c'est à lui autant qu'à l'Académie de musique, que nous allons emprunter les titres des œuvres que nous citerons dans la fin du chapitre. Sans avoir le grand souffle lyrique des stances de Sapho, le troisième acte de la Perle du Brésil (le Rêve) indiquait déjà, lui aussi, une nouvelle poétique du drame musical. A l'Opéra, la Nonne sanglante, de M. Gounod (1854), drame sombre, traité dans l'ancienne manière, paraît marquer un pas en arrière; mais bientôt Herculanum, de Félicien David (Opéra, 4mars 1859), etFaust, de M.. Gounod (Théâtre-Lyrique,. 19 mars 1859), impriment un nouvel élan à l'école moderne. Le temps a fait justice, dans Herculanum, des morceaux imités des maîtres italiens et particulièrement
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de Donizetti; on a oublié, et à juste titre, les scènes dramatiques faiblement conçues, et les musiciens ont conservé le souvenir des belles pages poétiques comme l'air de l'extase, pittoresques comme la Bacchanale, d'une si remarquable intensité de couleur. En écrivant Faust, M. Gounod, ainsi que Berlioz avant lui, avait rompu avec la tradition des poèmes de fantaisie; il était allé droit à un poète de génie, à Goethe, et choisissant dans l'œuvre multiple de l'auteur allemand les scènes qui convenaient le mieux à sa nature d'artiste, en avait cherché la traduction musicale. Je n'ai pas à m'étendre sur un opéra aussi populaire que Faust, mais là déjà le maître donnait toute la mesure de son talent; c'était bien ces mélodies tendres, voluptueuses, riches et souples, ces harmonies langoureuses et enveloppantes, cet orchestre délicat et varié, qui caractérisent les opéras de Gounod. Depuis, on est allé plus loin dans la psychologie musicale; sous l'influence de Berlioz, de Schumann, de Wagner, on a vu plus que des scènes d'amour dans le Faust de Gœthe; mais nul n'a dépassé M. Gounod dans les passages empreints de charme et d'amoureuse rêverie de cette partition alors si nouvelle. Avec la Reine de Saba (1862), le corn? positeur revenait à la peinture musicale, dessinant ses scènes d'une main élégante; mais voici apparaître un autre tableau d'Orient, la Statue (1861), dans lequel M. Reyer sut à la fois se montrer peintre et musicien hautement dramatique. A peu près en même temps, à l'Opéra-Comique, Félicien David donnait son chef' d'œuvreîh.éâtva\^LallahRoukh, lei2mai 1862. Ici,au contraire, la peinture l'emporte sur le drame; cette adorable
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partition est avant tout poétique et rêveuse, c'est à peine si, au finale du premiar acte, une touche délicate et spirituelle indique une intention, dramatique. Les Pêcheurs de perles deBizet(Théâtre-Lyrique, 3o septembre 1863), écrits d'un style encore aujourd'hui hardi et neuf, complétaient cette trilogie de l'orientalisme musical. Pendant ce temps, le public français avait impitoyablement sifflé, à l'Opéra, la magistrale partition de R.Wagner, Tannhaûser (ï3 mars 1861). Le superbe opéra du maître allemand n'a pas beaucoup souffert de ce bruyant insuccès; mais il en est une autre, française cette fois, qui, cruellement et injustement condamnée aussi par les dilettantes d'alors, n'a pas encore été réhabilitée par le public d'aujourd'hui, plus éclairé et mieux préparé aux grandes conceptions musicales; je veux parler des Troyens (4 novembre 1864). Berlioz avait déjà subi un premier échec à l'Opéra, en 1838, avec Benvenuto Cellini; malgré de magnifiques pages comme le chœur des « ciseleurs », des scènes admirablement menées comme le finale du second acte, malgré une belle déclamation et des airs admirablement dramatiques, Benvenuto Cellini av'ait été sifflé, justement dans ses morceaux les plus neufs et les plus originaux, et c'est à peine s'il avait duré quatre soirées. Un pareil coup n'avait point abattu le maître; il savait bien, lui, qu'il n'était pas uniquement un musicien symphoniste, mais aussi un grand auteur lyrique, qu'il avait la noblesse de l'expression, la hauteur et la poésie de la conception musicale, il voulut recommencer le combat, dût-il en mourir, ce qui arriva. Virgile et Shakespeare avaient été ses adorations,
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comme il le disait lui-même. Ce fut au poète latin qu'il emprunta son sujet. Les amours de Didon et d'Enée, l'abandon de la reine de Carthage, la couleur antique du sujet, tout charmait à la fois l'imagination de ce grand musicien, nourri de la poésie du chantre mantouan et admirateur des nobles accents de Gluck. Il écrivit donc d'abord la Prise de Troie, qui n'a pas encore été représentée , dans laquelle les plaintes de Cassandre sont une inspiration de génie, et les Troyens à Carthage. Malgré leur premier insuccès, les
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Troyens sont bien connus aujourd'hui des musiciens. Citerons-nous la belle symphonie delà chasse royale, le troisième acte tout entier avec les ballets d'une couleur encore si fraîche, le quintette à la fois suave et dramatique, l'admirable septuor d'une si majestueuse sérénité, d'une forme si noble et si haute, le duo : « O nuit d'ivresse », tout débordant de passion? Ces pages admirables font de ce troisième acte un chez-d'ceuvre non seulement delà musique française, mais de la musique. Le quatrième acte n'est pas moins beau, c'est le chant si pittoresque du matelot Hylas, l'air magnifique d'Enée : « Inutiles regrets », la scène des spectres dont Berlioz a bien pu trouver l'inspiration dans la vision d'Ossian des Bardes de Le Sueur, son maître, mais grandie par les procédés de la musique moderne. L'œuvre finit avec l'admirable scène de l'abandon, dans laquelle Berlioz, par la beauté, par la puissance et la justesse de l'expression, par la profondeurdes sentiments, s'est placé à côté des plus nobles génies. Les Troyens étaient une œuvre toute nouvelle ; ils consacraient l'alliance, dès longtemps préparée, de la symphonie et du drame. Les procédés de style, d'instrumentation et d'harmonie étaient hardis et neufs, et cependant tout rattachait cet opéra à la grande école expressive française. Malgré leur nouveauté et peutêtre même à cause de cette nouveauté, les Troyens furent méconnus; après une lutte pénible de trente représentations, ils disparurent de l'affiche du Théâtre-Lyrique. En revanche, et par compensation peut-être, pendant qu'au Théâtre-Lyrique les Troyens étaient siffles, à l'Opéra, le public faisait grande fête au Roland à Ron-
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cevaux (octobre 1864) de Mermet (1815-1890), oeuvre vulgaire de mélodie et informe de style, qui n'avait pour elle que le mérite d'une énergie brutale. Mermet, comme Berlioz, avait travaillé avec Le Sueur, bien médiocre élève d'une si belle école. Mais revenons aux véritables artistes, et après la Fiancée d'Abydos, œuvre de haute valeur de M. Barthe (Lyrique, 1865), après Sardanapale (Lyrique, 1867), le début de M. Joncières, tiré de la tragédie de lord Byron, voici deux des plus belles partitions de l'époque moderne : Roméo et Juliette, de M. Gounod (Lyrique, 27 avril 1867), et Hamlet, de M. A. Thomas (Opéra, 9 mars 1868). Rossini, paraît-il, avait refusé de mettre en musique Roméo et Juliette; il reculait, disait-il, devant la difficulté de composer trois duos d'amour; trente ans après, et l'on peut juger par là de la différence des temps, c'était justement les duos d'amour qui attiraient le musicien, c'était pour eux qu'il faisait son œuvre; d'abord dans le madrigal, c'est une coquetterie aimable et charmante; dans la scène du jardin, c'est l'aveu tendre et pudique de la jeune fille, puis sur le balcon la passion se déchaîne dans toute sa force; enfin, près du tombeau, c'est le désespoir du bonheur perdu. Quelle délicatesse, quelle diversité d'expression dans ce.s diverses nuances de l'amour! Félicien David avait été langoureux et rêveur, M. Gounod fut tendre et passionné. Dans cette langue musicale souple et d'une suprême élégance, tout est charme et enlacement; la mélodie est expressive et chaude, adoucie par la caresse pour ainsi dire de l'harmonie; d'une délicatesse et d'une finesse extrêmes, l'orchestre colore de ses tou-
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ches délicates ces tableaux enchanteurs; en ce genre, nous ne trouvons d'analogue dans la musique française que le duo des Troyens. A la même époque que M. Gounod, M. R. Irvid (marquis d'Ivry) publia un autre Roméo et Juliette, qu'il remania et fit jouer plus tard sous le titre des Amants de Vérone (salle Ventadour, 1878). C'est une composition qui mérite de prendre place à côté des bons opéras français. En même temps M. Ambroise Thomas, avec toute l'autorité de son talent, unissait le drame shakespearien à l'ancienne tragédie lyrique. C'était déjà oeuvre de grand artiste, de musicien hardi et vraiment moderne, de vouloir traduire en musique non pas l'action à?Hamlet, mais le caractère des personnages; de transporter dans son art cette figure- énigmatique du prince de Danemark, de rendre les remords de la reine Gertrude, de chercher les accents de la tendresse désespérée d'Ophélie, de peindre la mort poétique, je dirais presque gracieuse, de la jeune fille. Hamlet est trop connu pour que l'on ait besoin de dire dans quelle langue musicale tantôt puissante, tantôt élégante, toujours noble et élevée, M. Ambroise Thomas a réalisé son rêve d'artiste; je me contenterai de citer la scène de l'Esplanade, le finale du deuxième acte, le monologue d'Hamlet, le trio et le duo si dramatiques et si expressifs d'Ophélie, de la reine et d'Hamlet, et tout l'acte de la mort d'Ophélie. Du reste, Hamlet avait tenté déjà plus d'un musicien, et nous devons citer l'opéra de M. Hignard, publié en 1868, qui n'a pas été représenté à Paris, mais en province. Dans cette œuvre intitulée tragédie lyrique, M. Hignard, compositeur instruit et de talent, a voulu
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marier la symphonie à la déclamation parlée; la tentative a été heureuse en plus d'un passage; nous citerons surtout le dernier tableau de la marche funèbre d'Ophélie, qui est une page des plus remarquables. Nous voici arrivés, dans cette esquisse du drame lyrique français, à l'époque contemporaine; déjà nous avons dû nommer plus d'un maître vivant, et la prudence nous conseillerait peut-être d'éviter, dans une histoire de ce genre, un sujet brûlant; mais comment nous arrêter au moment même où notre école est plus brillante que jamais, plus féconde, plus ardente à la lutte, où surgissent de tous côtés des œuvres dignes d'être signalées ? De ces œuvres, contentons-nous de donner les titres, d'indiquer les tendances, sans prendre part aux querelles qu'elles ont fait naître. Après ses éclatants succès de Faust et de Roméo, M. Gounod a voulu chercher la haute expression de l'art dans la simplicité; c'est dans cet esprit qu'est conçu son opéra de Polyeucte (Opéra, 1878), dont le finale du deuxième acte est une page pleine d'élévation. Thomas, avec Françoise de Rimini (Opéra, 1882), s'est attaqué une seconde fois à ces sujets délicats etpourainsi dire psychologiques, dans lesquels il avait triomphé avec Hamlet. Puis voici les jeunes compositeurs, tous cherchant des voies nouvelles, tous s'étant préparés au théâtre par la symphonie. M. Massenet, musicien tendre, habile et délicat, aborde l'opéra en maître avec la scène colorée du paradis d'Indra du Roi de Lahore (Opéra, 1877) ; avec Hérodiade (Bruxelles, 1881 ; Paris, Théâtre-Italien, 1884), il retrouve quelque chose de cette religiosité pour ainsi dire passionnée qui avait fait de Marie-Mag-
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deleine une oeuvre si neuve et si personnelle; enfin le Cid (i885) a été jusqu'à ce jour son dernier succès à l'Opéra dans le genre lyrique. Voici M. Saint-Saëns, le. merveilleux, symphoniste, à la forme si souple et si moderne; après avoir été fantaisiste dans le Timbre d'argent (Lyrique, 1877), il se montra compositeur dramatique de grand style et de haute inspiration dans sa magistrale partition de Samson et Dalila (Weimar, 1877 ; Paris, 1890) ; puis il changea encore de genre avec Henri VIII (Opéra, i883), et Ascanio (Opéra, 1890), sans rien perdre pour cela des vives couleurs de sa riche palette. Cherchant une esthétique nouvelle, M. Reyer, après , l'insuccès éclatant, mais immérité, âCErostrate (Opéra, 1871), s'inspire des grandes légendes de VEdda et du Niebelungen, et fait entendre sa belle et mâle partition de Sigurd (Bruxelles, 1884; Opéra, 1885); il s'attaque ensuite au roman étrange et fouillé de Flaubert, et donne Salammbô (Bruxelles, 1890). D'autres musiciens de talent ont pu encore faire honneur à notre école dans le grand; drame lyrique. Je citerai M. Théodore Dubois qui, écrivant son. opéra d'Aben Hamet (Italiens, 1884), a tenté de réunir le style serré de l'école française à la grâce de l'école italienne; M. Lefèvre, dont la Zaïre, non encore représentée, mériterait de pouvoir être appréciée à sa valeur; MM. Victorin Joncières et Salvayre qui, tous deux, de manière différente, se sont montrés musiciens dramatiques, l'un, avec Dimitri (Lyrique, 1876) et avec le Chevalier Jean (Opéra-Comique, 1885); l'autre, avec le Bravo (Lyrique, 1877). Inspiré par le- roman de Ber»
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Théâtre-Lyrique, en 1876, sa gracieuse et mélodique partition de Paul et Virginie. Au moment même où nous écrivons, le succès du Roi d'Is (1888), de M. Lalo, etd'Esclarmonde (1889), de M. Massenet, prouvent que l'art lyrique est toujours en grand honneur chez les musiciens français. Si rapide que soit cet aperçu, nous devons citer au moins ce genre aimable du ballet qui tient à la fois de l'opéra et de la symphonie, et dans lequel nos compositeurs ont excellé. Nous savons de quelle importance avait été le ballet au xvinc siècle et sous l'Empire. Les musiciens modernes n'abandonnèrent point ce genre, loin de là, et les premiers d'entre eux,comme Halévy, comme Auber, se firent gloire d'y réussir. Ils voulurent même continuer l'opéra-ballet, Auber avec le Dieu et la Bayadère (i83o), Halévy avec la Tentation (i832), en collaboration avec Casimir Gide. L'opéra-ballet fut abandonné, mais on entendit des œuvres agréables qui eurent pour auteurs des musiciens spéciaux, au talent facile, comme Schneitzhceffer,Gide, Burgmûller; et le premier de tous, Ad. Adam, qui se montra artiste plus élégant et plus fin dans ses ballets que dans ses opéras-comiques. En même temps, Théophile Gautier avait vu dans ces sortes de pièces dansées et mimées comme la réalisation d'un de ses rêves de poète; il en avait fait une sorte d'invention à la fois dramatique et fantastique •> ce fut l'époque du Diable boiteux de Gide (i83 1), de la Sylphide de Schneitzhceffer (i832), de la Fille du Danube d'Adam ( 1836), de la Péri de Gautier et Burgmûller (1843), du Corsaire d'Adam (i856), etc. Gi-
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selle (1841), charmant ballet d'Ad. Adam, Th. Gautier et Saint-Georges (fig. 75), est restée le modèle du genre. Lorsque vint l'école moderne, elle s'empara du ballet comme d'un bien qui lui appartenait de droit par son caractère symphonique et pittoresque. A partir de ce jour, les ballets se pressent sans qu'il nous soit possible d'en donner tous les titres ; mais la musique de danse a pris, elle aussi, sa place dans l'art nouveau. Quelque chose de plus fin, de plus relevé dans le style, de plus musical, caractérise ces petits chefs-d'œuvre de grâce et d'esprit; en un mot, ce sont de véritables symphonies dansées que les airs de danse des opéras et les ballets de MM. Reyer, Massenet, Saint-Saëns, Delibes, Thomas, Gounod, Lalo, Guiraud, Widor, Théodore Dubois, etc. Autrefois, la musique de danse était considérée comme un genre secondaire; aujourd'hui, nos maîtres contemporains ont su en faire un art charmant de pittoresque et de coloris.
Bellaigue (Cam.). Un siècle de musique française, in-12, 1887. — L'année musicale, in-12, 1886, et suite. Blaze de Bury. Musiciens du passé, du présent et de l'avenir, in-12, 1884. — Meyerbeer et son temps, in-12, i865. Ernst (Alfred). L'œuvre dramatique de Berlio%, in-12, 1884. Lajarte. Bibliothèque musicale de l'Opéra, in-8°, 1876. Lasalle (Albert de). Mémorial du théâtre lyrique, in-12, 1877. Noël et Stoullig. Les annales du théâtre et de la musique, 1875, et suite. Ortigue (d'). La guerre des dilettantes ou de la révolution opérée par M. Rossini dans l'opéra français, in-8°, 1829. Pagnerre (L.). Charles Gounod et son œuvre, in-8°, 1890. Pougin. Biographie des musiciens. (Supplément de Fetis.) —■ Halévy écrivain, in-8°, i865. Reyer. Notes de musique, in-12. Soubies. Almanach des spectacles, in-12, 1874 et suite. Sutherland-Edwards. Rossini and his SchooU in-12, 1881.
�CHAPITRE III
LA
COMÉDIE
LYRIQUE
L'opéra-comique et ses différents genres. — Première période (i825-185o) : Le genre anecdotique. — Les librettistes : Scribe, Planard et Saint-Georges.—Les musiciens ; Hérold, Halévy, Auber, etc.— Deuxième période (i85o-i8g...) : Le genre poétique. — Ambroise Thomas, Meyerbeer, Massé, Gounod, Bizet, MM. Massenet, Saint-Saëns, Delibes, etc. — Le vaudeville musical et l'opérette : Adolphe Adam, Clapisson, Offenbach, M. Lecoq, etc.
Dans le chapitre précédent, nous avons quitté l'opéra au moment où, en pleine époque de transition, il achevait peut-être de se transformer sous l'influence de l'école symphonique française que nous avons vue naître il y a un demi-siècle ènviron. L'opéra-comique a subi à peu près les mêmes péripéties, et nous devrons clore cette histoire à l'heure même où il semble entrer dans une nouvelle période. Ce mot d'opéra-comique est encore trop employé pour qu'il soit possible de s'en passer, mais voilà bien des années qu'il n'a plus de sens. Dès le commencement de ce siècle, avec les Méhul, les Cherubini, les Le Sueur, il avait changé de caractère; non seulement les tréteaux de la foire et les couplets de
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Gilliers étaient oubliés, mais on était déjà bien loin des légères comédies en musique de Monsigny et de Grétry. L'opéra-comique avait fait vibrer les accents de la passion forte; c'était toujours le même mot, mais appliqué à un art bien différent. Joseph s'appelle un opéra-comique, exactement comme le Bouffe et le tailleur, et cependant quel abîme sépare l'œuvre noble et majestueuse de Méhul du gentil vaudeville de Gaveaux! Ce n'est ni d'après son titre, ni d'après le théâtre où elle a été jouée, qu'une œuvre se classe, c'est d'après ses tendances et son style. Nous avons emprunté au genre de l'opéra-comique quelques-unes de ses partitions pour les classer dans les opéras, nous lui en retirerons d'autres pour les rejeter dans les opérettes; Joseph, Faust, Roméo et Juliette ne sont-ils pas de véritables drames lyriques? le Philtre, le Comte Ory, la Muette, même malgré leur titre pompeux d'opéras, n'appartiennent-ils pas, par contre, au style tempéré qu'il est convenu d'appeler opéra-comique? En somme, si la division des genres sert à jeter de la clarté dans le récit, à tailler des chapitres dans l'histoire, elle est absolument conventionnelle et arbitraire. La muse se rit de nos classifications; elle inspire ses adeptes, et les musiciens créent au caprice de leur génie; puis viennent les historiens qui classent de leur mieux. Nous avons groupé autant que possible les partitions qui, parleurs sujets, leur style et leurs tendances, appartenaient au genre noble et hautement lyrique; le moment est venu d'étudier celles qui se rapprochent davantage de la comédie, et où le rire et la grâce légère tempèrent ce que le drame a de trop poi-
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gnant, ce que l'ode a de trop pompeux. C'est ce genre que l'on est convenu d'appeler éminemment français, sans que l'on ait jamais pu bien clairement démontrer en quoi le Domino noir, les Dragons de Villars ou le Postillon de Longjumeau étaient plus français que la Juive, Roméo et Juliette ou la Damnation de Faust. On ne s'est jamais avisé de trouver que Molière et Regnard étaient plus Français que Corneille et Racine, qu'Augier ou M. Dumas sont plus Français que Victor Hugo ou Lamartine; mais, en musique, il en est autrement. Suivons donc la coutume et voyons ce que devint, jusqu'à nos jours, ce genre de l'opéra-comique, créé d'abord par les premiers vaudevillistes de la foire, puis par Dauvergne, Monsigny et Grétry. Pendant que Méhul, Berton, Le Sueur, Boïeldieu vivaient encore, pendant que l'on applaudissait la Dame blanche, une jeune génération de musiciens se levait ardente et prête à continuer les traditions des grands artistes qui l'avaient précédée : c'était celle des Hérold, des Auber et des Halévy; ces maîtres, qui nous ont laissé tant de chefs-d'œuvre, ne s'étaient pas cependant beaucoup éloignés des anciennes traditions et étaient restés fidèles au genre sentimental, narratif et anecdotique dont la Dame blanche était le plus parfait modèle. Ce ne fut que vers i85o qu'une nouvelle génération de grands musiciens, celle des Gounod, des Thomas, des David, etc., changèrent le genre de l'ancien opéra-comique, le rendirent plus pittoresque et plus symphonique, cherchèrent dans les poètes français et étrangers des sujets les inspirant mieux au gré de leur nouvel idéal.
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Pendant ce temps, l'ancien opéra-comique à couplets, léger et bouffe, celui de Devienne et de Gaveaux, celui des Rendez-vous bourgeois et de Monsieur Deschalumeaux, le véritable opéra-comique venu en droite ligne du théâtre de la foire, continuait ses gentils flonflons avec l'aimable Adolphe Adam. Longtemps il fut en grand honneur et on le vit briller à côté des oeuvres les plus sérieuses ; mais bientôt relégué au second rang par des musiciens à tendances plus poétiques et plus élevées, il aboutit à l'opérette, Au début de la première période, l'influence de Rossini fut immense sur nos compositeurs, et moins nuisible dans le demi-genre que dans le drame lyrique.-Le rossinisme apparut d'abord dans la Dame blanche, puis tous les musiciens suivirent à l'envi. Pour l'expression, la sensibilité, la justesse des proportions scéniques, les élèves de Méhul, de Le Sueur' et de Boïeldieu n'avaient rien à apprendre du brillant auteur du Barbier; mais si leur mélodie était sincère et vraiment dramatique, elle ne laissait pas d'être parfois un peu lourde et la formule en était usée par trop de chefs-d'œuvre; si leur orchestre était rempli d'intentions heureuses, de traits ingénieux et spirituels, il était resté un peu massif. La légèreté et l'éclat du style rossinien convenaient mieux aux sujets de l'Opéra-Comique qu'à ceux de l'Opéra. Aussi bien, si l'on peut signaler plus d'une imitation malheureuse, si nos musiciens n'ont pas toujours su distinguer les défauts des qualités de leur modèle, il faut reconnaître que dans le demi-genre, du moins, l'influence de Rossini a eu son utilité. Une des grandes causes du succès des opéras-co-
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■iniques que le public applaudit, de 1825 à 1860 environ, fut aussi, en dehors du talent des compositeurs, la valeur et l'intérêt des libretti. Les littérateurs qui avaient écrit les poèmes musiqués par Méhul, Le Sueur, Cherubini, avaient tiré de leur portefeuille ce qu'ils avaient trouvé de plus médiocre, pensant, avec Beaumarchais, que tout ce qui ne pouvait pas se dire devait pouvoir se chanter. Seules, les pièces bouffes n'étaient pas sans quelque esprit; mais, dans le genre sérieux, c'étaient de noirs ou ridicules mélodrames ou d'insipides fadeurs d'une galanterie niaise ou d'une écœurante sensiblerie; seul Joseph fait exception, grâce à son sujet biblique. Malgré tout leur talent, les musiciens de cette époque ne purent lutter contre les tristes libretti dont leur musique était affublée; de là peut-être la cause de l'abandon dans lequel leurs œuvres sont tombées. A partir de 1825 — et la Dame blanche en est la preuve, — les compositeurs eurent à mettre en musique des poèmes intéressants, bien faits, riches en situations dramatiques, et même spirituels. Nous avons vu Scribe à l'Opéra, nous le retrouvons à l'Opéra-Comique dans le demi-genre et dans le genre bouffe; ses poèmes sont reconnaissables à leur ingéniosité, à leurs situations bien disposées pour être mises en musique, à cette sorte de tact qui faisait que Scribe donnait à chacun de ses collaborateurs le sujet qui lui convenait. Le Domino noir, Fra Diavolo, Giralda, les Diamants de la couronne, la Dame blanche peuvent être placés parmi les meilleurs et sont, en effet, des pièces fort bien faites. Scribe fut surtout le librettiste d'Auber et des musiciens plus spirituels que
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passionnés et dramatiques; il eut des rivaux moins adroits peut-être que lui, mais plus émus, plus poètes; tel fut Saint-Georges qui fit, pour Halévy, le joli opéra-
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HEROLD
(
LOU I S-J OS E PH-F E RDI N AN D ).
(Paris, 1791-1833.)
comique de l'Eclair, l'émouvant drame du Val d'Andorre, qui mit en scène, pour le même musicien, l'intéressante situation des Mousquetaires de la Reine; tel
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fut aussi Planard. Planard collabora avec SaintGeorges, et l'Eclair porte aussi son nom; mais il restera dans l'histoire de la musique française comme le librettiste du Pré aux clercs, le chef-d'œuvre de ce maître charmant, qui a nom Hérold. Hérold (1791-1833) — qui nous a légué Zampa et le Pré aux clercs, les deux meilleures partitions de la période qui nous occupe ici, et qui mourut si jeune, sans avoir pu parvenir à faire entendre une œuvre importante à l'Opéra, où l'appelait pourtant son génie poétique et élevé — est le successeur direct de la belle école de Méhul, dont il fut du reste l'élève. Hérold a moins de brio et d'éclat que quelques-uns de ses contemporains et surtout Auber, mais il a la. profonde sensibilité, l'émotion, l'expression juste, le sentiment net des situations dramatiques; en un mot, il possède au plus haut degré les qualités qui font les grands musiciens. On a dit que c'était un Weber français, et on a dit aussi qu'il s'était plus d'une fois inspiré de Rossini; selon nous, il. fut surtout Hérold. Berlioz, en un jour de mauvaise humeur assez mal justifiée, a appelé Hérold « le Weber des Batignolles » ; c'est une boutade de mauvais goût, et voilà tout. En effet, le musicien de Zampa rappelle quelquefois Weber; mais le rapport entre l'auteur du Pré aux clercs et celui du Freyschut^, ne consiste réellement que dans une certaine similitude de sensations, que quelques pages de ces deux maîtres nous font éprouver. A part l'ouverture de Zampa, développée un peu à la façon des ouvertures allemandes, dont quelques passages n'auraient pas été écrits, si Hérold n'avait pas
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entendu le Freyschut^, on n'a rien à signaler qui reproduise les formules du maître allemand. Hérold, moins hardi, moins fougueux que lui, est plus précis; il à moins de passion et plus de tendresse. En revanche, relisez l'ouverture de Joseph et celle de Zampa, et vous verrez reparaître en plus d'un endroit l'élève préféré de Méhul; à Rossini, il emprunta quelques formules, et non des meilleures. C'est à cette imitation du maître de Pesaro que l'ouverture du Pré aux clercs doit cette allure sautillante et ce faux brio qui la rend si inférieure à celle de Zampa; c'est encore en voulant imiter Rossini que le maître a soudé à cette poétique mélodie de « Jours de mon enfance », du Pré aux clercs, les interminables broderies qui en détruisent tout le charme. C'est donc bien Hérold qu'il faut chercher dans Hérold, et cela dès ses premières œuvres. Nous ne pouvons toutes les passer en revue ici, mais déjà, dans les Rosières (1817), nous trouvons des traces de cette sensibilité dont il a donné tant de preuves depuis. Voici le finale de Marie (1826), où Hérold se montre tout entier; les premières hésitations de la jeunesse sont passées, le maître a pris possession de son talent. Enfin voici, à une année de distance, le Pré aux clercs (I83I) et Zampa (1832), partitions maîtresses dans la musique française. Chacun connaît le Pré aux clercs, et le détailler serait tomber dans des redites inutiles. C'est, de tous les ouvrages d'Hérold, celui peut-être qui se rapproche le plus de l'ancienne école française ; seulement on y trouve, comme au finale du second acte, une tendresse d'âme que nos vieux maîtres n'avaient
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pas connue, et que l'on pourrait appeler toute moderne. La scène de la vente dans la Dame blanche avait déjà donné des modèles de morceaux longuement développés; Hérold, dans ce même finale, sut habilement s'en souvenir. Enfin, par l'habile disposition scénique, par la couleur de l'orchestre, la scène du duel et celle du bateau sont d'un puissant effet et resteront parmi les meilleures de notre répertoire. Moins bien composé peut-être que le Pré aux clercs, Zampa est une oeuvre d'un style plus large et d'une inspiration plus élevée, et certaines pages comme le début de l'ouverture, comme le finale du premier acte, comme l'apparition de la Fiancée de marbre, ont des allures de grand opéra. Le Pré aux clercs et Zampa sont tous deux d'origine romantique; mais si l'un vient du roman historique de Vitet et de Mérimée qui a donné, comme nous l'avons vu, naissance aux Huguenots, l'autre semble avoir été inspiré par la sombre poésie de Byron. Absurde dans ses situations, Zampa est musical dans ses détails; aussi le musicien en a-t-il bien saisi le caractère à la fois fantastique et lyrique. Le personnage de Zampa, cette sorte de don Juan, traité à la française, a parfois grande allure, et n'était sa galanterie un peu surannée, disons le mot, un peu troubadour, qui rappelle quelquefois la Joconde de Nicolo, ce serait une des plus belles figures musicales de notre école. A l'époque où cet opéra-comique fut joué, c'était une œuvre hardie et nouvelle par la poésie et le lyrisme de la conception, par la force des harmonies, par le coloris de l'instrumentation. En fermant cette belle partition, comment
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ne pas regretter que Hérold n'ait pu donner, dans l'opéra, libre essor à son génie! H érold, en mourant, avait laissé un opéra inachevé, Ludovic; ce fut Halévy qui le termina et il fut joué en i833; deux ans après, paraissait VEclair. Les ennemis d'Halévy ne manquèrent pas d'accuser ce maître d'avoir profité de sa collaboration posthume avec Hérold; la lecture de cette jolie partition de VÉclair suffit à réfuter cette calomnie. Comme Hérold, Halévy avait pris un sujet où dominaient la sensibilité et la grâce, et, dans l'étroite amitié qui unissait les deux musiciens, il n'est pas impossible que le compositeur du Pré aux clercs ait exercé quelque influence sur le compositeur de l'Eclair; mais là s'arrête toute ressemblance; le style diffère, l'inspiration n'est plus la même. Au lieu de la tendresse sincère et chaude d'Hérold, c'est la sensibilité, un peu contournée, qui distingue la romance et le duo célèbre de VEclair. Le beau finale du premier acte, avec sa phrase désespérée, a une largeur, une ampleur de mélodie qui annonce la Juive. Enfin, les parties légères de cette œuvre sont traitées avec un esprit qui n'est pas celui d'Hérold, même dans le trio du Pré aux clercs, je dirais presque une malice et une espièglerie dont le poète de Zampa n'avait pas l'idée. La même année (183 5) vit naître VEclair et la Juive, les deux chefs-d'œuvre d'Halévy. Ce maître avait débuté à l'Opéra-Comique en 1827 par VArtisan, et à partir de ce jour ces ouvrages dans le demi-genre furent nombreux. Nous ne les citerons pas tous, mais nous devons en retenir trois principaux : les Mousquetaires de la Reine
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(Opéra-Comique, 1846); le Val d'Andorre (Opéra-Comique, 1848), et, à cause de ses tendances toutes modernes, Jaguarita. VIndienne (Lyrique, 1855). Les Mousquetaires de la Reine contiennent plus d'un couplet passé à l'état de pont-neuf, comme l'ariette : « Parmi les guerriers » ; des mélodies jetées dans le moule banal et monotone que les Italiens appellent des Rosalies; mais la romance : « Enfin un jour plus doux se lève », est empreinte du sentiment délicat propre à Halévy; le sextuor : « Serment des chevaliers » a de la noblesse, et surtout le quatuor des masques : « Nuit charmante », est d'un poète élégant et fin. Du Val d'Andorre, partition d'un profond sentiment dramatique, nous ne signalerons spécialement qu'un morceau, la romance de « Rose de Mai »; mais, dans les quelques mesures de cette douloureuse mélodie, Halévy a donné tout ce que son âme de musicien contenait de force dramatique et d'émotion sincère. Jaguarita l'Indienne fut écrite après que Félicien David avait fait entendre le Désert et la Perle du Brésil. Comme Auber avec VEnfant prodigue, Halévy voulut à son tour brosser un tableau d'Orient; il fut plus heureux que l'auteur de la Muette, et la partition de Jaguarita est des plus intéressantes à étudier au point de "vue des rythmes et surtout des effets d'orchestre. La poétique scène du « Sommeil », où les instruments à vent colorent le chant murmuré parles violons avec sourdine, et la mélodie si heureuse : « Au sein de la nuit », dans laquelle au balancement des rythmes alternés répond aussi l'alternement des timbres de l'orchestre, sont des pages qui, à cette époque, étaient nouvelles et originales.
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Trop prisé de son temps peut-être, trop dédaigné aujour-
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BUFFET
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GONESSE
SIÈCLE).
d'hui, Halévy fut, avec Meyerbeer, le chef de l'école
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dite éclectique. Ses défauts étaient la sentimentalité parfois exagérée, un tour mélodique quelquefois vulgaire, une tendance malheureuse à sacrifier au mauvais goût du jour; mais à côté, que de grandes et sérieuses qualités : l'expression, la force, l'intelligence scénique! Déplus, Halévy a un style; son harmonie ainsi que son orchestre sont pleins d'effets nouveaux, ingénieux ou dramatiques; avec Hérold, il est le plus grand musicien d'opéra-comique de cette période, et l'historien doit le considérer comme un des maîtres français qui ont fait le plus d'honneur à notre musique, qui ont le mieux préparé dans leur temps les voies à la musique moderne. Ce ne fut pourtant pas lui qui eut l'honneur d'être appelé, pendant près d'un demi-siècle, le chef de l'école française; Hérold vivait encore, Halévy était dans tout son éclat, Berlioz et Félicien David créaient un art nouveau. Plus tard brillaient les musiciens jeunes alors et qui ont été la gloire de notre temps, et cependant ce ne fut pas un de ces poètes, de ces novateurs que le public proclama le premier entre tous, ce fut un musicien spirituel et charmant : Daniel-François-Esprit Auber. Auber resta surtout un compositeur fin, subtil, élégant et ne cherchant qu'à plaire; un homme du monde en musique, mais du meilleur monde. Toute exagération, tout excès, même dans le bien, lui faisait horreur; horrible était pour lui la passion, mais plus horrible encore le rire; s'il paraissait s'échauffer, c'était pour s'arrêter à temps, et la scène commencée dans les larmes s'achevait toujours dans un sourire. Nous l'avons vu plus haut jongler adroitement avec le poème de la
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78, — AUBER ( D A N I K L-FB A S ÇO I S-E S P RIT ). (Caen, 1782. — Paris, 1871.)
ment dramatique, ni les poétiques élans, ni les puissants effets, ni la douce sensibilité, ni la tendresse, ni surtout la passion ; de l'ésprit dans la mélodie, de l'esprit dans le style général, de l'esprit dans l'harmonie qui
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est ingénieuse et distinguée, de l'esprit dans l'orchestre, malgré plus de brio que d'éclat, plus de son que de sonorité, de l'esprit dans les rythmes, bien qu'ils soient quelquefois vulgaires, de l'esprit surtout dans la disposition des scènes, de l'esprit toujours et partout, même lorsqu'il faudrait du cœur; voilà le caractère dominant de son talent. Si le mot n'était pas si gros, on pourrait dire d'Auber qu'il a eu trois manières dans l'opéra-comique : l'une délicate, et légère, mais sobre, procédant de l'ancienne école française de Monsigny, de Grétry, de Nicolo, de Boïeldieu, c'est celle des premières œuvres : la Bergère châtelaine (1820), Emma (1821), la Neige (1823), le Concert à la Cour (1824), le Maçon (1825), la Fiancée (1829), et plus tard, dans quelques passages, le Domino noir (1837), c'est, selon nous, la meilleure. L'autre, plus large, plus éclatante, d'une conception scénique (je n'ai pas dit dramatique) plus habile et plus forte, c'est celle de Fra Diavolo (i83o), de Y Ambassadrice ( 1836), des Diamants de la Couronne (1841). Je passe sous silence les deux premiers opéras d'Auber, le Séjour militaire et le Billet de logement. Fervent adorateur de Rossini et connaissant bien le chemin du succès, Auber se jeta délibérément dans la musique à la mode et sut, en homme habile, s'inspirer du maître de Pesaro, sans le copier. Fra Diavolo, amusant, varié et éclatant, avec la jolie scène de Pâques fleuries, avec son finale mouvementé et bien scénique, avec le spirituel trio du second acte, peut passer pour le chef-d'œuvre d'Auber; dans tous les - cas, c'est le plus populaire.- Le Domino noir procède un
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peu, comme nous l'avons dit, delà première manière; mais c'est un prodige d'adresse d'avoir pu coudre ces gentils couplets sur un poème aussi antimusical. UAmbassadrice (i836), Actéon (i836), les Diamants de la Couronne (1841), sont des partitions écrites pour faire briller des chanteuses; aussi sont-elles hérissées de traits, de roulades, de vocalises, d'airs à effet. Enfin, dans sa troisième manière, celle tfHaydée (1847), Auber se fit plus dramatique; il voulut exprimer la passion, et si ses accents ne sont pas bien profonds, du moins sont-ils suffisants pour faire illusion. Il voulut recommencer l'expérience avec Manon Lescaut (1856), mais il fut moins heureux. A la fin de sa carrière, en 1868, Auber, alors âgé de quatre-vingt-six ans, remporta son dernier succès : les dilettantes admirèrent beaucoup et applaudirent avec bruit le Premier jour de bonheur. • Chacune de ces partitions est précédée d'une ouverture généralement gaie, pimpante, s'adaptant bien au caractère de la comédie musicale dont elle est le résumé, et fort propre à être jouée par les musiques militaires; aussi jouissent-elles d'une grande popularité. Elles rentrent dans le genre appelé pot-pourri, c'est-à-dire qu'elles se composent en général des principales mélodies de l'opéra; seulement, au lieu de les développer, ainsi que l'ont fait Weber, Hérold dans Zampa, etc., Auber s'est contenté de les juxtaposer à la manière de Rossini. Comme l'auteur du Barbier, il les termine toutes par une strette bruyante et vigoureusement rythmée, ce qui contribue beaucoup à leur donner un air de ressemblance. Nous citerons les ouvertures de la Muette et de Fra Diavolo, selon nous, les meil-
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leures du genre; celle du Domino noir, celles des Diamants de la Couronne et du Serment, dont le début a comme une vague senteur de poésie rare chez le maître. Par l'élégance et la finesse, Auber a su plaire aux artistes; par la facilité, il a su charmer les amateurs ; on peut dire de lui que, de tous les musiciens, c'est celui qui a le mieux fait supporter la musique à ceux qui ne l'aimaient pas; de là à être le chef de l'école française, comme on l'a écrit maintes fois, il y a loin. Mais s'il n'a pas eu d'élèves, Auber a eu des imitateurs et fort nombreux; s'ils ne pouvaient lui emprunter ses qualités, •il leur était facile de copier ses défauts; de là ces opérascomiques froids, conventionnels, d'une couleur criarde, aux' rythmes vulgaires, aux mélodies banales, ou faussement élégantes, qui ont été en vogue jusqu'à une époque assez rapprochée de nous. Il fallut l'éducation plus musicale du public, les tendances plus élevées de l'école moderne, pour rejeter dans l'opérette ce genre antiartistique, qui tint trop longtemps dans la musique un rang considérable ; il nous faut citer cependant à cette époque quelques musiciens de réelle valeur qui, sans échapper toutefois au goût du jour, surent garder leur originalité. Voici Semet, avec ses deux partitions des Nuits d'Espagne (r857) et de Gil Blas (1860), d'une couleur un peu conventionnelle, mais qui ne manquent ni de grâce ni d'entrain ; voici M. Gevaert et M. Limnander, deux artistes belges, qui ont réussi en France, l'un avec le Capitaine Henriot (1864), l'autre avec les Monténégrins (1849) ; voici surtout Aimé Maillart. Ces trois derniers compositeurs appartiennent plutôt à l'école
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d'Halévy qu'à celle d'Auber. Maillart fut un des meil-
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PRIVILÈGE (DESSIN
DU
ROI
MIS
EN
M U S I Q_U E
DE
GRAVELOT).
(Un concert d'amateurs au xvin0 siècle.)
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leurs élèves de l'auteur du Val d'Andorre, et un de ceux qui continuèrent le mieux ses traditions. Maillart était parfois lourd et vulgaire, mais il avait de la puissance, de la force dramatique et de l'émotion; c'était un musicien de théâtre avant tout. Il présente même cette particularité qu'il n'a pas écrit une seule note en dehors de la scène : ses deux meilleurs opéras sont les Dragons de Villars (Lyrique, 1856), dont chacun connaît la romance devenue populaire et le joli duo du second acte, et Lara (Opéra-Comique, 1864), œuvre romantique, dans laquelle on remarque de la vigueur et du sentiment dramatique. Nous nommerons encore François Bazin (1816-1878), l'auteur du Voyage en Chine (i865), mais surtout excellent professeur de composition. A la même époque, brilla d'un éclat discret Reber, dont le talent fin et distingué, plus propre à la symphonie qu'au théâtre, est encore fort apprécié des artistes. Reber, fuyant le succès facile et le bruit inutile, s'était réfugié dans le culte des vieux maîtres, dont il aimait l'esprit et la grâce un peu surannée ; mais la finesse, l'élégance et l'originalité de son style relevaient ce que sa musique avait d'assez froid. La Nuit de Noël (Opéra-Comique, 1848), le Père Gaillard (id., i852), les Papillotes de Monsieur Benoît (i853), sont l'œuvre d'un homme de goût et d'un musicien délicat. Exagéré au contraire, redondant, déclamatoire et romantique à l'excès, était Hippolyte Monpou, l'auteur encore populaire de YAndalouse; ses partitions des Deux Reines (Opéra-Comique, 1835), où se trouve la célèbre romance : « Adieu, mon beau navire », du Luthier de Vienne {id., i833), de Piquillo (id., 1837),
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du Planteur (id., i83g), prouvent que Monpou aurait pu être original et même novateur s'il eût mieux connu son art. Enfin, voici, avec la Double Échelle (1807) et le Panier fleuri (1839), les débuts heureux d'un.maître contemporain, M. Ambroise Thomas.
LES COMEDIENS
FRANÇOIS ET ITALIENS
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MAHOMET I- OU LE FANATISME
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Ce fut lui qui parut, le premier, vouloir se dégager de l'imitation d'Auber, d'Halévy, des Italiens, bref, du genre en vogue à son époque. Avec le Caïd (1849), il s'était spirituellement moqué des fioritures à l'italienne, comme avait fait Halévy dans le Dilettante d'Avignon (1829) ; de plus, il avait su, avec tact, parodier la sen-
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timentalité niaise de quelques opéras-comiques de son temps. Mais respectueusement soumis à ses maîtres, il était encore leur élève, tout en les parodiant; le Caïd, dans sa nouveauté, parut une protestation hardie; il est redevenu aujourd'hui ce qu'il était en réalité, un charmant opéra-comique. L'année suivante, en i85o, une scène du Songe d'une nuit d'été, celle de l'apparition, indiquait des tendances nouvelles. Ce n'était pas par des rythmes marqués, par des chants accentués, que le musicien exprimait sa pensée ; la délicatesse de l'harmonie, le coloris fin et distingué de l'orchestre, l'élégance de la mélodie, quelque chose de plus raffiné que Halévy, de plus expressif qu'Auber, semblaient animer cette musique. Quelques années plus tard, avec Psyché (1857), le maître faisait une évolution plus définitive encore ; Psyché n'était pas un opéra-comique, c'était presque un poème lyrique; c'était le rêve d'un artiste délicat, cherchant ses effets non dans l'éclat et la sonorité, mais dans les demi-teintes douces, dans les nuances habilement mélangées. Toute cette partition respire comme un vague parfum de style symphonique. Enfin, en 1866, M. Thomas donnait Mignon, que l'on considère comme son chef-d'œuvre à l'Opéra-Comique. On sait le succès de Mignon, nous ne nous y arrêterons pas. Vers le même temps, Meyerbeer s'emparait de l'Opéra-Comique comme il avait conquis l'Opéra. Je ne parle que pour mémoire de YÉtoile du Nord (OpéraComique, 1854). Cette partition intéressante est digne de son auteur et renferme des pages grandioses, trop grandioses peut-être, car le défaut de cette œuvre est
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de n'être pas très bien pondérée; mais il n'en est pas de même du Pardon de Ploërmel (Opéra-Comique, 1859). Troublé par les symphonistes de France et d'Allemagne, cet esprit puissant avait d'abord conçu l'idée de faire une sorte de symphonie instrumentale et vocale dans le genre descriptif. Il se fit composer un canevas en trois tableaux, représentant le Soir, la Nuit et le Matin. La symphonie projetée se transforma en poème d'opéra-comique, assez médiocre, du reste, au point de vue dramatique; mais la musique resta ce qu'elle avait d'abord dû être, avant tout pittoresque et poétique. C'est dans le Pardon de Ploërmel et dans l'Africaine que Meyerbeer a jeté le plus de finesse et de coloris ; il est resté auteur puissamment dramatique dans le finale de la clochette au premier acte, dans le finale du second, dans la célèbre romance, mais il s'est fait peintre dans tout le second acte et au lever de rideau du troisième, oû les chants du faucheur et du chasseur, la villanelle des pâtres, rappellent un peu, sinon la manière, du moins le genre de conception d'Haydn. Par la variété de l'orchestre, le piquant et la nouveauté de l'harmonie, l'originalité et la fraîcheur de l'inspiration, le Pardon de Ploërmel est une des meilleures œuvres du maître qui a écrit les Huguenots et le Prophète. Un autre grand poète, Berlioz, avait voulu, lui aussi, abordera sa manière le genre léger de l'opéra-comique. Il écrivit donc pour Bade Béatrix et Béne'dict (Bade, 1862; Paris, 1890), dont il emprunta le sujet à Shakespeare [Beaucoup de bruit pour rien) et qu'il intitula lui-même opéra comique très, gai; très gai n'est pas
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le mot, mais au moins très amusant pour les musiciens, et très curieux ; quelque chose comme une gageure d'artiste avec son sujet tout de fantaisie, avec ses parodies, avec ses morceaux de haute expression, placés à côté de plaisanteries singulières. Les noms de Meyerbeer et de Berlioz nous entraînent vers le drame lyrique, nous éloignant du genre qui fait l'objet de ce chapitre; un musicien aux tendances moins élevées, qui, lui aussi, fut un novateur en son temps, nous y ramènera. Je veux parler de Victor Massé. Avec la Chanteuse voilée, son début (Opéra-Comique, i85o), avec les Noces de Jeannette (i 853). Massé s'était montré artiste instruit et distingué, mais encore attaché aux anciennes traditions de l'opéra-comique. Galatée (Opéra-Comique, i852), les Saisons (id., 1855) indiquèrent un nouvel esprit. Dans Galatée, le musicien s'était fait l'interprète musical d'une mode néo-grecque qui, vers i85o, était fort en vogue dans la peinture et la littérature ; joignant l'esprit à une réelle élégance de style, il avait composé une œuvre artistique et nouvelle. En écrivant les Saisons, Massé s'était jeté résolument dans le genre descriptif, avant même que Meyerbeer en eût fourni le modèle avec le Pardon de Ploërmel. La Reine Topaze (Lyrique, i856), Fior d'Ali\a (Opéra-Comique, 1866) et surtout Paul et Virginie (Lyrique, 1876! soutinrent dignement la réputation de l'auteur de Galatée. La Nuit de Cléopâtre (Opéra-Comique, 1885) fut sa dernière œuvre. Pendant cette période, le Théâtre-Lyrique s'était ouvert, comme nous l'avons dit, offrant de nouvelles
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ressources aux compositeurs. Nous avons cité la Statue et la Perle du Brésil; nous avons vu M. Gounod donner sur cette scène ses deux œuvres les plus complètes dans le genre lyrique ; ce fut là aussi que le maître fit entendre les opéras de demi-genre, qui furent les plus applaudis de son répertoire, le Médecin malgré lui ( 1858) ; Philémon et Baucis (1860) et Mireille (1864). Le Médecin malgré lui n'a point évidemment la rondeur et la franchise comique de Molière, mais c'est de la musique à la fois gaie, fine et distinguée, très moderne, malgré la recherche du style archaïque. Philémon et Baucis, surtout au premier acte, est un chef-d'œuvre de grâce et d'élégance; la partition tout entière respire comme un parfum délicieux d'antiquité, mais de l'antiquité aimable, légère et un peu attendrie, celle d'Ovide, de Perse, de Catulle et d'Horace. C'est la même délicatesse de touche que l'on trouve dans la Colombe (Opéra-Comique, 1868). Mireille toute vive et tout ensoleillée, resplendit pour ainsi dire de l'éclat du poème provençal de Mistral. Avec cette délicieuse pastorale sincèrement amoureuse, avec cette musique à la fois claire et recherchée, écrite dans un style exquis de ton et de couleur, surtout aux deux premiers actes, nous voilà bien loin des Nicettes, des Colettes, des Suzettes, des brunettes, des herbettes et des chansonnettes qui, depuis plus de deux siècles, enniaisaient l'Opéra-Comique. Ambroise Thomas, Gounod et Meyerbeer, l'un en y introduisant les délicatesses d'un style d'écrivain musical, rempli de douces et d'aimables surprises; l'autre, par les charmes de son harmonie ondoyante,
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de ses accords enlaçants dont il a le secret et qui, après lui, sont devenus la langue courante des musiciens français, par son instrumentation à la fois chatoyante et riche; le troisième, en abordant franchement le genre descriptif et pittoresque avec la vigueur d'un grand maître, avaient renouvelé l'opéra-comique. Ils avaient renoncé aux poèmes anecdotiques, aux petites histoires plus ou moins heureusement racontées ; ils avaient pris pour collaborateurs des écrivains de prose ou de vers, où ils trouvaient de plus hautes inspirations, Goethe, Shakespeare, Lamartine, etc. L'évolution était dans le demi-genre, celle-là même que nous avons constatée dans le drame lyrique; à l'Opéra-Comique comme à l'Opéra, l'influence de l'école symphonique se faisait sentir, transformant complètement le style du théâtre. Nos jeunes compositeurs ne devaient pas s'arrêter dans cette voie. L'un d'eux, Bizet, mort trop tôt pour la gloire de notre école, artiste instruit, esprit ardent et ingénieux, musicien consommé, n'hésitait pas à introduire à l'opéra-comique les hardiesses de la mélodie et de l'harmonie modernes. Nous avons nommé les Pêcheurs de perles et l'Arlésienne; la scène de la Saint-Valentin de la Jolie Fille de Perth (Lyrique, 1867) est restée dans le souvenir de tous les musiciens. Djamileh, bien que n'ayant pas réussi à l'Opéra-Comique en 1874, est une œuvre d'artiste supérieure. Enfin, en 1875, trois mois avantsa mort, le jeune musicien donnait à l'Opéra-Comique Carmen. Dans cette partition tant applaudie aujourd'hui, après un premier insuccès, on retrouve encore l'élève de l'éclectique Halévy, fidèle à certaines formules de sa jeunesse;
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mais,.prise d'ensemble, l'œuvre est hardie, neuve,
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BIZËT
(Paris,
( AIEXA H D R E-CÉSAR-I. É 0 P 0 t. D - G EOR G Es). 183S. —Bougival, 1875.)
haute en couleur; la passion et la vie l'enflamment de
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la première page à la dernière; on y sent parfois passer comme un frisson de drame et retentir le cri vraiment humain. A partir de Carmen, nous nous arrêtons, ne voulant point apprécier des compositeurs dont la carrière n'est pas encore terminée et des partitions qui, n'étant pas complètement jugées, n'ont pas pris leur place dans l'histoire; mais de nos jeunes maîtres, pas un n'a fait un pas en arrière; de ces œuvres, pas une n'est rétrograde — quel .que soit son genre. Les uns, comme M. Saint-Saëns, avec la Princesse jaune (OpéraComique, 1872), le Timbre d'argent, que nous avons nommé, Proserpine (Opéra-Comique, 1887); comme M. Massenet, avec la Grand'Tante (Opéra-Comique, 1867), ses débuts au théâtre, Don César de Ba^an (Opéra-Comique, 1872), Manon (Opéra-Comique, 1884), partition charmante et fine à laquelle on peut prédire une brillante reprise — maintiennent le demi-genre dans les régions de la fantaisie poétique. Les autres — comme MM. DeJibes, avec le Roi l'a dit (Opéra-Comique, 1873), Jean de Nivelle (Opéra-Comique, 1880), Lakmé (Opéra-Comique, 1883), Guiraud, avec le Kobold, (Opéra-Comique, 1870), Madame Turlupin, joli pastiche de la vieille manière italienne (Athénée, 1872), Piccolino (Opéra-Comique, 1876) — restent modernes, tout en conservant les traditions de l'ancien style. A ces artistes, il nous faut joindre encore des compositeurs de réel talent, MM. Maréchal, Pessard, Paladhile, Widor, Poise qui s'est fait une spécialité des gracieux pastiches, M. Chabrier, un hardi, mais original et spirituel musicien. Nous l'avons dit, ces artistes sont
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trop nos contemporains pour qu'il nous soit possible de les apprécier; mais déjà ils marquent leur place dans l'histoire de l'école française moderne. Tandis que l'Opéra-Comique haussait le ton jusqu'à
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ADAM
(ADOLPHE-CHARLEs).
:—
(Paris, 1803-18)6.
Portrait daté de 1839.)
se.confondre avec l'Opéra, que devenait l'ancienne comédie à ariettes, le vaudeville, qui avait fait le succès du théâtre de la Foire et de la Comédie italienne, celui de Devienne, Gaveaux, Dalayrac, Délia Maria? Il
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n'avait pas disparu, loin de là; mais il s'était transformé, de i83o à 1860 à peu près. Adolphe Adam (I8O3-I856) et Clapisson (1808-1866) furent les maîtres du genre. Adam avait pour lui la légèreté, la coquetterie aimable, sinon la grâce réelle, et une facilité agréable; Clapisson possédait une certaine intelligence de la scène, mais il était lourd, vulgaire, sans verve et sans originalité. Malgré leurs grandes dimensions, malgré leur prétention à la musique, ce sont des opérettes, et des opérettes longues, que des partitions comme le Postillon de Longjumeau (1836), le Brasseur de Preston (i83y), Giralda (i85o), Si j'étais roi (1852), le Bijou perdu (i853), d'Adam; seul, le gentil petit acte du Chalet (1834) a quelque chose de fin et d'artistique qui permet de le placer au nombre des opéras-comiques. Avec la Promise (1854), avec la Fanchonnette, qui passe pour sa meilleure œuvre (1856), Clapisson avait remporté de grands succès. Plus spirituel et plus léger que Clapisson, aimable compositeur, Albert Grisar, avec l'Eau merveilleuse ( 1839), avec Gilles le Ravisseur ( 1848), avec Bonsoir, monsieur Pantalon (I85I), avait aussi perpétué les anciennes traditions de l'Opéra-Comique, lorsque parut J. Offenbach (1819-1882), un musicièn étrange, incorrect, mais plein de verve et d'entrain; il rompit avec les anciennes habitudes, bafoua les vieilles formules et jeta délibérément le genre du petit opéracomique dans la grosse bouffonnerie. Il fit fureur, mais au bout d'une dizaine d'années (de 1860 à 1870 à peu près) le public se fatigua de ce rire à outrance; l'on revint alors à Un genre moins excentrique, se rapprochant de l'ancien vaudeville à couplets; et ce fut
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sentie dejl'évolution musicale; ces partitionnettes sont mieux composées, mieux écrites qu'autrefois. Un jour viendra où Offenbach, MM. Lecocq, Jonas, Audran, Planquette, Vasseur, Varney, Lacome, Messager (un véritable artiste), etc., prendront, et à plus juste titre, selon nous, une place égale à celle que nous avons dû faire auxGaveaux, aux Devienne, aux Délia Maria, etc. C'en est fini, pour le moment du moins, de la musique échevelée de l'opérette bouffe; nos compositeurs en sont revenus à l'ancien vaudeville à ariettes, avec un peu plus de musique. Par une nouvelle évolution, l'opérette est retournée à son point de départ; aujourd'hui, nous la voyons se transformer encore, et avant peu, si la chose n'est déjà faite, elle aura pris dans notre théâtre la place laissée libre par l'ancien genre de l'opéracomique.
Bellaigue (C). G. Bi^et. Sa vie et ses œuvres, in-12, 1890. Clément (Félix) et Larousse (P.). Dictionnaire lyrique ou histoire des opéras jusqu'à iSyô, in-8°. Ernouf. Compositeurs célèbres, in-12, 1888. Ernst (A.). Richard Wagner et le drame contemporain, in-12, 1-887. Hanslick. Du beau dans la musique (trad. par Bannelier), in-S°, 1877. Jouvin. Hérold, sa vie et ses œuvres, in-8°; 1868. Poirée (E.). L'évolution de la musique, in-12, 1884. Pougin. La Jeunesse d'Hérold {Galette musicale, 1880). Soubies et Malherbe. Histoire de la seconde salle Favart {Ménestrel, 1889). Saint-Saëns. Harmonie et mélodie, in-12, i885. Soubies. Une première par jour, in-12, 1888. Weber. Les illusions musicales, in-12, i883.
�CHAPITRE IV
.Nos desiderata. — Le chant et l'art instrumental au xixc siècle. — Les organistes.— Les romances, les mélodies, les chansons., — La musique de chambre et les sociétés d'amateurs.— Conclusion.
Notre .tâche est terminée, mais si. la .matière était, vaste,, le cadre, était restreint. Nous nous sommes, contenté d'indiquer rapidement, les dignes principales de l'histoire de l'art musical en France, ne gardant que, les détails indispensables pour éclairer notre, récit, laissant dans l'ombre bien des figures intéressantes. C'est en avouant ces desiderata, en découvrant ces lacunes que nous espérons nous les faire pardonner ; mais nous ne fermerons pas ce livre sans ajouter encore deux ou trois notes sur quelques-uns des sujets que nous avons dû laisser de côté De tous les musiciens français peut-être, ce sont les chanteurs qui ont été le plus attaqués par les détracteurs de notre musique, et cependant l'histoire démontre que si ce parti pris n'a pas été absolument injuste, il a été du moins, et à toute époque, fort exagéré. Nos chanteurs n'ont point, il est vrai, possédé au. même degré que les Italiens d'autrefois les artifices du bel canto;
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mais ils ont eu d'autres qualités qui convenaient mieux à la musique dont ils étaient les interprètes; ils ont possédé la belle et large déclamation chantée, l'expression pathétique, la science du bien dire, et depuis les premiers chanteurs de Cambert jusqu'aux artistes d'aujourd'hui, nous avons plus d'un nom glorieux à citer. Les interprètes de Lulli et de son école furent JBeaumavielle, Thévenard, les demoiselles Saint-Christophe, Marthe Lerochois, etc. Rameau trouva pour exécuter ses œuvres Jélyotte, Chassé, Dun, Larrivée, Mmes Lemaure, Eremans, Antier, Fel, etc.Gluck apparaît, etvoilàqu'ilapour chanteurs des artistes dignes de son génie : en hommes, Legros, Lainé; en femmes, Sophie Arnould, qui créa. Iphigénie en Aulide; Mlle Levasseur, qui fut la créatrice à^Alceste et iïArmide, et la Saint-Huberty ; celle-ci reprit avec éclat des rôles créés par d'autres dans les œuvres de Gluck, mais elle fut surtout l'interprète émue et inspirée de Piccini, de Sacchini, de cette belle école qui a suivi l'auteur tfOrphée. Le Sueur et Spontini furent présentés au public par Lainé, Chéron, Lays, Dérivis, Mmcs Branchu, Maillart, etc. Dans le genre léger, on n'a pas encore oublié la spirituelle Mme Favart, Mmes Saint-Aubin, Dugazon, Gavaudan. Ces artistes étaient actrices autant que chanteuses, et on devine le caractère charmant et fin de leur talent dans la musique légère de la fin du xvur3 siècle. En hommes, c'étaient Caillot, célèbre par la justesse de sa diction, Clairval, Dugazon, plus tard les illustres Elleviou et Martin, pour lesquels Méhul, Nicolo, Boïeldieu, Berton, etc., écrivirent leurs plus beaux rôles. Enfin la romance avait pour interprète Garât, le ehant fait
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homme, disaient ses contemporains, le Lambert de son temps, le dieu de la musique de salon. Lorsque Rossini vint en France, il trouva une belle troupe d'opéra qui comptait dans ses rangs Nourrit père, Dérivis, Prévôt, Levasseur, Dabadie et surtout Nourrit fils; il avait dû émonder dans le Siège de Corinthe et dans Moïse les fioritures trop luxuriantes de sa musique italienne; mais il suffit de lire le Comte Ory pour s'assurer que des artistes comme Nourrit et Levasseur savaient chanter. Nourrit encore, Dabadie et Levasseur créèrent Guillaume Tell, et l'histoire ne dit pas que le maître ait eu à se plaindre de ses interprètes. Comme habile virtuose et vocaliste de premier ordre, il avait M"'" Cinti-Damoreau (Laure Cinthie Montalant), née à Paris et élève de notre Conservatoire; ce fut pour elle que l'on écrivit dans le genre italien les rôles d'opéras à vocalises dites de princesses. Mais voici des cantatrices-tragédiennes : Marie-Cornélie Falcon, la Valentine des Huguenots; la Rachel de la Juive; voici Mme Stolz, la Ginevra deGuido, la Léonore de la Favorite, la Catarina de la Reine de Chypre; a. côté d'elle brille Mn,t Dorus-Gras, qui chante les rôles d'Alice de Robert le Diable, de Marguerite des Huguenots. Mme Viardot (Pauline Garcia) appartient à l'école italienne par ses traditions ; mais ne devons-nous pas donner droit de cité à la grande artiste qui a créé Fidès du Prophète et ressuscité Y Orphée de Gluck? Une terrible catastrophe avait mis fin à la carrière de NoUrrit. Un autre grand chanteur, au style large et puissant, Gilbert Duprez,lui succéda: l'on sait avec quelle gloire. Faut-il citer encore, à l'Opéra,Barrhoilet, Massol, etc.?
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A l'Opéra-Comique, Roger Hermann-Léon, Bataille, etc.? Plus près de nous, voici MM. Gueymard, Villaret, Faure et, en femmes, Mme Carvalho, l'interprète inimitable de M. Gounod, M,1WS Gueymard, Sasse, artistes à grandes voix, la rossignolante M"1" Ca- * bel, etc. Nous fermons ici notre liste, ne voulant pas parler des artistes contemporains; mais, si incomplète que soit cette énumération, peut-être suffira-t-e]le à prouver que nous n'avons point à rougir de notre école de chant, et que les belles œuvres ont toujours trouvé chez nous des interprètes dignes d'elles1. Notre école instrumentale du xvme siècle étant peu connue, nous avons cru devoir nous y arrêter quelque temps; il faudra donc nous contenter ici de citera notre époque les noms des virtuoses qui ont fait la gloire de nos concerts et de notre Conservatoire. Poulie piano, voici Bertini, Lecouppey, Delaborde, Alkan, Herz, Marmontel, Planté, Ritter, Jaell, Duvernoy-, Diémer, Mmcs Farrenc, Massart, Montigny-Rémaury, Jaell, etc. Soit par l'habileté de l'exécution, soit par l'excellence de l'enseignement, chacun de ces artistes a sa place dans notre histoire. Notre belle école de violon, que nous avons vue naître au XVIIIc siècle, n'a rien perdu de son éclat, avec les maîtres et les élèves de notre Conservatoire; Alard, Armingaud, Dancla, Sauzay, Tilmant, Vieuxtemps, Lecieux, Saint-Léon, Garcin, Sarasate, Marie Tayau ont continué depuis près d'un siècle les traditions des Rode, des Kreutzer, des Baillot, des
i. Voir, pour le chant et les chanteurs, Th. Lemaire et H. Lavoix. Le Chant, 2E partie. — Histoire du chant.
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Lafoht, violonistes habiles, il est vrai, mais préférant encore à la brillante et inutile virtuosité les qualités plus solides de la beauté du son, de la largeur et de l'ampleur du coup d'archet, de l'expression et du phrasé intelligent. A côté d'eux voici les violoncellistes Batta, Ghevillard, Franchomme, Lebouc, Norblin, Jacquard, Delsart ; les contrebassistes Labro et Verrimst. Pour la harpe, ce sont Gatayes et Félix Godefroy, Dorus, Drouet, Tulou, Rémusat, Taffanel, Brod, Triéberf, Vogt, Lalliet, Jancourt, Klosé, Mohr, le fantaisiste Vivier, etc., qui ont porté à sa perfection l'art difficile des instruments à vent. Si du concert et du théâtre nous passons à l'église, voici les musiciens religieux comme Niedermeyer, Nicou-Choron, voici les organistes artistes de haute valeur et le plus souvent compositeurs de talent. Je ne citerai pas les maîtres qui comme M. Saint-Saëns ou César Franck, ont été souvent déjà nommés dans cette histoire; mais je veux rappeler les noms de ces musiciens de premier ordre que le public connaît à peine, tandis qu'il fait de la réputation et presque de la gloire au moindre compositeur d'opérette. C'est un art magnifique et grandiose que celui de l'orgue; n'oublions donc pas ceux qui ont su le maintenir dans toute sa splendeur, Baptiste, Benoît, Chauvet, improvisateur merveilleux, paraît-il, mort trop jeune, Gigout, Guilmant, Lefébure-Wely, Sain d'Arod, Vervoitte, Widor, etc.; j'ai nommé au hasard et par ordre alphabétique. Dans une toute autre région des pays de musique, j'entends fredonner les chanteurs de romances. La romance et la chanson françaises formeraient à elles
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seules un joli chapitre, mais il faut nous hâter. Au beau temps de la romance sentimentale brillent Abadie, Adam, Bérat, Clapisson, Dalvimare, Grisar, Scudo, Mraes Duchambge, Gail, Gay, Loïsa Puget. Puis viennent les ballades romantiques de Monpou ; la romance devient peu à peu mélodie avec le Lac de Niedermeyer, l'Ange déchu de Vogel, presque dramatique et pittoresque, avec Page, écuyer et capitaine, de Membrée. Des maîtres comme Félicien David, Berlioz, Meyerbeer,Gounod, s'en sont emparés et en ont élargi le cadre. Nos musiciens lui donnent aujourd'hui plus de développement encore, et ce sont de véritables petites scènes, de charmantes esquisses de tableaux que ces compositions intitulées Poèmes du printemps, d'avril, d'hiver, etc. Pendant ce temps, la chanson populaire a aussi ses compositeurs avec Pierre Dupont, à la mélodie rude, mais non sans grâce, ayant quelque chose de cette emphase et de ce ton déclamatoire qui plaît aux masses. A côté de lui chante Darcier, dont la mélodie est moins large, moins vigoureuse, moins originale, mais encore franche et bien rythmée ; si Pierre Dupont est peuple, Darcier est ouvrier. Enfin arrive, narquois, fin et spirituel dans sa naïveté voulue, le bourgeois couplet de Nadaud. Jusqu'à une époque assez rapprochée de nous, la musique de chambre avait été, ainsi que la symphonie instrumentale pure, assez négligée en France. Quelques maigres trios d'Auber, quelques pièces assez froides, trios, quatuors et quintettes de Reicha et d'Onslow, •quelques compositions trop courtes de Félicien David, quelques pages élégantes et soignées de Reber : c'était
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peu en face des chefs-d'œuvre des écoles étrangères. En même temps que s'éveillait chez nous le sentiment de l'art instrumental, la musique de chambre prit plus d'extension, et nous pouvons nous enorgueillir, dans ce genre, d'artistes tels que César Franck, MM. Saint-Saëns, Lalo, Alexis de Castillon (18291873), musicien distingué, d'un idéal élevé et pur, et citer avec eux Ad. Blanc, Vaucorbeil, MM. Gouvy, de Boisdeffre, Vincent d'Indy. Du reste, depuis trente ans, les sociétés vouées à ce genre de musique se sont multipliées et nous ne pouvons en donner la liste; mais il faut rappeler les sociétés qui, en dehors des concerts, ont mis en honneur les grandes œuvres françaises et étrangères. Nous avons nommé Seghers et la société Sainte-Cécile, dirigée depuis par M. Weckerlin. Mentionnons la fondation Beaulieu (Association musicale de l'Ouest et Société musicale de Paris, fondées en r835). Plus tard, on vit s'élever d'autres sociétés, dont les principales furent la Société chorale d'amateurs, fondée et très artistement dirigée par M. Bourgault-Ducoudray, et qui fit entendre des œuvres de Haendel et de l'ancienne école française; celle de Guillot de Saint-Bris, dont les séances sont consacrées en grande partie à l'audition des œuvres modernes ; enfin la Concordia, qui donne des auditions du plus haut intérêt. Terminons ce court abrégé en nommant la belle Société de l'harmonie sacrée, fondée par M. Lamoureux, et grâce à laquelle on a pu entendre à Paris (1873) des chefs-d'œuvre tels que la Passion, selon saint Matthieu, de J.-S. Bach, le Messie et Judas Macchabée de Haendel. Pendant ce temps, les modernes
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ÉCOLE FRANÇAISE
DE MUSIQUE.
et les Français n'étaient pas oubliés et trouvaient un orchestre et des exécutants dans les séances très intéressantes de la Société nationale de musique. Résumons-nous donc en quelques noms : Rameau, Méhul, Le Sueur, Berlioz, Hérold, Félicien David, Halévy, Ambroise Thomas, Gounod, représentent le grand art lyrique,, celui-là justement qui, d'après quelques-uns, nous est refusé ; dans le demi-genre, élégant, gracieux et spirituel, nous ne pouvons citer aucun nom : il faudrait recommencer le livre. Nous avons fait de notre mieux, dans ce récit, pour présenter les œuvres ou les artistes dans leur milieu, pour les apprécier autant que possible, ainsi qu'aurait pu le faire un auditeur contemporain, dégagé de tout parti pris, sans nous arrêter plus qu'il ne fallait aux hasards du succès ou aux caprices de la vogue, laissant de côté nos impressions, nos tendances, nos goûts personnels, qui ne pouvaient avoir grand intérêt pour le lecteur. Peut-être cet éclectisme voulu déplaira-t-il à quelques-uns, peut-être rendra-t-il ce petit ouvrage un peu froid et sec, car la passion seule est entraînante; mais ce n'est qu'avec l'éclectisme que l'on peut faire de l'histoire, se reporter à l'époque où une partition fut écrite, étudier ses origines, ses tendances et ses conséquences. La mode passe, le succès s'oublie, l'œuvre reste et, avec le temps, devient un document historique. L'époque où nous vivons aujourd'hui sera plus tard très intéressante à raconter. Notre musique continue sa marche, elle renouvelle ses procédés, sa langue s'enrichit chaque jour; elle est dans une de ces pé-
�LIVRE III.
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riodes de transformation qui préparent l'avenir. Il ne nous appartenait pas, dans un livre de ce genre, de prendre part aux polémiques du moment; aussi est-ce avec la plus grande réserve que nous avons cité les musiciens contemporains, nommant à peine l'homme de-génie dont l'oeuvre préoccupe aujourd'hui la pensée de nos plus grands artistes, Richard Wagner. L'avenir seul pourra nous dire quelle sera l'influence de ce grand maître sur notre école. Ce que nous pouvons assurer, c'est que, quoi qu'il arrive, quelles que soient les transformations par lesquelles notre musique passera, elle est et restera française, comme elle est restée française après Gluck, après Mozart, après Beethoven, après Rossini, après Meyerbeer. Ce que nous n'avons certainement pas su raconter ni décrire, c'est le génie propre de tous ces musiciens qui dans différents genres ont été et sont encore la gloire de notre école ; mais répétons, pour finir, ce que nous disions au début de ce livre : « Lisez, aimez, écoutez les maîtres français tant anciens que modernes, ils sauront bien parler eux-mêmes; ils seront plus éloquents que nous. »
FIN.
��TABLE
DES
MATIÈRES
INTRODUCTION.
— La musique française.
LIVRE
PREMIER
LE MOYEN AGE
DU VE AU XVIE SIÈCLE)
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES GAULOISES, DU VE AU LATINES IXE SIÈCLE ET GERMAINES
Pages.
Les chants sacrés des druides et des bardes. — Les traditions grecques. — Les plains-chants : Les mélodies des drames liturgiques, les hymnes, les proses, les séquences. — La musique populaire et profane. — Les chansons de soldats, les chants de table. — La science : Hucbald de Saint-Amand et Odon de Cluny. — L'orgue et l'organum. — Premiers essais d'harmonie, les neumes, les instruments CHAPITRE II
PREMIÈRE RENAISSANCE (XIIE ET XIIIE MUSICALE SIÈCLES) EN FRANCE
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La chanson française : La musique à voix seule. — Romances, lais et sirventois. — La musique à plusieurs voix.. ' Le déchant. — Motets, rondeaux et conduits. — Le théâtre : Drames religieux, comédies et pastorales en musique. — Daniel Ludus et le jeu de Robin et Marion. ■— Les concerts: Les puys et les concours. — La danse, le chant, les instruments. — La musique religieuse: Réaction cistercienne. — Les musiciens: Troubadours et trouvères, les ménestrels et les écoles de ménestrandie, ménestrelles et jongleresses. — Les théoriciens . . ...
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�TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE III
DU - XI Ve AU XVIe -S-IÈCL-E. 1 -
La science : Les canons, la fugue, la notation. — L'école franco-belge : Guillaume de Machault, Ockheghem, etc. — L'école madrigalesque : Josquin Desprez, Clément Jannequin, Goudimel, etc., les chansons musicales. — La musique religieuse : Les messes musicales en chansons, la Réforme et les psaumes calvinistes. — Musique de chambre, de salle de concert et de danse. — Musique de théâtre et de fêtes : Les. miracles et les ballets de cour. — Les orchestres : Chapelle, Chambre, Écurie des rois de France. — Évolution musicale du xvr3 siècle. — Rôle de l'école française LIVRE II
LES XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
CHAPITRE PREMIER
.LA TRAGÉDIE EN MUSIQUE
Les ballets de cour, comiques et sérieux. Guédron, Mauduit, Bo'rdier. — Les comédies-ballets, les tragédies-féeries : Molière, Corneille, Benserade. —Les opéras italiens : La Finta Pazza et Orfeo; Cavalii et le Sersé. — Création de l'opéra français : Cambert et Perrin, Lulli et Quinault, et la tragédie en musique. — Les successeurs de Lulli: 'Charpentier, Campra, Destouches, Mouret, etc. —Rameau : Son traité d'harmonie, son théâtre, ses contemporains et ses successeurs. — Les Bouffons: Pergolèse et la Serva Padrona, Rousseau et le Devin de village. ■— Les maîtres étrangers : Gluck et la musique françaisé, Piccini, Sacchini, Salieri, Vogel, etc. — L'opéra français pendant la Révolution et l'Empire. — Le premier romantique et le dernier classique; Le Sueur et Spontini, Ossian et la Vestale CHAPITRE II
LA COMÉDIE EN MUSIQUE
L'opéra-comiquë et ses origines : La comédie-ballet et le balletféerie. — Le théâtre de la Foire et ses vicissitudes : Les c musiciens, les.auteurs et.les acteurs de la Foire; Gilliers,.
�TABLE DES MATIÈRES.
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Pages.
Mouret, Labbé, Lesage, Fuzelier d'Orneval, Monnet et Favart, Dauvergne et les Troqueurs. —L'opéra-comique littéraire: Philidor, Monsigny, Grétry, Sedaine et Marrnontel. — L'école lyrique et romantique: Cherubini, Mehul, Le Sueur, etc. ; la littérature étrangère : Shakespeare et Ossian. — L'école sentimentale et de demi-genre : • Berton, Kreutzer, Nicolo, Boïeldieu, etc.— Les musiciens étrangers: Paesiello, Paer, Steibelt, etc. — Les petits maîtres du vaudeville musical et de l'opérette: Dezèdes, Champein, Solier, Gaveaux, Devienne, Délia Maria, Dalayrac, etc CHAPITRE III
LA MUSIQUE DE CHAMBRE, DE CONCERT ET
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D'ÉGLISE
Musique vocale de chambre: Le chant, les brunettes et les airs; Nyert, Lambert, Bacilly; les luthistes et le chant à la cavalière. — Cantates et cantatilles : Campra, Clérambault, Baptistin, etc. — La musique d'église: Mauduit et Ducaurroy, Dumont et les messes royales; Lulli, Charpentier, Lalande, Bernier, Campra, Gilles, etc., Le Sueur et Cherubini. — Organistes et clavecinistes : Champion, Chambonnières, Clérambault, Marchand, Daquin, les Couperins, Rameau, Séjan, Balbâtre. ■— Violonistes : Dumanoir et Constantin, Duval et l'école de Corelli, Senaillé, Baptiste Anet, Leclair, Guignon, Gaviniès, etc., Rode, Kreutzer et Baillot. — Les écoles de musique : Les maîtrises, le magasin, le Conservatoire. — Les concerts : Concerts spirituels, concerts des amateurs, etc. — Les chants républicains et la Marseillaise. — La littérature musicale: Théoriciens, historiens et critiques; Mersenne, Brossard, Laborde, Perne, Fétis, etc. — Les guerres : Les Français et les Italiens, Lullistes et Ramistes. Querelle des Bouffons ou des coins. Gluckistes et Piccinistes. . . .
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LIVRE III LE XIXe SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
L'ODE SYMPHONIE ET LA SYMPHONIE ET DRAMATIQUE
•
RELIGIEUSE
La monodie italienne et la polyphonie allemande. Le genre symphonique français. Les..symphonies.de G.ossec et les
�TABLE DES MATIÈRES.
ouvertures de Méhul. — Le romantisme: Berlioz et Fél. David. — Les concerts: Habenecfc et Pasdeloup. — Musique instrumentale : La symphonie classique, les suites d'orchestre, les rapsodies, les ouvertures. — Musique instrumentale et vocale : Compositions descriptives, religieuses, fantastiques et dramatiques. La symphonie au théâtre; les mélodrames lyriques (musique de scène). ......... ^ CHAPITRE II
LE DRAME LYRIQUE
Les maîtres étrangers en France : Rossini, Meyerbeer, Donizetti, Verdi. — L'opéra historique et narratif : E. Scribe et ses poèmes, Halévy, Auber, etc. — L'opéra pittoresque et poétique, le théâtre lyrique : Fél. David, Berlioz; MM. Gounod, Ambr. Thomas, Reyer, Massenet, Saint-Saëns, Lalo, etc. — La symphonie dansée : les opéras-ballets et les ballets CHAPITRE III
LA COMÉDIE LYRIQUE
L'opéra-comique et ses différents genres. — Première période (i825-i85o). Le genre anecdotique. —• Les librettistes : Scribe, Planard, Saint-Georges. ■— Les musiciens : Hérold, Halévy, Auber, etc. — Deuxième période (i85o^ 189...). Le genre poétique : Ambr. Thomas, Meyerbeer, Massé, Gounod, Bizet, MM. Massenet, Saint-Saëns, Delibes, etc. — Le vaudeville musical et l'opérette : Ad. Adam, Clapisson, Oft'enbach, M. Lecocq, etc. . CHAPITRE IV
Nos desiderata. — Le chant et l'art instrumental au xixe siècle. — Les organistes. — La romance, les mélodies, les chansons. — La musique de chambre et les sociétés d'amateurs. — Conclusion. . .
Paris. — Lib.-Imp. réuuies, 7, r. Saiiit-Beuoit .
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1|Introduction: La musique française |5
1|Livre I: Le Moyen-Age du Vè au XVIè siècle |15
2|Chapitre I: Les origines gauloises, latines et germaines du Vè au XIè siècle |15
2|Chapitre II: Première Renaissance musicale (XIIè et XIIIè siècles) |36
2|Chapitre III: Du XIVè au XVIè siècle |56
1|Livre II: Les XVIIè et XVIIIè siècles |81
2|Chapitre I: La tragédie en musique |81
2|Chapitre II: La comédie en musique |143
2|Chapitre III: La musique de chambre, de concert et d'église |179
1|Livre III: Le XIXè siècle |217
2|Chapitre I: L'ode-symphonie et la symphonie religieuse et dramatique |217
2|Chapitre II: Le drame lyrique |243
2|Chapitre III: La comédie lyrique |276
2|Chapitre IV |307